TORTURE ; MON SEMBLABLE MON FRERE | |
L'IRAN
L'ENTRE-DEUX par
Paul FONTANE
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La situation des droits de lhomme est particulièrement préoccupante en Iran, comme lest le grand nombre dexécutions capitales. Les critiques ou condamnations par divers organes des Nations unies nont jusquà ce jour pas eu de notables conséquences. De plus, si la contestation à lintérieure du pays a pris ces dernières années plusieurs formes, la concentration des pouvoirs entre les mains des conservateurs religieux a bloqué jusquà ce jour les expressions de liberté dans la vie et les réformes au niveau parlementaire. Décryptage.
SITUATION GÉNÉRALE DE LIRAN
LIran est un pays à très forte majorité chiite. Le chiisme (10% de lensemble musulman contre 90% pour les sunnites) fut constitué par les musulmans qui, au lendemain de la mort du Prophète, voulurent se rattacher à sa famille, spécialement à Ali (cousin et gendre du prophète) et au fils de ce dernier Hussayn. Mais ceux-ci furent vaincus par les califes déjà établis, jusquà ce quun de leurs imams, le douzième, « socculte » : sans être monté au ciel, celui-ci (le Mahdi) continue à agir sur la terre où il reviendra établir un royaume de justice.
Minoritaires pendant la plus grande partie de leur histoire, les chiites ont subi des dominations qui leur ont donné certains traits spécifiques : attachement à leurs martyrs (spécialement Ali et Hussayn) dans une attente messianique et de grands pèlerinages à leurs lieux saints ; habitude, pour survivre, de pratiquer la taqiya, sorte de « dissimulation mentale » par laquelle ils font semblant de marquer leur accord ; regroupement autour de hautes autorités religieuses, les ayatollahs, qui leur interprètent le Coran.
Cette situation changea lors de la révolution iranienne de 1979 contre le shah. Le clergé conservateur y prit des positions de force en éliminant ses opposants, et la guerre Iran-Irak (1980-1988) souda la population autour du nouveau régime. À la fin de la guerre, le régime « théocratique » était bien établi et un État chiite apparaissait sur la carte du monde.
À la tête du régime se trouve le Guide suprême de la Révolution. Ce fut dabord layatollah Khomeiny, qui avait été exilé, et, depuis la mort de celui-ci, Ali Khamenei. Il existe par ailleurs un président du pays et un Parlement élus au suffrage universel, ce qui permet périodiquement une expression des populations. Mais la Constitution et la pratique du régime concentrent les pouvoirs entre les mains du Guide suprême et de son entourage, spécialement en ce qui concerne la police et larmée, la justice et la politique extérieure. Après la fin de la guerre, au milieu des années 1990, les idées réformatrices gagnèrent du terrain, surtout dans la jeunesse, et culminèrent dans lélection en 1997 dun président et dun Parlement aux tendances réformatrices. Il en alla de même en 2001. La vie intellectuelle gagna ainsi une grande effervescence, avec des expressions nouvelles de liberté dans les idées, la presse et les comportements. Mais cela alla de pair avec une répression qui pouvait être sévère : arrestations, procès inéquitables, fermetures de journaux et revues, exactions des milices dans les rues ou les universités. Dans certains cas, cela pouvait tourner au tragique : alors quelle couvrait une manifestation, la journaliste-photographe canado-iranienne Zahra Kazemi fut battue et, transportée à lhôpital, y mourut.
En hommage à sa lutte incessante quelle mena pour les droits de lhomme, le prix Nobel de la paix fut accordé en 2003 à lavocate iranienne Shirin Ebadi.
Mais il devint clair que la concentration des pouvoirs entre les mains des conservateurs religieux bloquait les expressions de liberté dans la vie et les réformes au niveau parlementaire. Il en résulta une déception générale, surtout parmi les jeunes. À lélection présidentielle de 2005, les partisans des réformes boudèrent le vote, tandis que des manoeuvres électorales et des pressions policières portaient au pouvoir le candidat Ahmadinejad, à partir dune plate-forme radicale populiste, anti-américaine et islamiste.
LES DIFFÉRENTES FORMES DE CONTESTATION
Faisant abstraction de la contestation religieuse où des ayatollahs critiquent la confusion du temporel et du spirituel pour des raisons théologiques (certains dentre eux sont en résidence surveillée), la contestation prend en Iran plusieurs formes principales.
La conquête dun espace de liberté
La notion d« espace public » sefface en grande partie dans les pays musulmans devant la famille, surtout pour les jeunes et les femmes. Mais, pendant la révolution islamique et la guerre contre lIrak, la population avait souvent été convoquée dans la rue pour des manifestations politiques : il y eut donc un espace public, mais de nature politique. Dans le courant des années 1990, les jeunes et les femmes recherchèrent une certaine libération des carcans au sein dun « espace public privé » : promenade dans la rue entre sexes différents, manière de shabiller, fréquentation des bars et cinémas, écoute de musique.
Il se glissait là subrepticement des aspects « occidentaux » que la loi musulmane réprouve. Devant linaction dun Parlement à tendance réformatrice, les religieux rappelèrent les populations à lordre en matière de comportement, de vêtements, de culture : les milices, circulant dans les rues, sen prirent à loccasion à des passants, leur donnant des coups ou les amenant au poste de police.
Ce type de répression paraît sêtre accentué depuis la nouvelle présidence. Ainsi, la Fédération de football à lautomne 2005 a prévu dexclure les joueurs qui porteraient « des vêtements de style indécent ou imitant létranger ». Récemment, le président Ahmadinejad a interdit à lorganisme de télévision de diffuser de la musique « occidentale et décadente ». Il y a beaucoup dautres exemples, mais ces mesures ne paraissent pas être prises très au sérieux : les populations sont habituées à leur inefficacité, bien quon puisse en devenir victime à loccasion
Par contre, le régime est sans quartier pour les « comportements immoraux », surtout en ce qui concerne les femmes : les cas les plus fréquents sont lalcoolisme, la prostitution, les rapports familiaux. Les peines, y compris la condamnation à mort, sont même appliquées régulièrement à des mineurs. En janvier 2006 encore, une jeune Iranienne de dix-huit ans, connue sous le nom de Nasarin, fut condamnée à mort : elle avait tué un homme qui menaçait de la violer
Liberté dexpression et dissidence
La liberté dexpression est reconnue à larticle 23 de la Constitution : « Il est interdit denquêter sur les croyances des individus, et nul ne peut être importuné ou réprimandé uniquement sur la base de ses convictions. » Larticle 24 prévoit la liberté pour la presse et les publications. Mais le code pénal prévoit des peines plus ou moins fortes pour des cas facilement extensibles, par exemple pour celui qui « se livre à une forme quelconque de propagande contre lÉtat ». Sont réprimés aussi les écrits créateurs d« anxiété et de trouble dans lesprit de la population ». Selon larticle 513, les
« insultes » à la religion sont passibles de peines allant de lemprisonnement à la peine capitale.
La liberté dexpression est constamment violée. Des journaux et revues sont interdits, de même que des sites Internet, mais reparaissent parfois sous le même nom et plus souvent sous un autre. Des journalistes sont emprisonnés, mais reprennent ensuite leurs activités. Malgré larsenal juridique et les cas darbitraire, il y a en effet en Iran une admirable ténacité de la vie intellectuelle et critique.
Le système de répression paraît dépendre de trois éléments : la mesure dans laquelle la pensée exprimée met en cause le régime, la politique de répression qui peut varier selon les circonstances et les régions, le hasard enfin.
On comprend ainsi limportance de lautocensure, bien que les limites nen soient pas précises et tournent parfois à la farce. Ainsi, le journal Tarabestan reçut en mars 2004 une interdiction de paraître pour « insulte aux religieux » : dans un article, il avait dénoncé les méfaits des chèvres, « dont le signe distinctif est davoir une longue barbe » et qui ne respectent pas les droits démocratiques des troupeaux de moutons en en empêchant le « libre
bêlement » ! En 2004 également, il y eut beaucoup dhésitations devant un film, Le Lézard, qui fit courir tout Téhéran : il mettait en scène un voleur multirécidiviste qui, recevant la visite dun mollah dans linfirmerie de sa prison, sempare de sa tunique et, sétant enfui, joue au religieux dans la ville. Les autorités narrivèrent pas à prendre position, mais suggérèrent au producteur de le retirer des salles, ce qui fut évidemment fait Dans cet ensemble de circonstances, il y a sans doute deux cas particuliers.
Le premier concerne la participation à létranger à des conférences où une critique du régime serait développée. Lexemple le plus significatif fut larrestation des personnes qui avaient participé à une conférence de lInstitut Heinrich Böll à Berlin en avril 2000 sur le thème « LIran après les élections ».
Le second concerne ce quon pourrait appeler les « grands dissidents », des personnalités éminentes qui prennent une position critique ouverte à légard du régime sans sembarrasser dautocensure. Sils sont rarement exécutés, ils ont une histoire souvent tragique : prison à répétition, isolement, manque de soins, interdiction des visites, procès inéquitable.
Rappelons pour mémoire quelques noms comme Aghajari, Pourzand, Ganji
Lunité de lÉtat et les minorités
Lexpression dune opposition de la part des minorités, principalement dans les provinces où les populations kurdes ou sunnites sont majoritaires, nest pas tolérée. Cest là un problème difficile pour tout régime. Si la tension est permanente, elle prend périodiquement des formes cruelles.
Les provinces du Sud iranien, en bordure de lIrak, de lAfghanistan et du Pakistan, ont une forte population arabe qui réclame des droits culturels. La région est secouée par des actes dopposition : en décembre 2005, une lettre dun responsable iranien évoquant une complète « persianisation » de ces provinces aurait provoqué de nouveaux incidents.
La situation dans les régions kurdes, où joue linfluence du Parti démocratique du Kurdistan iranien en exil, est encore plus fragile. Ici aussi, les tensions se multiplièrent au milieu de lannée 2005, obligeant les forces de sécurité à intervenir. En décembre, des émeutes éclatèrent dans une prison du Nord lorsque les forces de police vinrent prendre un prisonnier pour le pendre.
La répression sexerce aussi à légard des minorités religieuses : elle fut, ces derniers mois, particulièrement sévère contre les Bahais, considérés comme apostats : une grande émotion fut soulevée en janvier 2006 lors de lannonce de la mort en prison de lun dentre eux, dont la peine capitale en 1996 avait été commuée en prison à vie en 1999. La répression sest récemment accentuée contre les milieux soufis considérés comme relevant de sectes.
La contestation sociale
On peut sétonner de navoir pas trouvé trace jusquà présent de contestation sociale, au sens où elle viendrait des travailleurs. La faiblesse du mouvement réformiste venait sans doute de là : mouvement intellectuel soutenu surtout par la jeunesse étudiante, il navait pas trouvé de base sociale. Le régime exerçait son emprise sur les cadres de la société mais aussi sur les travailleurs qui dépendent pour la majeure partie dorganisations publiques, tandis que les mollahs payés par le régime encadrent les populations.
Cest pourquoi la grève, qui éclata en décembre 2005, dans la régie des bus de Téhéran peut être significative. Une douzaine de responsables du syndicat ont été arrêtés, puis libérés après diverses péripéties, sauf lun dentre eux, Mansur Ossanlu, qui devrait passer en jugement.
LE CAS AHMADINEJAD ET LES PERSPECTIVES ACTUELLES
Le nouveau président Ahmadinejad sinscrit par ses déclarations et ses actions dans la politique traditionnelle de lIran, mais sest fait remarquer par des outrances inhabituelles. Dans son discours aux Nations unies, il a affirmé des positions iraniennes à ce point radicales quelles furent vite tempérées. Il révéla plus tard que, pendant ce discours, il sétait senti entouré dun nuage de lumière comme dune protection divine. Il a annoncé le retour du Mahdi dans les années qui viennent ; il a appelé à la destruction dIsraël, puis sest satisfait dune transplantation du pays en Europe ou aux États-Unis ; il sest félicité de la grave maladie du Premier ministre Ariel Sharon, lui souhaitant de rejoindre ses « semblables criminels » dans le tombeau
Contre ces fanfaronnades, il faut rappeler que les pouvoirs du président iranien sont réduits : il pourrait ainsi se heurter au même problème que le président Khatami lors de la période réformiste. Mais ce pourrait être aussi lexpression dune lutte pour le pouvoir au sein du système politique iranien. Ahmadinejad a été élu sur une plateforme populiste, religieuse et nationaliste :à ce titre, il sopposait aux riches profiteurs du pays, rappelait les lois strictes de lIslam et dénonçait les influences étrangères. Cela pourrait lui rallier les classes pauvres du pays, les Iraniens nourris par les ressources du pétrole dans le très large secteur public, les milices et les forces armées, les mollahs qui quadrillent les populations Le fait même que les autoritésétablies ninterviennent pas signifie sans doute quelles se sentent maîtres de la situation : peut-être attend-on que le président se décrédibilise par ses excès mais lévolution représente un risque réel pour les partisans dune plus grande liberté de pensée et de comportement !
Plus fondamentalement, les autorités sont sans doute relativement indifférentes à ces problèmes intérieurs : ce qui compte pour elles, cest dabord la position géostratégique du pays et la place quil peut prendre dans la région. Cet objectif est bloqué par le refus américain de reconnaître le régime iranien et par le débat actuel au sujet de lénergie nucléaire.
Laction internationale en matière de droits de lhomme est handicapée pour toutes ces raisons. Il y a quelques années, lUnion européenne avait lancé un dialogue avec lIran sur cette problématique, mais il fut rompu fin 2004. En décembre 2005, lUnion européenne a pressé lIran de reprendre ce dialogue en se montrant particulièrement inquiète de létat actuel mais sans succès. LIran est partie à divers traités et instruments internationaux des droits de lhomme, mais cela na guère eu deffets jusquà présent, pas plus que les critiques ou condamnations par divers organes des Nations unies.
La situation des droits de lhomme restera donc préoccupante comme lest le grand nombre dexécutions capitales (Quelque 160 comptées par Amnesty international). Le principal point sur lequel une ouverture paraît possible aujourdhui concerne la peine capitale pour les mineurs, mais là encore les déclarations sont très contradictoires.
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