LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
par
MichĂšle Audin
Résumé.
Les sources existantes sur la Poldévie semblent se satisfaire de rensei-
gnements de troisiÚme, voire plus, main. Nous tentons ici de rétablir une vérité, une
chronologie, à partir de sources incontestables, citées, et consultables par les lecteurs
(la
«
reproductibilité des expériences
»
de lâhistorien
·
ne). Nous prouvons en particu-
lier que ce nâest
pas
lâextrĂȘme-droite française qui a crĂ©Ă© la PoldĂ©vie (mĂȘme sâil est
vrai quâelle a exploitĂ© Ă outrance le filon poldĂšve dans des combats plus que dou-
teux). Nous rendons ainsi la Poldévie à ses véritables amis, Bourbaki, Queneau, Weil,
Roubaud...
Dans une longue introduction, nous nous attardons un peu sur un des contextes
de la PoldĂ©vie : les relations entre Bourbaki et lâOulipo.
Introduction
Pourquoi parler de la PoldĂ©vie aujourdâhui ? Principalement Ă cause du dĂ©sir quâen
a eu lâauteur de cet article. Elle a en effet eu lâoccasion, au mois de juin 2009, de
frĂ©quenter dâassez prĂšs la correspondance dâAndrĂ© Weil, Henri Cartan et dâautres
amis de Bourbaki
(1)
et, de façon Ă peu prĂšs simultanĂ©e, dâĂ©voquer la PoldĂ©vie au
cours dâune promenade sur les lieux de
la Belle Hortense
avec Jacques Roubaud,
Nicolas Bergeron et Emmanuel Ferrand (pour
Images des mathématiques
http://
images.math.cnrs.fr/
).
Version (toujours) préliminaire du 27 novembre 2009.
(1)
Dans cet article, je suppose une certaine connaissance du fait Bourbaki (et aussi du fait Oulipo,
mais il est assez facile de se renseigner dans ce cas), il faudrait donc que je conseille aux lecteurs
des moyens dâacquĂ©rir cette connaissance. Il y a bien sĂ»r (?!)
wikipedia
, mais aujourdâhui cette page
nâest pas fantastique. Il y a aussi le fascicule [
31
], dans la série
les GĂ©nies de la science
, dont le titre
semble promettre une dĂ©sespĂ©rante absence dâirrĂ©vĂ©rence (et câest bien le cas, hĂ©las), qui a des foules
de défauts dont certains seront signalés ici ou là dans ce texte, mais qui a une qualité : il existe. Je
renvoie donc Ă ce texte. Je conseillerais volontiers aussi [
5
] (mais câest difficile Ă trouver) et [
6
], mais
câest moins accessible.
2
MICHĂLE AUDIN
Le contexte : Bourbaki et lâOulipo, lieux communs.
Un lieu commun (enfin,
parmi les (rares)
«
auteurs
»
qui ont entendu parler Ă la fois de Bourbaki et de lâOulipo)
est que
En littĂ©rature, lâOulipo copie indĂ©niablement la
«
méthode
»
Bourbaki de
travail collectif et de mise en évidence systémique des structures profondes de la
création littéraire.
Il sâagit ici dâun texte dâun anonyme contributeur de
wikipedia
. Lâadverbe, inĂ©vitable
ornement du style journalistique, donne lâirrĂ©sistible envie de nier, prĂ©cisĂ©ment. Mais
ce serait beaucoup trop facile. Le
In 1960, Queneau and Le Lionnais cofounded an influential literary group, the
Oulipo (Workshop for Potential Literature), which explored the possibility of
language in a way directly inspired by Bourbaki.
de David Aubin [
2
, p. 302], bien que peu argumentĂ©, repose peut-ĂȘtre sur des bases
un peu plus sérieuses. On trouvera un encore plus bref
the Bourbaki-inspired literary circle Oulipo
dans [
8
, p. 242].
De lâOulipo Ă Bourbaki.
Ă la lecture de leurs Ă©crits, et notamment de leur journal
interne, il apparaĂźt que certains collaborateurs de Bourbaki ont plagiĂ© lâOulipo Ă
outrance, et ceci de la façon la plus sournoise qui soit, par anticipation. Donnons-en
quelques exemples avant de laisser ce chapitre :
â Dans le Journal de Bourbaki
la Tribu
(2)
numéro 28, on peut lire, aprÚs la liste
des
«
présents
»
et celle des
«
nobles visiteurs Ă©trangers
»
:
Figuration :
7 femmes, 9 enfants, 4 voitures automobiles, 2 voitures
dâenfant, 2 poussettes, quelques chats, un Ă©clair.
...une Ă©numĂ©ration que lâOulipo (aussi bien dâailleurs que Jacques PrĂ©vert) pourrait
revendiquer. Sournois, disions-nous, car en effet ce journal date de 1952, huit ans donc
avant
la fondation de lâOuvroir et, pour fixer les idĂ©es, vingt-quatre ans avant que
Perec dresse dans [
36
] la liste de ce quâil avait avalĂ© durant une annĂ©e, mais six ans
aprĂšs la publication de
Paroles
[
39
].
â Sept ans plus tĂŽt, Pierre Samuel, alors un des cobayes (!) de Bourbaki, com-
mettait un pastiche, quâil est dâusage de considĂ©rer comme assez rĂ©ussi, du sonnet
de Mallarmé,
le Vierge, le vivace et le bel aujourdâhui
, devenu
Ă puissant ! ĂŽ for-
mel ! ĂŽ toi clair Bourbaki
(ce qui montre les limites de la réussite en question). Un
goĂ»t pour le pastiche dont la provenance anticipĂ©e nâĂ©chappera Ă personne. Le goĂ»t
pour le sonnet (une forme Ă contrainte oulipienne caractĂ©risĂ©e) de Bourbaki sâĂ©tait
déjà manifesté encore plus tÎt, en 1937, par un sonnet dit
«
de Chançay
»
(alors
quâil est de Weil). Ajoutons que le style de narration utilisĂ© pour les comptes rendus
des réunions Bourbaki dans
la Tribu
a Ă©tĂ©, dĂšs lâorigine, comiquement emphatique :
on cite souvent, et Ă juste titre, les rĂ©dactions de Pierre Samuel (annĂ©es 1940â50),
mais celles de Jean Delsarte (annĂ©es 1930â40) les valent. Voir ces documents sur le
site
http://mathdoc.emath.fr/archives-bourbaki/
.
(2)
Bulletin ĆcumĂ©nique, apĂ©riodique et bourbachique
(Journal de Bourbaki),
http://mathdoc.
emath.fr/archives-bourbaki/PDF/nbt_029.pdf
pour le numéro en question.
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
3
â La pratique des jeux de mots, elle aussi, a Ă©tĂ©
«
piquée
»
par Bourbaki, qui
nâhĂ©sita pas Ă introduire des co(q)uilles volontairement dans ses textes (le cas des
ensembles flirtant Ă droite ou Ă gauche est connu
(3)
...)
(4)
.
De Bourbaki Ă lâOulipo.
La
«
citation Ă lâindĂ©niablement
»
, dont nous nâavons pas
nommĂ© lâauteur faute de le connaĂźtre (un effet du charme discret de
wikipedia
) se
continue ainsi :
Ă noter quâun membre important de lâOulipo, Jacques Roubaud, est un ma-
thĂ©maticien qui a Ă©tĂ© trĂšs marquĂ© par Bourbaki. Câest par exemple lui qui a Ă©crit
lâavis de dĂ©cĂšs de Bourbaki, sous forme de canular.
Outre le fait que cet avis de dĂ©cĂšs nâest pas rĂ©digĂ©
«
sous forme de canular
»
mais bien
en forme de faire-part, une remarque plus sĂ©rieuse sâimpose : il faut avoir tournĂ© les
pages de
Mathématique :
(entre autres) bien rapidement pour choisir le faire-part en
question comme (unique) exemple du fait que Roubaud ait été marqué par Bourbaki.
Roubaud est en effet un des points de passage de Bourbaki Ă lâOulipo, pas tant Ă
cause du
«
canular
»
que constitue ce faire-part que par les deux projets, de mathéma-
tique et de poésie, dont il a entretenu ses lecteurs dans le cycle
le Grand incendie de
Londres
[
47
], et dâailleurs aussi par Claude Chevalley et le jeu de go, que Chevalley
(membre fondateur de Bourbaki) avait découvert au Japon avant de le populariser en
France à travers ses élÚves, dont Pierre Lusson et Jacques Roubaud (ce qui a donné
le livre [
29
]).
Des annĂ©es plus tĂŽt, Queneau lui-mĂȘme, qui Ă©tait un irrĂ©ductible grand amateur de
mathématiques (voir les articles que lui ont consacré Le Lionnais et Roubaud [
27, 44
]),
qui a assisté à un congrÚs Bourbaki (à Amboise, en mars 1962,
aprĂšs
, donc, la fondation
de lâOulipo
(5)
), et qui avait fait paraĂźtre quelque temps auparavant (janvier 1962) un
article [
42
] sur Bourbaki, est un autre point de passage Ă©vident. Il faut souligner quand
mĂȘme que ni le nom, ni mĂȘme lâidĂ©e de Bourbaki, nâapparaissent dans les Comptes
rendus des quarante premiĂšres rĂ©unions de lâOulipo (novembre 1960ânovembre 1963)
(admirablement) rédigés par Jacques Bens [
10
], et de mĂȘme quâaucun membre de
Bourbaki ne figure dans la liste des invités des cent quarante-deux premiÚres réunions
de lâOulipo (24 novembre 1960â14 fĂ©vrier 1973) reproduite Ă la fin de [
32
] ; il est bien
fait mention dans lâarticle de Le Lionnais dĂ©jĂ citĂ© [
27
, p. 35] dâHenri Cartan Ă propos
de dĂ©jeuners mathĂ©matiques, au printemps 1976, mais il ne sâagissait pas de lâOulipo
en tant que structure.
Bien sĂ»r, encore bien plus tĂŽt, le PrĂ©sident-Fondateur de lâOulipo, François Le
Lionnais, a entretenu des relations assez proches avec Bourbaki lui-mĂȘme, mais aussi
ses amis Dieudonné et Weil, qui se sont concrétisées dans la participation de ces
(3)
Parce que souvent mentionné. La coquille ne figure dans aucune des deux versions des fascicules
de résultats de théorie des ensembles [
14
] et [
17
], pas plus que dans les définitions des ensembles
filtrants telles que données dans les versions [
16
] et [
19
] du livre de théorie de ensembles.
(4)
Puisquâil est question dâhumour et de Bourbaki, rappelons ici les deux articles [
7, 8
]. Une référence
trÚs générale sur la question est [
52
].
(5)
Il est fait mention de sa présence dans le journal interne
la Tribu
de Bourbaki (cette mention est
citée dans [
2
]).
4
MICHĂLE AUDIN
derniers au livre
les Grands courants de la pensée mathématique
[
25
] (sur François Le
Lionnais, voir lâarticle [
51
] dâOlivier Salon).
Lâ
«
encadré
»
intitulé
De Bourbaki Ă lâOulipo, Piaget ou LĂ©vi-Strauss
, dans le fas-
cicule
«
grand public
»
[
31
, p. 48], laissera, lui, les lecteurs sur leur faim, quant aux
relations entre Bourbaki et lâOulipo : câest, trĂšs explicitement aux
Grundlagen
de
Hilbert [
22
], et non Ă Bourbaki, que fait rĂ©fĂ©rence lâarticle
les Fondements de la litté-
rature
[
40
] de Queneau cité en illustration.
Remarque
.
Ajoutons trois ou quatre remarques, peut-ĂȘtre Ă©videntes, peut-ĂȘtre in-
utiles
(6)
:
â Bourbaki â par sa personnification et ses mystĂšres, par son pouvoir â peut ĂȘtre
considéré comme une icÎne de la communauté des mathématiciens. Un statut bien
diffĂ©rent de celui dâune structure comme lâOulipo.
â En parlant de mystĂšres, rappelons que lâOulipo affirme que son vĂ©ritable secret
a toujours résidé dans son absolue transparence [
33
, p. 407].
â Un article sĂ©rieux (et dâailleurs intĂ©ressant) dĂ©jĂ citĂ© ici est celui de David Au-
bin [
2
]. Soulignons toutefois que lâĂ©vident intĂ©rĂȘt, rappelĂ© ci-dessus, des fondateurs de
lâOulipo pour Bourbaki et ses travaux nâa pas empĂȘchĂ© les (des) membres de lâOulipo
de produire leurs plus beaux ouvrages
pendant et aprĂšs
la période du déclin à la fois
de Bourbaki et du structuralisme sur la scÚne intellectuelle française, décrit, analysé
et daté des années 1970 dans [
2
, pp. 323 sqq]. Mentionnons simplement ici
la Dispa-
rition
[
34
] (1969),
Alphabets
[
35
] (1976),
la Vie mode dâemploi
[
37
] (1978),
la Belle
Hortense
[
45
] (1985),
le Grand incendie de Londres
[
47
] (1989),
Mathématique :
[
50
]
(1997), etc. Rappelons aussi que plusieurs dâentre les fondateurs de lâOulipo considĂ©-
raient le structuralisme avec circonspection [
26
].
â Bourbaki a rĂ©servĂ© son sens de lâhumour Ă son usage interne, aucun lecteur des
ĂlĂ©ments de mathĂ©matiques
nâen a profitĂ©. Le cas de lâOulipo est bien diffĂ©rent.
Abandonnons cette question, à laquelle nous reviendrons dans un article ulté-
rieur [
4
], et venons-en au sujet principal de cet article.
Problématique.
Nous faisons ici le point de nos connaissances sur la Poldévie et
principalement sur la présence poldÚve en France. Nous posons (et répondons à ) la
question de lâintroduction de lâidĂ©e poldĂšve dans notre pays.
1. Que savons-nous de la Poldévie ?
Pour contribuer de façon moins commune Ă lâĂ©tude des relations entre lâOulipo
et Bourbaki, nous allons nous intéresser ici à ce qui est, au sens propre, un lieu
(6)
Rappelons ici le droit du lecteur Ă sauter les remarques quâil juge inutiles, et dâailleurs Ă sauter ce
quâil veut.
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
5
commun de ces deux groupes
(7)
, la Poldévie. Avant de nous poser les questions fon-
damentales sur la Poldévie, et aprÚs la mention du nom du polycéphale Bourbaki, un
mathématicien, notons que dÚs ses origines, la présence poldÚve en France est liée aux
mathématiques, par
«
lâombre dâune idĂ©e abstraite
»
qui survolait la chapelle de la rue
des Larmes (et son carré de salades, auquel nous reviendrons), et aussi, par les études
de
«
mathématiques pures et appliquées
»
auxquelles sâadonne, dĂšs la fin des annĂ©es
1910, Mounnezergues, le gardien de la chapelle poldĂšve (voir [
41
, pp. 76 et 78]).
Quâest-ce que la PoldĂ©vie ?
Un pays.
Le nom Poldévie.
Notons que ce pays est parfois appelé Poldavie, plusieurs gra-
phies indiquant une appellation originelle dans un alphabet diffĂ©rent (peut-ĂȘtre cy-
rillique ou, pourquoi pas, arménien, voire encore plus exotique (pour des révélations
sur lâalphabet poldĂšve, voir nos miscellanĂ©es page 13)), et la graphie Poldavie elle-
mĂȘme fleurant la Moldavie et le masculin (une anticipation vertigineuse, et Ă rebours,
de [
12
]).
OĂč se trouve la PoldĂ©vie ?
On trouvera sans mal par des moyens de
«
recherche
»
modernes
(8)
des articles laissant entendre que la Poldévie est un pays balkanique. Les
sources que nous allons reproduire ici montrent Ă lâĂ©vidence quâil nâen est rien : la
Poldévie se trouve dans le Caucase
(9)
.
Pourquoi ne la trouve-t-on pas sur les cartes ?
Les mĂȘmes sources nous ap-
prendront que la Poldévie a
«
disparu de la carte dâEurope
»
. Cette disparition est une
réponse radicale à la question posée (une des raisons possibles de cette disparition est
évoquée dans nos miscellanées page 13).
Sous quel régime politique les PoldÚves vivaient-ils ?
Une monarchie, puisque
lâuniversitĂ© de Besse-en-PoldĂ©vie est
«
royale
»
. Rappelons que, dans une monarchie, il
y a des princes ; le plus célÚbre prince poldÚve dont la présence en France est attestée
est le prince Luigi VoudzoĂŻ.
Ajoutons que, si nous ignorons les couleurs du drapeau poldĂšve, les armes de la
Poldévie nous sont connues (par [
41
, p. 76]),
«
de sable Ă lâorle de huit larmes dâar-
gent
»
.
(7)
Ici, nous utilisons le mot
«
groupe
»
dans son sens courant, et non dans le sens que lui donnent
les mathématiciens. Pour une discussion de cette question, voir encore Roubaud, dans
le Conte du
Labrador
[
48
], et aussi notre article [
3
].
(8)
Rappelons Ă nos lecteurs que
«
G... nâest pas une source
»
.
(9)
Ce qui rapproche ses massacreurs des moustachus bordures, sans pour autant la rapprocher de la
Syldavie (la moustache est dâailleurs populaire en PoldĂ©vie, notamment parmi les bandits, voir [
45
,
p. 58] et [
46
, p. 208]). Le caractÚre montagneux de la Poldévie est attesté par toutes les sources (voir,
par exemple, [
46
, p. 187]).
6
MICHĂLE AUDIN
Quelle est la capitale de la Poldévie ?
Certains parlent de Klow, mais il sâagit
Ă©videmment dâune confusion avec la Syldavie. Cherchella est un jeu de mot stupide
(heureusement dĂ» ni Ă lâOulipo ni Ă Bourbaki). Aujourdâhui, nous pouvons rĂ©vĂ©ler
Ă nos lecteurs que la capitale de la PoldĂ©vie Ă©tait Besse (Queneauâstown Ă©tant un
produit de lâimagination dâun Ă©crivain qui nâen manque pas).
2. Qui a fait connaßtre la Poldévie en France ?
Câest une question assez dĂ©licate, mais câest celle que nous avons lâambition de
traiter ici, alors allons-y. Il est en tout cas indéniable, comme dirait notre anonyme
ouiquipaidieur, que le PoldÚve le plus célÚbre est le dénommé Nicolas Bourbaki...
qui pourtant ne lâest (poldĂšve) que par adoption
(10)
. Son ami André Weil, dans ses
souvenirs [
58
, p. 106], fait remonter la premiĂšre mention de la nation poldĂšve en
France à un canular normalien des années 1910. Voir les sources ci-dessous.
Flirtant Ă droite.
On cite pourtant volontiers un canular dĂ» Ă lâ
Action française
en
1929 comme premiĂšre occurrence de la question poldĂšve en France. Suivi dâallusions
dans le sinistre article
Mourir pour Dantzig ?
du sinistre DĂ©at dans lâ
Ćuvre
du 4 mai
1939 (nous laissons le soin à nos lecteurs de trouver un qualificatif adéquat pour ce
quotidien, selon lequel, le 4 mai 1939, les paysans français nâĂ©taient prĂȘts Ă mourir ni
pour Dantzig, ni pour les PoldÚves... un singulier mépris pour les Polonais en prime),
dans
Notre avant-guerre
du sinistre Brasillach en 1941...
On ne peut que regretter que des auteurs respectables ignorent les filiations réelles.
On lit par exemple, dans lâarticle [
7
, p. 92] :
Quant Ă la PoldĂ©vie, câest le pays imaginaire de la nation martyre inventĂ©e
par Alain Mellet et ses collĂšgues de
LâAction française
[...]
(une note de bas de page nous donne les dates précises des numéros de ce journal
oĂč serait apparue la PoldĂ©vie pour la premiĂšre fois... et ajoute que, dâaprĂšs Weil, il y
aurait eu quelque chose en 1910).
Et, sur le site des Ăditions de Minuit
http://www.leseditionsdeminuit.com/f/
index.php//index.php?sp=liv&livre_id=2544
, dans une critique du livre [
59
] :
[...] la PoldĂ©vie, Ă©voquĂ©e chez Marcel AymĂ© qui lâavait sortie dâun canular de
lâAction française puis chez Queneau, Perec et Roubaud, oĂč un rĂ©fĂ©rent finit par
se dĂ©gager dâune chaĂźne textuelle singuliĂšrement longue.
En plus de son inexactitude, commentée ci-dessous, la filiation par le seul Marcel Aymé
a un cÎté pénible, compte tenu du contexte Déat-Brasillach, puisque Marcel Aymé
Ă©tait Ă la fois un ami de Brasillach et un collaborateur (!) du journal collaborationniste
Je suis partout
...
Remarque
.
En outre, cette citation contient au moins deux erreurs.
(10)
Nous verrons que Bourbaki nâĂ©tait pas russe non plus, contrairement Ă ce que lâon lit parfois, et
encore moins suĂ©dois, comme on le trouve malheureusement sous la plume dâun auteur habituellement
digne de foi, dans [
42
].
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
7
â Nous allons voir que Raymond Queneau a parlĂ© de la PoldĂ©vie (1941â42)
avant
Marcel AymĂ© (1942â43) et que le
«
puis
»
contenant le plus de vérité serait un
«
Que-
neau, puis Roubaud
»
.
â Quant Ă Georges Perec, bien quâil ait citĂ© huit fois
Pierrot mon ami
[
41
] dans
la
Vie mode dâemploi
[
37
] (voir le
«
Cahier des charges
»
[
38
]), il nây a pas du tout fait
mention de la PoldĂ©vie, tout au plus dâun diamant volĂ© au prince Luigi VoudzoĂŻ au
chapitre
xxviii
, le prince nâĂ©tant identifiĂ© comme poldĂšve que dans lâindex. Ă notre
connaissance, Perec nâa jamais mentionnĂ© la PoldĂ©vie dans aucun autre de ses Ă©crits.
Chronologie.
Rétablissons donc la chronologie de ce que nous savons de la présence
poldĂšve en France.
â Vers 1910, des Ă©lĂšves de lâ
ens
informent la presse des malheurs de la nation
poldĂšve.
â Avant 1917, mort Ă Paris du Prince Luigi VoudzoĂŻ.
â Avant 1920, construction de la chapelle de la rue des Larmes.
â 1929, canular dâun journaliste de lâAction française.
â 1935, Nicolas Bourbaki fait passer sa premiĂšre note aux
Comptes rendus
,
via
AndrĂ© Weil, qui lâaccompagne dâune lettre Ă Ălie Cartan dans laquelle il dĂ©crit les
malheurs de ce professeur dâune universitĂ© poldĂšve. Dans les quelques annĂ©es qui
suivent, Bourbaki devient trÚs célÚbre (parmi les mathématiciens), popularisant la
Poldévie (dans ce milieu).
â 1936, dans
le Lotus bleu
, le barbu que lâon croit ĂȘtre Tintin portant une fausse
barbe est un barbu authentique, qui se déclare
«
consul de Poldévie
»
.
â 1939,
«
les paysans français nâont aucune envie de mourir pour les PoldĂšves
»
de
DĂ©at.
â 1941,
Notre avant-guerre
de Brasillach.
â ?â1942, François Le Lionnais a commencĂ© Ă rassembler des textes pour
les Grands
courants de la pensée mathématique
, auxquels collaborent Raymond Queneau et Bour-
baki (ainsi que certains de ses amis)
(11)
,
â 1941â1942,
Pierrot mon ami
, de Raymond Queneau, dans lequel les origines de
la présence poldÚve à Paris sont établies (une datation plus précise est possible : les
notes préparatoires et le tapuscrit de ce roman, récemment acquis par la BibliothÚque
municipale du Havre, datent de 1941â42).
â 1943,
le Passe-Muraille
, de Marcel Aymé, contient une nouvelle intitulée
LĂ©gende
poldĂšve
(cette nouvelle est dâabord parue le 2 octobre 1942... dans
Je suis partout
).
â 1947, AndrĂ© Weil, qui, nâĂ©tant pas en France pendant lâOccupation, a Ă©tĂ© sollicitĂ©
tardivement
(12)
de contribuer aux
Grands courants
, suggÚre à François Le Lionnais
(11)
Cette entreprise est, sauf erreur de notre part, la seule publication commune de Bourbaki et des
membres fondateurs de lâOulipo, Le Lionnais et Queneau. Nous la mentionnons dans cette chronologie
car elle nous semble indiquer trĂšs clairement Ă quelle source Queneau a puisĂ© son intĂ©rĂȘt pour la
Poldévie.
(12)
En 1946, dâaprĂšs ce que dit Weil dans [
57
, p. 561 sq]. Il nâa dâailleurs pas commencĂ© Ă Ă©crire cet
article avant mai 1946 (archives Bourbaki).
8
MICHĂLE AUDIN
de mettre
«
rien
»
ou
«
professeur Ă lâUniversitĂ© de Besse-en-PoldĂ©vie
»
Ă la suite de
son nom dans
les Grands courants
(et François Le Lionnais choisit
«
rien
»
)
(13)
.
â Vers 1950, les amis de Nicolas Bourbaki Ă©crivent une notice sur sa vie et son
Ćuvre, expliquant Ă la fois sa position par rapport Ă la PoldĂ©vie et celle de la PoldĂ©vie
tout court.
â 1952, La Poldavie est le lieu de lâaction de la piĂšce
la TĂȘte des autres
, de Marcel
Aymé.
â date inconnue de nous, dans le faire-part annonçant le mariage de sa fille Betti,
Bourbaki se qualifie de
«
membre canonique de lâacadĂ©mie royale de PoldĂ©vie
»
(le
faire-part indique que Betti Bourbaki a été élÚve
«
des Bienordonnées de Besse
»
, une
autre indication du fait que la capitale de la Poldévie serait bien Besse).
â Ă partir de 1985, reconstruction de la PoldĂ©vie, devenue lieu romanesque, dans
la
«
trilogie
»
(14)
Hortense
, de Jacques Roubaud.
Remarques
(sur la chronologie)
(1) Faute de source sĂ©rieuse, nous nâavons pas introduit dans notre chronologie
la possible prĂ©sence dâambassadeurs poldĂšves Ă Paris dĂšs le dĂ©but du
xviii
e
siĂšcle.
Lâorigine du nom
«
HĂŽtel des Ambassadeurs poldĂšves
»
de lâhĂŽtel particulier sis Ă
Paris 47 rue Vieille-des-Archives nâest pas, dâaprĂšs les spĂ©cialistes, trĂšs claire (voir par
exemple le dictionnaire dâHillairet [
23
, Vol. 2, p. 637]) â ce qui nâempĂȘche pas cet
endroit dâavoir acquis une place dans la littĂ©rature : dâune part câest lĂ que
le Mariage
de Figaro
[
9
] a Ă©tĂ© Ă©crit, dâautre part, il est un des lieux signalĂ©s dans
LâenlĂšvement
dâHortense
[
46
], ce qui nous rapproche de notre sujet.
(2) Faire Ă©tat du livre [
56
], premier récit de voyage en Poldévie, et encore antérieur,
ne serait pas plus rigoureux : si la mention de cet ouvrage dans [
46
] laisse entendre que
cet ouvrage existe, au moins théoriquement, à la
bnf
, cette existence nâest absolument
pas démontrée
(15)
, ce qui nous oblige Ă nous abstenir de lâutiliser comme preuve.
Remarque
(sur André Weil et la Poldévie)
.
Rappelons, puisquâil a Ă©tĂ© question de lui,
quâAndrĂ© Weil Ă©tait trĂšs attachĂ© Ă son titre poldĂšve, au point que câest le seul quâil
faisait figurer aprĂšs son nom dans lâannuaire de lâ
Institute for Advanced Studies
de
Princeton, dont il a été membre à partir de 1958. La lecture, pourtant trÚs attentive,
que nous avons faite des Ćuvres et de diffĂ©rents Ă©crits dâAndrĂ© Weil, ne nous a pas
permis de dĂ©terminer si et quand il sâĂ©tait rendu en PoldĂ©vie pour obtenir ce titre
(vraisemblablement pendant son sĂ©jour en Inde en 1930â32). Il est avĂ©rĂ© en tout cas
quâil parlait poldĂšve (entre beaucoup dâautres langues), puisquâil a pu traduire un
proverbe de cette langue (en allemand, ce qui indique quâil ne parlait pas finnois, une
langue pourtant beaucoup plus facile que le poldĂšve) pour le livre dâor de son collĂšgue
Nevanlinna en 1939 (cette page de ce livre dâor est reproduite dans [
31
, p. 20]). Sur
la langue poldÚve, voir aussi nos miscellanées page 13.
(13)
Archives Bourbaki. Noter que Bourbaki apparaĂźt, lui aussi, sous son seul nom dans ce livre.
(14)
La présence des guillemets sera expliquée dans la note 20.
(15)
Non seulement le livre lui-mĂȘme ne semble pas figurer dans le fichier de la bibliothĂšque, mais en
outre, si lâon en croit le fichier Ă©lectronique
«
consultable en ligne
»
, celle-ci ne possĂšde
aucun
ouvrage
dans la notice duquel figure lâun des mots PoldĂ©vie, Poldavie, poldĂšve.
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
9
Conclusion.
LâextrĂȘme-droite française, dans les pires moments de notre histoire
(mais du temps oĂč ses dirigeants avaient des lettres), a utilisĂ© la PoldĂ©vie Ă ses fins
plus que douteuses. Il serait pourtant assez naïf de croire à la légende selon laquelle elle
aurait inventé la Poldévie. Sauf à invoquer une intentionnelle volonté de propagande, il
est difficile de comprendre comment il est possible quâune telle erreur puisse continuer
Ă ĂȘtre diffusĂ©e.
Sâil est admissible (et mĂȘme pas invraisemblable, Ă©tant donnĂ©es les opinions po-
litiques de lâauteur du
Lotus bleu
[
21
], pour lesquelles nous renvoyons Ă la biogra-
phie [
1
]) que le consul de Poldévie du
Lotus bleu
soit (intellectuellement) apparentĂ© Ă
lâAction française, il semble Ă peu prĂšs exclu (toujours intellectuellement) que Bour-
baki soit redevable de ses connexions poldĂšves Ă ce mouvement ; la mention de ce
pays, Ă lâĂcole normale supĂ©rieure, dĂšs 1910, est une confirmation de cette hypothĂšse.
Il est tout aussi impossible dâimaginer que Queneau ait pu boire Ă cette source (voir
la note 11).
Nous ne saurions trop encourager la gent journalistique, notamment celle qui Ă©crit
sur les productions scientifiques et/ou littéraires des sympathisants de la cause pol-
dĂšve, Ă cesser de donner du crĂ©dit Ă cette origine (contestable Ă plus dâun titre) de la
Poldévie.
3. Documents
La premiÚre mention de la Poldévie.
Citons ici ce que raconte André Weil, sur
lequel lâinfluence normalienne a Ă©tĂ© trĂšs grande, et Ă qui lâon peut faire confiance sur
les traditions de lâĂcole normale :
Vers 1910, Ă ce que dit lâhistoire, des normaliens ramassĂšrent dans les cafĂ©s de
Montparnasse des individus dâorigine variĂ©e dont ils firent, moyennant quelques
apéritifs, des représentants de la nation poldÚve. On rédigea pour eux des lettres,
adressées à des notabilités des mondes politique, littéraire, universitaire, qui com-
mençaient :
«
Vous nâignorez pas les malheurs de la nation poldĂšve...
»
. les témoi-
gnages de sympathise commencÚrent à affluer. Au moment opportun on annonça
une réunion publique. On avait composé pour le principal orateur un discours
Ă©mouvant qui se terminait Ă peu prĂšs par ces mots :
«
Ainsi moi, président du
Parlement poldÚve, je vis pauvre exilé, dans une détresse telle que je ne possÚde
mĂȘme pas de pantalon
»
. Il monta sur la table, et nâavait pas de pantalon [
58
,
p.106 sq].
Ajoutons quâAndrĂ© Weil est entrĂ© Ă lâ
ens
en 1922 ; nul doute que la relation dâĂ©vĂ©ne-
ments qui se sont produits douze ans auparavant ait pu se perpĂ©tuer jusquâĂ lui.
La chapelle de la rue des Larmes.
La construction de la chapelle poldĂšve de la
rue des Larmes et les Ă©vĂ©nements qui lâont amenĂ©e sont relatĂ©s dans [
41
]. Le livre
paraĂźt en 1942 mais lâhistoire qui y est racontĂ©e au prĂ©sent est antĂ©rieure Ă cette date.
Pour le prouver, lisons les actualités, page 198
(16)
:
(16)
La pagination utilisĂ©e ici est celle de lâĂ©dition Folio.
10
MICHĂLE AUDIN
[...] tenez... il y a trois colonnes pour une guerre... à cÎté deux pour un chan-
gement de ministĂšre... une pour un match de boxe... une pour une Ă©lection Ă
lâAcadĂ©mie...
De toute Ă©vidence, ceci ne se passe pas pendant lâOccupation : il y aurait eu
«
la
»
guerre. LâĂ©pilogue, un an plus tard, non plus. Disons, au plus tard 1938 pour lâĂ©pilogue,
1937 pour le reste, vingt ans avant pour la mort du Prince (dans le rĂ©cit dâArthĂšme
Mounnezergues, page 72
«
il y a un peu moins de vingt ans
»
), et un an aprĂšs la
construction de la chapelle (
«
Je passai donc ainsi lâĂ©tĂ© et une partie de lâautomne
»
,
page 74).
Ajoutons une remarque sur le dĂ©mĂ©nagement de cette chapelle, dont on sait quâelle
se trouve dĂ©sormais Ă lâintĂ©rieur de lâĂ©glise Sainte-Gudule :
SituĂ©e autrefois prĂšs de lâavenue de Chaillot [rue des Larmes], elle se trouvait
menacĂ©e de rĂ©novation, dâexpropriation, dâalignement et de destruction en faveur
dâun urgent parking [... La chapelle et son potager furent donc transportĂ©s] pierre
par pierre et salade à salade simultanément [...] [
45
, p. 38]
La lettre dâAndrĂ© Weil Ă Ălie Cartan.
Elle nâest pas datĂ©e, mais elle accompa-
gnait une note aux
Compte rendus
[
13
] transmise par Ălie Cartan dans la sĂ©ance du 18
novembre 1935 et publiĂ©e dans celle du 23 dĂ©cembre 1935. Câest un document capital,
issu des archives mĂȘme de lâAcadĂ©mie des sciences
(17)
qui donne des informations, de
deuxiÚme main il est vrai (mais pas plus), sur la Poldévie.
Cher Monsieur,
Je vous envoie ci-joint, pour les C.R., une note que M.Bourbaki mâa chargĂ© de
vous transmettre. Vous nâignorez pas que M.Bourbaki est cet ancien professeur
Ă lâUniversitĂ© Royale de Besse-en-PoldĂ©vie, dont jâai fait la connaissance il y a
quelque temps dans un cafĂ© de Clichy oĂč il passe la plus grande partie de la jour-
nĂ©e et mĂȘme de la nuit ; ayant perdu, non seulement sa situation, mais presque
toute sa fortune dans les troubles qui firent disparaĂźtre de la carte dâEurope la
malheureuse nation poldÚve, il gagne maintenant sa vie en donnant, dans ce café,
des leçons de belote, jeu oĂč il est de premiĂšre force. Il fait profession de ne plus
sâoccuper de mathĂ©matiques, mais il a bien voulu cependant sâentretenir avec
moi de quelques questions importantes et mĂȘme
[ajout manuscrit :
me laisser]
jeter un coup dâĆil sur une partie de ses papiers ; et jâai rĂ©ussi Ă le persuader de
publier, pour commencer, la note ci-jointe, qui contient un résultat fort utile pour
la thĂ©orie moderne de lâintĂ©gration, je pense que vous ne verrez pas de difficultĂ©
Ă lâaccueillir pour les Comptes-Rendus ; si mĂȘme les renseignements que je vous
donne au sujet de M.Bourbaki ne paraissaient pas suffisamment clairs, jâimagine
quâil nâappartient Ă lâAcadĂ©mie, et en particulier Ă celui qui prĂ©sente la note, que
de sâassurer de la valeur scientifique de celle-ci, et non de faire une enquĂȘte au
sujet de lâauteur. Or jâai examinĂ© soigneusement le rĂ©sultat de M.Bourbaki, et
son exactitude est hors de doute.
Veuillez recevoir, je vous prie, les remerciements de M.Bourbaki et les miens,
et croyez toujours Ă mes sentiments bien affectueusement et respectueusement
dévoués.
(17)
Fonds André Weil.
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
11
A.Weil
Ce texte nous renseigne sur lâĂ©tat de la PoldĂ©vie en 1935, il nous confirme que cet
Ă©tat Ă©tait une monarchie, et nous indique que la capitale devait en ĂȘtre Besse.
Notice sur la vie et lâĆuvre de Nicolas Bourbaki.
Ce texte est consultable
sur le site
http://mathdoc.emath.fr/archives-bourbaki/PDF/hcms_004.pdf
. La
notice nous apprend que Bourbaki vient dâune famille crĂ©toise, dont une branche sâest
installĂ©e en France au temps de NapolĂ©on, celle dâoĂč est issu Nicolas Bourbaki (le
nÎtre, le mathématicien), étant passée par la Russie et la Roumanie, avant la naissance
de N.B... en Moldavie
(18)
! Ătudes Ă Kharkov, Paris (avec PoincarĂ©), Göttingen (avec
Hilbert), docteur à Kharkov, Privat-Dozent à Dorpat, et voici ce qui nous intéresse :
La guerre de 1914â18 vint interrompre lâactivitĂ© scientifique de N. Bourbaki,
qui sâannonçait si fĂ©conde. Au moment de la rĂ©volution de 1917, il se trouve au
Caucase, dans un institut de recherche du district de Poldévie ; nommé membre
de lâAcadĂ©mie royale de ce pays
(19)
, il sâintĂ©resse vivement au sort de la nation
poldĂšve (lâune des innombrables races, voisine des OssĂštes, qui peuplent les mon-
tagnes du Caucase). Mais la guerre civile le contraint Ă Ă©migrer, et en 1920 il se
réfugie en Iran.
La suite de cette notice décrit, comme il se doit, la suite de la carriÚre de N.B., avec
deux allusions Ă deux canulars, lâun Ă lâ
ens
en 1923, ou fut exposé un
«
théorÚme
de Bourbaki
»
et lâautre, montĂ© entre Weil et son collĂšgue indien Kosambi (lâauteur
de [
24
], voir la lettre [
20
] de Dieudonné et les souvenirs [
58
, p. 106] de Weil), vers
1930, et description des raisons qui ont poussĂ© Bourbaki Ă entreprendre lâĂ©criture du
traité.
Elle contient aussi des indications permettant de la dater. La phrase :
Lâexcellence de cette mĂ©thode de travail collectif a Ă©tĂ© prouvĂ©e surabondamment
par une expérience de 25 ans.
a déjà été utilisée à cette fin. Elle pourrait en effet laisser croire que ce document
date de 1935 + 25 = 1960. Câest visiblement le calcul qui est fait dans [
31
, p. 21],
oĂč ce document est datĂ© de 1960. Mais il nâen est rien. Outre lâaspect du document
lui-mĂȘme, une indication plus prĂ©cise et contradictoire suit :
Ă lâheure actuelle les Ăąges des collaborateurs de Bourbaki sâĂ©chelonnent ainsi
de 45 Ă 24 ans. Dâautre part, certains des participants de la premiĂšre heure se
sont Ă©cartĂ©s de lâĂ©quipe, soit que leur intĂ©rĂȘt ait dĂ©viĂ© vers dâautres recherches,
soit que lâatmosphĂšre trĂšs particuliĂšre des discussions bourbachiques (oĂč la plus
grande liberté de langage est de rigueur) les ait rebutés ou lassés.
Ce qui date précisément la notice de 1949 ou 1950 :
«
certains
»
membres fondateurs
sont partis, mais pas tous (en 1960, ils lâĂ©taient tous, depuis longtemps, la rĂšgle des
(18)
Comme nous lâavons dĂ©jĂ signalĂ©, certains auteurs ont pu Ă©crire que Bourbaki Ă©tait russe, voir
par exemple [
24
] (le fait que Kosambi ait Ă©tĂ© le premier Ă publier des rĂ©sultats de Bourbaki nâexcuse,
ni son erreur de nationalité, ni son erreur sur le prénom de ce dernier, ni surtout son affirmation de
sa mort pendant la révolution : nous allons le voir, Bourbaki a survécu à celle-ci).
(19)
Bourbaki portait, sur sa carte de visite, la seule mention
«
Nicolas Bourbaki, membre de lâAcadĂ©-
mie royale de Poldévie
»
. Il a distribué ses cartes ici ou là . On en trouvera une reproduction dans [
31
,
p. 94].
12
MICHĂLE AUDIN
cinquante ans ayant été formulée en 1956, année du cinquantenaire des plus jeunes
de ces membres fondateurs, Dieudonné et Weil). Le plus ùgé de ceux des membres
fondateurs qui sont restĂ©s jusquâau bout est Jean Delsarte, nĂ© le 19 octobre 1903 (et
1903 + 45 = 1948). En avril 1949, Bourbaki venait dâabsorber Jean-Pierre Serre (qui
nâavait dâailleurs que 23 ans) au cours dâun congrĂšs dit
«
du cocotier
»
... et en effet, il
faut bien en convenir, il commençait Ă ĂȘtre temps dâagiter le cocotier : le rĂ©dacteur de
la notice sâĂ©tait
«
canulé
»
, sans doute par oubli dâune retenue, câest 1950
â
1935 = 15
et donc
«
une expérience de 15 ans
»
quâil aurait fallu Ă©crire.
Remarque
.
Certaines sources, trop peu explorĂ©es jusquâici nous semble-t-il, mais quâil
est difficile de nĂ©gliger, permettent de comprendre, par la PoldĂ©vie, lâabsence de cer-
tains sujets mathĂ©matiques du traitĂ© de Bourbaki : dâaprĂšs [
46
, p. 219], il est possible
que le théorÚme de Gödel ne soit pas vrai en Poldévie. La commutativité des corps
finis, traitée par Bourbaki comme un exercice (voir [
15
, Chap.V, § 11, ex. 14, p. 178]
ou [
18
, Chap.V, § 12, ex. 14, p. 160]) serait, elle aussi, liée à la Poldévie [
46
, p. 122],
ainsi que la notation dite polonaise (voir [
46
, p. 83], ce qui ne nous empĂȘchera pas de
fermer cette parenthĂšse). Par contre, lâabsence des catĂ©gories dans le traitĂ© de Bour-
baki, qui avait pourtant été anticipée par Queneau [
43
, p. 23] â une anticipation
«
prophétique
»
signalĂ©e par Roubaud lui-mĂȘme [
44
, p. 44] â ne semble pas faire
lâobjet dâun lien avec la PoldĂ©vie.
4. Miscellanées : le miroir Hortense
Comme nos lecteurs le savent peut-ĂȘtre, et comme lâauteur le reconnaĂźt lui-mĂȘme
(par exemple, [
46
, p. 261]), le
«
cycle Hortense
»
[
45, 46, 49
]
(20)
est Ă ranger dans
le genre roman, et mĂȘme dans le genre roman dâaventures pour ce qui est de [
46
]
(nous ne qualifierons pas [
49
]). Il nâest donc pas question dans un article historique
sérieux (comme celui-ci) de prendre pour argent (encore moins pour or) comptant les
nombreuses affirmations qui y sont faites sur la PoldĂ©vie. Notons dâabord quâil nây a
aucune raison de croire Ă la refondation rĂ©cente dâun Ă©tat poldĂšve : la PoldĂ©vie ne figure
toujours pas sur les cartes. Il est bien clair que les soi-disant princes poldĂšves, avec
leur loi de succession Ă la 615243, sont des inventions romanesques. Câest pourquoi
nous avons employé, à la fin de la chronologie page 8, le mot
«
reconstruction
»
.
Quelques points de dĂ©tail sur des assertions que nous nâavons trouvĂ© aucune raison de
prendre au sérieux. La réputation de bandits faite aux PoldÚves nous semble un cliché
littĂ©raire (amalgame montagne-moustache-bandit). De mĂȘme, appeler Queneauâstown
la capitale de la Poldévie, ou inventer une Poldadamie (avec une bizarre péanographie)
relĂšvent clairement de lâinvention pure et simple.
Mais, on le sait, un roman est un miroir, etc. (et si on ne le sait pas, que lâon ouvre
le Rouge et le noir
[
53
]). Promenons donc le miroir Hortense sur les chemins de la
(20)
Qui, entre parenthĂšses, nâest pas un cycle, en tout cas nâest un cycle en aucun sens mathĂ©matique
du terme... Ah ! Quâil eĂ»t Ă©tĂ© satisfaisant pour lâesprit de voir ce dĂ©but-de-cycle se continuer jusquâĂ
former une sextine dâaventures dâHortense (de mĂȘme que les rĂ©cents
Fastes
[
30
] nous présentent une
pharoĂŻne de pharoĂŻnes).
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
13
Poldévie et réfléchissons ici quelques passages qui semblent contenir des informations
plus sérieuses.
(1) Une des raisons de la disparition (dĂ©jĂ mentionnĂ©e) de la PoldĂ©vie pourrait ĂȘtre
la richesse de ses ressources naturelles, convoitĂ©es par ses voisins. La prĂ©sence dâor
dans le sous-sol de la Poldévie est attestée par nos sources indirectes [
46
, p. 74, 280],
ainsi que celle de pétrole [
45
, p. 38], [
46
, p. 237, 266].
(2) La difficulté de la langue poldÚve est décrite dans [
49
, p. 23] avec des détails
si techniques quâil est impossible que lâauteur les ait inventĂ©s : cinquante-trois
(21)
consonnes, onze voyelles, six tons et quatorze cas. Câest faute dâune autre source
confirmant ces données que nous ne les avons pas intégrées aux informations fournies
à propos du nom de la Poldévie page 5 : ceci est un article scientifique, répétons-le.
(3) Une ultime remarque. Nous nâavons pas su trouver en librairie (mĂȘme dâocca-
sion) le guide [
28
] que lit Hortense [
49
, p. 22]. Il donne pourtant des informations qui
nous semblent dignes de confiance, notamment lorsquâil mentionne Marco-Polo
(22)
,
qui est vraisemblablement passé par là .
Remerciements
Ă ceux qui mâont demandĂ© de les citer (ce que jâai fait avec bienveillance et plaisir).
Ă tous ceux qui mâont aidĂ©e. Notamment, aux bibliothĂšques de lâ
irma
, Ă celle de
lâ
ihp
, au service des archives de lâAcadĂ©mie des sciences et Ă plusieurs librairies, etc.
Ă Christine Huyghe. Ainsi quâaux familles Cartan et Weil. Et Ă Jacques Roubaud.
Références
[1]
P. Assouline
â
Hergé
, Plon, Paris, 1996.
[2]
D. Aubin
â
«
The withering immortality of Nicolas Bourbaki : a cultural connector at
the confluence of mathematics, structuralism, and the Oulipo in France
»
,
Science in
context
18
(1997), p. 297â342.
[3]
M. Audin
â
«
Mathématiques et littérature, un article avec des mathématiques et de la
littérature
»
,
Math. & Sci. hum.
178
(2007), p. 63â86.
[4]
,
«
Un déjeuner à Amboise
»
, (2009).
[5]
L. Beaulieu
â
«
Bourbaki, une histoire du groupe de mathématiciens français et de ses
travaux (1934â1944)
»
,
ThÚse, Université de Montréal
(1990).
[6]
,
«
A Parisian cafĂ© and ten proto-Bourbaki meetings (1934â1935)
»
,
Math. Intel-
ligencer
15
(1993), no. 1, p. 27â35.
[7]
,
«
Jeux dâesprit et jeux de mĂ©moire chez N. Bourbaki, in La Mise en mĂ©moire de
la science
»
, in
Pour une ethnographie historique des rites commémoratifs
(P. Abir-Am,
Ă©d.), Ăditions des Archives contemporaines, Paris, 1998, p. 75â123.
(21)
Tiens, tiens !...
(22)
Par contre, lâabominable docteur Schutz, lui, sort encore une fois (avec un anachronisme) dâun
roman,
Et on tuera tous les affreux
[
54
] (et non pas de
lâĂcume des jours
[
55
] comme on le lit parfois
sous la plume dâexcellents auteurs), et doit sans doute sa prĂ©sence dans le guide [
28
] et (par voie de
conséquence) dans [
49
] Ă une confusion Marco-Polo
â
Marcel-Paul
â
Marcel-Paul Schutzenberger
â
Schutzenberger
â
docteur Schutz.
14
MICHĂLE AUDIN
[8]
,
«
Bourbakiâs art of memory
»
,
Osiris
15
(1999), p. 219â251.
[9]
P.-A. C. d. Beaumarchais
â
Le mariage de Figaro
, 1778, Disponible en Folio.
[10]
J. Bens
â
GenĂšse de lâOuLiPo 1960â1963
, Le Castor Astral, 2005.
[11]
C. Berge
â
«
Pour une analyse potentielle de la littérature potentielle
»
,
in
[
32
].
[12]
N.-L. Bernheim
&
M. Cardot
â
Mersonne ne mâaime
, Ăditions des autres, 1978.
[13]
N. Bourbaki
â
«
Sur un théorÚme de Carathéodory et la mesure dans les espaces
topologiques
»
,
C. R. Acad. Sc. Paris
201
(1935), p. 1309â1311.
[14]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. ThĂ©orie des ensembles, fascicule de rĂ©sultats
, Her-
mann, Paris, 1940.
[15]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. AlgĂšbre. Chapitre 5
, Hermann, Paris, 1950.
[16]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. ThĂ©orie des ensembles, chapitre 3
, Hermann, Paris,
1956.
[17]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. ThĂ©orie des ensembles, fascicule de rĂ©sultats
, Her-
mann, Paris, 1958.
[18]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. AlgĂšbre. Chapitres 4 Ă 7
, Hermann, Paris, 1970.
[19]
,
ĂlĂ©ments de mathĂ©matique. ThĂ©orie des ensembles, chapitres 1 Ă 3
, Hermann,
Paris, 1970.
[20]
J. Dieudonné
â
«
Lettre à la rédaction
»
,
Cahiers du SĂ©minaire dâHistoire des MathĂ©-
matiques
7
(1986), p. 221â222.
[21]
Hergé
â
Le lotus bleu
, Les aventures de Tintin et Milou, Casterman, 1936.
[22]
D. Hilbert
â
Les fondements de la géométrie
, Jacques Gabay, Paris, 1971, traduction
des
Grundlagen des Geometrie
de 1899.
[23]
J. Hillairet
â
Dictionnaire historique des rues de Paris, et Supplément
, Minuit, Paris,
1963 et 1972.
[24]
D. Kosambi
â
«
On a generalization of the second theorem of Bourbaki
»
,
Bulletin
Acad. Sc. Allahabad
1
(1932), p. 145â147.
[25]
F. Le Lionnais
(Ă©d.) â
Les grands courants de la pensée mathématique
, Cahiers du Sud,
1948.
[26]
,
«
Le second manifeste (1973)
»
,
in
[
32
] (1973).
[27]
,
«
Raymond Queneau et lâamalgame des mathĂ©matiques et de la littĂ©rature
»
,
in
[
33
] (1981).
[28]
I. Liber
â
Guide de Poldévie
, Hachette, Paris, 1910.
[29]
P. Lusson, G. Perec
&
J. Roubaud
â
Petit traitĂ© invitant Ă la dĂ©couverte de lâart
subtil du go
, Bourgois, 1969.
[30]
J.-P. Marcheschi
&
J. Roubaud
â
Les Fastes
, Lienart et Musée départemental de
prĂ©histoire dâĂle de France, 2009.
[31]
M. Maschaal
â
Bourbaki, une société secrÚte de mathématiciens
, Les génies de la
science, Pour la science, 2000.
[32]
Oulipo
â
La littérature potentielle
, Folio Essais, Gallimard, 1973.
[33]
,
Atlas de littérature potentielle
, Idées, Gallimard, 1981.
[34]
G. Perec
â
La disparition
, Denoël, 1969.
[35]
,
Alphabets, cent soixante-seize onzains hétérogrammatiques illustrés par Dado
,
Galilée, 1976.
[36]
,
«
Tentative dâinventaire des aliments liquides et solides que jâai ingurgitĂ©s au
cours de lâannĂ©e 1974
»
,
Action poétique
65
(1976), p. 185â189.
[37]
,
La vie mode dâemploi
, POL, Hachette, 1978.
LA VĂRITĂ SUR LA POLDĂVIE
15
[38]
,
Le Cahier des charges de
la Vie mode dâemploi, La librairie du
xx
e
siĂšcle,
C.N.R.S. et Zulma, Paris, 1993.
[39]
J. Prévert
â
Paroles
, Gallimard, 1946.
[40]
R. Queneau
â
«
Les fondements de la littérature
»
,
La BibliothĂšque oulipienne
5
, extraits
cités dans [
11
].
[41]
,
Pierrot mon ami
, Gallimard, Paris, 1942, disponible en Folio.
[42]
,
«
Bourbaki et les mathématiques de demain
»
,
Critique
176
(1962), Repris
dans [
43
].
[43]
,
Bords
, Lâesprit et la main, Hermann, Paris, 1963.
[44]
J. Roubaud
â
«
La mathématique dans la méthode de Raymond Queneau
»
,
in
[
33
]
(1981).
[45]
,
La belle Hortense
, Ramsay, 1985.
[46]
,
LâenlĂšvement dâHortense
, Ramsay, 1987.
[47]
,
Le grand incendie de Londres
, Fiction & Cie, Seuil, Paris, 1989.
[48]
,
Le conte du Labrador
, Fées et gestes, Hatier, 1990, extraits cités dans [
33
].
[49]
,
Lâexil dâHortense
, Seghers, 1990.
[50]
,
Mathématique : (récit)
, Fiction & Cie, Seuil, Paris, 1997.
[51]
O. Salon
â
«
François Le Lionnais, visionnaire et pédagogue discret
»
,
Les Nouvelles
dâArchimĂšde
(2009), journal culturel de lâUniversitĂ© de Lille I.
[52]
A. Senon, B. Evero, C. Eben
&
D. Trovato
â
«
Further comments on laughing
reflex in working mathematicians
»
,
Per. Appl.
17
(1982), p. 259â272.
[53]
Stendhal
â
Le rouge et le noir
, Paris, 1830, disponible en Folio.
[54]
V. Sullivan
â
Et on tuera tous les affreux
, Scorpion, Paris, 1948, traduit de lâanglais
par Boris Vian.
[55]
B. Vian
â
LâĂ©cume des jours
, Galliamrd, Paris, 1947.
[56]
H. de Wachtendonck
â
La Poldévone poldévique. Histoire naturelle et morale des
PoldĂ©vies, tant orientalles quâoccidentalles. OĂč il est traitĂ© des choses remarquables de
ces pays. Ensemble les mĆurs, cĂ©rĂ©monies, loix, gouvernemens et guerres des mesmes
PoldĂšves
, Christophle Plantin, Anvers, 1596.
[57]
A. Weil
â
Ćuvres scientifiques, Volume I
, Springer, 1979.
[58]
,
Souvenirs dâapprentissage
, Vita Mathematica, vol. 6, BirkhÀuser, Basel, 1991.
[59]
B. Westphal
â
La GĂ©ocritique. RĂ©el, fiction, espace
, Minuit, Paris, 2007.
MichĂšle Audin
, Institut de Recherche Mathématique Avancée, Université de Strasbourg
et CNRS, 7 rue René Descartes, 67084 Strasbourg cedex, France
E-mail :
Michele.Audin@math.u-strasbg.fr
Url :
http://www-irma.u-strasbg.fr/~maudin