LE BRESIL EN GUERRE

| Yannis KADARI | en ligne depuis : Mai 2001 | © www.1939-45.org |

 

LA SITUATION BRESILIENNE

Depuis 1930, le Brésil vit sous la régime totalitaire de Gétulio Vargas. Ce dernier, en bon dictateur éclairé, n'hésite pas dans les années 30 à liquider quelques uns de ses anciens amis militaires ; les mêmes qui l'avaient aidé à s'emparer du pouvoir. Plusieurs plans de réorganisation de l'armée sont imaginés avec pour seul objectif de garantir à Vargas un soutien total des militaires brésiliens et donc une stabilité de son régime. La soldatesque mise au pas, Vargas a les mains totalement libres pour mener à bien sa politique et conduire sa nation là où bon lui semble. Sur le plan international, l'homme est séduit par les régimes totalitaires européens, notamment l'Italie de Mussolini. Néanmoins, Vargas est un personnage pragmatique. Ainsi, Il ne perd jamais de vue que l'économie brésilienne est en très grande partie dépendante de ses puissants voisins Nord-américains.

En septembre 1939, lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Vargas prend la décision de ne pas s'engager. Le Brésil opte comme toutes les nations Sud-américaines pour la neutralité. Cette neutralité, Gétulio Vargas la négocie avec Washington, cherchant à en tirer un maximum d'avantages. De son côté, Roosevelt inquiété par les victoires de l'Axe en Europe, cherche à s'assurer la future coopération du Brésil. Ainsi se sont des ingénieurs américains qui aident les brésiliens à construire un énorme complexe sidérurgique dans le Nord du pays. En échange le Brésil fournit d'importantes quantités d'acier aux USA ainsi qu'aux nations alliées. Les livraison débutent dès le courant de l'année 1941. Cette coopération représente la première étape d'un long processus qui conduira le Brésil à envoyer un corps expéditionnaire se battre en Italie.

Pour les grands stratèges américains, le Brésil est un pays vital. Riche en pétrole et diverses matières premières, doté d'un immense territoire, très mal défendu, le pays est considéré comme étant la "porte d'entrée" de l'Amérique du Sud. Il n'est donc pas question de le négliger ou pire de le laisser entrer dans la sphère d'influence de Berlin ou bien de Rome. En 1941, tandis que la Wehrmacht s'enfonce chaque jour plus avant dans les vastes steppes soviétiques et que Rommel débarque son Afrika Korps en Libye, les généraux US pressent l'administration Roosevelt de négocier de nouveaux accords avec Vargas. Aussi inconcevable que cela puisse paraître, surtout lorsqu'on connaît les capacités de projection des armées du IIIe Reich, l'opinion publique américaine craint un éventuel débarquement des Allemands sur le continent... pourquoi pas au Brésil ?!

Cette inquiétude n'est pas uniquement répandue au sein de la population américaine. Un rapport, à l'époque classé secret, rédigé par une commission américaine traite cette question. La conclusion de cet épais document est claire : si une nation européenne devait établir une tête de pont viable sur le continent américain, elle ne pourrait le faire que depuis les côtes d'Afrique de l'Ouest, depuis le Sénégal par exemple. Le Brésil et ses côtes maritimes du Nord-ouest seraient très certainement le lieu d'un tel débarquement. Or le Sénégal, territoire Vichyste engagé dans la collaboration avec l'Allemagne nazie dispose justement d'un vaste port militaire... Dakar !

Pour l'état-major de l'US Army, le Brésil représente aussi une vaste plate-forme qui permettra à terme d'assurer la logistique des armées engagées en Afrique ou en Méditerranée. Les accords passés entre Roosevelt et Vargas mettent en place une coopération limitée qui autorise les USA à construire un important ensemble de bases aériennes. Ce chapelet d'aérodromes, d'Amapa à Caravelas, en passant par Fortaleza, Natal et Recife, prendra bientôt le nom sans équivoques de "couloir de la victoire". Ces bases serviront aux appareils US assurant les liaisons vers les terrains d'Afrique du Nord. Mais elles permettront aussi d'organiser une lutte aéronavale efficace contre les "loups gris" de l'amiral Karl Dönitz qui rodent au large du Brésil.

 

LE BRESIL ENTRE EN GUERRE !

En décembre 1941, le conflit prend un nouveau virage avec l'entrée en guerre des USA. Le 28 janvier 1942, le Brésil rompt ses relations diplomatiques avec Berlin, Rome et Tokyo. Dès le mois de février un premier cargo brésilien est attaqué par un U-Boot. Les sous-marins italiens sont aussi de la partie. En mai un second navire est fortement endommagé. Quelques jours plus tard un B-25B brésilien repère un sous-marin allemand. Les hommes de la Kriegsmarine ouvrent le feu sur l'appareil qui réplique à son tour en larguant ses bombes. Si la guerre entre le Brésil et l'Axe n'est pas déclarée, cela ne saurait tarder... D'autant que l'opinion publique brésilienne commence à s'agiter. Rien qu'entre le 15 et le 17 août 1942, cinq bâtiments brésiliens sont envoyés par le fond ! ils sont tous victimes de l'U-507 du Kapitän Harro Schacht. Combien de temps cette hécatombe durera-t'elle ? cette fois, c'en est trop !

Le 22 août, Gétulio Vargas déclare la guerre aux puissances de l'Axe. Rapidement des missions aériennes de reconnaissance maritime et de lutte anti-sous-marine sont mises en place. La marine, forte d'environ 20.000 hommes, participe elle aussi a l'effort de guerre. Les travaux de construction du nouvel arsenal de l'île de Cobras, à proximité de Rio de Janeiro sont accélérés, tandis que trois nouveaux destroyers - classe "Mahan" - de construction américaine sont déclarés opérationnels.

 

L'ARMEE BRESILIENNE - ETAT DES LIEUX ET PREPARATIFS

En 1943, les Brésiliens construisent un avant-poste militaire sur l'île Fernando de Noronha. Néanmoins ces efforts ne suffisent pas à la population brésilienne qui exige d'en découdre avec l'Axe. Tout ça va dans le sens du président brésilien. Vargas annonce la création d'un corps expéditionnaire destiné à être engagé avec les armées alliées. Cette décision est perçue comme une formidable opportunité pour l'armée qui pourra ainsi bénéficier des avantages du Lend Lease américain et donc obtenir un armement moderne. Néanmoins, les Américains se rendent bien vite compte qu'un armement récent ne fera pas tout.

FT-17 BRESILIENS DANS LES ANNEES 30
Crédit Photo : Inconnu - DR -

Les rapports des experts de l'US Army dépêchés sur place sont on ne peut plus clairs : l'armée brésilienne est, dans sa forme actuelle, totalement inapte à la guerre moderne que ce soit en Europe ou en Asie. En fait les doctrines de combat des Brésiliens tiennent plus des tactiques utilisées en 1914-18 que d'autre chose. Les cadres manquent cruellement d'expérience mais aussi de lucidité. L'infanterie est entraînée à des attaques frontales et ne conçoit la défense qu'à l'abri de tranchées ! les blindés n'existent pas ou presque. L'inventaire de l'armée brésilienne est éloquent : 12 Renault FT-17, vétérans de la Grande Guerre, achetés en 1921 à la France et 20 chenillettes Ansaldo CV-33 italiennes arrivées au Brésil en 1938. Quant à la doctrine d'utilisation de ces "carros de assalto" elle tient en un livret de... quatre pages ! l'équipement des fantassins est d'ailleurs à l'avenant. Les fusils datent de 1908, le parc d'artillerie se limite à quelques canons Krupp de 75 mm et les radios sont plus que rares ! Vargas a bien tenté en 1939-40 d'acheter des armes plus modernes à l'Allemagne, notamment des camions Henschel 33D1, des semi-chenillés SdKfz6, des canons de 88 mm et des obusiers de 105 mm, mais le navire les transportant fut arraisonné par la Royal Navy et sa cargaison confisqué par les autorités britanniques. Les commandes suivantes furent annulées par Berlin qui préféra conserver son matériel afin de l'affecter à ses propres unités.

Situation étonnante ? non ! pas vraiment, surtout lorsque l'on sait que l'armée brésilienne fut entraînée dans les années 20 par des conseillers militaires français, vétérans de la Grande Guerre. Si le corps expéditionnaire brésilien, le Força Expedicionária Brasileira ou FEB, doit aller se battre, il lui sera auparavant nécessaire de passer par une longue et importante phase de formation et d'entraînement. Qui s'en chargera ? Les Américains évidemment.

L'une des premières mesures, consiste à réorganiser la division d'infanterie brésilienne en la dotant de trois régiments d'infanterie. Plusieurs bataillons, les meilleurs sont ainsi amalgamés afin de former la 1° DIE, abréviation de 1° Divisão de Infantaria Expedicionária. Plus de 25.000 hommes et femmes sont réunis. Le général Mascarenhas de Moraes en prend la tête lors d'une cérémonie organisée pour l'occasion. Les officiers et sous-officiers sont dans leur grande majorité des réservistes de l'armée territoriale, peu aptes à commander au combat. Les fantassins sont de jeunes engagés, avec une ancienneté dans l'armée de deux à trois années. Sur le terrain, les conseillers militaires américains constatent rapidement le haut degré de "discipline" de ces hommes. En fait l'armée brésilienne doit plus à au système des castes qu'à une organisation militaire rigoureuse. Les soldats sont obligés de porter l'uniforme y compris lors de leurs (rares) permissions, le salut est obligatoire même entre un soldat de première classe et un soldat de seconde classe. Les rations et les soldes diffèrent grandement de grade en grade. Le concept de camaraderie est totalement absent. Les punitions infligées par les officiers sont sévères et pas ou peu adaptées aux fautes commises. Le service de santé est quant à lui presque inexistant. Whasington a donc du pain sur la planche !

L'entraînement de la 1° DIE couvre toutes les situations tactiques et opérationnelles du combat d'infanterie. Les Brésiliens apprennent à se battre en montagne, à manoeuvrer avec les tanks, à organiser des barrages d'artillerie, à demander de l'appui aérien, etc. Au fil des semaines et des mois l'on se met à former des spécialistes. Les artilleurs reçoivent des cours complémentaires. Des fantassins, choisis pour leurs aptitudes physiques, suivent des stages de commandos. Dans chaque bataillon, un groupe est entraîné au génie d'assaut. Bien entendu, l'armement, les uniformes et mêmes les rations sont "made in USA". Si les fantassins et les sous-officiers progressent assez vite, il n'en va pas de même pour les officiers jugés par les officiels US comme étant "mentalement sclérosés" (sic). Ces derniers n'admettent pas ou peu de recevoir de leçons des Américains qui ont d'ailleurs une conception toute limitée de la hiérarchie et du respect des grades... Deux cultures militaires s'affrontent.

Début 1944, une délégation américano-brésilienne, dont fait partie le général Mascarenhas de Moraes, visite le front en Italie. Les conditions climatiques semblent idéales pour les soldats brésiliens. Sans oublier qu'une importante communauté italienne vit au Brésil et assimilerait bien vite l'envoi de la 1° DIE en Italie à une croisade pour la libération de leur terre d'origine. Vargas signe l'ordre de départ, la division part pour l'Europe.

BRESILIENS EN ROUTE POUR L'ITALIE
Crédit Photo : US ARMY

Elle traverse l'océan Atlantique en plusieurs échelons. Le 6e régiment d'infanterie embarque le premier, quittant Sao Paulo accompagné d'un groupe d'artillerie. Le détachement arrive à Naples le 16 juillet 1944. Quelques semaines plus tard, le 1e régiment "Sampaio" quittera Rio, tandis que le 11e RI embarquera à Minas Gerais. Tous les deux seront en Italie début octobre 1944 et rejoindront le front en novembre. Mais retrouvons le 6e régiment déjà pied d'oeuvre en Italie...

 

| | | |