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07.03.2008

L'indépendance des chercheurs, un grand enjeu citoyen au niveau planétaire

Après les déclarations de Nicolas Sarkozy,  la ministre Valérie Pécresse vient d'établir une "feuille de route" pour le plus grand organisme de recherche scientifique et technologique français. L'emploi scientifique et l'indépendance des chercheurs s'en trouvent menacés. La politique de recherche définie par ces initiatives récentes est présentée comme une "modernisation", comme s'il s'agissait de combler un "retard" de la France en la matière. Mais la réalité est que le "modéle américain" tacitement évoqué traverse à son tour une crise grave, et que des deux côtés de l'Atlantique les scientifiques se heurtent aux mêmes problèmes et aux mêmes dangers pour la poursuite de leur activité.

 

La "feuille de route" adressée par Valérie Pécresse à la Présidence du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), faisant suite au discours prononcé à Orsay le 28 janvier par Nicolas Sarkozy et mise en ligne par le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche à l'adresse :

http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid21061/feu...

a suscité un important débat. 

Valérie Précresse écrit en particulier : 

"La modernisation en cours de notre système de recherche, initiée par la création de l’Agence Nationale de la Recherche en 2005 et amplifiée par les lois d’avril 2006 (loi de programme pour la recherche) et d’août 2007 (loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités), modifie l’environnement scientifique du CNRS et la nature même de ses partenariats, en créant les conditions de l’émergence d’universités plus autonomes. Le CNRS doit prendre en compte ces changements et adapter son positionnement global, dans le cadre d’une stratégie en harmonie avec le mouvement de modernisation ainsi lancé.

(…)

… Afin d’améliorer la lisibilité et la prévisibilité de l’action du CNRS, vous réfléchirez à l’opportunité de substituer aux départements scientifiques actuels une structuration en grands instituts nationaux de recherche, dans l’esprit de l’INSU ou de l’IN2P3, favorisant les coopérations entre les divers acteurs et constituant un ensemble réactif placé sous la responsabilité de la direction générale du CNRS…

Vous appuierez votre politique scientifique sur l’évaluation de l’ensemble des unités mixtes ou propres du CNRS par l’AERES. Ceci vous conduira à repenser les missions de vos instances d’évaluation et à les articuler avec celles de l’AERES et du Conseil National des Universités.

(…)

L’ensemble de vos propositions sera discuté puis validé par la tutelle dans le cadre du plan stratégique que le CNRS doit adopter au premier semestre 2008. Ces évolutions importantes seront ensuite déclinées dans un contrat d’objectifs pluriannuel qui devra être adopté avant la fin de l’année 2008 et qui actera le soutien de l’Etat à votre contribution à la modernisation du système de recherche de notre pays”.

(fin de citation)

 Une véritable injonction, car le financement du CNRS à partir de 2009 est explicitement conditionné à la production "spontanée", par les instances de l'établissement, de "propositions" prévoyant des "évolutions importantes" et qui devront sans tarder être "actées" dans un contrat d'objectifs. Le tout, au nom de la "modernisation". Un mot qui, s'agissant de la recherche scientifique, a été invariablement brandi par tous les gouvernements qui se sont succédés en France depuis la fin des années 1970. Trois décennies de "modernisation" ininterrompue et au contenu variable... Pour en arriver où ?

 

Le 28 janvier, Nicolas Sarkozy avait notamment déclaré :

"Je suis d’ailleurs favorable à ce que tout soit fait pour aider et encourager chaque chercheur et chaque laboratoire à pouvoir chercher les mécénats et les donations qui soutiendront un projet qu’il aura lui-même librement défini. (…)

(…)

Ce n’est pas à un organisme, si grand, si respecté, et si puissant soit-il, de définir à lui seul la politique scientifique d’un pays. Ce n’est pas non plus à un collège électif de scientifiques de décider de cette politique…

(…)

La réforme, cela va impliquer d’abord une chose très difficile qui est de redéfinir les missions des organismes. Ce n’est pas le plus simple. Déchargés du poids d’une partie de la gestion administrative et financière, bientôt confiée aux Universités, déchargés de l’évaluation, confiée à l’Agence pour l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, les organismes devenus agences de moyens davantage qu’opérateurs, mettront en oeuvre la politique scientifique qu’au nom des français, le Gouvernement et le Parlement leur aura confiée.

(...) 

Il n’est naturellement pas question de revenir sur le statut des chercheurs en activité mais il faut se souvenir que 30% des chercheurs en activité prendront leur retraite d’ici à 2012. N’est-ce pas l’occasion d’innover ? De faire preuve d’un peu de créativité, d’un peu d’imagination ? Ne pourrait-on pas à cette occasion introduire, pardon pour le gros mot, un peu de flexibilité dans un système qui souffre cruellement et depuis si longtemps de sa rigidité ? "

(fin de citation)

Les chercheurs de secteur public doivent donc faire ce que voudra le gouvernement et, à peu de chose près, être évalués par lui. S'ils veulent prendre des initiatives, ils n'ont qu'à se trouver des mécènes privés. Quant à leur futur statut et à leur apparence d'impartialité et d'indépendance devant les citoyens, c'est semble-t-il une question hors sujet. Plus leur situation sera précaire, plus les scientifiques seront sous contrôle. L'approche ne manque pas de cohérence, mais est-ce vraiment conforme à l'intérêt général ?

 

Il s'agit, en clair, de mettre fin par étapes à l'existence du CNRS en tant qu'organisme de recherche, en le scindant d'abord en une série d'instituts qui, peu à peu, deviendront de simples agences gouvernementales de financement d'activités basées ailleurs. L'actuel statut des chercheurs devra subir le même sort, les actuels corps de fonctionnaires des personnels de la recherche devenant à peu de chose près des corps en extinction. Quelles en seront les conséquences ?

Non seulement le nouveau schéma envisagé par Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse met fin à la stabilité d'emploi des chercheurs, mais il leur enlève toute indépendance. Une perspective comportant de graves dangers que nos collègues de l'autre côté de l'Atlantique connaissent bien.

 

Le discours présidentiel français et la lettre ministérielle se sont croisés, si on peut dire, avec un article du 14 février publié sur le site Inter Press Service (IPS) et un rapport intitulé "Federal Science and the Public Good", rendu public récemment par l’association américaine Union of Concerned Scientists, à l’adresse  :

http://www.ucsusa.org/scientific_integrity/restoring/scie...

Alors que la ministre Valérie Pécresse entend "préciser la feuille de route qui est désormais fixée" au CNRS "dans le cadre de la préparation du plan stratégique (...) et du contrat d'objectifs qui doivent être signés avant la fin de l'année", le rapport diffusé par l'organisation US se termine notamment par cette conclusion :

“The United States has enjoyed prosperity and health in large part because of its strong and sustained commitment to independent science. As the nation faces new challenges at home and growing competitiveness abroad, the need for a robust federal scientific enterprise remains critical.

Unfortunately, an epidemic of political interference in federal science threatens this legacy, promising serious and wide-ranging consequences. Furthermore, recent changes in the structure of the federal government impair the ability of federal scientists to fulfill their responsibility to serve their agencies and the public interest."

 

L'article du 14 février précité, intitulé: "SCIENCE-US: Top Scientists Want Research Free From Politics", évoque de son côté des atteintes à l'indépendance des chercheurs dont l'administration Bush se serait rendue responsable. Il fait état, entre autres, de cette déclaration du professeur de Médecine Anthony Robbins, ancien directeur du National Institute for Occupational Safety and Health :  "Although surely the worst, the Bush Administration is not the first, nor will it be the last administration to mistreat and misuse science and scientists". D'après le même article, qui reste à ce jour en ligne, Robbins a estimé que "The White House itself has been directly involved in the suppression and falsification of science". Ce n'est pas rien. Francesca Grifo, spécialiste de la biodiversité et de l'environnement, souligne de son côté le rôle des lobbies industriels, et le physicien Kurt Gottfried, professeur à l'Université de Cornell, dénonce ce qui lui apparaît comme une censure de l'information scientifique.

Les exemples fournis par l'article d'IPS sont parlants, quant au caractère stratégique de l'exigence d'indépendance des chercheurs. Sont citées, par exemple, des recherches et données intéressant la dégradation de l'environnement, la santé, la disparition d'espèces, la toxicité de produits divers mais aussi de l'air des villes...

Lorsque le Président de la République Française évoque la question de la "définition de la politique scientifique du pays", son discours ne semble pas prendre en considération une dimension essentielle du problème: le chercheur n'est pas censée être uniquement un "producteur" de science et de technologie. Car, de par la nature même de son travail, le scientifique devient tacitement juge, dans son domaine de compétence, de bien-fondé d'aspects importants du fonctionnement de la société et des politiques publiques. Son indépendance doit donc être préservée de l'ingérence d'un certain nombre d'intérêts de groupes influents. De même, vu les conséquences des découvertes scientifiques et des percées technologiques de notre époque, mais aussi des données obtenues ou accessibles, parler de "démocratie" sans une information complète et transparente en la matière relève de la pure fiction.

 

Le 4 mars, une réunion de "plus de 600 directeurs de laboratoires de recherche et membres d’instances scientifiques de tout le territoire" français, tenue à Paris, a émis un communiqué  mis en ligne à l'adresse :

http://4mars.recherche-enseignement-superieur.fr/spip.php...

où on peut lire cette déclaration de principe :

"Nous réaffirmons que toute réforme doit respecter les principes fondamentaux qui suivent, conditions indispensables pour que la recherche française puisse conserver son rang dans les grandes nations scientifiques et accroître son rayonnement international :

- Le plus important d’entre eux est le respect de l’autonomie du champ scientifique par rapport au politique.

(...) "

(fin de citation)

Une idée de base que l'on retrouve également dans le rapport des scientifiques US cité plus haut. Mais ce dernier ajoute une considération importante : il s'agit de faire en sorte que les chercheurs puissent continuer à servir l'intérêt public. Ce qui ne se ramène pas à une simple question d'autonomie de tel ou tel échelon hierarchique ou administratif, mais nécessite une réelle indépendance individuelle de chaque chercheur.  Tel est le véritable enjeu, d'autant plus que trop souvent les idées novatrices et les initiatives susceptibles d'aboutir à des decouvertes fondamentales ou à des controverses positives sont au départ très minoritaires.

Le communiqué du 4 mars dénonce également les dangers que comportent le projet de scinder le CNRS en plusieurs instituts et la mise en cause de la stabilité de l'emploi scientifique. On ne peut qu'être d'accord, tout en soulignant également que le transfert théorique des personnels du CNRS vers des universités de plus en plus liées au secteur privé et gouvernées par des pouvoirs de plus en plus discrétionnaires risque de se solder dans la pratique par une délocalisation de nombreuses activités de recherche. Outre leurs conséquences sociales directes, les délocalisations aboutissement à un développement général de l'opacité des activités concernées.


Le sujet mérite un débat approfondi, car il importe non seulement de protéger l'indépendance des chercheurs des ingérences "extérieures", mais aussi du lobbying "interne" dans un contexte où la recherche publique a été très largement contractualisée et les "entrées" du secteur privé y sont nombreuses et multiformes. Nous y reviendrons dans un prochain article.

Pour clore, l'indépendance des chercheurs est devenue un enjeu social et citoyen majeur dans le monde entier.  Le scientifique est aujourd'hui soumis à de nombreuses pressions tendant à le contraindre à y renoncer, alors qu'il est plus que jamais nécessaire que son impartialité et sa capacité d'initiative soient préservées. Il est notamment capital pour la société que le travail de recherche, de même que la diffusion de ses résultats, ne soient pas bloqués ou censurés par des groupes influents liés à des intérêts privés.

 

Indépendance des Chercheurs 

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19.02.2008

Bonjour


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Le Collectif "Indépendance des Chercheurs"