Les
armées africaines face au défi démocratique
Deux types d’armées sont à distinguer au moment des indépendances :
les armées classiques, issues d’une transition pacifique entre le
pouvoir colonial et les nouveaux gouvernements africains ; les armées
populaires, nées de mouvements de libération nationale ou de guerres
d’indépendance, ou encore à la suite de révolutions idéologiques ou de
palais, survenues quelques années après l’indépendance.
Les armées classiques héritent le plus souvent d’une part de tradition
militaire française ou britannique.
En France, au milieu du XIXe siècle, en Afrique du
Nord et plus particulièrement en Algérie, l’Armée d’Afrique se compose
de volontaires locaux regroupés en unités qui, en 1841, deviennent des
régiments incorporés dans l’armée métropolitaine. Engagée dès 1854 sur
les champs de bataille d’Italie, de Crimée, du Mexique et, en 1870, à
Froeschwiller, elle défend les intérêts français. En 1857, la création
par le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, des Tirailleurs
sénégalais, consacre l’étape suivante de l’africanisation de l’armée
française. La loi du 7 juillet 1900 organise les Troupes coloniales,
composées de contingents français et autochtones, dont la mission
consiste à conquérir et occuper les colonies, et à défendre l’ordre
colonial. Au XXe siècle, l’Armée d’Afrique prend
largement part aux combats de la première guerre mondiale et apporte,
par le nombre et la qualité de ses soldats, une contribution
considérable à la victoire. Avec l’Armée coloniale, elle contribue au
développement et à la protection de l’Empire colonial français. En
Afrique sub-saharienne, deux hauts-commandements sont installés : l’un à
Dakar, pour l’Afrique occidentale française, l’autre à Brazzaville, pour
l’Afrique équatoriale française. Des unités établissent leurs quartiers
généraux à Saint-Louis, Bamako, Niamey, Fort-Lamy, Brazzaville et
Bangui. Lors de la seconde guerre mondiale, les
combattants africains participent activement à la libération de la
France et à sa victoire[1]. L’Afrique devient le lieu
de refuge de la souveraineté française. En plus de cet aspect
géostratégique, le continent est convoité pour ses matières premières,
ses métaux rares et ses hydrocarbures. Les stratèges français sont
conscients du cordon ombilical qui relie l’Europe et l’Afrique. Avec
l’explosion des premières bombes atomiques, ils reconnaissent que la
défense de la France passe par l’Afrique. Au moment de
la loi-cadre française du 23 juin 1956, la politique d’assimilation fait
place à un régime de semi-autonomie. Sur le plan militaire, elle modifie
les modalités de la présence française. À la veille des indépendances,
les "Troupes d’outre-mer" succèdent aux troupes coloniales. Elles
se modernisent et resserrent leur dispositif. Avec la loi
constitutionnelle du 4 juin 1960, autorisant tout État de la Communauté
à devenir indépendant, des accords de transfert de compétence et de
coopération militaire sont signés entre la France et ses ex-colonies.
Tandis qu’entre 1958 et 1964, l’armée française évacue le Congo, le
Dahomey, la Guinée[2], la Haute-Volta, le Mali, la
Mauritanie pour des raisons politiques, elle maintient des points
d’appui dans les États restés fidèles : Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon,
Madagascar, Niger, Centrafrique, Sénégal et Tchad. Le
rôle de la Grande-Bretagne dans la création des armées africaines est
comparable du point de vue de la tradition militaire, mais différent
dans ses objectifs et ses aménagements politiques. L’Empire britannique,
à la fin du XIXe siècle, est essentiellement tourné vers l’Asie et
l’Union indienne ; il se soucie principalement des voies de
communication qui lui en donnent l’accès. À la différence de Paris,
Londres ne considère pas l’Afrique comme un point central de sa défense
ou comme un espace de recrutement de soldats. Son intérêt est surtout de
pouvoir utiliser des forces de sécurité et les autorités administratives
locales, afin de minimiser les coûts de surveillance des territoires
coloniaux. La création de la Royal West African Force (RWAF)[3]
et des King’s African Rifles (KAR)[4] répond d’abord à
un souci de politique et économique. Durant la seconde
guerre mondiale, les troupes africaines des RWAF et des KAR contribuent
massivement à la victoire de la Grande-Bretagne. Après la guerre, la
politique de Londres sur le continent s'assouplit et dès les années
1950, des militaires africains accèdent aux académies britanniques.
Malgré une différence dans leur conception géopolitique du continent et
dans le rôle qu’elles attribuent aux troupes africaines, la France et la
Grande–Bretagne inculquent à leurs colonies, leur culture militaire. Ces
contingents accomplissent leur mission, tout en exerçant un rôle
répressif à l’encontre de toute opposition susceptible de bouleverser
l’ordre colonial. Contrairement à la France et à la
Grande-Bretagne, la Belgique refuse d’envisager l’indépendance du Congo
et de participer à la création de l’Armée nationale congolaise[5].
Avec son armée colonialiste, la Force publique, elle s’enferme dans une
politique d’aveuglement qui aboutit à la révolte congolaise, à la
mutinerie des troupes et au chaos dans ce vaste pays. Entre l’État
indépendant et son ancien colonisateur, la rupture va durer trois ans.
Le 30 juin 1960, l’indépendance du Congo belge, obtenue dans la violence
et la précipitation, n’est ni préparée, ni organisée. Son armée ne
compte aucun officier, hormis un sergent-chef nommé Joseph-Désiré Mobutu
[Lire].
Deux sortes d’armées populaires se distinguent en Afrique. La première
catégorie concerne les armées nationales populaires, issues d’une lutte
politique et militaire, parfois d’une guerre, en vue d’obtenir
l’indépendance du pays[6]. C’est le cas en Algérie, au
Sahara occidental et dans les anciens territoires portugais[7],
qui parviennent à l’indépendance après plus de dix ans de lutte.
Idéologiquement, les nouveaux dirigeants africains deviennent de
fervents partisans des régimes marxistes-léninistes et maoïstes qui les
ont aidés à prendre le pouvoir. De 1975 à 1978, ils sollicitent
exclusivement l’aide de leurs alliés du "camp socialiste" pour la
mise en place des institutions politiques et de l’armée. Ce n’est
qu’ensuite qu’ils renouent avec Lisbonne et instaurent une coopération
militaire. Dans ce contexte, l’armée précède l’État et est marquée par
la politisation. Une fois parvenue au pouvoir, elle se met au service de
l’idéologie dominante. Obligation est faite aux responsables militaires
d’adhérer à une organisation politique, notamment le parti unique.
La seconde catégorie est celle des armées populaires
d’États d’Afrique noire francophone, Congo, Bénin, Guinée et Madagascar,
qui se dotent d’armées populaires à la suite d’un brusque changement de
régime politique et d’orientation idéologique. Alors qu’au Bénin, Congo
et Madagascar, la rupture se fait par un coup d’État militaire[8],
en Guinée elle est consécutive au « non » de Sékou Touré au référendum
du 28 septembre 1958, proposé par le général de Gaulle.
Les armées populistes sont des armées qui se disent
révolutionnaires et proches du peuple, sans épouser le dogme du
marxisme-léninisme. Celles de Libye sous le colonel Kadhafi, du Ghana
sous Jerry Rawlings et du Burkina-Faso à l’époque de Thomas Sankara
incarnent cette catégorie[9]. La
distinction entre armées classiques et populaires se maintient pendant
plusieurs années, au gré des luttes d’influence idéologiques et
stratégiques entre grandes et moyennes puissances. Elle disparaît avec
l’effondrement du bloc soviétique, du communisme et de leurs
ramifications. Un instrument du pouvoir
L’armée peut se définir comme "un système d’hommes élaboré
conjointement à un système d’armes, en vue d’obtenir la meilleure
efficacité contre un ennemi, une menace externe ou interne, potentielle
ou réelle contre l’intégrité territoriale et la vie des populations"[10].
En théorie, la mission des armées classiques africaines n’est pas
différente, au départ, de celle des armées française et britannique, du
fait d’une certaine filiation. Tout au plus, les armées africaines
insistent davantage sur leur rôle de symbole de la souveraineté de
l’État, avec un drapeau, une devise, un hymne national où État et armée
apparaissent comme intimement liés. Hormis ce
contexte, la mission première d’une armée est la défense nationale[11].
Sa mission seconde, celle du maintien de l’ordre, ne lui est pas
spécifique puisqu’elle relève en priorité des forces de sécurité
(police, gendarmerie) et qu’elle n’est mise en œuvre que si celles-ci
sont débordées. Encore faut-il préciser qu’en principe, toute armée ne
peut utiliser la force que de manière hiérarchisée, structurée,
coordonnée, c’est-à-dire dans le respect des règles établies.
Dans la pratique cependant, force est de constater que très vite, les
armées africaines ne respectent pas ces missions et exercent des
fonctions qui les éloignent de leur raison d’être. Elles sont rapidement
orientées par les nouveaux chefs d’État vers une fonction politique,
contrairement au principe de neutralité[12]. La
plupart des présidents, qu’ils soient civils ou militaires, les
utilisent pour leur accession et leur maintien au pouvoir.
Dans les régimes civils, tantôt l’armée devient un instrument du
pouvoir, tantôt elle se voit concurrencée par des forces paramilitaires
(gardes présidentielles, milices politiques) ou par des forces de
l’ordre plus proches du pouvoir. Dans les régimes militaires, la
cooptation des officiers supérieurs à la tête de l’État et des instances
du parti unique se généralise. L’illégalité et l’illégitimité du pouvoir
– en raison des coups d’État et des élections tronquées – font que les
régimes en place s’appuient sur des forces politiques et militaires pour
dominer et assurer leur longévité[13].
Il en résulte une confusion entre mission de défense et de sécurité et
un détournement des forces armées de leur mission première, du fait du
pouvoir politique. D’une part les forces armées sont éloignées de leurs
préoccupations de défense – d’où leur incompétence –, d’autre part elles
sont amenées à exercer des tâches de sécurité en réalité répressives, à
l’encontre des forces politiques et sociales supposées ou dites
d’opposition. Ainsi, la principale menace au regard de ces régimes
politiques réside non pas aux frontières[14], mais à
l’intérieur du pays. La fonction d’intégration
sociale, qui consiste à recruter dans un même creuset les fils provenant
de toutes les régions et de toutes les ethnies du pays, n’est pas
appliquée, pour des raisons politiques et parfois économiques. Les
dirigeants préfèrent sélectionner des troupes politiquement fiables,
qu’ils peuvent manipuler et contrôler. Quant à la
fonction économique des armées africaines, elle n’est pas comparable à
celle des armées occidentales liées aux industries d’armement, à
l’exception des armées égyptienne et sud-africaine, notamment du temps
de la guerre froide. Par ailleurs, des expériences de "services
civiques" ont été tentées ici et là sur le continent. D’inspiration
israélienne et française, fondées au départ sur l’idée d’intégration
nationale et de solidarité, ces formes d’enrôlement de la jeunesse dans
des travaux à vocation économique et sociale ne produisent pas les
effets escomptés, faute de volonté politique et de préparation. En
outre, le vieux principe consistant à confier à l’armée des tâches
extra-militaires – comme la construction de routes et de ponts,
l’agriculture, l’élevage, la formation et l’éducation – connaît plus ou
moins de succès. Cette pratique, qui peut être profitable à l’armée en
temps de paix, peut aussi se révéler dangereuse si les militaires
s’éloignent trop de leur activité professionnelle. Confier des tâches
civiles à des militaires dans un pays en développement peut être une
nécessité à un moment donné. Mais elle n’est pas sans danger pour
l’institution militaire qui se "civilianise" et peut se prétendre
indispensable, au point de vouloir prendre les rênes du pouvoir.
De nos jours, alors que réapparaît sporadiquement en Afrique l’idée –
chère aux développementalistes – que l’armée doit être un acteur du
développement, il convient de se remémorer ces expériences, d’en évaluer
le rôle et l’impact, les avantages et les inconvénients. Cette question
est d’autant plus pertinente que des pans entiers d’économie, autrefois
du ressort de l’État, ont été privatisés. Il semble de moins en moins
probable de voir des forces armées s’accaparer de secteurs de
production, si ce n’est pour leur propre consommation. Ainsi, s’agissant
des relations entre armée, pouvoir et développement, il suffit
d’examiner les échecs des régimes militaires en Afrique depuis le début
des années 1960, pour se convaincre de leur incompatibilité. L’armée
n’est ni habilitée ni préparée à exercer un rôle politique.
En revanche, il est un domaine où les forces armées et de sécurité
peuvent se rendre utiles : celui de la sécurité du développement. Il
s’agit d’assurer la protection des ressources nationales très convoitées
( diamant, or, pétrole, caoutchouc, bois, etc.…), de veiller sur le
patrimoine économique, les lieux et industries de production, afin
d’éviter leur pillage ou leur sabotage. Cet enjeu sécuritaire est
toutefois lié à la restauration de l’autorité de l’État qui dans bien
des cas s’est effondrée. D’une manière générale, en
dehors de quelques exceptions, la fonction économique des armées se
manifeste surtout au cours des quatre décennies écoulées par des budgets
de la défense jugés excessifs au regard des disponibilités financières
des pays africains. D’autant que, paradoxalement, ces sommes sont sans
conséquence pour la formation, l’équipement, la capacité opérationnelle
et les conditions de vie des militaires. À part quelques contingents
d’élite favorisés et proches du pouvoir, la plupart des soldats sont
délaissés, voire laissés à l’abandon, d’où les scènes de rackets, de
pillages, d’émeutes et de mutineries pour survivre et réclamer le
paiement de leurs soldes. L’une des raisons du désintérêt de la
hiérarchie militaire envers l’institution est son basculement dans la
corruption, les activités privées, économiques ou commerciales, souvent
frauduleuses et criminelles, comme ce fut le cas au Zaïre à l’époque du
président Mobutu. Il en résulte une dénaturation des
forces armées. La hiérarchie, la discipline, la loyauté, la cohésion
d’ensemble qui caractérisent généralement l’institution militaire ne
s’appliquent pas et sont remplacées par des liens d’allégeance au
pouvoir. Non seulement les armées ne sont pas des corps soudés, mais
elles obéissent le plus souvent à des critères sans rapport avec
l’efficacité militaire. Sur le plan éthique, les notions de sacrifice,
de patriotisme et d’héroïsme, familières à l’institution militaire,
résonnent comme des mots creux étant donné que les généraux proches du
pouvoir doivent plus leurs galons à leurs relations privées avec le chef
de l’État qu’à leur aptitude au combat. À l’opposé, des officiers
réputés pour le sérieux de leur formation et pour leurs compétences,
mais originaires d’autres provinces que celle du président, se trouvent
victimes de mesures d’éloignement, de purges et d’assassinat[15].
La recherche de coopérations Au moment des
indépendances, les États africains identifient plusieurs sortes de
menaces : les menaces politiques internes, liées à l’exercice
autoritaire du pouvoir, celles de politiques externes, tenant au
caractère artificiel des frontières, celles économiques pour la maîtrise
et l’exploitation des ressources nationales, celles idéologiques et
stratégiques découlant des relations Est-Ouest et Nord-Sud, enfin les
menaces provenant de l’apartheid et des derniers bastions colonialistes.
Dès lors, ils recherchent auprès de leurs alliés extérieurs aide et
coopération militaires, afin d’assurer leur défense et leur sécurité.
Dès les années 1950, la France et la Grande-Bretagne créent sur leur
territoire et en Afrique des écoles militaires destinées aux officiers
africains. L’École de formation des officiers des troupes d’outre-mer, à
Fréjus en 1956, puis l’École spéciale militaire interarmes située à
Saint Cyr, sont les premiers établissements à répondre à ce besoin. En
Afrique francophone, six écoles ouvrent leurs portes à Saint-Louis
(Sénégal), Bingerville (Côte d’Ivoire), Ouagadougou (Haute-Volta), Kati
(Mali), Brazzaville ( Congo) et Fianarantsoa ( Madagascar)[16].
Dans les huit pays[17] relevant de la Couronne
britannique, la situation est comparable. À partir de 1953, des
militaires africains sont admis dans les écoles d’Adelshot, de Chester,
d’Eaton Hall et à l’Académie royale de Sandhurst. Le Ghana, lors de son
indépendance en 1957, compte 29 officiers. Au moment
des indépendances, des accords de coopération militaire sont signés
entre les nouveaux États et les ex-puissances coloniales. Au fil des
ans, alors que la présence politique et militaire de la Grande Bretagne
s’amenuise et que celle de la Belgique évolue en dents de scie,
l’Assistance militaire technique (AMT) de la France se restructure et
s’étend à un plus grand nombre d’États. Elle assure la formation des
militaires africains en France et en Afrique, la fourniture d’armements
et équipements ainsi qu’un appui logistique et financier. Le nombre de
stagiaires africains admis en France progresse de 1000 à plus de 2000
hommes par an entre 1960 et 1990, tandis que des coopérants militaires
français encadrent, instruisent et conseillent sur place les armées
africaines[18]. Les accords de
défense, signés entre la France et les États d’Afrique[Lire], passent de
onze en 1960, à huit vingt ans plus tard[19]. Ils
concernent le Sénégal, le Gabon, la République centrafricaine, la Côte
d’Ivoire, le Togo, le Cameroun et Djibouti. En vertu de ces accords, la
France se réserve la possibilité d’une intervention militaire pour venir
en aide à un gouvernement allié en difficulté, à l’intérieur ou à
l’extérieur. À cet effet, des unités françaises sont prépositionnées en
permanence au Cameroun, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon et
Sénégal. Tandis qu’à travers cette politique la France maintient sa
position dans la géostratégie mondiale, les États africains savent
qu’ils peuvent bénéficier du "parapluie militaire" français même
si, comme la pratique l’a démontré, la France n’a pas toujours honoré
toutes les demandes. Par ailleurs, les ventes d’armes
françaises se situent, pour la période 1979-1983, en seconde position
derrière celles de l’Union soviétique. Les principaux fournisseurs du
continent en armements sont, dans l’ordre décroissant, l’URSS, la
France, les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne fédérale et la
Grande-Bretagne.
Durant la période 1960-1990, la France entretient une
coopération civile et militaire très étroite avec les États africains.
Cependant, en 1991, dans son discours de La Baule, le président François
Mitterrand annonce un changement de politique, et notamment la fin de la
mise en œuvre des accords de défense dans le cadre de la sécurité
intérieure des États. Dorénavant, la France ne devrait engager des
troupes qu’en cas d’agression extérieure ou d’intervention humanitaire.
Toutefois, des nuances apparaissent rapidement dans la pratique[20].
Pour leur part les États-Unis et l’Union soviétique, qui n’ont aucun
passé colonial en Afrique, s’y intéressent pour des raisons politiques
et économiques. Ils s’opposent sur ce continent, sur fonds
d’antagonismes idéologiques et géostratégiques. Les
Américains perçoivent l’Afrique, dans les années 1960, à travers le
spectre de l’extension du communisme. À cette époque, leurs dirigeants
manifestent une certaine neutralité envers la politique des
ex-puissances coloniales, avant de se montrer plus compétitifs, voire
offensifs, dans les années 1970-80. La prudence de Washington est
influencée par le poids de la communauté noire américaine, qui veut de
plus en plus se faire entendre.
Jusqu’en 1975, l’administration américaine s’attache
à mettre en évidence le danger soviétique en Afrique. Le problème
angolais domine et n’est vu qu’à travers le prisme des relations
Est-Ouest et de l’équilibre des puissances dans cette partie du monde.
Avec l’administration Carter, les États-Unis révisent leurs positions,
en raison de leur défaite politique en Angola. L’exécutif américain est
convaincu de devoir opter pour une approche régionaliste. Tout en
développant la notion d’"intérêts vitaux", le président Carter se
déclare favorable à une réduction de la course aux armements et à des
relations plus modérées avec l’URSS en Afrique. Un
changement intervient avec l’arrivée en 1981 du président Reagan, qui
définit ses principaux objectifs : résoudre les problèmes économiques
des États-Unis, accroître la puissance militaire américaine et bloquer
l’expansionnisme soviétique. En Afrique, il applique la stratégie du
containment et fixe ses priorités sur trois zones[21]
: Afrique australe, Corne et Afrique du Nord. Sa politique s’accompagne
d’un renforcement de la capacité de défense des États africains grâce à
un programme de formation, d’aide et d’assistance militaire.
La formation militaire (International Military Education Training), au
début des années 1980, est destinée à des pays tels que le Zaïre, le
Kenya, le Soudan, le Liberia, le Ghana ou le Sénégal. Puis, elle s’ouvre
à d’autres partenaires : le Congo, Zimbabwe, Djibouti, Guinée
Équatoriale, Guinée Bissau et Tanzanie. En outre, Washington obtient des
facilités militaires et des points d’appui aéro-navals, tout en
proposant à ses principaux alliés des manœuvres militaires conjointes.
Cependant, après une période d’infiltration politique
entre 1955 et 1975, ponctuée de discours marxistes, anti-colonialistes,
anti-impérialistes et d’une aide aux mouvements de libération nationale,
l’URSS décide d’agir par la présence et l’action militaires afin de
raffermir son influence dans cette partie du globe.
Politiquement, elle opère à l’aide de Traités d’amitié et de coopération
(TAC) conclus avec quatre pays : le TAC soviéto-angolais est signé le 8
octobre 1976, le TAC soviéto- mozambicain le 31 mars 1977, le TAC
soviéto-éthiopien le 20 novembre 1978 et le TAC soviéto-congolais le 13
mai 1981. L’examen des clauses permet de déceler le triple objectif de
Moscou : consacrer l’adhésion des pays signataires à la politique
globale de l’URSS, marquer l’appartenance de ces pays au camp socialiste
et pérenniser les relations établies, autoriser un droit de regard de
l’URSS sur la politique intérieure et extérieure des États africains et
réserver aux dirigeants du Kremlin la possibilité d’intervenir
militairement[22]. La politique militaire se met en place dans le cadre
de la formation des officiers, de l’assistance technique et des ventes
d’armes. Des instructeurs et des conseillers militaires russes et
d’Europe de l’Est affluent sur le continent.
Deux interventions militaires d’envergure (l’opération Carlotta en Angola
en 1976 et l’opération Protestation de Baragua en Éthiopie au début de
l’année 1978) montrent les capacités de projection extérieure de la
marine et de l’aviation soviétiques. Elles permettent à Moscou
d’installer des régimes politiques qui lui sont favorables. Dans le
domaine des ventes d’armes, l’URSS vend 3,5 fois plus d’armes que la
France. Ses principaux clients sont, dans l’ordre décroissant, la Libye,
l’Algérie, l’Éthiopie, l’Angola, le Mozambique, la Tanzanie, le Bénin,
le Congo, Madagascar et le Nigeria. La politique de
l’URSS connaît des limites dès le milieu des années 1980, en raison de
son idéologie qui s’essouffle et de résultats économiques désastreux.
Alors que le président Gorbatchev amorce le désengagement soviétique sur
le continent noir, les pays africains alliés rompent avec le dogmatisme,
se tournent vers les pays occidentaux et les institutions monétaires
internationales et optent pour le libéralisme politique et économique.
De nouvelles relations La conférence de Bandung
en 1955, puis la conférence tricontinentale de La Havane en 1965 jettent
les bases de nouvelles relations internationales. La première concerne
le mouvement bicontinental d’émancipation politique entre l’Afrique et
l’Asie – ou afro-asiatisme –, la seconde traduit la solidarité entre
pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine et s’apparente au
tiers-mondisme. Les coopérations sino-africaine et afro-cubaine
s’inscrivent donc en partie dans ce contexte. Dans les
années 1950, la Chine se présente au tiers-monde comme un État
socialiste allié à l’URSS. Après Bandung et le début du conflit
sino-soviétique dans les années 1960, elle symbolise l’État maoïste du
tiers-monde. Cette période connaît son apogée et sa fin avec la
révolution culturelle, dans les années 1966-69. Au cours des années
1970, profitant de la détente, la Chine rejoint, dans ses relations avec
le tiers-monde, la position des pays occidentaux. État
socialiste appartenant au tiers-monde, la République populaire de Chine
est également une future puissance. Elle trouve en Afrique l’occasion
d’exercer chacune de ces trois dimensions. Ces caractéristiques font
d’elle un pays attrayant pour bon nombre de pays africains, qui voient
en elle un colosse en développement pouvant les faire profiter de son
expérience. Après la tournée historique de Zhou Enlaï
dans neuf pays d’Afrique en 1963, Pékin lance une seconde offensive
diplomatique avec le séjour du vice-premier ministre et vice-président
du parti communiste chinois, Li Xiannian, en janvier 1979. La politique
extérieure chinoise vise à élargir ses positions en Afrique, notamment
dans le domaine économique et commercial. Au Zaïre par exemple, la Chine
obtient les matières premières nécessaires à son développement et écoule
ses biens de consommation. Elle trouve dans ce vaste pays modéré de quoi
satisfaire ses objectifs civils et militaires, puisque le Zaïre la
sollicite également pour une coopération militaire. En janvier 1983, la
mission qu’effectue le premier ministre Zhao Zihang en Égypte, Algérie,
Maroc, Guinée, Gabon, Zaïre, Congo, Zambie, Zimbabwe, Tanzanie et Kenya
illustre une bonne connaissance de la géopolitique africaine. Dans les
années 1980, des chefs d’États africains progressistes et modérés sont
accueillis à Pékin. La Chine semble avoir trouvé en
Afrique plusieurs partenaires avec lesquels elle entend nouer des
relations durables et solides. Si elle ne dispose pas, comme la France,
la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Union soviétique, de facilités
aéro-navales, de bases militaires ou de troupes prépositionnées, elle
développe tout de même une coopération militaire bilatérale comprenant
deux volets : la formation et l’instruction des militaires africains
ainsi que les ventes d’armes et l’assistance technique[23].
Des coopérants militaires chinois sont envoyés en Afrique[24].
La "vocation latino-africaine" de Cuba, définie en 1975 par Fidel
Castro, ouvre l’ère de rapports privilégiés entre Cuba et certains pays
d’Afrique dans les domaines de la coopération civile et militaire qui
prolonge les liens tissés depuis la révolution cubaine de 1959.
Toutefois, l’argumentation présentée par le dirigeant de La Havane ne
suffit pas pour comprendre les multiples facettes de l’engagement
cubain. Cuba agit, certes, en fonction d’une politique extérieure
dynamique et tiers-mondiste, mais aussi sous la pression des rapports
soviéto-cubains et des principes de la solidarité socialiste
internationale. Les premières manifestations de la
solidarité cubaine envers l’Afrique se présentent sous forme d’aide à
des mouvements de libération nationale et à des opérations de guérilla.
L’entraînement de guérilleros africains à Cuba, puis en Afrique, semble
remonter à 1961. Il est consécutif à la tournée africaine de Che Guevara
en 1959. En 1963, 3 à 4 000 soldats cubains partent se battre aux côtés
de la "République sœur d’Algérie", victime de l’"agression
étrangère" marocaine. Au cours des années 1960, Cuba envoie des
instructeurs et des conseillers militaires au Congo, en Guinée, au Mali,
en Guinée Équatoriale et en Somalie. Ces quelques exemples montrent que
la présence militaire cubaine ne débute pas au moment de la
décolonisation portugaise en 1975. C’est plutôt à ce moment là que Cuba,
comptant sur son expérience en Afrique, passe à un autre type d’action :
les interventions militaires.
Le 24 novembre 1975, le département d’État américain
révèle la présence massive de troupes cubaines en Angola[25].
C’est le début de l’Opération Carlotta, menée conjointement avec l’URSS,
qui débarque 18 000 soldats cubains dans le pays. Cette intervention
prend fin en février 1976, après avoir installé le MPLA au pouvoir à
Luanda. Fidel Castro fit preuve d’une certaine indépendance envers
Moscou, manifestant sa connaissance du terrain et sa capacité à exporter
la révolution en Afrique. Au cours de la seconde intervention, celle
d’Éthiopie (opération Protestation de Baragua) en 1977, les contingents
cubains parviennent à destination grâce à la mise en place d’un pont
aérien soviétique. Cette vaste entreprise aboutit à la défaite
somalienne. Les deux interventions soviéto-cubaines ont ainsi atteint
leurs objectifs.
Une faible capacité opérationnelle
En deux à trois décennies (1960-1975-1990), les États
africains accèdent à des armées qui se caractérisent par leur diversité.
Ces forces évoluent au gré des moyens internes mis à leur disposition,
de l’aide militaire extérieure ou des accords de défense, de leur
situation dans des zones de paix ou de guerre.
Les États situés aux extrêmes nord et sud du
continent possèdent, tous types d’armes confondues, les forces les mieux
équipées et les plus performantes. À leur tête, dans un ordre
décroissant, se trouvent les armées d’Égypte, de Libye, d’Afrique du Sud
et d’Algérie. Seuls ces pays peuvent conduire des opérations interarmées
et mener un combat avec une armée voisine. Du point de vue des
effectifs, les armées les plus nombreuses sont, dans l’ordre
décroissant, celles d’Égypte, d’Éthiopie, du Maroc, d’Afrique du Sud, du
Nigeria et de Libye. En ce qui concerne les dépenses militaires pour la
même période, la Libye se trouve en tête, suivie par l’Afrique du Sud,
l’Égypte, le Nigeria, l’Algérie et le Maroc.
En somme, à l’exception d’une dizaine d’armées (soit
dans l’ordre décroissant : Égypte, Libye, Afrique du Sud, Algérie,
Éthiopie, Maroc, Angola, Mozambique et Nigeria), les armées africaines
sont peu performantes, modestes ( voir celles du Mali et du
Burkina-Faso), parfois tout juste de parade, incapables de mener à terme
un combat. Certes, l’Égypte tient compte de sa situation géostratégique,
à la jonction entre l’Afrique et le Moyen Orient et aux frontières
d’Israël. Mais la Libye n’est pas exposée aux même dangers et l’Afrique
du Sud n’est menacée par aucune armée d’Afrique noire. Par ailleurs,
l’Éthiopie dépasse largement ses besoins de défense et ses rébellions
intérieures peuvent être résolues autrement que par un armement massif,
non adapté à ce type de conflit. Ce sont donc les puissances extérieures
et leurs alliés africains au pouvoir qui contribuent à cette situation.
Car, hormis quelques exceptions, force est de constater la faible
capacité opérationnelle des armées subsahariennes, comme l’a montré
l’armée zaïroise face aux deux guerres du Shaba en 1977 et 1978, au
cours desquelles elle n’a pu masquer sa triple vulnérabilité, doctrinale
(les choix tactiques et les principes, le moral des troupes), humaine
(formation et commandement) et structurelle (matérielle et logistique).
Face à ces carences, elle dut faire appel à des alliés africains et
occidentaux pour repousser les rebelles. Pourtant le Zaïre, courtisé
pour ses matières premières, bénéficiait d’une coopération militaire
tous azimuts avec des pays aussi divers que la France, la Belgique,
l’Égypte, le Maroc, la Chine populaire ou la Corée du Nord. Un tel
éventail d’aide militaire extérieure a davantage contribué à la
confusion dans les états-majors qu’à la consolidation de l’État.
L’édifice fragile (État et régime politique), sur lequel sont bâties les
armées subsahariennes se lézarde davantage au tournant des années
1989-1990, avec l’écroulement du bloc soviétique, la chute du communisme
et la montée des revendications sociales sur le continent. À compter de
cette date, l’Occident révise ses positions en Afrique et annonce de
nouvelles politiques. Armée et société
À partir du début des années 1990, les armées africaines sont
confrontées aux processus démocratiques. Deux types de comportement
apparaissent, selon que les officiers se montrent favorables ou
défavorables au changement. Se pose alors la problématique globale de
l’armée : quelle armée face à quelles menaces ? Quelle armée pour quelle
société ? Quel type d’armée avec quels moyens ? Dès
les premiers coups d’État en Afrique, plusieurs auteurs définissent les
conditions de retour des militaires dans leurs casernes[26].
Parmi elles, deux semblent particulièrement requises, à savoir
l’adhésion de tous les éléments significatifs des forces armées à la
décision de se retirer du pouvoir d’une part et la protection des
intérêts de l’armée par le gouvernement de succession d’autre part.
Ces conditions peuvent être réunies lorsque l’armée montre certaines
dispositions à se retirer : soit parce qu’elle souscrit à la doctrine de
la suprématie civile, soit parce qu’elle perçoit une menace contre sa
cohésion ou sa capacité à combattre en restant au pouvoir, soit encore
parce qu’elle ressent une perte de confiance face aux difficultés
politiques. L’armée peut également consentir à se dégager du pouvoir si
la pression est interne ou internationale. La
démilitarisation s’avère donc être un processus complexe et hautement
conditionnel. En période de transition démocratique, l’armée définit son
choix en termes de coût-avantages : rester ou partir, laquelle des deux
solutions permet de maximiser les intérêts de l’armée ou de sa
hiérarchie au pouvoir ? Le désengagement ne se déroule de manière
satisfaisante que si les avantages du retrait politique de l’armée sont
supérieurs aux coûts politiques et militaires de son maintien au
pouvoir.
Deux possibilités se présentent. Tout d’abord, il
arrive que l’armée prenne l’initiative ou devienne un partenaire
favorable au processus démocratique, comme ce fut le cas au Mali, au
Bénin, en Afrique du Sud, au Nigeria et au Sénégal au cours des
dernières années. Mais l’armée peut aussi s’ériger en menace contre le
nouvel ordre démocratique qu’elle feint d’accompagner ou de mettre en
place, comme au Togo, au Tchad, au Zaïre, en Guinée etc.… En cette
période cruciale, l’état des relations entre civils et militaires est
important. La capacité des élites civiles à apprécier à leur juste
valeur la situation et les rapports de forces entre l’armée, le pouvoir
et les forces de contestation ou d’opposition peut s’avérer déterminante
pour le maintien ou le retrait des militaires au pouvoir. Les échecs
dans les processus de désengagement politique de l’armée et la
restauration de régimes militaires sont liés à une longue pratique des
régimes autoritaires, un manque de culture politique démocratique ainsi
qu’à la méconnaissance et la méfiance entre civils et militaires.
Il convient donc, en régime démocratique, de définir tout d’abord le
rôle et la place de l’institution militaire dans un État de droit et de
déterminer ensuite les modalités du contrôle de l’armée par les civils,
notamment par le pouvoir exécutif, qui conçoit la politique de défense,
et par le pouvoir législatif, qui vote les lois et le budget de la
défense et de la sécurité. Le problème, pour les
sociétés africaines, est d’obtenir des forces capables de les protéger,
c’est-à-dire d’assurer leur défense et leur sécurité. La difficulté
réside dans le manque de confiance entre populations civiles et forces
armées, du fait des longues pratiques de répression et d’exactions.
La réconciliation entre l’armée et la nation et
l’adhésion du peuple à la défense et à la sécurité sont possibles dans
le cadre de la définition d’un projet commun de société. Des débats ont
été entamés sur ces questions au cours des conférences nationales
souveraines, des états généraux des armées et de forums de
réconciliation nationale. Ils ont souligné la nécessité de mettre en
place des programmes de réforme et de professionnalisation des armées.
La professionnalisation, à savoir la formation, l’éducation,
l’entraînement et l’équipement des armées, va de pair avec la
redéfinition de leurs missions et l’évolution des menaces. Il s’agit de
repenser le pourquoi et le comment, étant entendu que la conflictualité
la plus répandue au cours des dix dernières années est interne aux pays.
Les forces armées sont appelées à exercer de
nouvelles missions, telles que le maintien de la paix, auxquelles elles
ne sont pas ou peu préparées. De même, les forces de sécurité sont
amenées à assurer le maintien de l’ordre, dans un contexte de
revendications politiques et sociales légales. Ces
missions nécessitent des moyens humains et matériels. Se pose alors la
question du recrutement des forces sur de nouvelles bases, afin d’éviter
des armées monoethniques. L’éducation civique des militaires est
également une priorité, afin d’initier les soldats à leurs droits et à
leurs devoirs dans l’exercice de leurs fonctions. La formation et
l’entraînement doivent permettre aux militaires de maîtriser le métier
des armes et de se sensibiliser aux valeurs et principes partagés au
sein de leur institution. Pour sa part, l’État doit veiller à ce que le
paiement des soldes des militaires soit régulièrement effectué, s’il
veut éviter les mutineries, le recours au pillage et au racket de la
part de l’armée.
Les organisations régionales et sous-régionales,
comme l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et la Communauté
économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) mettent en place des
mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits
respectivement depuis 1993 et 1998. Toutefois, la CEDEAO prend les
devants dès 1990 au Liberia, en constituant une force de paix, l’Ecomog[27],
force qui intervient dans d’autres pays de la sous-région par la suite.
En Centrafrique dès 1997, six pays d’Afrique de l’Ouest et du centre[28]
constituent de façon originale une force de maintien de la paix, la
Mission de surveillance des accords de Bangui (MISAB), avec l’appui de
la France. En relais ou en soutien de ces
interventions africaines, la communauté internationale, par la voix de
l’ONU, organise des opérations de maintien de la paix dans le cadre de
la prévention et de la gestion des conflits internes[29].
Par ailleurs, la France et les États-Unis, après avoir essuyé des échecs
en Somalie (Restore Hope, 1992) et au Rwanda (Opération Turquoise,
1994)[30] développent respectivement des programmes
pour le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix –
RECAMP et African Crisis Response Initiative (ACRI). Chacun de ces pays
poursuit par ailleurs sa coopération militaire bilatérale avec certains
États africains. Il convient de souligner que ces
acteurs extérieurs, individuels ou collectifs, agissent en fonction
d’intérêts et d’ambitions particulières, au détriment parfois de leur
mission de paix sur le terrain. Des relations de coopération et de
concurrence, de complémentarité et de rivalité interviennent entre eux
et ternissent souvent les motivations officielles des États. Il reste
donc à établir de véritables partenariats entre Africains et Occidentaux
dans le maintien de la paix, sans oublier que la meilleure prévention
des conflits internes réside dans l’instauration et le développement
d’institutions démocratiques au sein desquelles l’armée est une
institution efficace et respectée de tous.
Dominique Bangoura
Docteur d’État en science politique, présidente de l’Observatoire
politique et stratégique de l’Afrique, Université de Paris I
Panthéon-Sorbonne, auteur, entre autres publications, de Les armées
africaines 1960-1990, CHEAM-La Documentation Française, Paris 1992.
[1]. Déclaration de Gaston Monnerville le 25 mai 1945
devant l’Assemblée consultative : "Sans Empire, la France ne serait
qu’un pays libéré. Grâce à son Empire, la France est un pays vainqueur"
in Raoul Girardet : L’idée coloniale en France (1871-1962), Paris, La
Table ronde, 1972, p.196.
[2]. La Guinée, en renonçant à devenir membre de la
Communauté, opte pour l’indépendance immédiate en 1958.
[3]. H. Clarke : The History of the Royal West African
Frontier Force,Adelshot, 1964.
[4]. Moyse-Barlette Hubert : The King’s African Rifles,
Adelshot, 1956.
[5]. Robert Cornevin : De la Force Publique à l’Armée
Nationale Congolaise, Revue Française d’Études Politiques Africaines,
février 1967, n°14, p.77.
[6]. Mustapha Benchenane : Les armées africaines, Paris,
Publisud, 1983, 222p.
[7]. Pour mémoire : le FLN-ALN (Front de libération
nationale - Armée de libération nationale) en Algérie, le Polisario
(Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et Rio-de-Oro)
au Sahara occidental, le MPLA (Mouvement populaire de libération du
Mozambique), le FNLA (Front national de libération de l’Angola) et l’UNITA
(Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) en Angola, le
FRELIMO (Front de libération du Mozambique) au Mozambique, le PAIGC (
Parti africain de l’indépendance de Guinée Bissau et du Cap Vert) au
Cap-Vert et en Guinée Bissau sont des fronts armés qui luttent pour
l’indépendance dans leur pays.
[8]. Coups d’État de Marien Ngouabi au Congo en 1968, de
Mathieu Kérékou au Bénin en 1972 et de Didier Ratsiraka à Madagascar en
1975.
[9]. Edmond Jouve : Les armées populistes en Afrique in
: Institut Africain d’Études Stratégiques (Libreville). Les armées
africaines, sous la direction de Dominique Bangoura, Paris, Economica,
1986, p.81-102.
[10]. Bernard Boëne : La spécificité militaire, Paris,
A. Colin, 1990 , 284p.
[11]. Loi 60.209 du 27 juillet 1960 portant création
des Forces armées nationales en Côte d’Ivoire : Article 1er : "Il est
institué des Forces armées nationales pour assurer la défense de la
Nation, le maintien de l’ordre et l’exécution des lois". Journal
Officiel de la République de Côte d’Ivoire, 30 juillet 1960.
[12]. Il s’agit là des armées dites classiques. En
revanche les armées nationales populaires, par nature détentrices d’une
fonction politique, ne répondent pas au principe de neutralité politique
et sont soumises à l’autorité de l’État et du Parti.
[13]. Daniel Bourmaud : La politique en Afrique, Paris
Montchrestien, 1997, p.89-98.
[14]. Au moment des indépendances, les États africains
se dotent d’armées dites nationales par crainte des menaces aux
frontières, des frontières artificielles et arbitraires tracées par le
colonisateur.
[15]. Général Ilunga Shamanga La chute de Mobutu et
l’effondrement de son armée, imprimé en Afrique du Sud, 1998, 240p.
[16]. En 1950, l’Afrique francophone compte 1 colonel,
3 commandants, 3 capitaines, 59 lieutenants et sous-lieutenants; en 1960
elle dispose de 4 colonels, 6 commandants, 31 capitaines, 157
lieutenants et sous-lieutenants.
[17]. Ghana, Kenya, Malawi, Nigeria, Ouganda, Sierra
Leone, Tanzanie, Zambie.
[18]. Pascal Chaigneau : La politique militaire de la
France en Afrique, Paris, CHEAM, 1984, 143 p.
[19]. John Chipman : Ve République et défense de
l’Afrique, Paris, Éditions Bosquet, 1986, 151 p.
[20]. Par exemple : en mai 1990, à la suite des émeutes
de Port-Gentil au Gabon, des troupes françaises provenant du Tchad sont
envoyées en renfort du contingent français prépositionné à Libreville.
Leur mission officiellement humanitaire s’avère dissuasive pour faire
reculer les manifestants.
[21]. Gérald J. Bender, James S. Coleman, Richard Sklar
: African Crisis Areas and US Foreign Policy, University of California
Pres, 1985, 373p.
[22]. GERSS : L’URSS et le Tiers-Monde : une stratégie
oblique, Paris, Les Cahiers de la FEDN n°32, 1984, 333p.
[23]. De 1955 à 1978, un peu plus de 2500 stagiaires et
cadres militaires africains de 12 pays se forment en Chine. En 1978-79,
ils sont 150 et proviennent des pays suivants : Mali, Guinée, Cameroun,
Burundi, Bénin.
[24]. En 1978-79, ils sont 350, répartis dans les pays
suivants : Guinée Équatoriale, Mozambique, Zambie, Zaïre, Mali,
Madagascar, Tchad.
[25]. Jacques Levesque : La guerre d’Angola et le rôle
de Cuba en Afrique, Etudes internationales, n°3, volume IX, septembre
1978, p. 429-434 ; lire également : Ezzedine Mestiri : Les Cubains et
l’Afrique, Paris, Karthala, 1980, 239p.
[26]. Pour un rappel des théories, lire Pierre Moukoko
Mbonjo, « Régimes militaires et transition démocratique en Afrique : à
la recherche d’un cadre théorique » Afrique 2000, n°13, avril-juin 1993,
p. 39-58.
[27]. Ecomog : ECOWAS Monitoring Group ( ECOWAS :
CEDEAO en anglais).
[28]. Burkina-Faso, Mali, Gabon, Tchad, Sénégal, Togo.
[29]. Eric G. Berman, Katie E. Sams Peacekeeping in
Africa : Capabilities and Culpabilities , UNIDIR, United Nations,
Genève, 2000, 540 p.
[30]. GRIP Conflits en Afrique : Analyse des crises et
pistes pour une prévention, Bruxelles, 1997, 293 p.
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