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Le sommeil paradoxal
La dualité des états du sommeil avait été
déjà devinée par les mystiques Hindous qui opposaient
au sommeil sans rêve (Prajna), l'éveil intérieur du
rêve (Taijasa). Cependant, l'activité onirique ne fait son
entrée en physiologie comme troisième état du cerveau
il y a une vingtaine d'années seulement. Comme le montre l'enregistrement
polygraphique du sommeil (hypnogramme), 4 à 5 périodes de
sommeil paradoxal, d'une durée de 15 à 20 minutes (soit
environ 100 minutes, soit 20 % de la durée totale du sommeil),
surviennent chaque nuit. Elles sont caractérisées par une
accélération du tracé cortical (qui redevient similaire
au stade I de l'endormissement). En fait, il ne s'agit pas du retour du
stade I de sommeil léger, car le sommeil paradoxal est aussi "profond"
que les stades III et IV. D'autre part, une constellation de signes périphériques
vient affirmer qu'il s'agit d'un autre état: apparition de mouvements
oculaires rapides, qui contrastent avec l'atonie musculaire totale (ce
qui explique l'absence de réflexes tendineux à ce moment,
ou la chute brusque de la tête d'un individu qui dort assis). La
respiration devient irrégulière, la tension artérielle
subit des variations brusques (qui peuvent expliquer les accidents vasculaires,
ramolissements. ou infarctus survenant au cours du sommeil). Il existe
enfin une érection, manifestation végétative dont
le contenu sexuel est peu probable puisqu'on l'observe aussi bien chez
le nouveau-né que chez le vieillard. Réveillé au
cours d'une période de mouvements oculaires, le dormeur racontera
en détail des souvenirs de rêve, alors que réveillé
à d'autres moments du sommeil, ces souvenirs sont soit absents,soit
plus estompés et surtout ont perdu le caractère fantastique
de l'imagerie onirique.
La découverte de ce troisième état du cerveau qu'est
le rêve ou sommeil paradoxal chez l'homme et les mammifères
a plongé les neurophysiologistes dans un grand étonnement.
L'alternance veille-sommeil peut s'expliquer naturellement, mais pourquoi
un troisième état qui semble traduire un besoin ? En effet,
si l'on supprime le rêve (en réveillant un dormeur au début
du sommeil paradoxal), celui-ci tend à revenir de plus en plus
souvent. Il existe aussi, après cessation des privations pharmacologiques
de rêve (par exemple avec les hypnotiques ou les inhibiteurs des
monoamines-oxydases) une augmentation considérable du sommeil paradoxal
qui peut alors survenir directement au cours de l'éveil. Ce qui
se traduit par la narcolepsie (ou maladie de Gélineau) avec effondrement
cataplectique (perte subite du tonus musculaire et brève période
d'activité onirique).
L'exploration du sommeil paradoxal (ce nouveau continent du cerveau)
est loin d'être terminée, mais la moisson de résultats
obtenus depuis vingt ans peut être résumée ainsi:
il semble que le sommeil paradoxal apparaisse au cours de l'évolution
avec l'acquisition de l'homéothermie (c'est-à-dire avec
les oiseaux et les mammifères) Il n'a pas été possible,
en effet, de déceler le sommeil paradoxal chez les poissons, les
amphibiens ou les reptiles, qui sont des Poïkilothermes. Le sommeil
paradoxal est donc une "acquisition phylogénétique" relativement
récente. En revanche, c'est un phénomène ontogénétiquement
précoce. L'étude des embryons d'oiseaux in ovo, des foetus
in utero semble bien montrer que le sommeil paradoxal constitue la majeure
partie, sinon la totalité du sommeil au cours de la maturation
du système nerveux. Il existe ensuite, après le sevrage,
des différences considérables entre les différentes
espèces qui peuvent être expliquées en partie par
des considérations éco-éthologiques. Le sommeil paradoxal
dépend étroitement du sommeil profond qui le précède.
Le facteur "sécurité" joue alors un grand rôle (l'insécurité
entretenant les mécanismes de l'éveil et empêchant
le sommeil) ainsi que les conditions de vie. L'herbivore doit passer beaucoup
de temps éveillé pour absorber une nourriture peu énergétique,
ce qui n'est pas le cas des carnivores. Ainsi, la durée quotidienne
du sommeil paradoxal, qui n'est que de 10 à 15 minutes chez la
vache, atteint 180 à 200 minutes chez le chat domestique.
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