LE SUAIRE DE TURIN

Mais aucun miracle ne leur sera donné
si ce n'est celui de Jonas.
Mattieu 12,39-40


"Suaire" : Linge dans lequel on ensevelit un mort. Saint-Suaire : Linceul qui servit lors de l'ensevelissement du Christ. Ces défénitions se trouvent dans n'importe quel bon dictionnaire. Le Saint-Suaire conservé dans la cathédrale de Turin (d'où son nom) est certainement la plus célèbre des reliques du monde chrétien. Il est devenu à travers les siècles un objet de vénération pour plusieurs générations de chrétiens catholiques convaincus de son authenticité. il n'est d'ailleurs pas rare de nos jours encore de rencontrer dans certaines églises ou chapelles des icônes représentant le visage de l'homme du Suaire.

Cette pièce de lin longue d'environ 4 mètres 30 sur 1 mètre 10 possède il est vrai d'étranges propriétés. On peut y déceler l'image à peine visible d'un homme barbu qui semble avoir subi l'atroce supplice de la crucifixion, très prisée durant l'Antiquité par les Romains. Pour les catholiques (ou du moins une certaine partie d'entre-eux), cette image ne peut être que celle de Jésus-Christ, le Messie, le fils de Dieu. En examinant de plus près le Saint-Suaire, on remarque en effet certains détails qui rappellent immanquablement la mise à mort de Jésus vers l'an 33 de notre ère à Jérusalem : blessures à la tête provoquées par la couronne d'épines, coup de lance au flanc droit, trace de clous aux pieds et aux mains...

Toutes sortes de recherches furent effectuées sur ce morceau de tissu. Les nombreux partisans de son authenticité créérent même une nouvelle discipline scientifique pour l'étudier : la sindonologie (de l'italien sindone, linceul). Un spécialiste de cette spécialité (un sindonologue), jésuite de son état, calcula même qu'il n'y avait qu'une chance sur 225 milliards pour que le Suaire de Turin ne soit pas celui du Christ... (1)

Histoire du Saint-Suaire

La toute première apparition historiquement prouvée du Saint-Suaire a eu lieu dans le royaume de France au XIVième siècle et plus précisément en 1357 à Lirey près de Troyes. Sa première exposition publique y eut lieu à l'initiative d'une riche veuve, Jeanne de Vergny, appuyée par le clergé local. Très vite, ces expositions attirèrent des foules considérables venues admirer le "véritable linceul de Jésus". Ces méthodes déplurent grandement à l'évêque des lieux, Henri de Poitiers, qui fit interdire purement et simplement ces ostentions qu'il dénonça comme une supercherie. Pendant plusieurs dizaines d'années, le linceul sacré resta à l'abri des yeux des fidèles jusqu'au jour où le pape autorisa à nouveau qu'il soit exposé. Pourtant, le pape Clément VII ne semblait guère croire à l'authenticité de la relique. En 1390, il déclara même que "ce n'était pas le vrai linceul de Notre seigneur mais une peinture faite à la ressemblance du Seigneur".

Le journaliste Ian Wilson a tenté de démontré que le Suaire était connu depuis fort longtemps avant cette date. Il parle d'une image du Christ imprimée sur un tissu : le Mandylion, connu en Turquie dès le IVième siècle. L'auteur a tenté de prouver que le Mandylion et le Suaire était le même objet. Mais le Mandylion (dont on garde des reproductions) ne représente que le visage du Christ alors que l'image du Suaire est celle d'un corps entier. (2)

A partir des expositions de Lirney, il est facile de reconstituer grâce aux archives l'itinéraire du Suaire jusqu'à nos jours. il voyagera un peu partout en France (Paris, Nice,...). La relique fera même un bref séjour en belgique à Chimay en 1449. L'évêque de Liège le considéra d'ailleurs comme un faux. (3). Vers 1453, le suaire est cédé au duc de Savoie contre monnaie sonnante et trébuchante. En 1532, le linge fut fortement endommagé lors de l'incendie de la chapelle de Chambéry. La Maison de Savoie gardera le linceul jusqu'en 1983 où elle sera confiée à la garde de l'Eglise. Depuis le XVIième siècle, le Suaire est conservé dans la cathédrale de Turin.

Le Suaire de Turin et la Science

En mai 1898, à l'occasion du 50ième anniversaire du Royaume d'Italie, le Suaire fut exposé aux yeux de tous dans la cathédrale San Giovanni à Turin. le Suaire fut photographié par un avocat, Seconda Pia. Le négatif photographique obtenu révélera de manière beaucoup plus nette l'image de l'homme du Suaire. La Science va dès lors prendre la relève de la foi dans la recherche de la vérité.

Deux ans après cette ostentation restée célèbre, un religieux, le chanoine Ulysse Chevalier, écrivit un livre très critique sur l'authenticité du Suaire (4). Un chrétien donc niait que le Suaire fut le véritable linceul du Christ. Il ne sera pas le seul.

Au XXième siècle, toutes sortes de travaux scientifiques plus ou moins sérieux furent consacrés au Suaire. On tenta d'expliquer la formation de l'image par divers procédés plus discutables les uns que les autres : phénomène électrique, action de rayons X, excès de vapeur,... En 1950, un médecin, le docteur Barbier, publia un livre fort intéressant : La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien. Il arriva à la conclusion que les blessures constatées sur l'image de l'homme du Suaire étaient identiques à celles subies par le Christ selon les Evangiles. Troublant. La même année se tint à Rome le premier congrès international de sindonologie.

En 1973, des tissus furent prélevés sur les zones de du linceul qui semblaient être tâchés de sang. Les chercheurs étaient membres du STURP (Shround of Turin Research Project-Projet de recherche sur le Suaire de Turin). Leurs analyses ne furent guèrent concluantes mais ils pensèrent avoir trouver des traces de sang humain sur le linceul.

Les années 70 furent dès plus agitée. Tout d'abord, deux chercheurs indépendants (et qui ne travaillaient pas pour la NASA comme on l'a trop vite dit) obtinrent par ordinateur une spectaculaire reconstitution en trois dimensions du visage de l'homme du Suaire. ils développèrent alors une audacieuse théorie qui frappa beaucoup les imaginations : l'image de Jésus aurait été imprimée sur le lin lors de la résurrection. Un flash d'origine surnaturelle (radioactive?) aurait marqué le tissu. Certains se souvinrent alors que lors de l'épisode biblique de la Transfiguration où Jésus fut entouré d'une éblouissante lumière blanche. Etait-ce le même phénomène qui eut lieu lors de la résurrection? D'autres chercheurs firent alors le lien avec l'effet Kirlian, un pseudo-procédé de photographie du corps énergétique de l'homme inventé par un scientifique russe. Le mariage entre parapsychologie et Suaire de Turin devenait officiel...

Mais la découverte la plus importante fut effectuée par le criminologue suisse Max Fréi qui avait effectué des prélévements sur le linge. Il y découvrit, selon ses dires, des traces de pollens provenant de Turquie, d'Italie, de France et de Palestine. La découverte de Monsieur Fréi fut brandie comme une preuve irréfutable de l'authenticité du Suaire. Cependant, il semblerait que Max Fréi ne possédait pas le matériel nécessaire ni les compétences adéquates pour arriver à ces conclusions. Des botanistes reprirent ses expériences et n'arrivèrent pas aux mêmes résultats. (5) C'est d'ailleurs le même Max Fréi qui se présentait comme expert en graphologie qui se porta garant des fameux carnets d'Hitler dont on sait aujourd'hui avec certitude qu'ils étaient faux.

En 1978, une trentaine de membres du STURP arrivèrent à Turin avec pluiseurs tonnes de matériel. Pendant plusieurs jours, avec l'accord de l'évêque de Turin, ils passèrent le précieux linge au crible et furent autorisés à prélever des échantillons pour analyses. La plupart des chercheurs conclurent à l'authenticité du Suaire. Un seul arriva à des conclusions contraires. Walter Mc Crone, micro-analyste spécialisé dans la détection de fausses oeuvres d'art déclara sans doute un peu à contre-coeur que "l'image entière était l'oeuvre d'un artiste". Le STURP refusa de publier les recherches de Mc Crone qui fut prié poliment de quitter l'organisation (6).

Le STURP organisà dès 1979 une impressionnante série de conférences de presse dont le but était de faire connaître leurs conclusions positives. Un livre événement sera également publié deux ans plus tard (7). L'un de ses auteurs se présentait comme le porte-parole officiel du STURP. Or, cet organisme n'avait d'aucune façon autorisé et approuvé cette publication. Les auteurs du livre furent même poursuivis en Justice par le STURP. Ambiance, ambiance...

La datation au carbone 14

La méthode de datation d'objets archéologiques la plus couramment utilisées par les spécialistes est celle dite du carbone 14. le principe de cette méthode s'appuie sur le fait que chaque matière organique contient une certaine quantité de carbone radioactif, le carbone 14. Quand la matière organique (animal, plante,...) cesse de vivre, sa teneur en carbone 14 décroît progressivement avec le temps. On peut alors dater les objets avec une précision assez grande.

On songeait depuis longtemps à effectuer sur le Suaire cette analyse capitale. L'Eglise la refusa toujours de manière compréhensible car il aurait fallu un morceau trop important de la relique (environ 400 cm²). De nouvelles techniques ont cependant permis de n'utiliser qu'un seul fil de quelques centimètres. En 1988, trois laboratoires neutres furent désignés pour effectuer ces analyses : l'Université d'Oxford, l'Institut Polytechnique de Zurich et l'Université d'Arizona à Tucson (Etats-Unis). Des échantillons de lin furent prélevés sur le Suaire. Ils furent purifiés et soumis au test du carbone 14. Les trois laboratoires rendirent un verdict identique : le linceul fut fabriqué entre 1260 et 1390. Le doute n'était plus possible : le Saint-Suaire était un faux fabriqué au Moyen-Age. Il n'avait donc jamais pu servir à conserver le corps de Jésus. Les résultats furent rendus publics par l'archévêque de Turin qui s'inclina devant le verdict sans appel de la Science. Un des plus chauds partisans de 'authenticité du Suaire, Jacques Evin, directeur du laboratoire de radiocarbone de l'Université de Lyon et membre de l'association pro-suaire Montre-nous ton Visage, fut on ne peut plus formel : "On ne peut pas discuter la datation au carbone 14, le Suaire est un faux".

On croyait dès lors que le débat sur le Suaire de Turin était définitivement clos. C'était mal connaître la pugnacité de certains sindonologues qui ne s'avouèrent pas si facilement vaincus. deux chercheurs italiens avancèrent l'hypotèse audacieuse que la chaleur à laquelle fut exposé le Suaire durant l'incendie de 1532 aurait pu modifier considérablement la teneur en carbone 14 du lin. Le problème est que ces deux chercheurs n'essayèrent même pas d'étayer leur théorie par des expériences scientifiques rigoureuses. (8) D'autres chercheur remettront en cause l'infaillibilité même de la méthode du carbone 14. il est vrai que cette méthode n'est pas fiable à 100% mais sa marge d'erreur ne peut pas dépasser quelques dizaines d'années sur une période aussi courte (mille ou deux mille ans). Une erreur de plus de 1200 ans semblenttout à fait impossible surtout que les tests ont été réalisés par trois laboratoires différents. Le débat était brièvement relancé mais le coup fut dur pour le STURP qui attendait monts et merveilles de la datation au carbone 14. Le STURP se fit alors beaucoup plus discret. mais d'autres prirent la relève de manière plus énergique. On laissa entendre ici et là que les expertises au carbone 14 aurait été truquées de manière délibérées et certaines personnes évoquèrent même un complot judéo-maçonnique destiné à destabiliser le catholicisme.

A la tête de de ce nouveau mouvement "suairiste" se trouve un organisme basé à Paris, le CIELT (Centre international d'Etude sur le Linceul de Turin), proche de certains milieux traditionalistes catholiques. Le but de cet organisme est très clair : faire connaître le linceul au public et prouver son authenticité. Ses membres encouragent dès lors toutes les recherches sur le Suaire, organisent des conférences de presse et des expositions (comme j'ai pu le constater dans une célèbre abbaye provencale durant l'été 2001), publient des livres (9). Le CIELT est même parvenu à retourner l'opinion publique en intoxiquant des journaux sérieux (Le Soir, Le Figaro,...) et même des revues prestigieuses (Science et Avenir, Historia,...).

Le Suaire de Turin est-il le véritable linceul du Christ?

Devant le Saint-Suaire, on ne peut qu'adopter deux positions : ou bien le Suaire est l'oeuvre d'un artiste génial du Moyen Age ou bien il s'agit de l'empreinte miraculeuse d'un homme crucifié qui ne peut être que Jésus-Christ. Ces deux positions sont évidemment complètement antagonistes et il ne semble pas avoir de voie médiane. Il semble cependant difficile à croire malgré les recherches du STURP et du CIELT que cette relique soit authentique. C'est une possibilité troublante mais les recherches historiques, archéologiques, bibliques et chimico-physiques semblent, pour l'instant, démontrer que le Suaire est une oeuvre d'art du Moyen Age. Voici pourquoi :

1. Les Evangiles (pas plus que les Actes des Apôtres) ne mentionnent l'existence d'un linceul sur lequel aurait été imprimé l'empreinte du Christ.
2. Il n'existe absolument aucune trace écrite valable prouvant l'existence du Suaire avant le XIVième siècle.
3. Aucun pape, aucun évêque, aucun haut dignitaire de l'Eglise n'a jamais fait mention du Suaire avant cette date.
4. Devant cette évidence, les sindonologues ont lancé "l'hypothèse iconographique". Ils ont recherché depuis le début de l'ère chrétienne les diverses représentations du Christ (icônes, peintures,...). Ils ont remarqué que certaines de ces représentations ressemblaient au Suaire, preuve que les artistes auraient copié l'image du Suaire. Mais il était commun de représenter le Christ de la même façon : barbu et majestueux. Qui donc était le premier : l'oeuf ou la poule?
5. Le visage de l'homme du Suaire n'est pas du tout sémitique. C'est un icône de type slavo-byzantine marqué.
6. Les sindonologues affirment encore que l'impression de l'image sur le lin ne peut être l'oeuvre d'un humain. Or, des chercheurs sceptiques tels le physicien Henri Broch
(10) sont parvenus à reproduire des Saint-Suaires en utilisant une technique de frottement sur bas-relief. D'ailleurs, on a retrouvé des traces d'oxyde de fer et de pigments sur le Suaire de Turin.
7. Les datations au carbone 14 sont inattaquables. Prétendre le contraire est faire preuve d'une grande mauvaise foi.
8. Les recherches scientifiques des sindonologues sur le Suaire (analyse de pollens, de sang, traces écrites sur le Suaire,...) ne sont pas crédibles car trop orientées dès le départ par des à-prioris favorables à l'authenticité.
9. Le Vatican, pourtant toujours prompt à reconnaître certains miracles tels les apparitions de la Vierge à Fatima ou à Lourdes, n'a jamais reconnu le Saint-Suaire comme le véritable linceul de Jésus. Un tel silence est éloquent.

Ceux qui désireraient obtenir plus d'informations critiques sur le Suaire peuvent toujours consulter le seul livre critique récent en français sur le Suaire de Turin. (11)

Ces arguments feront certainement bondir les partisans du Suaire. Mais qui donc ces saintsThomas de la sindonologie? Les chrétiens (et je suis de ceux-là, étonnez-vous!) n'ont absolument pas besoin de preuves et de Suaire de Turin pour avoir la foi. L'intérêt que l'on peut lui porter est légitime mais il finit par ressembler à une détestable forme de superstition.

Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu!
 


(1) Carnac Pierre : Le Suaire de Turin, Alain Lefeuvre, Nice, 1979
(2) Wilson Iann, le Suaire de Turin, Albin Michel, Paris 1978
(3) Nouvelles Brèves, numéro 62, décembre 1996
(4) Chevalier Ulysse, Etude critique sur l'origine du Saint-Suaire de Lireu-Chambéry-Turin, Paris, 1900
(5) Science et Vie, n°886, juillet 1991
(6) Science et Vie, n°783, décembre 1982
(7) Stevensson Ken et Habermas Gary, La Vérité sur le Suaire de Turin, Fayard, Paris, 1981
(8) Petrosillo et Marinelli, Le Suaire, Une énigme à l'épreuve de la Science, Fayard, Paris, 1991
(9) Raffard de Brienne Daniel, Enquête sur le Saint-Suaire, Editions Claire-Vigne, Paris, 1996
(10) Broch Henri, Le paranormal, Seuil, Paris 1985
(11) Blanrue Paul-Eric, Miracle ou Imposture? L'Histoire interdite du Suaire de Turin, Golias-EPO, 1999