"Suaire" : Linge
dans lequel on ensevelit un mort. Saint-Suaire :
Linceul qui servit lors de l'ensevelissement du
Christ. Ces défénitions se trouvent dans n'importe
quel bon dictionnaire. Le Saint-Suaire conservé dans
la cathédrale de Turin (d'où son nom) est
certainement la plus célèbre des reliques du monde
chrétien. Il est devenu à travers les siècles un
objet de vénération pour plusieurs générations de
chrétiens catholiques convaincus de son
authenticité. il n'est d'ailleurs pas rare de nos
jours encore de rencontrer dans certaines églises ou
chapelles des icônes représentant le visage de l'homme
du Suaire.
Cette pièce de lin
longue d'environ 4 mètres 30 sur 1 mètre 10
possède il est vrai d'étranges propriétés. On
peut y déceler l'image à peine visible d'un homme
barbu qui semble avoir subi l'atroce supplice de la
crucifixion, très prisée durant l'Antiquité par
les Romains. Pour les catholiques (ou du moins une
certaine partie d'entre-eux), cette image ne peut
être que celle de Jésus-Christ, le Messie, le fils
de Dieu. En examinant de plus près le Saint-Suaire,
on remarque en effet certains détails qui rappellent
immanquablement la mise à mort de Jésus vers l'an
33 de notre ère à Jérusalem : blessures à la
tête provoquées par la couronne d'épines, coup de
lance au flanc droit, trace de clous aux pieds et aux
mains...
Toutes sortes de
recherches furent effectuées sur ce morceau de tissu.
Les nombreux partisans de son authenticité
créérent même une nouvelle discipline scientifique
pour l'étudier : la sindonologie (de l'italien
sindone, linceul). Un spécialiste de cette
spécialité (un sindonologue), jésuite de son état,
calcula même qu'il n'y avait qu'une chance sur 225
milliards pour que le Suaire de Turin ne soit pas
celui du Christ... (1)
Histoire du
Saint-Suaire
La toute première
apparition historiquement prouvée du Saint-Suaire a
eu lieu dans le royaume de France au XIVième siècle
et plus précisément en 1357 à Lirey près de
Troyes. Sa première exposition publique y eut lieu
à l'initiative d'une riche veuve, Jeanne de Vergny,
appuyée par le clergé local. Très vite, ces
expositions attirèrent des foules considérables
venues admirer le "véritable linceul de Jésus".
Ces méthodes déplurent grandement à l'évêque des
lieux, Henri de Poitiers, qui fit interdire purement
et simplement ces ostentions qu'il dénonça comme
une supercherie. Pendant plusieurs dizaines d'années,
le linceul sacré resta à l'abri des yeux des
fidèles jusqu'au jour où le pape autorisa à
nouveau qu'il soit exposé. Pourtant, le pape
Clément VII ne semblait guère croire à l'authenticité
de la relique. En 1390, il déclara même que "ce
n'était pas le vrai linceul de Notre seigneur mais
une peinture faite à la ressemblance du Seigneur".
Le journaliste Ian
Wilson a tenté de démontré que le Suaire était
connu depuis fort longtemps avant cette date. Il
parle d'une image du Christ imprimée sur un tissu :
le Mandylion, connu en Turquie dès le IVième
siècle. L'auteur a tenté de prouver que le
Mandylion et le Suaire était le même objet. Mais le
Mandylion (dont on garde des reproductions) ne
représente que le visage du Christ alors que l'image
du Suaire est celle d'un corps entier. (2)
A partir des
expositions de Lirney, il est facile de reconstituer
grâce aux archives l'itinéraire du Suaire jusqu'à
nos jours. il voyagera un peu partout en France (Paris,
Nice,...). La relique fera même un bref séjour en
belgique à Chimay en 1449. L'évêque de Liège le
considéra d'ailleurs comme un faux. (3).
Vers 1453, le suaire est cédé au duc de Savoie
contre monnaie sonnante et trébuchante. En 1532, le
linge fut fortement endommagé lors de l'incendie de
la chapelle de Chambéry. La Maison de Savoie gardera
le linceul jusqu'en 1983 où elle sera confiée à la
garde de l'Eglise. Depuis le XVIième siècle, le
Suaire est conservé dans la cathédrale de Turin.
Le Suaire de
Turin et la Science
En mai 1898, à l'occasion
du 50ième anniversaire du Royaume d'Italie, le
Suaire fut exposé aux yeux de tous dans la
cathédrale San Giovanni à Turin. le Suaire fut
photographié par un avocat, Seconda Pia. Le négatif
photographique obtenu révélera de manière beaucoup
plus nette l'image de l'homme du Suaire. La Science
va dès lors prendre la relève de la foi dans la
recherche de la vérité.
Deux ans après cette
ostentation restée célèbre, un religieux, le
chanoine Ulysse Chevalier, écrivit un livre très
critique sur l'authenticité du Suaire (4).
Un chrétien donc niait que le Suaire fut le
véritable linceul du Christ. Il ne sera pas le seul.
Au XXième siècle,
toutes sortes de travaux scientifiques plus ou moins
sérieux furent consacrés au Suaire. On tenta d'expliquer
la formation de l'image par divers procédés plus
discutables les uns que les autres : phénomène
électrique, action de rayons X, excès de vapeur,...
En 1950, un médecin, le docteur Barbier, publia un
livre fort intéressant : La Passion de Jésus-Christ
selon le chirurgien. Il arriva à la conclusion
que les blessures constatées sur l'image de l'homme
du Suaire étaient identiques à celles subies par le
Christ selon les Evangiles. Troublant. La même
année se tint à Rome le premier congrès
international de sindonologie.
En 1973, des tissus
furent prélevés sur les zones de du linceul qui
semblaient être tâchés de sang. Les chercheurs
étaient membres du STURP (Shround of Turin Research
Project-Projet de recherche sur le Suaire de Turin).
Leurs analyses ne furent guèrent concluantes mais
ils pensèrent avoir trouver des traces de sang
humain sur le linceul.
Les années 70 furent
dès plus agitée. Tout d'abord, deux chercheurs
indépendants (et qui ne travaillaient pas pour la
NASA comme on l'a trop vite dit) obtinrent par
ordinateur une spectaculaire reconstitution en trois
dimensions du visage de l'homme du Suaire. ils
développèrent alors une audacieuse théorie qui
frappa beaucoup les imaginations : l'image de Jésus
aurait été imprimée sur le lin lors de la
résurrection. Un flash d'origine surnaturelle (radioactive?)
aurait marqué le tissu. Certains se souvinrent alors
que lors de l'épisode biblique de la Transfiguration
où Jésus fut entouré d'une éblouissante lumière
blanche. Etait-ce le même phénomène qui eut lieu
lors de la résurrection? D'autres chercheurs firent
alors le lien avec l'effet Kirlian, un pseudo-procédé
de photographie du corps énergétique de l'homme
inventé par un scientifique russe. Le mariage entre
parapsychologie et Suaire de Turin devenait officiel...
Mais la découverte la
plus importante fut effectuée par le criminologue
suisse Max Fréi qui avait effectué des
prélévements sur le linge. Il y découvrit, selon
ses dires, des traces de pollens provenant de Turquie,
d'Italie, de France et de Palestine. La découverte
de Monsieur Fréi fut brandie comme une preuve
irréfutable de l'authenticité du Suaire. Cependant,
il semblerait que Max Fréi ne possédait pas le
matériel nécessaire ni les compétences adéquates
pour arriver à ces conclusions. Des botanistes
reprirent ses expériences et n'arrivèrent pas aux
mêmes résultats. (5) C'est d'ailleurs
le même Max Fréi qui se présentait comme expert en
graphologie qui se porta garant des fameux carnets d'Hitler
dont on sait aujourd'hui avec certitude qu'ils
étaient faux.
En 1978, une trentaine
de membres du STURP arrivèrent à Turin avec
pluiseurs tonnes de matériel. Pendant plusieurs
jours, avec l'accord de l'évêque de Turin, ils
passèrent le précieux linge au crible et furent
autorisés à prélever des échantillons pour
analyses. La plupart des chercheurs conclurent à l'authenticité
du Suaire. Un seul arriva à des conclusions
contraires. Walter Mc Crone, micro-analyste
spécialisé dans la détection de fausses oeuvres d'art
déclara sans doute un peu à contre-coeur que "l'image
entière était l'oeuvre d'un artiste". Le
STURP refusa de publier les recherches de Mc Crone
qui fut prié poliment de quitter l'organisation (6).
Le STURP organisà dès
1979 une impressionnante série de conférences de
presse dont le but était de faire connaître leurs
conclusions positives. Un livre événement sera
également publié deux ans plus tard (7).
L'un de ses auteurs se présentait comme le porte-parole
officiel du STURP. Or, cet organisme n'avait d'aucune
façon autorisé et approuvé cette publication. Les
auteurs du livre furent même poursuivis en Justice
par le STURP. Ambiance, ambiance...
La datation
au carbone 14
La méthode de datation
d'objets archéologiques la plus couramment
utilisées par les spécialistes est celle dite du
carbone 14. le principe de cette méthode s'appuie
sur le fait que chaque matière organique contient
une certaine quantité de carbone radioactif, le
carbone 14. Quand la matière organique (animal,
plante,...) cesse de vivre, sa teneur en carbone 14
décroît progressivement avec le temps. On peut
alors dater les objets avec une précision assez
grande.
On songeait depuis
longtemps à effectuer sur le Suaire cette analyse
capitale. L'Eglise la refusa toujours de manière
compréhensible car il aurait fallu un morceau trop
important de la relique (environ 400 cm²). De
nouvelles techniques ont cependant permis de n'utiliser
qu'un seul fil de quelques centimètres. En 1988,
trois laboratoires neutres furent désignés pour
effectuer ces analyses : l'Université d'Oxford, l'Institut
Polytechnique de Zurich et l'Université d'Arizona à
Tucson (Etats-Unis). Des échantillons de lin furent
prélevés sur le Suaire. Ils furent purifiés et
soumis au test du carbone 14. Les trois laboratoires
rendirent un verdict identique : le linceul fut
fabriqué entre 1260 et 1390. Le doute n'était plus
possible : le Saint-Suaire était un faux fabriqué
au Moyen-Age. Il n'avait donc jamais pu servir à
conserver le corps de Jésus. Les résultats furent
rendus publics par l'archévêque de Turin qui s'inclina
devant le verdict sans appel de la Science. Un des
plus chauds partisans de 'authenticité du Suaire,
Jacques Evin, directeur du laboratoire de
radiocarbone de l'Université de Lyon et membre de l'association
pro-suaire Montre-nous ton Visage, fut on ne
peut plus formel : "On ne peut pas discuter
la datation au carbone 14, le Suaire est un faux".
On croyait dès lors
que le débat sur le Suaire de Turin était
définitivement clos. C'était mal connaître la
pugnacité de certains sindonologues qui ne s'avouèrent
pas si facilement vaincus. deux chercheurs italiens
avancèrent l'hypotèse audacieuse que la chaleur à
laquelle fut exposé le Suaire durant l'incendie de
1532 aurait pu modifier considérablement la teneur
en carbone 14 du lin. Le problème est que ces deux
chercheurs n'essayèrent même pas d'étayer leur
théorie par des expériences scientifiques
rigoureuses. (8) D'autres chercheur
remettront en cause l'infaillibilité même de la
méthode du carbone 14. il est vrai que cette
méthode n'est pas fiable à 100% mais sa marge d'erreur
ne peut pas dépasser quelques dizaines d'années sur
une période aussi courte (mille ou deux mille ans).
Une erreur de plus de 1200 ans semblenttout à fait
impossible surtout que les tests ont été réalisés
par trois laboratoires différents. Le débat était
brièvement relancé mais le coup fut dur pour le
STURP qui attendait monts et merveilles de la
datation au carbone 14. Le STURP se fit alors
beaucoup plus discret. mais d'autres prirent la
relève de manière plus énergique. On laissa
entendre ici et là que les expertises au carbone 14
aurait été truquées de manière délibérées et
certaines personnes évoquèrent même un complot
judéo-maçonnique destiné à destabiliser le
catholicisme.
A la tête de de ce
nouveau mouvement "suairiste" se trouve un
organisme basé à Paris, le CIELT (Centre
international d'Etude sur le Linceul de Turin),
proche de certains milieux traditionalistes
catholiques. Le but de cet organisme est très clair
: faire connaître le linceul au public et prouver
son authenticité. Ses membres encouragent dès lors
toutes les recherches sur le Suaire, organisent des
conférences de presse et des expositions (comme j'ai
pu le constater dans une célèbre abbaye provencale
durant l'été 2001), publient des livres (9).
Le CIELT est même parvenu à retourner l'opinion
publique en intoxiquant des journaux sérieux (Le
Soir, Le Figaro,...) et même des revues
prestigieuses (Science et Avenir, Historia,...).
Le Suaire de
Turin est-il le véritable linceul du Christ?
Devant le Saint-Suaire,
on ne peut qu'adopter deux positions : ou bien le
Suaire est l'oeuvre d'un artiste génial du Moyen Age
ou bien il s'agit de l'empreinte miraculeuse d'un
homme crucifié qui ne peut être que Jésus-Christ.
Ces deux positions sont évidemment complètement
antagonistes et il ne semble pas avoir de voie
médiane. Il semble cependant difficile à croire
malgré les recherches du STURP et du CIELT que cette
relique soit authentique. C'est une possibilité
troublante mais les recherches historiques,
archéologiques, bibliques et chimico-physiques
semblent, pour l'instant, démontrer que le Suaire
est une oeuvre d'art du Moyen Age. Voici pourquoi :
1. Les Evangiles (pas
plus que les Actes des Apôtres) ne mentionnent l'existence
d'un linceul sur lequel aurait été imprimé l'empreinte
du Christ.
2. Il n'existe absolument aucune trace écrite
valable prouvant l'existence du Suaire avant le
XIVième siècle.
3. Aucun pape, aucun évêque, aucun haut dignitaire
de l'Eglise n'a jamais fait mention du Suaire avant
cette date.
4. Devant cette évidence, les sindonologues ont
lancé "l'hypothèse iconographique". Ils
ont recherché depuis le début de l'ère chrétienne
les diverses représentations du Christ (icônes,
peintures,...). Ils ont remarqué que certaines de
ces représentations ressemblaient au Suaire, preuve
que les artistes auraient copié l'image du Suaire.
Mais il était commun de représenter le Christ de la
même façon : barbu et majestueux. Qui donc était
le premier : l'oeuf ou la poule?
5. Le visage de l'homme du Suaire n'est pas du tout
sémitique. C'est un icône de type slavo-byzantine
marqué.
6. Les sindonologues affirment encore que l'impression
de l'image sur le lin ne peut être l'oeuvre d'un
humain. Or, des chercheurs sceptiques tels le
physicien Henri Broch (10)
sont parvenus à reproduire des Saint-Suaires en
utilisant une technique de frottement sur bas-relief.
D'ailleurs, on a retrouvé des traces d'oxyde de fer
et de pigments sur le Suaire de Turin.
7. Les datations au carbone 14 sont inattaquables.
Prétendre le contraire est faire preuve d'une grande
mauvaise foi.
8. Les recherches scientifiques des sindonologues sur
le Suaire (analyse de pollens, de sang, traces
écrites sur le Suaire,...) ne sont pas crédibles
car trop orientées dès le départ par des à-prioris
favorables à l'authenticité.
9. Le Vatican, pourtant toujours prompt à
reconnaître certains miracles tels les apparitions
de la Vierge à Fatima ou à Lourdes, n'a jamais
reconnu le Saint-Suaire comme le véritable linceul
de Jésus. Un tel silence est éloquent.
Ceux qui désireraient
obtenir plus d'informations critiques sur le Suaire
peuvent toujours consulter le seul livre critique
récent en français sur le Suaire de Turin. (11)
Ces arguments feront
certainement bondir les partisans du Suaire. Mais qui
donc ces saintsThomas de la sindonologie? Les
chrétiens (et je suis de ceux-là, étonnez-vous!) n'ont
absolument pas besoin de preuves et de Suaire de
Turin pour avoir la foi. L'intérêt que l'on peut
lui porter est légitime mais il finit par ressembler
à une détestable forme de superstition.
Heureux ceux qui
ont cru sans avoir vu!
(1) Carnac Pierre :
Le Suaire de Turin, Alain Lefeuvre, Nice,
1979
(2) Wilson Iann, le Suaire de Turin,
Albin Michel, Paris 1978
(3) Nouvelles Brèves, numéro 62,
décembre 1996
(4) Chevalier Ulysse, Etude critique sur l'origine
du Saint-Suaire de Lireu-Chambéry-Turin,
Paris, 1900
(5) Science et Vie, n°886, juillet
1991
(6) Science et Vie, n°783,
décembre 1982
(7) Stevensson Ken et Habermas Gary, La
Vérité sur le Suaire de Turin, Fayard,
Paris, 1981
(8) Petrosillo et Marinelli, Le Suaire,
Une énigme à l'épreuve de la Science,
Fayard, Paris, 1991
(9) Raffard de Brienne Daniel, Enquête sur
le Saint-Suaire, Editions Claire-Vigne,
Paris, 1996
(10) Broch Henri, Le paranormal,
Seuil, Paris 1985
(11) Blanrue Paul-Eric, Miracle ou Imposture?
L'Histoire interdite du Suaire de Turin,
Golias-EPO, 1999