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DÉCEMBRE 2006

N°718

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Dongtan, ville écologique  
Les Chinois veulent construire une ville verte de 15 000 habitants en 2010, 80 000 en 2040. Vitrine marketing ou véritable tournant dans l’urbanisme ?

L’air humide du delta du Yangzi Jiang colle à la peau et un fort vent marin chargé d’embruns laisse dans la bouche un arrière -goût salé. Le brouillard enveloppe les terres grises de la grande île, perpétuellement nourrie de nouvelles alluvions. A perte de vue, des herbes hautes, de rares arbustes. Seule une nuée d’oiseaux virevoltant dans le soleil signale que l’endroit n’est pas totalement inhospitalier. Comment croire qu’à 26 kilomètres au sud, par-delà les flots du grand fleuve, s’entassent les 16 millions d’habitants de
Shanghai ! Et que d’ici à quatre ans, une ville vitrine de l’écologie doit y voir le jour ?

Pour l’instant, la pointe méridionale de l’île de Chongming est un no man’s land . Notre chauffeur local explique avec humour : « Notre principale richesse, c’est le vide ! » Un luxe qui commence à valoir son pesant d’or sur les côtes de la Chine. Les autorités de Shanghai ne s’y sont pas trompées. Elles se sont d’abord demandé comment grappiller des terrains alors que les vastes étendues marécageuses de la pointe sud-est sont classées réserve naturelle, sous protection internationale… Elles constituent en effet une étape importante pour les oiseaux migrant entre la Sibérie et l’Australie ; s’y reposent notamment les spatules à face noire, une espèce rarissime dont il ne resterait dans le monde qu’un millier d’individus à l’état sauvage… Faisant appel au cabinet d’ingénieurs londoniens Arup (lire l’interview p. 67) , les dirigeants chinois se sont vu proposer mieux : apporter la preuve qu’urbanisation et développement peuvent rimer avec respect de l’environnement dans une Chine en pleine expansion. Si les projets prévus d’ici à 2040 se réalisent, les marais de Chongming seront connus sous le nom de Dongtan, la plus grande ville écologique au monde ! Zéro émission de CO 2 dans les transports, des besoins énergétiques réduits des deux tiers, couverts par des énergies localement renouvelables.

Un pari vital pour l’empire du Milieu, et peut-être un exemple pour la planète tout entière. Poudre aux yeux ? Des cités de plusieurs millions d’habitants poussent dans tout le pays sans tant de précautions ! Et côté européen, la volonté de réaliser en Chine une belle expérience, dont le premier village-témoin doit être prêt dans trois ans, pour l’Exposition universelle de Shanghai, ne doit pas faire oublier que l’écologie urbaine reste encore souvent, même dans les pays développés, limitée à de rares quartiers (lire l’encadré p. 68) .

Chongming, 1200 km 2 , est la troisième île de Chine. Pour s’y rendre, il faut quitter Shanghai par le ferry express. Après une heure sur des eaux jaunâtres, arrivée à ce qui tient lieu actuellement de port principal. Comme toutes les petites agglomérations provinciales chinoises, Chongming-port est un savant mélange de béton et de préfabriqué bon marché. L’artère centrale bourdonne d’un flot bruyant de deux-roues motorisés. L’île compte tout de même déjà 600 000 habitants, dont un gros contingent de paysans montagnards déplacés là lors de la construction du colossal barrage des Trois-Gorges sur le moyen Yangzi, près de Yichang, dans la province du Hubei. Dès que l’on s’avance sur l’unique route principale de l’île, le décor change. Jusqu’à l’horizon, ce ne sont que vastes étendues piquetées de quelques fermes isolées. Vers l’extrémité sud-est, jouxtant la réserve naturelle, rien ne signale le site de la future Dongtan, si ce n’est quelques bureaux au design futuriste prévus pour abriter les promoteurs. On distingue alentour quelques serres et deux ou trois petites éoliennes… mais aucun signe de quelconques travaux d’urbanisation « verte ». Difficile d’imaginer la ville du futur. A l’emplacement de la « marina », havre de paix écologique prévu par les architectes, un port abrite aujourd’hui un étonnant enchevêtrement de bateaux de pêche. Sur les berges d’un canal d’approvisionnement en eau, des déchets exhalent leur odeur aigre. En fait, le seul indice clairement visible du projet ne se trouve pas sur l’île, mais en pleine mer. Là, ont débuté les travaux de construction du pont à haubans qui, prolongé par un tunnel, reliera Shanghai à Chongming (voir carte p. 65) .
Sur 86 km 2 , les trois quarts de la superficie de Manhattan, devrait pourtant s’élever demain l’écoville de Dongtan, 80 000 habitants à l’horizon 2040 – 500 000 selon les prévisions les plus optimistes du cabinet anglais. Dès 2010, elle doit accueillir son premier village-témoin et compter 15 000 habitants.

Pour construire ce premier site, une entreprise semi-privée dépendante des autorités de Shanghai, la SIIC, cotée à la Bourse de Hong Kong, a été chargée de l’exploitation de la zone. Comme l’explique Christopher Twinn, directeur associé d’Arup qui attend d’ici à la fin de l’année l’approbation par la SIIC d’un master plan détaillé, « l’objectif principal est de construire une ville où les besoins en énergie auront été réduits des deux tiers par rapport à ce qui existe actuellement » . Un plan d’urbanisme où habitations, sites commerciaux et de travail seront étroitement mêlés, et qui devra favoriser les déplacements à pied ou à vélo (lire l’interview ci-dessus) . Une architecture verte doit réduire les immeubles à huit étages, favoriser l’orientation des façades vers l’ombre ou la lumière directe du soleil, généraliser les jardins ou les plantations sur les toits pour une meilleure isolation : au final, une moindre consommation pour le chauffage ou la climatisation. Les besoins résiduels en énergie doivent être couverts localement en accord avec un développement durable : utilisation de la biomasse, recyclage des déchets organiques, éolien, solaire… tous les moyens connus seront mis à contribution. Des moyens non polluants, bien sûr, puisque l’un des objectifs du cahier des charges est aussi la réduction maximale des émissions de gaz à effet de serre. Pour leur alimentation, les « Dongtaniens » seront censés vivre en quasi-autarcie grâce aux fermes bio des alentours.

Pour l’instant, les autorités de Shanghai se concentrent sur la mise en place de coopérations scientifiques avec des partenaires internationaux pour valider le projet : agriculture biologique avec l’université de Turin, centre de recherche sur le développement durable avec le CNRS… Et sur les financements : « Sur le long terme, le projet nécessitera beaucoup d’argent, des dizaines de milliards de dollars, soit bien plus que les jeux Olympiques 2008 de Pékin » , souligne Peter Head, directeur d’Arup. Pour devenir autre chose qu’une vitrine verte, Dongtan devra aussi attirer les employeurs. « Ce sera un endroit fait non seulement pour vivre, mais aussi pour gagner sa vie », souhaite Li Zhinghong, vice-président de la SIIC. Les Chinois espèrent accueillir des sites de recherche médicale de pointe et industries high-tech « légères ». Un investisseur irlandais a par ailleurs promis 1 milliard de dollars pour la création d’un important centre équestre.

Quid de la réserve naturelle à trois kilomètres de là ? Elle doit être protégée, clament les responsables, mais elle doit aussi devenir un centre de loisirs écologiques. « Avant, pour les habitants de Shanghai, la cam-pagne évoquait le sous-déve-loppement et ils la fuyaient ; maintenant elle est synonyme de calme et de détente » , confie une touriste du week-end.

Dongtan, ville révolutionnaire ou éco-Disneyland ? Le projet a déjà ses limites. Le plan de développement global de l’île est loin de remplir les mêmes critères. D’abord, le trafic sur le nouveau pont, qui permettra de joindre Shanghai et la province du Jiangsu, plus au nord, va augmenter sensiblement la pollution. Ensuite, une zone de chantiers navals va s’installer sur la petite île voisine de Changxin. Les autorités de Shanghai claironnent le démarrage de travaux pharaoniques. On ne sait pas quel impact aura cette industrie lourde sur la pollution des eaux du Yangzi Jiang et sur la réserve naturelle. Enfin, hors la zone à énergies renouvelables gérée par la SIIC, il est prévu que le reste de l’île continue d’être approvisionné par une centrale à charbon. Pour combien de temps ? Pour moderniser les installations, les autorités locales comptent sur les investissements étrangers. Elles misent sur le traité de Kyoto, ratifié par la Chine, qui prévoit un véritable marché international de « droits à polluer » : en finançant des projets environnementaux à Dongtan, de nombreuses entreprises des pays développés conserveraient le droit de polluer chez elles…

Pour l’instant, les tout premiers transferts de technologies bio s’amorcent : quelques serres expérimentales, un site en plein air et une unité de compost dernier cri. Des doutes là aussi. Selon un agronome européen qui a préféré conserver l’anonymat, « la Chine attend souvent de recevoir des infrastructures clés en main alors que notre but est de proposer aux agriculteurs des méthodes qu’ils pourront reproduire par eux-mêmes ensuite ». Quant aux oiseaux migrateurs, les responsables de la SIIC assurent qu’ils « bénéficieront d’une meilleure nourriture grâce au développement agricole » ! Et pour qu’ils continuent à séjourner en paix dans le secteur, Arup compte sur des « zones tampons » entre la ville et la réserve.

Impossible n’est pas Dongtan… et rendez-vous est donné pour admirer concrètement les prouesses écologiques dans quatre ans seulement !

 

« Vélos, éoliennes et toits verts »

Le groupe britannique d’ingénierie civile Arup (7000 personnes dans 33 pays) est très présent en Chine, avec un quart de ses effectifs basés à Hong Kong. A Pékin, il travaille à l’extension de l’aéroport international et au stade olympique des Jeux de 2008. Respectivement directeur du projet Dongtan et directeur associé du cabinet ainsi que spécialiste des énergies renouvelables, Roger Wood et Christopher Twinn détaillent les technologies envisagées pour Dongtan.

Comment approvisionner Dongtan en eau ?
Roger Wood : C’est l’un de nos dossiers prioritaires. Notre objectif est de proposer une eau potable à la qualité au moins équivalente aux normes européennes. Nous travaillons sur différentes options : par exemple un système de canaux qui permettrait de gérer l’approvisionnement à partir des eaux du Yangzi Jiang. L’eau à usage agricole, que nous appelons « eau verte », sera de moindre qualité. Nous utiliserons les eaux usées et les déchets organiques pour générer de l’énergie (via un procédé de double fermentation, anaérobie et aérobie) et alimenter une centrale de retraitement.

Comment assurer une auto-suffisance énergétique ?
Christopher Twinn : Nous évaluons, par exemple, la possibilité de racheter la biomasse en provenance de grandes rizières à proximité. Aujourd’hui, elle est brûlée. Avec un système de gazéification, nous pourrions alimenter une centrale électrique. Nous mettrons également en place un réseau de grandes éoliennes sur l’île, et des microéquipements sur les toits des habitations pourraient couvrir 5 % des besoins des occupants. Le solaire sera largement exploité puisqu’il devrait fournir de 10 à 20 % de l’énergie, la technologie chinoise étant désormais à maturité et le prix des cellules photovoltaïques en baisse. Grâce à une architecture spécifique, les appartements mieux isolés seront aussi en partie chauffés en récupérant l’énergie dépensée par les occupants eux-mêmes.

Mais des besoins énergétiques resteront, notamment pour les transports ?

R. W. : Oui, mais ils seront bien moindres si l’on réduit l’usage même des véhicules. Notre plan d’urbanisation innovant a pour objectif que les habitants, pour aller au travail et au cours de leurs activités quotidiennes, utilisent un minimum de transports. Tous les véhicules privés devront stationner à l’extérieur de la ville?; on devrait donc voir beaucoup de vélos à Dongtan. Nous prévoyons des bus à hydrogène, des bateaux-taxis propulsés par énergie solaire et des véhicules électriques pour effectuer les liaisons les plus longues.

Et la réserve d’oiseaux ?
R. W. :
Le point essentiel réside dans la création de « zones tampons » entre la ville et la réserve naturelle afin de limiter l’impact de l’urbanisation. Nous avons prévu qu’elles doivent être de quatre kilomètres de large au minimum.
Dans la ville même, nous créeront des « routes vertes » qui suivront les trajets migratoires les plus importants. Nous pensons également mettre en place des « toits verts » sur les habitations pour que les oiseaux puissent faire une halte durant leur migration.
N. S.

 

Les exemples européens

Une délégation de la SIIC, société chinoise en charge du développement de Dongtan, est venue récemment pêcher des idées en Europe, dans les sites urbains les plus écologiques, en particulier à Hanovre. Pionnière, la ville allemande a ébauché, dès la fin des années 1990, le quartier de Kronsberg, dont la construction doit s’achever en 2010. Il abrite déjà 6300 résidents et 2500 employés (15 000 personnes à terme). Avec sa ferme bio à la périphérie, sa gestion écologique des sols et des eaux, son utilisation massive d’énergies renouvelables et ses lotissements basse énergie, c’est « la » vitrine de l’urbanisation verte. Autre source d’inspiration: le quartier de BedZed (« Beddington zero energy development »), en banlieue de Londres. Soit un îlot de 82 logements, 2500 m2 de bureaux, de commerces, salles de spectacles et autres lieux publics ne dégageant aucun CO2. Plus de la moitié des habitations ont été réservées à des familles modestes.

Au-delà de ces sites vedettes, l’Agence régionale de l’environnement et des nouvelles énergies (Arene) d’Ile-de-France pointe quatre autres réalisations exemplaires. Au Danemark, le quartier de Vesterbro, à Copenhague, accueille déjà 34 000 habitants dans ses 4000 maisons et immeubles. En Suède, Hammarby Sjostad, à Stockholm, – 30 000 personnes d’ici à 2010 – a mis au point un système pneumatique d’évacuation des déchets?; et à Malmö, B001 héberge 10 000 personnes dans 800 maisons et immeubles. En Allemagne, dans le quartier Vauban de Fribourg – 3600 habitants en 2004 –, 65 % de l’électricité est fournie par une usine de cogénération alimentée avec du bois et des panneaux photovoltaïques.

Et la France ? Elle construit des bâtiments à haute qualité environnementale (HQE), comme le lycée Léonard-de-Vinci de Calais, mais tarde à passer à l’échelle d’un quartier entier. Des projets sont cependant en cours à Rungis, près de Paris, et à Rennes.

www.sibart.org/pdf/handbook_fr.pdf
www.bioregional.com
www.areneidf.org

 


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