N
o
dâordre : 2005-25
N
o
de s´
erie : H-63
TH `
ESE
pr´
esent´
ee devant
lâ´
Ecole Nationale Sup´erieure Agronomique de Rennes
pour obtenir le titre de Docteur de lâENSAR
mention : Halieutique
par Emmanuel CHASSOT
Approche ´
Ecosyst´emique des PËeches :
De lâutilisation dâindicateurs `a la simulation th´eorique ; vers un mod`ele
coupl´e ´ecologie/´economie appliqu´e au Finist`ere
Soutenue le 10 Novembre 2005 devant le jury compos´
e de :
Mme Marie-Jo¨
elle Rochet
Rapporteur
Cadre de recherche Ifremer, Nantes
M. Philippe Cury
Rapporteur
Directeur de recherche IRD, S`
ete
M. Philippe Gros
Examinateur
Cadre de recherche Ifremer, Brest
M. ´
Eric Feunteun
Examinateur
Professeur LBEM, La Rochelle
M. Fran¸cois Gauthiez
Examinateur
Sous-directeur DPMA, Paris
M. Pierre Failler
Invit´
e
Cadre de recherche CEMARE, Portsmouth
M. Didier Gascuel
Directeur de th`
ese
Professeur ENSAR, Rennes
Agrocampus Rennes â D´
epartement Halieutique
UPR
M
´
ethodes dâ
´
E
tudes des
S
yst`
emes
H
alieutiques
Remerciements
La th`ese a ´et´e r´ealis´ee au sein du D´epartement Halieutique de lâENSAR, aujourdâhui
Laboratoire dâ´
Ecologie Halieutique dâAgrocampus Rennes, par un financement europ´een de
la DG D´eveloppement.
Je tiens `
a remercier en premier lieu Didier Gascuel pour la confiance quâil a su me t´emoigner
au cours de toute la dur´ee de la th`ese et pour sa disponibilit´e et sa patience, ne serait-ce que
lors de la relecture de mes rapports, articles, etc., parfois pendant ses week-ends ou le soir `a
une heure avanc´ee de la nuit. Je rends ici hommage `
a ses qualit´es p´edagogiques et scientifiques,
sa franchise, son bon sens et la pertinence de ses jugements qui contribuent `a ce que chaque
r´eunion ou discussion avec lui se r´ev`ele toujours utile voire d´eterminante. Au del`a de ces
qualit´es professionnelles, ses qualit´es humaines dâ´ecoute, de gentillesse et de g´en´erosit´e rendent
le travail `
a ses cË
ot´es toujours agr´eable et d´econtract´e. `
A titre dâillustration, jâai remarqu´e (et
vous pourrez faire le test) quâil est rarissime quâune r´eunion avec Didier ait lieu sans que ses
´eclats de rire ne retentissent au moins une fois. Jâen profite ´egalement pour renouveler mes
remerciements aux membres de sa famille qui mâont accueilli dans le chalet familial au fond de
la vall´ee de Chamonix pour un week-end dâinitiation `a lâescalade et de d´ecouverte des joies du
ski de randonn´ee, sans que jâai auparavant acquis les bases n´ecessaires pour d´evaler une piste
verte correctement...
Mes plus vifs remerciements sâadressent `
a Pierre Failler, tout dâabord pour avoir mont´e le
projet Pechdev sans lequel cette th`ese nâaurait pu avoir lieu, mais ´egalement pour la confiance
quâil a su mâaccorder. Sa culture scientifique et g´en´erale ainsi que sa curiosit´e et son ouverture
dâesprit lui permettent de renouveler sans cesse ses id´ees et de les exprimer au travers de projets
innovants et novateurs. Jâai ´enorm´ement appris `
a son contact et jâ´eprouve beaucoup de respect
pour son travail et sa vision de la recherche.
Je remercie les membres du jury dâavoir accept´e dâ´evaluer ce travail en d´epit des diff´erentes
responsabilit´es qui leur incombent et pour lâattention quâils ont port´ee au manuscrit de th`ese :
Marie-Jo¨elle Rochet pour son exigence, ses critiques pertinentes et sa rigueur scientifique, Phi-
lippe Gros pour son exp´erience et son esprit de synth`ese, Philippe Cury pour ses connaissances
approfondies sur lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches, Eric Feunteun et Fran¸cois Gauthiez
pour leurs regards ext´erieurs et leur grande comp´etence dans leurs domaines respectifs.
Olivier Maury a suivi dâassez loin lâ´evolution de cette th`ese mais le stage que jâai effectu´e
sous sa direction au sein du centre IRD/Ifremer de S`ete en 2001 a ´et´e le point de d´epart de
cette aventure. Jâai ´enorm´ement de respect et dâadmiration pour lui et il faut avouer beaucoup
dâhumilit´e par rapport `
a sa rapidit´e de pens´ee, ses comp´etences en mod´elisation et lâoriginalit´e
de ses travaux. Je le remercie sinc`erement de mâavoir encourag´e et soutenu pour que je fasse
une th`ese `
a lâENSAR. Quâil trouve ici lâexpression de ma plus profonde sympathie. Mille merci
´egalement `
a Yunne-Jai Shin pour ses encouragements ainsi que son soutien et ses conseils pour
la publication dâun article `
a lâissue de lâAFH.
Parce que les pens´ees et id´ees avanc´ees dans un manuscrit de th`ese ne sont ´evidemment pas le
fruit dâune seule personne, je veux ´egalement remercier toutes les personnes qui de pr`es ou de
loin ont contribu´e `
a nourrir ma r´eflexion sur les vastes (in´epuisables ?) sujets que constituent
lâhalieutique, lâ´ecologie marine et lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches. Ces sujets ne se limitent
pas `
a des domaines de recherches th´eoriques et/ou finalis´ees mais soul`event un grand nombre
de questions dâordre social, ´economique, politique, ´ethique voire philosophique. Ma gratitude
sâadresse en particulier `
a mes compagnons de th`ese, autant pour nos discussions scientifiques
ou non que pour nos soir´ees rennaises : Martial car sa passion du monde de la Mer est com-
municative et sa gentillesse et sa gaiet´e font de lui un partenaire de bureau id´eal, Yves-Marie
le sp´ecialiste des photos de r´ecifs coralliens qui font rËever les ´etudiant(e)s et des captures de
bars entre 3h00 et 5h00 du matin `
a lâËÄąle aux Moines et Audrey, la colombe Marseillaise pour
nos goË
uts (presque) communs en mati`ere de BD et de musique et pour son sourire et sa bonne
humeur contagieuse.
Des remerciements sp´eciaux `
a Tristan le rugbyman po`ete, gentleman chercheur et membre co-
fondateur de la division TRASH, seule personne au monde `a ´ecouter du m´etal op´era en faisant
des mots crois´es. En d´epit de notre d´esaccord sur la qualit´e des baguettes de pain selon leur
origine, je te salue bien bas pour le gros coup de main en fin de th`ese sur les GAM, pour le
partage de tes connaissances en programmation et pour tes encouragements constants. Notre
s´ejour `
a Tinos chez Alexandre Sofianos et nos vir´ees nocturnes `a Vigo et Mikonos resteront
parmi les grands moments de cette th`ese. Merci.
J´erË
ome Guitton a toujours ´et´e pr´esent d`es quâun probl`eme technique et informatique sâest
pos´e au cours de ces ann´ees pass´ees `
a lâENSAR. Sa disponibilit´e, son sens p´edagogique et
son int´erËet pour la recherche en halieutique constituent un appui pr´ecieux aux th´esards et `a
lâensemble du labo. Je le remercie sinc`erement pour cela et pour les m´echantes le¸cons de squash
quâil mâinflige depuis bientË
ot quatre ans. Merci ´egalement du fond du coeur `a Catherine Le
Penven, `
a la fois pour son efficacit´e et pour maintenir cette ambiance conviviale qui rend le
travail au sein du d´epartement toujours agr´eable. Je crois que les ap´eros du vendredi soir, les
galettes des rois par dizaines et les repas de labo en t´emoignent largement. Mon travail a par
cons´equent ´et´e r´ealis´e dans des conditions parfaites en terme dâambiance et dâenvironnement
scientifique, et je remercie lâensemble des personnes du d´epartement qui y ont particip´e de pr`es
ou de loin, `
a savoir B´eatrice, Cati, Guy, Richard, Meriem, Marie, Magali, Carole, Jean-Pierre,
St´ephane et Fanny, et plus r´ecemment Etienne, Olivier, Herv´e, Sylvain et Aurore ainsi que les
stagiaires, th´esards et ing´enieurs de passage au d´epartement : Pablo, Corentin, Abou, Th´eo,
Mamy, Vincent, Lo¨Ĺc le Norv´egien B´enodetois, Coraline, Mahfoud et Kane. Jâexprime aussi ma
gratitude envers Emmanuel P´erinel et S´ebastien LËe pour les coups de main en statistiques et
pour les heures pass´ees ensemble au dojo de lâENSAR.
Au passage et bien quâils ne liront jamais cette th`ese ´ecrite en fran¸cais, je remercie chaleureu-
sement tous les partenaires de Pechdev avec qui les groupes de travail se sont toujours pass´es
dans une ambiance amicale et d´etendue. Merci en particulier `a Loretta Malvarosa pour sa
bonne humeur et son enthousiasme au travail et Vincenzo Placenti pour sa grande ´erudition
et le partage de ses exp´eriences aux quatre coins du monde.
Enfin, il ne nous est pas souvent donn´ee lâoccasion de remercier les personnes qui nous sont
ch`eres et qui ont une influence sur nos pens´ees et plus g´en´eralement sur notre vie. Je tiens
donc `
a adresser ici mes salutations sinc`eres `
a tous mes amis et aux membres de ma famille
qui ne liront sans doute jamais cette th`ese (peut-Ëetre les remerciements) mais qui mâont tous
encourag´e `
a un moment ou un autre et qui y ont particip´e chacun `a leur mani`ere : Martin,
Fran¸cois, Mathieu, Thomas et Laure les th´esards de la mer, Ronan, Sophie, JB, J´er´emy et
C´eline les bobos parisiens-artistes, Marie et Ben expatri´es `a Bruxelles, Christy, Marie-Pier,
Ivan et Maca malgr´e la distance qui nous s´eparait, Mathieu, Liz, Arni, Lyff et Romain en
souvenir des gal`eres de ChatË
o et parce quâon a toujours plaisir `a se retrouver, Tom, Mick,
Pepito et Romain ex-fËetards de Villejean, Ted et Virginie pour les bons moments quâon a pu
passer ensemble, Thomas, Zdenka, Erwan, Damien, Wahn, J´erËome et Mathilde les clubbers
rennais, Tommy, Pauline, B´ebert, Guillaume et B´eren les Maugeois adeptes des ap´eros tardifs.
Je finis par un gros merci `
a la famille de Julie qui mâa soutenu et avec qui jâai pass´e des week-
end merveilleux de Drennec `
a Chausey, ainsi quâ`
a ma famille qui sâagrandit progressivement,
`
a Eric, Nath et Alexandre, `
a Olivier, Aude et leur fils qui ne saurait tarder, `a Laurent mon
jumeau exil´e dans le Pacifique et `
a mes parents.
Merci surtout `
a toi, Julie, parce que tu as tout fait pour me faciliter la tËache pendant les
moments difficiles de doute, de fatigue ou dâexasp´eration, pour ta patience, ta g´en´erosit´e, ton
pragmatisme et ton efficacit´e. Merci de ton soutien et de tes encouragements permanents et
dâavoir ´et´e tout simplement l`
a, chaque fois que jâen avais besoin.
`
A Julie
Table des mati`
eres
Introduction G´
en´
erale
1
1 Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et
pour la gestion
9
1.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
1.2
´
Evolution progressive ou r´evolution in´eluctable de la gestion des pËeches ?
11
1.2.1
Un tryptique vieux comme le monde : pËecheurs, poissons et prot´eines 12
1.2.2
´
Emergence de lâam´enagement des pËecheries . . . . . . . . . . . . .
15
1.2.3
Un bilan noir de la plan`ete bleue . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
1.2.4
De la probl´ematique ´ecologique `a la d´ecision politique . . . . . . .
23
1.2.5
Lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches . . . . . . . . . . . . . . . .
27
1.2.5.1
Des origines conservationnistes . . . . . . . . . . . . . .
27
1.2.5.2
D´efinir un cadre de gouvernance
. . . . . . . . . . . . .
28
1.2.5.3
Un projet ambitieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
29
1.2.6
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
30
1.3
De la population `a lâ´ecosyst`eme, mod`eles usuels en halieutique . . . . . .
31
1.3.1
Lâ´evaluation de stock au cĹur de la gestion monosp´ecifique . . . .
32
1.3.1.1
Une unique variable dâint´erËet, la biomasse exploit´ee . . .
32
1.3.1.2
Structurer le stock en Ëage : les approches analytiques . .
38
1.3.2
Mod`eles multisp´ecifiques et pr´edation : retour aux processus . . .
43
1.3.2.1
Hypoth`eses et principes de la MSVPA . . . . . . . . . .
44
1.3.2.2
Apports et limites des mod`eles multisp´ecifiques . . . . .
45
1.3.3
Transferts ´energ´etiques au sein du r´eseau trophique . . . . . . . .
49
1.3.3.1
Ecopath : bilan `a lâ´equilibre du r´eseau trophique
. . . .
50
1.3.3.2
Ecosim, vers une vision dynamique des transferts . . . .
53
1.3.3.3
Mod´eliser le flux de biomasse entre niveaux trophiques .
55
1.3.4
Vers une mod´elisation des ´ecosyst`emes dans leur int´egralit´e . . . .
59
i
1.3.5
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.4
Les indicateurs au service de lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches . . . .
64
1.4.1
Deux indicateurs essentiels : biomasse et mortalit´e par pËeche . . .
65
1.4.1.1
Points de r´ef´erence cibles et MSY . . . . . . . . . . . . .
65
1.4.1.2
Changement de paradigme : de la cible `a la limite . . . .
66
1.4.1.3
Approches courantes en gestion des pËeches . . . . . . . .
67
1.4.1.4
Limites et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
71
1.4.2
´
Etendre le champ des indicateurs `a lâ´ecosyst`eme . . . . . . . . . .
73
1.4.2.1
Comment ´evaluer
ÂŤ
lâ´etat
Âť
des ´ecosyst`emes ? . . . . . .
74
1.4.2.2
D´efinir un cadre g´en´eral de s´election des indicateurs . . .
82
1.4.3
De lâindication dâun ´etat aux mesures de gestion . . . . . . . . . .
84
1.4.3.1
Sp´ecifier des valeurs de r´ef´erence . . . . . . . . . . . . .
84
1.4.3.2
Synth´etiser lâinformation . . . . . . . . . . . . . . . . . .
86
1.4.3.3
Instaurer des r`egles de d´ecision . . . . . . . . . . . . . .
87
1.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
89
1.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90
Synth`ese - Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
92
2 De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere 93
2.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
2.2
Le Finist`ere, tradition et identit´e maritime . . . . . . . . . . . . . . . . .
95
2.2.1
Une place essentielle de lâactivit´e de pËeche . . . . . . . . . . . . .
95
2.2.1.1
Le Finist`ere en quelques chiffres . . . . . . . . . . . . . .
95
2.2.1.2
Une fili`ere importante . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
97
2.2.1.3
Des d´efis `a relever . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
98
2.2.2
D´efinition dâune typologie des flottilles . . . . . . . . . . . . . . . 100
2.2.2.1
Genres de navigation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
2.2.2.2
Des contrastes nord/sud . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
2.2.3
Esp`eces et principaux stocks exploit´es . . . . . . . . . . . . . . . . 102
2.2.3.1
Donn´ees utilis´ees de qualit´e variable . . . . . . . . . . . 103
2.2.3.2
S´election des esp`eces principales . . . . . . . . . . . . . . 104
2.2.3.3
Identification des stocks `a mod´eliser . . . . . . . . . . . 106
2.2.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
2.3
Mod´eliser les populations exploit´ees par approche globale . . . . . . . . . 110
2.3.1
Mat´eriel et M´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
ii
2.3.1.1
Deux types de mod`eles globaux . . . . . . . . . . . . . . 111
2.3.1.2
Conversion en valeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
2.3.1.3
Fonction de production locale . . . . . . . . . . . . . . . 117
2.3.1.4
Diagnostic plurisp´ecifique . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
2.3.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
2.3.2.1
Mod`eles globaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
2.3.2.2
Fonction de production locale . . . . . . . . . . . . . . . 120
2.3.2.3
Diagnostic plurisp´ecifique . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
2.3.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
2.3.3.1
Des donn´ees h´et´erog`enes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
2.3.3.2
Choix de mod´elisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
2.3.3.3
Un mod`ele de production locale . . . . . . . . . . . . . . 125
2.3.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
2.4
Dynamiques globales et r´egionales : approche par simulations . . . . . . . 126
2.4.1
Mat´eriel et M´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.1.1
Le mod`ele de production . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.1.2
´
Equations du mod`ele de simulation . . . . . . . . . . . . 127
2.4.1.3
Sc´enarii de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2.4.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2.4.2.1
Multiplicateurs dâefforts . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2.4.2.2
Importance des captures r´egionales . . . . . . . . . . . . 130
2.4.2.3
R´eactivit´e de la flotte ext´erieure . . . . . . . . . . . . . . 131
2.4.2.4
Expression de la biomasse dans le MEGC . . . . . . . . 132
2.4.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
2.4.3.1
Contribution r´egionale `a lâeffort total . . . . . . . . . . . 133
2.4.3.2
R´eactivit´e de la flotte ext´erieure . . . . . . . . . . . . . . 133
2.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
2.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Synth`ese - Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
3 D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des
indicateurs
139
3.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
3.2
D´efinir des
ÂŤ
zones de pËeche ´ecosyst´emiques
Âť
. . . . . . . . . . . . . . . 142
3.2.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
iii
3.2.1.1
Profils de captures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
3.2.1.2
Analyse factorielle des correspondances . . . . . . . . . . 144
3.2.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
3.2.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
3.2.3.1
Des donn´ees de captures . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
3.2.3.2
Associer ´ecologie et gestion . . . . . . . . . . . . . . . . 147
3.2.3.3
Int´erËet des ZPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
3.2.3.4
Les ZPE exploit´ees par les flottilles finist´eriennes . . . . 149
3.2.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
3.3
D´ecrire les ZPE par des indicateurs ´ecosyst´emiques . . . . . . . . . . . . 150
3.3.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
3.3.1.1
Donn´ees de captures et niveaux trophiques . . . . . . . . 151
3.3.1.2
Les spectres trophiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
3.3.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
3.3.2.1
Variabilit´e spatiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
3.3.2.2
´
Evolution temporelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
3.3.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
3.3.3.1
Spectres et niveaux trophiques . . . . . . . . . . . . . . 157
3.3.3.2
Potentiels dâexploitation dans les bas TL . . . . . . . . . 159
3.3.3.3
Des signes de surexploitation . . . . . . . . . . . . . . . 160
3.3.3.4
Caract´eristiques des
ÂŤ
ZPE du Finist`ere
Âť
. . . . . . . . 161
3.3.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
3.4
Sp´ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´ee . . . . . 163
3.4.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
3.4.1.1
Donn´ees de captures et de production primaire . . . . . 163
3.4.1.2
Une s´election dâindicateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
3.4.1.3
Analyse en composantes principales . . . . . . . . . . . . 166
3.4.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
3.4.2.1
Caract´eriser les ZPE par des indicateurs estim´es `a partir
de donn´ees de captures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
3.4.2.2
Des constrates spatiaux importants . . . . . . . . . . . . 169
3.4.2.3
Variabilit´e temporelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
3.4.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
3.4.3.1
Donn´ees de captures et de production primaire . . . . . 173
3.4.3.2
Patrons dâexploitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
iv
3.4.3.3
Directions de r´ef´erence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
3.4.3.4
Quel diagnostic pour les pËecheries du Finist`ere ? . . . . . 178
3.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
3.5
Analyse de la variabilit´e du niveau trophique et de lâomnivorie . . . . . . 179
3.5.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
3.5.1.1
Donn´ees de contenus stomacaux . . . . . . . . . . . . . . 181
3.5.1.2
Niveau trophique des proies . . . . . . . . . . . . . . . . 182
3.5.1.3
Calcul des indices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
3.5.1.4
Mod`eles additifs g´en´eralis´es . . . . . . . . . . . . . . . . 184
3.5.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
3.5.2.1
Description des donn´ees . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
3.5.2.2
Effets de la taille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
3.5.2.3
R´esultats de GAM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
3.5.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
3.5.3.1
Donn´ees de contenus stomacaux . . . . . . . . . . . . . . 188
3.5.3.2
Caract´erisation du r´egime alimentaire . . . . . . . . . . 191
3.5.3.3
Variabilit´e du niveau trophique . . . . . . . . . . . . . . 192
3.5.3.4
Quantifier lâomnivorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
3.5.3.5
Am´eliorer les estimations des indicateurs . . . . . . . . . 195
3.5.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
3.6
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Synth`ese - Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
4 Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simu-
lations
201
4.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
4.2
Hypoth`eses et principes du simulateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
4.2.1
Description du mod`ele . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
4.2.1.1
Croissance individuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
4.2.1.2
Survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
4.2.1.3
Pr´ef´erence trophique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
4.2.1.4
Mortalit´e par pr´edation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4.2.1.5
Captures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
4.2.1.6
Recrutement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
4.2.2
Sc´enarii de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
v
4.2.2.1
Effets de la pËeche - Simulation de r´ef´erence . . . . . . . 211
4.2.2.2
ContrËole top-down . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
4.2.2.3
ContrËole bottom-up . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
4.2.2.4
Omnivorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
4.2.2.5
Mod´eliser des effets de structure dâËage . . . . . . . . . . 213
4.3
R´esultats de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
4.3.1
Effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
4.3.1.1
Impact sur lâ´ecosyst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
4.3.1.2
Impact sur les captures . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
4.3.1.3
Sensibilit´e `a la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
4.3.2
ContrËole top-down . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
4.3.2.1
Variabilit´e des fonctions de production . . . . . . . . . . 216
4.3.2.2
R´eponse de lâ´ecosyst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
4.3.3
ContrËole bottom-up . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
4.3.3.1
Variabilit´e des fonctions de production . . . . . . . . . . 220
4.3.3.2
R´eponse de lâ´ecosyst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
4.3.3.3
Variations de production primaire . . . . . . . . . . . . . 222
4.3.4
Omnivorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
4.3.4.1
Variabilit´e des fonctions de production . . . . . . . . . . 223
4.3.4.2
R´eponse de lâ´ecosyst`eme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
4.3.5
Effets de structure dâËage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
4.4
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
4.4.1
Mod´eliser les effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
4.4.2
Effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
4.4.3
ContrËole top-down et pr´edation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
4.4.4
ContrËole bottom-up et croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
4.4.5
Omnivorie et cascades trophiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
4.4.6
Indicateurs : quels enseignements du mod`ele ? . . . . . . . . . . . 233
4.4.7
´
El´ements de r´eflexion pour les fonctions de production du Finist`ere 235
4.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Synth`ese - Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
5 Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le
secteur pË
eche du Finist`
ere
239
5.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
vi
5.2
Donn´ees du MEGC : la matrice de comptabilit´e sociale . . . . . . . . . . 242
5.2.1
Analyses en termes dâinput/output . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
5.2.1.1
Origine et principes
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
5.2.1.2
Calcul de multiplicateurs
. . . . . . . . . . . . . . . . . 245
5.2.1.3
Limites de lâapproche
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
5.2.2
Construire la matrice de comptabilit´e sociale . . . . . . . . . . . . 246
5.2.2.1
Extension des matrices input/output . . . . . . . . . . . 246
5.2.2.2
La MCS comme outil dâanalyse de politiques . . . . . . . 248
5.3
Un mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable appliqu´e au secteur des pËeches . 250
5.3.1
Mod´elisation en ´equilibre g´en´eral . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
5.3.1.1
´
Equilibres partiels et g´en´eraux
. . . . . . . . . . . . . . 250
5.3.1.2
Principes du mod`ele . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251
5.3.1.3
Comportement des agents ´economiques . . . . . . . . . . 252
5.3.1.4
Un mod`ele r´egional . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
5.3.2
Le mod`ele PECHDEV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
5.3.2.1
Module ´economique : MCS et choix des fonctions . . . . 253
5.3.2.2
Coupler biologie et ´economie . . . . . . . . . . . . . . . 255
5.4
Sc´enarii de simulations envisag´es . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
5.4.1
Analyser des politiques de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
5.4.2
Variabilit´e des fonctions de production biologique . . . . . . . . . 259
5.5
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
5.5.1
Une difficult´e majeure : les donn´ees . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
5.5.2
Politique des pËeches
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
5.5.3
Sc´enarii ´ecologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
5.5.4
MEGC et AEP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
5.6
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Synth`ese - Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Conclusion g´
en´
erale
269
Bibliographie
279
vii
Introduction g´
en´
erale :
Int´
egrer des consid´
erations
´
ecosyst´
emiques en gestion des
pË
eches
Les approches conventionnelles en gestion des pËeches se focalisent essentiellement sur
les esp`eces dâint´erËet commercial, en consid´erant chaque stock de mani`ere ind´ependante.
Leur objectif g´en´eral est de concilier lâexploitation halieutique et la conservation des
ressources. `
A partir de mod`eles d´ecrivant la dynamique des populations, le travail des
scientifiques en charge des ´evaluations consiste `a recommander aux d´ecideurs des va-
leurs de r´ef´erence pour des indicateurs de biomasse et de mortalit´e par pËeche. Bien que
les mod`eles, et les indicateurs qui leur sont associ´es, aient consid´erablement ´evolu´e au
cours du temps et en parall`ele `a lâexpansion des pËecheries, les modes de gestion des
pËeches actuellement en vigueur sont apparus insuffisants pour empËecher la surcapacit´e
des flottilles de pËeche constat´ee au niveau mondial (Gr´eboval, 1999). Cette surcapacit´e
a progressivement conduit `a la surexploitation, voire lâextinction dâun grand nombre
de stocks de poissons (p. ex. Dulvy et al., 2003 ; Mullon et al., 2005), ainsi quâ`a
la d´egradation des ´ecosyst`emes o`
u ils sont pËech´es (p. ex. Kaiser et al., 2002). Lâ´echec
de lâam´enagement des pËecheries est aujourdâhui largement reconnu par la communaut´e
scientifique (Botsford et al., 1997 ; Pikitch et al., 2003) et les institutions internationales
(UE, 2001 ; FAO, 2002 ; OCDE, 2003), et appelle `a une extension de la perception des
effets de la pËeche sur les ´ecosyst`emes marins.
2
Introduction G´
en´
erale
Une crise mondiale des pË
eches
Suivant les statistiques de captures d´eclar´ees, la production halieutique mondiale est
pass´ee de 19 millions de tonnes en 1950 `a environ 80 millions au milieu des ann´ees
1980, repr´esentant environ 70% de la production totale lorsque lâaquaculture est prise
en compte (FAO, 2002). Ces niveaux de production, en incluant les rejets de pËeche qui
pourraient avoisiner 8% des captures `a lâ´echelle mondiale (FAO, 2004), ont souvent ´et´e
consid´er´es comme proches des potentiels de production maximaux estim´es (Pauly, 1996).
Par ailleurs, la relative stabilit´e de la production observ´ee depuis lors serait principale-
ment li´ee `a des sur-d´eclarations de la Chine ainsi quâ`a la forte variabilit´e interannuelle
des captures dâanchois du P´erou (
Engraulis ringens
), dont la biomasse est affect´ee par
les ph´enom`enes ENSO (El NiË
no Southern Oscillation) (Watson et Pauly, 2001). Lorsque
les d´eclarations chinoises sont corrig´ees (voir Watson et Pauly, 2001) et les captures dâan-
chois non consid´er´ees, la production mondiale pr´esente alors un d´eclin de 0,66 millions
de tonnes par an depuis 1988 (Fig. 1).
Fig.
1
â
S´erie temporelle des captures des pËecheries maritimes mondiales avec et sans lâanchois du
P´erou. Les valeurs non corrig´ees sont issues de la FAO et les valeurs corrig´ees correspondent aux
pr´evisions dâun mod`ele statistique expliquant les captures mondiales en fonction de diff´erents facteurs
physiques et biologiques caract´erisant chaque zone de pËeche (extrait de Watson et Pauly, 2001).
Le plateau de production observ´e, voire d´epass´e, au niveau mondial masque de grandes
h´et´erog´en´eit´es entre zones et sâexplique essentiellement par deux processus. Dâune part,
lâexpansion des pËecheries sur tous les oc´eans, `a toutes les profondeurs (Pauly et al.,
2003), et toujours plus bas dans la chaËÄąne trophique (Pauly et al., 1998a) a progres-
sivement atteint ses limites, notamment pour des raisons techniques et commerciales.
Dâautre part, la majorit´e des stocks commerciaux dans le monde sont aujourdâhui en
´etat de surexploitation biologique. En 1999, sur les 441 stocks pour lesquels lâinforma-
tion ´etait disponible, la FAO estimait que 25% ´etait sous ou mod´er´ement exploit´e, 47%
pleinement exploit´e et 28% surexploit´e ou en reconstitution (Garcia et De Leiva Moreno,
2003). Par d´efinition, ceci implique pour les stocks surexploit´es que leur production ac-
Introduction G´
en´
erale
3
tuelle est inf´erieure `a leur production maximale ´equilibr´ee (ou Maximum Sustainable
Yield). Ce bilan global questionne lâefficacit´e des modes de gestion en place depuis plu-
sieurs d´ecennies, et souligne la n´ecessit´e de modifier en profondeur lâam´enagement des
pËecheries.
Une dimension ´
ecosyst´
emique
La prise en compte dâune dimension ´ecosyst´emique en am´enagement des pËecheries a deux
objectifs principaux : (i) am´eliorer notre compr´ehension des dynamiques des populations
et des ´ecosyst`emes en ayant une vision globale des diff´erents facteurs impliqu´es (ii) mieux
quantifier les impacts de la pËeche qui ne se limitent pas aux esp`eces exploit´ees mais
affectent la structure et le fonctionnement des ´ecosyst`emes.
Les ph´enom`enes prenant place au sein des ´ecosyst`emes restent mal connus du fait de
leur extrËeme complexit´e et de leur caract`ere changeant, g´en´erant une grande incertitude
sur leurs r´eponses `a diff´erents types de perturbations et rendant difficile toute pr´evision
(Christensen et al., 1996). Les analyses monosp´ecifiques couramment employ´ees dans
les approches conventionnelles de gestion focalisent essentiellement sur les effets de la
pËeche et sâav`erent parfois incapables de prendre en compte des processus physiques ou
biologiques pouvant affecter les ressources marines. Lâ´evolution du climat peut notam-
ment modifier la composition et la distribution des communaut´es ´ecologiques, et ainsi
avoir des r´epercussions importantes sur le recrutement des esp`eces (p. ex. McGowan
et al., 1998 ; Begg et Marteinsdottir, 2002 ; Beaugrand et al., 2003). Les variations du
recrutement des populations peuvent ´egalement Ëetre li´ees aux processus de pr´edation,
extrËemement importants dans les ´ecosyst`emes marins (Bax, 1998). Dans le cas dâun
ÂŤ
cultivation effect
Âť
par exemple, les adultes dâune esp`ece se nourrissent sur une esp`ece
fourrage, dont les individus sont des comp´etiteurs/pr´edateurs des juv´eniles de cette
esp`ece. Lorsque lâabondance du stock est r´eduite, lâaugmentation de ses proies impli-
querait une r´eduction des taux de survie de ses juv´eniles et empËecherait le stock de se
reconstituer (Walters et Kitchell, 2001).
La pËeche a un impact direct sur les populations cibl´ees, particuli`erement les esp`eces
`a dur´ee de vie longue et faible taux de reproduction (p. ex. Jennings et al., 1999).
Elle a ´egalement des effets indirects pouvant Ëetre tr`es importants sur la structure des
communaut´es, les interactions trophiques, la faune benthique et lâhabitat (Jennings
et Kaiser, 1998 ; Hall, 1999 ; Gislason, 2003). `
A titre dâillustration, la surexploitation
dâesp`eces de poissons consommatrices dâoursins herbivores dans les ´ecosyst`emes coral-
liens de Jama¨Ĺque a conduit `a une explosion de lâabondance des oursins, et a eu pour
cons´equence une diminution drastique des macroalgues (Hughes, 1994). Les effets indi-
4
Introduction G´
en´
erale
rects de la pËeche peuvent ainsi avoir des impacts plus importants sur la structure et la
dynamique des ´ecosyst`emes marins que la suppression des poissons eux-mËemes (Botsford
et al., 1997).
Une dimension ´
economique et sociale
Les approches monosp´ecifiques se sont tr`es tËot int´eress´ees `a la dimension ´economique
de la pËeche, et ont permis de mettre en ´evidence certains des processus ´economiques
responsables de la surexploitation (Gordon, 1954). En particulier, le libre acc`es `a la
ressource, les subventions des gouvernements au secteur des pËeches (Munro et Sumaila,
2002), ainsi que la vision `a court terme des pËecheurs au regard des b´en´efices escompt´es,
sont des facteurs essentiels permettant dâexpliquer la surcapacit´e des flottilles de pËeche
constat´ee au niveau mondial. Au sein de lâUnion Europ´eenne, la r´ecente r´eforme de la Po-
litique Commune des PËeches (PCP) de 2003 vise notamment `a diminuer les subventions
accord´ees au secteur des pËeches, de mani`ere `a
ÂŤ
faire correspondre la capacit´e de pËeche
aux possibilit´es de pËeche
Âť
. Par ailleurs, la nouvelle PCP envisage ´egalement des plans de
reconstitution pour plusieurs stocks surexploit´es, associ´es `a des diminutions drastiques
de lâeffort de pËeche. Dans ce contexte, lâestimation des cons´equences ´economiques et so-
ciales li´ees aux mesures prises dans le cadre de la PCP, constitue une question cl´e pour
les gestionnaires. Plus g´en´eralement, lâanalyse de lâimpact de diff´erentes politiques de
gestion et/ou de sc´enarii ´ecologiques pouvant affecter les ressources exploit´ees, sur les
activit´es ´economiques dâune r´egion, apparaËÄąt indispensable pour disposer dâune vision
holistique des effets de la pËeche sur les ´ecosyst`emes dont lâHomme fait partie.
LâApproche ´
Ecosyst´
emique des PË
eches
LâApproche ´
Ecosyst´emique des PËeches (AEP) englobe donc un vaste ensemble de prin-
cipes et dâobjectifs conceptuels, dont la prise en compte doit permettre dâagrandir notre
perception des relations entre le bien-Ëetre de lâHomme et la sant´e des ´ecosyst`emes (Sin-
clair et al., 2002 ; Garcia et al., 2003). Les fondements de lâAEP ´emergent principale-
ment de lâadoption par la FAO du Code de Conduite pour une pËeche responsable (FAO,
1995), qui d´efinit
ÂŤ
des principes et des normes internationales de comportement pour
garantir des pratiques responsables en vue dâassurer effectivement la conservation, la ges-
tion et le d´eveloppement des ressources bioaquatiques, dans le respect des ´ecosyst`emes
et de la biodiversit´e
Âť
. Lâ´etape finale du processus dâacceptation formelle et g´en´erale de
lâAEP a ´et´e franchie lors de la conf´erence de Reykjavik en 2001, dont lâobjectif ´etait de
d´efinir les phases n´ecessaires pour passer du cadre actuel de gestion des pËeches `a une ges-
Introduction G´
en´
erale
5
tion centr´ee sur lâ´ecosyst`eme. `
A lâissue de cette conf´erence, la d´eclaration de Reykjavik
a ´et´e adopt´ee par lâensemble des pays signataires :
ÂŤ
Nous d´eclarons que, pour renforcer la gestion responsable et durable de
la pËeche dans lâ´ecosyst`eme marin, nous nous efforcerons individuellement et
collectivement dâincorporer les consid´erations relatives `a lâ´ecosyst`eme dans
cette gestion
Âť
.
En d´epit de la reconnaissance officielle de lâAEP et de son int´egration explicite dans
le plan de mise en Ĺuvre du sommet mondial sur le d´eveloppement durable de 2002
(WSSD, 2002), peu dâexp´eriences concr`etes dâune AEP ont pour lâinstant ´et´e men´ees.
La traduction des concepts et principes de lâapproche en termes op´erationnels constitue
notamment une des difficult´es majeures `a sa mise en place (Garcia et al., 2003). Une
condition n´ecessaire au d´eveloppement et `a la r´eussite du d´efi majeur que repr´esente la
modification des fondements de la gestion des pËeches, r´esidera principalement dans sa
capacit´e `a sâappuyer sur, et `a compl´eter les approches conventionnelles dâam´enagement
actuellement en vigueur.
Contexte et pr´
esentation de la th`
ese
La th`ese sâinscrit dans le contexte scientifique de lâAEP et a eu pour cadre un pro-
jet europ´een (
ÂŤ
PECHDEV
Âť
QLRT-2000-02277), dont lâobjectif principal ´etait
ÂŤ
de
d´evelopper un nouveau mod`ele rendant compte de la contribution des activit´es de la
pËeche et lâaquaculture au d´eveloppement des r´egions cËoti`eres, ainsi que des interrela-
tions que ces activit´es maritimes entretiennent avec les composantes des autres secteurs
´economiques de la r´egion concern´ee
Âť
. Lâapproche de mod´elisation fait appel `a un mod`ele
dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC), dont lâutilisation dans les domaines de lâ´energie,
de la pollution et des ressources naturelles, a d´emontr´e la pertinence pour analyser les
cons´equences de politiques de gestion (p. ex. Shoven et Whalley 1992). Bien que le projet
ait une vocation principalement ´economique, une de ses caract´eristiques majeures r´eside
dans sa dimension interdisciplinaire, associant biologie, ´ecologie et ´economie. Le but de
PECHDEV est de parvenir `a faire le lien entre lâ´etat des ´ecosyst`emes, la dynamique des
populations marines qui y sont exploit´ees, et les diff´erents secteurs ´economiques de la
r´egion dâo`
u les flottilles sont originaires. Le cadre du projet apparaËÄąt ainsi en ad´equation
avec les principes de lâAEP et la volont´e dâ´etendre la vision de la pËeche `a une ´echelle
plus globale, int´egrant des consid´erations ´ecosyst´emiques.
Cette d´emarche de couplage ´ecologie/´economie sâest appuy´ee sur des ´etudes de cas.
En Europe, le secteur des pËeches repr´esente g´en´eralement une faible part du produit
6
Introduction G´
en´
erale
int´erieur brut (PIB), mais peut constituer dans certaines r´egions une activit´e ´economique
essentielle, g´en´erant un grand nombre dâemplois via des effets induits (DG Fisheries,
1992 ; CofrepËeche, 2000). Par cons´equent, les r´egions caract´eris´ees par un fort degr´e
de d´ependance vis-`a-vis des activit´es de pËeche et/ou dâaquaculture constituent des cas
dâ´etudes appropri´es pour lâapplication du mod`ele (MEGC), afin dâ´etudier les effets de
la pËeche sur les ´economies r´egionales. Lâ´echelle g´eographique retenue pour le mod`ele
´economique correspond au niveau NUTS III de la nomenclature des unit´es territoriales
statistiques utilis´ee par lâUnion Europ´eenne. Cette ´echelle permet de concilier une di-
mension administrative afin de disposer de statistiques ´economiques, et une dimension
g´eographique devant favoriser la d´etection dâeffets ´economiques li´es `a lâactivit´e de pËeche.
Parmi les cinq cas dâ´etude choisis en Europe, la th`ese focalise sur lâexemple du Finist`ere
(Fig. 2), d´epartement fran¸cais identifi´e comme le plus d´ependant de la pËeche (DG Fishe-
ries 1992). `
A cette ´echelle g´eographique terrestre sont associ´es les ´ecosyst`emes marins
exploit´es. Dans le cas du Finist`ere, ils concernent principalement la mer dâIrlande et le
Golfe de Gascogne, mais ´egalement et dans une moindre mesure, la Manche et le nord-
ouest de lâ´
Ecosse. Câest donc cette double ´echelle terrestre et marine que le projet doit
int´egrer dans le cadre dâune AEP.
Fig.
2
â
Localisation du d´epartement du Finist`ere et des principales zones de pËeche o`
u op`erent les
flottilles finist´eriennes.
Pour des raisons ind´ependantes de ma volont´e, le mod`ele calculable dâ´equilibre g´en´eral
reliant les activit´es ´economiques r´egionales entre elles, et auquel devaient Ëetre coupl´es les
mod`eles de production biologique, nâa pas pu Ëetre men´e `a terme. Le pr´esent document
vise n´eanmoins `a pr´esenter les r´esultats obtenus pour ce qui concerne la partie relative
Introduction G´
en´
erale
7
aux ´ecosyst`emes et aux mod`eles de dynamiques des populations. Bien que le MEGC
nâait finalement pas ´et´e appliqu´e au Finist`ere, les hypoth`eses et principes du mod`ele
sont ´egalement pr´esent´es ainsi que les sc´enarii envisag´es et les r´esultats attendus.
La d´emarche adopt´ee tout au long du travail consistera donc `a sâappuyer sur lâexemple
du Finist`ere et des ressources et ´ecosyst`emes exploit´es par ses flottilles, pour apporter
des r´eponses aux questions suivantes :
â˘
Comment peut-on faire le lien entre ressources marines et ´economie r´egionale, afin
dâint´egrer les dimensions biologiques et ´ecologiques dans lâ´evaluation des impacts
´economiques et sociaux de diff´erentes mesures de gestion ?
â˘
Dans quelle mesure les fonctions de production biologique des populations cibl´ees
peuvent-elles Ëetre modifi´ees au sein des ´ecosyst`emes ?
â˘
Dispose-t-on dâoutils pour quantifier lâ´etat des ´ecosyst`emes et ´eventuellement d´efinir
des ph´enom`enes de surexploitation ´ecosyst´emique ?
Le document se compose de cinq chapitres :
â
Le premier chapitre introduit le cadre g´en´eral de recherche et de gestion dans lequel
sâinscrit lâAEP. Une synth`ese des principaux mod`eles et indicateurs, sur lesquels va
sâappuyer la majeure partie du travail, est r´ealis´ee. Nous insistons en particulier sur
la relation dialectique existant entre lâ´evolution de ces
ÂŤ
outils
Âť
en halieutique, et le
passage de la population exploit´ee `a lâensemble de lâ´ecosyst`eme comme objet dâ´etude,
recommand´e par lâAEP.
â
En se basant sur le cas dâ´etude du Finist`ere, le deuxi`eme chapitre propose une
m´ethodologie permettant de d´efinir des mod`eles de production pour les stocks ex-
ploit´es, pouvant Ëetre int´egr´es dans un mod`ele ´economique reliant les diff´erents secteurs
´economiques du d´epartement (cf. Chapitre 5). Un mod`ele de simulation est ´egalement
d´evelopp´e, de mani`ere a r´ealiser un transfert dâ´echelle entre la zone terrestre pour
laquelle on dispose dâinformation sur lâeffort de pËeche, et lâaire g´eographique marine
de distribution de la population, o`
u peuvent op´erer dâautres flottilles de pËeche.
â
Le troisi`eme chapitre d´ecrit les grandes zones de pËeche europ´eennes, dont le
ÂŤ
plateau
celtico-gascon
Âť
o`
u la majorit´e des stocks finist´eriens sont exploit´es, `a partir dâun
ensemble dâindicateurs ´ecosyst´emiques. Nous chercherons notamment `a comparer les
zones entre elles afin de mettre en ´evidence de possibles ph´enom`enes de surexploitation
des ´ecosyst`emes.
â
Le quatri`eme chapitre est consacr´e au d´eveloppement dâun mod`ele de simulation mul-
tisp´ecifique dans lâoptique dâexplorer de fa¸con th´eorique la mani`ere dont la pËeche
modifie les fonctions de production des composantes du r´eseau trophique, en fonc-
tion de grandes caract´eristiques du fonctionnement de lâ´ecosyst`eme. Les r´eponses de
8
Introduction G´
en´
erale
lâ´ecosyst`eme `a la pËeche, ´emergentes des fonctions de production individuelles, sont
´egalement analys´ees.
â
Le cinqui`eme chapitre pr´esente les principes de couplage entre les fonctions de produc-
tion d´efinies pour les stocks exploit´es par le Finist`ere (cf. Chapitre 2), et un mod`ele
´economique calculable dâ´equilibre g´en´eral (MEGC) appliqu´e au secteur des pËeches. Le
mod`ele a notamment pour objectif dâanalyser les cons´equences pour la r´egion dâint´erËet,
en termes ´economiques et sociaux, de sc´enarii de politiques de gestion (taxes, quotas,
moratoire...) ou ´ecologiques.
Enfin, une conclusion g´en´erale et les perspectives suite `a ce travail terminent ce manuscrit
de th`ese.
Chapitre 1
Lâapproche ´
ecosyst´
emique des
pË
eches : principes, m´
ethodes et
int´
erË
et pour la gestion
En 17, L´enine et ses camarades ne disaient pas :
ÂŤ
Nous allons faire la r´evolution parce que
nous voulons la r´evolution
Âť
, ils disaient :
ÂŤ
toutes les conditions de la r´evolution sont r´eunies,
la r´evolution est in´eluctable
Âť
. Ils ont fait la r´evolution qui nâaurait jamais eu lieu sâils ne
lâavaient pas faite et quâils nâauraient pas faite sâils nâavaient pas pens´e quâelle ´etait in´eluctable
uniquement parce quâils la voulaient.
Jean-Pierre L´eaud
Sommaire
1.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
1.2
´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la ges-
tion des pË
eches ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
1.2.1
Un tryptique vieux comme le monde : pËecheurs, poissons et
prot´eines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12
1.2.2
´
Emergence de lâam´enagement des pËecheries . . . . . . . . . .
15
1.2.3
Un bilan noir de la plan`ete bleue . . . . . . . . . . . . . . . .
19
1.2.4
De la probl´ematique ´ecologique `
a la d´ecision politique . . . .
23
1.2.5
Lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches . . . . . . . . . . . . . .
27
1.2.6
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
30
1.3
De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieu-
tique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
31
1.3.1
Lâ´evaluation de stock au cĹur de la gestion monosp´ecifique .
32
1.3.2
Mod`eles multisp´ecifiques et pr´edation : retour aux processus .
43
1.3.3
Transferts ´energ´etiques au sein du r´eseau trophique . . . . . .
49
10
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
1.3.4
Vers une mod´elisation des ´ecosyst`emes dans leur int´egralit´e .
59
1.3.5
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.4
Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des
pË
eches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
64
1.4.1
Deux indicateurs essentiels : biomasse et mortalit´e par pËeche
65
1.4.2
´
Etendre le champ des indicateurs `
a lâ´ecosyst`eme . . . . . . .
73
1.4.3
De lâindication dâun ´etat aux mesures de gestion . . . . . . .
84
1.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
89
1.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90
Synth`
ese - Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
92
1.1 Introduction
11
1.1
Introduction
Cette synth`ese bibliographique vise `a situer le contexte de recherche scientifique ha-
lieutique et de gestion des ressources marines, dans lequel sâinscrivent ces travaux de
th`ese. Nous nous attacherons dans une premi`ere partie `a rappeler les traits majeurs des
pËecheries maritimes mondiales en insistant sur les diff´erents rËoles occup´es par lâactivit´e de
pËeche, qui ont conduit `a lâ´emergence de lâam´enagement des pËecheries d`es le d´ebut du XX
e
si`ecle. En pr´esentant les caract´eristiques g´en´erales de la gestion en vigueur aujourdâhui
et en dressant un ´etat des lieux `a lâ´echelle globale, nous nous efforcerons de donner les
raisons majeures expliquant les ´evolutions en faveur dâune approche ´ecosyst´emique des
pËeches (AEP). Dans un deuxi`eme temps, nous d´ecrirons les diff´erents types de mod`eles
utilis´es afin dâ´evaluer lâ´etat des stocks exploit´es et analyser les dynamiques des res-
sources marines. Lâ´evolution de la gestion des pËeches dans un cadre holistique requiert
notamment le d´eveloppement de mod`eles toujours plus complets des ´ecosyst`emes, afin
de d´egager
in fine
les fondements th´eoriques des m´ecanismes qui r´egissent leur fonc-
tionnement. Bien que les approches de mod´elisation abord´ees dans cette revue ne soient
pas toutes directement employ´ees dans la suite du travail, lâobjectif est de pr´esenter les
mod`eles les plus courants en halieutique, afin de replacer les d´emarches de mod´elisation
adopt´ees au cours de la th`ese (cf. Chapitres 2 et 4). En parall`ele `a ces m´ethodes de
mod´elisation, de nombreux travaux ont ´et´e d´evelopp´es, portant sur la sp´ecification dâin-
dicateurs, susceptibles de d´ecrire certaines propri´et´es ou caract´eristiques des ´ecosyst`emes
marins et de leur exploitation. Cette approche
ÂŤ
indicateurs
Âť
sâinscrit logiquement dans
lâAEP et fait lâobjet de la troisi`eme partie de ce chapitre. Elle permet dâintroduire un
certain nombre de concepts `a partir desquels un ensemble dâindicateurs bas´es sur des
donn´ees de captures et de production primaire seront utilis´es pour d´ecrire les grandes
zones de pËeche europ´eennes (cf. Chapitre 3).
1.2
´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable
de la gestion des pË
eches ?
Afin dâappr´ehender les nombreux facteurs ayant conduit `a lâ´emergence et `a la reconnais-
sance sur le plan international de lâAEP, il semble important de rappeler succinctement
les diff´erents rËoles que lâactivit´e de pËeche peut avoir dans le monde et n´ecessaire de
pr´esenter les arguments justifiant une modification en profondeur de la gestion actuelle
des pËeches.
12
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
1.2.1
Un tryptique vieux comme le monde : pË
echeurs, poissons
et prot´
eines
Lâactivit´e de pËeche est aussi ancienne que la chasse et la cueillette et remonterait au
pal´eolithique (-300 000 ans). Lâ´economie ´etait alors principalement fond´ee sur lâexploita-
tion naturelle des ressources, bas´ee sur le d´eveloppement dâoutils toujours plus sophis-
tiqu´es au cours du temps (Cleyet-Merle, 1990). La d´ecouverte sur les cËotes ´
Erythr´eennes
de la Mer Rouge dâharpons vieux de 125 000 ans sugg`ere lâadaptation des hommes `a un
environnement marin cËotier d`es la derni`ere p´eriode interglaciaire (Walter et al., 2000)
(Fig. 1.1). Lâanalyse de s´ediments marins a confirm´e que les premi`eres traces de lâactivit´e
de pËeche remonteraient `a cette ´epoque, correspondant `a lâapparition des lign´ees dâ
Homo
sapiens
(p. ex. Jackson et al., 2001).
Fig.
1.1
â
Harpons en pierre provenant des cË
otes ´erythr´eennes et vieux de 125 000 ans (extrait de
Yellen et al., 1995).
La pËeche est ainsi consid´er´ee aujourdâhui comme la premi`ere activit´e humaine ayant eu
un impact sur les ´ecosyst`emes cËotiers (Jackson et al., 2001). `
A cette ´epoque, elle avait
pour objectif de nourrir les membres du clan en fournissant les prot´eines n´ecessaires `a
leur survie. De nos jours, cette d´ependance alimentaire vis-`a-vis des ressources marines
existe toujours dans de nombreuses parties du monde, o`
u la pËeche contribue dans une
large mesure `a lâalimentation des populations cËoti`eres (FAO, 2002). Cette d´ependance
directe vis-`a-vis de la production halieutique est surtout marqu´ee pour les pËecheries
artisanales des pays en voie de d´eveloppement (PVD), bien quâelle soit difficile `a ´evaluer
pr´ecis´ement. Dans les pËecheries du Pacifique, Dalzell et al. (1996) consid`erent ainsi que
80% de la production totale de poisson serait issue de la pËeche de subsistance. Ce type de
pËeche est ´egalement encore en usage dans certains pays d´evelopp´es o`
u lâalimentation de
populations autochtones d´epend de leurs approvisionnements en poisson. Les Micmacs,
indiens natifs du Canada, sont ainsi parvenus `a obtenir certains droits dâacc`es sp´ecifiques
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
13
`a des ressources halieutiques, de par leur ant´eriorit´e dans lâexploitation et lâimportance
culturelle et alimentaire de lâactivit´e de pËeche consid´er´ee comme pËeche de subsistance.
Au niveau mondial, 75% de la production issue de la pËeche et de lâaquaculture, soit envi-
ron 100 millions de tonnes, ont ´et´e destin´es `a la consommation humaine en 2001, le reste
´etant majoritairement utilis´e comme aliments pour les ´elevages aquacoles et agricoles
(FAO, 2002). Cette production correspond `a une consommation moyenne dâun peu plus
de 16 kg de poisson par habitant et par an, caract´eris´ee par une grande h´et´erog´en´eit´e
spatiale (Fig. 1.2).
Fig.
1.2
â
Carte mondiale montrant lâh´et´erog´en´eit´e spatiale de la consommation moyenne par an et
par habitant (extrait de FAO, 2002).
La consommation de poisson est g´en´eralement plus ´elev´ee dans les zones cËoti`eres quâ`a
lâint´erieur des terres et varie en fonction de la disponibilit´e en ressource, de la culture cu-
linaire ainsi que des revenus des populations. Selon lâorganisation des Nations Unies pour
lâalimentation et lâagriculture (Food and Agricultural Organisation) (FAO, 2002), plus
dâun milliard de personnes d´ependaient en 2001 du poisson comme source de prot´eine
animale, câest `a dire quâil repr´esentait au moins 30% de leurs apports prot´eiques jour-
naliers. Lâarticle 1 du plan dâaction du sommet mondial de lâalimentation stipule que la
s´ecurit´e alimentaire existe lorsque tous les Ëetres humains ont, `a tout moment, un acc`es
physique et ´economique `a une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de
satisfaire leurs besoins ´energ´etiques et leurs pr´ef´erences alimentaires pour Ëetre en bonne
sant´e et mener une vie active (WFS, 1996). Cette reconnaissance sur le plan internatio-
nal du droit `a la s´ecurit´e alimentaire associ´ee `a la d´ependance en apports de prot´eines
de millions de personnes met en ´evidence le rËole essentiel de la pËeche face `a une demande
croissante en produits de la mer. D`es lors, la n´ecessit´e de g´erer au mieux et de pr´eserver
les ressources marines renouvelables apparaËÄąt comme une condition indispensable pour
r´epondre `a ces probl`emes de s´ecurit´e alimentaire.
14
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Parall`element `a son importance pour la consommation humaine, lâactivit´e de pËeche joue
´egalement un rËole social tr`es important, `a la fois en terme dâemploi et dâorganisation au
sein des communaut´es de pËecheurs. Selon la FAO (2002), environ 35 millions de personnes
dans le monde ´etaient directement employ´ees dans la pËeche et lâaquaculture en 2000
contre 28 millions en 1990. 95% de ces pËecheurs exercent leur activit´e artisanalement.
En ajoutant `a ces producteurs les emplois secondaires et les personnes `a charge corres-
pondantes, lâemploi de plus de 200 millions de personnes dans le monde d´ependrait de
lâactivit´e de pËeche (McGoodwin, 2003). Selon cet auteur, la pËeche nâest pas simplement
vue comme un moyen de gagner sa vie mais est g´en´eralement per¸cue comme un v´eritable
mode de vie, nourri de valeurs professionnelles importantes et de symboles refl´etant des
aspects essentiels de lâidentit´e culturelle des communaut´es de pËecheurs. Lâorganisation
au sein de ces communaut´es se traduit par des normes et des comportements sociaux
li´es `a des besoins pratiques imm´ediats mais pouvant ´egalement d´ependre de traditions
anciennes (McGoodwin, 2003). Lâanalyse sociologique des diff´erents niveaux structu-
rant la communaut´e semble fondamentale dans lâoptique dâune meilleure compr´ehension
des modes de communication et perceptions culturelles qui la caract´erisent, notamment
dans la perspective de mise en place dâune strat´egie de gestion des ressources (Townsley,
1998).
Le rËole social de la pËeche est intimement li´e `a sa dimension ´economique, au travers des
revenus financiers g´en´er´es par les activit´es ´economiques de la fili`ere. En 2000, le march´e
mondial des produits de la mer a ainsi correspondu `a une valeur export´ee de 55.2 mil-
liards de dollars, en augmentation de 8% par rapport `a 1998 (FAO, 2002). Au cours des
derni`eres d´ecennies, la production et les ´echanges ext´erieurs entre pays ont augment´e de
mani`ere significative grËace aux ´evolutions dans les secteurs de la technologie, du trans-
port et des communications. Une grande part de la production mondiale de poisson
rejoint ainsi les fili`eres des march´es internationaux puisque 37% de la production ´etait
export´e en 2000, dont plus de la moiti´e provenant des pays en voie de d´eveloppement
(FAO, 2002). Dans ces pays, les quantit´es de poisson export´ees repr´esentent ainsi une
source importante de devises et peuvent d´epasser les produits agricoles courants dâex-
portation tels que le caf´e, le riz ou le th´e (Fig. 1.3).
Les ressources halieutiques peuvent repr´esenter une manne financi`ere essentielle
´egalement pour certains pays du Nord comme lâIslande dont 70% des exportations sont
issues de lâindustrie de pËeche (The World Factbook 2005
1
). Les ´echanges au niveau mon-
dial des produits de la mer sont variables dans le temps et dans lâespace et sont r´egul´es
par la m´ecanique complexe de lâoffre et de la demande. Ils d´ependent de multiples fac-
teurs tels que le prix du p´etrole, les prix des produits de substitution, la conjoncture
´economique... La production est ´evidemment tributaire de lâ´etat de la ressource et de sa
1
http ://www.cia.gov/cia/publications/factbook/
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
15
Fig.
1.3
â
Importance des exportations des produits de la mer par rapport aux autres produits agricoles
dâexportation des pays en voie de d´eveloppement (extrait de FAO, 2004).
variabilit´e naturelle (Watson et Pauly, 2001), qui peut engendrer des variations impor-
tantes de lâoffre, la demande lui ´etant toujours sup´erieure (FAO, 2004).
1.2.2
´
Emergence de lâam´
enagement des pË
echeries
Dans le contexte actuel o`
u la pËeche occupe une place importante, tant `a travers son
rËole ´economique et social quâ`a travers la s´ecurit´e alimentaire quâelle peut assurer pour
de nombreuses populations, des changements significatifs de la mani`ere dâappr´ehender
la gestion des pËeches sont en train dâapparaËÄątre depuis quelques ann´ees. Ces modifica-
tions peuvent Ëetre per¸cues comme la continuit´e logique dâune ´evolution progressive de
la gestion des pËeches qui a r´eellement d´ebut´e avec la cr´eation du Conseil International
pour lâExploration de la Mer (CIEM) en 1901. Les objectifs annonc´es de cette institu-
tion internationale ´etaient alors de promouvoir la coop´eration entre biologistes marins
et oc´eanographes afin de mieux comprendre les changements dâabondance des stocks
de poissons. Ils faisaient suite `a lâaccumulation dâindices prouvant que les ressources
marines peuvent Ëetre surexploit´ees (Cleghorn (1854) cit´e par Marchal (1996)). Cette
question essentielle de la surexploitation avait `a la fin du XIX`eme si`ecle suscit´e de vifs
d´ebats au sein de la communaut´e scientifique anglaise entre les tenants de lâimpossibilit´e
dâaffecter les ressources marines men´es par Thomas Huxley et les d´efenseurs de lâid´ee
dâun lien entre biomasse f´econde et recrutement soutenus par Ray Lankester. Suite `a la
cr´eation du CIEM et en parall`ele aux travaux pionniers ´etablissant les bases th´eoriques
des sciences halieutiques modernes (Schaefer, 1954 ; Ricker, 1954 ; Beverton et Holt,
16
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
1957), un grand nombre dâorganisations internationales ont successivement vu le jour
pour sâ´etendre g´eographiquement sur tous les oc´eans et concerner un nombre croissant
dâesp`eces. Malgr´e la mise en place de ces grandes organisations internationales au cours
du temps (Fig. 1.4) et les progr`es scientifiques r´ealis´es des ann´ees 1950 `a la fin des
1970 dans le domaine halieutique, peu dâactions de gestion furent r´eellement entreprises
durant cette p´eriode.
Fig.
1.4
â
R´epartition g´eographique des diff´erentes organisations r´egionales des pËeches de nos jours
(Source : http ://www.fao.org/fi/body/rfb/Big RF Bmap.htm).
Lâobjectif principal ´etait alors le d´eveloppement des activit´es de pËeche via la technologie
et la d´ecouverte de nouvelles ressources afin de maximiser les captures et de pouvoir
satisfaire la demande mondiale en poisson (Townsley, 1998). Le concept de MSY (Maxi-
mum Sustainable Yield en anglais ou prise maximale ´equilibr´ee) apparaËÄąt ainsi clairement
dans lâarticle 2 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer (UNCLOS I,
1958) comme r´ef´erence pour une exploitation optimale :
ÂŤ
As employed in this Convention, the expression âconservation of the living
resources of the high seasâ means that aggregate of the measures rendering
possible the optimum sustainable yield from those resources so as to secure
a maximum supply of food and other marine products. Conservation pro-
grammes should be formulated with a view to securing in the first place a
supply of food for human consumption.
Âť
Au d´ebut des ann´ees 1980, la troisi`eme version de la Convention sur le droit de la Mer
(UNCLOS III, 1982), devenue loi internationale en 1994, a eu un impact tr`es fort sur
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
17
la l´egislation internationale en mati`ere de pËeche en red´efinissant la notion de droit de
propri´et´e des ressources et a engendr´e une modification des objectifs de gestion tels
que d´efinis pr´ec´edemment (Kurien, 2001). Avec la promulgation des zones ´economiques
exclusives (ZEE) ´etendues jusquâ`a 200 milles marins des cËotes, les ´
Etats ont ainsi affirm´e
leur souverainet´e sur ces espaces et les richesses quâils contiennent mais ils se sont par
ailleurs engag´es `a respecter les diff´erents articles constituant cette nouvelle Convention et
incluant la pr´eservation des ressources marines. De mani`ere plus g´en´erale en gestion des
ressources, les objectifs principaux sont ainsi pass´es de la notion de capture ´equilibr´ee `a la
notion de durabilit´e. Alors quâun objectif de capture ´equilibr´ee sâint´eresse `a la production
et voit lâ´etat de la ressource comme une contrainte `a la maximisation de la production,
la durabilit´e fait de lâ´etat de la ressource le but de la gestion et une condition n´ecessaire
`a la satisfaction des besoins humains (Cortner et Moote, 1999). `
A partir de cette ´epoque,
de r´eelles mesures de gestion des stocks se mettent progressivement en place, avec une
grande vari´et´e de modes dâapplication adapt´es `a la nature de la ressource, aux types
dâexploitation et aux objectifs mËemes de gestion. En Europe, la politique commune des
pËeches (PCP) instaur´ee en 1983 constitue lâinstrument de lâUnion Europ´eenne pour la
conservation et la gestion des pËecheries, les r`egles communes ´etant adopt´ees au niveau
communautaire et appliqu´ees par chaque ´
Etat membre. La gestion est principalement
bas´ee sur lâattribution de taux autoris´es de captures (TAC), la limitation des flottilles
au travers de plans dâorientation pluri-annuels (POP), et sur des mesures techniques
(r´egulation des engins, tailles minimales des poissons d´ebarqu´es, saisons et zones de
fermeture), bien que dâautres instruments de r´egulation existent (Tab. 1.1).
Tab.
1.1 â
Typologie des instruments de r´egulation de lâacc`es ; transf. = transf´erable ; ind. = individuel
(dâapr`es Troadec et BoncĹur, 2003).
M´ethodes de contËole
Variables de contrËole
Effort de pËeche
Captures
Administratives
Licences non transf.
Quotas ind. non transf.
´
Economiques
Taxes
Inputs
D´ebarquement
A base de droits Licences transf.
Quotas ind. transf.
Les TAC, partag´es entre les ´
Etats membres selon les droits dâant´eriorit´e et le principe de
stabilit´e relative, correspondent `a la capture maximale autoris´ee sur un stock pendant
un an. Le processus de fixation des TAC se fait en plusieurs ´etapes. Dans un premier
temps et suite `a la r´eunion de groupes de travail du CIEM, un avis sur le TAC est
rendu par des experts scientifiques r´eunis au sein du comit´e dâavis du CIEM (Advisory
Committee on Fishery Management). Ces recommandations de TAC sont par la suite
´evalu´ees par le comit´e scientifique, technique et ´economique de la pËeche (CSTEP). Sur
la base de ces recommandations scientifiques et de consid´erations socio-´economiques,
les TAC sont ensuite fix´es lors du Conseil des ministres des pËeches (Fig. 1.5). Cette
18
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
structure d´ecisionnelle se retrouve de mani`ere similaire dans un tr`es grand nombre de
pËecheries dans le monde bien que la d´ecision finale ne soit pas toujours prise par les
mËemes instances.
Fig.
1.5
â
Sch´ema d´ecisionnel en Europe (Source : Ph. Gros, Ifremer).
En d´epit de leur statut communautaire, de nombreuses ressources ne sont pas concern´ees
par le volet
ÂŤ
TAC et quotas
Âť
de la PCP. Elles peuvent cependant repr´esenter une part
tr`es importante des d´ebarquements (Forest, 2001). Il existe souvent peu de donn´ees fines
sur les captures et/ou la distribution g´eographique de ces esp`eces, ce qui rend difficile
leur ´evaluation (cf. Chapitre 2). Lâexploitation de ces ressources se fait g´en´eralement
suivant un ensemble de lois et de r`egles permettant de contrËoler lâacc`es `a la ressource.
Malgr´e la mise en place et lâ´evolution de ces diff´erents modes de gestion en Europe
depuis 1978 et le passage progressif dâune approche de maximisation des captures `a une
approche centr´ee sur la pr´eservation du potentiel reproducteur des populations exploit´ees
(Section 1.4.1), ce type de gestion a progressivement montr´e ses limites, notamment
illustr´ees par lâimportante r´eforme de la PCP en 2003. Les raisons de cette r´eforme et
plus g´en´eralement de la remise en cause de la vision monosp´ecifique et r´eductionniste de
la gestion des pËeches sont nombreuses et bien connues aujourdâhui.
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
19
1.2.3
Un bilan noir de la plan`
ete bleue
Le constat dâ´echec de la gestion des pËeches au niveau mondial est aujourdâhui reconnu
par une grande partie de la communaut´e scientifique (p. ex. Botsford et al., 1997 ;
Jackson et al., 2001 ; Laubier, 2003) et repris par de nombreuses institutions, instances
gouvernementales, organisations non gouvernementales et intergouvernementales (p. ex.
UE, 2001 ; FAO, 2002 ; OCDE, 2003). Ce constat est relativement ais´e puisquâil se
base sur le bilan des diff´erents modes de gestion mis en place depuis plus de vingt ans.
Ceux-ci se traduisent par une surexploitation de la majorit´e des ressources exploit´ees,
une d´egradation croissante des ´ecosyst`emes marins, des capacit´es de production forte-
ment exc´edentaires et une r´ecurrence des conflits dâusage entre les acteurs du monde
de la pËeche (Laubier, 2003). Pour reprendre la typologie de Cochrane (2000), lâ´echec
de la gestion peut Ëetre caract´eris´e par quatre niveaux ou crises : biologique, ´ecologique,
´economique et sociale. Cury et Cayr´e (2001) ajoutent une cinqui`eme dimension relative
`a la perception n´egative de lâactivit´e de pËeche pouvant exister aujourdâhui.
â˘
Une crise
ÂŤ
biologique
Âť
Lâ´evolution des captures mondiales des ann´ees 1950 aux ann´ees 1990 a ´et´e caract´eris´ee
par une augmentation constante, favoris´ee par les d´eveloppements technologiques et
permise par lâexpansion g´eographique de la pËeche en surface et en profondeur (Pauly
et al., 2002, 2003). Elle sâest aussi caract´eris´ee par lâexploitation dâesp`eces toujours plus
bas dans les r´eseaux trophiques (Pauly et al., 1998a). Depuis le d´ebut des ann´ees 1990,
le niveau de production mondiale, en prenant en compte les rejets (Alverson et al.,
1994), les captures non report´ees et la surestimation de la production chinoise (Watson
et Pauly, 2001), atteindrait sa limite maximale (Garcia et De Leiva Moreno, 2003), bien
que les estimations de cette limite puissent grandement varier selon les ´etudes (Pauly,
1996). Au del`a de ce constat de stagnation de la production, lâ´echec de la gestion au
niveau biologique est principalement mis en exergue par le nombre croissant de stocks
surexploit´es dans le monde. Parall`element `a lâeffondrement spectaculaire de plusieurs
pËecheries comme la pËecherie de morue au Canada (Hutchings et Myers, 1994 ; Myers
et al., 1997), la derni`ere synth`ese de la FAO sur la situation mondiale des pËeches et
de lâaquaculture (FAO, 2004) confirme les tendances observ´ees depuis quelques ann´ees,
indiquant une diminution progressive du nombre de stocks sous et mod´er´ement exploit´es,
une stabilit´e des stocks pleinement exploit´es et une augmentation du nombre de stocks
surexploit´es (Fig. 1.6).
Cette surexploitation concerne la majorit´e des compartiments exploit´es des r´eseaux tro-
phiques. Elle a entraËÄąn´e des diminutions significatives de la biomasse dâesp`eces d´emersales
(p. ex. Cook et al., 1997 ; Christensen et al., 2003), p´elagiques (p. ex. Beverton, 1990),
20
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.6
â
´
Evolution temporelle du nombre de stocks sur, sous, mod´er´ement et pleinement exploit´es
(extrait de FAO, 2004). Les stocks sous et mod´er´ement exploit´es sont suppos´es permettre des captures
plus importantes lors dâune augmentation de lâeffort de pËeche. Les stocks pleinement exploit´es sont
consid´er´es proches du MSY, et peuvent se situer l´eg`erement en-dessous ou au-dessus de ce niveau de
capture, du fait dâincertitudes dans les donn´ees et les ´evaluations de stocks. Les stocks surexploit´es et
´epuis´es sont clairement exploit´es au-del`
a du MSY. Les stocks en voie de reconstitution sont g´en´eralement
tr`es bas par rapport aux niveaux historiques (Garcia et De Leiva Moreno, 2003).
de grands fonds (p. ex. Koslow et al., 2000), de grands p´elagiques (p. ex. Myers et
Worm, 2003, 2004), de requins (p. ex. Baum et al., 2003), de raies (p. ex. Brander, 1981
; Casey et Myers, 1998) et de certains mollusques (p. ex. Tegner et al., 1996). Selon une
r´ecente revue de Dulvy et al. (2003), la pËeche serait responsable, sur un total de 133
populations et esp`eces marines ´etudi´ees, de plus de la moiti´e des extinctions observ´ees
au niveau local, r´egional ou global. Ces effets de la pËeche sur les populations cibl´ees et
non cibl´ees semblent particuli`erement ressentis par les esp`eces `a dur´ee de vie longue et
`a faible taux de reproduction (p. ex. Roberts et Hawkins, 1999 ; Jennings et al., 1998,
1999). De plus, les extinctions ne se cantonnent pas uniquement aux pËecheries indus-
trialis´ees du Nord mais peuvent ´egalement avoir lieu dans certaines pËecheries artisanales
(Dulvy et al., 2003).
â˘
Une crise
ÂŤ
´ecologique
Âť
En compl´ement `a cette crise halieutique, il est unanimement reconnu aujourdâhui
que lâexploitation peut par ailleurs avoir un impact ´ecologique tr`es important sur les
´ecosyst`emes marins (GoË
ni, 1998 ; Jennings et Kaiser, 1998 ; Hall, 1999). Lâabondance
dâesp`eces dâoiseaux, de c´etac´es, de poissons et de reptiles est affect´ee par les prises acces-
soires dues aux pËecheries multisp´ecifiques et `a la pËeche fantËome, ceci pouvant conduire
dans certains cas `a lâextinction de populations (Dulvy et al., 2003). De plus, en ciblant
particuli`erement les individus de grande taille, lâexploitation modifie la structure en taille
des communaut´es et conduit progressivement `a une faune globalement domin´ee par des
organismes de petite taille (voir la synth`ese de Shin et al., 2005). Il a ´et´e r´ecemment
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
21
d´emontr´e que ce ciblage pouvait Ëetre `a lâorigine dâune modification et dâune s´election
g´en´etique de traits dâhistoire de vie, tels que lâËage `a maturit´e des populations (p. ex.
Olsen et al., 2004). De plus, les diminutions dâabondance et les changements de struc-
ture de taille li´es `a la pËeche entraËÄąnent souvent des changements dâabondance dâautres
esp`eces via les relations pr´edateurs-proies et peuvent profond´ement modifier la struc-
ture trophique des ´ecosyst`emes marins (p. ex. GoË
ni, 1998 ; Gislason, 2003). Ces effets
dâinteraction varient dâun ´ecosyst`eme `a lâautre, notamment selon le degr´e des contrËoles
ÂŤ
top-down
Âť
ou
ÂŤ
bottom-up
Âť
(Cury et al., 2003 ; Gascuel, 2005). Ils peuvent parfois
entraËÄąner des cascades trophiques (Carpenter et Kitchell, 1988), bien quâelles semblent
plus rares dans les oc´eans que dans les lacs (Sala et al., 1998 ; Pinnegar et al., 2000).
Ces changements au sein des r´eseaux trophiques d´ependent par ailleurs de lâintensit´e
des relations intersp´ecifiques et de la pr´esence dâesp`eces dites cl´es de voË
ute, parfois res-
ponsables de changements majeurs au sein des ´ecosyst`emes (Paine (1969) Mills et al.
(1993)). Enfin, en marge de ces effets, lâimpact de lâexploitation sur les habitats com-
mence `a Ëetre bien connu malgr´e les difficult´es inh´erentes `a la collecte de donn´ees sur de
longues p´eriodes et au manque de zones t´emoins (p. ex. Kaiser, 1998). De nombreuses
´etudes portant majoritairement sur le chalutage et le dragage ont montr´e une r´eduction
de la complexit´e de lâhabitat, une remise en suspension des s´ediments de surface et une
alt´eration de la structure des communaut´es benthiques (Collie et al., 2000 ; Kaiser
et al., 2000, 2002), pouvant notamment entraËÄąner des variations des processus de pro-
duction (Jennings et al., 2001a). Bien que tous ces effets
ÂŤ
´ecologiques
Âť
commencent
`a Ëetre progressivement d´ecrits et analys´es, la complexit´e des ´ecosyst`emes marins et le
manque de bases th´eoriques sur leur fonctionnement soul`event de nombreuses interroga-
tions sur les cons´equences possibles de ces effets, leur degr´e de r´eversibilit´e et la r´esilience
des ´ecosyst`emes aux perturbations (Cury et al., 2003). Quoiquâil en soit et malgr´e la
difficult´e de distinguer la part de ces changements pouvant Ëetre imput´ee `a la pËeche ou
`a des ph´enom`enes naturels tel que le r´echauffement climatique, la gestion actuelle bas´ee
sur des ´evaluations monosp´ecifiques semble insuffisante pour consid´erer lâensemble des
effets de lâexploitation sur les ´ecosyst`emes marins.
â˘
Une crise
ÂŤ
´economique
Âť
Ces crises biologiques et ´ecologiques sont compl´et´ees par des probl`emes ´economiques dont
la surcapacit´e de production, identifi´ee comme un facteur cl´e des limites de la gestion
actuelle des pËeches (p. ex. FAO, 1995). La surcapacit´e en ´equipements et main dâĹuvre
consid´er´ee en partie responsable de la surexploitation g´en`ere notamment des surcoË
uts
dâusage li´es `a lâusure progressive des moyens de production et des coË
uts dâopportunit´e
(Troadec et al., 2003). Cette surcapitalisation au niveau mondial serait principalement
due au syst`eme de droits de propri´et´e bas´e sur le libre acc`es `a la ressource de la plupart
des pËecheries, le manque de coop´eration entre pËecheries partageant des stocks communs,
le remplacement des bateaux de la pËeche artisanale par des navires plus grands et lâac-
22
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
cord dâaides publiques permettant de g´en´erer des profits bien que les stocks cibl´es soient
surexploit´es (Pauly et al., 2002). Christy (1997) cit´e par Cochrane (2000) a ainsi mis en
´evidence pour la flotte de pËeche mondiale au d´ebut des ann´ees 1990 un d´eficit dâexploi-
tation de plus de 40 milliards de dollars (en excluant lâex-URSS) et une rente dissip´ee de
lâordre de 20 milliards de dollars, le tout conduisant `a une perte dâenviron 60 milliards
de dollars par an.
â˘
Une crise
ÂŤ
sociale
Âť
`
A cette crise ´economique se superposent des cons´equences sociales n´egatives, notamment
en termes de diminution dâemplois dans les secteurs de la pËeche. La modernisation des
flottilles, associ´ee `a la mondialisation des march´es, a men´e `a une industrialisation et
une urbanisation des pËecheries, entraËÄąnant un passage de pouvoir des producteurs aux
mareyeurs (Cochrane, 2000). Cette transition associ´ee `a la surexploitation de la ressource
a eu des effets n´egatifs sur lâemploi dans les pËecheries et ´egalement des r´epercussions
sur les autres secteurs de la fili`ere (FAO, 2002). En Europe, les mesures de sortie de
flotte instaur´ees par la PCP visant `a la diminution de la surcapacit´e ont soulev´e des
questions essentielles relatives au d´eplacement et `a la reconversion des navires et des
pËecheurs (FAO, 2002). En France, le nombre de marins embarqu´es a continuellement
diminu´e au cours des ann´ees 1990 pour passer dâenviron 20 000 en 1988 `a un peu moins
de 15 000 en 2000, la longueur des carri`eres diminuant ´egalement au cours du temps et
refl´etant le marasme de la profession (Podevin et Checcaglini, 2003). La probl´ematique
des impacts sociaux inh´erents `a la mise en place de politiques de gestion est complexe
et souvent abord´ee de mani`ere restrictive. Elle n´ecessiterait cependant dâËetre ´elargie et
de traiter explicitement les objectifs de gestion li´es au bien-Ëetre de la soci´et´e (Rey et
Cunningham, 2003). Ainsi, lâint´egration dâune dimension sociologique et anthropologique
dans lâam´enagement des pËecheries semble une composante indispensable de la gestion,
dans le contexte actuel de crise du secteur des pËeches (Townsley, 1998). Elle devrait de
plus permettre dâaccroËÄątre lâefficacit´e de ces mesures.
â˘
Une crise
ÂŤ
scientifique
Âť
Enfin, il semble int´eressant dâajouter `a ce bilan lâexistence dâune crise scientifique ob-
servable `a plusieurs niveaux. Dâune part, la fracture entre scientifiques et professionnels
en Europe sâest accentu´ee au cours de la derni`ere d´ecennie, notamment du fait de di-
minutions significatives des TAC de certains stocks dâimportance commerciale majeure.
La remise en question de la capacit´e des scientifiques `a ´evaluer avec pr´ecision lâ´etat
des stocks et les niveaux dâexploitation appropri´es a atteint une dimension politique
en d´ecembre 2002 avec lâintervention du Pr´esident fran¸cais Jacques Chirac r´eclamant
une
ÂŤ
vraie ´etude de fond
Âť
sur les questions dâ´evaluation. Ce lien tr`es fort pouvant
exister entre avis scientifique caract´eris´e par un certain degr´e dâincertitude, dimension
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
23
´economique et sociale de lâactivit´e de pËeche et d´ecision politique constitue lâune des ca-
ract´eristiques de la gestion actuelle sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin. Le
rËole grandissant au niveau international de lobbys ´ecologistes envers les probl´ematiques
environnementales a ´egalement soulev´e des oppositions assez nettes avec le point de vue
des scientifiques d´efendant la gestion conventionnelle des pËecheries, bien que les objectifs
g´en´eraux puissent converger sur de nombreux points.
Finalement, de vifs d´ebats existent au sein mËeme de la communaut´e scientifique entre
les partisans dâune nouvelle approche de lâam´enagement des pËecheries plus centr´ee sur
lâ´ecosyst`eme et les d´efenseurs des approches classiques de dynamique des populations
(Browman et Stergiou, 2004). Ces derniers se refusent `a voir dans lâ´echec actuel de la
gestion la responsabilit´e des approches monosp´ecifiques, consid´erant que ces m´ethodes
sont pertinentes mais quâelles ont rarement ´et´e totalement appliqu´ees par les politiques
(Hilborn, 2004 ; Mace, 2001, 2004). De plus, ils demeurent sceptiques quant `a lâefficacit´e
dâune approche holistique men´ee sur des syst`emes complexes quand la gestion a montr´e
ses limites dans des cas simples et bien document´es de stocks surexploit´es (Mace, 2004) :
ÂŤ
Given the record of fisheries management to date, it is difficult to unders-
tand the reasoning that leads to the conclusion that ecosystem-based ap-
proaches will succeed where single-species approaches have failed. If one of
the major failings of single-species management has been the lack of political
will to curtail allowable catches, what is the basis for thinking that there will
be greater political will to implement probably-even-more restrictive limits
on catches, in addition to other management measures ?
Âť
Malgr´e les d´ebats pouvant exister sur lâampleur exacte des effets de la pËeche et les
solutions `a apporter dans le futur (Browman et Stergiou, 2004), il est aujourdâhui majo-
ritairement admis par lâensemble des acteurs du monde de la pËeche que les modalit´es de
gestion en vigueur depuis plus de 20 ans ne sont pas parvenues `a concilier les objectifs
de production et de conservation des ressources marines. La vision n´egative de lâ´etat
g´en´eral des ressources marines mondiales et les cons´equences ´economiques, sociales et
alimentaires qui lui sont li´ees soul`event la question essentielle des raisons de ce bilan.
Un grand nombre de facteurs y ont contribu´e `a diff´erents degr´es et ce, malgr´e la mise
en place pr´ecoce de structures de suivi scientifique.
1.2.4
De la probl´
ematique ´
ecologique `
a la d´
ecision politique
Toujours en se basant sur lâanalyse de Cochrane (2000), les d´efaillances de lâam´enagement
des pËecheries peuvent se r´esumer en quatre points : lâincertitude biologique, les priorit´es
24
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
sociales et ´economiques, lâimpr´ecision des objectifs et la faiblesse des syst`emes de gou-
vernance.
Les probl`emes dâincertitude sur les observations et les dynamiques des populations ma-
rines sont lâune des caract´eristiques fondamentales des sciences halieutiques et sont li´es
`a une variabilit´e naturelle tr`es importante pouvant cacher les effets de la pËeche, la sur-
exploitation ´etant g´en´eralement d´etectable une fois que le stock est d´ej`a s´ev`erement et
souvent irr´eversiblement surexploit´e (Hilborn et Walters, 1992 ; Ludwig et al., 1993).
Plusieurs sources dâincertitude se superposent : au niveau des observations, des pa-
ram`etres des mod`eles, de la structure des mod`eles et des processus physiques et biolo-
giques affectant les stocks (Francis et Shotton, 1997 ; Hilborn et Mangel, 1997). La part
variable de ces composantes concourt aux difficult´es quâont les scientifiques `a ´evaluer
lâ´etat des stocks et `a estimer avec pr´ecision des TAC pour lâann´ee suivante. Lâincerti-
tude peut ainsi mener `a d´efinir des niveaux de
ÂŤ
risque
Âť
acceptables en fixant parfois des
TAC plus bas quâils ne pourraient lâËetre si plus dâinformation ´etait disponible (Cochrane
et al., 1998). La prise en compte de lâincertitude en gestion des pËeches est in´evitable
mais se doit dâËetre exprim´ee explicitement et de mani`ere transparente de la part des
scientifiques. Lâ´emergence depuis quelques ann´ees des statistiques Bay´esiennes et leur
utilisation en halieutique afin de formaliser math´ematiquement lâincertitude semble une
approche prometteuse dans cette perspective de communication plus transparente avec
les gestionnaires (Punt et Hilborn, 1997 ; McAllister et Kirkwood, 1998).
Le d´ecalage pouvant exister entre les avis scientifiques et les d´ecisions politiques apparaËÄąt
comme le deuxi`eme facteur cl´e des carences de la gestion (Fig. 1.7). La priorit´e est
souvent donn´ee par les gestionnaires `a des questions ´economiques et sociales sur le court
terme au d´etriment des objectifs de durabilit´e de lâexploitation et de la conservation
des ressources marines (Corten, 1996 ; Cochrane et al., 1998). Au niveau de lâUnion
Europ´eenne, le caract`ere limit´e et renouvelable des mandats politiques et la n´ecessit´e de
consid´erer un ensemble de probl´ematiques peut g´en´erer des rapports de force lors des
conseils des ministres et conduire `a des n´egociations souvent longues et difficiles. De fait,
des diminutions importantes de TAC dâune ann´ee sur lâautre soul`event g´en´eralement de
vives r´eactions de la part de la profession (manifestations, gr`eves, etc.), compte tenu du
manque de flexibilit´e des activit´es ´economiques en jeu et des emplois qui en d´ependent.
Ainsi et bien quâelle puisse apparaËÄątre en contradiction avec les avis scientifiques, une
surexploitation des stocks peut Ëetre d´esirable du point de vue politique afin de maintenir
`a la fois les activit´es de la fili`ere pËeche et une relative paix sociale (Corten, 1996). Ces
d´ecisions politiques peuvent Ëetre de plus influenc´ees par la pr´esence de nombreux groupes
de pression `a Bruxelles dont le but avou´e est de d´efendre soit les int´erËets de la profession,
soit au contraire la conservation de lâenvironnement. Ces grandes orientations des choix
politiques ont men´e en 2002 `a une scission au sein des pays de lâUnion Europ´eenne entre
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
25
Fig.
1.7
â
Exemple de d´ecalage entre recommandation scientifique (blanc) et d´ecision politique (gris)
au travers de lâ´evolution des TAC pour quelques stocks europ´eens de 2002 `
a 2003. On voit par exemple
pour le merlu Nord que le CIEM a recommand´e une diminution TAC de pr`es de 50% et quâune aug-
mentation de 10% a ´et´e d´ecid´ee `
a lâissue du Conseil des ministres.
ÂŤ
les amis de la pËeche
Âť
estimant que les pËecheurs ne sont pas une variable dâajuste-
ment et
ÂŤ
les amis du poisson
Âť
, consid´er´es comme plus soucieux de la rar´efaction des
ressources halieutiques. Le manque de coh´erence entre ´evaluations scientifiques et me-
sures appliqu´ees provient ´egalement de lâimpr´ecision existant sur les objectifs de gestion
quand ils sont d´efinis et de leur absence de dimension op´erationnelle (Francis et Shot-
ton, 1997 ; Cochrane, 2000). `
A titre dâillustration, une gestion bas´ee sur la pr´eservation
de la biomasse f´econde de chaque stock semble inadapt´ee, voire impossible, lorsque les
relations intersp´ecifiques sont prises en compte (Gislason, 1999). De plus, la difficult´e de
d´efinir des objectifs communs augmente souvent avec le nombre dâacteurs en pr´esence.
Ce qui explique les difficult´es rencontr´ees par les partenaires de la PCP pour parvenir `a
un consensus.
En dernier lieu, un facteur consid´er´e comme responsable de lâinefficacit´e de la gestion
r´eside dans le caract`ere dâacc`es libre de la ressource et dans lâapproche
ÂŤ
top-down
Âť
des gouvernements en mati`ere de gestion. Les probl`emes inh´erents `a lâacc`es libre d´ej`a
mentionn´es auparavant sont connus depuis longtemps et conduisent `a une dissipation
de la rente ´economique et `a une surexploitation in´evitable. La r´egulation de lâacc`es in-
dividuel aux ressources, bas´ee sur des variables (effort, captures) et des m´ethodes de
contrËole (normes administratives ou m´ethodes incitatives), constitue alors une des ques-
tions cl´es de lâam´enagement des pËecheries (Troadec et BoncĹur, 2003). Bien quâelle
26
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
puisse diminuer les coË
uts de consultation, lâapproche
ÂŤ
top-down
Âť
et la centralisation
de la gestion conduisent g´en´eralement `a une faible communication, des d´ecisions peu
efficaces et une non-acceptation des r`egles et des lois par les acteurs de la profession
(Cochrane, 2000). Ce manque de l´egitimit´e des processus de gestion pour les pËecheurs
entraËÄąne des comportements de fraude, braconnage, march´e noir et sous-d´eclaration des
captures et soul`eve le probl`eme des coË
uts de contrËole. De plus, lâaspect technique et peu
transparent des avis scientifiques et la mont´ee des groupes ´ecologistes aboutissent dans
un nombre croissant de situations `a des demandes de contre-expertise des ´evaluations
scientifiques et `a des recours devant les tribunaux. Le d´eveloppement dâapproches parti-
cipatives ayant pour objectif dâint´egrer les diff´erents acteurs de la zone cËoti`ere au cĹur
des processus dâam´enagement fait aujourdâhui partie des revendications des institutions
en charge des politiques publiques (p. ex. CEL, 2002). La mise en Ĺuvre de d´emarches
de gestion concert´ee peut dans certains cas favoriser la communication entre acteurs
et conduire `a une meilleure acceptation des d´ecisions et modes de gestion en vigueur
(Pennanguer, 2005). Au niveau communautaire, la mise en place actuelle des comit´es
consultatifs r´egionaux (CCR) d´ecentralis´es apparaËÄąt comme une avanc´ee afin de faire
face au d´eficit de concertation existant et reconnu par la Commission europ´eenne dans
son livre vert (UE, 2001).
Un ensemble de facteurs ont contribu´e `a lâinefficacit´e de lâam´enagement des pËecheries tel
quâil a ´et´e con¸cu depuis une trentaine dâann´ees, et ce malgr´e ses ´evolutions au cours de
cette p´eriode. Globalement, il est tout de mËeme n´ecessaire de relativiser ce constat (Hil-
born, 2004) et de se demander quel serait le bilan actuel en lâabsence totale de gestion
au cours de cette p´eriode. N´eanmoins, lâ´etat des ressources marines offre aujourdâhui
une vision pessimiste des perspectives de pËeche et de conservation pour lâavenir. Lâaug-
mentation de la population mondiale qui devrait atteindre 8.9 milliards dâhabitants en
2050 (UN, 2004), la demande croissante en produits de la mer (Failler et al., 2003),
associ´ees aux limites dâexpansion des pËecheries (Pauly et al., 2003) et aux questions sur
le r´etablissement possible des stocks surexploit´es (Hutchings, 2000 ; Dulvy et al., 2004
; Myers et Worm, 2004) font peser de funestes pr´esages sur le futur des pËecheries (Cury
et Cayr´e, 2001). Une telle ´evolution pourrait notamment entraËÄąner une augmentation
des prix et une concentration progressive du march´e entre les mains de quelques riches
nantis, au d´etriment de populations directement d´ependantes des prot´eines du poisson
quâelles pËechent (Kent, 1997 ; Delgado et al., 2003). `
A titre dâillustration, citons le
cas du thiof (
Epinephelus aenus
) qui formait il y a encore quelques ann´ees la base du
plat traditionnel S´en´egalais, le
ÂŤ
thiboudien
Âť
, et qui a ´et´e progressivement remplac´e
par la sardinelle (
Sardinella spp.
) car il est devenu un produit majoritairement destin´e
`a lâexportation vers lâEurope.
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
27
1.2.5
Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
Depuis une dizaine dâann´ees, un nombre croissant dâarticles (p. ex. Botsford et al., 1997
; Pitcher, 2000 ; Pauly et al., 2002 ; Pikitch et al., 2004), dâouvrages (p. ex. Hall,
1999) et de conf´erences (Hollingworth, 2000 ; Sinclair et Valdimarsson, 2003 ; Daan
et al., 2005a) revendiquent la mise en place dâune gestion ´ecosyst´emique des pËeches
en r´eponse `a lâ´echec des approches conventionnelles. Selon Sherman (1991), les origines
de cette approche remonteraient `a une conf´erence du CIEM organis´ee en 1975 sur les
changements dâabondance des stocks de mer du Nord. Le cadre l´egal dans lequel elle
sâinscrit aurait ensuite ´et´e d´efini en grande partie par la Convention du droit de la mer
de 1982. Lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches implique un transfert de lâobjet dâ´etude,
en passant de la population exploit´ee `a lâensemble de lâ´ecosyst`eme marin. Elle sâinscrit
dans le courant r´ecent de gestion ´ecosyst´emique, mis en place en 1992 dans le domaine
de la foresterie aux ´
Etats Unis, qui implique une vision holistique et philosophiquement
novatrice de la gestion des ressources.
1.2.5.1
Des origines conservationnistes
Bien que la gestion ´ecosyst´emique ait ´emerg´e au cours des ann´ees 1990, ses racines
sont plus anciennes et remonteraient aux ann´ees 1930 aux ´
Etats Unis, avec lâapparition
des pionniers des approches conservationnistes : Georges Perkins Marsh, John Muir
et Aldo Leopold. Selon Cortner et Moote (1999), la gestion ´ecosyst´emique serait issue
dâun changement des valeurs soci´etales, dâun accroissement important de la connaissance
scientifique sur les ´ecosyst`emes et du gain dâexp´erience et dâapprentissage li´e aux efforts
r´ealis´es pour mettre en place de nouvelles approches de gestion des ressources. Le concept
de gestion ´ecosyst´emique constitue une ´etape dans lâ´evolution continuelle des valeurs et
priorit´es de la soci´et´e (Lackey, 1998). Malgr´e la diversit´e de sens et d´efinitions possibles
du concept (Christensen et al., 1996), Lackey (1998) propose une d´efinition :
ÂŤ
The application of ecological and social information, options, and
constraints to achieve desired social benefits within a defined geographic
area and over a specified period.
Âť
La gestion ´ecosyst´emique se base donc avant tout sur lâ´ecosyst`eme, concept d´efini formel-
lement par Tansley (1935) quâil consid`ere comme lâunit´e de base de la nature, y incluant
`a la fois les organismes et lâenvironnement physique dans lequel ils vivent. Lâ´ecosyst`eme
constitue donc le paradigme standard pour ´etudier les syst`emes ´ecologiques. En mËeme
temps, il est maintenant reconnu que ces syst`emes sont m´etastables et adaptatifs,
g´en´eralement loin de lâ´equilibre (OâNeill, 2001). En dâautres termes, les ´ecosyst`emes
28
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
varient continuellement le long de gradients complexes spatiaux et sont constamment
modifi´es au cours du temps (Christensen et al., 1996). La sp´ecification de leurs limites
se fait donc de mani`ere op´erationnelle afin de pouvoir les ´echantillonner, les ´etudier et
comprendre les processus propres `a leur fonctionnement (Christensen et al., 1996).
1.2.5.2
D´
efinir un cadre de gouvernance
Le transfert des concepts de gestion ´ecosyst´emique au domaine des pËeches dans la pers-
pective de modifier les approches dâam´enagement sâinscrit dans la continuit´e dâun pro-
cessus dâ´evolution des institutions en charge des pËecheries. Toutes les modalit´es relatives
`a la mise en place dâune approche ´ecosyst´emique au secteur des pËeches sont pr´esent´ees en
d´etail dans un rapport technique publi´e en 2003 par la FAO (Garcia et al., 2003). Bien
quâelle soit proche des principes de la gestion ´ecosyst´emique, lâAEP se d´efinit comme un
cadre de gouvernance des pËecheries et a pour objectif dâaborder une plus large gamme
de sujets que la simple gestion, dâo`
u le terme retenu dâapproche. La sp´ecification des
diff´erents principes de cette approche sâest principalement faite lors dâune consultation
dâexperts `a Reykjavik en 2002, reconnaissant que :
ÂŤ
The purpose of an ecosystem approach to fisheries is to plan, develop and
manage fisheries in a manner that addresses the multiplicity of societal needs
and desires, without jeopardizing the options for future generations to benefit
from a full range of goods and services provided by marine ecosystems.
Âť
On retrouve les notions essentielles de reconnaissance des biens et des services fournis par
les syst`emes naturels et de durabilit´e mentionn´ees auparavant comme caract´eristiques
fondamentales de la gestion ´ecosyst´emique. Lâ´emergence de lâAEP est `a replacer dans le
contexte actuel de crise du secteur des pËeches (Section 1.2.3) mais sâappuie sur un certain
nombre dâinstruments internationaux adopt´es au cours des 30 derni`eres ann´ees, princi-
palement sous la forme de conventions internationales (p. ex. Convention de 1973 sur le
commerce international des esp`eces de faune et de flore sauvages menac´ees dâextinction)
et de conf´erences (p. ex. Conf´erence des Nations Unies de 1992 sur le d´eveloppement
et lâenvironnement) formant les bases du d´eveloppement durable (Garcia et Cochrane,
2005). Le code de conduite pour une pËeche responsable (FAO, 1995) vise `a int´egrer
les diff´erents objectifs conceptuels et principes fondateurs d´efinis par ces instruments
internationaux afin de fournir un cadre de r´ef´erence pour une exploitation durable des
ressources bio-aquatiques dans le respect de lâenvironnement. Il se compose de 12 articles
qui traitent globalement de la majorit´e des aspects de lâAEP : respect de lâ´ecosyst`eme,
prise en compte de lâenvironnement, maintien de la biodiversit´e, consid´eration des re-
lations intersp´ecifiques, ´evaluation des effets de la pËeche, reconnaissance de lâimpact
1.2 ´
Evolution progressive ou r´
evolution in´
eluctable de la gestion des pË
eches ?
29
dâautres activit´es anthropiques, minimisation des rejets et du gaspillage, am´elioration
de la gouvernance, application de lâapproche de pr´ecaution et mise en place dâune ap-
proche int´egr´ee dans la gestion de la zone cËoti`ere (Garcia et al., 2003). LâAEP constitue
une ´etape suppl´ementaire dans cette modification de lâam´enagement des pËecheries puis-
quâelle aborde de mani`ere plus compl`ete la mise en Ĺuvre des principes ´edict´es par le
code de conduite. Les concepts li´es `a lâAEP sont r´esum´es en 17 principes par Garcia
et al. (2003) : 1) reconnaËÄątre lâinterd´ependance existant entre le bien-Ëetre de lâHomme
et de lâ´ecosyst`eme 2) reconnaËÄątre le caract`ere ´epuisable des ressources 3) contrËoler lâac-
tivit´e de pËeche en termes de capacit´e, dâengins et de pratiques 4) ´etablir le MSY comme
une limite `a ´eviter et non comme une cible `a atteindre 5) ne pas surexploiter de mani`ere
irr´eversible les ressources 6) minimiser les impacts sur les esp`eces captur´ees accessoire-
ment et les esp`eces prot´eg´ees ou en voie dâextinction 7) r´etablir les stocks surexploit´es 8)
maintenir la biodiversit´e et les processus ´ecologiques qui permettent cette biodiversit´e
et la productivit´e des ressources 9) prendre en compte les relations intersp´ecifiques 10)
assurer un cadre politique, l´egal et institutionnel pour permettre une utilisation durable
et int´egr´ee des ressources 11) reconnaËÄątre et prendre en consid´eration lâincertitude et les
risques li´es au caract`ere complexe et difficilement pr´evisible des ´ecosyst`emes marins 12)
assurer une coh´erence des mesures de gestion entre zones juridiques distinctes 13) appli-
quer le principe du pollueur-payeur 14) appliquer le principe de lâutilisateur-payeur 15)
appliquer le principe et lâapproche de pr´ecaution 16) augmenter la participation directe
des acteurs `a la prise de d´ecision 17) assurer et pr´eserver lâ´equit´e dans toutes ses formes.
1.2.5.3
Un projet ambitieux
Au travers de ces diff´erents principes inter reli´es et des multiples objectifs sous-jacents,
lâAEP apparaËÄąt ainsi comme un ambitieux projet qui aborde un grand nombre de
th´ematiques dans les domaines scientifiques, ´economiques, politiques, juridiques et so-
ciaux. Cette vision holistique des probl´ematiques li´ees `a la pËeche constitue le cĹur de
lâAEP et apparaËÄąt logique et souhaitable compte tenu des diff´erents rËoles que peuvent
jouer les activit´es de pËeche au niveau mondial (Section 1.2.1). Le caract`ere prot´eiforme de
lâAEP appelle explicitement `a la n´ecessit´e de changer les ´echelles de perception actuelles
de la gestion. Ce passage du stock `a lâ´ecosyst`eme, du court terme au long-terme, des ac-
teurs de la pËeche `a la soci´et´e enti`ere, pose un ensemble de questions et de probl´ematiques
scientifiques qui vont certainement n´ecessiter du temps et des moyens avant de parvenir
`a atteindre les multiples objectifs d´efinis par lâAEP.
Une des difficult´es majeures r´eside ainsi dans la transposition des instructions et propo-
sitions politiquement et ´ethiquement correctes de lâAEP en termes op´erationnels (Garcia
et Cochrane, 2005). Ceci n´ecessite du point de vue scientifique de d´efinir les objectifs
30
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
`a long-terme, de d´eterminer les indicateurs pertinents et les valeurs de r´ef´erence qui
sont associ´ees aux ´etats d´esir´es et non d´esir´es de lâ´ecosyst`eme et de mettre en place
des proc´edures de collecte des donn´ees et de d´eveloppement dâoutils dâanalyse et de
mod`eles adapt´es (Cury et al., 2005a). La vision `a long-terme de cette approche peut
sembler difficile compte tenu de lâaspect complexe et impr´evisible des ´ecosyst`emes qui
limite le caract`ere pr´edictif des mod`eles (Mace, 2001). Afin de tenir compte du manque
de compr´ehension des dynamiques des syst`emes naturels, des approches scientifiques
innovantes telles que lâapplication de la th´eorie de la viabilit´e au domaine des pËeches
semblent prometteuses malgr´e certaines difficult´es techniques pouvant exister (Mullon
et al., 2004 ; Cury et al., 2005a).
De par sa dimension holistique, lâAEP appelle ´egalement `a une augmentation importante
des ´echanges scientifiques entre les diff´erents domaines concern´es. La n´ecessit´e dâinter-
disciplinarit´e se traduit ainsi par le d´eveloppement r´ecent dâapproches de couplage entre
mod`eles physiques et biologiques pour mieux comprendre les facteurs responsables de la
variabilit´e des ressources marines (p. ex. Allain et al., 2001). De mËeme, consid´erer les
effets ´economiques et sociaux au sein dâune r´egion suivant la mise en place de diff´erentes
options dâam´enagement possibles, en promouvant des travaux communs entre biologistes,
´ecologues et ´economistes, apparaËÄąt comme une approche pertinente dans le contexte glo-
bal de lâAEP (cf. chapitre 5).
1.2.6
Conclusion
LâAEP constitue une ´etape importante dans lâ´evolution de la gestion des pËeches en sâap-
puyant sur un certain nombre de principes de la gestion ´ecosyst´emique et en tentant de
leur attribuer une dimension op´erationnelle (Garcia et al., 2003). Elle sâinscrit dans une
d´emarche adaptative pour pouvoir ajuster les objectifs de gestion `a lâ´evolution de lâ´etat
des ´ecosyst`emes. Cependant, cette approche en est aux tout premiers stades de sa mise en
Ĺuvre et un long travail de la part de tous les acteurs reste `a entreprendre pour progres-
sivement changer de paradigme de gestion (Garcia et Cochrane, 2005). Cette transition
devrait engendrer des coË
uts importants li´es `a la n´ecessit´e dâaccroËÄątre les connaissances
scientifiques sur les ´ecosyst`emes et au transfert de syst`eme de gouvernance (Cury et al.,
2005a). La mise en place de cette approche d´ependra notamment de la capacit´e de ses
d´efenseurs `a mobiliser lâensemble des scientifiques, pËecheurs et d´ecideurs vis-`a-vis de la
n´ecessit´e de ce changement, mais surtout `a convaincre de son efficacit´e par rapport aux
pratiques actuelles en gestion des pËeches. LâAEP ne constitue pas une r´evolution en
soi mais une ´evolution puisquâelle reconnaËÄąt tout comme lâapproche conventionnelle des
pËeches que lâ´echec actuel de la gestion est principalement li´e `a des taux de mortalit´e
par pËeche excessifs, une surcapacit´e des flottilles, un manque de connaissance sur les
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
31
´ecosyst`emes et une inefficacit´e des syst`emes de gouvernance (Mace, 2004). Elle devra
ainsi sâappuyer en partie sur lâh´eritage important et disponible de lâ´evaluation des stocks
pour passer dâune phase de r´eflexion et de grands principes `a une phase op´erationnelle
et adaptative.
1.3
De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels
en halieutique
Afin de d´evelopper, planifier et g´erer les pËecheries, pour reprendre les termes de lâAEP,
il est au pr´ealable n´ecessaire de comprendre, au moins partiellement, les dynamiques des
ressources marines et dâ´evaluer leur ´etat pour pouvoir adapter lâeffort de pËeche et mettre
en place les mesures permettant de r´epondre au mieux aux objectifs de gestion. Pour
ce faire, les sciences halieutiques ont fait tr`es tËot appel `a des approches de mod´elisation
dans le but de g´en´erer et tester des hypoth`eses sur des ph´enom`enes observ´es et me-
sur´es au sein des ´ecosyst`emes marins. Selon Hollowed et al. (2000), lâobjectif final de
tous les mod`eles d´evelopp´es en halieutique est de comprendre et dâinformer les gestion-
naires des cons´equences possibles des activit´es de pËeche. Un mod`ele est une abstraction
qui simplifie le syst`eme r´eel ´etudi´e en ignorant une partie de ses caract´eristiques pour
sâint´eresser uniquement aux aspects qui d´efinissent la probl´ematique du mod`ele et qui
int´eressent le mod´elisateur (Coquillard et Hill, 1997). Il existe ainsi un parall`ele ´evident
entre lâ´evolution de lâam´enagement des pËecheries dâun cadre monosp´ecifique `a une vision
holistique, et le caract`ere toujours plus global des mod`eles utilis´es en halieutique pour
´evaluer lâ´etat des ressources et comprendre les effets de la pËeche et de lâenvironnement
sur les ´ecosyst`emes.
Les mod`eles ont ´evolu´e et se sont diversifi´es depuis plus dâun si`ecle, notamment du fait
de lâ´emergence de calculateurs toujours plus puissants devenus disponibles via lâessor de
la micro-informatique. Il en existe une large gamme dont la classification peut se faire
par dichotomies successives entre d´eterministes/stochastiques, fonctionnels/statistiques,
statiques/dynamiques, analytiques/de simulation et quantitatifs/qualitatifs (Millischer,
2000). Nous pr´esenterons dans cette section les mod`eles les plus courants en halieutique
en insistant tout particuli`erement sur le continuum entre les approches monosp´ecifiques,
centr´ees sur la population exploit´ee comme objet dâ´etude, et la mod´elisation de
lâ´ecosyst`eme entier, qui ne va pas sans poser de nombreuses difficult´es sur les plans
th´eoriques et techniques. Les mod`eles globaux et analytiques forment en particulier le
corpus th´eorique `a partir duquel sera d´evelopp´ee une m´ethodologie dâestimation des fonc-
tions de production des stocks dâint´erËet majeur pour le d´epartement du Finist`ere (cf.
Chapitre 2). La revue des mod`eles multisp´ecifiques et de r´eseau trophique vise `a intro-
32
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
duire les concepts ´ecologiques sous-jacents au simulateur multisp´ecifique du Chapitre 4.
Nous nâaborderons pas en revanche les approches ´etablissant le lien entre dynamiques
des ressources et des flottilles (p. ex. Mah´evas et Pelletier, 2004). Certains de ces mod`eles
seront cependant discut´es dans le cinqui`eme chapitre de cette th`ese pr´esentant le cou-
plage entre biologie et ´economie dans un mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC)
appliqu´e au secteur des pËeches.
1.3.1
Lâ´
evaluation
de
stock
au
cĹur
de
la
gestion
monosp´
ecifique
Les mod`eles classiques de dynamique des populations exploit´ees se distinguent en deux
grandes cat´egories : les mod`eles globaux (ou mod`eles de production) qui consid`erent
le stock comme une boËÄąte noire et en d´ecrivent les entr´ees et les sorties, et les mod`eles
analytiques qui sâint´eressent aux processus affectant le stock (Laurec et Le Guen, 1981).
`
A ces deux types dâapproches sâajoutent les mod`eles reliant le succ`es du recrutement `a
la taille du stock parental. Ces grands types dâapproches monosp´ecifiques ont ´evolu´e
progressivement et plus ou moins en parall`ele au cours du si`ecle pour conduire de nos
jours `a des m´ethodes performantes et statistiquement robustes appliqu´ees en routine
pour lâ´evaluation de stock (Fig. 1.8 ; Caddy, 1999).
1.3.1.1
Une unique variable dâint´
erË
et, la biomasse exploit´
ee
Les mod`eles globaux sont les mod`eles les plus simples utilis´es en halieutique et ont
constitu´e pendant une longue p´eriode les outils majeurs dâ´evaluation pour de nombreuses
pËecheries. Par rapport `a la typologie pr´ec´edente, Hilborn et Walters (1992) consid`erent
quâils forment le noyau central des mod`eles utilis´es en halieutique `a partir duquel peuvent
Ëetre envisag´ees des extensions dans quatre directions : 1) structure en Ëage 2) relations
multisp´ecifiques et environnementales 3) dimension spatiale 4) dynamiques des flottilles.
Ces mod`eles ne prennent en compte quâune seule variable explicative, lâeffort de pËeche
exerc´e sur le stock et d´ecrivent la population totale par une unique variable dâ´etat,
la biomasse exploit´ee. Ils se sont d´evelopp´es `a partir du mod`ele de base lin´eaire de
Graham-Schaefer (Graham, 1935 ; Schaefer, 1954) dâo`
u sont d´eriv´es le mod`ele exponen-
tiel (Garrod, 1969 ; Fox, 1970) et le mod`ele g´en´eralis´e de Pella et Tomlinson (1969). Les
mod`eles globaux sont g´en´eralement critiqu´es du fait de leur simplicit´e et des r´esultats
absurdes auxquels leur utilisation a parfois conduit, les mod`eles structur´es en Ëage leur
´etant g´en´eralement pr´ef´er´es (Hilborn et Walters, 1992). Cependant, des ´etudes compa-
ratives entre les deux types dâapproches ont permis de r´ehabiliter les mod`eles globaux
en montrant leur int´erËet et leur coh´erence en terme dâ´evaluation de stock par rapport
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
33
Fig.
1.8
â
Origine des trois ´ecoles de pens´ee en ´evaluation des stocks. `
A gauche, mod`eles globaux
des populations soumises `
a une pression de pËeche. Au milieu : mod`eles dâanalyses de cohortes ´etablis
`
a partir de donn´ees aux tailles et aux Ë
ages. `
A droite : mod`eles exprimant la relation entre le succ`es du
recrutement et la taille du stock reproducteur (adapt´e de Caddy, 1999).
aux approches analytiques (Ludwig et Walters, 1985). De plus, ces mod`eles sont tou-
jours utilis´es, notamment au sein de la majorit´e des commissions thoni`eres, du fait des
difficult´es inh´erentes `a lâËageage et `a la collecte des donn´ees dans de nombreuses pËecheries
tropicales (Hilborn et Walters, 1992).
34
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Lâapproche globale correspond `a une vision tr`es simplifi´ee des dynamiques des popu-
lations exploit´ees. Lâhypoth`ese principale est que le stock `a lâ´etat vierge tend vers une
situation dâ´equilibre. Ceci suppose lâexistence de m´ecanismes de r´egulation et de com-
pensation internes au stock impliquant que toute diminution dâabondance, notamment
celles induites par la pËeche, conduise `a une augmentation de la productivit´e du stock. Les
m´ecanismes permettant ces r´eactions ne sont pas mod´elis´es de mani`ere explicite mais
sugg`erent des ph´enom`enes de densit´e-d´ependance qui impliquent que la croissance de la
population nâest pas simplement li´ee `a la biomasse (cas dâune croissance exponentielle de
type Malthusien), mais quâelle d´epend ´egalement de la capacit´e biotique, repr´esentant la
taille de la niche ´ecologique au sein de laquelle vit la population. La densit´e-d´ependance
sugg`ere une augmentation de la comp´etition intrasp´ecifique pour la nourriture ou lâhabi-
tat lorsque la biomasse augmente, g´en´erant une diminution de productivit´e sous la forme
dâune
ÂŤ
fonction de freinage
Âť
. La forme de cette fonction d´epend de la capacit´e biotique
mais ´egalement du mod`ele global retenu. Les mod`eles globaux supposent ´egalement que
le stock est un syst`eme ferm´e et quâaucun processus dâimmigration et dâ´emigration ne
se produit au cours du temps. Seules la production biologique, permettant une augmen-
tation de biomasse, et la mortalit´e par pËeche, entraËÄąnant une diminution de biomasse,
sont mod´elis´ees. Le terme de production biologique inclut implicitement `a la fois les pro-
cessus de croissance individuelle, de recrutement li´es `a la reproduction et de mortalit´e
naturelle (correspondant `a une production n´egative). Cette mortalit´e naturelle inclut
tous les processus
ÂŤ
naturels
Âť
pouvant Ëetre responsables dâune diminution de biomasse
(pr´edation, maladies, manque de nourriture...).
Les trois mod`eles globaux (respectivement Schaefer (1954), Fox (1970) et Pella et Tom-
linson (1969)) peuvent Ëetre d´ecrits par lâ´evolution du taux dâaccroissement relatif ins-
tantan´e de la biomasse exploit´ee :
1
B
dB
dt
=
r
1
â
B
K
â
F
(1.1)
1
B
dB
dt
=
r
1
â
ln
B
ln
K
â
F
(1.2)
1
B
dB
dt
=
r
1
â
B
K
(
m
â
1)
!
â
F
(1.3)
o`
u
B
est la biomasse du stock `a un instant donn´e,
r
le taux intrins`eque dâaccroissement
de la biomasse,
K
la capacit´e biotique,
m
le param`etre de forme et
F
le coefficient
instantan´e de mortalit´e par pËeche.
Le mod`ele g´en´eralis´e a ´et´e d´evelopp´e comme extension du mod`ele de Schaefer (1954)
afin dâ´eviter notamment le caract`ere sym´etrique de la fonction de production, rarement
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
35
observ´e dans des pËecheries r´eelles (Hilborn et Walters, 1992). Le param`etre de forme (
m
)
donne une grande flexibilit´e `a ce mod`ele qui fonctionne comme un
ÂŤ
pool possible de
courbes de production
Âť
, le mod`ele correspondant `a la courbe de production de Schaefer
(1954) lorsque
m
prend une valeur de 2 et `a un mod`ele de Fox (1970) lorsque
m
tend vers
1 (Fig. 1.9). En consid´erant que le taux dâaccroissement relatif instantan´e de la biomasse
est nul `a lâ´equilibre, câest `a dire que la production biologique est ´egale aux captures, les
courbes de production ´equilibr´ee pour les trois mod`eles globaux cit´es pr´ec´edemment
sâexpriment :
Y
=
F
Ă
K
Ă
1
â
F
r
(1.4)
Y
=
F
Ă
K
Ă
exp
â
lnK
r
Ă
F
(1.5)
Y
=
F
Ă
K
Ă
1
â
F
r
1
m
â
1
(1.6)
o`
u
Y
repr´esente les captures,
F
le coefficient instantan´e de mortalit´e par pËeche,
r
le taux
intrins`eque dâaccroissement de la biomasse,
K
la capacit´e biotique et
m
le param`etre de
forme.
Fig.
1.9
â
Exemples de formes de courbes de production `
a lâ´equilibre suivant le mod`ele g´en´eralis´e de
Pella et Tomlinson (1969) pour trois valeurs du param`etre de forme (
m
).
m
= 1,1 : proche du mod`ele
exponentiel de Fox (trait fin continu) ;
m
= 2 : mod`ele de Schaefer (trait pointill´e) ;
m
= 4 (trait gras
continu).
Les mod`eles globaux sont relativement simples `a appr´ehender, en revanche, lâestima-
tion de leurs param`etres peut poser certaines difficult´es par manque dâinformation dans
les donn´ees, principalement dans le cas des approches dynamiques. Selon la nature des
36
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
donn´ees disponibles, plusieurs m´ethodes dâestimation existent. Dans les cas extrËemes
dâabsence de donn´ees dâefforts et dâindices dâabondance, des m´ethodes empiriques repo-
sant sur lâavis dâexperts ayant une bonne connaissance des pËecheries peuvent permettre
dâavoir une id´ee g´en´erale sur lâ´etat du stock. `
A partir de ces expertises scientifiques et
de relations empiriques, il est alors possible de sp´ecifier des mod`eles globaux relative-
ment approximatifs pour les populations dâint´erËet (cf. Chapitre 2). Plus g´en´eralement,
il existe trois m´ethodes dâestimation des param`etres des mod`eles globaux lorsque lâon
dispose dâindices dâabondance : 1) hypoth`ese de conditions dâ´equilibre 2) lin´earisation
des ´equations 3) ajustement `a des s´eries chronologiques. Hilborn et Walters (1992)
r´eprouvent la premi`ere m´ethode du fait de la quasi-impossibilit´e dâobserver des situa-
tions dâ´equilibre dans des pËecheries dans lesquelles lâeffort de pËeche ´evolue au cours du
temps. La critique de ces auteurs est en r´ealit´e infond´ee car elle ignore la m´ethode dâes-
timation de Fox (1975), dont lâapplication est le plus souvent bas´ee sur des m´ethodes de
pseudo-´equilibre, c.-`a-d. qui ne supposent pas le stock `a lâ´equilibre mais sâappuient sur
le calcul dâun effort tenant compte des ann´ees ant´erieures. Ces m´ethodes op´erationnelles
sont notamment utilis´ees en routine dans les commissions thoni`eres et dans les groupes
dâ´evaluation dâAfrique de lâOuest (p. ex. Laurans et al., 2003) (Fig. 1.10). De plus, les
techniques de pseudo-´equilibre sont g´en´eralement appliqu´ees comme ´etape pr´eliminaire
aux m´ethodes dynamiques, les deux approches ´etant alors compl´ementaires.
Fig.
1.10
â
Exemple dâajustement des mod`eles globaux de Schaefer (1954) et Fox (1970) par m´ethode
de pseudo-´equilibre `
a une s´erie dâindices dâabondance de la pËecherie artisanale S´en´egalaise pour le thiof
(Epinephelus aenus) (dâapr`es Laurans, 2005).
La m´ethode reposant sur une lin´earisation des ´equations permet de se ramener `a un
mod`ele lin´eaire de r´egression multiple pour estimer les valeurs des param`etres. Bien
que la technique soit conceptuellement ´el´egante, elle n´ecessite pour permettre lâestima-
tion des param`etres des donn´ees tr`es informatives, c.-`a-d. qui pr´esentent dâimportants
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
37
contrastes dans les s´eries dâefforts et de captures (Ludwig et Walters, 1985). Or, ces
donn´ees ne sont g´en´eralement pas disponibles. Les mËemes difficult´es apparaissent pour
les m´ethodes dâajustements `a des s´eries temporelles. Le mod`ele connu sous lâappellation
de
ÂŤ
mod`ele dynamique de production
Âť
est alors exprim´e sous une forme discr`ete, de la
mani`ere suivante :









B
(
t
+ 1) =
B
(
t
) +
r
Ă
B
(
t
)
Ă
1
â
B
(
t
)
K
(
m
â
1)
!
â
Y
(
t
)
U
(
t
) =
q
Ă
B
(
t
) +
B
(
t
+ 1)
2
(1.7)
o`
u B(t) est la biomasse au temps t, r est le taux intrins`eque de croissance, Y repr´esente
les captures, U est un indice dâabondance et q est la capturabilit´e.
Bien souvent, des probl`emes de surparam´etrage empËechent dâestimer avec pr´ecision les
valeurs des cinq param`etres (biomasse initiale (
B
0
), coefficient de capturabilit´e (
q
), ca-
pacit´e biotique (
K
), taux intrins`eque de croissance (
r
) et param`etre de forme (
m
)).
Ceci est notamment attribu´e `a lâexistence de minima locaux dans les ensembles multi-
dimensionnels de solutions possibles, et ce malgr´e lâav`enement de solveurs non-lin´eaires
tr`es puissants reposant, par exemple, sur les techniques de Monte Carlo par chaËÄąnes
de Markov (MCMC). Les corr´elations entre les param`etres peuvent ´egalement conduire
au calcul de solutions
ÂŤ
statistiquement optimales mais biologiquement absurdes
Âť
. Le
d´eveloppement de ce type de mod`ele dans un contexte de statistiques Bay´esiennes pour-
rait permettre dâapporter de lâinformation non contenue dans les donn´ees via les distri-
butions
a priori
sur les param`etres (Maury, 2000). La sp´ecification de ces distributions
reste cependant la difficult´e majeure des approches Bay´esiennes (Punt et Hilborn, 1997
; McAllister et Kirkwood, 1998).
Les mod`eles globaux ont constitu´e et constituent toujours lâun des outils majeurs ac-
cessibles aux scientifiques pour lâ´evaluation de stocks. Leur simplicit´e et leur utilisation
depuis des d´ecennies en font des m´ethodes efficaces, robustes, dont les avantages et in-
conv´enients sont bien connus. Du point de vue p´edagogique et didactique, ils permettent
de d´ecrire et comprendre lâ´evolution dâune pËecherie au cours du temps, de lâ´etat vierge
`a la surexploitation, et offrent ´egalement un int´erËet particulier dans la communication
avec les gestionnaires et les professionnels, car les indicateurs dâexploitation auxquels
ils font r´ef´erence (MSY, mortalit´e par pËeche au MSY) sont relativement ais´es `a com-
prendre. Ainsi, et bien quâils ne consid`erent pas explicitement les processus biologiques
et ´ecologiques sous-jacents et quâil est dangereux dâattribuer une valeur biologique aux
param`etres qui les d´ecrivent, ces mod`eles globaux sâav´erent utiles pour extraire de lâinfor-
mation de jeux de donn´ees d´ecrivant lâ´evolution de pËecheries (Lalo¨e, 1995). Selon Laurec
38
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
et Le Guen (1981), la limite principale des mod`eles globaux r´eside dans leur incapacit´e `a
prendre en compte une variation du diagramme dâexploitation. Ces mod`eles, tout comme
les mod`eles analytiques usuels, omettent ´egalement de consid´erer la structure spatiale
des stocks, les ´echanges avec lâext´erieur, les relations avec leur environnement biotique
et abiotique. Pour faire face `a ces limites potentielles et am´eliorer les ajustements aux
donn´ees de captures et dâefforts, les mod`eles globaux ont ´et´e modifi´es. De nouvelles ver-
sions de ces mod`eles tiennent ainsi compte de la surface exploit´ee (Lalo¨e, 1989 ; Die et
Fox, 1990 ; Maury, 2000), des migrations (Beverton et Holt, 1957) et de certains facteurs
climatiques essentiels (Fr´eon, 1991). En d´epit de ces modifications
ad hoc
, les mod`eles
globaux se r´ev`elent le plus souvent inappropri´es et inapplicables dans le contexte actuel
de pleine exploitation des stocks. En effet, alors que la biomasse et les captures dâun stock
d´ependant principalement de lâeffort de pËeche dans une pËecherie en d´eveloppement, elles
deviennent particuli`erement sensibles aux variations du recrutement dans les pËecheries
fortement exploit´ees depuis plusieurs d´ecennies.
1.3.1.2
Structurer le stock en Ë
age : les approches analytiques
Parall`element aux approches globales et se basant principalement sur les travaux pion-
niers de Baranov (1918) et Beverton et Holt (1957), les approches analytiques se
sont d´evelopp´ees depuis les ann´ees 1960 pour devenir les principaux outils utilis´es en
´evaluation des stocks. Lâouvrage de r´ef´erence de Beverton et Holt (1957) a permis de
poser les bases th´eoriques et de d´efinir la majorit´e des concepts des sciences halieutiques
modernes `a partir desquels se sont notamment d´evelopp´ees les m´ethodes dâanalyse des
cohortes
2
(ou analyse s´equentielle) et les techniques dâ´etalonnage (ou calibration) qui
leur sont associ´ees. Lâapproche structurale peut se d´ecomposer en trois ´etapes (Gascuel,
1994) (Fig. 1.11) :
â lâestimation des param`etres d´emographiques du stock et la mod´elisation du pass´e par
analyse des cohortes,
â le diagnostic du pr´esent et la pr´evision `a long terme par calcul des rendements par
recrue,
â la pr´ediction des captures et effectifs `a court terme par simulations.
â˘
Lâanalyse des cohortes
Lâanalyse des cohortes (Gulland, 1965) est une m´ethode dâestimation des taux instan-
tan´es de mortalit´e par pËeche (
F
) ayant affect´e le stock au cours du temps et des effectifs
(
N
) pass´es du stock, `a partir de donn´ees de captures aux Ëages (Fig. 1.11 ; Tab. 1.2). Elle
2
Les anglophones utilisent lâacronyme de VPA pour
ÂŤ
Virtual Population Analysis
Âť
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
39
Fig.
1.11
â
Sch´ema conceptuel repr´esentant les trois phases des m´ethodes analytiques. Les notations
sont les mËemes que dans le texte. F
curr
= Mortalit´e par pËeche actuelle ; F
max
= Mortalit´e par pËeche
maximisant le rendement par recrue ; F
pa
= Mortalit´e par pËeche suivant lâapproche de pr´ecaution.
pose comme unique hypoth`ese que les taux instantan´es de mortalit´e totale (naturelle et
par pËeche) dâune cohorte donn´ee peuvent Ëetre repr´esent´es par une valeur constante au
cours dâun intervalle de temps donn´e (Gascuel, 1994). Le pas de temps le plus souvent
utilis´e est lâann´ee bien que lâutilisation dâun autre pas de temps et lâidentification de
plusieurs p´eriodes de reproduction au cours de ce pas de temps modifient peu le forma-
lisme retenu (Laurec, 1993). Lâanalyse des cohortes se base sur 2 formules essentielles :
lâ´equation de survie (1.8) et lâ´equation des captures (1.9). Ces ´equations ´etablissent une
relation (1.10) permettant de d´eduire les effectifs du stock par groupe dâËage (
N
a
) et les
mortalit´es par pËeche (
F
a
) de la connaissance des captures (
C
a
) et des mortalit´es natu-
relles (
M
a
). Le syst`eme dâ´equations correspondant pr´esente cependant plus dâinconnues
que dâ´equations. Un param`etre suppl´ementaire doit Ëetre pr´ecis´e : soit lâeffectif au re-
crutement et on parle alors dâanalyse descendante ou de calcul en mode direct, soit la
mortalit´e du groupe dâËage terminal et lâanalyse est qualifi´ee dâascendante ou de calcul
en mode inverse. Lâanalyse des cohortes est le plus souvent conduite en mode inverse car
elle a lâavantage dâint´egrer une propri´et´e fondamentale de convergence (Jones (1961) cit´e
40
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
par Mesnil (1980)) : lâerreur relative li´ee aux proc´edures dâestimation dâune valeur de
F
terminale (choix arbitraire ou calibration sur des donn´ees externes) tend `a sâestomper
lorsquâon estime les param`etres d´emographiques (effectif et mortalit´e) des groupes dâËages
les plus jeunes de la population recrut´ee. Pour les Ëages les plus ´elev´es, la convergence ne
joue gu`ere mais les cons´equences de ces incertitudes sont dâautant plus r´eduites que le
stock est intens´ement exploit´e, les groupes dâËages les plus Ëag´es ayant alors peu de poids
dans les captures (Laurec, 1993).
Tab.
1.2 â
´
Equations, notations, et d´efinitions des variables et param`etres utilis´es en analyse des
cohortes.
N
a
+1
, t
+1
=
N
a, t
exp (
â
(
F
a, t
+
M
a, t
))
(1.8)
C
a, t
=
N
a, t
F
a, t
F
a, t
+
M
a, t
[1
â
exp (
â
(
F
a, t
+
M
a, t
))]
(1.9)
N
a
+1
, t
+1
=
C
a, t
(
F
a, t
+
M
a, t
) exp (
â
(
F
a, t
+
M
a, t
))
F
a, t
(1
â
exp (
â
(
F
a, t
+
M
a, t
)))
(1.10)
Notations D´efinition
N
Effectif de poissons
a
Ë
Age
t
Temps
F
Taux de mortalit´e par pËeche
M
Taux de mortalit´e naturelle
C
Captures
Pour les ann´ees r´ecentes, lâinitialisation des calculs (par un
F
terminal dit de
ÂŤ
derni`ere
ann´ee
Âť
) pose un probl`eme particulier, notamment en terme de convergence puisque les
cohortes ne sont que partiellement exploit´ees. Ce probl`eme est dâautant plus important
que ces cohortes vont constituer la majorit´e des captures des ann´ees `a venir ; il soul`eve
donc des difficult´es pour effectuer des projections fiables pour la gestion. Le recours aux
techniques dâ´etalonnage est alors n´ecessaire afin dâestimer le vecteur des mortalit´es par
pËeche de la derni`ere ann´ee. Ces m´ethodes visent principalement `a r´eduire les probl`emes
de surparam´etrage et int´egrer de lâinformation suppl´ementaire via des s´eries dâindices
dâabondance, issues de campagnes scientifiques ou de flottilles commerciales. Elles se
r´epartissent entre les
ÂŤ
m´ethodes
ad hoc
Âť
et les m´ethodes int´egr´ees (Laurec, 1993). Les
ÂŤ
m´ethodes
ad hoc
Âť
(p. ex. Laurec et Shepherd, 1983) ont pour objectif dâestimer les
mortalit´es par pËeche
ÂŤ
les plus coh´erentes possibles
Âť
avec lâinformation suppl´ementaire
apport´ee par les flottilles. Elles reposent sur un ensemble de techniques et de choix empi-
riques souvent cautionn´es par la pratique mais insatisfaisants du point de vue statistique
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
41
(Laurec, 1993 ; Cotter et al., 2004). De plus, ces approches consid`erent comme exacts les
indices dâabondance de lâann´ee finale et ne tiennent pas compte de toute lâinformation
apport´ee par les flottilles dâ´etalonnage (Darby et Flatman, 1994 ; Shepherd, 1999). Les
m´ethodes statistiques int´egr´ees (Gavaris (1988) cit´e par Shepherd (1999)) r´epondent en
revanche `a ces difficult´es et se basent sur des crit`eres dâad´equation `a maximiser pour lâes-
timation des param`etres. Leur formalisme statistique requiert cependant des hypoth`eses
g´en´eralement contraignantes et des calculs lourds limitant leur utilisation (Laurec, 1993 ;
Shepherd, 1999). Entre ces deux types dâapproches, la m´ethode semi-int´egr´ee XSA pour
ÂŤ
Extended Survivor Analysis
Âť
(Darby et Flatman, 1994 ; Shepherd, 1999) est devenue
de nos jours la m´ethode la plus r´epandue au sein des groupes dâ´evaluation du CIEM et
repose sur des techniques de maximum de vraisemblance. Par rapport `a la m´ethode de
Laurec et Shepherd (1983), XSA peut fournir des erreurs standards sur les mortalit´es
par pËeche de la derni`ere ann´ee et utiliser toute lâinformation disponible apport´ee par
les flottilles dâ´etalonnage. Elle permet ´egalement de mod´eliser des relations plus com-
pliqu´ees de type non-lin´eaire entre captures par unit´e dâeffort (CPUE) et abondance
pour les groupes dâËage les plus jeunes (Darby et Flatman, 1994). XSA apparaËÄąt ainsi
comme un bon compromis pour pallier aux principaux d´efauts des
ÂŤ
m´ethodes
ad hoc
Âť
tout en conservant un formalisme statistique simple et raisonnable (Shepherd, 1999).
â˘
Diagnostic et pr´evisions
Une fois les param`etres d´emographiques estim´es par analyse des cohortes, un diagnostic
de rendement par recrue peut Ëetre ´etabli (Fig. 1.11). MËeme si le recrutement dâune po-
pulation est tr`es difficile, voire impossible `a pr´evoir (p. ex. Cushing, 1982), on sâint´eresse
ainsi `a la fa¸con dont on peut utiliser au mieux le recrutement disponible, quel quâil
soit. Le concept de rendement par recrue correspond donc `a la capture moyenne que
permettra une recrue (Laurec et Le Guen, 1981). Ce calcul ne pose aucune difficult´e
m´ethodologique et ne requiert aucune hypoth`ese suppl´ementaire, notamment en terme
dâ´equilibre, par rapport `a lâanalyse s´equentielle (Gascuel, 1994). Il permet dâ´etablir un
diagnostic de la situation actuelle afin de savoir si le r´egime dâexploitation en place per-
met de tirer le meilleur parti de chaque poisson entrant dans la pËecherie. Ce diagnostic
peut Ëetre compl´et´e par des pr´evisions `a long terme en termes de production totale en
consid´erant un recrutement moyen, g´en´eralement la moyenne g´eom´etrique des recrute-
ments des ann´ees pr´ec´edentes. Cette pr´evision bas´ee sur un recrutement constant est
cependant p´erilleuse, en particulier dans le cas de ressources instables.
Afin dâappr´ehender quelle sera la production `a court terme et les effectifs correspondants,
des simulations peuvent Ëetre conduites (Fig. 1.11). Ces techniques consistent ´egalement
`a recourir `a lâ´equation de survie (1.8) pour calculer les vecteurs des captures et effectifs,
pour une ann´ee donn´ee, connaissant les effectifs de lâann´ee pr´ec´edente et les mortalit´es
naturelle et par pËeche de lâann´ee simul´ee (Gascuel, 1994). Elles supposent que le dia-
42
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
gramme dâexploitation ´evolue peu entre les ann´ees de r´ef´erence et simul´ees et que lâon
dispose dâune estimation du recrutement conduisant aux classes dâËage exploit´ees dans
les simulations. Ces estimations constituent une des difficult´es des projections `a court
terme et recourent `a lâutilisation dâindices de recrutement lorsquâils sont disponibles
(campagnes scientifiques) ou `a des proc´edures statistiques relativement empiriques no-
tamment bas´ees sur lâutilisation dâun simple recrutement moyen. Le recours `a des tech-
niques plus complexes comme le bootstrap dans les recrutements pass´es est g´en´eralement
employ´e par les groupes de travail. Les simulations `a court terme permettent notamment
dâestimer les captures sous lâhypoth`ese de
statu quo
et pour diff´erents multiplicateurs
du vecteur de mortalit´e par pËeche. Elles sont `a la base de lâestimation des taux autoris´es
de captures (TAC) qui repr´esentent souvent un des r´esultats principaux des ´evaluation
de stocks en termes de recommandations pour les gestionnaires.
â˘
Limites de lâapproche analytique
Par rapport aux approches globales, les mod`eles analytiques d´ecrivent de mani`ere
beaucoup plus pr´ecise les relations entre les caract´eristiques du stock (structure
d´emographique, abondance,...) et les caract´eristiques de son exploitation (diagramme
dâexploitation, mortalit´es par pËeche,...). En particulier, lâanalyse des cohortes est une
m´ethode statistiquement robuste, de d´efinition analytique simple et dont les hypoth`eses
sont peu restrictives (Mesnil, 1980). Sa propri´et´e de convergence permet dâestimer de
mani`ere fiable les param`etres d´emographiques du pass´e, permettant dâanalyser lâhistoire
du stock et de son exploitation (Gascuel, 1994). Largement appliqu´ees depuis plus dâune
vingtaine dâann´ees au sein des groupes dâ´evaluation, ces approches pr´esentent pourtant
un certain nombre de limites d´etaill´ees dans une synth`ese r´ecente de Cotter et al. (2004).
La majorit´e des difficult´es r´eside dans lâestimation des variables dâentr´ee, c.-`a-d. la ma-
trice des donn´ees de d´ebarquements et captures aux Ëages g´en´eralement affect´ee par les
difficult´es de collecte statistique et les comportements de fraude (Larkin, 1996), les rejets
difficiles `a quantifier et variables dans le temps et lâespace (p. ex. Borges et al., 2004),
les coefficients de mortalit´e naturelle ´egalement suppos´es constants bien que d´ependants
des populations de pr´edateurs (p. ex. Gislason et Helgason, 1985) et les s´eries dâindices
dâabondance biais´ees par des d´erives des puissances de pËeche (p. ex. Marchal et al.,
2002). `
A ces probl`emes de qualit´e des donn´ees disponibles sâajoutent des limites rela-
tives au caract`ere parfois empirique et opaque des techniques de calibration qui reposent
en partie sur lâexpertise scientifique. Ceci tend `a rendre les ´evaluations difficiles `a repro-
duire et critiquables du point de vue des professionnels, encourageant progressivement la
demande dâ´evaluation et de contre-expertise des comptes rendus des groupes de travail.
Le d´eveloppement de mod`eles statistiques permettant dâint´egrer de mani`ere explicite
les erreurs de processus et dâobservation en faisant appel aux filtres de Kalman et aux
approches Bay´esiennes est une approche alternative de mod´elisation des dynamiques
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
43
des stocks exploit´es (p. ex. Rivot, 2003). Ces m´ethodes plus ´elabor´ees n´ecessitent cepen-
dant de faire des hypoth`eses fortes sur les mortalit´es naturelles, matrices de covariance
et distributions des erreurs qui peuvent avoir des effets importants sur les sorties des
mod`eles (Cotter et al., 2004). La complexification des mod`eles afin de diminuer les biais
des ´evaluations constitue un challenge essentiel dans le futur mais n´ecessite en parall`ele
dâam´eliorer la qualit´e des donn´ees dâentr´ee des mod`eles qui demeure un des probl`emes
majeurs en halieutique (Mesnil, 2003). Bien que consid´er´es comme
ÂŤ
explicatifs
Âť
car ils
permettent dâestimer les ´evolutions pass´ees des stocks et de faire le distinguo entre mor-
talit´e par pËeche et naturelle, les mod`eles usuels dâ´evaluation sont des mod`eles statistiques
d´eterministes reposant exclusivement sur la relation poissons-pËecheurs. Ils occultent lâen-
vironnement biotique et abiotique dans lequel ´evoluent les individus. Mod´eliser ces envi-
ronnements pour revenir aux processus biologiques et ´ecologiques sous-jacents apparaËÄąt
ainsi n´ecessaire pour mieux comprendre les facteurs contrËolant la dynamique des popu-
lations.
1.3.2
Mod`
eles multisp´
ecifiques et pr´
edation : retour aux pro-
cessus
La majorit´e des mod`eles dâ´evaluation structur´es en Ëage ou en taille supposent une valeur
constante de mortalit´e naturelle dans le temps `a partir de la phase recrut´ee. Ces mod`eles
monosp´ecifiques ne consid`erent pas les relations inter et intrasp´ecifiques de pr´edation et
de comp´etition qui constituent cependant des processus majeurs au sein des ´ecosyst`emes
marins (p. ex. Polis et Winemiller, 1996). Consid´erer une mortalit´e naturelle constante
peut avoir des cons´equences en gestion des pËeches en g´en´erant de lâincertitude et des biais
dans les ´evaluations monosp´ecifiques et en n´egligeant lâimpact dâautres populations sur
la productivit´e des stocks (p. ex. May et al., 1979 ; Daan, 1987 ; Kerr et Ryder, 1989).
Lâimportance de ces relations en halieutique a ´et´e reconnue d`es les ann´ees 1960 (Larkin,
1963) et a g´en´er´e rapidement des travaux portant sur la mod´elisation de ces processus
(Lett et Kohler, 1976 ; Andersen et Ursin, 1977). Par la suite, les approches se sont
diversifi´ees pour englober une large gamme de mod`eles allant des mod`eles dynamiques
multisp´ecifiques (p. ex. May et al., 1979) sâappuyant sur les travaux pionniers de Lotka
(1924) et Volterra (1926), aux couplages de mod`eles monosp´ecifiques (p. ex. Str¨obele
et Wacker, 1991) et au recours `a des mod`eles individus-centr´es (p. ex. Shin et Cury,
2001). Une synth`ese des approches multisp´ecifiques en halieutique est disponible dans
Shin (2000).
44
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
1.3.2.1
Hypoth`
eses et principes de la MSVPA
Dans cette section, nous nous int´eressons `a lâanalyse multisp´ecifique des cohortes (
ÂŤ
Mul-
tiSpecies Virtual Population Analysis
Âť
; MSVPA) propos´ee initialement et en parall`ele
par Pope (1979) et Helgason et Gislason (1979) (Fig. 1.12). Une synth`ese de la MSVPA
´etant disponible (Magnusson, 1995), on se limitera ici `a la pr´esentation des principaux
fondements, avantages et limites du mod`ele. Ceci nous permet de pr´esenter certains des
concepts ´ecologiques qui constituent les fondements du mod`ele de simulation d´evelopp´e
dans le quatri`eme chapitre du manuscrit. La MSVPA est un mod`ele dynamique quan-
titatif permettant dâexpliciter les processus de pr´edation entre plusieurs populations
mod´elis´ees. Elle combine `a la fois les bases th´eoriques dâinteractions multisp´ecifiques
d´efinies par Andersen et Ursin (1977) et la m´ethodologie dâanalyse des cohortes pr´esent´ee
au paragraphe pr´ec´edent (Section 1.3.1). Lâapproche peut ainsi se r´esumer essentielle-
ment `a une s´erie dâanalyses de cohortes monosp´ecifiques reli´ees entre elles par un mod`ele
de nutrition, permettant de calculer les taux de mortalit´e naturelle (Garrison et Link,
2003).
Fig.
1.12
â
Entr´ees et sorties de la MSVPA et de la MSFOR. Les notations sont les mËemes que dans
les ´equations (dâapr`es Jurado-Molina et Livingston, 2002).
La MSVPA repose sur les ´equations de survie (´
Eq. 1.8) et de capture (´
Eq. 1.9) pr´esent´ees
auparavant mais d´ecompose la mortalit´e naturelle totale `a chaque Ëage de lâesp`ece entre
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
45
une mortalit´e par pr´edation et les autres sources de mortalit´e (´
Eq. 1.11). Les taux de
mortalit´e par pr´edation sont calcul´es suivant un mod`ele de nutrition d´evelopp´e `a partir
des travaux dâAndersen et Ursin (1977), d´efinissant les relations proies-pr´edateurs au
sein du syst`eme ´etudi´e, c.-`a-d. permettant de r´epondre `a la fameuse question
ÂŤ
qui
mange qui ?
Âť
. Ce mod`ele fait notamment le lien entre la quantit´e totale de nourriture
du syst`eme et la proportion disponible pour chaque pr´edateur, `a partir de coefficients
dâad´equation entre proies et pr´edateurs (´
Eq. 1.12). Ces coefficients int`egrent une grande
vari´et´e de facteurs tels que les pr´ef´erences, la vuln´erabilit´e des proies, le recouvrement
g´eographique et vertical. Ils refl`etent ainsi `a la fois ce que le pr´edateur pr´ef`ere manger et
ce quâil peut manger. Ces coefficients sont suppos´es constants, c.-`a-d. ils ne d´ependent
pas de la biomasse des proies ni dâautres variables. En plus des proies appartenant
aux populations mod´elis´ees de mani`ere explicite par les analyses monosp´ecifiques, un
groupe
ÂŤ
autre
Âť
repr´esentant une biomasse externe de nourriture est pris en compte
dans le mod`ele (´
Eq. 1.12). Le mod`ele de nutrition suppose par ailleurs que le taux de
consommation par gramme de pr´edateur est constant dans le temps et ind´ependant de
lâabondance des proies. Il n´eglige ainsi les effets de disponibilit´e en nourriture sur les taux
de digestion ou les effets de temp´erature sur le m´etabolisme des pr´edateurs (Garrison et
Link, 2003).
Selon Garrison et Link (2003), une source majeure dâincertitude de la MSVPA provient
des indices de s´electivit´e consid´er´es constants et ind´ependants des abondances de proies,
pour lesquels peu de donn´ees sont g´en´eralement disponibles, et dont le choix demeure le
plus souvent arbitraire. De lâinformation suppl´ementaire `a partir de donn´ees de contenus
stomacaux peut cependant Ëetre int´egr´ee dans le mod`ele afin dâestimer les coefficients
dâad´equation en faisant lâhypoth`ese que la fraction de proie observ´ee dans les estomacs est
´egale `a la fraction de biomasse disponible de proie sur la biomasse totale disponible pour
le pr´edateur (Magnusson, 1995). La r´esolution num´erique de la MSVPA requiert alors
trois boucles it´eratives imbriqu´ees les unes dans les autres : 1) calculer les coefficients
dâad´equation 2) `a lâint´erieur de chaque boucle de cette it´eration, it´erer pour calculer
les M2 3) `a lâint´erieur de chaque boucle de lâit´eration en 2, it´erer pour calculer les
effectifs et mortalit´es par pËeche. Bien que le mod`ele soit surparam´etr´e et quâaucune
d´emonstration rigoureuse nâait permis de d´emontrer lâexistence dâune solution unique,
les diff´erentes applications et simulations faites par les groupes de travail du CIEM nâont
jamais soulev´e de difficult´es `a ce propos (Magnusson, 1995).
1.3.2.2
Apports et limites des mod`
eles multisp´
ecifiques
Le d´eveloppement de la MSVPA et ses applications `a diff´erents ´ecosyst`emes marins ont
permis de mettre en ´evidence lâimportance de la pr´edation et de sa variabilit´e tempo-
46
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Tab.
1.3 â
´
Equations, notations et d´efinitions des variables et param`etres utilis´es pour la MSVPA.
Z
ia
=
F
ia
+
M
1
ia
+
M
2
ia
(1.11)
SB
ia
=
X
x
S
ia
x
B
x
+
X
j
X
b
S
ia
jb
w
jb
N
jb
(1.12)
M
2
jb
=
X
i
X
a
S
ia
jb
Q
ia
N
ia
SB
ia
(1.13)
N
jb
=
exp(
Z
jb
â
1)
N
jb
(1)
Z
jb
(1.14)
C
jb
=
F
jb
N
jb
(1.15)
Notations D´efinition
i
,
j
Indices du pr´edateur et de la proie resp.
a
,
b
Ages du pr´edateur et de la proie resp.
M
1
Mortalit´e autre que la pr´edation
M
2
Mortalit´e par pr´edation
F
Mortalit´e par pËeche
C
Captures
Z
Mortalit´e totale
Q
Taux de consommation annuel de nourriture
w
Poids moyen dâun individu
S
Coefficient dâad´equation (compris entre 0 et 1)
SB
Quantit´e totale de nourriture disponible
N
(1)
Effectif `
a la fin de lâann´ee
N
Effectif moyen de la classe au cours de lâann´ee
relle g´en´eralement sous-estim´ees, particuli`erement pour les jeunes classes dâËage (Gislason
et Helgason, 1985 ; Livingston et Jurado-Molina, 2000 ; Tsou et Collie, 2001). Ceci a
logiquement conduit `a des estimations de recrutement sup´erieures `a celles issues des
analyses monosp´ecifiques. Pour ce qui concerne les classes dâËage exploit´ees, les r´esultats
sont le plus souvent en coh´erence avec les ´evaluations monosp´ecifiques et les pr´evisions
de captures `a court terme sont g´en´eralement similaires (Daan, 1987). Cette m´ethode
a ´egalement montr´e que des augmentations de taille des mailles des engins de pËeche
nâentraËÄąnent pas syst´ematiquement des gains de captures `a long terme, lâaugmentation
des abondances des pr´edateurs favorisant une pr´edation accrue sur les juv´eniles (Ma-
gnusson, 1995). Enfin, Sparholt (1995) a utilis´e la MSVPA comme outil exploratoire
pour ´emettre des hypoth`eses sur les facteurs explicatifs `a lâorigine de la relation stock-
recrutement pour la morue (
Gadus morhua
) de Mer Baltique. Lâun des int´erËets majeurs
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
47
de cette approche est de sâappuyer sur les mod`eles classiques dâ´evaluation de stock dont
les avantages et les inconv´enients sont bien identifi´es (Whipple et al., 2000). Les coeffi-
cients de mortalit´e naturelle issus de la MSVPA peuvent ensuite Ëetre r´eintroduits dans
les analyses monosp´ecifiques afin de les corriger ou de comparer les pr´evisions en terme de
gestion. La MSFOR (
ÂŤ
MultiSpecies FORecast
Âť
) correspond `a la version de la MSVPA
en mode descendant et est utilis´ee par les groupes de travail
3
du CIEM qui portent
sur les ´evaluations multisp´ecifiques, pour effectuer des simulations de captures `a court
ou long terme (Fig. 1.12). Comme pour les analyses monosp´ecifiques, ces projections
n´ecessitent des hypoth`eses fortes sur les recrutements futurs car les interactions ayant
lieu au niveau des stades larvaires et juv´eniles ne sont pas mod´elis´ees. La MSVPA ne
permet ainsi pas dâidentifier les m´ecanismes responsables des variations du recrutement
(Daan, 1987).
Les principales limites de la MSVPA se situent `a la fois sur les plans th´eorique et pra-
tique. Sur le plan th´eorique, le mod`ele de nutrition adopt´e recourt `a des relations
ad
hoc
empiriques et ne sâappuie pas sur des th´eories ´ecologiques existantes (Magnusson,
1995). Le mod`ele suppose que les coefficients dâad´equation entre proies et pr´edateurs
estim´es `a partir des donn´ees de contenus stomacaux sont constants dans le temps. Ceci
implique notamment une r´eponse fonctionnelle
4
des pr´edateurs de type II (
sensu
Holling,
1959) (Fig. 1.13b), ignorant `a la fois les difficult´es dâalimentation li´ees `a une diminu-
tion dâabondance des proies, et la capacit´e des pr´edateurs `a changer de proie selon leur
abondance relative dans le milieu (p. ex. Trenkel et al., 2005). Cependant, lâint´egration
dâune r´eponse de type III (
sensu
Holling, 1959) (Fig. 1.13c) est techniquement difficile et
conduirait `a des sch´emas de r´esolution entraËÄąnant plusieurs solutions (Garrison et Link,
2003).
De plus et contrairement `a Yodzis (1994), Walters et al. (2000) consid`erent que la ques-
tion de la forme des r´eponses fonctionnelles pour mod´eliser les interactions de pr´edation
est purement th´eorique et ne se pose pas dans la r´ealit´e. Fulton et al. (2003b) ont com-
par´e `a partir dâun mod`ele biog´eochimique plusieurs types de r´eponses fonctionnelles et
ont montr´e en particulier que les r´eponses de type II et III conduisaient g´en´eralement
`a des r´esultats similaires. Rice et al. (1991) cit´es par Magnusson (1995) ont montr´e
que les fonctions de s´electivit´e de pr´edateurs de mer du Nord semblaient plutËot stables
dans le temps et que leur modification avait peu dâimpact sur les sorties du mod`ele. La
MSVPA fait par ailleurs lâhypoth`ese simpliste que les taux dâalimentation par gramme
de pr´edateur sont constants dans le temps. Garrison et Link (2003) proposent dans leur
3
Study Group on Multispecies Assessment in the North Sea (SGMNS) et Study Group on Multis-
pecies Assessment in the Baltic (SGMAB).
4
La r´eponse fonctionnelle correspond au nombre de proies consomm´ees par pr´edateur et par unit´e de
temps (Begon et al., 1996). Une revue des diff´erents types de r´eponses est disponible dans Jost (1998)
et Shin (2000).
48
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.13
â
Exemples de r´eponses fonctionnelles (nombre de proies consomm´ees par pr´edateur et par
unit´e de temps) de type (a) Holling I (ou Lotka-Volterra) (b) Holling II (c) Holling III (repris de Shin,
2000). La r´eponse de type II repr´esente un ph´enom`ene de sati´et´e de la part du pr´edateur `
a partir dâune
certaine densit´e de proies. La r´eponse de type III repr´esente la diminution dâefficacit´e de pr´edation des
pr´edateurs lorsque la densit´e des proies diminue, pouvant Ëetre li´ee `
a la difficult´e de les rencontrer et de
les capturer.
version approfondie de la MSVPA (MSVPA-X) dâint´egrer une d´ependance de ces taux en
fonction de lâ´etat m´etabolique des individus et en prenant en compte des aspects saison-
niers pouvant affecter la demande ´energ´etique. Les fonctions de pr´ef´erence du pr´edateur
sont ajust´ees par des lois lognormales sur les ratios de poids bien quâelles pr´esentent
souvent des distributions de fr´equence diff´erentes de ces lois pr´esuppos´ees. Plusieurs au-
teurs proposent des ajustements `a partir de lois de distribution plus flexibles telles que
les lois gamma ou beta (Tsou et Collie, 2001 ; Garrison et Link, 2003 ; Lewy et Vinther,
2004).
En termes pratiques, la MSVPA n´ecessite dâimportants jeux de donn´ees difficiles `a col-
lecter et restreignant son application `a un nombre limit´e dâ´ecosyst`emes (Daan, 1987).
En particulier, le mod`ele de s´electivit´e de la MSVPA requiert des donn´ees de conte-
nus stomacaux pour toutes les classes dâËage des pr´edateurs. De plus, ces donn´ees sup-
posent une relation directe entre la proportion dans lâestomac et la part r´eellement
assimil´ee par le pr´edateur, bien quâil puisse exister des taux de digestion diff´erents entre
les types de tissus ing´er´es (Magnusson, 1995). Un certain nombre de param`etres du
mod`ele sont mal connus et n´ecessitent cependant dâËetre fix´es, tels que les taux de mor-
talit´e naturelle hors pr´edation, les poids moyens au recrutement, les biomasses externes
et les coefficients de mortalit´es par pËeche pour lâann´ee terminale (Gislason et Helga-
son, 1985 ; Garrison et Link, 2003). Ces derniers sont g´en´eralement issus des analyses
monosp´ecifiques ´etalonn´ees `a partir dâindices dâabondance de flottilles ext´erieures (Sec-
tion 1.3.1) mais bas´ees sur une mortalit´e naturelle constante. Garrison et Link (2003)
sugg`erent ´egalement comme am´elioration de la version actuelle de la MSVPA dây int´egrer
directement les proc´edures dâ´etalonnage via lâutilisation de XSA (Darby et Flatman,
1994). Des analyses ont mis en ´evidence la sensibilit´e des sorties de la MSVPA aux
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
49
valeurs des taux de consommation et de mortalit´es par pËeche terminales. Elles ont ce-
pendant conclu `a une bonne robustesse du mod`ele par rapport `a lâincertitude possible
sur les donn´ees dâentr´ee (Magnusson, 1995 ; Tsou et Collie, 2001).
La MSVPA est lâun des mod`eles multisp´ecifiques les plus aboutis dont lâutilisation au
sein des groupes du CIEM a permis dans certains cas dâ´emettre des recommandations
pour lâam´enagement des pËecheries en mer du Nord. Elle n´ecessite cependant un tr`es
grand nombre de param`etres qui limitent consid´erablement son application `a dâautres
´ecosyst`emes (p. ex. Gislason et Helgason, 1985). MËeme l`a o`
u elle a ´et´e utilis´ee, elle nâa
pour autant pas remplac´e les ´evaluations monosp´ecifiques du fait de lâincertitude existant
sur les donn´ees et les hypoth`eses qui en assurent les fondements, et de la difficult´e de
communiquer les r´esultats multisp´ecifiques souvent complexes aux gestionnaires (Daan,
1987 ; Magnusson, 1995). Parall`element `a son rËole possible dans la gestion, la MSVPA,
et plus g´en´eralement les mod`eles multisp´ecifiques, constituent des outils essentiels pour
explorer des hypoth`eses sur les relations trophiques au sein des ´ecosyst`emes et mieux
comprendre les m´ecanismes souvent complexes de pr´edation, g´en´eralement mod´elis´es
de mani`ere relativement simpliste dans les mod`eles dâ´evaluation. Des am´eliorations de
la MSVPA ont ´et´e propos´ees (p. ex. Gislason, 1999 ; Garrison et Link, 2003) et le
d´eveloppement dâune interface conviviale pour faciliter et promouvoir son application
est en cours (Garrison et Link, 2003). Bien que les mod`eles multisp´ecifiques permettent
dâexpliciter les m´ecanismes de pr´edation entre les esp`eces exploit´ees et leurs proies, ils ne
consid`erent cependant pas une grande part des facteurs et organismes biotiques pouvant
avoir un rËole majeur dans les processus r´egissant le fonctionnement des ´ecosyst`emes
(Hollowed et al., 2000).
1.3.3
Transferts ´
energ´
etiques au sein du r´
eseau trophique
Il existe une grande vari´et´e de mod`eles de r´eseau trophique, allant de simples
repr´esentations qualitatives d´ecrivant les relations trophiques de mani`ere sch´ematique
`a des mod`eles plus complexes estimant les flux `a lâ´equilibre entre les diff´erents com-
partiments repr´esent´es. Les objectifs principaux de ces approches sont dâidentifier les
interactions trophiques, de caract´eriser les grands traits des r´eseaux trophiques, et de
relier ces traits `a des facteurs ´ecologiques (Whipple et al., 2000). Parmi les mod`eles
existants (Hollowed et al., 2000 ; Whipple et al., 2000), nous nous int´eresserons dans
un premier temps au mod`ele `a compartiments Ecopath with Ecosim (EwE), qui tend
aujourdâhui `a Ëetre consid´er´e comme un standard pour la mod´elisation des ´ecosyst`emes
marins exploit´es (Polovina, 1984 ; Christensen et Pauly, 1992 ; Walters et al., 1997).
Compte tenu des nombreuses publications bas´ees sur ces mod`eles (p. ex. Christensen et
Maclean, 2004), nous nous limiterons `a un expos´e des grandes caract´eristiques, int´erËets
50
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
et limites de ces approches. Dans un second temps, nous pr´esenterons une approche
alternative de mod´elisation bas´ee sur le flux de biomasse au sein du r´eseau trophique
(Gascuel, 2002, 2005). Ce second type de mod`ele nous permettra notamment dâintroduire
le concept de
ÂŤ
spectre trophique
Âť
, pouvant Ëetre utilis´e comme indicateur ´ecosyst´emique
(cf. Chapitre 3).
1.3.3.1
Ecopath : bilan `
a lâ´
equilibre du r´
eseau trophique
Le mod`ele Ecopath est bas´e sur lâhypoth`ese forte que chaque compartiment, tout comme
lâ´ecosyst`eme dans son ensemble, sont dans des conditions dâ´equilibre (Christensen et
Pauly, 1992). En dâautres termes, les flux de mati`ere et dâ´energie entrant dans chaque
compartiment sont ´egaux aux flux sortants de telle sorte que la biomasse ne varie pas au
cours du temps. Cette hypoth`ese dâ´etat dâ´equilibre implique que les sorties du mod`ele
sâappliquent uniquement `a la p´eriode durant laquelle les param`etres dâentr´ee demeurent
valides (Christensen et Pauly, 1992). Pour Christensen et Walters (2004), le mod`ele ne
sâappuie pas sur une hypoth`ese dâ´equilibre `a proprement parler mais son param´etrage,
c.-`a-d. lâestimation de ses diff´erents param`etres, est r´ealis´e en supposant un ´equilibre de
masse au cours de la p´eriode consid´er´ee. Cette diff´erence subtile permet en particulier de
r´epondre aux critiques relatives `a lâutilisation de donn´ees de biomasses le plus souvent
non ´equilibr´ees (Christensen et Walters, 2004) :
ÂŤ
The mass balance constraint implemented in the two master equations of
Ecopath should not be seen as questionable assumptions but rather as filters
for mutually incompatible estimates of flow. [. . .] The result is a possible
picture of the energetic flows, the biomasses and their utilization.
Âť
Le mod`ele se base sur deux ´equations fondamentales. Dans un premier temps, chaque
compartiment du r´eseau trophique peut Ëetre d´ecrit suivant un ´equilibre ´energ´etique
(´equation de consommation ou flux entrant) :
Consommation
=
P roduction
+
Respiration
+
Nourriture non assimil
´
ee
(1.16)
Lâ´equation (1.16) ne distingue pas la croissance somatique de la croissance des go-
nades, toutes les deux ´etant int´egr´ees dans le terme de production. Lâ´equation (1.16) est
g´en´eralement utilis´ee pour estimer la respiration, rarement mesur´ee
in situ
(Christensen
et Walters, 2004). La production de chaque compartiment est par ailleurs mod´elis´ee de
mani`ere explicite (´equation de flux sortant) :
P roduction
=
Captures
+
P r
´
edation
+
Migration
+
Autre mort
(1.17)
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
51
Le terme de pr´edation correspond `a la part de la production consomm´ee par les
pr´edateurs du compartiment. Les relations pr´edateur-proie sont sp´ecifi´ees dans le mod`ele
`a partir des compositions du r´egime de chaque compartiment, issues de donn´ees de
contenus stomacaux. Le terme
ÂŤ
autre mort
Âť
repr´esente la part de la production li´ee `a
des causes de mortalit´e naturelle autres que la pr´edation. Techniquement, ce terme est
exprim´e en fonction du param`etre dâefficacit´e ´ecotrophique repr´esentant la proportion
de la production utilis´ee dans le syst`eme. Elle correspond g´en´eralement au seul terme
estim´e lors de la r´esolution du mod`ele et exprime plus un degr´e dâincertitude quâun pa-
ram`etre ´ecologique `a part enti`ere (Christensen et Walters, 2004). `
A partir de lâ´equation
(1.17) sp´ecifi´ee pour tous les compartiments du r´eseau trophique, le mod`ele Ecopath de-
vient un syst`eme dâ´equations lin´eaires simultan´ees pouvant Ëetre r´esolu par des m´ethodes
classiques dâalg`ebre matricielle (Christensen et Pauly, 1992). `
A chaque compartiment
correspondent deux ´equations et `a chaque ´equation une inconnue.
En pr´ealable `a lâ´etablissement et `a la r´esolution du syst`eme, le mod`ele requiert un
ensemble important de donn´ees g´en´eralement obtenues par :
â une synth`ese bibliographique sur les r´egimes, biomasses ou densit´es de populations,
param`etres m´etaboliques, fonctions de croissance et dynamiques des populations,
â une estimation `a partir de certains param`etres de la litt´erature et des donn´ees prove-
nant dâobservations ou dâ´echantillonnages,
â une communication avec des experts pour certains groupes taxonomiques mal connus
ou pour lesquels il existe des incertitudes (Allesina et Bondavalli, 2003).
La synth`ese de ces recherches conduit `a un jeu de donn´ees tr`es h´et´erog`ene refl´etant la
diversit´e dâapproches mises en place sur un syst`eme donn´e. Elle constitue un travail
long et fastidieux qui constitue cependant un des apports majeurs des approches Eco-
path en permettant en particulier de mettre en ´evidence le manque de connaissance sur
certains compartiments de lâ´ecosyst`eme et en promouvant la communication entre scien-
tifiques, souvent restreints `a leur domaine dâapplication. Lâh´et´erog´en´eit´e des donn´ees,
associ´ee aux approximations et incertitudes (erreurs de mesure par exemple), contri-
buent au fait que le r´eseau trophique ´etudi´e ne soit pas initialement `a lâ´etat dâ´equilibre.
Dans un premier temps, le mod`ele inclut une s´erie de routines permettant dâestimer
un maximum de param`etres inconnus `a partir des valeurs rentr´ees et ainsi de diminuer
les calculs n´ecessaires `a lâ´equilibrage. Une proc´edure int´egr´ee dans Ecopath permet en-
suite dâ´equilibrer le syst`eme par essais-erreurs pour estimer les param`etres manquants
et obtenir une solution unique. Allesina et Bondavalli (2003) ont montr´e que le choix
des algorithmes pour ´equilibrer les donn´ees pouvait avoir des effets importants sur les
sorties des mod`eles et propos´e des algorithmes alternatifs conduisant `a des r´esultats plus
pr´ecis. La version actuelle du logiciel EwE permet dâintroduire de lâincertitude sur les
valeurs des param`etres dâentr´ee en leur assignant des distributions de fr´equence. Cette
52
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
proc´edure d´enomm´ee
ÂŤ
Ecoranger
Âť
se fait selon une approche de Monte Carlo afin de se
rapprocher dâun cadre Bay´esien. Le choix dâune loi de distribution
a priori
pour les pa-
ram`etres du mod`ele demeure cependant un probl`eme classique dans ce type dâapproche
(Punt et Hilborn, 1997 ; McAllister et Kirkwood, 1998).
Fig.
1.14
â
Un exemple de mod`ele Ecopath : mod´elisation du fonctionnement trophique des commu-
naut´es de fond meuble du lagon de lâatoll dâOuv´ea. La taille des compartiments est proportionnelle `
a
la biomasse. Les principaux flux de mati`eres `
a partir des producteurs primaires (fl`eches grises) et des
consommateurs (fl`eches noires) sont repr´esent´es (en
g.C.m
â
2
.y
â
1
) (extrait de Bozec et al., 2004)
La r´esolution num´erique du mod`ele donne une image instantan´ee des flux entre les divers
composantes du r´eseau trophique, g´en´eralement pour une ann´ee donn´ee (Fig. 1.14). En
parall`ele `a la quantification des flux trophiques au sein du syst`eme, le mod`ele fournit
les distributions dâeffectifs ou de biomasse par classe de taille, une s´erie de graphiques
et un ensemble dâindicateurs caract´erisant la
ÂŤ
sant´e
Âť
de lâ´ecosyst`eme ´etudi´e. Le ca-
ract`ere convivial de lâinterface, la simplicit´e des ´equations et hypoth`eses sous-jacentes
et lâabsence de besoins de comp´etences fortes en mod´elisation ont contribu´e `a une large
distribution du logiciel et `a son application `a un grand nombre dâ´ecosyst`emes et de
probl´ematiques ´ecologiques diff´erentes (Christensen et Pauly, 1993 ; Christensen et Wal-
ters, 2004). Malgr´e les difficult´es li´ees `a des structures de mod`eles diff´erentes, cette
vari´et´e dâapplications favorise des approches comparatives afin de d´etecter des patrons
communs entre les r´eponses des syst`emes (p. ex. Vasconcellos et al., 1997 ; Moloney
et al., 2005). Dans ce sens, Ecopath est un outil puissant car il permet dâ´emettre des
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
53
hypoth`eses sur le fonctionnement des ´ecosyst`emes et dâavoir une approche `a lâ´echelle
mondiale pour sâaffranchir des sp´ecificit´es dâune zone dâ´etude particuli`ere. Lâutilisation
de ce mod`ele pour des p´eriodes distinctes permet ´egalement de comparer lâ´evolution
de la structure trophique et des flux entre compartiments, afin de d´ecrire la variabilit´e
temporelle du r´eseau trophique et dâanalyser les causes possibles de changements impor-
tants, observ´es par exemple dans la composition des captures (p. ex. Shannon et al.,
2003). Lâapplication dâEcopath est cependant affect´ee par le surparam´etrage du mod`ele
et ses besoins tr`es importants en donn´ees (Hall, 1999). La structure du mod`ele peut avoir
des effets importants sur les r´esultats et d´epend `a la fois des objectifs du mod´elisateur
et de la disponibilit´e des jeux de donn´ees. De plus, une grande incertitude existe sur
les valeurs dâentr´ee des param`etres du mod`ele. En particulier, des valeurs moyennes is-
sues de la litt´erature sont g´en´eralement utilis´ees pour les compartiments mal connus, en
d´epit de leur possible rËole cl´e dans les processus. Par ailleurs, le param`etre de producti-
vit´e, c.-`a-d. de production par gramme de biomasse, est consid´er´e constant et moyenn´e
pour les diff´erentes esp`eces du compartiment ´etudi´e. Une telle hypoth`ese apparaËÄąt en
contradiction avec les mod`eles monosp´ecifiques halieutiques, o`
u des processus de den-
sit´e-d´ependance sont suppos´es moduler la productivit´e du stock en fonction de son ni-
veau de biomasse (Section 1.3.1.1). Ces diff´erents facteurs limitent consid´erablement le
recours aux mod`eles Ecopath comme outil op´erationnel pour la gestion des pËeches.
1.3.3.2
Ecosim, vers une vision dynamique des transferts
Une version dynamique du mod`ele Ecopath a ´et´e d´evelopp´ee d`es 1995 sous la forme dâun
syst`eme dâ´equations diff´erentielles coupl´ees afin de r´ealiser des simulations dynamiques et
dâanalyser les changements dâ´equilibres (Ecosim ; Walters et al. (1997, 2000)). Lâobjectif
principal dâEcosim est de sâaffranchir de lâhypoth`ese dâ´equilibre dâEcopath, dâajuster le
mod`ele sur des s´eries temporelles de biomasse, et de r´ealiser des simulations pour le futur.
En d´epit de la contrainte forte de consid´erer le syst`eme proche de son ´etat dâ´equilibre,
Ecosim apparaËÄąt comme un outil utile pour explorer des hypoth`eses sur les r´eponses
des syst`emes `a lâexploitation en ´etablissant un lien dynamique entre les captures et les
interactions pr´edateur-proie, en identifiant les effets quantitatifs dus `a des modifications
de captures et en mettant en ´evidence les facteurs majeurs responsables des changements
(Whipple et al., 2000). La mod´elisation de la complexit´e des interactions trophiques et
des flux a notamment montr´e quâil pouvait exister des d´ecalages dans les temps de
r´eponse ainsi que des instabilit´es potentielles des syst`emes (Walters et al., 1997). Par
rapport aux approches multisp´ecifiques, Ecosim analyse les effets dâinteraction `a tous
les niveaux du r´eseau trophique plutËot que de regrouper les bas niveaux trophiques
dans un compartiment
ÂŤ
autre
Âť
, g´en´eralement suppos´e constant (Section 1.3.2). La
derni`ere version du mod`ele int`egre des ´equations exprimant le passage de biomasse entre
54
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
compartiments de juv´eniles et adultes dâune mËeme esp`ece (Walters et al., 2000), et des
pools de proies vuln´erables pouvant limiter les contrËoles top-down (Walters et al., 1997).
Fig.
1.15
â
Principe du mod`ele de
ÂŤ
zone dâalimentation
Âť
sp´ecifi´e dans Ecosim. Les flux entre les
compartiments inaccessible et accessible de la proie i pour le pr´edateur j sont proportionnels `
a la biomasse
du compartiment de
ÂŤ
d´epart
Âť
, avec
ν
i
le taux dâ´echange entre ces compartiments.
a
i
repr´esente le taux
dâattaque du pr´edateur j vers la proie i.
a
i
V
i
B
j
exprime les taux de rencontre entre le pr´edateur j et la
proie i (dâapr`es Christensen et Walters, 2004).
Ce concept de
ÂŤ
zone dâalimentation
Âť
mod´elisant un flux entre biomasse inaccessible
et accessible pour les pr´edateurs (Fig. 1.15) permet de sâaffranchir des param`etres de
vuln´erabilit´e et dâaccessibilit´e du mod`ele de s´electivit´e de la MSVPA difficiles `a estimer
(Section 1.3.2), mais constitue lâune des hypoth`eses fortes dâEcosim (Whipple et al.,
2000). En effet, la valeur du taux dâ´echange entre biomasse accessible et inaccessible
est difficile `a ´evaluer et modifie consid´erablement les r´esultats du mod`ele en modulant
lâampleur des contrËoles top-down et bottom-up (Walters et al., 1997 ; Christensen
et Walters, 2004). De plus, Shin (2000) a montr´e que cette hypoth`ese de transfert ne
conduisait `a aucune r´eponse fonctionnelle de forme connue dans la litt´erature mais `a un
type de r´eponse th´eorique non r´ealiste. N´eanmoins et comme mentionn´e pr´ec´edemment,
la forme de la r´eponse fonctionnelle rel`eve pour Walters et al. (2000) de questions
th´eoriques dâordre secondaire par rapport aux choix de mod´elisation du comportement
alimentaire et de taux dâalimentation des populations. Le choix des termes de mortalit´e
a cependant des effets importants sur le comportement des mod`eles, ceci soulignant la
n´ecessit´e de mener des ´etudes pour sp´ecifier la forme des r´eponses fonctionnelles dans la
nature, en fonction des diff´erents groupes trophiques dâint´erËet (Jost, 1998 ; Fulton et al.,
2003b). De plus et tout comme la MSVPA, Ecosim ne tient pas compte de changements
possibles de proies dans les fonctions de consommation (Whipple et al., 2000).
Lâapproche EwE et plus g´en´eralement les mod`eles de r´eseau trophique sâint´eressent aux
transferts dâ´energie et de mati`ere au sein des syst`emes ´etudi´es principalement via les
processus de pr´edation. Ces th´ematiques de recherche ne sont pas nouvelles puisquâelles
sâappuient en grande partie sur des travaux dâ´ecologie th´eorique remontant au d´ebut
des ann´ees 20 (Elton, 1927 ; Lindeman, 1942 ; MacArthur, 1955 ; Hutchinson, 1959 ;
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
55
Odum, 1969). Ces fondements th´eoriques sont aujourdâhui coupl´es aux approches plus
r´ecentes d´evelopp´ees en dynamique des populations marines afin de comprendre les ef-
fets que lâexploitation peut avoir, non seulement sur les populations exploit´ees mais
´egalement sur les diff´erentes composantes de lâ´ecosyst`eme. Dans cette perspective, il
semble essentiel de d´ecrire et quantifier les relations au sein des syst`emes et de ca-
ract´eriser lâimpact de lâexploitation sur lâensemble du r´eseau trophique. Toute lâinfor-
mation collect´ee par les organismes scientifiques halieutiques depuis un si`ecle constitue
une base de connaissances extraordinaire afin dâ´elargir les questions scientifiques dâune
vision monosp´ecifique centr´ee sur lâexploitation et la production `a des probl´ematiques
de conservation telles que d´efinies par lâAEP (Section 1.2). En parall`ele `a lâimpact de
la pËeche, la vision holistique du syst`eme dâ´etude revËet un aspect plus fondamental de
compr´ehension des m´ecanismes qui r´egissent le fonctionnement des syst`emes complexes
que sont les ´ecosyst`emes marins. Une immense part de la biomasse de ces syst`emes et
des processus qui y si`egent demeurent encore m´econnus aujourdâhui et les perturba-
tions et stress provoqu´es par la pËeche
ÂŤ
offrent lâopportunit´e
Âť
dâ´etudier les r´eactions
des ´ecosyst`emes en analysant les modifications subies et les r´eponses engendr´ees. Du fait
des difficult´es inh´erentes `a lâexp´erimentation sur des ´ecosyst`emes r´eels, les approches
par simulation semblent adapt´ees et compl´ementaires. En effet, la simulation consiste
`a faire ´evoluer un mod`ele dynamique dans le temps afin dâen ´evaluer la pertinence et
constitue ainsi une phase dâexp´erimentation du mod`ele th´eorique (Millischer, 2000). Les
mod`eles de simulation forment ainsi des outils majeurs pour poser et tester des hy-
poth`eses relatives aux m´ecanismes g´en´eraux de fonctionnement des ´ecosyst`emes marins.
Les pr´evisions de ces mod`eles apparaissent comme des solutions possibles selon lâinfor-
mation disponible dans les donn´ees collect´ees par le pass´e. Le caract`ere complexe des
syst`emes est cependant responsable dâune grande incertitude sur leurs r´eponses, des si-
tuations jamais observ´ees auparavant pouvant se produire dans le futur sans quâil nâait
´et´e possible de les pr´evoir. Dans ce contexte, les int´erËets majeurs des mod`eles EwE sont
1) de constituer un outil de communication entre disciplines 2) de donner une id´ee sur
les ordres de grandeur possibles des effets ´etudi´es et 3) dâaider `a mettre en ´evidence
des incoh´erences dans les donn´ees et `a identifier les facteurs qui semblent pr´epond´erants
dans les r´eponses observ´ees ou sur lesquels peu dâinformation est disponible.
1.3.3.3
Mod´
eliser le flux de biomasse entre niveaux trophiques
Suivant les approches trophodynamiques initi´ees par Lindeman (1942), Gascuel (2002,
2005) a propos´e un mod`ele de flux de biomasse pour analyser les effets de la pËeche sur le
r´eseau trophique. Ce flux des bas vers les hauts niveaux trophiques provient de deux pro-
cessus distincts : la pr´edation et les changements ontog´eniques. La pr´edation conduit `a
des transferts de biomasse des proies vers les pr´edateurs. Les changements ontog´eniques
56
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
entraËÄąnent g´en´eralement une augmentation du niveau trophique avec lâËage du poisson.
Lâauteur nâexprime pas explicitement ces deux processus mais adopte une vision heu-
ristique dâun flux continu entre niveaux trophiques, mod´elis´e de mani`ere discr`ete. Le
mod`ele repose essentiellement sur lâid´ee que la biomasse dâun niveau trophique donn´e
se calcule comme le produit du flux de biomasse passant le long du r´eseau, et du temps
pass´e dans le niveau trophique. Les deux ´equations fondamentales expriment le flux de
biomasse, suivant une fonction exponentielle d´ecroissante (´
Eq. 1.18), et le temps re-
quis pour franchir un intervalle de niveau trophique (´
Eq. 1.19). Malgr´e leur caract`ere
empirique, ces ´equations se basent sur deux hypoth`eses simples et peu discutables. La
premi`ere est que la production secondaire transite le long du r´eseau trophique, des bas
vers les hauts niveaux trophiques, et que des pertes naturelles et par pËeche ont lieu lors
des transferts. La deuxi`eme est que la cin´etique du flux est caract´eris´ee par des transferts
plus rapides dans les bas niveaux trophiques, du fait de taux de m´etabolisme plus ´elev´es.
Ceci a notamment ´et´e observ´e via les ratios de production sur biomasse (
P/B
), inver-
sement corr´el´es avec la taille des organismes (Banse et Mosher, 1980). ´
Etant donn´e que
la taille et le niveau trophique sont g´en´eralement corr´el´es `a lâ´echelle de la communaut´e
(Jennings et al., 2001b, 2002b), cette deuxi`eme hypoth`ese semble raisonnable.
Dans un deuxi`eme temps, deux types de contrËole sont consid´er´es dans le mod`ele. Dâune
part, le taux de pertes naturelles du flux `a chaque niveau trophique est exprim´e en
fonction du ratio de biomasse de ses pr´edateurs, entre la situation `a consid´erer (c.-
`a-d. pour un niveau dâexploitation donn´e) et la situation `a lâ´etat vierge (´
Eq. 1.20).
La biomasse des pr´edateurs correspond `a la biomasse pr´esente au niveau trophique
sup´erieur. Ceci permet de moduler lâampleur du contrËole top-down en supposant que
lâefficacit´e de transfert va principalement Ëetre affect´ee par la pr´edation qui favorise le flux
de biomasse. Dâautre part, la valeur du flux initial au niveau trophique 2 est mod´elis´ee en
fonction dâun param`etre d´ependant du ratio entre la biomasse totale (except´e le niveau
trophique 1) dans lâ´ecosyst`eme `a lâinstant t et `a lâ´etat vierge (´
Eq. 1.21). Cette ´equation
repr´esente de mani`ere globale les processus de recyclage et de recrutement suppos´es
augmenter avec la biomasse de lâ´ecosyst`eme.
Le mod`ele de flux est avant tout un mod`ele de simulation th´eorique permettant de tes-
ter des hypoth`eses sur le fonctionnement des ´ecosyst`emes exploit´es. Lâun des int´erËets
majeurs du mod`ele est dâoffrir un cadre g´en´eral de simulation reposant sur des hy-
poth`eses simples et r´ealistes. Le formalisme adopt´e permet notamment de sâaffran-
chir du d´ecoupage g´en´eralement arbitraire du r´eseau trophique en compartiments, en
consid´erant une dimension continue du r´eseau. Cette approche repose sur le concept
de niveau trophique fractionnel, sugg´er´e par Kerr (1974) et introduit par Odum et
Heald (1975). Lâobjectif du mod`ele est dâanalyser et comparer les diff´erents types de
r´eponses des ´ecosyst`emes en fonction des caract´eristiques du syst`eme dâexploitation et
du r´eseau trophique. Gascuel (2005) montre notamment comment la s´electivit´e de la
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
57
Tab.
1.4 â
´
Equations, notations et d´efinitions des variables et param`etres utilis´es dans le mod`ele de
flux (Gascuel, 2005).
ÎŚ(
Ď
+ â
Ď
) = ÎŚ(
Ď
) exp (
â
(
Âľ
Ď
+
Ď
Ď
)â
Ď
)
(1.18)
dt
dĎ
=
1
ab
c
c
+ exp
â
Ď
a
(1.19)
Âľ
Ď
= (1
â
Îą
Ď
)
Âľv
Ď
+
Îą
Ď
Âľv
Ď
B
Ď
+1
Bv
Ď
+1
(1.20)
ÎŚ(1) = (1
â
β
)ÎŚ
v
(1) +
β
ÎŚ
v
(1)
B
tot
Bv
tot
(1.21)
Notations
D´efinition
ÎŚ
Flux de biomasse
Ď
Niveau trophique
Âľ
Taux de pertes naturelles du flux
Âľv
Taux de pertes naturelles du flux `a lâ´etat vierge
Ď
Taux de pertes du flux dues `a la pËeche
a, b, c
Param`etres de la cin´etique du flux
B
Biomasse
Bv
Biomasse `
a lâ´etat vierge
B
tot
Biomasse totale pour
Ď >
2
Bv
tot
Biomasse totale pour
Ď >
2
`a lâ´etat vierge
Îą
Param`etre exprimant le degr´e de contrËole top-down
β
Param`etre exprimant le degr´e de contrËole du flux initial
pËeche, les contrËoles top-down et bottom-up, et la cin´etique de flux modifient les spectres
trophiques de biomasse et de captures simul´es. Un spectre trophique repr´esente la distri-
bution dâune variable (biomasse, densit´e, effectifs, etc.) en fonction du niveau trophique
Gascuel et al. (2005). Les r´esultats des simulations sont en bonne ad´equation avec des
donn´ees observ´ees dans la nature ou simul´ees `a partir dâapplications de mod`eles `a des
cas particuliers dâ´ecosyst`emes. En particulier, le contrËole top-down favorise une certaine
r´esistance de lâ´ecosyst`eme `a lâexploitation par relËachement de pr´edation, du fait dâune
diminution dâabondance des pr´edateurs pr´ef´erentiellement cibl´es (Fig. 1.16). N´eanmoins,
cette r´esistance `a la pËeche est en g´en´eral associ´ee `a une diminution importante, voire une
disparition des pr´edateurs sup´erieurs. Elle d´epend par ailleurs de la n´ecessit´e de pou-
voir exploiter commercialement les bas niveaux trophiques. Le contrËole top-down peut
´egalement g´en´erer des ph´enom`enes de cascades trophiques, `a condition que lâexploitation
se fasse de mani`ere tr`es s´elective sur certains niveaux trophiques.
58
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.16
â
Exemples de lâimpact de la pËeche sur les spectres trophiques simul´es de biomasse (a,b) et
de captures (c,d) pour des syst`emes domin´es par des contrË
oles bottom-up (a,c) ou top-down (b,d). Les
fl`eches indiquent une intensit´e de pËeche croissante (extrait de Gascuel et al., 2005).
La faible complexit´e du mod`ele conduit `a une compr´ehension ais´ee des r´esultats et
`a un petit nombre de param`etres `a estimer. Cependant et compte tenu du caract`ere
empirique des ´equations, les valeurs des param`etres ne renvoient pas directement `a une
interpr´etation biologique ou ´ecologique simple, et ne sont pas facilement disponibles dans
la litt´erature. Lâefficacit´e de transfert trophique est relativement bien connue et d´ecrit
la proportion de production de la proie convertie en production par le pr´edateur (Pauly
et Christensen, 1995 ; Ware, 2000 ; Jennings et al., 2002c). Dans le mod`ele, lâefficacit´e
d´etermine le param`etre de d´ecroissance du flux de biomasse et inclut, en plus de la
production, les transferts de biomasse par ontog´enie. Une gamme de valeurs dâefficacit´e
est test´ee et d´efinit des ´ecosyst`emes caract´eris´es par des spectres de biomasse diff´erents,
les faibles efficacit´es conduisant `a des syst`emes de faible biomasse totale domin´es par
des bas niveaux trophiques (et vice-versa). En revanche, les valeurs des param`etres de
lâ´equation de cin´etique demeurent empiriques, voire arbitraires. Bien que la vitesse de
transfert semble
a priori
peu abord´ee en ´ecologie marine, elle renvoie `a la notion de turn
over, correspondant `a lâinverse du ratio
P/B
. Une revue des valeurs de ce param`etre `a
partir des mod`eles Ecopath et de FishBase devrait notamment permettre dâam´eliorer
lâ´equation de cin´etique qui constitue une limite `a lâutilisation du mod`ele pour des cas
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
59
dâ´etude r´eels. De fait, une application relativement exploratoire du mod`ele `a la mer du
Nord et `a la mer Celtique a ´et´e r´ealis´ee (Gascuel et Chassot, soumis). Elle a notamment
mis en ´evidence lâint´erËet du mod`ele pour estimer les spectres de biomasse `a partir des
donn´ees de captures par niveau trophique, afin de comparer les niveaux dâexploitation
`a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme et leur ´evolution temporelle. Une autre application est en
pr´eparation sur les ´ecosyst`emes d´emersaux dâAfrique de lâOuest, pour lesquels des indices
dâabondance pour la situation proche de lâ´etat vierge sont disponibles. Lâapplication du
mod`ele `a ce cas dâ´etude a pour objectif principal de comparer les ´ecosyst`emes Guin´een
et S´en´egalais, soumis `a une expansion de lâexploitation tr`es rapide au cours des trois
derni`eres d´ecennies, et semblant caract´eris´es par des r´eponses diff´erentes `a la pËeche
(Laurans et al., 2004).
Le mod`ele de flux est bas´e sur un certain nombre de simplifications importantes du
point de vue du recrutement, de la densit´e-d´ependance uniquement prise en compte
pour lâefficacit´e de transfert, du contrËole top-down consid´er´e constant `a tous les niveaux
trophiques... Ces simplifications correspondent avant tout `a des choix de mod´elisation
afin de disposer dâun outil de simulation g´en´erique et la prise en compte de ces diff´erents
processus ne pose
a priori
pas de difficult´e th´eorique et technique majeure. N´eanmoins,
de tels ajouts n´ecessiteraient de nouvelles hypoth`eses et lâestimation dâun plus grand
nombre de param`etres qui limiteraient alors son int´erËet comme outil de simulation et
dâexploration du fonctionnement des ´ecosyst`emes. Plus fondamentalement, le flux de
biomasse est mod´elis´e comme un ph´enom`ene continu, entre niveaux trophiques contigus,
alors que les processus de pr´edation conduisent g´en´eralement `a des
ÂŤ
sauts de biomasse
Âť
entre proies et pr´edateurs. Dans ce sens, une approche compl´ementaire du mod`ele de flux
consisterait `a mod´eliser explicitement les processus sous-jacents au flux de biomasse :
flux entrant de biomasse par pr´edation sur les proies, morts naturelle et par pËeche,
flux sortant par vieillissement et pr´edation (M. Plantegenest, com. pers.). Formaliser
math´ematiquement ce mod`ele de spectre trophique pourrait sâav´erer utile pour quantifier
sa sensibilit´e `a la pËeche et comparer les r´esultats avec le mod`ele de flux et les mod`eles
de spectres de taille existants (p. ex. BenoËÄąt et Rochet, 2004).
1.3.4
Vers une mod´
elisation des ´
ecosyst`
emes dans leur
int´
egralit´
e
Dans le contexte dâextension des approches monosp´ecifiques vers une dimension holis-
tique de lâam´enagement des pËecheries, le d´eveloppement de mod`eles de lâ´ecosyst`eme
entier comme outils de gestion a ´et´e propos´e depuis quelques ann´ees (p. ex. Sainsbury
et al., 2000). Il existe en r´ealit´e une certaine confusion, voire des abus de langage
sur la terminologie de
ÂŤ
mod`ele ´ecosyst´emique
Âť
puisque ce terme peut Ëetre employ´e
60
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
pour des mod`eles se focalisant sur des parties de lâ´ecosyst`eme uniquement li´ees `a des
probl´ematiques de pËeche ou de qualit´e de lâeau par exemple (Fulton et al., 2003a).
Cette confusion se retrouve ´egalement au niveau de la
ÂŤ
gestion ´ecosyst´emique
Âť
, qui
peut recouvrer selon les cas une large gamme de sens (Link, 2002c). Les mod`eles EwE
sont g´en´eralement consid´er´es comme des mod`eles ´ecosyst´emiques, c.-`a-d. repr´esentant
lâ´ecosyst`eme dans son int´egralit´e. N´eanmoins, lâinfluence de lâenvironnement y est ra-
rement prise en compte, ou uniquement sous la forme de variables for¸cantes (Hollowed
et al., 2000). De plus, la dimension physique, et plus particuli`erement la dimension spa-
tiale, nâest pas inclue dans ces mod`eles en d´epit de lâimportance quâelle peut avoir sur les
processus ´ecologiques. Le d´eveloppement dâune version spatialis´ee dâEcosim (Ecospace ;
Walters, 1999) devrait permettre de tenir compte de ces aspects, mais peu dâapplications
de ce mod`ele ont pour lâinstant ´et´e r´ealis´ees.
En parall`ele aux approches de type EwE, les repr´esentations de lâ´ecosyst`eme entier bas´ees
sur les mod`eles biog´eochimiques (p. ex. Baretta et al., 1995) semblent prometteuses
pour ´etudier lâensemble des facteurs affectant les dynamiques des compartiments tro-
phiques. En particulier, lâIntegrated Generic Bay Ecosystem Model (IGBEM) d´evelopp´e
par Fulton et al. (2004a, 2004b) est un mod`ele couplant transport physique et processus
biog´eochimiques, qui permet notamment dâexplorer les relations de comp´etition et de
pr´edation au sein des ´ecosyst`emes marins de baie. Le mod`ele est compartiment´e en 59
zones spatiales, chacune ´etant segment´ee en 3 couches verticales : colonne dâeau, com-
munaut´e ´epibenthique et s´ediments (Fig. 1.17a). Le mod`ele biog´eochimique sâappuie sur
les interactions entre les composantes biologiques et physiques (organismes, nutriments,
gaz, salinit´e, s´ediments, mati`eres organiques) de lâ´ecosyst`eme et peut se repr´esenter
sch´ematiquement sous la forme dâun r´eseau de flux (Fig. 1.17b).
Ce type de mod`ele int´egrant `a la fois complexit´e trophique, mod´elisation explicite des
nutriments et environnement physique, g´en´eralement sous la forme de variables for¸cantes,
avait d´ej`a ´et´e propos´e par certains auteurs d`es la fin des ann´ees 1970 (p. ex. Andersen
et Ursin, 1977). Lâobjectif de ces approches est de consid´erer lâensemble des facteurs
biotiques et abiotiques pouvant jouer un rËole dans les processus ´ecosyst´emiques, afin
dâavoir des repr´esentations compl`etes des syst`emes naturels. Il sâagit `a terme dâ´eviter de
n´egliger certains facteurs pouvant limiter le potentiel des mod`eles, notamment en terme
dâajustement aux donn´ees observ´ees et de pouvoir de pr´ediction. La prise en compte de
la dimension spatiale des mod`eles semble notamment essentielle pour pouvoir simuler et
interpr´eter les dynamiques des ´ecosyst`emes (Fulton et al., 2003a). La complexification
des mod`eles pose avant tout des difficult´es au regard de lâinformation requise et des
choix n´ecessaires concernant les compartiments et processus `a int´egrer. Tout acte de
mod´elisation, et sp´ecifiquement dans le cas de mod`eles complexes, n´ecessite donc de
parvenir `a un ´equilibre raisonnable entre le degr´e de r´ealisme auquel on veut parvenir, la
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
61
Fig.
1.17
â
(a) Diagramme sch´ematique des principaux modules du
ÂŤ
Integrated Generic Bay Eco-
system Model
Âť
(b) Interactions physiques et biologiques entre les composantes utilis´ees dans le mod`ele
(extrait de Fulton et al., 2004b).
dimension pragmatique relative `a sa compr´ehension et lâacquisition des donn´ees. Comme
le mentionne Stokes (1992) cit´e par Magnusson (1995) :
62
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
ÂŤ
When does a realistic model give more believable results than a less realistic one ? It is
possible, indeed, that semi-realism produces less accurate than parsimonious represen-
tations of the systems of interest ? The fundamental question is whether or not detail
adds precision and accuracy or can it also lead to errors, confusion and obfuscation ?
Âť
La grande complexit´e des mod`eles ´ecosyst´emiques est g´en´eralement responsable dâune
large incertitude sur les r´esultats et soul`eve des interrogations quant `a leur utilisation
en tant quâoutils de gestion. La complexification des mod`eles, en incorporant toujours
plus de processus, augmente rapidement le nombre de param`etres `a estimer, ceux-ci ne
pouvant plus Ëetre contraints par lâinformation pr´esente dans les donn´ees (Denman, 2003),
et nâam´eliore g´en´eralement pas leurs performances (Fulton et al., 2003a ; Arhonditsis
et Brett, 2004). Ces approches ont cependant un rËole essentiel pour am´eliorer notre
connaissance sur les syst`emes afin dâappr´ehender les impacts possibles de diff´erentes
politiques de gestion et dâindiquer les tendances associ´ees `a un changement des conditions
for¸cant les syst`emes. Tout comme les mod`eles multisp´ecifiques ou de r´eseau trophique,
les mod`eles ´ecosyst´emiques offrent ainsi des outils quantitatifs pour ´emettre et tester
des hypoth`eses sur les m´ecanismes prenant place au sein des ´ecosyst`emes marins. Leur
caract`ere global permet alors de raisonner `a un degr´e sup´erieur de complexit´e et de
mettre en ´evidence des facteurs responsables des dynamiques observ´ees et occult´es par
des approches moins compl`etes. Lâobjectif final du d´eveloppement et de lâapplication de
ces mod`eles est de g´en´erer de nouvelles connaissances sur la structure et la fonction des
´ecosyst`emes marins, pour conduire
in fine
`a une th´eorie g´en´erale sur leur fonctionnement
(Cury et al., 2003).
Les mod`eles biog´eochimiques pr´edisent globalement les mËemes tendances qualitatives
quâEcosim mais apparaissent sensibles aux hypoth`eses sur le recrutement des popula-
tions, et montrent une plus grande sensibilit´e `a des simulations portant sur la pËeche
(Fulton et al., 2003a). Dans une synth`ese r´ecente, De Young et al. (2004) mettent en
garde contre lâutilisation de ces mod`eles pour pr´edire la dynamique des hauts niveaux
trophiques, du fait des diff´erences fondamentales de processus gouvernant les dynamiques
des compartiments du r´eseau, et de lâincertitude parfois tr`es importante pouvant exister
sur les processus eux-mËemes. Toujours selon De Young et al. (2004), le d´eveloppement
de mod`eles ´ecosyst´emiques dans lâoptique dâune meilleure compr´ehension et pr´evision
des changements ayant lieu au sein des oc´eans devra dans le futur :
â int´egrer une approche sp´ecifique pour les hauts niveaux trophiques afin de tenir compte
de la variabilit´e interindividuelle et des traits dâhistoire de vie qui les caract´erisent,
â parvenir `a coupler plusieurs types de mod`eles se focalisant sur des niveaux trophiques
distincts plutËot que d´evelopper un mod`ele unique compl`etement int´egr´e,
â inclure de mani`ere explicite lâincertitude existant sur la structure et les m´ecanismes
mod´elis´es, via des simulations probabilistes et non d´eterministes,
1.3 De la population `
a lâ´
ecosyst`
eme, mod`
eles usuels en halieutique
63
â tenir compte des ´echelles spatiales et temporelles des organismes dâint´erËet,
â am´eliorer les mod`eles physiques constituant la base des mod`eles biologiques lorsque
des couplages sont faits entre ces types dâapproches.
1.3.5
Conclusion
Dans le contexte dâ´elargissement des approches halieutiques traditionnelles, les mod`eles
´ecosyst´emiques auront tr`es certainement un rËole important `a jouer pour am´eliorer la
connaissance scientifique sur les ´ecosyst`emes et progresser dans le domaine des pr´evisions,
en particulier sur les r´eponses des syst`emes aux perturbations anthropiques et envi-
ronnementales. Ces mod`eles demeurent pour lâinstant des outils exploratoires plutËot
quâop´erationnels, principalement `a cause de leurs besoins importants en donn´ees, des
manques th´eoriques sur de nombreux processus biologiques et des difficult´es de faire
le lien entre les compartiments trophiques caract´eris´es par des ´echelles spatiales et
temporelles diff´erentes. Lâutilisation de ces mod`eles n´ecessite notamment de mener des
analyses pour ´evaluer la sensibilit´e de leurs sorties `a la structure et aux formulations
math´ematiques retenues, et de comparer leurs r´esultats `a des mod`eles plus simples (Den-
man, 2003 ; Fulton et al., 2003a). La mise en place dâun protocole m´ethodologique
syst´ematique pour le d´eveloppement des mod`eles ´ecosyst´emiques faisant appel `a des
analyses de sensibilit´e et des phases de validation, telle que sugg´er´ee par Arhonditsis
et Brett (2004) pour les mod`eles biog´eochimiques, pourrait concourir `a promouvoir le
d´eveloppement de ces approches.
Les outils de mod´elisation utilis´es en halieutique depuis plus dâun si`ecle ont constam-
ment ´evolu´e pour sâadapter aux enjeux de gestion d´efinis dans un contexte dâexploi-
tation donn´e, et prendre en compte les connaissances scientifiques disponibles sur les
ressources et ´ecosyst`emes marins. Lâexpansion progressive de lâexploitation et la recon-
naissance de ses multiples effets sur les ´ecosyst`emes se sont traduits par lâ´emergence
r´ecente dâune vision holistique de lâam´enagement des pËecheries, se traduisant globa-
lement par une complexification croissante des mod`eles. En r´ealit´e, les approches de
mod´elisation `a lâ´echelle de la communaut´e ou de lâ´ecosyst`eme entier ont pr´ec´ed´e dans
le temps et contribu´e de mani`ere importante aux revendications pour la mise en place
dâune gestion ´ecosyst´emique des pËeches en identifiant et r´ev´elant le caract`ere global de
lâimpact de lâexploitation. Des mod`eles tels que ceux de Lett et Kohler (1976), Andersen
et Ursin (1977) et May et al. (1979) ont notamment permis de mettre en ´evidence la
n´ecessit´e dâ´etudier les relations intersp´ecifiques pour am´eliorer notre compr´ehension des
dynamiques des populations exploit´ees, et ainsi ´etendre la perception des objets dâ´etude
`a lâ´echelle des communaut´es. Il y a donc une relation dialectique entre le d´eveloppement
des mod`eles et lâ´evolution des objectifs de gestion vers une approche plus ´ecosyst´emique.
64
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Il reste n´eanmoins vrai que le d´eveloppement et lâam´elioration dans le futur des mod`eles
en halieutique constitue une condition essentielle `a la r´eussite dâune gestion centr´ee sur
lâ´ecosyst`eme.
1.4
Les
indicateurs
au
service
de
lâapproche
´
ecosyst´
emique des pË
eches
Parmi la diversit´e de d´efinitions existant pour les indicateurs, nous retiendrons celle
relativement large de Garcia et Staples (2000) (cit´es par Caddy (2004)) :
ÂŤ
A variable, a pointer, an index related to a criterion. Its fluctuations reveal
the variations in those key attributes of sustainability in the ecosystem, the
fishery resource or the sector and social and economic well-being. The posi-
tion and trend of the indicator in relation to the reference points or values
indicate the present state and dynamics of the system.
Âť
Les points de r´ef´erence mentionn´es dans cette d´efinition sont des crit`eres conceptuels
qui int`egrent globalement les objectifs de gestion et quâil est n´ecessaire de convertir en
points de r´ef´erence techniques, c.-`a-d. qui puissent Ëetre calcul´es ou quantifi´es sur la base
des caract´eristiques biologiques ou ´economiques de la pËecherie (Caddy et Mahon, 1996).
Ils peuvent Ëetre per¸cus comme des valeurs critiques des indicateurs et proviennent dâana-
lyses, dâobservations, de jugements dâexperts, de mod`eles de populations et dâanalyses
comparatives avec des jeux de donn´ees correspondant `a des p´eriodes ant´erieures (Caddy,
2004).
Nous nous limiterons dans cette section aux indicateurs biologiques et ´ecologiques
bien que la vision globale de lâAEP appelle `a consid´erer explicitement une dimension
´economique et sociale dans les objectifs de gestion (Garcia et De Leiva Moreno, 2003).
Nous pr´esenterons dans un premier temps les indicateurs utilis´es actuellement dans les
processus dâ´evaluation de stock et principalement centr´es sur la biomasse et la mortalit´e
par pËeche. Dans le contexte dâ´elargissement de la vision monosp´ecifique des approches
halieutiques dites conventionnelles, la n´ecessit´e de promouvoir des recherches sur des in-
dicateurs multisp´ecifiques et ´ecosyst´emiques a notamment conduit `a lâorganisation dâun
groupe de travail (WG 119) au sein du comit´e scientifique sur la recherche oc´eanique
(CSRO). Nous nous attacherons dans un second temps `a d´ecrire les r´esultats majeurs
des ´etudes portant sur ces indicateurs. Nous montrerons par ailleurs que la large gamme
dâindicateurs de lâ´etat et/ou de la dynamique des ´ecosyst`emes et de leur exploitation
n´ecessite de mettre en place des m´ethodologies de s´election bas´ees sur des crit`eres adapt´es
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
65
aux enjeux de recherche et de gestion. Enfin, nous aborderons la question de la transpo-
sition de ces indicateurs
ÂŤ
´ecosyst´emiques
Âť
en termes op´erationnels, c.-`a-d. le passage
dâune dimension de recherche plutËot fondamentale `a des mesures de gestion effectives.
1.4.1
Deux indicateurs essentiels : biomasse et mortalit´
e par
pË
eche
1.4.1.1
Points de r´
ef´
erence cibles et MSY
Les captures annuelles ont repr´esent´e pendant des d´ecennies lâun des indicateurs ma-
jeurs de lâ´etat du stock et de son niveau dâexploitation, via le concept de MSY. D´efini au
d´ebut des ann´ees 1930, le MSY a pris une grande importance dans les ann´ees 1950 lors
de lâav`enement des mod`eles globaux permettant lâestimation de sa valeur (p. ex. Schae-
fer, 1954). Du fait de son apparente simplicit´e, de lâexistence de m´ethodes permettant
son estimation `a partir de jeux de donn´ees relativement ais´es `a obtenir et du contexte
´economique de lâ´epoque caract´eris´e par une demande alimentaire forte et des pËecheries
en pleine expansion, le concept de MSY a alors ´et´e adopt´e par de nombreuses organisa-
tions intergouvernementales comme objectif principal de la gestion des stocks et int´egr´e
de mani`ere explicite dans la Convention sur le droit de la Mer de 1982 (Caddy, 1999 ;
Mace, 2001). `
A partir de la fin des ann´ees 1970, le MSY a progressivement ´et´e remis en
cause en raison des probl`emes li´es `a son estimation, de son manque de pertinence comme
objectif de gestion et des difficult´es de mise en place de strat´egies dâexploitation bas´ees
sur ce concept (p. ex. Larkin, 1977 ; Mace, 2001). En particulier, le MSY est suppos´e
constant dâune ann´ee sur lâautre et ignore ainsi la variabilit´e naturelle de lâenvironne-
ment biotique et abiotique dans lequel ´evoluent les populations de poissons et pouvant
engendrer des fluctuations importantes de leur abondance au cours du temps (p. ex.
Ravier et Fromentin, 2001). De plus, le MSY apparaËÄąt inadapt´e en tant quâobjectif de
gestion d`es lors que lâon tient compte de relations intersp´ecifiques (May et al., 1979)
ou de consid´erations ´economiques et sociales dans lâam´enagement des pËecheries (Larkin,
1977). La majorit´e des scientifiques interpr`etent de nos jours le MSY dâune mani`ere plus
dynamique en le consid´erant comme un maximum moyen de captures (
ÂŤ
Maximum Ave-
rage Yield
Âť
; MAY) obtenu en appliquant une strat´egie sp´ecifique dâexploitation `a une
ressource fluctuante (Mace, 2001). Les indicateurs dâexploitation g´en´eralement utilis´es
deviennent alors la mortalit´e par pËeche au MSY (F
M SY
) qui donne une approximation
du MAY et la biomasse associ´ee (B
M SY
), conditionnellement `a lâadoption dâune strat´egie
dâexploitation caract´eris´ee par une mortalit´e par pËeche constante. Ces trois indicateurs
constituent des points de r´ef´erence cibles
5
(PRC), c.-`a-d. indiquant un ´etat de la pËecherie
5
Target Reference Point (TRP)
66
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
et/ou de la ressource que lâon consid`ere comme souhaitable et vers lequel les actions de
gestion, au cours du d´eveloppement ou de la reconstruction du stock, devraient tendre
(Caddy et Mahon, 1996).
1.4.1.2
Changement de paradigme : de la cible `
a la limite
Les ann´ees 1980 et 1990 ont ´et´e marqu´ees par un changement de paradigme, dâune gestion
centr´ee auparavant sur une maximisation des captures `a une approche de conservation
des stocks en empËechant la surexploitation, et sâappuyant sur des valeurs seuils ou points
de r´ef´erence limites
6
(PRL) (Caddy et Mahon, 1996 ; ICES, 1997). Un PRL indique ainsi
un ´etat de la pËecherie et/ou de la ressource que lâon consid`ere non souhaitable, et que les
actions de gestion devraient chercher `a ´eviter (Caddy et Mahon, 1996). Le recours aux
indicateurs et PRL dans les proc´edures de gestion a ´et´e encourag´e et mis en avant par la
Convention des Nations Unies sur les stocks de poissons chevauchant la ZEE et les stocks
de grands migrateurs (ONU, 1995), et le code de conduite de la FAO pour une pËeche
responsable (FAO, 1995). Ces instruments internationaux ont ainsi favoris´e lâ´emergence
et lâutilisation de points de r´ef´erence biologiques au sein des organismes scientifiques en
charge des ´evaluations de stocks, am´eliorant selon certain auteurs la gestion des pËeches
(Mace, 2001) :
ÂŤ
I believe the use of biological reference points as indicators of overfishing
has been taken far more seriously and has achieved more success in ensuring
rational exploitation to marine resources than the use of MSY or its proxies
as fishing targets
Âť
Cette approche reconnaËÄąt en particulier le manque de pr´ecision pouvant exister dans
lâ´evaluation de lâ´etat des ressources marines et par cons´equent les risques potentiels de
d´epasser les points cibles (Caddy, 2004). Elle sâinscrit ainsi dans le cadre g´en´eral de
lâapproche de pr´ecaution pour lâam´enagement des pËecheries (FAO, 1996), bien quâil nây
soit pas explicitement fait r´ef´erence dans les directives techniques de la FAO (Mace et
Gabriel, 1999). Pour Rosenberg et Restrepo (1995), les PRL sont les ´el´ements les plus
importants du d´eveloppement et de lâ´evaluation de strat´egies de gestion suivant une
approche de pr´ecaution. Ils ont avant tout permis de d´efinir les seuils de mortalit´e par
pËeche `a partir desquels il est possible de d´ecr´eter le stock comme surexploit´e (Sissenwine
et Shepherd, 1987). Cependant, plusieurs types de surexploitation existent (par rapport
`a la cible, de croissance, de recrutement et ´economique), chacune n´ecessitant des indi-
cateurs appropri´es (Rosenberg et Restrepo, 1995). Les points de r´ef´erence biologiques
6
Limit Reference Point (LRP)
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
67
utilis´es dans les approches monosp´ecifiques refl`etent la combinaison de plusieurs com-
posantes des dynamiques du stock (croissance, recrutement et mortalit´e) en un unique
index (Gabriel et Mace, 1999). Cet index est le plus souvent exprim´e sous la forme
dâune mortalit´e par pËeche (F) ou dâune biomasse (B), qui constituent les variables de
r´ef´erence les plus fondamentales en dynamique des populations (Caddy et Mahon, 1996).
Les mod`eles halieutiques courants `a partir desquels peuvent Ëetre estim´es les points de
r´ef´erence biologiques sont : 1) les mod`eles globaux 2) les mod`eles de rendement par re-
crue et 3) les mod`eles de biomasse f´econde par recrue (Tab. 1.5). Le choix des mod`eles
est dict´e par les traits dâhistoire de vie et la disponibilit´e en donn´ees de captures, dâabon-
dance relative, stock-recrutement, de mortalit´e aux Ëages, de croissance et de maturit´e
(Gabriel et Mace, 1999). En fonction des types de mod`eles sous-jacents, nous nous li-
miterons `a la pr´esentation des points de r´ef´erence les plus fr´equemment utilis´es lors des
´evaluations scientifiques.
Les mod`eles globaux et analytiques permettent la sp´ecification de deux points de
r´ef´erence biologiques essentiels : la mortalit´e par pËeche permettant de maximiser les
captures (F
M SY
) et celle conduisant `a lâextinction du stock (F
crash
), bien que cette mor-
talit´e prenne une valeur infinie dans le cas des mod`eles exponentiels de Fox (1970). Au
´
Etats-Unis, le F
M SY
longtemps per¸cu comme un point de r´ef´erence cible est aujourdâhui
consid´er´e dans les textes comme une limite `a ´eviter (NMFS, 1998). Mace (2001) donne
cinq raisons `a la modification de perception de cet indicateur :
â˘
il est plus facile de d´epasser une cible que lâon cherche `a atteindre que de se fixer une
limite `a ne pas d´epasser,
â˘
pËecher en de¸c`a du F
M SY
conduit g´en´eralement `a de faibles diminutions de captures
en moyenne et `a des gains importants de biomasse,
â˘
les mod`eles ´economiques montrent g´en´eralement que les captures maximales
´economiques sont obtenues pour une mortalit´e par pËeche inf´erieure au F
M SY
,
â˘
traiter le F
M SY
comme une limite plutËot que comme une cible est en ad´equation avec
lâapproche de pr´ecaution recommand´ee par les organisations internationales,
â˘
traiter le F
M SY
de chaque stock comme une limite peut Ëetre per¸cu comme une premi`ere
´etape pour la mise en place dâune approche ´ecosyst´emique des pËeches.
1.4.1.3
Approches courantes en gestion des pË
eches
Bas´ee sur les mod`eles de rendement par recrue (Section 1.3.1), la mortalit´e par pËeche per-
mettant de maximiser la production moyenne de chaque recrue entrant dans la pËecherie
(F
max
) a ´egalement constitu´e lâun des premiers points de r´ef´erence en am´enagement des
pËecheries et a subi, comme le MSY, de nombreux ´echecs en tant que PRC (Fig. 1.18).
6
8
1
.
L
âa
p
p
r
o
c
h
e
´e
c
o
s
y
s
t´e
m
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u
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Ëe
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p
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T
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b
.
1.
5
â
P
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2
0
0
0
et
C
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G
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,
2
0
0
1
).
Point de r´ef´erence
Base th´eorique
Donn´ees
PRC-PRL
Points de r´
ef´
erence bas´
es sur les mod`
eles de production
MSY
Prise maximale ´equilibr´ee
Mod`ele global ou analytique
PRC
F
M SY
F au MSY
Mod`ele global ou analytique
PRL
F
crash
F menant `
a lâextinction du stock
Mod`ele global ou analytique
PRL
Z
P M B
Z `
a la production maximale biologique
PUE et Z
PRC
Points de r´
ef´
erence bas´
es sur les mod`
eles de Y/R
F
max
F maximisant le rendement par recrue
M et donn´ees de croissance
PRL
F
0
.
1
F auquel la pente de Y/R vaut 10% de sa valeur `a lâorigine
M et donn´ees de croissance
PRC
Points de r´
ef´
erence bas´
es sur les mod`
eles de SSB/R
F
40%
F donnant 40% de la SSB/R `
a lâ´etat vierge
M et donn´ees de croissance
PRL
F
low
F permettant le remplacement de SSB pour 90% des ann´ees
Donn´ees S/R et SSB/R
PRC
F
med
F permettant le remplacement de SSB pour 50% des ann´ees
Donn´ees S/R et SSB/R
PRL
F
high
F permettant le remplacement de SSB pour 10% des ann´ees
Donn´ees S/R et SSB/R
PRL
F
loss
F permettant le remplacement de B
loss
Donn´ees S/R et SSB/R
PRL
F
lim
F correspondant `
a B
lim
Donn´ees S/R
PRL
F
pa
F
pa
= F
lim
Ă
exp(
â
1
,
645
Ă
Ď
)
Donn´ees S/R
PRL
Points de r´
ef´
erence bas´
es sur la biomasse
B
loss
SSB la plus faible observ´ee
Donn´ees SSB
PRL
B
lim
SSB au-dessous de laquelle la probabilit´e de R est r´eduite
Donn´ees S/R
PRL
B
pa
SSB correspondant `
a F
pa
Donn´ees S/R
PRL
B
M SY
B au MSY
Mod`ele global ou analytique
PRL
B
50%
R
B `
a laquelle R vaut 50% de sa valeur maximale
Mod`ele S/R
PRL
B
20%
20% de la B `
a lâ´etat vierge
Mod`ele global ou analytique
PRL
F = Mortalit´
e par pË
eche ; M = Mortalit´
e naturelle ; Z = Mortalit´
e totale ; SSB = Biomasse f´
econde ; S/R = stock-recrutement ;
SSB/R = Biomasse f´
econde par recrue ; PUE = Prise par unit´
e dâeffort ; R = Recrutement ;
Ď
= mesure de lâincertitude de lâestimation de F.
Au sein du CIEM, le calcul des points de r´
ef´
erence (B
lim
, B
pa
, F
lim
, F
pa
) varie au cas par cas selon les stocks consid´
er´
es (Lassen et Sparholt, 2000).
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
69
De mËeme que pour le F
M SY
, F
max
est ainsi pass´e dâune cible `a atteindre `a une limite
sup´erieure de mortalit´e par pËeche `a ne pas d´epasser (Caddy et Mahon, 1996). Un autre
point de r´ef´erence, le taux de mortalit´e par pËeche pour lequel la pente de la courbe de
rendement par recrue en fonction de la mortalit´e par pËeche vaut 10% de sa valeur `a lâori-
gine (F
0
.
1
), a form´e la base des avis scientifiques de nombreuses pËecheries dâAtlantique
Nord-Ouest pendant des ann´ees (Fig. 1.18 ; Gulland et Boerema (1973) cit´es par Caddy
et Mahon (1996). Cette grandeur, d´efinie de mani`ere relativement arbitraire, renvoie
`a lâid´ee bio´economique quâune production marginale inf´erieure `a 10% correspond `a la
limite au-del`a de laquelle un accroissement de mortalit´e par pËeche, donc de lâeffort, nâest
plus ´economiquement rentable (Caddy et Mahon, 1996).
Fig.
1.18
â
Sp´ecification des points de r´ef´erence biologique F
max
et F
0
.
1
`
a partir dâun mod`ele de
rendement par recrue (Y/R). F
0
.
1
est le point de la courbe de Y/R pour lequel la pente dâune tangente `
a
la courbe vaut 10% de la pente dâune tangente `
a la courbe `
a lâorigine (dâapr`es Caddy et Mahon, 1996).
Par la suite et en combinant les analyses standards de biomasse f´econde par recrue et
les observations de recrutements, des mortalit´es pas pËeche de r´ef´erence ont ´et´e d´efinies
(Sissenwine et Shepherd, 1987 ; Mace, 1994). Les pourcentiles des ratios de survie, ob-
serv´es entre le recrutement et la biomasse f´econde qui en est issue, sont utilis´es pour
d´efinir des mortalit´es cibles et limites. Suivant les valeurs stock-recrutement observ´ees
dans le pass´e, F
high
(resp. F
med
, F
low
) correspond `a la mortalit´e par pËeche qui conduit
dans 90% (resp. 50%, 10%) des cas `a une biomasse f´econde plus faible que celle observ´ee
(Fig. 1.19).
Cette m´ethode pr´esente n´eanmoins plusieurs limites qui expliquent son relatif aban-
don dans les proc´edures dâavis du CIEM, bien que les valeurs de F
med
soient encore
g´en´eralement report´ees dans les rapports des groupes de travail. En effet, ces points de
70
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.19
â
Points de r´ef´erence biologiques (F
low
, F
med
et F
high
) issus des mod`eles de biomasse
f´econde par recrue (dâapr`es Caddy et Mahon, 1996). `
A gauche : sur le graphique repr´esentant les va-
leurs stock-recrutement observ´ees dans le pass´e (croix), peuvent ´egalement Ëetre indiqu´ees les droites de
remplacement correspondant `
a diff´erentes mortalit´es. Ainsi, un recrutement R1 donnera les SSB1
high
,
SSB1
med
et SSB1
low
, selon quâune mortalit´e F
high
, F
med
et F
low
est appliqu´ee `
a la phase exploit´ee. Les
pentes de chaque droite sont ´egales `
a lâinverse du ratio SSB/R, lui-mËeme reli´e `
a la mortalit´e (figure de
droite).
r´ef´erence d´ependent de la gamme de valeurs de biomasse du stock observ´ees (Gabriel
et Mace, 1999), et rien ne permet de d´emontrer que les niveaux F
high
et F
med
soient
n´ecessaires ou suffisants pour assurer le renouvellement du stock sur le long terme.
F
med
peut ´egalement Ëetre instable en raison de la structure dâËage du stock et de lâauto-
corr´elation temporelle pr´esente dans les donn´ees des taux de survie (Gabriel et Mace,
1999). Enfin, les points de r´ef´erence bas´es sur les mod`eles de biomasse f´econde par re-
crue apparaissent ´egalement d´ependants des traits dâhistoire de vie des esp`eces, pouvant
´evoluer sous lâimpact de la pËeche (Mace, 1994 ; Rochet, 2000).
Lâexpression des points de r´ef´erence limites dâune surexploitation de recrutement en
fonction de taux de mortalit´e par pËeche maximaux a lâint´erËet de permettre un lien
direct avec lâeffort qui peut Ëetre contrËol´e. Rosenberg et Restrepo (1995) consid`erent par
ailleurs que ces approches offrent plusieurs avantages :
â˘
il existe une base th´eorique et empirique pour la s´election des PRL,
â˘
les PRL bas´es sur des mortalit´es par pËeche entraËÄąneront des r´eductions dâefforts et de
captures avant de g´en´erer une fermeture totale de la pËecherie lorsque la valeur de la
mortalit´e par pËeche approche la valeur de r´ef´erence,
â˘
lâestimation des PRL peut Ëetre ´etablie `a partir de jeux de donn´ees et dâinformation
sur les traits dâhistoire de vie relativement peu importants.
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
71
Une gestion uniquement limit´ee `a des valeurs maximales de mortalit´e par pËeche ne
permet cependant pas de prot´eger des stocks en mauvais ´etat. Dans ces situations, le
recours `a des points de r´ef´erence sp´ecifiant des niveaux minimaux de biomasse compl`ete
lâapproche pr´ec´edente et semble pertinent car : 1) la biomasse est li´ee plus directement au
recrutement que la mortalit´e par pËeche 2) des niveaux minimaux de biomasse permettent
dâorienter la gestion mËeme dans le cas dâune surexploitation importante en fixant des
r´ef´erences pour une reconstitution du stock et 3) un niveau minimal de biomasse li´e `a de
mauvaises conditions environnementales permet de conserver une minorit´e dâindividus
`a partir desquels il pourra y avoir reconstitution lorsque les conditions redeviendront
favorables (Rosenberg et Restrepo, 1995). La combinaison de PRL pour la mortalit´e
par pËeche et pour la biomasse doit ainsi assurer une bonne protection des ressources
en contrËolant les ´evolutions de lâeffort de pËeche via la mortalit´e, tout en suivant les
fluctuations de la biomasse du stock pour parer `a une ´eventuelle diminution, li´ee par
exemple `a de mauvaises conditions environnementales (Rosenberg et Restrepo, 1995
; Mace, 2001). Cette approche combinant PRL pour la biomasse et la mortalit´e du
stock correspond aux m´ethodes en vigueur au sein du CIEM depuis plusieurs ann´ees.
Les points de r´ef´erence biologiques qui y sont utilis´es sont principalement bas´es sur les
valeurs de mortalit´es par pËeche limites (F
lim
) et dâapproche de pr´ecaution (F
pa
), ainsi
que les biomasses qui leur sont associ´ees (B
lim
et B
pa
) (Fig. 1.20).
Une synth`ese r´ealis´ee par Lassen et Sparholt (2000) sur les 63 stocks pour lesquels des
points de r´ef´erence sont d´efinis, a montr´e que les valeurs de B
lim
sont majoritairement
bas´ees sur la biomasse f´econde la plus basse observ´ee (B
loss
), et que les valeurs de F
lim
sâappuient en grande partie sur F
loss
(Tab. 1.5). Les proc´edures dâattribution des valeurs
de r´ef´erence apparaissent ainsi empiriques et se basent majoritairement sur les donn´ees
stock-recrutement observ´ees, de mani`ere `a d´etecter une diminution du recrutement.
1.4.1.4
Limites et perspectives
Trois sources dâincertitude majeures peuvent affecter une gestion bas´ee sur les points
de r´ef´erence biologiques. Tout dâabord, les PRL qui sâappuient sur des relations stock-
recrutement sont peu pr´ecis, car il existe un manque cruel de connaissances sur ce type de
relation, et par cons´equent une grande incertitude sur les valeurs estim´ees (p. ex. Myers,
1998). De plus, lâ´evaluation de stock peut Ëetre entach´ee dâerreurs de mesure et de biais
conduisant `a des diagnostics parfois erron´es et limitant alors la pertinence des points de
r´ef´erence calcul´es (p. ex. Cotter et al., 2004). Enfin, une troisi`eme source dâincertitude
est due aux changements possibles des conditions environnementales pouvant affecter
la productivit´e du stock et modifiant ainsi les valeurs des points de r´ef´erence (p. ex.
Jurado-Molina et Livingston, 2002). Toutes les m´ethodes dâ´evaluation comportent un
72
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.20
â
Exemple de points de r´ef´erence biologiques utilis´es au sein du CIEM pour le stock de
Morue (Gadus morhua) de mer du Nord (IIIa, IV, VIId) (a) Donn´ees stock-recrutement observ´ees
dans le pass´e, `
a partir desquelles B
lim
et B
pa
sont ´etablies (b) Repr´esentation graphique de lâ´evolution
des valeurs de F et SSB observ´ees pour le stock et points de r´ef´erence biologiques (F
lim
, F
pa
, B
lim
et B
pa
) associ´es `
a une approche de pr´ecaution. F
lim
et F
pa
correspondent aux mortalit´es par pËeche
conduisant respectivement `
a B
lim
et B
pa
(Source : ICES, 2004).
certain niveau dâerreur et/ou de biais. Lâun des aspects de la performance dâune m´ethode
pour sp´ecifier des PRL r´eside dans son aptitude `a identifier avec pr´ecision un ´etat de
surexploitation, malgr´e lâexistence de ces erreurs et biais dans la m´ethode dâ´evaluation
utilis´ee (Rosenberg et Restrepo, 1995). Cette propri´et´e correspond `a la robustesse et doit
Ëetre estim´ee, non seulement au niveau du mod`ele dâ´evaluation mais pour lâensemble de
la proc´edure de gestion (Rosenberg et Restrepo, 1995).
Les indicateurs employ´es au sein des approches monosp´ecifiques ont globalement peu
´evolu´e au cours du temps puisquâils demeurent principalement bas´es sur les variables
fondamentales que sont la mortalit´e par pËeche et la biomasse du stock. Plus parti-
culi`erement et en d´epit de la reconnaissance des limites inh´erentes `a son utilisation
comme objectif de gestion (p. ex. Gros, 2001), le MSY fait toujours partie int´egrante
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
73
des approches en vigueur dans un grand nombre de pËecheries (p. ex. Die et Caddy,
1997) et a ´et´e r´ecemment remis en selle lors du sommet de Johannesburg (United Na-
tions, 2002), notamment sous la forme de la mortalit´e par pËeche qui lui est associ´ee
(F
M SY
) (Mace, 2001). En revanche, la perception des points de r´ef´erence, qui consti-
tuent les rep`eres `a partir desquels lâ´etat du stock peut Ëetre appr´eci´e, a consid´erablement
´et´e modifi´ee au cours du temps. Lâexpansion des pËecheries a progressivement conduit au
passage dâun probl`eme de surexploitation de croissance, mod´elisable de mani`ere fiable
par des mod`eles d´eterministes et associ´e `a une mortalit´e par pËeche faible et inf´erieure
au F
M SY
, `a un probl`eme de surexploitation de recrutement, mal connu, stochastique et
imposant une approche empirique, li´e `a une mortalit´e par pËeche bien sup´erieure `a F
M SY
.
Lâaugmentation des niveaux dâintensit´e dâexploitation au fil des ann´ees a ainsi entraËÄąn´e
une profonde mutation des approches halieutiques, passant dâune vision d´eterministe
et optimale de la gestion des stocks `a une reconnaissance du caract`ere complexe et
impr´evisible des dynamiques des populations exploit´ees. Une grande diversit´e de points
de r´ef´erence bas´es sur diff´erentes classes de mod`eles a ainsi ´et´e d´evelopp´ee dans un
contexte dâapproche de pr´ecaution ayant pour objectif principal de d´eterminer sâil y a
ou non surexploitation de recrutement du stock, `a partir de laquelle la mise en place
de mesures dâam´enagement doit Ëetre envisag´ee. Il est important de souligner que les
points de r´ef´erence sont d´ependants des hypoth`eses et incertitudes des mod`eles `a partir
desquels ils sont estim´es. De plus, ils prennent souvent des valeurs arbitraires et sont
fr´equemment donn´es sans expression de leur variance (Caddy et Mahon, 1996). Malgr´e
ces difficult´es, la combinaison de plusieurs indicateurs portant `a la fois sur les taux de
mortalit´e maximaux et les niveaux de biomasse minimaux constitue `a pr´esent les fon-
dements majeurs des ´evaluations de stock et doit, lorsquâelle est appliqu´ee, permettre la
protection de la ressource.
1.4.2
´
Etendre le champ des indicateurs `
a lâ´
ecosyst`
eme
Les dimensions multisp´ecifique et ´ecosyst´emique de lâam´enagement des pËecheries prËon´ees
par lâAEP appellent au d´eveloppement dâindicateurs plus globalisants que les indica-
teurs monosp´ecifiques, ces derniers ´etant principalement orient´es sur lâ´evaluation des
stocks et la mortalit´e par pËeche adapt´ee `a leur conservation. Entre autres, ces ap-
proches ne consid`erent pas explicitement les relations intersp´ecifiques existant au sein
des ´ecosyst`emes pouvant affecter les points de r´ef´erence biologiques, et limiter ainsi leur
pertinence (Gislason, 1999 ; Collie et Gislason, 2001). Compte tenu du caract`ere com-
plexe et impr´evisible des ´ecosyst`emes marins, le recours `a des jeux dâindicateurs afin de
caract´eriser lâ´etat de lâ´ecosyst`eme fait aujourdâhui partie int´egrante des recommanda-
tions des institutions et organismes en charge des politiques de gestion des ressources
marines (p. ex. Garcia et al., 2000). Les indicateurs ont acquis un rËole majeur et l´egitime
74
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
pour permettre le suivi, lâ´evaluation et la compr´ehension de lâ´etat des ´ecosyst`emes, les
impacts des activit´es humaines et lâefficacit´e des mesures de gestion (Rice et Rochet,
2005). Dans le contexte halieutique actuel (Section 1.2.3), les approches centr´ees sur les
indicateurs biologiques et ´ecologiques ont pour objectif principal de d´ecrire et analyser
certaines des propri´et´es ´emergentes des ´ecosyst`emes marins soumis `a une exploitation in-
tense, afin de mesurer les effets de la pËeche `a tous les niveaux dâorganisation, c.-`a-d. de la
population `a lâensemble du syst`eme. Un grand nombre dâindicateurs ont ´et´e propos´es (p.
ex. Daan et al., 2005a) et renvoient `a des m´ecanismes sous-jacents vari´es et parfois com-
plexes, rendant leur interpr´etation souvent difficile (p. ex. Rochet et Trenkel, 2003). Les
classifications existantes sont principalement bas´ees sur des classes dâindicateurs (Rice,
2000, 2003), les niveaux dâorganisation (Rochet et Trenkel, 2003 ; Fulton et al., 2005)
ou les objectifs de gestion poursuivis (Gislason et al., 2000). Nous nous int´eresserons
dans cette section aux grandes cat´egories dâindicateurs portant sur les communaut´es de
poissons en s´electionnant quelques exemples illustratifs afin de ne pas sâadonner `a une
synth`ese longue et fastidieuse de lâensemble des indicateurs disponibles.
1.4.2.1
Comment ´
evaluer
ÂŤ
lâ´
etat
Âť
des ´
ecosyst`
emes ?
Les objectifs de lâAEP visent notamment `a am´eliorer le
ÂŤ
bien-Ëetre des ´ecosyst`emes
Âť
et
`a pr´eserver leur
ÂŤ
sant´e
Âť
(p. ex. Ulanowicz, 1992) et leur
ÂŤ
int´egrit´e
Âť
(p. ex. De Leo
et Levin, 1997), en d´epit du manque de clart´e sur le sens pr´ecis de ces termes (Larkin,
1996 ; Calow, 2000 ; Link, 2002b ; Garcia et al., 2003). Lorsque lâon d´esire ´evaluer lâ´etat
dâun ´ecosyst`eme, il est n´ecessaire de savoir quelles sont les caract´eristiques du syst`eme
qui d´eterminent cet ´etat, `a partir desquelles il est possible dâ´etablir des indicateurs
permettant de le mesurer. Tirant les conclusions du symposium portant sur les effets de
la pËeche sur les ´ecosyst`emes (Hollingworth, 2000), Gislason et al. (2000) ont r´esum´e les
objectifs globaux dâune gestion plus ´ecosyst´emique au maintien :
â de la diversit´e ´ecosyst´emique,
â de la diversit´e sp´ecifique,
â de la variabilit´e g´en´etique au sein des esp`eces,
â des esp`eces directement impact´ees par lâexploitation,
â des esp`eces indirectement affect´ees via les relations intersp´ecifiques,
â dâun ´equilibre trophique.
Les propri´et´es directement vis´ees par ces objectifs fondent donc les principaux attributs
des ´ecosyst`emes quâil est n´ecessaire dâint´egrer dans lâam´enagement des pËecheries. Lâ´etude
et la compr´ehension des impacts de la pËeche sur ces propri´et´es, au travers dâindicateurs
et de points de r´ef´erence associ´es, doivent ainsi conduire `a dresser un bilan de lâ´etat
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
75
de lâ´ecosyst`eme (Gislason et al., 2000), et ´eventuellement permettre de d´etecter une
surexploitation `a lâ´echelle globale (Murawski, 2000). Le tableau 1.6 fournit une liste
dâindicateurs pour estimer certaines propri´et´es des communaut´es ou des ´ecosyst`emes,
class´ees selon la typologie de Rice (2000, 2003). Les r´eponses de certains indicateurs `a
la pËeche sont ensuite d´etaill´ees, en particulier ceux qui seront utilis´es dans la suite de la
th`ese.
â˘
Diversit´e
Le concept de diversit´e est intimement li´e `a lâ´emergence de lâ´ecologie, visant principale-
ment `a la compr´ehension des facteurs responsables de la structuration et de lâorganisation
des esp`eces et des communaut´es `a la surface de la terre (Begon et al., 1996 ; Reynolds,
2002). De nos jours, le maintien de la biodiversit´e constitue lâun des objectifs majeurs
revendiqu´es par de nombreux trait´es et codes internationaux (p. ex. CBD, 1992
7
; FAO,
1995). La biodiversit´e renvoie `a la notion de r´esilience et de capacit´e de r´esistance des
´ecosyst`emes `a des impacts anthropiques ou environnementaux (Garcia et al., 2003).
Cette relation entre la diversit´e et dâautres propri´et´es de lâ´ecosyst`eme comme la stabilit´e
(Tilman, 1999 ; McCann, 2000), la productivit´e (Cardinale et al., 2002 ; Worm et al.,
2002) et la r´esistance `a lâinvasion (Stachowicz et al., 1999 ; Kennedy et al., 2002)
demeurent des probl´ematiques actuelles, majoritairement ´etudi´ees dans le domaine de
lâ´ecologie terrestre, et suscitant des d´ebats au sein de la communaut´e scientifique (Shin,
2000). La diversit´e peut Ëetre mesur´ee `a diff´erents niveaux dâorganisation : g´en´etique,
sp´ecifique, fonctionnelle et ´ecosyst´emique. `
A lâ´echelle des assemblages et des commu-
naut´es, la diversit´e est une combinaison de deux facteurs, le nombre dâesp`eces (richesse)
et leur r´epartition (´equitabilit´e). Un grand nombre dâindices ont ´et´e d´evelopp´es au cours
du temps afin de mesurer la diversit´e (pour une synth`ese voir Rochet et Trenkel, 2003)
et diff`erent globalement par le poids relatif accord´e `a chaque facteur (Rice, 2000). Les
indicateurs de diversit´e sont sensibles aux techniques et `a lâeffort dâ´echantillonnage, aux
´echelles de mesure et varient g´en´eralement plus sous lâinfluence des facteurs naturels
quâanthropiques, ce qui limite leur pertinence pour ´evaluer les effets de la pËeche (Rochet
et Trenkel, 2003). Malgr´e lâabsence dâun indicateur op´erationnel unanimement reconnu
(Gislason et al., 2000), et le manque de connaissance scientifique sur la relation existant
entre cette propri´et´e des ´ecosyst`emes et les processus r´egissant leur fonctionnement, le
maintien de la diversit´e constitue lâun des objectifs fondamentaux de lâAEP et suit ainsi
lâapproche de pr´ecaution revendiqu´ee par la FAO (FAO, 1996). De nouvelles ´etudes de-
vront Ëetre conduites dans le futur afin dâam´eliorer notre compr´ehension des effets de la
pËeche sur la diversit´e, en particulier sur sa composante fonctionnelle au sein des r´eseaux
trophiques (Loreau et al., 2001 ; Duffy, 2002). En ce qui concerne les populations ex-
ploit´ees, le maintien de la diversit´e sp´ecifique est principalement li´e `a la pertinence et
7
Convention on Biological Diversity
7
6
1
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.
Indicateur
Source
Indicateurs de diversit´
e
´
Equitabilit´e
â
(E)
Begon et al., 1996
Indice de Shannon
Shannon et Weaver, 1963
Indice de Simpson
Simpson, 1949
Probabilit´e de rencontre intersp´ecifique
Hurlbert, 1971
Richesse sp´ecifique
â
(RS)
Begon et al., 1996
Indicateurs agr´
eg´
es
Courbes de K-dominance
Beukema, 1988 (cit´e par Rice, 2000)
Ordonn´ee `a lâorigine du spectre de taille
Pope et Knights, 1982
Pente du spectre de taille
Pope et Knights, 1982
Taille moyenne des individus
Rochet et Trenkel, 2003
Taille maximale moyenne des individus
Shin et al., 2005
Indicateurs de
ÂŤ
propri´
et´
es ´
emergentes
Âť
Ascendance
Ulanowicz, 1992
Biomasse ou capture totale
â
(Y
tot
)
Caddy et al., 1998
Biomasse ou capture de p´el., d´em., ´elasm., gad., poissons plats
â
(Y
pel
; Y
dem
)
Caddy et al., 1998
Biomasse ou capture des pisc., benth., planct.
Garrison et Link, 2000
Connectance
May, 1976
Efficacit´e de transfert
Kozlovsky, 1968
Indice Fishing-In-Balance
â
(FIB)
Pauly et al., 2000
Indice dâomnivorie du syst`eme
Christensen, 1995
Niveau trophique moyen de la biomasse ou des captures
â
(MTL
B
; MTL
Y
)
Pauly et al., 1998a
Production primaire requise
â
(PPR)
Pauly et Christensen, 1995
Ratio Pelagic/Demersal
â
(P/D)
Caddy et al., 1998
Ratio de taille (ou poids) entre proies et pr´edateurs
Jennings et al., 2002c
Spectre trophique de biomasse ou de capture
â
(STB ; STC)
Gascuel et al., 2005
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
77
lâefficacit´e des indicateurs utilis´es par les approches halieutiques conventionnelles (Sec-
tion 1.4.1).
â˘
Spectre de taille
Les derniers objectifs mentionn´es par Gislason et al. (2000) peuvent Ëetre rattach´es `a
la fois aux indicateurs agr´eg´es de lâ´etat des ´ecosyst`emes et aux mesures de certaines
de leurs propri´et´es ´emergentes (Rice, 2000). Le spectre de taille en biomasse (ou en
nombre) repr´esente la distribution de la biomasse (ou de lâeffectif) par unit´e de surface
en fonction de la taille des organismes dâun ´ecosyst`eme (Kerr et Dickie, 2001). Dans
lâenvironnement marin, la forme du spectre de taille est caract´eris´ee par une grande
stabilit´e malgr´e la variabilit´e de la composition sp´ecifique des communaut´es ´etudi´ees
(Duplisea et al., 1997) (Fig. 1.21). En affectant les poissons de grande taille, favorisant
´eventuellement un relËachement de pr´edation sur les individus de petite taille, la pËeche est
suppos´ee modifier la pente et lâordonn´ee `a lâorigine du spectre de taille (Pope et Knights,
1982 ; Murawski et Idoine, 1992). Cette hypoth`ese a ´et´e test´ee et partiellement confirm´ee
`a partir de donn´ees issues de campagnes scientifiques (Rice et Gislason, 1996 ; Bianchi
et al., 2000 ; Dulvy et al., 2004 ; Daan et al., 2005a) et de mod`eles multisp´ecifiques (Rice
et Gislason, 1996 ; Gislason et Rice, 1998 ; Shin et Cury, 2004). BenoËÄąt et Rochet (2004)
ont par ailleurs mis en ´evidence que la courbure du spectre semblait plus appropri´ee
pour mesurer les effets de la pËeche que sa pente. Cependant, les difficult´es associ´ees
`a lâ´echantillonnage des organismes de petite taille ou de faible int´erËet commercial et `a
lâacquisition de donn´ees pr´ec´edant le d´eveloppement des pËecheries (Bianchi et al., 2000),
ainsi que lâabsence de relation pour certains cas dâ´etudes et le manque de formalisation
th´eorique des processus en jeu (p. ex. Rice et Gislason, 1996), limitent la compr´ehension
des effets de la pËeche sur les spectres de taille. Lâutilisation des variables d´eriv´ees comme
indicateurs de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme se r´ev`ele alors discutable (Rochet et Trenkel, 2003)
et la sp´ecification de points de r´ef´erence associ´es particuli`erement difficile.
â˘
Apports th´eoriques du spectre de taille
Au-del`a de lâaspect
ÂŤ
indicateurs
Âť
, le d´eveloppement des mod`eles de spectres de taille
a eu un int´erËet plus fondamental dans lâanalyse du fonctionnement des ´ecosyst`emes ma-
rins. En premier lieu, ces approches ont ´etabli, `a partir des processus trophiques, une
base th´eorique expliquant la r´epartition de lâabondance et de la production en fonction
de la taille des organismes au sein des communaut´es p´elagiques et d´emersales (Kerr, 1974
; Thiebaux et Dickie, 1993 ; Sprules et Goyke, 1994 ; Duplisea et Kerr, 1995). Deux pro-
cessus distincts ont ´et´e propos´es pour expliquer la superposition de dËomes de biomasse
`a la tendance lin´eaire d´ecroissante du spectre `a lâ´echelle globale. Cette derni`ere serait
due aux relations allom´etriques entre m´etabolisme ´energ´etique et taille, et abondance et
taille des organismes pour les communaut´es pr´esentant une source dâ´energie commune
78
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.21
â
Exemples de spectres de taille pour diff´erents ´ecosyst`emes (extrait de Bianchi et al., 2000)
(
ÂŤ
hypoth`ese dâ´equivalence ´energ´etique
Âť
). Par ailleurs, la pr´esence de dËomes serait li´ee
`a des ajustements ´ecologiques de la densit´e des organismes, selon la position trophique
quâils occupent au sein de lâ´ecosyst`eme (Thiebaux et Dickie, 1993). En compl´ement de
ces approches et se basant sur lâ´emergence des m´ethodes isotopiques pour estimer le ni-
veau trophique des organismes, Jennings et al. (2001b, 2002b) et Jennings et Mackinson
(2003) ont mis en ´evidence les relations existant entre structure en taille et structure tro-
phique pour des communaut´es de poissons et de benthos. `
A partir de ces analyses, il est
alors possible dâestimer des indicateurs des propri´et´es ´emergentes des ´ecosyst`emes tels
que les efficacit´es de transfert entre niveaux trophiques et les ratios de poids entre proies
et pr´edateurs (Jennings et al., 2001b, 2002c). Les fondements th´eoriques des spectres
de taille et certaines relations macro-´ecologiques ont ´egalement permis de d´evelopper
un mod`ele pr´evoyant lâabondance totale de poissons et leur structure en taille dans un
´ecosyst`eme non soumis `a lâexploitation (Jennings et Blanchard, 2004). La connaissance
de la situation th´eorique dâ´etat vierge, pour laquelle il est rare de disposer de donn´ees
(Myers et Worm, 2003), permet ainsi de d´efinir des points de r´ef´erence pour de nombreux
indicateurs de lâ´ecosyst`eme.
â˘
Autres indicateurs bas´es sur la taille
En parall`ele `a ces approches, dâautres indicateurs bas´es sur la taille des organismes,
consid´er´ee comme facteur cl´e des processus biologiques et ´ecologiques prenant place
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
79
au sein des ´ecosyst`emes marins, ont ´et´e propos´es (Tab. 1.6). Shin et al. (2005) ont
r´ealis´e une synth`ese des diff´erents indicateurs bas´es sur la taille en pr´ecisant notamment
les types de r´eponses attendus sous lâinfluence de la pËeche. Les indicateurs estim´es au
niveau des populations ou des communaut´es sont notamment la taille moyenne, la taille
maximale moyenne, la taille moyenne `a maturit´e, la taille moyenne `a un Ëage donn´e et
lâindice de condition de Fulton. En plus de la pente et de lâordonn´ee `a lâorigine du spectre
de taille, la majorit´e des indicateurs d´ecrits apparaissent pertinents dans le cadre dâune
AEP du fait des facilit´es dâacquisition de donn´ees n´ecessaires `a leur estimation, des bases
th´eoriques et empiriques solides sur lesquels ils reposent, de leur compr´ehension ais´ee et
de leur sensibilit´e `a lâexploitation. La concomitance de diff´erents facteurs (environnement
vs.
pËeche) pouvant affecter ces indicateurs appelle cependant `a lâutilisation simultan´ee
de plusieurs indices et `a la multiplication dâapproches comparatives afin de discerner
les causes des changements observ´es. Le recours `a des directions plutËot que des points
de r´ef´erence semble souhaitable pour ces indicateurs (Section 1.4.3). Enfin, la lenteur de
leurs temps de r´eponse par rapport `a une modification de lâintensit´e dâexploitation limite
leur application dans un contexte de gestion `a court terme bas´ee sur la sp´ecification de
TAC annuels, et illustre leur utilit´e en tant quâoutils pour une vision strat´egique (`a
moyen terme) de lâam´enagement des pËecheries (Shin et al., 2005).
â˘
Indicateurs trophodynamiques
Des indicateurs
ÂŤ
trophodynamiques
Âť
ont ´et´e d´eriv´es des nombreux travaux portant sur
la structure trophique et les flux de mati`ere et dâ´energie au sein des ´ecosyst`emes marins
(Tab. 1.6) (Rochet et Trenkel, 2003 ; Cury et al., 2005b). Certains de ces indicateurs
ont pour objectif de d´ecrire les changements de composition trophique dus `a lâimpact
de la pËeche. En particulier, le ratio entre les d´ebarquements des esp`eces p´elagiques et
d´emerso-benthiques (P/D) (Caddy et al., 1998 ; Caddy, 2000 ; De Leiva Moreno et al.,
2000) tend g´en´eralement `a diminuer lorsque lâintensit´e de pËeche augmente (Rochet et
Trenkel, 2003).
En affectant `a chaque esp`ece un niveau trophique moyen, Pauly et al. (1998a) ont mis
en ´evidence une diminution significative au cours du temps du niveau trophique moyen
des captures, `a lâ´echelle du globe :
MT L
Y
=
n
X
i
=1
Y
i
Ă
T L
i
n
X
i
=1
Y
i
(1.22)
80
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
o`
u Y
i
repr´esente les captures de lâesp`ece i, TL
i
est le niveau trophique moyen de lâesp`ece
i et n est le nombre dâesp`eces pËech´ees.
Les modifications de la composition sp´ecifique des d´ebarquements montrent une ten-
dance progressive `a exploiter des esp`eces de plus en plus bas dans la chaËÄąne trophique.
Cet effet
ÂŤ
fishing down marine food webs
Âť
observ´e au niveau des d´ebarquements a ´et´e
confirm´e au niveau des biomasses de plusieurs ´ecosyst`emes (Christensen, 1998 ; Pinne-
gar et al., 2002) (Fig. 1.22). Cependant, la relation entre d´ebarquements et biomasses
est g´en´eralement biais´ee en d´ebut dâexploitation (La¨e et al., 2004). De plus, elle peut
Ëetre affect´ee par la demande du march´e (Pinnegar et al., 2003a), des d´eveloppements
technologiques (Caddy et al., 1998 ; Caddy et Garibaldi, 2000), des ph´enom`enes dâeutro-
phisation (Caddy, 2000 ; De Leiva Moreno et al., 2000) et des remplacements dâesp`eces
exploit´ees par des esp`eces de faible int´erËet commercial (Pinnegar et al., 2002 ; Laurans
et al., 2004).
Fig.
1.22
â
Exemple dâ´evolution temporelle du niveau trophique moyen pour la mer Celtique, `
a partir
de donn´ees de campagnes scientifiques de chalutage, conduites entre 1982 et 2000 (extrait de Pinnegar
et al., 2002).
Bas´ee sur les donn´ees de captures et de niveaux trophiques moyens, la production pri-
maire requise est un indice du niveau dâexploitation dâun syst`eme (PPR) (Ryther, 1969
; Pauly et Christensen, 1995). Elle correspond `a la production primaire (PP) permet-
tant les captures faites au niveau de lâ´ecosyst`eme, en supposant connue lâefficacit´e de
transfert ´energ´etique :
P P R
=
n
X
i
=1
Y
i
9
Ă
1
T E
(
T L
i
â
1)
(1.23)
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
81
o`
u Y
i
repr´esente les captures de lâesp`ece i, TE est lâefficacit´e de transfert ´energ´etique, TL
i
est le niveau trophique moyen de lâesp`ece i. Le calcul de la PPR n´ecessite dâexprimer le
poids frais des individus en carbone, en recourant `a un ratio de 9 : 1 (Strathmann (1967)
cit´e par Pauly et Christensen (1995)). Une efficacit´e moyenne de transfert ´energ´etique
dans lâ´ecosyst`eme est g´en´eralement consid´er´ee, sa valeur pouvant varier entre 10% et
15% (Pauly et Christensen, 1995 ; Ware, 2000). La PPR rapport´ee `a la production
primaire moyenne annuelle donne le pourcentage de PP utilis´e par la pËeche et favorise
les comparaisons entre ´ecosyst`emes (Pauly et Christensen, 1995).
En se basant sur la PPR, Pauly et al. (2000) ont d´efini lâindice
ÂŤ
Fishing-In-Balance
Âť
(FIB) qui compare la PPR dâune ann´ee i `a celle dâune ann´ee de r´ef´erence 0 et sâexprime
lorsque les captures sont d´etaill´ees au niveau de lâesp`ece :
F IB
= log






n
X
i
=1
Y
ik
Ă
1
T E
T L
i
!
n
X
i
=1
Y
i
0
Ă
1
T E
T L
i
!






(1.24)
o`
u Y
ik
repr´esente les captures de lâesp`ece i pour lâann´ee k, TL
i
le niveau trophique de
lâesp`ece i, TE lâefficacit´e de transfert ´energ´etique et Y
i
0
les captures de lâesp`ece i pour
lâann´ee de r´ef´erence.
Cet indice conserve une valeur nulle lorsquâune diminution dans les niveaux trophiques
exploit´es est compens´ee par une augmentation des captures (et vice-versa), et sâ´eloigne
de la valeur nulle sinon. Une augmentation du FIB indique ainsi une expansion de
la pËecherie ou des effets
ÂŤ
bottom-up
Âť
dâaugmentation de la production primaire. `
A
lâinverse, une diminution du FIB sugg`ere une concentration g´eographique des pËecheries
ou des modifications importantes du r´eseau trophique sous-jacent (Cury et al., 2005b)
(Fig. 1.23). Le MTL, le FIB et la PPR sont le plus souvent estim´es en supposant des
niveaux trophiques moyens pour chaque esp`ece, constants dans le temps et dans lâespace.
Nous reviendrons plus longuement sur la variabilit´e des niveaux trophiques dans la
section 3.5 du document.
Un grand nombre dâindicateurs sont par ailleurs d´eriv´es des mod`eles de r´eseau trophique.
Le logiciel EwE (Sections 1.3.3.1 et 1.3.3.2) estime des indicateurs ´ecosyst´emiques ca-
ract´erisant le recyclage des nutriments, le nombre de voies ´energ´etiques, la connectance,
lâomnivorie, les niveaux trophiques des esp`eces, les efficacit´es de transfert, la PPR, les
impacts des esp`eces entre elles et lâascendance (Christensen et Walters, 2004). Le recours
`a ces indicateurs facilite ainsi les analyses comparatives bien quâune standardisation des
82
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Fig.
1.23
â
Exemple dâ´evolution temporelle de lâindice FIB pour lâAtlantique Nord-Ouest (Zone FAO
21) (extrait de Pauly et al., 2000).
mod`eles soit n´ecessaire au pr´ealable, afin de faire le distinguo entre artefacts li´es `a la
structure des mod`eles et diff´erences r´eelles des propri´et´es des ´ecosyst`emes ´etudi´es (Mo-
loney et al., 2005).
1.4.2.2
D´
efinir un cadre g´
en´
eral de s´
election des indicateurs
Les diff´erentes cat´egories dâindicateurs mentionn´ees ont pour objectif de quantifier cer-
taines propri´et´es essentielles des ´ecosyst`emes et de d´ecrire la mani`ere dont la pËeche peut
les affecter. ´
Etant donn´ee la vari´et´e dâindicateurs disponibles, il est n´ecessaire de mettre
en place un processus de s´election afin de choisir les indicateurs les plus appropri´es aux
objectifs recherch´es (Garcia et al., 2000 ; Rice, 2003). Rice et Rochet (2005) ont propos´e
un cadre g´en´eral de s´election dâindicateurs pour lâam´enagement des pËecheries compos´e
de huit phases : 1) d´eterminer les besoins des utilisateurs 2) d´evelopper un ensemble
dâindicateurs potentiels 3) sp´ecifier les crit`eres de s´election 4) ´evaluer les indicateurs en
fonction des crit`eres 5) r´esumer les r´esultats des ´evaluations 6) d´ecider combien dâin-
dicateurs conserver 7) effectuer la s´election finale 8) ´etablir un compte rendu sur les
indicateurs. La s´election doit se faire via un processus dâaller-retour entre les scienti-
fiques et les gestionnaires afin de r´epondre aux objectifs de gestion pr´ed´efinis, et favoriser
une bonne compr´ehension et communication entre les acteurs concern´es. Les crit`eres de
s´election permettant dâ´evaluer les indicateurs peuvent se r´esumer `a leur aspect concret,
leur base th´eorique, leur connaissance de la part du public, leur coË
ut, leur aptitude `a
Ëetre mesur´es, lâexistence de s´eries de donn´ees historiques, leur sensibilit´e, leur r´eponse
et leur sp´ecificit´e. Lâune des difficult´es inh´erente au processus de s´election r´eside dans
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
83
lâ´evaluation de ces crit`eres, qui peut Ëetre affect´ee par des jugements de valeur subjectifs
(Rochet et Rice, 2005).
`
A partir dâentretiens avec des membres du WG 119 et suivant les crit`eres cit´es, Cury et al.
(2005b) ont ´evalu´e la capacit´e de six indicateurs trophodynamiques `a mesurer lâimpact
de la pËeche, avant de les appliquer aux ´ecosyst`emes du Nord et Sud Benguela : les ratios
de capture ou de biomasse, la PPR pour les captures, la production et la consommation,
le niveau trophique des captures, lâindice FIB et lâindice dâimpact trophique m´elang´e
(p. ex. Shannon et al., 2003). Les valeurs (notes de 1 `a 5) varient fortement entre les
six indicateurs s´electionn´es et suivant les crit`eres ´evalu´es. Les r´esultats montrent en
particulier que le niveau trophique moyen des captures et lâindice FIB sont les deux
indicateurs qui ont des notes sup´erieures `a 3 pour tous les crit`eres test´es. Ils apparaissent
comme les indicateurs trophodynamiques les plus adapt´es pour mesurer les effets de la
pËeche sur les ´ecosyst`emes marins. Lâobjectif de telles analyses est ainsi de mesurer la
capacit´e des indicateurs `a d´etecter des changements connus dans les ´ecosyst`emes, afin
de mettre en ´evidence leurs avantages et leurs limites, et de s´electionner
in fine
les
indicateurs les plus appropri´es pour une AEP.
Suivant une approche relativement similaire mais en se basant sur des mod`eles
op´erationnels de lâ´ecosyst`eme, consid´er´es comme le
ÂŤ
monde r´eel
Âť
, Fulton et al. (2005)
ont ´evalu´e la performance et la robustesse dâun grand nombre dâindicateurs relativement
`a un ensemble de propri´et´es des ´ecosyst`emes. Cette m´ethode permet en particulier de
g´en´erer `a moindre coË
ut des jeux de donn´ees suivant des sc´enarii de pËeche, des niveaux
dâagr´egation et des strat´egies dâ´echantillonnage diff´erents, et de tester leur impact sur
les indicateurs. Elle repose sur lâhypoth`ese forte que le mod`ele op´erationnel est capable
de reproduire fid`element le comportement dâ´ecosyst`emes r´eels. Lâobjectif est dâ´evaluer
les indicateurs dans diff´erentes situations afin de voir sâils sont `a mËeme de reproduire
les tendances simul´ees des propri´et´es des ´ecosyst`emes. Les auteurs montrent notamment
que les indicateurs calcul´es aux niveaux des communaut´es et de lâ´ecosyst`eme semblent
plus pertinents que ceux sp´ecifi´es au niveau populationnel pour d´ecrire les ´evolutions
simul´ees.
Diff´erentes approches de s´election ont ´et´e d´evelopp´ees au cours des derni`eres ann´ees dans
lâoptique de promouvoir les approches indicateurs dans le contexte de mise en place dâune
AEP. Ceci devrait notamment favoriser une ´evaluation de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme entier,
en compl´ement des m´ethodes monosp´ecifiques centr´ees sur les populations exploit´ees.
Plusieurs ´etudes portant sur la description et la s´election des indicateurs concluent `a
la n´ecessit´e de recourir `a un ensemble dâindicateurs pour ´evaluer lâ´etat des ´ecosyst`emes
(Rice, 2000 ; FAO, 2001 ; Link, 2002c ; Shin et al., 2005). Ces indicateurs doivent en
particulier se focaliser sur diff´erentes propri´et´es des ´ecosyst`emes, Ëetre estim´es `a partir de
sources dâinformation vari´ees et concerner des esp`eces ou des processus caract´eris´es par
84
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
des dynamiques lentes et rapides (Fulton et al., 2005). Il est par ailleurs n´ecessaire de
s´eparer les diff´erentes sources responsables des modifications des valeurs des indicateurs
(Rice, 2000 ; Blanchard et al., 2005) et sp´ecifier des tests statistiques afin de d´eterminer
si les diff´erences entre les valeurs sont ou non significatives (Rice, 2000).
1.4.3
De lâindication dâun ´
etat aux mesures de gestion
1.4.3.1
Sp´
ecifier des valeurs de r´
ef´
erence
Tout comme pour les indicateurs utilis´es en gestion monosp´ecifique, lâinterpr´etation des
changements pr´esent´es par les indicateurs ´ecosyst´emiques n´ecessite de sp´ecifier des va-
leurs de r´ef´erence correspondant `a des objectifs `a atteindre ou des cibles `a ´eviter. Ces
valeurs peuvent Ëetre d´etermin´ees par expertise scientifique, en recourant `a des s´eries tem-
porelles d´ecrivant les
ÂŤ
performances du pass´e
Âť
du syst`eme, ou en utilisant des mod`eles
math´ematiques indiquant leur mode de fonctionnement escompt´e (FAO, 2001). Malgr´e
lâ´emergence de nombreux indicateurs et le d´eveloppment de m´ethodologies pr´ecises pour
leur s´election, peu de valeurs de r´ef´erence ont pour lâinstant ´et´e propos´ees car leur
sp´ecification ne va pas sans poser de nombreuses difficult´es, tant sur les plans th´eoriques
que pratiques.
Une r´ef´erence
ÂŤ
id´eale
Âť
est la situation `a lâ´etat vierge, c.-`a-d. en lâabsence dâexploita-
tion. Il est cependant rare de pouvoir disposer dâinformation sur cette situation car les
proc´edures de collecte statistique ont g´en´eralement ´et´e mises en place apr`es le d´ebut
des activit´es de pËeche. En se basant sur des th´eories macro-´ecologiques, Jennings et
Blanchard (2004) ont propos´e une m´ethode pour estimer les structures trophique et de
taille `a lâ´etat vierge. Dans un premier temps, le spectre de taille exprim´e en biomasse
permet, `a partir dâune relation empirique entre biomasse et production, de calculer
lâefficacit´e de transfert (TE) dans le syst`eme. Dans une deuxi`eme ´etape, le ratio de
poids entre proies et pr´edateurs (PPMR) est estim´e suivant la relation entre les niveaux
trophiques et le poids individuel des organismes (M) (Jennings et al., 2002c). Dans
un r´eseau trophique structur´e en taille, ces deux grandeurs permettent de d´eterminer
la relation d´ecroissante entre ´energie et taille des organismes, du fait dâun transfert
´energ´etique inefficace entre proies et pr´edateurs (Brown et Gillooly, 2003). Les relations
macro-´ecologiques
Biomasse
â
M
1
/
4
,
Energie
â
M
0
et
Abondance
â
M
â
3
/
4
sont
alors utilis´ees pour recalculer la biomasse et lâabondance dans un ´ecosyst`eme inexploit´e
suivant :
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
85
B
=
M
(log
10
T E/
log
10
P P M R
)
Ă
M
1
/
4
N
=
M
(log
10
T E/
log
10
P P M R
)
Ă
M
â
3
/
4
(1.25)
o`
u B est la biomasse, TE est lâefficacit´e de transfert, PPMR est le ratio de poids entre
proies et pr´edateurs et M est le poids des organismes.
Les ´equations pr´ec´edentes permettent ainsi dâestimer le spectre de taille et les valeurs
dâautres indicateurs (poids moyen individuel, niveau trophique moyen, etc.) en lâabsence
dâexploitation, afin de disposer dâune situation de r´ef´erence pour quantifier les effets
de la pËeche dans les ´ecosyst`emes. Lâapplication de cette m´ethode est cependant rendue
difficile par la n´ecessit´e de disposer dâ´echantillons importants et non biais´es de la commu-
naut´e, pour lâensemble du spectre de taille. Ceci est souvent probl´ematique du fait de la
s´electivit´e des engins utilis´es dans les campagnes scientifiques, g´en´eralement non adapt´es
`a lâ´echantillonnage des petites classes de taille. De plus et en d´epit des progr`es accom-
plis dans la compr´ehension des effets de la pËeche sur les indicateurs, des insuffisances
th´eoriques subsistent, notamment sur les temps de r´eponse, lâexclusivit´e des facteurs en
cause et la r´eversibilit´e des processus (Rochet et Trenkel, 2003 ; Nicholson et Jennings,
2004 ; Daan et al., 2005b ; Piet et Jennings, 2005). `
A titre dâillustration, Jennings
et Dulvy (2005) et Daan et al. (2005b) soul`event des interrogations communes :
ÂŤ
`
A
partir de quelle pente du spectre de taille peut-on consid´erer que lâ´ecosyst`eme est mo-
difi´e de mani`ere irr´eversible ? Peut-on qualifier ce changement de structure de mauvais
pour lâ´ecosyst`eme ?
Âť
Ces questions fondamentales sur la pente du spectre de taille sont
r´ev´elatrices des difficult´es globales associ´ees `a la d´etermination de points de r´ef´erence
pour les indicateurs ´ecosyst´emiques.
Une approche alternative consiste `a d´efinir des directions de r´ef´erence pour les tendances
des indicateurs, bien que leur d´eveloppement et leur justification puissent ´egalement po-
ser certaines difficult´es. N´eanmoins, se rapprocher de la structure de taille et/ou tro-
phique proches de celles de la situation inexploit´ee apparaËÄąt logiquement aller dans
le sens dâun impact moindre de la pËeche sur lâ´ecosyst`eme (Jennings et Dulvy, 2005).
Ces auteurs sugg`erent ainsi dâ´etablir un lien entre les strat´egies de gestion portant sur
les stocks exploit´es et lâ´etat global de la communaut´e, mesur´e au travers dâindicateurs
´ecosyst´emiques. Les tendances de ces indicateurs servent alors de surveillance pour la
communaut´e, afin dâ´evaluer si les modes de gestion en vigueur prennent en compte les
consid´erations ´ecosyst´emiques d´efinies par lâAEP. Cependant, les p´eriodes de temps re-
quises pour d´etecter une tendance significative des indicateurs bas´es sur la taille semblent
globalement sup´erieures `a dix ans, et d´ependent des gammes de taille prises en compte
dans leur calcul (Nicholson et Jennings, 2004 ; Jennings et Dulvy, 2005). Une gestion
bas´ee sur ce type dâapproche doit donc Ëetre envisag´ee `a moyen terme par rapport aux
86
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
m´ethodes conventionnelles le plus souvent conduites sur le court terme, c.-`a-d. dâune
ann´ee sur lâautre.
1.4.3.2
Synth´
etiser lâinformation
Lâ´evaluation de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme et de ses dynamiques appelle `a recourir `a un en-
semble dâindicateurs pour repr´esenter la totalit´e des attributs dâint´erËet en vue dâune
AEP. Afin de disposer dâune vision dâensemble du syst`eme, c.-`a-d. selon toutes les com-
posantes d´ecrites, une ou plusieurs valeurs de r´ef´erence (point ou direction) doivent Ëetre
id´ealement associ´ees `a chaque indicateur. La n´ecessit´e dâ´etablir un bilan de lâ´ecosyst`eme
`a partir dâindicateurs correspondant `a des propri´et´es tr`es diff´erentes pose `a la fois des
probl`emes de pond´eration (peut-on consid´erer chaque propri´et´e au mËeme niveau ?), et
de repr´esentation graphique pour communiquer les r´esultats de mani`ere compr´ehensible.
La pond´eration des indicateurs renvoie `a des th´ematiques de recherche et de gestion peu
abord´ees dans la litt´erature, et incombe aussi bien `a la communaut´e scientifique quâaux
d´ecideurs. ´
Etant donn´e les liens existant entre les propri´et´es des ´ecosyst`emes via les pro-
cessus physiques, chimiques et biologiques mis en cause, il est possible que lâ´evolution
dâun indicateur dans une
ÂŤ
bonne direction
Âť
puisse dans certains cas sâaccompagner
dâune
ÂŤ
mauvaise direction
Âť
pour un autre indicateur. Il semble alors n´ecessaire de
hi´erarchiser les propri´et´es pour d´eterminer quelles sont les plus importantes, ceci se fai-
sant en accord avec les objectifs de lâAEP et pouvant diff´erer dâun ´ecosyst`eme `a lâautre.
De telles questions peuvent en particulier se poser lorsquâun choix entre plusieurs modes
de gestion alternatifs, pouvant conduire `a des ´etats diff´erents de lâ´ecosyst`eme, doit Ëetre
fait.
Pour faciliter lâutilisation des indicateurs dans un syst`eme de gestion plus g´en´eral, ceux-
ci doivent Ëetre r´esum´es sous une forme compr´ehensible par les utilisateurs (FAO, 2001).
Compte tenu de lâensemble et de la diversit´e de facteurs devant Ëetre consid´er´es dans
lâam´enagement des pËecheries, synth´etiser toute lâinformation un en seul indice (p. ex.
CAC 40 en bourse) apparaËÄąt inappropri´e (Caddy, 2002). En gestion monosp´ecifique, des
techniques graphiques centr´ees sur les populations cibl´ees ont ´et´e propos´ees au sein des
groupes dâ´evaluation de stock (Fig. 1.20). Les indicateurs repr´esent´es sont alors exprim´es
en biomasse ou en mortalit´e par pËeche, deux grandeurs li´ees entre elles de mani`ere rela-
tivement directe. Si lâon sâint´eresse aux indicateurs ´ecosyst´emiques, la repr´esentation de-
vient plus complexe car chaque indicateur d´ecrit une propri´et´e particuli`ere du syst`eme, de
nature souvent tr`es diff´erente. Certains auteurs ont sugg´er´e lâutilisation de diagrammes
en
ÂŤ
cerf-volant
Âť
repr´esentant sur chaque axe les valeurs dâun indicateur ou son degr´e
de changement, relativement `a une situation de r´ef´erence (Pitcher, 1999 ; Garcia et al.,
2000) (Fig 1.24).
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
87
Fig.
1.24
â
Diagramme en cerf-volant montrant la position dâune pËecherie (polygone blanc) en rela-
tion avec quatre indicateurs : la biomasse f´econde, les revenus, les emplois et la qualit´e des zones de
nourricerie. Lâ´echelle pour chaque indicateur, de
ÂŤ
bon
Âť
`
a
ÂŤ
mauvais
Âť
, est indiqu´ee par lâintensit´e du
d´egrad´e (dâapr`es FAO, 2001).
Dâautres m´ethodes ont ´et´e d´evelopp´ees en se basant sur des analyses multivari´ees (Pit-
cher, 1999 ; Link et al., 2002 ; Collie et al., 2003). Link et al. (2002) ont recouru `a un
jeu dâindicateurs d´ecrivant des facteurs biotiques (dynamiques trophiques par exemple),
abiotiques (for¸cage physique de type NAO) et humains (effort de pËeche et revenus no-
tamment) pour repr´esenter un vaste ensemble de donn´ees r´ecolt´ees entre les ann´ees 1960
et 2000 sur le plateau continental nord-est des ´
Etats Unis. Lâinformation a ensuite ´et´e
synth´etis´ee par une analyse en composantes principales dont le premier plan factoriel
permet de suivre lâ´evolution de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme au cours du temps. En particu-
lier, lâanalyse montre que les changements importants observ´es dans la composition et
la diversit´e de la communaut´e sâexpliquent principalement par les activit´es de pËeche.
Compte tenu des relations mises en ´evidence entre les diff´erents indicateurs, les auteurs
concluent `a la possibilit´e de d´efinir des points et des directions de r´ef´erence multivari´es `a
lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme, de mani`ere analogue `a ce qui se fait en gestion monosp´ecifique.
1.4.3.3
Instaurer des r`
egles de d´
ecision
En d´epit des progr`es importants r´ealis´es au cours des derni`eres ann´ees dans le domaine
des indicateurs ´ecosyst´emiques, il nâexiste aujourdâhui aucun exemple de leur application
dans un processus de gestion. Leur d´eveloppement a permis des avanc´ees essentielles du
point de vue fondamental et th´eorique en promouvant des recherches sur les effets de la
pËeche `a tous les niveaux des ´ecosyst`emes. Les d´ebats et discussions ont ´egalement permis
88
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
de clairement d´efinir ce quâest un indicateur, ce quâil signifie, comment il r´epond `a la
pËeche... Une question essentielle qui se pose maintenant est la question de leur utilisation
dans le contexte de lâAEP (Link, 2005). Il y a pr`es de dix ans, Caddy et Mahon (1996)
´ecrivaient d´ej`a :
ÂŤ
Les initiatives qui tendent vers un am´enagement au niveau ´ecosyst´emique
en sont au stade dâ´elaborer des points de r´ef´erence conceptuels ou des lignes
directrices, et/ou de d´efinir les recherches et le suivi n´ecessaire pour affron-
ter les d´efis majeurs. [. . .] En effet, un d´efi important est de fournir des
descripteurs de la sant´e de lâ´ecosyst`eme, mËeme sans faire r´ef´erence `a lâim-
pact de lâexploitation. Il faudra du temps et des n´egociations pour convertir
ces approches en points de r´ef´erence, cible ou limite, qui puissent Ëetre utilis´es
r´eguli`erement pour les d´ecisions dâam´enagement.
Âť
Consid´erons lâexemple de la pente du spectre de taille pour un ´ecosyst`eme donn´e (Sec-
tion 1.4.2.1). Une litt´erature abondante est disponible sur cet indicateur, les fondements
th´eoriques en sont relativement bien connus (p. ex. BenoËÄąt et Rochet, 2004) et il est
maintenant envisageable de d´efinir des points ou des directions de r´ef´erence pour cet
indicateur (Jennings et Blanchard, 2004). Cependant et en admettant que la commu-
naut´e scientifique ou mËeme la soci´et´e civile soient `a mËeme de pouvoir sp´ecifier une
structure de taille donn´ee pour les ´ecosyst`emes, comment peut-on et doit-on sây prendre
concr`etement ? Est-il concevable de manipuler de mani`ere d´elib´er´ee les biomasses re-
latives des composantes de lâ´ecosyst`eme ? En d´epit des relations intersp´ecifiques com-
plexes et impr´evisibles au sein des syst`emes et des effets du climat pouvant affecter les
biomasses, quelles strat´egies dâexploitation doivent Ëetre mises en place ? De tels change-
ments devraient notamment modifier lâ´equit´e du partage des ressources entre les flottilles
de pËeche et n´ecessiter une n´egociation entre les utilisateurs des diff´erentes composantes
du r´eseau trophique (Caddy et Mahon, 1996). De plus et bien que la pËeche soit globale-
ment s´elective selon des crit`eres de taille, la majorit´e des engins ciblent pr´ef´erentiellement
des esp`eces dâint´erËet commercial, rarement captur´ees seules. Le passage dâun objectif de
gestion clairement d´efini `a un mode de gestion concret pose donc un certain nombre de
difficult´es pratiques quâil sera n´ecessaire dâaborder dans le futur. Plus g´en´eralement, la
traduction des indicateurs ´ecosyst´emiques en d´ecisions de gestion constitue une ´etape
suppl´ementaire et essentielle de la recherche dans ce domaine, qui demeure pour lâinstant
peu explor´ee.
Link (2005) a r´ecemment propos´e pour lâ´ecosyst`eme du Golfe du Maine des points de
r´ef´erence cibles et seuils pour un ensemble dâindicateurs ´ecosyst´emiques (Tab. 1.7). La
majorit´e des seuils sont sp´ecifi´es de mani`ere arbitraire `a partir de lâexp´erience accu-
mul´ee au cours du temps sur les dynamiques du syst`eme. Lâauteur voit cette approche
1.4 Les indicateurs au service de lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches
89
comme une premi`ere tentative en vue de la transposition des valeurs des indicateurs en
actions `a entreprendre. Bien que ces valeurs de r´ef´erence pourront Ëetre dans le futur
pr´ecis´ees et am´elior´ees, notamment via le d´eveloppement de mod`eles multisp´ecifiques ou
´ecosyst´emiques (Livingston et al., 2005), il semble essentiel de concevoir d`es maintenant
le lien entre indicateurs et r`egles de d´ecision, puisquâune approche de pr´ecaution doit
toujours Ëetre men´ee en fonction de la meilleure information scientifique disponible.
Tab.
1.7 â
Exemple de seuils de pr´ecaution et de points de r´ef´erence limites pour certains in-
dicateurs ´ecosyst´emiques. Acronymes : pel = p´elagiques ; TL = niveau trophique ; pisc = piscivores ;
benth = benthivores ; planct = planctonophages ; PP = production primaire (dâapr`es Link, 2005).
Indicateur
Seuil de pr´ecaution
Point de r´ef´erence limite
Biomasse des p´elagiques
B
pel
>
50% B
tot
B
pel
>
85% B
tot
Biomasse des TL
>
4
B
T L
4+
>
25% B
T L
3
B
T L
4+
>
50% B
T L
3
Biomasse des piscivores
Non disponible
B
pisc
>
B
benth
+ B
planct
D´ebarquements des esp`eces cibl´ees
Y
tot
>
5% PP
L
tot
>
10% PP
Pente du spectre de taille
Non disponible
10%
Richesse sp´ecifique
RS
<
RS
min
(3ans)
RS
<
RS
min
(5 ans)
1.4.4
Conclusion
Lâ´evaluation de lâ´etat des ´ecosyst`emes est intimement li´ee `a la volont´e de conserver
les services essentiels quâils rendent `a lâhumanit´e (Christensen et al., 1996). Face `a la
complexit´e de leur structure et de leurs dynamiques, une approche envisag´ee est de
sâint´eresser `a certaines de leurs propri´et´es suppos´ees n´ecessaires et/ou caract´eristiques
de leur fonctionnement. Une part importante du travail en cours sur les approches in-
dicateurs en halieutique porte sur les effets de la pËeche sur des indices dâ´ecologie des
communaut´es, sur le d´eveloppement de nouveaux indicateurs (p. ex. Bundy et al.,
2005), leur s´election (Rice, 2000 ; Rice et Rochet, 2005), ou sur la sp´ecification de points
et de directions de r´ef´erence (Nicholson et Jennings, 2004 ; Jennings et Dulvy, 2005).
Cependant, tr`es peu dâindicateurs sont reli´es de mani`ere claire `a la pression de pËeche
(Daan, 2005), et peu dâ´etudes se sont pour lâinstant int´eress´ees `a la phase dâutilisation
des indicateurs et `a lâefficacit´e dont ils pourront faire preuve dans un syst`eme de gestion
donn´e (FAO, 1998). Cette dimension op´erationnelle, peu abord´ee au cours du sympo-
sium sur les
ÂŤ
indicateurs ´ecosyst´emiques quantitatifs pour lâam´enagement des pËeches
Âť
(Daan et al., 2005a), souligne le chemin quâil reste `a parcourir avant de pouvoir recourir
`a une gestion bas´ee, au moins en partie, sur des indicateurs ´ecosyst´emiques (Link, 2005 ;
Livingston et al., 2005). Cette ´evolution n´ecessitera en particulier des modifications im-
portantes du fonctionnement des organismes en charge de la gestion et la mise en place
90
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
de discussions entre professionnels, gestionnaires et scientifiques afin de pr´eciser leurs
rËoles respectifs, en particulier lors de lâ´evaluation du risque encouru par la mise en place
dâune mesure de gestion donn´ee (FAO, 1998).
1.5
Conclusion du chapitre
Ce chapitre de synth`ese bibliographique a permis dâaborder le contexte global de
recherche halieutique dans lequel sâinscrit la majeure partie du travail de th`ese.
Dans un premier temps, nous avons replac´e `a lâ´echelle mondiale les enjeux auxquels
sont confront´es les diff´erents organismes et instituts en charge de lâam´enagement des
pËecheries. En d´epit des possibles discussions et d´ebats scientifiques sur le degr´e de
d´egradation des ressources et des ´ecosyst`emes marins, il est aujourdâhui reconnu que
les modes de gestion mis en place depuis plusieurs d´ecennies ne sont pas parvenus `a
limiter la surcapacit´e des flottilles de pËeche mondiales, associ´ee `a la surexploitation de
nombreux stocks dâint´erËet commercial. Plusieurs facteurs sont consid´er´es responsables
de cet ´echec de la gestion, principalement dË
u `a un mauvais syst`eme de gouvernance.
Ceci a notamment conduit `a un manque dâacceptation de la part des professionnels
des modes de gestion en place, entraËÄąnant parfois des incompr´ehensions fortes entre les
communaut´es de pËecheurs et les scientifiques ou les d´ecideurs.
LâAEP a pour objectif principal de promouvoir une vision holistique de la pËeche sur
les ´ecosyst`emes marins, afin de concilier lâexploitation des ressources marines et leur
conservation. Elle prËone des analyses des effets de la pËeche sur toutes leurs composantes,
afin de ne pas se limiter uniquement aux impacts sur les stocks exploit´es, comme cela a
´et´e le cas pendant des d´ecennies. Cette reconnaissance dâune dimension globale appelle
en particulier au d´eveloppement de mod`eles multisp´ecifiques et ´ecosyst´emiques et au
recours `a des indicateurs d´ecrivant les propri´et´es essentielles des ´ecosyst`emes. LâHomme
a un rËole cl´e dans cette approche, de par les activit´es de production quâil exerce, et fait
partie int´egrante de lâ´ecosyst`eme. De plus, le contrËole des impacts anthropiques li´es `a la
pËeche ne peut se faire quâau niveau du secteur de production. Aussi, la d´emarche adopt´ee
tout au long du travail de th`ese consistera `a se placer `a lâ´echelle dâune r´egion terrestre, le
d´epartement du Finist`ere (France), o`
u la pËeche occupe une place pr´epond´erante. Notre
objectif est ainsi dâ´etablir un lien entre les activit´es ´economiques li´ees `a lâexploitation
des stocks, et lâ´etat des ressources et des ´ecosyst`emes cibl´es par la r´egion consid´er´ee.
Les diff´erentes approches pr´esent´ees dans ce chapitre sont compl´ementaires et seront,
au moins pour partie, mises en Ĺuvre sur notre cas dâ´etude, dans la suite de la th`ese.
Ainsi :
1.5 Conclusion du chapitre
91
â˘
lâapproche monosp´ecifique est appliqu´ees aux esp`eces exploit´ees par le Finist`ere, en
pr´ealable au d´eveloppement dâun mod`ele multisp´ecifique, et de mani`ere `a mod´eliser des
fonctions de production (cf. Chapitre 2) pouvant Ëetre impl´ement´ees dans un mod`ele
´economique reliant production halieutique et ´economie r´egionale (cf. Chapitre 5),
â˘
lâapproche indicateurs est utilis´ee pour d´ecrire et caract´eriser les grands zones de pËeche
europ´eennes, et sp´ecifier une direction de r´ef´erence multivari´ee, semblant associ´ee `a
une d´egradation des ´ecosyst`emes sous-jacents (cf. Chapitre 3)
â˘
la mod´elisation ´ecosyst´emique est mise en Ĺuvre de mani`ere th´eorique dans le cadre
dâun simulateur multisp´ecifique permettant dâanalyser lâinfluence des caract´eristiques
de fonctionnement des ´ecosyst`emes sur les fonctions de production et la r´eponse des
´ecosyst`emes `a la pËeche (cf. Chapitre 4).
92
1. Lâapproche ´
ecosyst´
emique des pË
eches : principes, m´
ethodes et int´
erË
et pour la gestion
Synth`ese - Chapitre 1
Ce premier chapitre introduit la majorit´e des concepts et mod`eles auxquels il sera fait
r´ef´erence tout au long des chapitres suivants du document. `
A partir de lâhistorique de la
gestion des pËeches et du bilan actuel des pËecheries maritimes mondiales, nous mettons
en ´evidence les arguments plaidant en faveur de la mise en place dâune Approche Eco-
syst´emique des PËeches (AEP). Cette volont´e dâ´evolution de lâam´enagement des pËecheries
vise principalement `a prendre en consid´eration les nombreux effets de la pËeche sur les
´ecosyst`emes. LâAEP ne pr´etend pas remplacer les approches conventionnelles de gestion,
majoritairement orient´ees sur la conservation des stocks exploit´es, mais elle a pour objec-
tif dâajouter une vision plus globale des ´ecosyst`emes marins, reconnaissant explicitement
la vari´et´e de biens et de services quâils rendent `a lâHomme. Alors que les m´ethodes halieu-
tiques courantes peuvent Ëetre per¸cues comme la composante tactique (c.-`a-d. `a court
terme) de la gestion des pËeches, lâAEP en constitue ainsi la composante strat´egique
(c.-`a-d. `a moyen terme).
Parmi les diff´erents domaines de recherche li´es `a lâ´emergence dâune vision holistique de
la gestion, deux voies majoritaires et compl´ementaires apparaissent en plein essor. Dâune
part et en parall`ele aux approches globales et analytiques, les mod`eles halieutiques se sont
progressivement ´etendus et complexifi´es, pour passer de la population exploit´ee comme
objet dâ´etude, `a lâensemble de lâ´ecosyst`eme. Bien que la dimension op´erationnelle des
mod`eles multisp´ecifiques et ´ecosyst´emiques demeure encore limit´ee, leur d´eveloppement
a favoris´e des gains de connaissance importants concernant les processus responsables de
la structure et des fonctions des ´ecosyst`emes marins. Les progr`es r´ecemment accomplis
en termes de couplage entre mod`eles physiques et biologiques laissent `a penser que ces
outils occuperont dans le futur une place essentielle pour la mise en place dâune AEP.
Dâautre part, le recours `a des indicateurs d´ecrivant certaines propri´et´es des ´ecosyst`emes
permet de sâaffranchir en partie de leur caract`ere complexe et impr´evisible. Lâobjectif est
dâ´evaluer `a une ´echelle globale lâ´etat des ´ecosyst`emes et dâappr´ehender leurs dynamiques.
Plusieurs cat´egories dâindicateurs ont ainsi ´emerg´e au cours des derni`eres ann´ees afin
de quantifier les effets de la pËeche sur les caract´eristiques essentielles des ´ecosyst`emes
marins. Compte tenu de la diversit´e dâindicateurs disponible, diff´erentes m´ethodologies
ont ´et´e propos´ees pour permettre de s´electionner les plus appropri´es aux enjeux de
gestion. N´eanmoins, la difficult´e de distinguer les multiples facteurs d´eterminant leur
valeur, ainsi que les probl`emes li´es `a la sp´ecification de points de r´ef´erence, restreignent
pour lâinstant leur transposition en crit`eres de d´ecision. Lâint´egration des approches
indicateurs dans les processus d´ecisonnels appelle notamment `a une r´eflexion de fond
sur le passage dâune mesure de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme suivant un ensemble dâindicateurs,
`a des r`egles de gestion traduites de mani`ere concr`ete.
Chapitre 2
De la Terre `
a la Mer : une r´
egion
d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
ÂŤ
On ne naËÄąt pas Breton, on le devient, `a lâ´ecoute du vent, du chant des branches, du chant
des hommes et de la mer.
Âť
Xavier Grall
Sommaire
2.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
2.2
Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime . . . . . . . . . .
95
2.2.1
Une place essentielle de lâactivit´e de pËeche . . . . . . . . . . .
95
2.2.2
D´efinition dâune typologie des flottilles . . . . . . . . . . . . .
100
2.2.3
Esp`eces et principaux stocks exploit´es . . . . . . . . . . . . .
102
2.2.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
110
2.3
Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale . 110
2.3.1
Mat´eriel et M´ethodes
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
111
2.3.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
118
2.3.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
122
2.3.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
126
2.4
Dynamiques globales et r´
egionales : approche par simulations126
2.4.1
Mat´eriel et M´ethodes
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
127
2.4.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
129
2.4.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
133
2.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
134
2.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Synth`
ese - Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
94
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
2.1
Introduction
Les principes ´edict´es dans le contexte de lâapproche ´ecosyst´emique des pËeches (AEP) per-
mettent dâ´etablir un cadre g´en´eral devant favoriser lâ´elargissement de notre perception
des impacts de lâHomme sur les ´ecosyst`emes marins (cf. Chapitre 1). Parall`element, la
surexploitation des populations marines et des ´ecosyst`emes, peut avoir des cons´equences
importantes en termes alimentaires, ´economiques et sociaux, notamment dans les pays et
r´egions o`
u lâactivit´e de pËeche occupe une place essentielle. En Europe et mis `a part le cas
atypique de lâIslande, la pËeche repr´esente g´en´eralement une tr`es faible part du produit
int´erieur brut (PIB) des pays. Des ´etudes socio-´economiques command´ees par lâUnion
Europ´eenne ont cependant permis dây d´efinir des r´egions consid´er´ees
ÂŤ
d´ependantes de
la pËeche
Âť
(DG Fisheries, 1992 ; CofrepËeche, 2000). Selon la nomenclature des unit´es
territoriales statistiques, celles-ci correspondent au niveau g´eographique NUTS III, c.-`a-
d. `a lâ´echelle du d´epartement pour la France. Dans ce chapitre
1
, nous nous int´eressons
au cas du Finist`ere, premier d´epartement fran¸cais en terme de production halieutique,
et consid´er´e comme une des r´egions les plus d´ependantes des activit´es de pËeche en Eu-
rope (DG Fisheries, 1992). Nous nous placons ici en amont du travail de mod´elisation
´economique dont lâobjectif principal est dâanalyser et de comprendre dans quelle me-
sure ce d´epartement maritime d´epend de lâintensit´e de pËeche et de la dynamique des
ressources marines qui y sont exploit´ees. Pour ce faire, nous dresserons dans un premier
temps un bilan du secteur pËeche du Finist`ere, caract´eris´e par une tr`es grande diversit´e
de m´etiers et dâesp`eces exploit´ees. Cette analyse conduira en particulier `a une s´election
des flottilles et des stocks principalement d´ebarqu´es dans les ports de pËeche du Fi-
nist`ere, de mani`ere `a les int´egrer dans le mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC)
r´epresentant les relations entre les diff´erentes activit´es ´economiques du Finist`ere (cf.
Chapitre 5). Dans la deuxi`eme section du chapitre, nous proposerons une m´ethode com-
binant mod`eles globaux et structur´es en Ëage pour mod´eliser la dynamique des stocks
s´electionn´es, ´egalement en pr´ealable aux approches de mod´elisation bio-´economique qui
seront abord´ees dans la suite de la th`ese. La m´ethodologie d´evelopp´ee conduit `a des
choix de mod`eles diff´erents selon la nature des donn´ees disponibles. La sp´ecification des
fonctions de production pour chaque stock permet en particulier dâ´etablir un diagnostic
plurisp´ecifique, afin de disposer dâune vision g´en´erale de lâ´etat des ressources exploit´ees
par le Finist`ere. Enfin, dans la troisi`eme section, un mod`ele de production r´egionale est
1
Les sections de ce chapitre correspondent `
a plusieurs parties des rapports scientifiques du projet
PECHDEV. Les sections 2.2 et 2.3 ont ´egalement fait lâobjet dâune communication `
a la conf´erence
annuelle du CIEM en 2005 `
a Vigo :
â Chassot, E., Floros, C., Failler, P., Bernard, P., Rouyer, T. et Gascuel, D. (2004). From sea to
shore : development of a static Computable General Equilibrium Model for fisheries. Example of
the fishing industry in Finist`ere (France).
ICES CM 2004/FF : 12 (mimeo)
.
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
95
d´evelopp´e en vue de r´ealiser un transfert dâ´echelle entre la dimension marine des stocks
et ´ecosyst`emes exploit´es, et la dimension terrestre du mod`ele ´economique d´evelopp´e au
niveau du Finist`ere (cf. Chapitre 5). Lâeffort de pËeche mis en Ĺuvre par les flottilles fi-
nist´eriennes ne repr´esente en effet g´en´eralement quâune part relative de la pression totale
exerc´ee sur les stocks.
2.2
Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
Le Finist`ere a un pass´e historique fortement impr´egn´e par la pËeche comme en atteste
la pr´esence sur tout le pourtour de la baie de Douarnenez dâ´etablissements de salaison
datant de lâAntiquit´e. `
A la fin du XIX
e
si`ecle, lâactivit´e ´economique le long du litto-
ral breton ´etait en grande partie li´ee `a
ÂŤ
lâindustrie sardini`ere
Âť
, domin´ee par la ville
de Douarnenez (Le Boulanger, 2001). Lâimportance de la pËeche pour le d´epartement
sâexplique principalement par sa position privil´egi´ee entre la Manche et le Golfe de Gas-
cogne, par lâ´etendue de sa fa¸cade maritime pouvant en particulier abriter des ports pour
les navires, et par la richesse ´ecologique des eaux cËoti`eres. Nous pr´esenterons dans cette
section un bilan de la pËeche dans le Finist`ere afin dâen souligner les caract´eristiques
essentielles. La diversit´e de m´etiers pratiqu´es et dâesp`eces cibl´ees implique notamment
de r´ealiser des choix pratiques pour mod´eliser la production finist´erienne.
2.2.1
Une place essentielle de lâactivit´
e de pË
eche
2.2.1.1
Le Finist`
ere en quelques chiffres
Le Finist`ere est le premier d´epartement maritime fran¸cais avec plus de 1 250 km de cËote,
ËÄąles comprises (Fig. 2.1). Sa production totale (pËeche et aquaculture, incluant le thon
tropical) a ´et´e de plus de 300 000 tonnes en 2003, pour un chiffre dâaffaires de 355 millions
dâeuros (DDAM, 2004). Le d´epartement contribue ainsi au tiers de lâapprovisionnement
national en produits de la mer. Les ports du Guilvinec, de Concarneau, Saint Gu´enol´e
et Loctudy figuraient en 2003 au palmar`es des six premiers ports de pËeche fran¸cais pour
les valeurs d´ebarqu´ees. Les sept cri´ees r´eunies et g´er´ees par la chambre du commerce et
de lâindustrie (CCI) de Quimper commercialisent le quart de la production nationale. La
production de poisson sous cri´ee a constamment diminu´e au cours des derni`eres ann´ees,
pour passer de plus de 80 000 tonnes en 1995 `a environ 67 000 tonnes en 2003. Cette
diminution des tonnages d´ebarqu´es sâest cependant accompagn´ee dâune augmentation
continue de leur valeur totale. Elle est pass´ee de moins de 180 millions dâeuros en 1995, `a
environ 200 millions dâeuros en 2003 (DDAM, 2004). Les tendances oppos´ees dâ´evolution
96
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
dans le temps, entre tonnage et valeur, se retrouvent ´egalement au niveau de la Bretagne
(CRPMEM, 2004).
Fig.
2.1
â
Carte du Finist`ere.
La flottille finist´erienne a diminu´e fortement au cours des dix derni`eres ann´ees, pour
passer de 1 170 navires en 1992 `a 849 en 2003. Cette ´evolution est principalement `a rat-
tacher aux plans dâorientation pluriannuels (POP) mis en place par lâUE pour diminuer
la surcapacit´e de pËeche (cf. Chapitre 1). La diminution de presque 30% du nombre de
navires immatricul´es dans le Finist`ere entre 1992 et 2003 a cependant correspondu `a
une diminution en puissance et tonnage de lâordre de seulement 4,5%. Les difficult´es as-
soci´ees au renouvellement des vieux bateaux du fait des POP ont ainsi progressivement
entraËÄąn´e un vieillissement de la flotte. En 2003, lâËage moyen des navires bretons ´etait de
21,6 ans.
Parall`element `a lâ´evolution de la structure de la flotte, les effectifs de marins pËecheurs
dans le Finist`ere sont pass´es de 5 880 en 1992 `a 3 785 en 2003 (DDAM, 2004). Cette
baisse du nombre de marins embarqu´es est variable selon les types de pËeche consid´er´es,
c.-`a-d. les genres de navigation. Elle touche principalement la grande pËeche et la pËeche
cËoti`ere, alors que la pËeche au large et la petite pËeche ont ´et´e relativement peu affect´ees
(cf. Encadr´e). Le recours `a de la main dâĹuvre ´etrang`ere par certains armements thoniers
peut cependant expliquer en partie la baisse constat´ee pour la grande pËeche (DDAM,
2004).
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
97
Genres de navigation
Petite pË
eche :
activit´e de pËeche pratiqu´ee par tout navire
ne sâabsentant du port que pour une dur´ee inf´erieure ou
´egale `
a un jour ;
PË
eche cË
oti`
ere :
activit´e de pËeche pratiqu´ee par tout navire
ne sâabsentant du port que pour une dur´ee inf´erieure ou
´egale `
a quatre jours, mais sup´erieure `a la journ´ee ;
PË
eche au large :
activit´e de pËeche pratiqu´ee par des na-
vires sâ´eloignant habituellement du port pour une dur´ee
sup´erieure `
a quatre jours, lorsquâelle ne r´epond pas `a la
d´efinition de la grande pËeche ;
Grande pË
eche :
activit´e de pËeche pratiqu´ee par tout navire
dâune jauge brute ´egale ou sup´erieure `a 1000 tonneaux,
ou par tout navire dâune jauge brute ´egale ou sup´erieure
`
a 150 tonneaux sâabsentant pendant plus de 20 jours de
son port dâexploitation ou de ravitaillement.
2.2.1.2
Une fili`
ere importante
En 2003, la fili`ere des produits de la mer repr´esentait un total de pr`es de 11 500 emplois
dans le Finist`ere (DDAM, 2004). En compl´ement de la production, le secteur des pËeches
maritimes touche une large vari´et´e dâorganismes et dâentreprises priv´ees.
Lâamont de la fili`ere comprend un grand nombre dâactivit´es incluant notamment la
construction de navires, la r´eparation, la m´ecanique, lâ´electricit´e, lâaccastillage et la pein-
ture. Il est cependant difficile de circonscrire ces activit´es `a la pËeche car les entreprises
peuvent viser dâautres d´ebouch´es tels que les march´es de la plaisance ou du transport
maritime. Ceci rend particuli`erement difficile des estimations pr´ecises sur les emplois ou
la valeur ajout´ee cr´e´ee au sein de lâamont de la fili`ere. On consid`ere globalement que de
lâordre de 1000 personnes y travaillent dans le Finist`ere (Failler, 2003).
La fili`ere aval inclut principalement les activit´es qui ont trait `a la commercialisation et
`a la transformation des produits de la mer. La nomenclature de lâInstitut national de
la statistique et des ´etudes ´economiques (INSEE) ne fait pas de distinction entre les
activit´es de vente de poisson frais, de vente de produits manufactur´es et les industries
de transformation. Selon Failler (2003), environ 1200 personnes sont employ´ees dans le
98
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
secteur du mareyage. Le secteur de transformation inclut `a la fois lâachat de la mati`ere
premi`ere et la production de produits transform´es (congel´es, conserves, poisson fum´e,
etc.). La zone de Quimper comprend une vingtaine dâusines qui assurent la vente de
presque 50% des produits transform´es de Bretagne. Les esp`eces dâint´erËet sont princi-
palement des poissons p´elagiques tels que la sardine, le maquereau et le thon qui sont
majoritairement mis en conserves. La r´egion de Brest repr´esente ´egalement une zone im-
portante de transformation. Elle assure plus de 20% des ventes des produits de Bretagne
et est surtout caract´eris´ee par des entreprises de fumage et dâexploitation des algues la-
minaires. Lâensemble des usines de transformation du Finist`ere ferait travailler environ
3700 personnes dans une quarantaine dâentreprises (Failler, 2003).
Parall`element aux activit´e ´economiques directement ou indirectement li´ees `a la produc-
tion halieutique, plusieurs organismes sont pr´esents dans le Finist`ere afin dâencadrer
et dâorganiser le secteur des pËeches. Cinq comit´es locaux (Nord Finist`ere, Douarnenez,
Audierne, Le Guilvinec et Concarneau) y repr´esentent lâorganisation interprofessionnelle
des pËeches maritimes et des ´elevages marins. Ils ont pour objectifs principaux de d´efendre
les int´erËets g´en´eraux des professionnels et de faciliter lâorganisation du secteur, au tra-
vers dâactions ´economiques et sociales notamment. Cinq organisations de producteurs
(OPOB
2
, FROM Bretagne
3
, PROMA
4
, ORTHONGEL
5
, OPCB
6
) exercent ´egalement
leur activit´e dans le d´epartement. Leur mission initiale ´etait avant tout dâassurer des
prix de retrait pour les d´ebarquements invendus et de promouvoir la vente des produits
de la mer. Actuellement, leur champ dâactivit´e sâ´elargit, en particulier via la gestion des
quotas de pËeche. Les pËecheurs finist´eriens ont par ailleurs acc`es au cr´edit maritime mu-
tuel. Cette banque favorise en particulier lâoctroi de prËets pour lâacquisition de bateaux
neufs ou dâoccasion. Enfin, plusieurs groupements de gestion, coop´eratives maritimes et
associations se sont mis en place au cours du temps. Ils couvrent majoritairement les sec-
teurs des armements, de la transformation, de la commercialisation et de lâavitaillement
(DDAM, 2004).
2.2.1.3
Des d´
efis `
a relever
Compte tenu de la faible efficacit´e des modes de gestion en vigueur, lâUE a engag´e une
r´eforme de la PCP en 2003 (cf. Chapitre 1). La nouvelle politique appelle notamment
`a r´eduire la surcapacit´e des flottilles, `a
ÂŤ
´eliminer progressivement les aides publiques
2
Organisation des pËecheries de lâOuest Bretagne
3
Fonds r´egional dâorganisation du march´e du poisson en Bretagne
4
Organisation des producteurs de pËeche artisanale Morbihan Loire-Atlantique et Sud Finist`ere
5
Organisation des producteurs de thon congel´e
6
Organisation des producteurs conchylicoles de Bretagne
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
99
aux investisseurs priv´es
Âť
7
et `a r´eduire les quotas de nombreux stocks europ´eens. Ces
diff´erentes mesures communautaires soul`event des probl´ematiques fondamentales au sein
du secteur des pËeches maritimes fran¸caises (Conseil r´egional de Bretagne, 2004). Compte
tenu de lâimportance de lâactivit´e de pËeche et du rËole ´economique quâelle occupe, le
Finist`ere est logiquement affect´e par cette r´eforme.
En premier lieu, lâun des d´efis majeurs du secteur r´eside dans le renouvellement de
la flotte vieillissante. La diminution des aides europ´eennes accord´ees `a lâachat ou `a la
modernisation des navires restreint la possibilit´e de rajeunir la flotte finist´erienne. Une
partie des ´equipements des navires pourra cependant Ëetre financ´ee jusquâen 2006, `a
condition que ceux-ci concernent la s´electivit´e, la qualit´e des produits pËech´es, la s´ecurit´e
et les conditions de travail. La refonte de lâactuel instrument financier dâorientation de la
pËeche (IFOP) en fonds europ´een pour la pËeche (FEP) pour la p´eriode 2007-2013 devrait
profond´ement modifier les modalit´es dâattribution des subventions et inqui`ete une grande
partie de la profession (CRPMEM, 2004 ; Conseil r´egional de Bretagne, 2004).
Par ailleurs, les mesures de la PCP limitent lâacc`es des jeunes patrons `a la pËeche, compte
tenu des investissements consid´erables requis et de la n´ecessit´e de faire co¨Ĺncider lâentr´ee
dans la flotte `a la sortie dâun ou plusieurs navires (Conseil r´egional de Bretagne, 2004).
`
A ces contraintes financi`eres sâajoute la duret´e du m´etier qui entraËÄąne des difficult´es de
recrutement, allant jusquâ`a des p´enuries de main dâĹuvre. Ce probl`eme vient dâune cer-
taine d´esaffection `a lâentr´ee de la profession, avec des inscriptions dans les formations qui
demeurent inf´erieures aux effectifs esp´er´es, et un nombre insuffisant dâ´el`eves qui rentrent
r´eellement dans le monde de la pËeche `a lâissue de leurs ´etudes. Le renouvellement des ef-
fectifs est pourtant essentiel en raison du vieillissement des marins et du d´es´equilibre dans
la structure dâËage (Checcaglini et Podevin, 2002). Ces auteurs ont ´egalement montr´e que
les probl`emes de recrutement proviennent moins dâune d´esaffection pour la profession
que des comportements de d´efection en cours de vie active de plus en plus fr´equents.
La nouvelle PCP est r´esolument orient´ee vers une r´eduction de la surcapacit´e des flottilles
afin dâassurer une meilleure conservation des ressources marines. Cette tendance devrait
impliquer dans les prochaines ann´ees des r´eductions importantes de TAC et la mise en
place de plans de reconstitution pour les stocks particuli`erement surexploit´es. De telles
mesures peuvent avoir des effets `a court terme tr`es pr´ejudiciables financi`erement pour les
segments de flotte concern´es. De plus, ils g´en`erent souvent des d´epassements de quotas
et des comportements de fraudes, ainsi que des reports sur les esp`eces dont la gestion
est moins r´eglement´ee (CRPMEM, 2004).
Finalement, une autre difficult´e majeure `a laquelle doit faire face la flotte finist´erienne
est la hausse conjoncturelle du prix du gazole depuis plusieurs ann´ees. La majorit´e des
7
http ://europa.eu.int/comm/fisheries/reform/index fr.htm
100
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
navires, et plus particuli`erement les chalutiers, peuvent effectuer de grandes distances
pour aller sur les lieux de pËeche. Le poste carburant occupe donc une place primordiale
dans le compte dâexploitation (DDAM, 2004 ; Conseil r´egional de Bretagne, 2004). Le
prix du carburant affecte en priorit´e les investissements en faveur de lâam´elioration et
lâentretien des navires ainsi que les salaires des marins (CRPMEM, 2004). Ce facteur
conjoncturel se cumule ainsi avec les restrictions dâaides pour freiner le renouvellement
et la modernisation des navires finist´eriens.
2.2.2
D´
efinition dâune typologie des flottilles
Le d´epartement du Finist`ere est caract´eris´e par un tr`es grand nombre dâengins et de
m´etiers pratiqu´es (Guitton et al., 2003 ; Berthou et al., 2004). La taille des navires va des
caseyeurs de moins de 12 m`etres qui longent les cËotes bretonnes, aux chalutiers de plus de
50 m`etres qui pËechent au large de lâ´
Ecosse ou de lâIrlande. Nous verrons plus loin que le
mod`ele ´economique implique de d´efinir des types dâexploitation pr´esentant une certaine
homog´en´eit´e de structure de coË
uts et de revenus. Nous avons donc d´efini une typologie
qui est pr´esent´ee ici dans une optique descriptive. Elle sera utilis´ee ult´erieurement dans
la mod´elisation ´economique dans une optique plus analytique et fonctionnelle. Cette
typologie se base sur deux crit`eres : le genre de navigation et le quartier maritime
dâorigine des bateaux.
2.2.2.1
Genres de navigation
Le genre de navigation est un statut juridique qui d´efinit les droits des bateaux de pËeche
ainsi que ceux des marins embarqu´es. Ce titre sp´ecifie en particulier le temps que les
navires passent en mer (cf. Encadr´e, p 97) et le r´egime de s´ecurit´e sociale des marins, g´er´e
par lâ´etablissement national des invalides de la marine (ENIM). Lâint´erËet de sâappuyer
sur les genres de navigation est double. Dâune part, il existe une relation forte entre la
longueur des bateaux, le temps pass´e en mer et la distance des lieux de pËeche (Fig. 2.2).
Les zones de pËeche d´efinissent `a une ´echelle globale les types dâesp`eces cibl´ees et les coË
uts
de carburant, qui repr´esentent la part majoritaire des d´epenses des navires. Dâautre part,
les titres de navigation pr´ecisent les charges sociales d´epens´ees annuellement. Suivant
les genres de navigation, la flotte finist´erienne a ainsi ´et´e s´epar´ee en trois flottilles dis-
tinctes : la petite pËeche (69% des navires), la pËeche cËoti`ere (7%) et la pËeche au large
(21%). Malgr´e le rattachement de bateaux arm´es `a la grande pËeche au quartier mari-
time de Concarneau, ceux-ci nâont pas ´et´e pris en compte dans la construction du mod`ele
dâ´economie r´egionale. Ils correspondent `a une trentaine de thoniers pËechant au large de
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
101
Fig.
2.2
â
Cartes repr´esentant lâorigine g´eographique (carr´es statistiques) de la valeur totale des
d´ebarquements finist´eriens (exprim´ee de mani`ere relative) par genre de navigation, pour la p´eriode
1995-97 (a) petite pËeche (b) pËeche cË
oti`ere (c) pËeche au large.
lâAfrique de lâOuest et dans lâoc´ean Indien. Leur production a atteint 170 000 tonnes
en 2003 et a ´et´e majoritairement d´ebarqu´ee dans des ports Africains ou des Seychelles,
avant dâËetre g´en´eralement transform´ee sur place et export´ee vers la France ou dâautres
pays du globe. De plus, la main dâĹuvre `a bord est principalement ´etrang`ere et seule la
construction de ces navires a des retomb´ees ´economiques importantes pour le Finist`ere.
Nous ne tiendrons ´egalement pas compte de la flottille des go´emoniers bas´ee pour lâessen-
tiel dans le quartier maritime de Brest. La production de laminaire digit´ee (
Laminaria
digitata
) est destin´ee int´egralement `a deux usines de transformation finist´eriennes et
d´epend principalement de la demande du march´e en alginates.
2.2.2.2
Des contrastes nord/sud
Un deuxi`eme crit`ere a ensuite ´et´e ajout´e afin de segmenter les activit´es de pËeche selon
leur localisation g´eographique. Il est g´en´eralement admis que le Finist`ere pr´esente des
types de pËecheries tr`es diff´erents entre la partie nord regroupant les quartiers maritimes
de Morlaix (MX), Brest (BR) et Camaret (CM), et la partie sud compos´ee des quartiers
de Douarnenez (DZ), Audierne (AD), Concarneau (CC) et du Guilvinec (GV) (Fig.
2.3). Cette distinction est globalement li´ee `a lâhistoire des pËecheries, aux trac´es des cËotes
ainsi quâ`a la nature des fonds marins. De mani`ere tr`es sch´ematique, on peut consid´erer
que la partie nord du Finist`ere est principalement caract´eris´ee par des petites pËecheries
artisanales qui ciblent en particulier les crustac´es (
Cancer pagurus
et
Maja squinado
) et
la baudroie (
Lophius spp.
). `
A lâoppos´e, la partie sud du d´epartement est domin´ee par des
102
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
pËecheries plus industrialis´ees qui ciblent un plus grand nombre dâesp`eces (p. ex. gadid´es)
et sont caract´eris´ees par des d´ebarquements bien plus importants en termes de tonnage.
Fig.
2.3
â
Carte repr´esentant les quartiers maritimes du Finist`ere.
Au final, la flotte finist´erienne est ainsi compos´ee de six flottilles : petite pËeche du
nord (PPN), pËeche cËoti`ere du nord (PCN), pËeche au large du nord (PLN), petite pËeche
du sud (PPS), pËeche cËoti`ere du sud (PCS) et pËeche au large du sud (PLS). Compte
tenu de la vari´et´e de pratiques de pËeche au sein du Finist`ere, les crit`eres permettent
de grandement simplifier le syst`eme ´etudi´e. Lâobjectif de cette approche est ainsi de
conduire une analyse globale afin de disposer dâune vision g´en´erale de la structure de la
flotte. Dans un deuxi`eme temps, les flottilles seront int´egr´ees dans un mod`ele dâ´equilibre
g´en´eral afin dâestimer `a la fois lâeffort de pËeche quâelles exercent sur la ressource et
lâimportance de lâactivit´e de pËeche dans toute lâ´economie finist´erienne (cf. Chapitre 5).
2.2.3
Esp`
eces et principaux stocks exploit´
es
Plus dâune centaine dâesp`eces sont d´ebarqu´ees chaque jour dans les ports du Finist`ere. Il
apparaËÄąt cependant n´ecessaire de se limiter `a un nombre raisonnable dâentre elles, dans
lâoptique de mod´eliser leur dynamique en fonction de lâeffort de pËeche exerc´e et de les
int´egrer dans le mod`ele repr´esentant lâ´economie finist´erienne. Lâobjectif de cette section
est donc de sp´ecifier quelles esp`eces pr´esentent un int´erËet ´economique majeur pour le Fi-
nist`ere. Dans un premier temps, nous nous int´eressons `a la notion dâesp`ece plutËot quâaux
populations, car tous les secteurs de la fili`ere, de la production `a la consommation, rai-
sonnent en termes dâesp`ece. Par la suite, nous identifierons les stocks principalement
cibl´es par les pËecheurs finist´eriens afin dâ´etablir le lien entre quantit´es d´ebarqu´ees et
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
103
dynamique des stocks. En plus des crit`eres bas´es sur lâimportance des d´ebarquements,
nous tenterons ´egalement de disposer dâune certaine gamme de situations, afin dâenvi-
sager plusieurs sc´enarii de simulation pour lâapplication du mod`ele ´economique.
2.2.3.1
Donn´
ees utilis´
ees de qualit´
e variable
En France, les statistiques de captures par bateau de pËeche sont obtenues en croisant les
informations r´epertori´ees dans les ports de d´ebarquement (donn´ees en tonnage et valeur
par esp`ece et cat´egorie commerciale) avec les captures d´eclar´ees dans les livres de bord
pendant la mËeme p´eriode (engin, effort de pËeche et captures par rectangle statistique
ou division CIEM). Cependant, ces donn´ees concernent essentiellement les chalutiers et
les navires hauturiers, le passage en cri´ee nâ´etant pas obligatoire. Pour les bateaux non
soumis au syst`eme des livres de bord (longueur inf´erieure ou ´egale `a 10 m ou temps de
pËeche inf´erieur `a 24 heures) vendant leur production en cri´ee, des fiches sp´ecifiques sont
remplies. Malgr´e des estimations mensuelles, la qualit´e des donn´ees de captures pour les
navires cËotiers restants demeure tr`es variable (Guitton et al., 2003).
Ainsi, la qualit´e et la fiabilit´e des donn´ees d´ependent grandement du segment de flotte
auquel on sâint´eresse. Les donn´ees nâincluent g´en´eralement pas tout ce qui a trait `a la
vente directe aux poissonniers, restaurateurs et consommateurs. De plus, elles corres-
pondent aux statistiques officielles de d´ebarquement et non de captures, et ne prennent
pas en compte les rejets qui peuvent pourtant repr´esenter une part significative des
prises de certaines pËecheries (Morizur et al., 1996). Enfin, la qualit´e des donn´ees peut
Ëetre affect´ee par le march´e noir, les sous-d´eclarations et les erreurs faites lors de leur
r´ecolte. Ces diff´erents facteurs peuvent Ëetre particuli`erement importants dans le cas des
pËecheries du Finist`ere nord o`
u la collecte de lâinformation nâest pas ais´ee du fait du
caract`ere artisanal des flottilles. Lâam´elioration de la qualit´e des donn´ees de captures
est lâune des cl´es essentielles pour le suivi des pËecheries. La mise en place de syst`emes
dâenquËete individuels portant sur les activit´es de lâensemble des m´etiers fran¸cais (sauf la
M´editerran´ee) devrait am´eliorer consid´erablement la connaissance des pËecheries dans le
futur (Berthou et al., 2004). Par ailleurs, la qualit´e des donn´ees de captures est lâun des
principaux facteurs pouvant limiter la justesse et la pr´ecision des ´evaluations de stocks
(Mesnil, 2003).
Toutes les donn´ees de d´ebarquement sont stock´ees au sein des centres r´egionaux de trai-
tement des statistiques de pËeche (CRTS) qui d´ependent de lâadministration nationale.
En d´epit de demandes r´ep´et´ees aupr`es de la direction des pËeches maritimes et de lâaqua-
culture (DPMA), nous nâavons pu disposer des donn´ees de d´ebarquements r´ecentes,
c.-`a-d. `a une ´echelle compatible avec les objectifs de lâ´etude (par flottille, esp`ece et zone
104
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
de pËeche). Pour cette raison, les donn´ees auxquelles nous ferons r´ef´erence dans la suite
du travail proviennent du projet europ´een FAIR (CT-96-1993), auquel a particip´e le
d´epartement halieutique de lâENSAR. Elles ont alors ´et´e fournies pour lâessentiel par
la DPMA et correspondent `a une version ´etendue de la base de donn´ees BAHAMAS
d´evelopp´ee pendant le doctorat de C. Ulrich, pour la p´eriode 1995-1997 (Ulrich, 2000).
Comme le sugg`erent la diminution importante de la production en tonnage au cours des
dix derni`eres ann´ees ainsi que lâ´evolution du nombre de navires et de marins pËecheurs,
la flotte finist´erienne ainsi que la composition sp´ecifique des d´ebarquements ont ´et´e mo-
difi´ees depuis la p´eriode 1995-97. N´eanmoins, il est possible de consid´erer que la structure
globale de la flotte finist´erienne a ´et´e globalement peu affect´ee en moins de dix ans. En
effet, le nombre de navires en Bretagne a principalement diminu´e en 1992 du fait du plan
Mellick, et est demeur´e relativement stable entre 1997 et 2003 (Daur`es et al., 2005).
De plus, on observe entre 1994 et 2003 une relative stabilit´e de la taille moyenne, de
la puissance nominale moyenne, de la jauge moyenne des navires et de la proportion
des patrons embarqu´es par classe dâËage en Bretagne. En ce qui concerne les esp`eces, les
m´etiers les plus importants (selon le crit`ere du mois dâactivit´e) pratiqu´es en Bretagne
sont demeur´es les mËemes entre 1994 et 2003 en Bretagne, bien que leur hi´erarchie ait
´et´e l´eg`erement modifi´ee (Daur`es et al., 2005). Enfin, les esp`eces principales en termes
de tonnage et de valeur d´ebarqu´ees en 2003 demeurent les mËemes que sur la p´eriode
1995-97 (Ofimer, 2004). Ne disposant que des donn´ees pour la p´eriode 1995-97, le travail
a ´et´e men´e dans une perspective m´ethodologique puisque lâapplication de la m´ethode `a
des donn´ees plus r´ecentes ne pose aucune difficult´e majeure.
2.2.3.2
S´
election des esp`
eces principales
La sp´ecification des esp`eces commerciales principales pour le Finist`ere est faite selon
lâimportance quâelles ont `a la fois en termes de tonnage et de valeur au d´ebarquement.
Au cours de la p´eriode 1995-97, la production par quartier maritime est demeur´ee re-
lativement constante. Elle est principalement domin´ee par les quartiers de Concarneau
et du Guilvinec qui regroupent environ 80% de la production totale finist´erienne (Fig.
2.4).
La contribution de chaque quartier correspond `a la production des navires immatricul´es
dans le quartier par rapport `a la production totale du Finist`ere, quelque soit le port
de d´ebarquement. Tous les d´ebarquements issus de navires non finist´eriens, c.-`a-d. non
immatricul´es dans lâun des sept quartiers maritimes du Finist`ere, ne sont pas consid´er´es
dans la s´election. Ils repr´esentent une part relativement faible des d´ebarquements totaux
(Tab. 2.1). En revanche, les d´ebarquements faits par des pËecheurs finist´eriens dans des
ports situ´es hors du d´epartement sont comptabilis´es dans la production.
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
105
Fig.
2.4
â
Part des quartiers maritimes dans les d´ebarquements en (a) tonnage et (b) valeur pour une
ann´ee moyenne repr´esentant la p´eriode 1995-97.
Tab.
2.1 â
Part des d´ebarquements (en tonnes) r´ealis´es par les navires finist´eriens, parmi les
d´ebarquements totaux r´ealis´es dans le Finist`ere pour les 13 esp`eces s´electionn´ees.
Esp`eces
D´ebar. totaux
D´ebar. finist´eriens
Finist`ere
Baudroie
11 620
10 481
90%
Cardine
3 415
3 028
89%
´
Eglefin
3 432
3 062
89%
Grenadier
2 499
2 493
100%
Langoustine
5 481
4 804
88%
Lieu noir
3 277
3 170
97%
Lingue
2 784
3 097
90%
Merlan
5 557
4 376
79%
Merlu
2 839
2 364
83%
Morue
6 378
5 524
87%
Raie fleurie
3 064
2 896
95%
Sardine
4 508
4 411
98%
Tourteau
3 745
3 559
95%
Les principales esp`eces captur´ees varient grandement selon le quartier maritime dâorigine
des navires (Fig. 2.5). Les esp`eces correspondant `a au moins 3% des captures totales du
Finist`ere, en tonnage ou en valeur ont ´et´e conserv´ees. Elles repr´esentent respectivement
73% de la production en tonnage et 69% en valeur. Les esp`eces dâint´erËet majeur sont
la baudroie (
Lophius spp.
), la morue (
Gadus morhua
), la langoustine (
Nephrops norve-
gicus
), la sardine (
Sardina pilchardus
), le merlan (
Merlangius merlangus
), le tourteau
(
Cancer pagurus
), le lieu noir (
Pollachius virens
), lâ´eglefin (
Melanogrammus aeglefinus
),
106
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
la cardine (
Lepidorhombus spp.
), la raie fleurie (
Leucoraja naevus
), la lingue (
Molva
molva
), le grenadier (
Coryphaenoides rupestris
) et le merlu (
Merluccius merluccius
).
Fig.
2.5
â
Part des esp`eces correspondant `
a au moins 3% des d´ebarquements en (a) tonnage et (b)
valeur pour une ann´ee moyenne repr´esentant la p´eriode 1995-97.
2.2.3.3
Identification des stocks `
a mod´
eliser
Suivant la liste dâesp`eces s´electionn´ees (Tab. 2.1), plusieurs stocks correspondant `a une
mËeme esp`ece peuvent Ëetre exploit´es par les flottilles finist´eriennes (Tab. 2.2). Afin dâes-
timer les d´ebarquements provenant des diff´erents stocks identifi´es, la base de donn´ees a
´et´e compl´et´ee par une table âstockâ faisant le lien entre les esp`eces pËech´ees et lâorigine
g´eographique des captures. La distribution des stocks correspond `a lâensemble des sous-
divisions et rectangles statistiques consid´er´es au sein des groupes dâ´evaluation du CIEM
(Fig. 2.6).
De mani`ere `a appliquer le MEGC au Finist`ere, les stocks dâimportance ´economique ma-
jeure pour le d´epartement sont identifi´es comme ´etant ceux qui constituent lâessentiel des
captures d´ebarqu´ees (Tab. 2.2). Lâensemble des esp`eces et stocks non consid´er´es indivi-
duellement est regroup´e dans un stock
ÂŤ
autres
Âť
, pour lequel un mod`ele de production
sera ´egalement d´efini (Section 2.3). La base de donn´ees permet alors dâextraire les prises
r´ealis´ees sur ces stocks, pour les diff´erentes flottilles de pËeche d´efinies pr´ec´edemment
(Tab. 2.3).
Les stocks de baudroie et de cardine sont en r´ealit´e compos´es chacun de deux esp`eces
distinctes : les baudroies commune (
Lophius piscatorius
) et rousse (
Lophius budegassa
)
et les cardines franche (
Lepidorhombus whiffiagonis
) et `a quatre tËaches (
Lepidorhombus
boscii
). Pour les baudroies, les captures du stock regroupant les deux esp`eces ont ´et´e
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
107
Tab.
2.2 â
Liste des stocks principalement exploit´es par la flotte finist´erienne.
â
indique les stocks
qui seront consid´er´es de mani`ere individuelle dans les approches de mod´elisation.
Stock
Zone
Baudroie
â
VIIb-k, VIIIa,b,d
Baudroie du Nord
IV, VI
Cardine
â
VIIb,c,e-k, VIIIa,b,d
Cardine
VIa,b
´
Eglefin de mer Celtique
â
VIIb-k
´
Eglefin de Ouest ´
Ecosse
VIa
Grenadier
â
Vb, VI, VII
Langoustine
â
VIIb,c,j,k
Langoustine
â
VIIf,g,h
Langoustine
â
VIIIa,b
Lieu noir
â
IIIa, IV, VIa,b
Lingue
Non d´efini
Merlan de mer Celtique
â
VIIe-k
Merlan
VIa
Merlu
â
IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d
Morue de mer Celtique
â
VIIe-k
Morue
VIa
Raie fleurie
â
Non d´efini
Sardine
Non d´efini
Tourteau
â
VIId-e
Tab.
2.3 â
Valeur d´ebarqu´ee (â000
e
) par les flottilles finist´eriennes pour les stocks s´electionn´es.
Stock
PPN
PCN
PLN
PPS
PCS
PLS
Baudroie
VIIb-k, VIIIa,b,d
1 290
1 590
716
2 886
4 360
20 722
Cardine
VIIb,c,e-k, VIIIa,b,d
0
0
119
872
1 328
5 562
´
Eglefin de mer Celtique
VIIb-k
0
1
51
0
18
2 714
Grenadier
Vb, VI, VII
0
0
0
0
0
2850
Langoustine
VIIb,c,j,k
0
0
0
0
111
2 977
Langoustine
VIIf,g,h
0
0
362
4
694
11 993
Langoustine
VIIIa,b
6
0
0
10 963
3 240
262
Lieu noir
IIIa, IV, VIa,b
0
0
0
0
0
2 010
Merlan de mer Celtique
VIIe-k
4
1
129
13
70
4 647
Merlu
IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d
3
15
234
3 281
1 504
1 051
Morue de mer Celtique
VIIe-k
12
18
264
3
143
7 435
Raie fleurie
7
11
20
223
671
3 424
Tourteau
VIId-e
209
284
2210
8
0
0
Autres
3 140
2 228
5 347
16 799
4 765
39 362
108
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
Fig.
2.6
â
Carte des sous-divisions CIEM.
calcul´ees en sommant les captures r´ealis´ees pour chaque esp`ece afin de d´efinir un seul
mod`ele de production. Ceci ne pose pas de probl`eme m´ethodologique pour le type de
mod`ele retenu (Section 2.3) car les caract´eristiques biologiques et ´ecologiques des bau-
droies sont proches (Hilborn et Walters, 1992). En ce qui concerne les cardines, le mod`ele
estim´e ne concerne que la cardine franche, seule esp`ece pour laquelle des donn´ees de cap-
tures sont disponibles (ICES, 2003d). Le choix de regrouper les esp`eces restantes dans
un stock
ÂŤ
autres
Âť
, ensemble plurisp´ecifique comprenant plus dâune centaine dâesp`eces,
est ici essentiellement contraint par le mod`ele ´economique qui requiert que lâensemble
de la production finist´erienne soit mod´elis´e. Lâestimation dâun mod`ele a pour principal
objectif de reconnaËÄątre que le stock
ÂŤ
autres
Âť
admet un maximum de production, et
de disposer de fonctions de production homog`enes dans leur forme pour la partie de
mod´elisation ´economique.
Par ailleurs, la s´election des stocks est ´egalement faite dans lâoptique dâint´egrer une di-
mension ´ecologique aux sc´enarii de simulation envisag´es avec le MEGC. La majorit´e de la
production halieutique finist´erienne provient de la mer Celtique (VIIf,g,h,j). Les navires
y exploitent notamment huit des principaux stocks dâimportance ´economique majeure
pour le Finist`ere. Pour cette r´egion g´eographique, lâanalyse de lâimpact de la surexploi-
2.2 Le Finist`
ere, tradition et identit´
e maritime
109
tation dâun stock par exemple, et de ses cons´equences via les relations intersp´ecifiques,
sur les fonctions de production dâautres stocks pourrait Ëetre simul´ee. Ceci devrait per-
mettre dâ´evaluer dans quelles mesures lâexploitation cibl´ee dâesp`eces de hauts niveaux
trophiques notamment, peut avoir des r´epercussions sur les d´ebarquements dâautres com-
posantes de lâ´ecosyst`eme, et ´eventuellement affecter lâensemble de lâactivit´e ´economique
dâune r´egion.
Les stocks pËech´es au nord ouest de lâ´
Ecosse (VIa,b) sont uniquement cibl´es par la flottille
sud de pËeche au large. Nous nous int´eresserons dans la suite de lâ´etude aux stocks de lieu
noir et de grenadier pour cette zone. En effet, le lieu noir repr´esente une part tr`es impor-
tante des d´ebarquements du Finist`ere malgr´e un faible prix moyen de vente. Quant au
grenadier, câest une esp`ece de grand fond `a dur´ee de vie longue, tr`es sensible `a lâexploi-
tation et pour laquelle de lâinformation est disponible sur la biologie et la dynamique du
stock (Allain, 1999 ; Lorance et al., 2001). En revanche, lâ´eglefin, le merlan et la cardine
pËech´es dans cette zone, ainsi que la morue et la baudroie, repr´esentent une proportion
mineure des captures r´ealis´ees en mer Celtique pour les mËemes esp`eces. De mËeme, la
lingue pour laquelle aucune ´evaluation nâest conduite ne sera pas consid´er´ee de mani`ere
explicite dans lâapproche de mod´elisation. Il existe n´eanmoins pour ce stock, tout comme
pour le grenadier, un quota et un TAC de pr´ecaution. Ces TAC ont notamment pour
objectif de d´efinir des droits dâant´eriorit´e aux pays qui les exploitent (A. Laurec, com.
pers.). Dans le cadre des simulations `a conduire avec le mod`ele ´economique, lâanalyse
des effets de diff´erentes politiques de gestion (modification du TAC, taxes, etc.) en vue
de prot´eger le stock de grenadier pourrait constituer des sc´enarii int´eressants, compte
tenu de la sensibilit´e des esp`eces de grand fond `a lâexploitation (Koslow et al., 2000).
Finalement, les deux derni`eres zones cibl´ees par les flottilles du Finist`ere sont le Golfe
de Gascogne (VIIIa,b,d) et la Manche (VIId,e). La sardine principalement exploit´ee
au sein de ces zones a ´et´e exclue de la s´election des stocks car elle nâest pas ´evalu´ee
et demeure sous-exploit´ee, notamment en raison dâune faible demande du march´e. Le
merlu et la langoustine constituent donc les stocks dâint´erËet majeur pËech´es dans le Golfe
de Gascogne et sont le plus souvent captur´es en mËeme temps par les chalutiers du sud
Finist`ere. Des ´etudes ont mis en ´evidence les probl`emes de captures de juv´eniles de
merlu par les m´etiers ciblant la langoustine. Ces interactions techniques sont dâautant
plus graves quâun plan de reconstitution a ´et´e pr´econis´e pour le stock de merlu par
le CIEM (ICES, 2005). Des travaux en partenariat avec les professionnels et portant
sur la s´electivit´e des engins ont eu lieu au cours des derni`eres ann´ees. Leur objectif
´etait de parvenir `a exp´erimenter des syst`emes plus s´electifs afin de diminuer de mani`ere
significative la mortalit´e sur les juv´eniles de merlu (CRPMEM, 2004). Dans ce contexte,
les probl`emes dâinteractions techniques entre merlu et langoustine apparaissent comme
lâun des sc´enarii possibles de simulation `a conduire avec le MEGC.
110
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
Pour ce qui concerne la Manche, seul le tourteau contribue `a des apports importants
en termes ´economiques `a lâ´echelle du Finist`ere, particuli`erement pour la partie nord du
d´epartement. Le tourteau ´etant une esp`ece tr`es cËoti`ere pendant une partie de lâann´ee,
lâanalyse des cons´equences dâune pollution de type mar´ee noire par exemple, pourrait
Ëetre simul´ee. Un tel sc´enario conduirait `a une diminution drastique des d´ebarquements
de tourteau et pourrait avoir des effets dans toute lâ´economie finist´erienne.
2.2.4
Conclusion
Le Finist`ere est le premier d´epartement fran¸cais en terme de production halieutique.
Il est notamment caract´eris´e par une extraordinaire diversit´e de pratiques de pËeche,
li´ee `a une tradition maritime s´eculaire et un littoral marqu´e par une grande richesse
´ecologique. Lâensemble de la fili`ere pËeche emploie plusieurs milliers de personnes et tous
les secteurs y sont repr´esent´es, de la construction navale `a la transformation des produits
de la mer. Dans ce contexte, lâobjectif de lâ´etude nâest pas de sâint´eresser de mani`ere
d´etaill´ee `a lâensemble des flottilles ou m´etiers qui sây pratiquent, comme cela peut se
faire dans certaines analyses bio-´economiques (p. ex. Ulrich et al., 2001), mais dâavoir
une vision globale de lâimpact de la pËeche `a lâ´echelle du d´epartement. Ceci permet de
sâaffranchir de la qualit´e tr`es h´et´erog`ene des donn´ees, particuli`erement mauvaise pour
ce qui concerne la petite pËeche artisanale. Lâapproche men´ee a ainsi conduit `a d´efinir les
principales flottilles du Finist`ere selon des crit`eres simples `a appr´ehender et pertinents
en termes de lieux de pËeche et de coË
uts ´economiques associ´es. Ces flottilles repr´esentent
le secteur ´economique de production halieutique dans le MEGC (cf. Chapitre 5). Suivant
lâimportance des esp`eces d´ebarqu´ees et `a partir de leur origine g´eographique de capture,
les principaux stocks dâint´erËet commercial majeur pour le Finist`ere ont ´egalement ´et´e
d´efinis. Ces stocks permettent dâ´etablir le lien entre les produits halieutiques d´ebarqu´es,
transform´es et/ou consomm´es au sein de la r´egion, et la connaissance que lâon a de leur
dynamique dans les ´ecosyst`emes marins.
2.3
Mod´
eliser
les
populations
exploit´
ees
par
approche globale
Afin de comprendre les relations de d´ependance pouvant exister entre les ressources
marines exploit´ees et les diff´erents secteurs de la fili`ere pËeche du Finist`ere, la production
g´en´er´ee par les flottilles finist´eriennes est mod´elis´ee. Cette section vise `a pr´esenter la
m´ethodologie g´en´erique retenue pour sp´ecifier des mod`eles de production pour les stocks
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
111
s´electionn´es et le stock
ÂŤ
autres
Âť
. Cette m´ethodologie a ´et´e appliqu´ee de fa¸con standard
pour les cinq r´egions europ´eennes correspondant aux diff´erents cas dâ´etude du projet
PECHDEV. Les mod`eles de dynamique des populations estim´es pour chaque stock seront
ensuite int´egr´es au MEGC (cf. Chapitre 5).
2.3.1
Mat´
eriel et M´
ethodes
2.3.1.1
Deux types de mod`
eles globaux
Une approche de type mod`ele global a ´et´e retenue pour d´efinir les fonctions de production
des stocks exploit´es. Ce choix sâexplique pour plusieurs raisons. Tout dâabord, le lien entre
le module ´economique du MEGC et les mod`eles biologiques se fait via les captures, qui
correspondent aux produits de la pËeche dans la matrice repr´esentant les relations entre
les diff´erents secteurs ´economiques de la r´egion (Matrice de comptabilit´e sociale ; cf.
Chapitre 5). Les captures r´ealis´ees sur chaque stock sont calcul´ees dans le MEGC selon
une combinaison du capital et du travail de chaque flottille, ainsi que du niveau de
biomasse du stock. Dâun pas de temps `a lâautre, la biomasse de chaque stock ´evolue en
fonction des captures r´ealis´ees par les flottilles finist´eriennes. Le recours `a un mod`ele
global permet de r´e-exprimer directement la biomasse au temps t+1 en fonction des
captures au temps t. `
A lâinverse, lâexpression analytique de la biomasse en fonction des
captures dans un mod`ele structur´e en Ëage est impossible. Dans un mod`ele global, la
croissance, la mortalit´e et le recrutement sont regroup´es dans le terme de fonction de
production et une seule variable dâint´erËet est d´ecrite, la biomasse exploit´ee. Le terme
de mortalit´e par pËeche F dans ce type de mod`ele renvoie ainsi `a une proportion de la
biomasse exploit´ee alors que la mortalit´e par pËeche dans un mod`ele structur´e en Ëage
correspond au coefficient dâune fonction exponentielle qui sâapplique aux effectifs et non
`a la biomasse. De plus, les mod`eles globaux sont des mod`eles simples qui ont peu de
param`etres et ne requi`erent pas de jeux de donn´ees importants pour leur estimation.
Leur simplicit´e doit permettre dâint´egrer par la suite des relations intersp´ecifiques et/ou
des effets de lâenvironnement.
En Europe, les connaissances disponibles sur les stocks de poissons sont tr`es h´et´erog`enes.
Notamment, la biologie et lâ´ecologie des esp`eces exploit´ees depuis plus dâun si`ecle comme
les gadid´es sont particuli`erement bien ´etudi´ees. Ces stocks ont repr´esent´e pendant des
d´ecennies lâessentiel des captures r´ealis´ees dans lâAtlantique Nord, et leur ´evaluation a ´et´e
mise en place tr`es tËot par le CIEM (cf. Chapitre 1). `
A lâinverse, tr`es peu de connaissances
existent pour un grand nombre dâesp`eces, tant du point de vue biologique quâhalieutique.
Compte tenu de cette h´et´erog´en´eit´e dans les donn´ees, des mod`eles distincts ont ´et´e
sp´ecifi´es selon le type dâinformation disponible : mod`eles g´en´eralis´es (Pella et Tomlinson,
112
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
1969 ; ´
Eq. 1.3) lorsquâun diagnostic de rendement par recrue est disponible et mod`eles
exponentiels (Fox, 1970 ; ´
Eq. 1.2) estim´es empiriquement sinon.
Les diff´erences essentielles observ´ees quant `a lâinformation disponible sur les dyna-
miques des stocks se retrouvent au niveau du Finist`ere. Alors que la majorit´e des stocks
s´electionn´es font lâobjet dâ´evaluations annuelles au sein du CIEM, dâautres sont mal ren-
seign´es. Pour tous les stocks pour lesquels des diagnostics de rendement par recrue sont
estim´es par les groupes de travail du CIEM, des mod`eles g´en´eralis´es ont ´et´e ajust´es. En
revanche, peu dâinformation existe pour le tourteau de Manche, la langoustine de mer
Celtique (ICES, 2003b) et le stock
ÂŤ
autres
Âť
, qui regroupe toutes les esp`eces d´ebarqu´ees
par les navires finist´eriens et non s´electionn´ees. Dans ce cas, des mod`eles de type ex-
ponentiel ont ´et´e d´efinis de mani`ere empirique. Les donn´ees de rendement par recrue
et de recrutement moyen proviennent des rapports des groupes de travail du CIEM et
de lâACFM. Ces derniers peuvent Ëetre t´el´echarg´es sur le site internet du CIEM pour les
ann´ees les plus r´ecentes. Les donn´ees de captures ont ´et´e extraites de la base de donn´ees
du CIEM `a partir du logiciel FishStatPlus. Les param`etres de mortalit´e naturelle requis
pour les mod`eles exponentiels ´emanent de la litt´erature ou dâavis dâexperts.
â˘
Rendement par recrue et mod`eles g´en´eralis´es
Les m´ethodes standards dâestimation de mod`eles globaux pour des stocks pleinement ex-
ploit´es ou surexploit´es depuis plusieurs ann´ees, ne permettent g´en´eralement pas dâajuster
un mod`ele global. Il est en effet rare de disposer de donn´ees de captures et dâefforts en
d´ebut dâexploitation, et la partie droite de la courbe de production, caract´eris´ee par des
efforts de pËeche ´elev´es, est grandement d´ependante du recrutement qui peut pr´esenter
des variations interannuelles tr`es importantes. En revanche, la partie de la courbe de
production, pour laquelle il nây a pas encore surexploitation de recrutement, peut Ëetre
approxim´ee par des mod`eles de rendement par recrue. En effet, un mod`ele de rende-
ment par recrue (Y/R) donne les captures obtenues `a lâ´equilibre `a partir dâune recrue,
câest `a dire si un diagramme dâexploitation constant ´etait appliqu´e pendant toute la
dur´ee de vie du poisson (Section 1.3.1.2). Dans ce cas, les captures (ou effectifs) au sein
dâune pseudo-cohorte sont ´equivalents `a ceux obtenus `a lâ´equilibre pour une cohorte. Les
mod`eles analytiques reposent en particulier sur lâhypoth`ese que les taux de mortalit´e
naturelle et les poids aux Ëages sont constants dans le temps, aussi il est classiquement
admis que les processus densit´e-d´ependants qui affectent la population r´esultent de la
densit´e-d´ependance existant au niveau des stades de pr´e-recrues (Cushing, 1975 ; She-
pherd, 1982). Ces processus exprim´es de mani`ere heuristique dans un mod`ele global
sont donc uniquement inclus dans la relation stock-recrutement pour un mod`ele ana-
lytique. En se basant sur ce principe, (Maury, 1996) a utilis´e des mod`eles globaux et
de rendement par recrue estim´es pour une mËeme population afin dâextraire des mod`eles
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
113
globaux les ph´enom`enes de densit´e-d´ependance et de
ÂŤ
reconstruire
Âť
des relations stock-
recrutement.
Dans la pr´esente approche, nous nous appuyons sur des principes identiques `a ceux
´enonc´es par Maury (1996), mais lâanalyse est r´ealis´ee en sens inverse puisque nous par-
tons du mod`ele analytique et dâune relation stock-recrutement d´eterministe et empi-
rique, pour estimer un mod`ele global de production. Le mod`ele de rendement par recrue
apporte ainsi de lâinformation sur la forme du mod`ele global alors que la relation stock-
recrutement permet dâinclure des ph´enom`enes de densit´e-d´ependance et de tenir compte
dâune surexploitation de recrutement non prise en compte dans le mod`ele de rendement
par recrue. Chaque point dâ´equilibre du mod`ele global (Ye(F)) estim´e correspond donc au
produit du rendement par recrue (Y/R(F)) obtenu `a lâ´equilibre sous hypoth`ese de recru-
tement constant, et du recrutement (Re(F)) d´etermin´e par la relation stock-recrutement.
Cette relation exprime de mani`ere d´eterministe le recrutement esp´er´e pour un niveau
de biomasse f´econde donn´e, donc pour un niveau de mortalit´e par pËeche donn´e, et ne
tient pas compte des fluctuations possibles de lâenvironnement et de leur impact sur le
nombre de recrues. Dans un premier temps, nous consid´erons un recrutement moyen
esp´er´e, suppos´e ind´ependant de la mortalit´e par pËeche :
Y
e
(
F
) =
Y /R
(
F
)
Ă
R
(2.1)
o`
u
Y
e
repr´esente les captures `a lâ´equilibre du stock,
F
est la mortalit´e par pËeche,
Y /R
est le rendement par recrue et
R
est le recrutement moyen, qui correspond g´en´eralement
`a une moyenne g´eom´etrique des recrutements estim´es sur plusieurs ann´ees.
Des mod`eles de production g´en´eralis´es sont ainsi estim´es pour tous les stocks pour les-
quels des courbes de rendement par recrue sont disponibles ou peuvent Ëetre calcul´ees.
Pour cela, un mod`ele est ajust´e `a la courbe de production `a lâ´equilibre donn´ee par
lâ´equation 2.1. La flexibilit´e des mod`eles g´en´eralis´es permet dâobtenir de tr`es bons ajus-
tements (Fig. 2.7). Les param`etres des mod`eles (r, taux intrins`eque de croissance ; K,
capacit´e biotique et m, param`etre de forme) et leurs intervalles de confiance sont estim´es
avec la fonction nls (Nonlinear Least Squares) du logiciel R (R Development Core Team,
2006), en faisant appel `a un algorithme de Gauss-Newton.
â˘
Surexploitation de recrutement
Lâhypoth`ese de recrutement constant pour lâensemble des valeurs de mortalit´e par pËeche,
et par cons´equent de biomasse du stock, est une hypoth`ese forte voire irr´ealiste, sur
laquelle nous reviendrons. Elle pr´esuppose quâaucune relation nâexiste entre la biomasse
f´econde et le recrutement. Bien que cette hypoth`ese soit utilis´ee de mani`ere standard
114
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
0
20
40
60
80
100
120
0
0.5
1
1.5
2
Multiplicateur d'effort
C
a
p
tu
re
s
('
0
0
0
t
)
DonnĂŠes de captures (Y/R * R)
Modèle ajustÊ
Fig.
2.7
â
Illustration pour la baudroie (VIIb-k, VIIIa,b,d) de lâajustement dâun mod`ele de produc-
tion g´en´eralis´e `
a des donn´ees de captures calcul´ees comme le produit du rendement par recrue par un
recrutement moyen esp´er´e.
pour les stocks pour lesquels nous disposons de donn´ees de rendement par recrue, un
mod`ele de production biologique alternatif est propos´e `a travers lâexemple de la morue
de mer Celtique, en consid´erant une surexploitation de recrutement possible pour de
fortes valeurs de mortalit´e par pËeche. Au sein du CIEM, la d´efinition des points de
r´ef´erence limites `a partir desquels on peut caract´eriser la surexploitation dâun stock se
fait de mani`ere empirique en recherchant la biomasse f´econde (B
lim
) `a partir de laquelle
il y a
ÂŤ
d´ecrochement
Âť
du recrutement, câest `a dire une diminution importante du
nombre de recrues (m´ethode dite de
ÂŤ
r´egression segment´ee
Âť
). Suivant cette approche
et parall`element `a une relation stock-recrutement de type Beverton et Holt (1957), le
recrutement moyen est s´epar´e en deux parties : (a) un recrutement constant pour des
valeurs de mortalit´e par pËeche allant de 0 `a F
lim
, correspondant `a la moyenne g´eom´etrique
des ann´ees pr´ec´edentes et (b) une d´ecroissance lin´eaire du recrutement de F
lim
`a F
crash
,
mortalit´e par pËeche menant `a lâextinction du stock :
R
=



R
si
F < F
lim
R
F
lim
â
F
crash
R
â
R
Ă
F
crash
F
lim
â
F
crash
si
F
âĽ
F
lim
(2.2)
o`
u
R
est le recrutement,
R
le recrutement moyen,
F
la mortalit´e par pËeche.
F
lim
et
F
crash
les valeurs de mortalit´e par pËeche limite et crash (Tab. 1.5), g´en´eralement disponibles
dans les rapports des groupes de travail du CIEM. Comme pour lâhypoth`ese de recrute-
ment constant, un mod`ele g´en´eralis´e est ajust´e au produit du recrutement par le mod`ele
de rendement par recrue afin dâen estimer les param`etres (Fig. 2.8).
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
115
Cette modification de la fonction de production peut n´eanmoins entraËÄąner des modifi-
cations des valeurs de MSY et F
M SY
, du fait de lâajustement aux donn´ees de captures
modifi´ees pour les efforts ´elev´es. Aussi, il est n´ecessaire de contraindre le mod`ele de pro-
duction en fixant le MSY et le F
M SY
aux valeurs estim´ees pour le mod`ele calcul´e sous
hypoth`ese de recrutement constant. Ceci revient `a imposer le F
max
comme F
M SY
, et `a
fixer le MSY aux captures correspondant `a cette mortalit´e. Une surexploitation de re-
crutement apparaËÄąt en effet peu probable pour des niveaux dâeffort proches du maximum
des captures.
Fig.
2.8
â
Sch´ema conceptuel de la m´ethode utilis´ee pour estimer des mod`eles de production. La
multiplication du rendement par recrue (a) par le recrutement (b ; constant ou variable) donne une
courbe de production ´equilibr´ee (c), sur laquelle un mod`ele g´en´eralis´e peut Ëetre ajust´e, de mani`ere `
a en
estimer les param`etres.
â˘
Environnement pauvre en donn´ees et mod`eles exponentiels
Pour les stocks non soumis `a quota, aucune ´evaluation nâest disponible. Le mod`ele
´economique requiert n´eanmoins une fonction de production. D`es lors, des mod`eles ex-
ponentiels (Fox, 1970) sont estim´es suivant une approche empirique bas´ee sur les s´eries
temporelles de captures. Dans un premier temps, les param`etres du mod`ele exponentiel,
c.-`a-d. le taux intrins`eque de croissance (
r
) et la capacit´e biotique (
K
), sont r´e-exprim´es
en fonction du MSY et de la mortalit´e au MSY (F
M SY
) :
116
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere







r
=
F
M SY
Ă
ln
MSY
Ă
exp (1)
F
M SY
K
=
MSY
Ă
exp (1)
F
M SY
(2.3)
Lâapproche n´ecessite que le MSY et les captures annuelles (Y
curr
) puissent Ëetre estim´es
`a partir de la s´erie temporelle de donn´ees de captures, et/ou selon le jugement dâexperts.
Par ailleurs, conform´ement `a lâapproximation de Gulland (1971), le F
M SY
est suppos´e
´egal `a la mortalit´e naturelle du stock. La mortalit´e par pËeche dans la situation actuelle
(F
curr
) est alors estim´ee en r´esolvant par it´eration lâ´equation des captures `a lâ´equilibre
du mod`ele exponentiel :
Y
curr
=
K
Ă
F
curr
Ă
exp
â
F
curr
Ă
ln (
K
)
r
(2.4)
`
A partir de la s´erie temporelle de donn´ees de captures, une d´emarche tr`es largement
empirique et sur laquelle nous reviendrons a ´et´e adopt´ee :
â lorsquâil existe un maximum dans la s´erie, le MSY est calcul´e par convention comme
la moyenne arithm´etique des captures pour une p´eriode de 10 ans, d´efinie de part et
dâautre de lâann´ee du maximum. Puisque deux solutions sont possibles pour lâ´equation
2.4, la mortalit´e par pËeche actuelle est sp´ecifi´ee selon la connaissance de lâ´etat du stock,
c.-`a-d. sous- ou surexploit´e,
â lorsque le maximum des captures est observ´e pour les derni`eres ann´ees, le stock est
suppos´e Ëetre au MSY. Sa valeur est estim´ee comme la moyenne des captures pour les
10 derni`eres ann´ees,
â lorsque aucun maximum nâest observ´e dans la s´erie, le MSY est fix´e conventionnelle-
ment et suivant une approche de pr´ecaution, `a la moyenne des captures pour les 10
derni`eres ann´ees.
2.3.1.2
Conversion en valeur
Quelque soit la forme du mod`ele biologique retenu, un lien doit Ëetre ´etabli entre les
d´ebarquements dans les ports finist´eriens exprim´es en valeur, et la production biologique
correspondant `a une biomasse produite par le stock pendant une p´eriode de temps et
exprim´ee en tonnage. Le lien entre ´economie et biologie est fait sous une double hypoth`ese
dâ´equilibre biologique et ´economique (cf. Chapitre 5). Aussi, les ´equations mod´elisant
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
117
ces ´equilibres doivent Ëetre ´etablies dans la mËeme dimension. Dans le MEGC, tous les
prix sont exprim´es en multiplicateurs, relativement `a la situation de r´ef´erence, c.-`a-d.
la situation initiale apr`es calibration du mod`ele. Les prix nâapparaissent donc pas de
mani`ere explicite dans le mod`ele et câest la variation des prix par rapport `a la situation
de r´ef´erence qui est analys´ee dans les r´esultats de simulation. La conversion entre tonnage
et valeur doit donc se faire directement via les fonctions de production biologique. Les
prix moyens de d´ebarquement (
e
/kg) ont ainsi ´et´e calcul´es comme le ratio entre les
valeurs et tonnages d´ebarqu´es pour chaque stock sur la p´eriode 1995-97. Les mod`eles
globaux ont ´et´e ajust´es sur les donn´ees de captures exprim´ees en valeurs (
e
), apr`es avoir
multipli´e la production de chaque stock par sa valeur unitaire.
2.3.1.3
Fonction de production locale
Les stocks cibl´es par les flottilles finist´eriennes peuvent faire lâobjet dâune exploitation
par dâautres navires de pËeche. Aussi, la seule connaissance des captures du Finist`ere ne
permet pas dâappr´ehender la dynamique des populations, qui d´epend de la pression de
pËeche totale sâexer¸cant sur les stocks. Il apparaËÄąt ainsi n´ecessaire de r´ealiser un trans-
fert dâ´echelle de la dimension terrestre du Finist`ere, `a la dimension marine de lâaire
g´eographique des stocks exploit´es. Dans un premier temps, le ratio entre les captures
finist´eriennes et les captures totales est calcul´e pour une ann´ee moyenne repr´esentant
la p´eriode 1995-97. Ceci permet dâ´evaluer le degr´e de d´ependance de la dynamique des
stocks exploit´es vis-`a-vis de lâeffort de pËeche exerc´e par les flottilles finist´eriennes. Les
captures totales pour chaque stock sont alors extraites de la base de donn´ees du CIEM.
La r´esolution du mod`ele ´economique se faisant sous lâhypoth`ese dâ´equilibre des captures,
le param`etre dâ´echelle (
Îą
) doit en r´ealit´e Ëetre estim´e `a partir des mod`eles de produc-
tion biologiques `a lâ´equilibre.
Îą
est ainsi calcul´e pour chaque stock comme le ratio entre
les captures finist´eriennes dans la situation actuelle (1995-97) et les captures totales
´equilibr´ees, issues des mod`eles globaux estim´es.
2.3.1.4
Diagnostic plurisp´
ecifique
Dans un premier temps et suivant lâinformation disponible, lâ´etat des stocks exploit´es
par le Finist`ere est pr´esent´e dans la situation actuelle. Par la suite, lâagr´egation des
diff´erentes fonctions de production pour des valeurs de multiplicateurs dâeffort ´evoluant
de 0 `a 2 par rapport `a la situation actuelle, compl`ete ce bilan et donne une vision glo-
bale de lâ´etat des stocks exploit´es par la flotte finist´erienne (Gascuel et M´enard, 1997
; Ulrich et al., 2002). Il est ainsi possible dâ´etablir un diagnostic de lâ´etat des stocks
dans la situation actuelle, et de caract´eriser `a une ´echelle globale leur r´eponse `a lâactivit´e
118
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
de pËeche (Ulrich, 2000). Lâanalyse se veut principalement qualitative et holistique afin
dâappr´ehender les tendances g´en´erales des captures et des biomasses sur un ensemble de
stocks, sous hypoth`ese quâils sont ind´ependants, `a la fois du point de vue des relations
intersp´ecifiques et des interactions techniques. Ces hypoth`eses seront discut´ees. Les cap-
tures finist´eriennes ne repr´esentant quâune part relative des captures totales faites sur
chaque stock, le diagnostic plurisp´ecifique est conduit sur la biomasse totale (en tonnes)
de lâensemble des stocks exploit´es, et sur les captures (en tonnes) r´ealis´ees par les flot-
tilles finist´eriennes. Dans cette premi`ere approche, la part des captures finist´eriennes
pour chaque stock (
Îą
) est suppos´ee constante, quelque soit les valeurs de multiplicateur
dâeffort. Ceci implique que les efforts des flottilles finist´eriennes et du
ÂŤ
reste du monde
Âť
´evoluent de la mËeme mani`ere. Nous reviendrons sur cette hypoth`ese `a la section 2.4.
2.3.2
R´
esultats
2.3.2.1
Mod`
eles globaux
â˘
Param`etres des mod`eles
Le tableau 2.4 pr´esente les param`etres des mod`eles estim´es pour lâensemble des stocks
exploit´es. Les stocks pour lesquels des mod`eles g´en´eralis´es ont ´et´e utilis´es ont des va-
leurs du param`etre de forme (m) inf´erieures `a 1, et des valeurs du taux intrins`eque de
croissance (r) n´egatives. Les courbes de production correspondantes pr´esentent alors un
plateau de captures pour des efforts importants, impliquant une r´esistance `a la surex-
ploitation. Ces r´esultats sont dus `a lâhypoth`ese de recrutement constant, quels que soient
les niveaux de biomasse f´econde du stock.
â˘
Surexploitation de recrutement
La prise en compte dâune d´ecroissance de recrutement, pour une mortalit´e par pËeche
sup´erieure `a F
lim
, conduit `a une modification de la courbe dâ´equilibre pour lâexemple
de la morue de mer Celtique (Fig. 2.9). Si aucune contrainte sur les valeurs de MSY et
F
M SY
nâest consid´er´ee lors de lâajustement du mod`ele g´en´eralis´e aux valeurs de captures
´equilibr´ees, la courbe dâ´equilibre tend `a se d´ecaler vers le haut et la droite de la courbe
estim´ee sous hypoth`ese de recrutement constant. Dans ce cas, le mod`ele estim´e selon le
crit`ere statistique des moindres carr´es sâajuste aux faibles valeurs de captures observ´ees
pour des mortalit´es par pËeche ´elev´ees. Les valeurs de MSY et F
M SY
sont alors modifi´ees et
plus importantes que pour le mod`ele estim´e sous hypoth`ese de recrutement constant, ce
qui semble peu r´ealiste. En revanche, si une contrainte est impos´ee afin que les valeurs
de MSY et F
M SY
soient fix´ees aux valeurs observ´ees pour un recrutement constant,
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
119
Tab.
2.4 â
Param`etres des mod`eles exponentiels (m = 1) et g´en´eralis´es (m
<
1) pour les stocks
dâimportance majeure du Finist`ere. r est le taux intrins`eque de croissance, K est la capacit´e biotique,
m est le param`etre de forme et B
curr
est la biomasse `
a lâ´equilibre dans la situation actuelle (en â000
e
).
Stock
r
K
m
B
curr
Prix (
e
/kg)
Baudroie
(VIIb-k, VIIIa,b,d)
-0,06
5 683 694,2
0,43
393 529,4
3,62
Cardine
(VIIb,c,e-k, VIIIa,b,d)
-0,10
1 859 500,1
0,55
204 330,3
2,93
´
Eglefin
(VIIb-k)
-0,31
90 227,9
0,45
24 668,3
1,03
Grenadier
(Vb, VI, VII)
-0,02
660 611,7
0,09
135 939,4
1,14
Langoustine
(VIIb,c,j,k)
3,69
216 311,0
1,00
79 576,4
5,99
Langoustine
(VIIf,g,h)
3,70
230 368,9
1,00
84 748,0
5,90
Langoustine
(VIIIa,b)
-0,12
1 090 885,3
0,50
109 356,4
7,01
Lieu noir
(IIIa, IV, VIa,b)
-0,06
4 887 832,7
0,32
443 526,7
0,85
Merlan
(VIIe-k)
-0,09
389 644,2
0,15
63 132,3
1,18
Merlu
(IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d)
-0,15
3 538 713,5
0,53
470 243,3
2,59
Morue
(VIIe-k)
-0,12
394 854,1
0,41
17 302,6
1,86
Raie fleurie
-0,37
134 544,1
0,62
40 361,0
1,50
Tourteau
(VIId-e)
2,48
241 707,1
1,00
88 919,1
1,82
Autres
6,62
15 583 912,2
1,00
5 733 000,9
2,87
le mod`ele estim´e apparaËÄąt plus coh´erent et pr´esente alors une plus grande sensibilit´e `a
lâexploitation, c.-`a-d. des valeurs de captures plus faibles pour des efforts de pËeche ´elev´es.
Fig.
2.9
â
Courbes de production ´equilibr´ee pour la morue de mer Celtique estim´ees en supposant
un recrutement constant (trait continu) et une surexploitation de recrutement, avec (triangles noirs) et
sans (trait pontill´e) contrainte sur le MSY et F
M SY
(voir texte pour d´etails).
120
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
2.3.2.2
Fonction de production locale
`
A partir de la base de donn´ees de captures du CIEM, la part des d´ebarquements fi-
nist´eriens par rapport aux captures totales de chaque stock peut Ëetre estim´ee (Tab. 2.5).
Le Finist`ere repr´esente une part importante des captures faites sur certains stocks tels
que la langoustine VIIIa,b et lâ´eglefin VIIb-k. Ceci illustre la possible d´ependance du
secteur vis-`a-vis de lâ´etat de ces stocks. `
A lâinverse, les populations distribu´ees sur une
large zone (p. ex. merlu) sont g´en´eralement cibl´ees par de nombreuses flottilles prove-
nant de diff´erents pays. Pour cette raison, ils ne repr´esentent quâune part mineure des
d´ebarquements du Finist`ere. Ceci se v´erifie ´egalement pour les stocks localis´es loin des
cËotes bretonnes et donc faiblement exploit´es par la flotte finist´erienne par rapport `a
dâautres flottes de pËeche (p. ex. lieu noir). Les valeurs du param`etre
Îą
estim´ees `a partir
des mod`eles de production `a lâ´equilibre sont g´en´eralement proches des valeurs calcul´ees
`a partir des donn´ees de captures.
Tab.
2.5 â
Part des d´ebarquements des flottes finist´eriennes dans les captures totales pour les diff´erents
stocks identifi´es. Part F. correspond aux valeurs observ´ees pour la p´eriode 1995-97 et
Îą
repr´esente la
valeur estim´ee `a partir des mod`eles globaux pour une situation `
a lâ´equilibre.
Stock
Captures tot.
D´ebar. F.
Part F.
Îą
Baudroie
(VIIb-k, VIIIa,b,d)
28 930
8 708
30%
0,361
Cardine
(VIIb,c,e-k, VIIIa,b,d)
15 100
2 687
18%
0,219
´
Eglefin
(VIIb-k)
7 367
2 701
37%
0,356
Grenadier
(Vb, VI, VII)
7 943
2 475
31%
0,307
Langoustine
(VIIb,c,j,k)
4 619
516
11%
0,129
Langoustine
(VIIf,g,h)
4 344
2213
51%
0,513
Langoustine
(VIIIa,b)
4 133
2 064
50%
0,513
Lieu noir
(IIIa, IV, VIa,b)
93 000
2 357
3%
0,020
Merlan
(VIIe-k)
20 051
4 120
21%
0,244
Merlu
(IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d)
49 133
2 346
5%
0,055
Morue
(VIIe-k)
12 092
4 229
35%
0,715
Raie fleurie
5 971
1 833
31%
0,503
Tourteau
(VIId-e)
11 479
1 490
13%
0,137
Autres
24 966
886 266
3%
0,031
2.3.2.3
Diagnostic plurisp´
ecifique
Les treize stocks dâint´erËet majeur cibl´es par les navires finist´eriens sont pleinement ex-
ploit´es ou surexploit´es (Tab. 2.6). Lâinformation provient majoritairement des rapports
de lâACFM. Le tourteau de Manche a ´et´e consid´er´e au MSY selon un avis dâexpert (D.
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
121
Latrouite, pers. com.). Le stock
ÂŤ
autres
Âť
a ´et´e suppos´e au MSY, aucune tendance nette
nâayant ´et´e observ´ee dans la s´erie temporelle de captures (Section 2.3.1.1).
Tab.
2.6 â
´
Etat des stocks pËech´es par la flotte finist´erienne et source dâinformation correspondante.
Stock
´
Etat
Source
Baudroie
(VIIb-k, VIIIa,b,d)
Surexploit´e
2004 - ACFM : 02
Cardine
(VIIb,c,e-k, VIIIa,b,d)
Surexploit´e
2004 - ACFM : 02
´
Eglefin
(VIIb-k)
MSY
2004 - ACFM : 03
Grenadier
(Vb, VI, VII)
Inconnu
2004 - ACFM : 04
Langoustine
(VIIb,c,j,k)
MSY
2003 - ACFM : 18
Langoustine
(VIIf,g,h)
MSY
2003 - ACFM : 18
Langoustine
(VIIIa,b)
Surexploit´e
2003 - ACFM : 18
Lieu noir
(IIIa, IV, VIa,b)
MSY
2004 - ACFM : 07
Merlan
(VIIe-k)
MSY
2004 - ACFM : 03
Merlu
(IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d)
Surexploit´e
2004 - ACFM : 02
Morue
(VIIe-k)
Surexploit´e
2004 - ACFM : 03
Raie fleurie
MSY
Heessen 2003
Tourteau
(VIId-e)
MSY
D. Latrouite, pers. com.
Autres
MSY
Suppos´e
En termes de captures, la pËecherie est proche du MSY (environ 64 000 tonnes) mais
pr´esente une surexploitation en terme de mortalit´e par pËeche, principalement li´ee aux
stocks de cardine, baudroie et morue (Fig. 2.10a). Malgr´e lâexistence dâun plateau autour
du MSY, lâaugmentation de lâeffort devrait entraËÄąner une diminution des captures totales.
Lâhypoth`ese de situation de MSY pour le stock
ÂŤ
autres
Âť
a cependant des cons´equences
importantes sur le diagnostic. La fonction de production pour ce
ÂŤ
stock
Âť
int`egre un
grand nombre dâesp`eces et doit Ëetre consid´er´ee avec pr´ecaution. En excluant ce stock, le
diagnostic global devient l´eg`erement plus pessimiste puisque lâaugmentation de lâeffort
semble toujours associ´ee `a une diminution des d´ebarquements. La prise en compte de
ph´enom`enes de surexploitation de recrutement pour des niveaux de biomasse faible,
comme illustr´ee `a travers lâexemple de la morue de mer Celtique, devrait conduire `a
un diagnostic encore plus pessimiste, c.-`a-d. des captures plus faibles pour un effort
croissant. Les niveaux de biomasse dans la situation actuelle, relativement `a la situation
`a lâ´etat vierge, varient grandement entre les stocks (Fig. 2.10b). Pour certains dâentre eux,
la biomasse est affect´ee par une pression de pËeche relativement peu intense et repr´esente
de lâordre de 35% de la biomasse initiale (p. ex. tourteau). En revanche, les stocks de
baudroie et morue semblent particuli`erement affect´es par lâexploitation (moins de 10%
de la biomasse initiale). Au niveau global, la biomasse totale dans la situation actuelle
repr´esenterait environ un cinqui`eme de la biomasse `a lâ´etat vierge.
122
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
Fig.
2.10
â
Courbes des (a) captures finist´eriennes et des (b) biomasses totales, empil´ees pour les
stocks dâint´erËet commercial majeur pour le Finist`ere et le stock
ÂŤ
autres
Âť
. Conventionnellement, les
courbes sont exprim´ees en fonction dâun mËeme multiplicateur dâeffort, qui serait appliqu´e indistincte-
ment `
a chacun des stocks, par lâensemble des pËecheries concern´ees.
2.3.3
Discussion
Une composante cl´e du projet PECHDEV r´eside dans le lien entre les dynamiques des
populations exploit´ees et lâ´economie de la r´egion ´etudi´ee. Ceci n´ecessite en particulier
de sp´ecifier les mod`eles de production biologique pouvant Ëetre utilis´es dans ce type
dâapproche holistique. Cette section met par ailleurs en ´evidence les difficult´es li´ees `a
lâestimation des param`etres des mod`eles, dans un contexte de donn´ees de nature tr`es
h´et´erog`ene. La m´ethodologie retenue est ainsi bas´ee sur des m´ethodes
ad hoc
, contraintes
par la structure du module ´economique et par la disponibilit´e en donn´ees biologiques.
2.3.3.1
Des donn´
ees h´
et´
erog`
enes
La n´ecessit´e de d´efinir des mod`eles de production pour tous les stocks s´electionn´es,
afin de les int´egrer dans le MEGC, a mis en exergue le manque de connaissance dispo-
nible pour de nombreuses populations commerciales de poissons, crustac´es et mollusques
dâEurope. En lâabsence dâ´evaluations, les mod`eles de production ont ´et´e estim´es suivant
une approche empirique n´ecessitant une s´erie temporelle de captures et des hypoth`eses
fortes sur la dynamique du stock. Cette m´ethode requiert en particulier de connaËÄątre
la distribution g´eographique des stocks, parfois mal connue (Lemoine et Pawson, 1993),
de mani`ere `a pouvoir disposer des donn´ees de captures. Lâ´etat des stocks dans la si-
tuation actuelle doit ´egalement Ëetre connu afin de d´eterminer le niveau de mortalit´e
par pËeche actuellement en vigueur. Lorsque cette information fait d´efaut, les stocks ont
´et´e consid´er´es au MSY, suivant une approche de pr´ecaution. Bien que cette hypoth`ese
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
123
puisse sembler
a priori
contre-intuitive dans le cas de stocks surexploit´es, elle permet
de traduire toute augmentation de lâeffort de pËeche par une diminution des captures
(Ulrich, 2000).
Par ailleurs, lâ´echelle dâ´etude a logiquement conduit `a une s´election de stocks principa-
lement exploit´es par les flottilles semi-industrielles et industrielles du Finist`ere sud (cf.
section 2.2.3). Une grande partie des esp`eces ont ´et´e regroup´ees dans un stock
ÂŤ
autres
Âť
et nâapparaissent pas explicitement dans lâanalyse. Ces esp`eces, surtout cibl´ees par la
petite pËeche, ne font souvent lâobjet que de mesures techniques (p. ex. taille minimale) et
sont particuli`erement mal renseign´ees du point de vue des statistiques de captures. Elles
repr´esentent pourtant lâessentiel des d´ebarquements pour une majorit´e des pËecheurs fi-
nist´eriens. N´eanmoins, ce choix reste logique dans une optique de mod´elisation de la
contribution globale du secteur pËeche `a lâ´echelle du d´epartement.
2.3.3.2
Choix de mod´
elisation
Lâestimation des param`etres des mod`eles globaux est g´en´eralement bas´ee sur des s´eries
temporelles de captures et dâefforts et peut poser certaines difficult´es, suivant le degr´e
dâinformation contenue dans les donn´ees et la m´ethode utilis´ee (Section 1.3.1.1). La
m´ethodologie pr´esent´ee au cours de cette section ne sâinscrit pas dans cette d´emarche
puisquâelle sâappuie sur les mod`eles analytiques estim´es au sein des groupes de travail
du CIEM, ou sur une m´ethode empirique bas´ee sur les donn´ees de captures. Afin de
conduire des ´evaluations par les m´ethodes globales classiques, la collecte de donn´ees de
captures et dâefforts, lorsquâelles existent, aurait demand´e un temps consid´erable dans un
projet principalement orient´e vers des probl´ematiques socio-´economiques et de politiques
de gestion ou vers une d´emarche plus th´eorique de prise en compte des interactions
`a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme. De plus, lâestimation des param`etres selon les approches
classiques se r´ev`ele avant tout appropri´ee dans le cas de pËecheries en expansion. Pour ce
qui concerne des stocks pleinement exploit´es ou surexploit´es, les m´ethodes dâestimation
sont g´en´eralement inadapt´ees car les donn´ees disponibles ne pr´esentent pas de contrastes
informatifs mais refl`etent majoritairement les variations interannuelles de recrutement.
La d´emarche adopt´ee a ainsi pour objectif de recourir au maximum dâinformation dispo-
nible sur la dynamique des stocks ´etudi´es, tout en favorisant lâhomog´en´eit´e des mod`eles
de production. Les mod`eles globaux ont ´et´e choisis notamment au regard de la structure
du couplage avec le module ´economique du MEGC et de leur simplicit´e en termes de
param´etrisation. La vision globale `a lâ´echelle du d´epartement doit ainsi primer sur les
connaissances d´etaill´ees pour quelques stocks. Parmi les mod`eles globaux existants (Sec-
tion 1.3.1.1) et bien quâil soit encore employ´e dans certaines analyses bio-´economiques
124
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
(p. ex. Ropars, 2002), le mod`ele de Schaefer (1954) nâa pas ´et´e retenu du fait de son
caract`ere sym´etrique peu r´ealiste (p. ex. Maunder, 2003).
La m´ethode appliqu´ee aux stocks sous quotas est originale puisquâelle consiste `a utiliser
des mod`eles structur´es en Ëage pour estimer des mod`eles globaux, deux types dâapproches
g´en´eralement peu compar´es (Ludwig et Walters, 1985). Les mod`eles globaux d´ecrivent
la dynamique du stock en terme de biomasse et non en termes dâeffectifs aux Ëages. De
plus, les valeurs de mortalit´e par pËeche actuelle (F
curr
) estim´ees par VPA sont calcul´ees
pour lâensemble des classes dâËages exploit´ees. Elles ne peuvent donc pas Ëetre utilis´ees
comme mortalit´es pour le calcul des param`etres des mod`eles globaux. Aussi, la morta-
lit´e par pËeche actuelle a ´et´e quantifi´ee `a partir des donn´ees de rendement et de biomasse
par recrue, issues des rapports des groupes de travail du CIEM. Lâutilisation de pro-
jections `a long terme bas´ees sur les rendements par recrue et un recrutement constant
est cependant discutable, compte tenu du caract`ere hypoth´etique de la partie droite de
la courbe de production, correspondant aux efforts importants. Lâhypoth`ese de recrute-
ment constant pour ´etablir les mod`eles de production peut mener `a des pr´evisions trop
optimistes, d´ecrivant des stocks tr`es r´esistants `a la pËeche. Ceci a en particulier conduit
`a des valeurs du param`etre de forme (m) inf´erieures `a 1 et des valeurs n´egatives des
taux de croissance (r), les deux param`etres ´etant corr´el´es. Pour cette raison, un mod`ele
simple supposant une relation lin´eaire entre la mortalit´e par pËeche et le recrutement
`a partir dâun certain seuil a ´et´e propos´e. Ce mod`ele appliqu´e au cas de la morue de
mer Celtique repose cependant sur des valeurs de F
lim
et F
crash
estim´ees pour la seule
partie exploit´ee de la population. En d´epit de cette limite, lâobjectif du mod`ele est de
montrer que la prise en compte de ces tendances peut grandement affecter les valeurs
de param`etres estim´ees, et ainsi conduire `a des pr´evisions plus pessimistes lorsque la
pression de pËeche sâintensifie. Une analyse de sensibilit´e des r´esultats `a lâhypoth`ese de
recrutement constant, lors de simulations conduites avec le MEGC, pourra ainsi Ëetre en-
visag´ee en recourant `a lâ´equation 2.2, en particulier lorsque les stocks dâint´erËet semblent
caract´eris´es par une surexploitation de recrutement.
La m´ethode empirique employ´ee pour estimer des mod`eles de type exponentiel pour les
stocks non ´evalu´es repose sur lâhypoth`ese forte que le F
M SY
peut Ëetre approxim´e par la
mortalit´e naturelle du stock (Gulland, 1971). Cette hypoth`ese a cependant ´et´e critiqu´ee
par plusieurs auteurs et il est g´en´eralement admis que la valeur de F
M SY
est inf´erieure
`a M (p. ex. Garcia et al., 1989). En r´ealit´e, lâestimateur de MSY propos´e par Gulland
(
MSY
= 0
.
5
MB
0
) correspond au cas dâun mod`ele de Schaefer (1954), en supposant que
la biomasse `a lâ´etat vierge (
B
0
) est ´egale `a la capacit´e biotique (
K
). Pour un mod`ele de
Fox (1970), il sâexprime comme
MSY
= exp(
â
1)
MB
0
. Le recours au mod`ele exponentiel
permet ainsi de se retrouver dans une situation en ad´equation avec les observations
relatives aux estimateurs du MSY (Garcia et al., 1989). Lâapproche propos´ee dans cette
section va plus loin que la seule estimation du MSY, puisque lâobjectif est de d´eterminer
2.3 Mod´
eliser les populations exploit´
ees par approche globale
125
le mod`ele de production `a partir des valeurs de MSY, F
M SY
et des captures actuelles
(Y
curr
). Le MSY provient de la s´erie temporelle de captures ou ´eventuellement de lâavis
dâexperts. Comme le soulignent Gabriel et Mace (1999) :
ÂŤ
If there is absolutely no information available to estimate fishing mortality
or biomass reference points, it may be reasonable to use the historical average
catch as a proxy for MSY, taking care to select a period when there is no
evidence that abundance was declining.
Âť
Lâestimation du MSY et de Y
curr
n´ecessite cependant que ces valeurs soient proches de
lâ´equilibre. Elles ont donc ´et´e estim´ees en consid´erant une valeur moyenne sur plusieurs
ann´ees. Cette approximation peut sâav`erer discutable pour des pËecheries en pleine ex-
pansion mais semble acceptable lorsque le stock est intens´ement exploit´e depuis plusieurs
ann´ees. Dans le cadre de lâapplication du MEGC, consid´erer une gamme de valeurs de
MSY (par exemple 60% `a 100% de la valeur moyenne) afin de proposer des mod`eles de
production plus conservatifs, devrait permettre de quantifier la sensibilit´e des r´esultats
obtenus aux valeurs de MSY. De mËeme, compte tenu du rËole du F
M SY
comme point
de r´ef´erence biologique limite et de lâutilisation de
M
comme un proxy de cet indica-
teur, il semble n´ecessaire lors de lâemploi du MEGC de tester des mod`eles alternatifs, en
supposant des valeurs de F
M SY
´egales `a 0
.
8
Ă
M
ou 0
.
75
Ă
M
(Gabriel et Mace, 1999).
2.3.3.3
Un mod`
ele de production locale
Les activit´es de pËeche du Finist`ere ne repr´esentant quâune partie des captures totales
r´ealis´ees sur les stocks, un mod`ele de production local a ´et´e d´eduit du mod`ele estim´e
`a lâ´echelle du stock entier. Cette transposition du global au local a ´et´e envisag´ee via
un simple rapport de proportionnalit´e entre les captures. Le param`etre
Îą
permet ainsi
dâ´etudier un stock local impact´e par les flottilles r´egionales et est suppos´e constant dans
le temps. Cette hypoth`ese apparaËÄąt l´egitime pour les esp`eces soumises `a une gestion par
quota, les TAC ´etant distribu´es entre les pays membres et les organisations de produc-
teurs selon des quotas fixes. Pour les autres esp`eces, consid´erer
Îą
constant rel`eve dâune
approche pragmatique et sâest r´ev´el´e coh´erent, malgr´e certaines variations interannuelles.
Ce param`etre doit ainsi Ëetre estim´e sur plusieurs ann´ees afin de moyenner une possible
variabilit´e inh´erente `a certaines ann´ees particuli`eres.
126
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
2.3.4
Conclusion
La quantit´e dâinformation disponible varie grandement entre les stocks dâimportance
´economique majeure pour le d´epartement du Finist`ere. Alors que certains dâentre eux
sont particuli`erement bien ´etudi´es, tr`es peu de connaissances sont accessibles pour
dâautres. Le recours aux mod`eles globaux constitue une approche pragmatique et appro-
pri´ee qui permet de disposer dâun seul type de mod`ele de production `a impl´ementer dans
le MEGC. En d´epit de lâincertitude et des limites de la m´ethode, les mod`eles estim´es sont
consistants avec les objectifs du projet et le degr´e de pr´ecision des donn´ees ´economiques
utilis´ees (cf. Chapitre 5). Les stocks exploit´es par les navires finist´eriens sont pleine-
ment exploit´es ou surexploit´es et lâaugmentation de lâeffort de pËeche devrait conduire
`a long terme `a une diminution des captures totales. Le diagnostic men´e `a lâ´echelle
du d´epartement apparaËÄąt ainsi pessimiste et souligne une situation de d´ependance
´economique grandissante du secteur vis-`a-vis de lâ´etat des ressources marines. Dans
ce contexte, la mise en place de politiques de gestion au niveau communautaire, telle
quâune diminution drastique des quotas pour certains stocks, pourrait avoir des effets
notables sur la production finist´erienne, et
in fine
sur une partie de lâ´economie r´egionale.
2.4
Dynamiques globales et r´
egionales : approche
par simulations
En parall`ele `a leur exploitation par les navires finist´eriens, de nombreux stocks peuvent
Ëetre lâobjet dâun ciblage par dâautres flottilles de pËeche. Celles-ci ne sont cependant pas
prises en compte dans lâanalyse ´economique, qui a pour objectif de se restreindre au
d´epartement du Finist`ere. Dans la perspective de mod´eliser la production finist´erienne,
il semble indispensable de consid´erer ces flottilles, afin dâanalyser lâimpact de leur effort
sur les stocks exploit´es. Nous nous proposons dâanalyser ici cette question de mani`ere
th´eorique `a partir dâun mod`ele de simulation simple. Lâobjectif du mod`ele est ainsi dâex-
plorer le comportement de la courbe de production du stock selon diff´erents sc´enarii
dâ´evolutions des efforts des flottes r´egionale et ext´erieure. Cette approche permet ainsi
de r´ealiser un changement dâ´echelle de la dimension terrestre du Finist`ere `a la dimen-
sion marine des stocks, pour proposer
in fine
un mod`ele de production biologique `a
impl´ementer dans le MEGC. Bien que le mod`ele de simulation utilis´e repr´esente la dy-
namique du stock au moyen dâun mod`ele exponentiel, la fonction de production propos´ee
est g´en´erique et permet de consid´erer `a la fois les mod`eles d´ecrits dans la section 2.3,
ainsi que dâautres mod`eles potentiellement plus complexes, de nature multisp´ecifique par
exemple.
2.4 Dynamiques globales et r´
egionales : approche par simulations
127
2.4.1
Mat´
eriel et M´
ethodes
2.4.1.1
Le mod`
ele de production
Un mod`ele exponentiel permet de simuler la dynamique dâune population th´eorique. Le
mod`ele estime les captures r´ealis´ees sur le stock pour une mortalit´e par pËeche donn´ee
(F). Cette mortalit´e peut Ëetre exprim´ee en fonction dâun multiplicateur dâeffort (mf)
relativement `a la situation actuelle (F
curr
) :
Y
=
mf
Ă
a
Ă
exp (
b
Ă
mf
)
(2.5)
Les deux param`etres
a
et
b
d´ependent uniquement de la dynamique du stock et ne sont
pas li´es aux caract´eristiques dâexploitation. Dans les simulations, les param`etres sont
choisis de mani`ere arbitraire afin dâobtenir des captures de valeur 1 pour un effort total
de 1.
2.4.1.2
´
Equations du mod`
ele de simulation
Dans la situation actuelle, le ratio des captures est ´egal au ratio des efforts et des
mortalit´es par pËeche :
Îą
=
Y
curr
reg
Y
curr
tot
=
f
curr
reg
f
curr
tot
=
F
curr
reg
F
curr
tot
(2.6)
On en d´eduit une expression de lâeffort total scind´e en deux composantes :
f
curr
tot
=
f
curr
reg
+
f
curr
ext
(2.7)
o`
u
f
curr
reg
=
Îą
Ă
f
curr
tot
f
curr
ext
= (1
â
Îą
)
Ă
f
curr
tot
(2.8)
On introduit une relation entre les efforts r´egional et ext´erieur, sous la forme :
f
ext
f
curr
ext
=
f
reg
f
curr
reg
β
(2.9)
128
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
Selon la valeur affect´ee au
ÂŤ
param`etre de r´eactivit´e
Âť
β
, cette relation de type puissance
offre une grande flexibilit´e pour repr´esenter les variations de lâeffort de pËeche de la
flotte ext´erieure en fonction de celles de lâeffort r´egional. Par cons´equent, cette relation
d´etermine comment lâeffort de pËeche total qui sâexerce sur le stock entier varie suivant
une modification des efforts de pËeche des flottes r´egionale ou ext´erieure.
Les efforts sont exprim´es sous forme de multiplicateurs par rapport `a f
curr
reg
. Soit :
â
mf
reg
=
f
reg
f
curr
reg
par d
´
ef inition
(2.10)
â
mf
ext
=
f
ext
f
curr
reg
par d
´
ef inition
=
1
â
Îą
Îą
Ă
f
ext
f
curr
ext
d
â˛
apr
`
es
(2
.
8)
=
1
â
Îą
Îą
Ă
f
reg
f
curr
reg
β
d
â˛
apr
`
es
(2
.
9)
=
1
â
Îą
Îą
Ă
(
mf
reg
)
β
(2.11)
â
mf
tot
=
f
reg
+
f
ext
f
curr
reg
par d
´
ef inition
=
mf
reg
+
mf
ext
=
mf
reg
+
1
â
Îą
Îą
Ă
(
mf
reg
)
β
d
â˛
apr
`
es
(2
.
11)
(2.12)
Le mod`ele de production peut Ëetre exprim´e en fonction de lâeffort total mesur´e sous la
forme du multiplicateur mf
tot
, soit :
B
=
a
Ă
exp(
b
Ă
mf
tot
)
Dâo`
u nous d´eduisons une expression des biomasses et des captures en fonction du mul-
tiplicateur de lâeffort r´egional :
2.4 Dynamiques globales et r´
egionales : approche par simulations
129
â
B
=
a
Ă
exp
b
Ă
mf
reg
+
1
â
Îą
Îą
Ă
(
mf
reg
)
β
â
Y
tot
=
mf
reg
+
1
â
Îą
Îą
Ă
(
mf
reg
)
β
Ă
B
â
Y
reg
=
mf
reg
Ă
B
â
Y
ext
=
1
â
Îą
Îą
Ă
(
mf
reg
)
β
Ă
B
2.4.1.3
Sc´
enarii de simulation
Diff´erents sc´enarii dâexploitation sont simul´es. Dans un premier temps, lâinfluence de
la part relative (
Îą
) de lâeffort r´egional dans lâeffort total exerc´e sur le stock est test´ee
(Sc´enarii 1-3). Dans une seconde phase, des valeurs croissantes du param`etre de r´eactivit´e
(
β
) sont consid´er´ees (Sc´enarii 4-6). Le tableau 2.7 synth´etise les valeurs dâentr´ee des
param`etres selon les diff´erentes simulations conduites.
Tab.
2.7 â
Valeurs des param`etres dâentr´ee pour les diff´erents sc´enarii. Pour toutes les simulations,
a
= 3
,
66 et
b
=
â
1
,
3, de mani`ere `
a avoir des captures de valeur 1 pour un effort total de 1.
Îą
β
Simulation 1 0,3
1
Simulation 2 0,6
1
Simulation 3 0,9
1
Simulation 4 0,3
0
Simulation 5 0,3 0,5
Simulation 6 0,3 1,5
2.4.2
R´
esultats
2.4.2.1
Multiplicateurs dâefforts
Suivant les valeurs du multiplicateur r´egional, la combinaison de diff´erentes valeurs
des param`etres
Îą
et
β
offre une large gamme dâ´evolutions des multiplicateurs dâefforts
ext´erieurs et totaux (Fig. 2.11). En particulier, la fonction puissance (´
Eq. 2.9) permet
de g´en´erer diff´erentes variations de lâeffort ext´erieur pour un effort r´egional croissant.
Except´e pour une valeur de
β
nulle, les multiplicateurs dâeffort simul´es ´evoluent dans le
130
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
mËeme sens que le multiplicateur r´egional, mais `a des vitesses diff´erentes. Pour
β <
1, les
variations de f
ext
sont att´enu´ees par rapport `a celles de f
reg
, tandis que pour
β >
1, elles
sont amplifi´ees.
Fig.
2.11
â
Diff´erentes ´evolutions des multiplicateurs dâeffort ext´erieur (mf
ext
; trait continu) et total
(mf
tot
; trait pointill´e) selon les valeurs du multiplicateur dâeffort r´egional (mf
reg
).
Îą
repr´esente la part
relative de la r´egion dans lâeffort total dans la situation actuelle et
β
est la r´eactivit´e de la flotte
ext´erieure.
2.4.2.2
Importance des captures r´
egionales
Dans le premier jeu de simulations, le coefficient de r´eactivit´e
β
est ´egal `a 1, d´ecrivant
une r´eponse lin´eaire et similaire entre les efforts r´egional et ext´erieur. La production du
Finist`ere repr´esente une proportion constante des captures totales r´ealis´ees sur le stock.
Les simulations montrent logiquement une augmentation des captures r´egionales lorsque
la part relative (
Îą
) de lâeffort de pËeche r´egional croËÄąt (Fig. 2.12).
Fig.
2.12
â
Biomasse du stock (triangles noirs) et courbes de production des flottes de pËeche en
fonction du multiplicateur dâeffort r´egional (
mf
reg
) appliqu´e pour diff´erentes valeurs de
Îą
(voir d´etails
dans le texte) avec
β
= 1
. Les captures totales (trait gras continu) sont compos´ees des captures de la
flotte r´egionale (trait fin continu) et de la flotte ext´erieure (trait pointill´e).
2.4 Dynamiques globales et r´
egionales : approche par simulations
131
2.4.2.3
R´
eactivit´
e de la flotte ext´
erieure
Dans le second ensemble de simulations, diff´erentes valeurs du param`etre de r´eactivit´e
(
β
) sont test´ees (Tab. 2.7). Les valeurs permettent dâexplorer des situations vari´ees de
r´eponses de lâeffort de pËeche de la flotte ext´erieure par rapport `a lâeffort r´egional :
â un effort ext´erieur constant (
β
= 0),
â une att´enuation des variations de lâeffort ext´erieur (
β
= 0
,
5),
â une amplification des variations de lâeffort ext´erieur (
β
= 1
,
5).
Les r´esultats des simulations montrent que les courbes de production pour les deux flottes
sont grandement modifi´ees selon les valeurs du param`etre
β
(Fig. 2.13). Pour une valeur
nulle, lâeffort de pËeche ext´erieur `a la r´egion demeure constant, quelle que soit lâ´evolution
de lâeffort r´egional. Dans ce cas, la valeur de lâeffort ext´erieur est d´efinie par le param`etre
Îą
caract´erisant la situation actuelle (´
Eq. 2.12). Par construction, lâeffort de pËeche total
ne peut pas prendre des valeurs plus faibles que celle de lâeffort ext´erieur constant. Cet
effort ´etant fix´e, lâaugmentation de lâeffort total est uniquement li´ee `a une augmentation
de lâeffort r´egional. Aussi, les captures ext´erieures diminuent progressivement au fur `a
mesure que la part relative de lâeffort r´egional dans lâeffort total augmente (Fig 2.13a).
Fig.
2.13
â
Biomasse du stock (triangles noirs) et courbes de production des flottes de pËeche en
fonction du multiplicateur dâeffort r´egional (
mf
reg
) appliqu´e pour diff´erentes valeurs de
β
(voir d´etails
dans le texte), avec
Îą
= 0
,
3
. Les captures totales (trait gras continu) sont compos´ees des captures de la
flotte r´egionale (trait fin continu) et de la flotte ext´erieure (trait pointill´e). (a)
β
= 0 ; (b)
β
= 0,5 ; (c)
β
= 1,5.
Pour une valeur de
β
´egale `a 0,5, la courbe de production r´egionale croËÄąt avec lâef-
fort r´egional alors que les captures ext´erieures diminuent et que le stock pr´esente une
surexploitation (Fig. 2.13b). En effet, du fait de la valeur de
β <
1, lâeffort ext´erieur aug-
mente moins vite que lâeffort r´egional. Aussi, la part des captures r´egionales augmente
progressivement avec mf
reg
. Lâaugmentation des captures r´egionales
ÂŤ
masque
Âť
ainsi la
surexploitation du stock.
132
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
Admettre une r´eactivit´e de lâeffort ´elev´ee (
β
= 1
,
5) implique une r´eponse rapide de
lâeffort ext´erieur aux variations de lâeffort r´egional. Lorsque lâeffort r´egional augmente,
lâaugmentation de lâeffort ext´erieur est amplifi´ee et acc´el`ere le ph´enom`ene de surexploi-
tation du stock (Fig. 2.13c). La part des captures r´egionales dans les captures totales
diminue quand lâeffort r´egional augmente, et la surexploitation du stock se fait alors
ressentir `a lâ´echelle de la r´egion.
2.4.2.4
Expression de la biomasse dans le MEGC
Suivant les notations du mod`ele de simulation, les captures totales dâun stock ´etant ex-
ploit´e par une flottille finist´erienne (reg) et une flottille ext´erieure (ext) peuvent sâ´ecrire :
Y
tot
=
Y
reg
+
Y
ext
Y
tot
=
F
reg
Ă
B
+
F
ext
Ă
B
Y
tot
=
F
reg
Ă
B
+
F
curr
ext
Ă
F
reg
F
curr
reg
β
Ă
B d
â˛
apr
`
es
(2
.
9)
Y
tot
=
F
reg
Ă
B
Ă
1 +
F
curr
ext
Ă
(
F
reg
)
β
â
1
F
curr
reg
Ă
(
F
curr
reg
)
β
â
1
Y
tot
=
Y
reg
Ă
1 +
1
â
Îą
Îą
Ă
Y
reg
B
Ă
B
curr
Y
curr
reg
β
â
1
!
d
â˛
apr
`
es
(2
.
8)
(2.13)
Lâ´equation 2.13 estime les captures totales r´ealis´ees sur un stock en fonction des captures
r´egionales, de la proportion
Îą
des captures r´egionales dans les captures totales et du
param`etre de r´eactivit´e
β
de la flottille ext´erieure. Dans le MEGC, la biomasse au
temps t+1 de chaque stock exploit´e est exprim´ee de mani`ere discr`ete en fonction des
captures faites sur le stock au temps t. Elle peut ainsi se r´e-´ecrire en fonction des captures
finist´eriennes au temps t (Y
t
) :
B
t
+1
=
B
t
+
g
(
B
t
)
â
Y
t
Ă
1 +
Îł
Ă
Y
t
B
t
(
β
â
1)
!
(2.14)
o`
u











Îł
=
1
â
Îą
Îą
Ă
B
curr
Y
curr
reg
(
β
â
1)
g
(
B
t
) =
rB
t
1
â
B
t
K
(
m
â
1)
!
ou g
(
B
t
) =
rB
t
1
â
ln
B
t
ln
K
2.4 Dynamiques globales et r´
egionales : approche par simulations
133
La fonction g repr´esente le mod`ele de production adopt´e pour chaque stock, c.-`a-d.
exponentiel (Fox 1970) ou g´en´eralis´e (Pella et Tomlinson 1969) (Section 2.3).
2.4.3
Discussion
2.4.3.1
Contribution r´
egionale `
a lâeffort total
Raisonner `a lâ´echelle dâune r´egion donn´ee, afin de quantifier lâimpact quâelle a sur un
stock, n´ecessite au pr´ealable de d´efinir la part relative de lâeffort r´egional dans la pression
de pËeche totale exerc´ee. En effet, la simulation dâune augmentation de lâeffort de pËeche
r´egional aura peu dâeffet sur lâ´etat du stock si sa part dans lâeffort total est faible. Ceci
est notamment le cas pour les stocks de poissons migrateurs caract´eris´es par de tr`es
grandes distributions g´eographiques (p. ex.
Scomber scombrus
). Par ailleurs, plusieurs
facteurs concourent `a modifier la part de lâeffort r´egional dans lâeffort total au cours du
temps. En particulier, le comportement comp´etitif pour lâespace ou la ressource m`ene
souvent `a des interactions techniques pouvant conduire `a des variations importantes
dâallocation de lâeffort. De mËeme, les innovations technologiques, les variations de prix du
march´e, lâabondance des esp`eces ainsi que des restrictions futures des captures incitent
les pËecheurs `a adapter lâeffort de pËeche et ainsi `a modifier leurs cibles pr´ef´erentielles
(Ulrich et al., 2001 ; Millisher et al., 1999 ; Marchal et al., 2002). Ceci peut affecter
la contribution relative de lâeffort dâune flottille donn´ee `a lâeffort total. N´eanmoins, pour
une population largement cibl´ee par une r´egion, il semble vraisemblable dâadmettre que
lâimportance relative de lâeffort r´egional demeure constante dâune ann´ee sur lâautre, par
rapport au reste de lâeffort qui sâexerce sur le stock. Cette hypoth`ese est dâautant plus
r´ealiste pour les esp`eces soumises au syst`eme de quotas et `a la r`egle dite de
ÂŤ
stabilit´e
relative
Âť
.
2.4.3.2
R´
eactivit´
e de la flotte ext´
erieure
Consid´erer lâ´evolution potentielle de lâeffort de pËeche suivant la mise en place de modes
de gestion par exemple, implique dâinclure dans lâanalyse les cons´equences quâils ont
sur toutes les flottilles concern´ees. Ainsi, les mod`eles bio-´economiques se focalisent
g´en´eralement sur les variations de lâeffort r´egional en consid´erant le
ÂŤ
reste du monde
Âť
fixe. Ceci peut mener `a des r´esultats montrant que les pËecheries locales peuvent aug-
menter les captures dâun stock en accroissant leur effort, sans risque de surexploitation,
ou tout au moins en maintenant des captures locales croissantes (Ulrich, 2000). Dans le
mod`ele, le param`etre
β
quantifie la mani`ere dont la flotte ext´erieure
ÂŤ
r´epond
Âť
`a une
134
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
modification de lâeffort r´egional et apparaËÄąt essentiel pour estimer les cons´equences de
la mise en place de sc´enarii de gestion `a une ´echelle r´egionale. Selon ses valeurs, lâeffort
ext´erieur pr´esente des ´evolutions distinctes de celle de lâeffort r´egional. Par cons´equent,
la dynamique du stock en est affect´ee et ceci modifie les captures potentielles de la flotte
r´egionale. La variabilit´e de lâeffort de pËeche dans le temps, li´ee aux strat´egies et tac-
tiques de pËeche, rend difficile une estimation pr´ecise des valeurs de
β
suivant la mise en
place dâune action de gestion. Bien quâune tendance g´en´erale puisse Ëetre appr´ehend´ee,
la pr´evision de lâ´evolution de lâeffort de pËeche ext´erieur est associ´ee `a de nombreux fac-
teurs difficiles `a mesurer, tels que le degr´e de d´ependance entre les flottes (comp´etition,
coop´eration active ou passive), les taux de transfert dâinformation entre les diff´erents seg-
ments des pËecheries, la nature des stocks exploit´es... Dans ce contexte, la sp´ecification
dâune gamme de valeurs possibles de
β
semble une approche pertinente afin dâanalyser
la sensibilit´e des r´esultats des sc´enarii de gestion simul´es.
De mani`ere plus concr`ete, dans la situation o`
u des aides financi`eres seraient attribu´ees
au niveau du d´epartement du Finist`ere, pour la construction de nouveaux navires par
exemple, une valeur de
β
faible (
β <
0
,
5) pourrait Ëetre utilis´ee. Dans ce cas, lâaug-
mentation de lâeffort de pËeche r´egional permise par les aides locales ne sera pas aussi
importante pour les flottilles ext´erieures. De la mËeme fa¸con, une valeur de
β
inf´erieure `a
1 permet de mod´eliser le cas o`
u les flottilles ext´erieures ciblant un stock ne respectent pas
une diminution de TAC impos´ee par lâUnion Europ´eenne (braconnage par exemple). La
diminution de lâeffort finist´erien sera alors plus rapide que celle des flottilles ext´erieures.
`
A lâinverse, lorsque des subventions sont allou´ees aux flottilles ext´erieures uniquement,
leur effort de pËeche peut alors croËÄątre plus vite que lâeffort finist´erien et une valeur de
β
sup´erieure `a 1 est appropri´ee. Lorsque des d´ecisions sont prises au niveau de lâUnion
Europ´eenne pour une diminution des aides financi`eres `a la construction par exemple,
il semble raisonnable de consid´erer que les efforts des diff´erentes flottilles concern´ees
varient de la mËeme fa¸con, c.-`a-d. que la valeur de
β
est proche de 1.
2.4.4
Conclusion
Lâint´egration des mod`eles de production biologiques dans le MEGC soul`eve le probl`eme
du d´ecalage existant entre lâ´echelle dâ´etude ´economique qui se focalise sur une r´egion
productrice, et lâ´echelle dâanalyse biologique d´efinie par les limites g´eographiques de
chaque population exploit´ee. La dynamique des stocks apparaËÄąt ainsi potentiellement
d´ependante de lâeffort de pËeche quâexercent des flottilles de pËeche non inclues dans
le mod`ele. Lâapproche de simulation propos´ee a alors un double int´erËet. `
A partir des
r´esultats de simulations, elle a permis dâune part de pr´esenter diff´erents cas de figure
pouvant se retrouver dans des situations r´eelles. Ceux-ci mettent en ´evidence la n´ecessit´e
2.5 Conclusion du chapitre
135
de prendre en compte la mani`ere dont va ´evoluer lâeffort de pËeche des flottilles ext´erieures,
relativement aux variations de lâeffort r´egional. Dâautre part, lâapproche de simulation
a pos´e les bases pour mod´eliser la biomasse des stocks dans le MEGC, en int´egrant la
possibilit´e de tester des hypoth`eses sur les variations dâeffort des flottilles ext´erieures.
Ceci permet alors de sâaffranchir de lâhypoth`ese forte, lors de sc´enarii de simulation,
que seule la r´egion du Finist`ere modifie son effort de pËeche et que la pression de pËeche
exerc´ee par le
ÂŤ
reste du monde
Âť
demeure constante.
2.5
Conclusion du chapitre
Le dynamisme de la fili`ere pËeche du Finist`ere et son rËole social, `a travers les emplois
quâelle g´en`ere, font du d´epartement une des r´egions d´ependantes de la pËeche en Europe.
Le Finist`ere apparaËÄąt ainsi comme une zone dâint´erËet majeur pour analyser le lien existant
entre les outils de production que sont les flottilles, et la nature et lâ´etat des populations
marines qui y sont exploit´ees. La mod´elisation de la production finist´erienne pr´esent´ee
dans ce chapitre constitue une premi`ere ´etape dâanalyse afin de mettre en relation les
d´ebarquements avec lâensemble des activit´es de la fili`ere qui en d´ependent, sous la forme
simple de fonctions de production par stock.
Lâapproche envisag´ee sâest donc orient´ee `a la fois sur les grands types de flottilles du
d´epartement, afin de repr´esenter de mani`ere synth´etique la diversit´e de m´etiers pratiqu´es,
et sur les stocks commerciaux correspondant `a la majorit´e des captures d´ebarqu´ees.
Cette vision globale a pour objectif de prendre en compte les caract´eristiques essen-
tielles d´ecrivant la flotte finist´erienne, principalement li´ees aux diff´erences existant entre
petits bateaux tr`es cËotiers, majoritaires dans le nord du d´epartement, et grands navires
industrialis´es du sud pouvant op´erer au large de lâIrlande ou de lâ´
Ecosse. De mËeme,
lâapproche de mod´elisation a favoris´e le recours `a des mod`eles relativement simples mais
de nature homog`ene pour lâensemble des stocks s´electionn´es. L`a encore, le but nâest pas
de disposer de fonctions de production tr`es pr´ecises pour certaines esp`eces uniquement,
mais dâavoir une vision dâensemble des stocks exploit´es et de la production totale `a
lâ´echelle du d´epartement.
Lâanalyse a en particulier r´ev´el´e le d´ecalage pouvant exister entre les ´etudes biologiques
et/ou ´ecologiques sâint´eressant g´en´eralement `a une zone marine exploit´ee, et les analyses
de type ´economique qui se focalisent sur une r´egion terrestre o`
u les activit´es commer-
ciales ont lieu. Il est ´evidemment important de consid´erer lâeffort de pËeche des flottilles
non prises en compte dans lâanalyse, ce que nous avons propos´e au moyen dâun mod`ele
de production r´egionale. Une limite forte de lâanalyse `a ce stade reste la non prise en
compte des interactions entre esp`eces. Celle-ci sâexprime `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme. Or,
136
2. De la Terre `
a la Mer : une r´
egion d´
ependante de la pË
eche, le Finist`
ere
les flottilles finist´eriennes op`erent dans plusieurs zones g´eographiquement ´eloign´ees pou-
vant correspondre `a des ´ecosyst`emes distincts. Dans cette perspective, le chapitre suivant
vise `a d´efinir les grandes zones marines exploit´ees par le Finist`ere et `a les caract´eriser
par une s´erie dâindicateurs principalement bas´es sur des donn´ees de captures.
2.5 Conclusion du chapitre
137
Synth`ese - Chapitre 2
Ce deuxi`eme chapitre nous permet de pr´esenter la zone dâ´etude, c.-`a-d. le Finist`ere,
consid´er´e comme une des r´egions les plus d´ependantes de la pËeche en Europe. Dans un
premier temps, lâimportance de lâactivit´e de pËeche et les enjeux auxquels sont confront´es
les professionnels sont soulign´es. La pËeche occupe un rËole essentiel, de par son poids
dans lâhistoire du d´epartement et la place ´economique quâelle joue au sein de toute
la fili`ere. La diversit´e de m´etiers pratiqu´es et dâesp`eces captur´ees, ainsi que la place
pr´epond´erante de la petite pËeche rendent difficiles une analyse exhaustive et d´etaill´ee des
pËecheries finist´eriennes. Dans ce contexte et en pr´ealable `a la mod´elisation ´economique,
la flotte est segment´ee selon le genre de navigation des bateaux et leur quartier maritime
dâorigine. Les stocks repr´esentant les d´ebarquements les plus importants en tonnage et
valeur sont conserv´es, le reste ´etant regroup´e dans un stock
ÂŤ
autres
Âť
.
Lâh´et´erog´en´eit´e existante en termes de donn´ees de captures et dâ´evaluations, et la
n´ecessit´e de disposer dâune fonction de production relativement ais´ee `a impl´ementer
dans le MEGC nous conduisent `a adopter une approche de mod´elisation de type global.
Celle-ci est adapt´ee `a la structure du lien entre les modules biologique et ´economique,
et apparaËÄąt appropri´ee compte tenu du degr´e de pr´ecision des donn´ees ´economiques
r´egionales. Selon la nature de lâinformation disponible, deux formulations de mod`eles
reposant sur deux m´ethodes dâestimation diff´erentes sont retenues. Un diagnostic plu-
risp´ecifique relativement pessimiste est ´etabli et montre la d´ependance du Finist`ere
vis-`a-vis de lâ´etat des populations marines qui y sont exploit´ees. Les stocks dâint´erËet
commercial majeur pour le d´epartement sont en effet pleinement exploit´es ou surex-
ploit´es et une augmentation de lâeffort `a lâ´echelle globale devrait logiquement conduire
`a une diminution des d´ebarquements dans les ports finist´eriens.
La troisi`eme section du chapitre correspond `a une approche de mod´elisation plus
th´eorique. `
A partir dâun mod`ele de dynamique de population simple, les difficult´es de se
restreindre `a une r´egion terrestre donn´ee pour quantifier la production dâun stock exploit´e
sont mises en ´evidence. Les fonctions de production peuvent en effet Ëetre profond´ement
modifi´ees selon la part de la r´egion dans les captures totales et lâ´evolution de lâeffort
de pËeche ext´erieur exerc´e relativement `a lâeffort r´egional. La prise en compte des flot-
tilles ext´erieures ciblant des stocks exploit´es par le Finist`ere semble ainsi n´ecessaire afin
dâ´evaluer la sensibilit´e des r´esultats, au travers dâune gamme possible de comportements
de leur effort. Un mod`ele d´ecrivant lâ´evolution de la biomasse en fonction des captures
r´egionales et ex´erieures est finalement propos´e, pour Ëetre int´egr´e dans le MEGC.
Chapitre 3
D´
ecrire et comparer les grandes
zones de pË
eche europ´
eennes via des
indicateurs
ÂŤ
[...] the cod fishery, the herring fishery, the pilchard fishery, the mackerel fishery, and probably all the great
sea fisheries, are inexhaustible ; that is to say nothing we do seriously affect the number of fish
Âť
.
Sir Thomas Huxley
Sommaire
3.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
3.2
D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
. . . . . . . . 142
3.2.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
142
3.2.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
144
3.2.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
145
3.2.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
150
3.3
D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
. . . . 150
3.3.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151
3.3.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
153
3.3.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
157
3.3.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
162
3.4
Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse mul-
tivari´
ee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
3.4.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
163
3.4.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
167
3.4.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
173
140
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
3.4.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
179
3.5
Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomni-
vorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
3.5.1
Mat´eriel et m´ethodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181
3.5.2
R´esultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
185
3.5.3
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
188
3.5.4
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
196
3.6
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Synth`
ese - Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
3.1 Introduction
141
3.1
Introduction
Le chapitre pr´ec´edent a permis de sp´ecifier quelles sont les principales populations ma-
rines exploit´ees par la flotte de pËeche du Finist`ere. Le but de ce chapitre
1
est dâ´etendre
la vision monosp´ecifique de cette approche `a une dimension plus ´ecosyst´emique. Les na-
vires finist´eriens op`erent en effet dans diff´erentes zones de pËeche des eaux europ´eennes, de
lâouest de lâ´
Ecosse au sud du Golfe de Gascogne. Afin dâ´etablir un lien entre les stocks
captur´es par les pËecheurs finist´eriens et lâ´etat des ´ecosyst`emes o`
u ils sont pr´esents, il
semble n´ecessaire dans une premi`ere ´etape de sp´ecifier leurs limites g´eographiques. Ceci
nâest cependant pas ais´e compte tenu du caract`ere ouvert et dynamique des ´ecosyst`emes
marins et de leur organisation hi´erarchique (OâNeill, 2001 ; Section 1.2.5). Dans cette
perspective, des
ÂŤ
zones de pËeche ´ecosyst´emiques
Âť
(ZPE) sont tout dâabord d´elimit´ees
`a partir dâune analyse des compositions sp´ecifiques des captures r´ealis´ees dans les sous-
divisions CIEM europ´eennes. Cette approche est bas´ee sur lâhypoth`ese que les limites
g´eographiques des stocks et les donn´ees de captures peuvent Ëetre utilis´ees afin de
d´efinir de larges zones pouvant Ëetre consid´er´ees en premi`ere approximation comme des
´ecosyst`emes, ou au moins caract´eris´ees par des traits ´ecosyst´emiques communs. Dans un
second temps, les ZPE sont d´ecrites au moyen de trois indicateurs (spectres trophiques,
niveau trophique moyen des captures et indice Fishing-In-Balance) afin dâavoir une vi-
sion g´en´erale des sch´emas dâexploitation existant en Europe, et une id´ee des ´ecosyst`emes
pouvant montrer des signes de surexploitation. Un jeu de m´etriques, estim´ees `a partir de
donn´ees de captures et de production primaire, est ensuite utilis´e pour d´ecrire la variabi-
lit´e spatio-temporelle des ZPE et rechercher des patrons de leurs ´evolutions. Les indica-
teurs sont majoritairement li´es `a la production primaire, la productivit´e halieutique, la
diversit´e des captures et la position trophique des esp`eces captur´ees dans les zones. Des
indicateurs d´ecrivant la variabilit´e interannuelle des m´etriques sont ´egalement estim´es `a
partir des s´eries temporelles de donn´ees de captures. Une analyse multivari´ee est conduite
pour synth´etiser lâinformation apport´ee par lâensemble des indicateurs consid´er´es et com-
parer les unit´es g´eographiques de pËeche dans le temps et lâespace. Les questions abord´ees
au travers du chapitre sont donc les suivantes : 1) Le recours aux limites g´eographiques
des stocks et aux donn´ees de captures est-il appropri´e pour d´efinir des zones de pËeche
homog`enes et adapt´ees `a une perspective ´ecosyst´emique ? 2) Existe-t-il des diff´erences
importantes entre les ZPE europ´eennes au regard des indicateurs utilis´es ? 3) Est-il pos-
1
Les trois premi`eres sections de ce chapitre ont fait lâobjet dâune communication scientifique `
a la
conf´erence annuelle du CIEM en 2002 et dâun article actuellement en r´evision :
â Chassot, E., Gascuel, D. et Laurans, M. (2002). Typology and characterization of European
ÂŤ
Eco-
system Fisheries Units
Âť
ICES CM 2002/L : 19 (mimeo)
.
â Chassot, E., Gascuel, D. et M´elin, F. En pr´ep. What can catch-based indicators tell us in the
context of Ecosystem Approach to Fisheries ?
142
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
sible de d´eduire de lâanalyse des contrastes spatiaux et temporels estim´es entre les zones,
des patrons g´en´eraux dâexploitation dans les eaux europ´eennes ? Par ailleurs, il est fait
appel tout au long de lâanalyse `a la notion de niveau trophique qui est utilis´e dans
le calcul de plusieurs indicateurs ´ecosyst´emiques. Celui-ci est g´en´eralement assign´e `a
chaque esp`ece selon des valeurs moyennes mesur´ees `a partir de m´ethodes isotopiques ou
de contenus stomacaux. N´eanmoins, la variabilit´e du r´egime alimentaire des poissons,
g´en´eralement caract´eris´es par un fort degr´e dâopportunisme, appelle `a ´etudier la variabi-
lit´e du niveau trophique et de lâomnivorie pour am´eliorer les indicateurs estim´es. Cette
analyse fait lâobjet de la quatri`eme section de ce chapitre.
3.2
D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
Except´e pour certains stocks de langoustine, la d´elimitation g´eographique de la grande
majorit´e des stocks ´evalu´es par le CIEM est faite au niveau de la sous-division. Dans
certains cas, leur distribution peut occuper une part consid´erable des eaux europ´eennes
(p. ex. merlu nord). Ces limites, ´etablies souvent depuis plusieurs d´ecennies, ont rare-
ment ´et´e modifi´ees au cours du temps et constituent lâ´echelle spatiale `a laquelle sont
mises en place les ´evaluations et pens´es les processus dâam´enagement des pËecheries. Bien
que le stock soit id´ealement associ´e `a une population biologique, il renvoie `a la notion
dâexploitation et correspond `a une
ÂŤ
unit´e de gestion
Âť
(Laurec et Le Guen, 1981). Nous
avons vu que lâAEP implique de passer `a une autre ´echelle de gestion, par d´efinition
proche de lâ´ecosyst`eme, mais sans remettre en cause la possibilit´e dâ´evaluer les princi-
paux stocks exploit´es. Aussi, lâobjectif de cette section est de sâappuyer sur lâensemble de
lâinformation disponible `a travers les d´elimitations des stocks europ´eens afin de d´efinir
des grandes zones de pËeche en Europe. Le regroupement des sous-divisions en ZPE doit
ainsi favoriser la transition dâune approche centr´ee sur les stocks `a une ´echelle plus glo-
bale, int´egrant `a la fois une dimension multisp´ecifique et un aspect de gestion inh´erent
aux stocks.
3.2.1
Mat´
eriel et m´
ethodes
La d´efinition des ZPE sâappuie sur des m´ethodes dâanalyse multivari´ee, en regroupant
entre elles les sous-divisions dont les profils de captures, en termes de stocks, apparaissent
similaires.
3.2 D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
143
3.2.1.1
Profils de captures
Lâensemble des sous-divisions CIEM, except´e la mer Baltique et les zones du grand Nord
(sous-divisions Ia-b, IIa-b, XIVa-b), est pris en compte (Fig. 3.1). Les donn´ees de captures
par ann´ee, esp`ece et sous-division sont extraites de la base de donn´ees du CIEM `a partir
du logiciel FishStatPlus pour la p´eriode 1997-2001, avant dâËetre moyenn´ees sur cette
p´eriode. Les esp`eces dont les captures repr´esentent au moins 0,1% des captures totales
pour lâensemble des sous-divisions dâint´erËet sont retenues. Les captures sont ensuite
redistribu´ees entre les diff´erents stocks pouvant exister pour chaque esp`ece. Chaque sous-
division est ainsi caract´eris´ee par un profil de captures, incluant `a la fois les stocks et les
esp`eces non ´evalu´ees (c.-`a-d. pour lesquelles les stocks ne sont pas explicitement d´efinis)
qui y sont exploit´ees. Dâautres cat´egories incluant des esp`eces d´ecrites par une large
cat´egorie ´ecologique (p. ex. groundfishes) sont exclues de lâanalyse car les esp`eces qui
les composent peuvent grandement diff´erer entre les sous-divisions CIEM. Finalement,
chaque sous-division CIEM est d´ecrite par 122 variables correspondant `a 56 esp`eces,
parmi lesquelles 22 esp`eces sont r´eparties entre 88 stocks, et 34 sont conserv´ees comme
esp`eces restantes.
Fig.
3.1
â
Carte de lâensemble de la zone g´eographique couverte par le CIEM.
144
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
3.2.1.2
Analyse factorielle des correspondances
Afin de d´efinir des grande unit´es g´eographiques homog`enes du point de vue de lâexploi-
tation, les sous-divisions CIEM sont regroup´ees en classes appel´ees
ÂŤ
zones de pËeche
´ecosyst´emiques
Âť
`a partir dâanalyses multivari´ees. Une analyse factorielle des correspon-
dances (AFC) ainsi quâune classification ascendante hi´erarchique sur les principaux axes
de lâAFC sont conduites en utilisant le logiciel SPADN 2.5 (Lebart, 1994). LâAFC ne
n´ecessite aucune hypoth`ese particuli`ere pour la distribution sous-jacente des variables,
et les individus et les variables jouent un rËole sym´etrique (Greenacre et Blasius, 1994).
Cette m´ethode permet de comparer les profils de captures de chaque sous-division et de
regrouper les sous-divisions pr´esentant les profils les plus proches. Ici, lâAFC est utilis´ee
comme analyse pr´eliminaire et les r´esultats ne seront pas d´etaill´es. La proc´edure de clas-
sification CAMAC de SPADN 2.5 est utilis´ee afin de prendre en compte les contigu¨Ĺt´es
spatiales existant entre les individus statistiques (c.-`a-d. les sous-divisions). La contrainte
de contigu¨Ĺt´e impos´ee permet dâobtenir des clusters pr´esentant une continuit´e spatiale,
condition n´ecessaire `a la d´efinition dâune zone marine `a vocation ´ecosyst´emique.
3.2.2
R´
esultats
Suivant lâAFC appliqu´ee aux donn´ees de composition des captures de chaque sous-
division CIEM, 8 axes expliquant 70% de la variance sont retenus pour la classifica-
tion ascendante hi´erarchique. La prise en compte dans lâanalyse des esp`eces d´ecrites
par une large cat´egorie ´ecologique ne modifie pas les r´esultats. Consid´erer entre 6 et
10 axes (aucune diff´erence nette de la variance expliqu´ee entre les valeurs propres)
lors de la classification affecte peu les r´esultats, en d´epit de modifications mineures
conduisant `a une r´eallocation de quelques sous-divisions. Une partition regroupant les
28 sous-divisions en 7 clusters ou ZPE a ´et´e choisie afin de disposer dâun nombre rai-
sonnable dâunit´es g´eographiques `a analyser, pertinentes en termes ´ecologiques (Fig. 3.2).
Les ZPE pr´esentent des tailles tr`es diff´erentes, allant de tr`es grandes zones comme la
r´egion ib´erique et des A¸cores qui couvre une surface de 3,9 millions de km
2
, `a des petites
unit´es telle que la mer dâIrlande occupant 52,1 milliers de km
2
(Fig. 3.3). Le plateau
islandais et la mer dâIrlande ne sont compos´es que dâune sous-division CIEM alors que
le plateau celtico-gascon en regroupe huit.
3.2 D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
145
Fig.
3.2
â
Repr´esentation graphique de lâarbre hi´erarchique montrant le regroupement des sous-
divisions CIEM en zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE), suivant leurs profils de captures.
3.2.3
Discussion
3.2.3.1
Des donn´
ees de captures
Lâanalyse est notamment bas´ee sur lâhypoth`ese que les compositions sp´ecifiques des cap-
tures renseignent sur les biomasses pr´esentes dans les zones dâint´erËet. On emploie ici le
terme de captures plutËot que de d´ebarquements car la base de donn´ees du CIEM y fait
explicitement mention. Ces donn´ees ne tiennent cependant pas compte des rejets qui
peuvent Ëetre souvent tr`es importants (Alverson et al., 1994 ; FAO, 2004). Le recours aux
donn´ees de captures plutËot quâaux donn´ees de biomasses sous-jacentes sâest fait pour plu-
sieurs raisons. Dâune part, seuls les effectifs des stocks ´evalu´es par le CIEM sont estim´es
en Europe et il existe ainsi un grand nombre dâesp`eces exploit´ees pour lesquelles on ne
dispose pas de donn´ees de biomasses (cf. Chapitre 2). De plus, lâ´evaluation des effectifs
des stocks se fait `a lâ´echelle de leur distribution g´eographique. Aussi, la r´eallocation de
la biomasse entre les sous-divisions se fait g´en´eralement au prorata des captures (p. ex.
146
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
Fig.
3.3
â
Carte des zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE).
Pinnegar et al., 2003b). Dans ce cas, les profils de captures et de biomasses estim´es sont
identiques. Des indices dâabondance sont n´eanmoins estim´es pour la majorit´e des esp`eces
´echantillonn´ees lors des campagnes scientifiques nationales. La collecte de ces donn´ees
`a lâ´echelle de lâEurope est cependant peu r´ealisable et n´ecessiterait des proc´edures de
standardisation complexes. De plus, la comparaison dâindices dâabondance issus des na-
vires oc´eanographiques anglais et fran¸cais ayant op´er´e dans la mËeme zone a montr´e des
diff´erences importantes dans les tendances des abondances au niveau monosp´ecifique
(Trenkel et al., 2004b). Dans ce contexte, les s´eries temporelles de captures demeurent
g´en´eralement les seules donn´ees disponibles pour un grand nombre dâesp`eces `a une ´echelle
spatiale aussi large (Caddy, 2000 ; De Leiva Moreno et al., 2000). En d´epit de biais dus `a
des diff´erences de sch´emas dâexploitation ou `a des demandes de march´e particuli`eres, les
captures des esp`eces commerciales principales doivent g´en´eralement refl´eter les ordres
de grandeur relatifs des populations (Klyashtorin, 1998 ; Pauly et al., 998a). Ceci doit
particuli`erement se v´erifier dans les eaux europ´eennes o`
u la pËeche a commenc´e depuis
plusieurs si`ecles et o`
u les ressources marines commerciales apparaissent globalement
pleinement exploit´ees, voire surexploit´ees.
3.2 D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
147
3.2.3.2
Associer ´
ecologie et gestion
Cette analyse permet de d´efinir des grandes zones de pËeche dans les eaux europ´eennes
`a partir de donn´ees disponibles `a lâ´echelle de la sous-division CIEM, et int´egrant une
dimension ´ecosyst´emique. Les limites des stocks apportent en effet de lâinformation sur
la distribution g´eographique des populations exploit´ees. Elles expriment `a la fois une
r´ealit´e ´ecologique li´ee aux preferenda dâhabitat des populations et un aspect dâexploi-
tation renvoyant `a la d´efinition pragmatique et op´erationnelle du stock comme unit´e
de gestion. Les profils de captures permettent ainsi de comparer les grands sch´emas
dâexploitation mis en Ĺuvre au sein de chaque sous-division et de regrouper les plus
proches en sâappuyant sur la connaissance ancienne et officielle des d´elimitations juri-
diques des stocks. La m´ethode associe de lâinformation sur les ´ecosyst`emes sous-jacents
et une composante de gestion via lâutilisation des sous-divisions CIEM comme unit´es
de base. Cette approche pragmatique est en ad´equation avec les recommandations li´ees
`a la d´efinition des ´ecosyst`emes qui doivent Ëetre d´elimit´es de mani`ere op´erationnelle et
se baser sur des discontinuit´es des caract´eristiques des ´ecosyst`emes et des ´echelles de
gestion (Christensen et al., 1996 ; Sissenwine et Murawski, 2004).
3.2.3.3
Int´
erË
et des ZPE
Les ZPE d´eriv´ees de lâanalyse sont consistantes en terme dâunit´es spatiales continues et
suivant la connaissance dont nous disposions
a priori
sur les ´ecosyst`emes europ´eens. En
particulier, certaines dâentre elles correspondent `a des grands ´ecosyst`emes marins (pla-
teau islandais et plateau celtico-gascon ; Sherman, 1991) (Fig. 3.4) ou `a des divisions des
provinces des plateaux de lâAtlantique nord-est (Longhurst, 1998). Elles sont ´egalement
proches des zones couvertes par les comit´es consultatifs r´egionaux (CCR) r´ecemment
cr´e´es par la Commission europ´eenne afin de promouvoir la participation des diff´erents
acteurs `a lâam´enagement des pËecheries (Fig. 3.4). Ces r´esultats nâ´etaient pas ´evidents
au regard du nombre de stocks et dâesp`eces consid´er´es dans lâanalyse et ont n´ecessit´e
une part de subjectivit´e lors du choix du nombre dâaxes inclus dans la classification.
Cependant, la s´election du nombre appropri´e de clusters nâest pas simplement li´ee `a
des consid´erations statistiques, mais d´epend ´egalement des objectifs de lâanalyse. Une
approche relativement similaire a ´et´e adopt´ee par Garibaldi et Limongelli (2003) afin de
regrouper des grands ´ecosyst`emes marins en quelques clusters `a des fins de comparaison.
Except´e quelques cas, la majorit´e des stocks europ´eens ont une distribution g´eographique
sâinscrivant dans les ZPE d´elimit´ees.
La d´efinition de grandes zones de pËeche bas´ee sur des m´ethodes quantitatives est une
premi`ere ´etape pr´ealable `a la mise en place progressive dâune approche ´ecosyst´emique
148
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
Fig.
3.4
â
Cartes pr´esentant les zones g´eographiques correspondant aux comit´es consultatifs r´egionaux
(CCR) r´ecemment mis en place en Europe (`
a gauche) et aux grands ´ecosyst`emes marins (LME) de la
zone dâ´etude (`
a droite).
des pËeches (AEP). La d´elimitation des ZPE en se limitant `a des donn´ees de captures
constitue cependant une approche rudimentaire mais suffisante pour les objectifs de
notre analyse. Le recours `a des donn´ees de biomasses ainsi quâ`a des param`etres physico-
chimiques (temp´erature, courants, s´edimentologie...) afin de circonscrire et caract´eriser
de mani`ere plus pr´ecise les ´ecosyst`emes marins en Europe constitue cependant un travail
essentiel compl´ementaire au d´eveloppement dâune gestion des pËeches plus ´ecosyst´emique.
Des projets de cartographie des habitats marins `a une ´echelle plus fine et via des tech-
niques sophistiqu´ees bas´ees sur dâimportants jeux de donn´ees sont actuellement en cours
(ICES, 2003a). Ceci devrait notamment favoriser des analyses `a une ´echelle diff´erente
et plus large que les ´evaluations monosp´ecifiques courantes. Lâappr´ehension de lâ´etat
des ressources marines `a un niveau global et la compr´ehension des m´ecanismes de fonc-
tionnement des ´ecosyst`emes passe notamment par une description de leur structure et
des interactions prenant place entre les esp`eces (cf. Chapitre 1). Par ailleurs, les ZPE
constituent des zones marines de grande taille pour lesquelles des comparaisons peuvent
Ëetre envisag´ees afin de d´etecter des patrons `a une ´echelle globale. Lâapplication dâindica-
teurs ´ecosyst´emiques `a lâensemble de ces zones apparaËÄąt ainsi comme une voie possible
pour d´ecrire leurs propri´et´es et ´eventuellement analyser les effets de la pËeche (Section
3.4). Dans cette perspective, la sp´ecification des ZPE concorde parfaitement avec les
recommandations de la FAO (2001) :
3.2 D´
efinir des
ÂŤ
zones de pË
eche ´
ecosyst´
emiques
Âť
149
ÂŤ
Un aspect important `a prendre en consid´eration pour lâ´elaboration dâindi-
cateurs est la s´election des
ÂŤ
unit´es
Âť
g´eographiques pour lesquelles ils seront
´etablis. Celles-ci devraient rendre compte de lâ´echelle g´eographique de proces-
sus ´ecologiques qui d´efinissent raisonnablement les fronti`eres des ´ecosyst`emes
(tout en reconnaissant que les fronti`eres sont toujours ouvertes dans le cas
des ´ecosyst`emes aquatiques), des ressources halieutiques et de lâactivit´e de
pËeche, ainsi que des juridictions politiques.
Âť
3.2.3.4
Les ZPE exploit´
ees par les flottilles finist´
eriennes
Les stocks dâint´erËet commercial s´electionn´es pour le secteur pËeche du Finist`ere (cf. Cha-
pitre 2) sont principalement inclus dans le plateau celtico-gascon : baudroie (VIIb-
k, VIIIa,b,d), cardine (b,c,e-k, VIIIa,b,d), ´eglefin (VIIb-k), langoustine (b,c,j,k), lan-
goustine (f,g,h), langoustine (a,b), merlan (VIIe-k) et morue (VIIe-k). La distribution
g´eographique du lieu noir (IIIa, IV, VIa,b) chevauche la mer du Nord, le nord de la mer
du Nord et lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande. La distribution du grenadier (Vb, VI, VII)
se situe `a la fois sur le plateau celtico-gascon et lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande, et
celle du merlu (IIIa, IV, VI, VII, VIIIa,b,d) est comprise dans les quatre ZPE cit´ees. Le
tourteau (VIId-e) se situe entre la mer du Nord et le plateau celtico-gascon. Lorsque les
captures sont consid´er´ees par zone de pËeche ´ecosyst´emique, il apparaËÄąt alors que les flot-
tilles finist´eriennes op`erent principalement dans le plateau celtico-gascon qui repr´esente
environ 80% des d´ebarquements totaux r´ealis´es en tonnage et 84% en valeur (Tab. 3.1).
Le reste, c.-`a-d. environ 19% des captures en tonnage et 14% en valeur, provient majo-
ritairement de lâOuest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande. Une part tr`es faible des captures (
<
3%) est ´egalement r´ealis´ee dans la r´egion ib´erique et des A¸cores, principalement dans la
sous-division VIIk.
Tab.
3.1 â
Zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE) dâorigine des d´ebarquements finist´eriens exprim´es en
valeur (â000
e
), pour les flottilles d´efinies dans le chapitre 2. PP = petite pËeche ; PC = pËeche cË
oti`ere ;
PL = PËeche au large ; N = Nord Finist`ere ; S = Sud Finist`ere.
ZPE
PPN
PCN
PLN
PPS
PCS
PLS
Plateau islandais
0
0
0
0
0
0
Nord mer du Nord
0
0
0
0
0
42
Mer du Nord
12
0
155
0
0
10
Ouest ´
Ecosse-Irlande
0
0
57
0
2
23 625
Mer dâIrlande
0
0
0
0
0
184
Plateau celtico-gascon
4 661
4 148
9 115
35 051
16 534
76 343
R´egion ib´erique et des A¸cores
0
0
43
2
158
4 423
150
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
3.2.4
Conclusion
La d´efinition des limites dâun ´ecosyst`eme d´epend principalement des ´echelles spatio-
temporelles des processus physiques, chimiques et biologiques en jeu, ainsi que des objec-
tifs de lâ´etude (Christensen et al., 1996). Diff´erentes segmentations des eaux europ´eennes
en ´ecosyst`emes ont ´et´e propos´ees (p. ex. Longhurst, 1998 ; ICES, 2003). N´eanmoins,
les ´ecosyst`emes d´efinis ne correspondent g´en´eralement pas `a lâ´echelle spatiale pour la-
quelle des informations sur les stocks exploit´es sont disponibles. Dans ce contexte, nous
proposons ici une m´ethode de d´elimitation des eaux europ´eennes en grands ensembles
g´eographiques homog`enes, sâappuyant sur les discontinuit´es existant entre les compo-
sitions sp´ecifiques des captures de chaque sous-division. Cette approche combine ainsi
des aspects dâ´ecologie, dâexploitation et de gestion. Les limites des ´ecosyst`emes dans le
contexte de lâAEP doivent en effet consid´erer au maximum les ´echelles des interactions
et processus ayant lieu au sein des ´ecosyst`emes, mais sont en fin de compte d´etermin´ees
pas les questions politiques et les probl`emes de gestion (Garcia et al., 2003). Suivant la
disponibilit´e en donn´ees, diff´erents indicateurs peuvent ensuite Ëetre estim´es pour chaque
ZPE d´efinie afin de d´ecrire et analyser les effets de la pËeche. Leur transposition en
r`egles de d´ecision, peu abord´ee pour lâinstant (Link, 2005 ; Section1.4.3), n´ecessitera
notamment de faire le lien entre les valeurs ou directions de r´ef´erence recherch´ees et
la pression de pËeche exerc´ee. La sp´ecification de zones dâ´etude en ad´equation avec les
limites g´eographiques des stocks, ´echelle `a laquelle le contrËole de la mortalit´e par pËeche
et le suivi des biomasses sont r´ealis´es, apparaËÄąt alors tout `a fait pertinente.
3.3
D´
ecrire
les
ZPE
par
des
indicateurs
´
ecosyst´
emiques
En se focalisant notamment sur le plateau celtico-gascon au sein duquel op`erent la
grande majorit´e des flottilles finist´eriennes, nous nous proposons dans cette section
2
de
d´ecrire les ZPE par le niveau trophique moyen des captures (MTL ; Pauly et al., 998a),
2
Cette section a donn´e lieu `
a la pr´esentation dâun poster au symposium international sur les
ÂŤ
indi-
cateurs ´ecosyst´emiques quantitatifs pour lâam´enagement des pËeches
Âť
et `a la co-r´edaction dâun article :
â Chassot, E., Laurans, M., Bozec, Y., Colomb, A. et Gascuel, D. (2004). Using trophic spectra for
comparative analyses of fishing areas : Application to European fisheries. Quantitative Ecosystem
Indicators for Fisheries Management. International Symposium, 31 March-3 April 2004, Paris,
France, p12
â Gascuel, D., Bozec, Y., Chassot, E., Colomb, A. et Laurans, M. (2005). The trophic spectrum :
theory and application as an ecosystem indicator.
ICES Journal of Marine Science
,
62
: 443â452.
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
151
lâindice Fishing-In-Balance (FIB ; Pauly et al., 2000) et les spectres trophiques (Gascuel,
2002 ; Gascuel et al., 2005) de captures et de production primaire requise (PPR). Dans
une premi`ere ´etape, les spectres sont trac´es pour chaque ZPE afin de visualiser quels
niveaux trophiques sont cibl´es dans les ´ecosyst`emes sous-jacents, et ainsi avoir une vision
g´en´erale des grands types dâexploitation en place dans les eaux europ´eennes. Les spectres
de PPR permettent en particulier de comparer lâimportance des prises r´ealis´ees `a chaque
niveau trophique, en standardisant le spectre en production primaire. Dans un second
temps, les ´evolutions temporelles des spectres, du niveau trophique moyen et de lâindice
FIB pour une ZPE donn´ee renseignent sur les modifications de ciblage des pËecheries et
les possibles changements dans lâ´ecosyst`eme sous-jacent (Cury et al., 2005b ; Gascuel,
2005). Ces ´evolutions montrent des changements importants des types dâexploitation
et des tendances des indicateurs au cours des trois derni`eres d´ecennies, sugg´erant une
possible d´egradation de certains ´ecosyst`emes marins europ´eens.
3.3.1
Mat´
eriel et m´
ethodes
3.3.1.1
Donn´
ees de captures et niveaux trophiques
Les donn´ees de captures sont extraites de la base du CIEM. Les s´eries temporelles
sâ´etendent de 1973 `a 2001, quelques ann´ees manquant au d´ebut ou en cours de p´eriode
pour certaines sous-divisions. Des niveaux trophiques moyens sont ensuite attribu´es `a
toutes les esp`eces ou groupes dâesp`eces (p. ex. clup´eid´es) captur´es. Ces niveaux tro-
phiques sont suppos´es ´egaux pour lâensemble de lâAtlantique Nord-Est, et constants au
cours de la p´eriode dâ´etude. Des niveaux trophiques estim´es par isotopes stables sont
utilis´es pour 41 esp`eces (Pinnegar et al., 2002). Pour les autres esp`eces, des niveaux
trophiques moyens, g´en´eralement estim´es `a partir de donn´ees de contenus stomacaux,
sont extraits de la base de donn´ees FishBase (Froese et Pauly, 2000).
3.3.1.2
Les spectres trophiques
Le spectre trophique dâune variable X (biomasse, capture, abondance, ...) se d´efinit
comme la distribution de cette variable par classe trophique (conventionnellement par
pas de 0,1) des herbivores et d´etritivores aux top-pr´edateurs (Gascuel, 2002 ; Gascuel
et al., 2005). La construction des spectres trophiques se base sur des donn´ees agr´eg´ees
de captures ou PPR par esp`ece, et des estimations dâun TL moyen par esp`ece, obtenues
`a partir de contenus stomacaux, dâanalyses isotopiques ou de r´esultats de mod´elisation
(p. ex. Ecopath). Le niveau trophique pouvant varier entre les individus dâune esp`ece
152
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
donn´ee (avec la taille par exemple), il est appropri´e de distribuer la variable dâint´erËet
(captures ou PPR) dâune esp`ece sur une gamme de valeurs de TL autour de la moyenne,
suivant la variance intrasp´ecifique du TL. Cette variance ´etant g´en´eralement inconnue,
nous recourons ici `a une approche pragmatique qui consiste `a appliquer trois fois de
suite une moyenne mobile centr´ee dâordre 3, apr`es avoir agr´eg´e la variable pour toutes
les esp`eces par classe de 0,1 TL. Cette m´ethode conduit `a r´epartir de mani`ere sym´etrique
la valeur de la variable sur 7 classes trophiques contigu¨es, selon une distribution proche
dâune loi normale (Fig. 3.5).
Fig.
3.5
â
Repr´esentation graphique de la succession de trois moyennes mobiles centr´ees dâordre 3
pour r´epartir de mani`ere sym´etrique la valeur de la variable dâint´erËet X, ici connue en TL = 2,4.
Les spectres trophiques de captures et de PPR sont construits pour toutes les ZPE
par p´eriodes de temps de 5 ans, suivant la disponibilit´e en donn´ees de captures. Dans
un premier temps, les spectres sont compar´es pour la p´eriode la plus r´ecente (1997-
2001) afin de d´ecrire les diff´erences de sch´emas dâexploitation entre ZPE. Les surfaces
des ZPE ´etant tr`es diff´erentes, les donn´ees de captures et de PPR sont rapport´ees `a la
surface totale de chaque ZPE (Tab. 3.2), estim´ee avec la fonction grdvolume de lâoutil
g´en´erique de cartographie (Generic Mapping Tool ; http ://gmt.soest.hawaii.edu/). Puis,
lâ´evolution temporelle des spectres est mise en parall`ele avec lâindice FIB, calcul´e pour
chaque ZPE, de mani`ere `a interpr´eter les tendances observ´ees.
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
153
Tab.
3.2 â
Tableau donnant les surfaces (km
2
) des zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE). Surface
prof <
1000
m
et surface
prof <
200
m
correspondent respectivement aux surfaces au-dessous desquelles la
profondeur est inf´erieure `
a 1000 m et `
a 200 m.
ZPE
Surface
tot
Surface
prof <
1000
m
Surface
prof <
200
m
Plateau islandais
375 000
267 000
107 000
Nord mer du Nord
329 000
318 000
244 000
Mer du Nord
386 000
386 000
386 000
Ouest ´
Ecosse-Irlande
2 921 000
413 000
174 000
Mer dâIrlande
52 000
52 000
52 000
Plateau celtico-gascon
564 000
348 000
312 000
R´egion ib´erique et des A¸cores
3 892 000
139 000
52 000
3.3.2
R´
esultats
3.3.2.1
Variabilit´
e spatiale
Les spectres trophiques des captures et de PPR montrent des sch´emas dâexploitation
diff´erents entre les zones, en termes de production et de niveaux trophiques captur´es
(Fig. 3.6 et 3.7). Le plateau islandais et les deux ZPE de mer du Nord pr´esentent des
niveaux de captures tr`es importants par rapport aux autres ZPE (Fig. 3.6a), les pics de
production pouvant atteindre entre 450 et 750 kg.km
â
2
pour des TL interm´ediaires, c.-`a-
d. compris entre 2,8 et 4. Les maxima de production, toutes ZPE confondues, sâobservent
pour ces trois zones et correspondent respectivement `a des TL ´egaux `a 3, 3,2 et 3,8. Les
spectres trophiques de captures de la mer du Nord et du nord de la mer du Nord sont
tr`es dissemblables, refl´etant `a la fois des esp`eces cibl´ees distinctes et des ´ecosyst`emes
sous-jacents de structure trophique diff´erente. La r´egion ib´erique et des A¸cores pr´esente
la production la plus faible, le maximum ´etant observ´e pour un TL de 3,6. Le plateau
celtico-gascon a une position interm´ediaire avec un pic de production sup´erieur `a 100
kg.km
â
2
autour de TL = 3,8 (Fig. 3.6b). La mer dâIrlande et lâOuest de lâ´
Ecosse et de
lâIrlande ont des spectres de captures assez proches et de mËeme ordre de grandeur, bien
quâils pr´esentent un d´ecalage dâenviron 0,2 TL et que des esp`eces de bas TL (principale-
ment des bivalves) soient captur´ees en mer dâIrlande (Fig. 3.6c). En r´esum´e, les zones de
pËeche ´ecosyst´emiques ont des profils de captures refl´etant des potentiels de production
et des sch´emas dâexploitation tr`es diff´erents. Les niveaux de captures sont les plus ´elev´es
pour les TL interm´ediaires (2,8-4,0) et sont rarement importants dans les hauts TL (
>
4), except´e le cas du plateau islandais (environ 150 kg.km
â
2
pour TL = 4,2-4,6), et dans
les bas TL, except´e en mer dâIrlande (environ 70 kg.km
â
2
pour TL = 2,1).
154
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
Fig.
3.6
â
Spectres trophiques des captures des zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE) pour la p´eriode
1997-2001.
Les spectres trophiques de PPR r´ev`elent des patrons diff´erents des spectres de captures
(Fig. 3.7). La r´e-expression de la production en terme de PPR modifie la forme des
spectres en attribuant beaucoup de
ÂŤ
poids
Âť
aux hauts TL (un facteur 10 `a chaque
niveau trophique), et peu aux faibles.
Fig.
3.7
â
Spectres trophiques de PPR des zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE) pour la p´eriode
1997-2001.
Le plateau islandais, la mer du Nord et le nord de la mer du Nord demeurent logiquement
les zones de plus forte PPR, avec des pics entre 30 et 45 gC.m
â
2
(Fig. 3.7a). N´eanmoins,
alors que le pic de captures pour le plateau islandais se situait autour de TL = 3,
notamment du fait des prises de capelan (
Mallotus villosus
), le pic de PPR est observ´e
pour les hauts niveaux trophiques (TL = 4,4 ; gadid´es). Les spectres des deux zones de
mer du Nord exprim´es en PPR apparaissent plus proches que les spectres de captures.
Le plateau celtico-gascon pr´esente un spectre caract´eris´e par trois modes relativement
proches les uns des autres, dont les PPR sont comprises entre 6 et 8,5 gC.m
â
2
(Fig. 3.7b).
Les PPR pour la r´egion ib´erique et des A¸cores et lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande, c.-
`a-d. les r´egions des eaux europ´eennes les plus oc´eaniques, sont faibles et proches de 0,5
`a 1,5 gC.m
â
2
pour toute la gamme de niveaux trophiques compris entre 2,8 et 5 (Fig.
3.7c). Bien que les captures des hauts niveaux trophiques soient g´en´eralement de faible
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
155
importance, ce sont g´en´eralement ces composantes de lâ´ecosyst`eme qui requi`erent la part
de la production primaire la plus ´elev´ee pour Ëetre produits.
3.3.2.2
´
Evolution temporelle
â˘
Niveau trophique moyen et indice FIB
Des tendances significativement d´ecroissantes du niveau trophique moyen sont observ´ees
pour le plateau islandais, la mer du Nord, lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande et la mer
dâIrlande sur toute la p´eriode (Fig. 3.8). Le nord de la mer du Nord montre ´egalement
une tendance significative `a la baisse lorsque la s´erie est consid´er´ee `a partir de 1990. Les
diminutions de TL sont dâenviron 0,01 TL par an soit 0,1 TL par d´ecennie. Le d´eclin
le plus important est observ´e pour la mer dâIrlande, le MTL passant de plus de 3,6 au
milieu des ann´ees 1970 `a moins de 3,0 pour les derni`eres ann´ees (Fig. 3.8c). Seuls la
r´egion ib´erique et des A¸cores et le plateau celtico-gascon ne montrent pas de tendance
dans le MTL, bien quâun d´eclin du MTL semble sâamorcer dans cette derni`ere zone au
cours des derni`eres ann´ees (Fig. 3.8b).
Fig.
3.8
â
´
Evolution temporelle du niveau trophique moyen des captures pour les zones de pËeche
´ecosyst´emiques (ZPE).
Lâabsence de phase dâaugmentation des indices FIB (Fig. 3.9) montre que le
d´eveloppement des pËecheries sâest op´er´e avant les ann´ees consid´er´ees dans lâ´etude, c.-
`a-d. disponibles via la base de donn´ees du CIEM. Cinq des sept ZPE pr´esentent des
tendances lin´eaires significativement d´ecroissantes du FIB. La diminution de lâindex est
particuli`erement marqu´ee dans le cas de la mer du Nord, du nord de la mer du Nord, et
de la mer dâIrlande. Elle pr´esente cependant pour la mer du Nord un changement amorc´e,
c.-`a-d. une tendance `a la hausse depuis 1991. `
A nouveau, seuls le plateau celtico-gascon
et la r´egion ib´erique et des A¸cores pr´esentent un indice FIB stable dans le temps et
proche de 0. Pour le plateau celtico-gascon, lâann´ee 1999 semble particuli`ere, le FIB pre-
nant une valeur de -0,3 contre 0,04 en 1998 (Fig. 3.9b). Toutes les pËecheries europ´eennes
156
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
apparaissent ainsi pleinement exploit´ees ou en phase de surexploitation au sens de lâin-
dice FIB : la baisse des captures dans les hauts niveaux trophiques nâest pas compens´ee
par un accroissement
ÂŤ
´equivalent
Âť
de captures dans les niveaux trophiques inf´erieurs.
Fig.
3.9
â
´
Evolution temporelle de lâindice Fishing-In-Balance (FIB) pour les zones de pËeche
´ecosyst´emiques (ZPE).
â˘
Spectres de captures et de PPR
Seules les ´evolutions temporelles des spectres de captures et de PPR du plateau celtico-
gascon et de la mer dâIrlande sont pr´esent´ees (Fig. 3.10). Le spectre des captures
du plateau celtico-gascon conserve une forme similaire entre 1987 et 2001, sugg´erant
une stabilit´e des captures et du diagramme dâexploitation `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme.
N´eanmoins, les captures pour les hauts TL (entre 4,2 et 4,8) ont diminu´e au cours de
cette p´eriode alors que la production pour les TL interm´ediaires a augment´e puis di-
minu´e (Fig. 3.10a). Ces modifications sont mieux observ´ees avec les spectres de PPR o`
u
deux pics se d´etachent dans les hauts TL (4,4 et 4,9), diminuant respectivement de 8,5 `a
6,7 gC.m
â
2
et de 10,4 `a 6,0 gC.m
â
2
au cours de la p´eriode (Fig. 3.10b). Cette diminution
de PPR est en partie compens´ee par lâaugmentation de 7,3 `a 8,6 gC.m
â
2
observ´ee pour
TL = 3,9.
La tendance d´ecroissante tr`es importante du FIB pour la mer dâIrlande sâexplique de
mani`ere d´etaill´ee via lâanalyse des spectres trophiques de captures et de PPR. Pour
la p´eriode 1973-1976, le spectre de captures a une forme similaire aux autres p´eriodes
mais pr´esente un pic de production tr`es ´elev´e pour TL = 3,8, correspondant au hareng
(
Clupea harengus
). La diminution importante de ce pic sur une p´eriode aussi courte
sugg`ere un changement de cible de la pËecherie, probablement en relation avec la ferme-
ture de la pËecherie de hareng de mer Celtique entre 1977 et 1982. `
A partir de 1976, le
spectre conserve une forme relativement similaire mais r´ev`ele une diminution progres-
sive des captures pour les trois modes correspondants aux TL ´egaux `a 3,8, 4,3, et 4,9,
parall`element `a une augmentation pour les niveaux trophiques compris entre 2,1 et 2,5
(Fig. 3.11a). Cette ´evolution temporelle est encore plus flagrante avec les spectres de
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
157
Fig.
3.10
â
´
Evolution temporelle des spectres de captures (a) et PPR (b) pour le plateau celtico-gascon
de 1987 `
a 2001.
PPR o`
u la diminution de PPR est tr`es importante pour les hauts niveaux trophiques
(TL = 4,9), la PPR passant de pr`es de 60 gC.m
â
2
au d´ebut des ann´ees 1980 `a environ
10 gC.m
â
2
pour la p´eriode la plus r´ecente (Fig. 3.11b). Cette diminution de PPR dans
les hauts TL nâest pas compens´ee pas lâaugmentation des captures pour les bas TL et
explique la tendance observ´ee du FIB.
Fig.
3.11
â
´
Evolution temporelle des spectres de captures (a) et PPR (b) pour la mer dâIrlande de
1973 `
a 2001.
3.3.3
Discussion
3.3.3.1
Spectres et niveaux trophiques
LâAEP appelle explicitement `a lâutilisation dâindicateurs pour ´evaluer les effets de la
pËeche sur les ´ecosyst`emes (Garcia et al., 2003 ; Chapitre 1). Dans ce contexte, Gascuel
et al. (2005) ont propos´e le spectre trophique comme repr´esentation graphique dâune
158
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
variable dâint´erËet le long dâun continuum de niveaux trophiques, correspondant aux
diff´erentes composantes dâun ´ecosyst`eme donn´e. Des approches relativement similaires
mais ne tenant pas compte de la variabilit´e interindividuelle des TL ont ´et´e utilis´ees
par dâautres auteurs (Pahl-Wostl, 1997 ; Pauly et al., 2001 ; Froese et al., 2001). Plus
r´ecemment, une m´ethode proche des spectres trophiques, mais repr´esentant la variable
dâint´erËet de mani`ere cumul´ee, a ´egalement ´et´e appliqu´ee dans le Golfe du Mexique par
Sosa-L´opez et al. (2005).
La technique de lissage est une approche pragmatique permettant de r´epartir les cap-
tures (ou la PPR) sur une gamme de niveaux trophiques autour dâune valeur moyenne,
suivant la variabilit´e escompt´ee du r´egime dâune esp`ece donn´ee. En r´ealit´e, la r´epartition
est cens´ee repr´esenter la variabilit´e interindividuelle du TL, non pas pour une esp`ece,
mais pour lâensemble des esp`eces dont le TL a ´et´e affect´e `a une valeur moyenne iden-
tique. Le recours `a un formalisme math´ematique plus rigoureux, bas´e sur la sp´ecification
dâune loi de distribution dont lâ´ecart type exprimerait la variabilit´e interindividuelle du
TL, constituerait une ´etape suppl´ementaire dans lâoptique de lâutilisation des spectres
trophiques comme indicateurs. Lâestimation de cette variabilit´e pourrait notamment
sâappuyer sur la litt´erature grandissante portant sur les applications des m´ethodes iso-
topiques en milieu marin (Jennings et al., 2001a, 2002c ; Pinnegar et al., 2002 ; Le Locâh
et Hily, 2005). La relation entre moyenne et ´ecarts types des niveaux trophiques es-
tim´es par isotopes stables devrait permettre de sâaffranchir de lâhypoth`ese peu r´ealiste
dâune variabilit´e interindividuelle du TL constante, comme le suppose la technique de
lissage requise pour la construction des spectres. N´eanmoins et compte tenu du manque
dâ´etudes portant sur la variabilit´e du niveau trophique (nous y reviendrons en section
3.5), cette m´ethode apparaËÄąt pour le moment satisfaisante, les diff´erences entre spectres
nâ´etant probablement pas d´ependantes de la technique de lissage de r´epartition utilis´ee.
La repr´esentation graphique du spectre renvoie ´egalement `a la question de lâestima-
tion des niveaux trophiques moyens assign´es aux esp`eces et suppos´es constants dans le
temps et lâespace. En particulier, les TL de FishBase sont estim´es `a partir de contenus
stomacaux pouvant provenir de diverses sources et sont parfois issus dâun faible nombre
dâ´echantillons (cf. Technique de bootstrap du logiciel Trophlab, Froese et Pauly, 2000).
Ces estimations dâun TL moyen attribu´e au niveau mondial `a chaque esp`ece masquent
ainsi la variabilit´e spatiale et temporelle du r´egime alimentaire des poissons, pourtant
caract´eris´es par un comportement opportuniste remarquable (p. ex. Shin, 2000). Les TL
de FishBase ne mettent ´egalement pas en ´evidence les modifications de TL li´ees `a des
changements ontog´eniques pouvant sâop´erer au cours de la vie des poissons (Section 3.5).
Par contraste avec les donn´ees de contenus stomacaux ne repr´esentant que des
ÂŤ
images
instantan´ees
Âť
de la position dâun individu dans le r´eseau trophique, les valeurs de TL
estim´ees par isotopes stables constituent des variables int´egr´ees sur une p´eriode de temps
plus longue, de lâordre de lâann´ee (Post, 2002), et semblent donc plus adapt´ees pour les
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
159
spectres trophiques. Bien que les tailles dâ´echantillons demeurent g´en´eralement faibles
(p. ex. Pinnegar et al., 2002), des valeurs de TL pour diff´erentes tailles de poissons en
mer du Nord et dans le Golfe de Gascogne sont aujourdâhui disponibles (Jennings et al.,
2002a ; Le Locâh et Hily, 2005). En d´epit de ces consid´erations, la forme des spectres
trophiques apparaËÄąt relativement peu sensible aux TL utilis´es (isotopes vs. FishBase),
bien que des d´ecalages des modes le long des TL puissent se produire (r´esultats non
pr´esent´es). Des analyses comparatives ont en effet montr´e des corr´elations fortes entre
les estimations de TL issues des deux m´ethodes (Vander Zanden et al., 1997 ; Kline et
Pauly, 1998 ; Davenport et Bax, 2002 ; Pinnegar et al., 2003a). Les spectres de captures
et de PPR ont principalement ´et´e employ´es ici comme outils graphiques, dans lâoptique
de d´ecrire qualitativement les grands sch´emas dâexploitation entre ZPE et leur ´evolution
au cours du temps. Parall`element, des m´ethodes quantitatives permettant de mettre en
´evidence des diff´erences significatives entre spectres ont ´et´e d´evelopp´ees (Laurans et al.,
2004 ; Bozec et al., 2005). Dâautres m´etriques associ´ees `a des points de r´ef´erence, telles
que la gamme de TL, le nombre de modes et la pente du spectre, pourraient consti-
tuer des points de d´epart afin de compl´eter lâapproche pr´esent´ee. Le d´eveloppement de
ces m´etriques devra se faire en suivant les diff´erents crit`eres ´etablis par Rice et Rochet
(2005) (Section 1.4.2).
3.3.3.2
Potentiels dâexploitation dans les bas TL
Lâexploitation des eaux europ´eennes ´etant tr`es ancienne, les spectres trophiques per-
mettent ainsi de d´ecrire, `a travers les profils de captures, le type de s´electivit´e trophique
mis en Ĺuvre par les pËecheries, c.-`a-d. quels niveaux trophiques sont exploitables au sein
des ´ecosyst`emes europ´eens. La variabilit´e spatiale observ´ee laisse supposer des diff´erences
importantes dans les gammmes de TL cibl´es et dans les potentiels de production entre
ZPE. Les hauts niveaux trophiques (TL
>
4) utilisent le plus de production primaire en
Europe, mais les plus fortes productions halieutiques proviennent des TL interm´ediaires
(3-4). Il existe actuellement peu dâesp`eces exploit´ees (et exploitables ? !) dans les bas
TL (2-3) bien que ces niveaux puissent offrir des potentiels naturels de production tr`es
´elev´es (biomasses importantes, m´etabolisme ´elev´e). Les diff´erences spatiales marqu´ees
entre les ZPE en termes de potentiels de captures, notamment dans les bas niveaux tro-
phiques, sugg`erent ainsi des degr´e diff´erents de r´esistance `a la pËeche, au sens de lâindice
FIB. Selon les ZPE consid´er´ees, les diminutions de captures constat´ees dans les hauts
TL pourront, ou non, Ëetre compens´ees par des augmentations de captures dans les TL
interm´ediaires ou faibles. Le faible potentiel dâexploitation actuel dans les bas niveaux
trophiques sugg`ere cependant quâil existe des risques importants de surexploitation `a
lâ´echelle des ´ecosyst`emes. Ceci pourrait changer `a moyen ou long terme selon que les
160
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
bas niveaux trophiques deviennent exploitables pour des raisons technologiques et/ou
´economiques.
3.3.3.3
Des signes de surexploitation
Les d´eclins du niveau trophique moyen des captures observ´es pour la plupart des ZPE
sugg´erent que les pËecheries ciblent progressivement des esp`eces plac´ees plus bas dans la
chaËÄąne trophique, certainement du fait de la surexploitation des poissons de haut TL.
Les diminutions sont proches des ordres de grandeurs estim´es par Pauly et al. (1998) `a
lâ´echelle mondiale, d´epassant mËeme souvent un taux de -0,1 TL par d´ecennie. Lâ´evolution
temporelle du FIB confirme les tendances observ´ees via le niveau trophique moyen des
captures et indique que la majorit´e des ZPE pr´esentent une tendance `a la baisse, c.-
`a-d. que la surexploitation des hauts niveaux trophiques entraËÄąnant progressivement
des diminutions de captures nâest pas compens´ee `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme par une
augmentation des captures des niveaux inf´erieurs. La diminution du FIB est interpr´et´ee
comme la traduction dâune modification de la structure trophique de lâ´ecosyst`eme et
dâune alt´eration de son fonctionnement (Cury et al., 2005b ; Pauly et Watson, 2005).
Le suivi des spectres trophiques de captures et de PPR dans le temps apporte de lâinfor-
mation compl´ementaire au trac´e du MTL et du FIB en d´ecrivant les modifications ayant
eu lieu au sein des ZPE. Le plateau celtico-gascon pr´esente une relative stabilit´e de la
production dans le temps, en termes dâimportance et de TL des captures, engendrant
un FIB relativement constant et proche de 0. Ceci sâexplique par des niveaux de PPR
globalement similaires entre les groupes trophiques captur´es, la l´eg`ere diminution des
hauts TL correspondant `a une augmentation quasi-´equivalente des TL interm´ediaires
en termes de PPR. En revanche, ces ph´enom`enes de compensation ne sâobservent pas
pour la mer dâIrlande o`
u la diminution du FIB est particuli`erement marqu´ee et du
mËeme ordre de grandeur que celle observ´ee par Pauly et al. (2000) pour lâAtlantique
nord-ouest. Dans cette ZPE, les spectres montrent que la diminution continue des TL
hauts et interm´ediaires nâest pas contrebalanc´ee par lâaugmentation des captures dans
les bas TL, et sugg`erent quâun ph´enom`ene de surexploitation est en train de sâop´erer
`a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme. Les diminutions du FIB sont moins accentu´ees sur le pla-
teau islandais, vraisemblablement du fait des captures de capelan (
Mallotus villosus
)
qui demeurent pour lâinstant tr`es ´elev´ees, et dans lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande
grËace au d´eveloppement de la pËecherie de merlan bleu (
Micromesistius poutassou
), des-
tin´e `a la fabrication de surimi. De mËeme, le d´eveloppement des pËecheries minoti`eres
ciblant le lan¸con (
Ammodytes spp.
) explique une grande part de la remont´ee du FIB
en mer du Nord, observ´e depuis le d´ebut des ann´ees 1990. La relative r´esistance `a la
surexploitation semble donc souvent li´ee `a quelques esp`eces particuli`eres et tr`es produc-
3.3 D´
ecrire les ZPE par des indicateurs ´
ecosyst´
emiques
161
tives, g´en´eralement de TL interm´ediaire. Leur exploitation pourrait cependant acc´el´erer
le d´eclin des poissons de hauts TL car ces esp`eces fourrages peuvent constituer une part
essentielle de leur r´egime (Adlerstein et Welleman, 2000 ; Carscadden et al., 2001). Ces
questions se posent actuellement en mer du Nord o`
u un conflit oppose les pËecheurs de
morue aux pËecheries industrielles de lan¸con, ces derni`eres ´etant accus´ees dâËetre en partie
responsables de lâ´etat de surexploitation du stock de morue.
3.3.3.4
Caract´
eristiques des
ÂŤ
ZPE du Finist`
ere
Âť
Le plateau celtico-gascon correspond `a la zone dâo`
u provient la majeure partie des cap-
tures finist´eriennes. Il est caract´eris´ee par des niveaux de captures de lâordre de 1 t.km
â
2
et de production primaire requise de lâordre de 50 gC.m
â
2
.an
â
1
, ce qui la situe approxi-
mativement dans la moyenne des ZPE consid´er´ees. Le niveau trophique moyen des cap-
tures, apr`es une p´eriode de relative stabilit´e entre 1985 et 1998, pr´esente une diminution
`a partir de 1999. Cette modification de la composition des captures se retrouve au niveau
de lâindice FIB, dont les valeurs proches de 0 tout au long de la p´eriode sont marqu´ees
par une nette diminution en fin de p´eriode consid´er´ee. Lâann´ee 1999 est caract´eris´ee par
une forte diminution des captures totales, qui passent dâune moyenne annuelle de lâordre
de 485 000 tonnes entre 1993 et 1998, `a moins de 285 000 tonnes. Les prises importantes
de chinchard (
Trachurus trachurus
) et de maquereau (
Scomber scombrus
) en 1999 ne
permettent pas de compenser la diminution des captures de plusieurs esp`eces, dont le
merlan. Cette esp`ece repr´esente environ 5% des captures mais jusquâ`a 30% de la PPR,
compte tenu de son niveau trophique ´elev´e (TL = 4,94). Alors que les captures des
niveaux trophiques interm´ediaires (3,6-4,1) compensaient la diminution dans les hauts
niveaux trophiques (TL
>
4) pour la p´eriode 1992-1996, ceci pouvant Ëetre ´eventuellement
li´e `a un effet top-down, tout se passe comme si ces niveaux interm´ediaires commen¸caient
´egalement `a Ëetre surexploit´es pendant la derni`ere p´eriode. Il y a alors une diminution de
leur production, et par cons´equent de lâindice FIB. Le plateau celtico-gascon qui consti-
tue une des ZPE les moins affect´ees par lâexploitation au sens des indicateurs utilis´es,
montre donc en fin de p´eriode consid´er´ee des signes avant-coureurs indiquant un possible
impact de la pËeche `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme sous-jacent.
Lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande est caract´eris´e par une production moyenne dâenviron
0,5 t.km
â
2
et une PPR dâenviron 15 gC.m
â
2
.an
â
1
. Ces valeurs sont plus faibles que pour
le plateau celtico-gascon et masquent en r´ealit´e de grandes h´et´erog´en´eit´es au sein de
cette zone, entre la partie du plateau continental qui apparaËÄąt tr`es productive, et lâoc´ean
ouvert beaucoup plus pauvre (sous-division CIEM XII). Par rapport au plateau celtico-
gascon, cette ZPE pr´esente une diminution significative du niveau trophique moyen
des captures et de lâindice FIB, associ´ee `a une augmentation importante des captures
162
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
totales depuis 1991. Ces tendances sont principalement dues `a la pËecherie de merlan
bleu (
Micromesistius poutassou
; TL = 3,14), localis´ee dans les sous-divisions VIa-b et
VIIb-c, dont la production est pass´ee de 400 000 tonnes environ en 1987 `a 800 000 tonnes
en moyenne sur la p´eriode 1997-2001. Apr`es avoir stagn´e `a environ 30% des captures
totales r´ealis´ees au sein de la ZPE de 1978 `a 1991, la part du merlan bleu nâa fait que
croËÄątre pour atteindre 60% de la production en 2001. Aussi, lâaugmentation des captures
de merlan bleu explique la diminution du niveau trophique moyen des captures. Elle
refl`ete dans ce cas plus directement une demande croissante pour le march´e de surimi,
que de r´eels changements dans lâ´ecosyst`eme pouvant Ëetre imput´es `a la pËeche. N´eanmoins,
il est important de souligner que la diminution de lâindice FIB est en r´ealit´e amoindrie
par lâaugmentation des captures de merlan bleu. Celle-ci ne suffit pas pour compenser
les d´eclins de production qui touchent `a la fois des esp`eces de gadid´es telles que la morue
(
Gadus morhua
), lâ´eglefin (
Melanogrammus aeglefinus
), le lieu noir (
Pollachius virens
),
et de p´elagiques comme le maquereau (
Scomber scombrus
), le chinchard (
Trachurus
trachurus
) et le hareng (
Clupea harengus
). Lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande apparaËÄąt
ainsi comme une ZPE o`
u des modifications importantes de la composition des captures
ont eu lieu au cours des vingt derni`eres ann´ees, sugg´erant des changements importants
de la structure trophique de lâ´ecosyst`eme.
3.3.4
Conclusion
Les spectres trophiques apparaissent compl´ementaires du niveau trophique moyen des
captures (MTL) et de lâindice FIB pour d´ecrire les changements de captures ´etant surve-
nus au cours du temps, qui peuvent notamment r´ev´eler des modifications importantes de
la structure trophique des ´ecosyst`emes sous-jacents. En Europe, la majorit´e des zones
de pËeche ´ecosyst´emiques pr´esentent un d´eclin des valeurs pour ces deux indicateurs,
qui pourrait sugg´erer d`es `a pr´esent des ph´enom`enes de surexploitation ´ecosyst´emique.
La grande proportion de biomasse inexploitable actuellement dans les bas niveaux tro-
phiques, ainsi que leur faible valeur marchande (Pinnegar et al., 2002), entraËÄąnera en
effet syst´ematiquement une chute du FIB en cas de surexploitation des populations
commerciales dâint´erËet majeur de haut niveau trophique. La mise en place dâune ges-
tion centr´ee sur des indicateurs devra notamment passer par la d´efinition de points de
r´ef´erence seuils ou limites pour les indices MTL et FIB. Les valeurs de r´ef´erence devront
Ëetre fix´ees au cas par cas, compte tenu de la sp´ecificit´e de chaque ´ecosyst`eme et des
sch´emas dâexploitation les caract´erisant.
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
163
3.4
Sp´
ecifier une direction de surexploitation par
analyse multivari´
ee
La section 3.2 a introduit le concept de
ÂŤ
zone de pËeche ´ecosyst´emique
Âť
, correspondant `a
de grandes unit´es g´eographiques caract´eris´ees par des sch´emas dâexploitation diff´erents.
Dans cette section et en compl´ement de la section 3.3 `a vocation descriptive, nous nous
proposons de comparer ces zones via un ensemble dâindicateurs mesurant certaines de
leurs propri´et´es. Peu dâanalyses comparatives sont conduites `a cette ´echelle, bien que ce
type dâapproche puisse se r´ev´eler utile pour appr´ehender des patrons g´en´eraux et ´eviter
les ´ecueils li´es `a lâanalyse dâun ´ecosyst`eme particulier (De Leiva Moreno et al., 2000). A
lâ´echelle de lâEurope et tout comme pour la d´elimitation des ZPE, des difficult´es associ´ees
`a la collecte et `a la synth`ese de donn´ees pour les diff´erents ´ecosyst`emes consid´er´es se
posent. Des donn´ees de captures et de production primaire sont de nouveau utilis´ees
pour le calcul des indicateurs. Diff´erentes ´etudes ont en effet r´ev´el´e lâint´erËet de ce type
de donn´ees pour quantifier le potentiel dâexploitation et mettre en ´evidence lâimpact de
la pËeche sur les ´ecosyst`emes (Caddy et al., 1995 ; Pauly et al., 998a ; Cury et al.,
2005a).
3.4.1
Mat´
eriel et m´
ethodes
3.4.1.1
Donn´
ees de captures et de production primaire
Les donn´ees de captures et de niveaux trophiques sont identiques `a celles utilis´ees dans
la section 3.3. La productivit´e primaire
3
est calcul´ee `a partir dâun mod`ele de r´esolution
en longueur dâonde et profondeur pour la p´eriode de 1997 `a 2001 (M´elin, 2003). Le
mod`ele suit pour lâessentiel les principes expos´es par Platt et Sathyendranath (1988),
impl´ement´es `a lâ´echelle du globe par Longhurst et al. (1995). Les param`etres photo-
synth´etiques de la courbe lumi`ere-photosynth`ese et la structure du profil vertical de
chlorophylle sont d´efinis sur la base de provinces biog´eographiques (Longhurst, 1998).
Les calculs sont r´ealis´es en utilisant des cartes mensuelles mondiales de concentration
en chlorophylle
a
fournies comme produits SeaWifs par le Goddard Space Flight Center
(NASA). La production primaire (PP), estim´ee `a partir des cartes de chlorophylle
a
, est
ensuite moyenn´ee pour chaque sous-division CIEM et chaque ann´ee de 1997 `a 2001 (Fig.
3.12). Les diff´erences de PP entre sous-divisions sont en effet sup´erieures `a la variabilit´e
interannuelle de chaque sous-division qui est faible (
<
5%).
3
Ce travail a ´et´e men´e en collaboration avec Fr´ed´eric M´elin et Nicolas Hoeppfner du Joint Research
Centre dâIspra, Italie, dont les activit´es de recherche portent principalement sur le traitement des
donn´ees
ÂŤ
couleur de lâeau
Âť
.
164
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
Fig.
3.12
â
Moyenne annuelle de productivit´e primaire estim´ee pour la p´eriode 1997-2001 dans les
sous-divisions CIEM.
3.4.1.2
Une s´
election dâindicateurs
Un jeu dâindicateurs ´ecosyst´emiques est calcul´e `a partir des donn´ees de captures du
CIEM et des estimations de productivit´e primaire, de mani`ere `a d´ecrire certaines des
propri´et´es majeures des ZPE pr´ec´edemment d´efinies (Tab. 3.3) :
â˘
La production primaire, estim´ee pour chaque ZPE est suppos´ee constante au cours
du temps et ´egale `a la moyenne pour la p´eriode 1997-2001,
â˘
La production halieutique a ´et´e quantifi´ee par les d´ebarquements en tonnes de poids
frais par unit´e de surface. Par convention, nous utilisons lâensemble de la surface des
zones pour les d´ebarquements totaux et de p´elagiques, alors que les d´emersaux et
les bivalves sont exprim´es respectivement en fonction des isobathes 1000 m et 200 m
(Tab. 3.2). Ce choix de partition bathym´etrique sâexplique pour les raisons suivantes.
Les esp`eces p´elagiques peuvent Ëetre exploit´ees nâimporte o`
u dans les zones de pËeche.
En revanche, les esp`eces d´emersales sont g´en´eralement d´ependantes de la pr´esence
dâun plateau continental et sont principalement captur´ees `a une profondeur inf´erieure
`a 1000 m. Finalement, les d´ebarquements de bivalves proviennent majoritairement des
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
165
eaux cËoti`eres et les gisements de coquillages se trouvent rarement `a une profondeur
exc´edant 200 m,
â˘
La production primaire requise (PPR) pour soutenir les pËecheries (Pauly et Christen-
sen, 1995 ; Section 1.4.2.1) est estim´ee en assumant une efficacit´e trophique moyenne
de 12,5% (Ware, 2000), suppos´ee constante entre chaque niveau trophique et au sein
de la zone dâ´etude. En r´ealit´e, une PPR
ÂŤ
locale
Âť
est estim´ee en ne consid´erant que les
captures des esp`eces d´emersales et benthiques (voir le ratio P/D), c.-`a-d. r´esidentes,
et en excluant toutes les esp`eces p´elagiques, une part importante de leur biomasse
pouvant Ëetre produite hors de la zone de pËeche.
â˘
Sur la p´eriode 1997-2001, la proportion de production primaire utilis´ee par la pËeche (ra-
tio PPR/PP) est calcul´ee comme un index global dâexploitation des esp`eces d´emersales
et benthiques,
â˘
La diversit´e des captures est exprim´ee en fonction de la richesse sp´ecifique (SR) qui
donne le nombre dâesp`eces captur´ees et lâ´equitabilit´e (E) qui refl`ete la possible domi-
nance de quelques esp`eces dans les captures,
â˘
Le niveau trophique moyen des captures (MTL ; Section 1.4.2.1) indique quel niveau
du r´eseau trophique est exploit´e par les pËecheries,
â˘
Le ratio P/D est calcul´e comme le ratio des captures de petits p´elagiques sur les prises
dâesp`eces d´emersales et benthiques (Caddy et al., 1998). Ce ratio est consid´er´e comme
un index de productivit´e planctonique dans les ´ecosyst`emes marins semi-ferm´es (De
Leiva Moreno et al., 2000). Câest ´egalement un indicateur des effets de la pËeche, qui
refl`ete une diminution attendue de la proportion de poissons piscivores comme r´esultat
de la pËeche (Rochet et Trenkel, 2003). Les cat´egories de comportement alimentaire
sont attribu´ees selon la classification de FishBase (Froese et Pauly, 2000). Suivant De
Leiva Moreno et al. (2000), les petites esp`eces majoritairement planctivores comme les
lan¸cons (
Ammodytes spp.
) sont inclues dans la cat´egorie petits p´elagiques alors que les
p´elagiques moyens (p. ex.
Trachurus trachurus
) en sont exclus. De la mËeme mani`ere,
les bivalves, les poissons anadromes, catadromes et les grands p´elagiques, ainsi que les
grandes cat´egories de poissons ne sont pas pris en compte dans le calcul du ratio P/D.
Tous les indices sont moyenn´es sur des p´eriodes de 4 ou 5 ans de 1973 `a 2001, suivant la
disponibilit´e en donn´ees. Ceci permet de r´eduire la variabilit´e interannuelle potentielle-
ment ´elev´ee des indicateurs, afin de rechercher des patrons g´en´eraux et des changements
globaux dans le temps. Par ailleurs, le degr´e dâinstabilit´e pour chaque p´eriode de temps
est estim´e par un index de variabilit´e interannuelle calcul´e pour tous les indicateurs
except´e la PP, dont la variabilit´e interannuelle nâest connue que sur la p´eriode r´ecente
1997-2001. Cet index est la variation relative de la valeur de lâindicateur pour une ann´ee
donn´ee relativement `a la valeur de lâindicateur calcul´e `a partir dâune moyenne mobile
sur 5 ans :
166
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
V X
t
=
X
t
â
X
t
â
2
, t
+2
X
t
â
2
, t
+2
(3.1)
o`
u VX
t
est la variabilit´e de lâindicateur X pour lâann´ee t et
X
t
â
2
, t
+2
est la valeur de la
moyenne mobile pour lâann´ee t.
La moyenne de cet index pour une p´eriode donn´ee quantifie ainsi le degr´e dâinstabilit´e
de lâindicateur correspondant, et ne tient pas compte dâune composante de variabilit´e
li´ee `a une tendance dans la s´erie. Les indices de variabilit´e d´ecrivent lâampleur et la
nature des changements affectant les captures au cours du temps. Ces indicateurs dans
le cas des captures sont notamment consid´er´es comme des indices de perturbations des
syst`emes puisque les stocks surexploit´es tendent g´en´eralement `a pr´esenter des variations
interannuelles plus grandes des captures et des recrutements (Cushing, 1982 ; Murawski,
2000).
3.4.1.3
Analyse en composantes principales
Les indicateurs sont utilis´es comme variables dans une analyse en composantes prin-
cipales centr´ee r´eduite (ACP ; Hotelling (1933) cit´e par Legendre et Legendre (1998))
afin de r´esumer le nombre de dimensions multivari´ees `a un plus faible nombre de com-
binaisons lin´eaires expliquant la plus grande variance. Dans cette analyse, les individus
statistiques actifs sont les ZPE*p´eriodes moyenn´ees sur les p´eriodes suivantes : 1987-
1991, 1992-1996 et 1997-2001 (n = 21). Lâann´ee 1987 (1989 dans le cas dâune des ZPE)
est choisie comme ann´ee initiale pour lâanalyse car les donn´ees de captures ne sont
pas disponibles pour plusieurs sous-divisions CIEM avant cette p´eriode. Ceci permet
´egalement dâ´eviter des biais possibles qui seraient dus `a des changements importants
de la fiabilit´e des donn´ees de captures pour les premi`eres ann´ees de collecte statistique
(d´ebut des ann´ees 1970). Les individus statistiques pour les ann´ees pr´ec´edant 1987 sont
n´eanmoins conserv´es comme individus illustratifs (n = 15).
Les variables actives consid´er´ees dans lâanalyse incluent les 9 indices pr´esent´es
pr´ec´edemment (Tab. 3.3) ainsi que leur composante de variabilit´e. La PP, le ratio
PPR/PP, les captures totales et leur composante de variabilit´e sont d´efinies comme
variables illustratives car nous ne disposons pas de toutes les ann´ees pour la PP et le
ratio PPR/PP, et que les larges diff´erences de surface totale entre zones biaisent les
valeurs de captures agr´eg´ees par km
2
de surface totale. Aussi, chaque individu est d´ecrit
par 18 variables actives (9 moyennes, 9 variabilit´es) et 4 variables illustratives. Toutes les
variables continues sont par ailleurs cod´ees en modalit´es afin dâaider `a lâinterpr´etation
des composantes principales. En effet, le logiciel SPADN caract´erise chaque modalit´e par
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
167
une valeur test. Ces valeurs tests sont statistiquement significatives lorsque leur valeur
absolue est sup´erieure `a 2 (Lebart et al., 1997).
Tab.
3.3 â
Indicateurs utilis´es comme variables dans lâanalyse en composantes principales et acro-
nymes correspondants.
Indicateur
Acronyme
Variable
Production de d´emersaux
Y
dem
Active
Production de petits p´elagiques
Y
pel
Active
Production de moyens et gros p´elagiques
Y
LM P
Active
Production de bivalves
Y
bivalves
Active
Niveau trophique moyen
MTL
Active
Richesse sp´ecifique
SR
Active
´
Equitabilit´e
E
Active
Ratio pelagique-d´emersal
P/D
Active
Production primaire requise
PPR
Active
Production primaire
PP
Illustrative
Ratio PPR/PP
PPR/PP
Illustrative
Production totale
Y
tot
Illustrative
En premier lieu, tous les individus statistiques de chaque ZPE, correspondant aux
diff´erentes p´eriodes de temps, sont positionn´es dans le premier plan factoriel et connect´es
`a leur centre de gravit´e (moyenne des p´eriodes de chaque ZPE), afin de visualiser
la gamme possible de valeurs prises dans le plan et de d´ecrire et comparer leurs ca-
ract´eristiques r´ecentes. Ceci permet ´egalement de mettre en ´evidence quelles ZPE sont les
plus variables dans le temps, sur la base des indicateurs consid´er´es. Le premier plan fac-
toriel est d´efini `a partir de lâensemble multidimensionnel de valeurs des indicateurs prises
par les ZPE pour la p´eriode de 1987 `a 2001. Dans une deuxi`eme ´etape, les contrastes
spatiaux et temporels existant entre les ZPE sont utilis´es pour appr´ehender la variabilit´e
temporelle de chaque ZPE sur lâint´egralit´e de la p´eriode ´etudi´ee. La trajectoire de chaque
zone dans le temps est ainsi trac´ee de mani`ere `a analyser leur ´evolution temporelle.
3.4.2
R´
esultats
3.4.2.1
Caract´
eriser les ZPE par des indicateurs estim´
es `
a partir de donn´
ees
de captures
Les ZPE pr´esentent des niveaux diff´erents de production primaire et des caract´eristiques
vari´ees dâexploitation au regard des indicateurs consid´er´es (Fig. 3.13). Pour la p´eriode
168
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
1997-2001, la production primaire prend des valeurs allant de plus de 400 gC.m
â
2
.y
â
1
pour la mer du Nord et la mer dâIrlande `a environ 200 gC.m
â
2
.y
â
1
pour les zones
plus occidentales et moins cËoti`eres incluant le plateau islandais, lâouest de lâ´
Ecosse et
de lâIrlande, et la r´egion ib´erique et des A¸cores (Fig. 3.13a). Assez logiquement, les
ZPE peu profondes apparaissent comme les zones les plus productives dâEurope alors
que les zones comprenant une large partie oc´eanique sont moins productives. Il est
important de mentionner que la grande dimension de certaines ZPE peut masquer de
forts gradients spatiaux de PP, de lâupwelling ib´erique au plein oc´ean Atlantique par
exemple. De mËeme, les moyennes interannuelles de PP effacent les cycles saisonniers,
particuli`erement marqu´es dans le cas des r´egions de haute latitude.
Fig.
3.13
â
Histogrammes de (a) la production primaire (b) du ratio PPR/PP (c) de la production
halieutique (d) de la variabilit´e interannuelle des captures totales de poisson, pour la p´eriode 1997-2001.
La production par cat´egorie de poisson est estim´ee pour la surface totale de chaque ZPE : bivalves (gris
clair), demersaux (gris fonc´e), petits p´elagiques (noir), grands et moyens p´elagiques (blanc).
Le ratio PPR/PP estim´e pour les esp`eces d´emersales et benthiques souligne quâune
part tr`es importante de la production primaire est utilis´ee par les pËecheries du plateau
islandais (54%) et du nord de la mer du Nord (31%) (Fig. 3.13b). Dans les autres ZPE,
le ratio varie de 10% pour la mer du Nord `a moins de 5% pour la r´egion ib´erique et des
A¸cores. Ceci peut sâexpliquer par la faible proportion de la surface totale repr´esent´ee par
le plateau continental de cette r´egion, o`
u les pËecheries d´emersales op`erent. Sur la mËeme
p´eriode, la production totale halieutique a avoisin´e 4 t.km
â
2
au nord de la mer du Nord,
en mer du Nord et sur le plateau islandais, qui pr´esentent des captures importantes de
petits p´elagiques. Par opposition, les esp`eces d´emersales dominent dans les autres ZPE
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
169
dont la production varie de 1.24 t.km
â
2
pour la mer dâIrlande `a moins de 0.15 t.km
â
2
dans la r´egion ib´erique et des A¸cores (Fig. 3.13c). La production totale semble ainsi
pour partie li´ee aux cat´egories de poissons pËech´ees, qui refl`etent les ´ecosyst`emes sous-
jacents. Les diff´erences entre ZPE sont par ailleurs illustr´ees par lâindex de variabilit´e
interannuelle de la production totale, qui varie entre 3% pour le nord de la mer du Nord,
caract´erisant une production tr`es stable dâune ann´ee `a lâautre, `a plus de 10% pour la
mer dâIrlande, le plateau islandais et le plateau celtico-gascon (Fig. 3.13d). Ceci montre
encore que les syst`emes sont soumis `a des sch´emas dâexploitation distincts et sugg`ere
quâils puissent r´epondre diff´eremment `a la pression de pËeche.
3.4.2.2
Des constrates spatiaux importants
Les trois premiers axes de lâACP expliquent 62% de la variance. La premi`ere compo-
sante principale (27,6% de la variance) oppose les zones de faible diversit´e (richesse et
´equitabilit´e), de production importante en petits p´elagiques (plateau islandais ; valeur
test = 3,1), aux zones tr`es diversifi´ees de faible production halieutique et de haute va-
riabilit´e de la composante d´emersale des captures (plateau celtico-gascon ; valeur test =
-2,4) (Fig. 3.14). Les ZPE ayant des coordonn´ees positives sur le premier axe pr´esentent
une production totale significativement plus haute que les autres zones, domin´ee par
quelques esp`eces p´elagiques et des captures d´emersales stables dans le temps (valeur
test
>
2). Ces ZPE sont caract´eris´ees par des indices PPR/PP et P/D ´elev´es, une PPR
moyenne et un faible niveau trophique moyen des captures, variable dans le temps. La
production totale est logiquement et significativement corr´el´ee avec la PPR (r
2
= 0,69 ;
p
<
0,001) et la production de petits p´elagiques (r
2
= 0,87 ; p
<
0,001), ainsi quâavec le
ratio P/D (r
2
= 0,42 ; p
<
0,005).
Fig.
3.14
â
Repr´esentation graphique des variables dans le premier plan factoriel (a) Variables actives
(b) Variables illustratives. Toutes les variables sont pr´esent´ees dans le tableau 3.3.
170
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
La deuxi`eme composante principale (19,0% de la variance) oppose le nord de la mer
du Nord (valeur test = 2,3) `a la mer dâIrlande (valeur test = -3,7). Les ZPE ayant des
valeurs positives sur cet axe sont caract´eris´ees par des captures ´elev´ees de d´emersaux et
de grands et moyens p´elagiques, des valeurs de PPR et PPR/PP ´elev´ees et des niveaux
trophiques moyens ´elev´es et stables (VT
>
2). A lâoppos´e, les zones de pËeche avec des
coordonn´ees n´egatives sur le second axe pr´esentent une faible production halieutique
compos´ee dâesp`eces de bas niveaux trophiques exploit´ees `a des niveaux de production
´equivalents entre eux, une production primaire ´elev´ee, un faible ratio P/D et un faible ra-
tio PPR/PP, traduisant un bas degr´e dâutilisation de la production primaire du syst`eme.
Le troisi`eme axe (15,7% de la variance) non pr´esent sur les figures est moins ais´e `a in-
terpr´eter mais se rapporte principalement `a la variabilit´e interannuelle de lâ´equitabilit´e
et de la richesse sp´ecifique, ce qui traduit des changements de compositions des captures
et de dominance dâesp`eces particuli`eres. Cet axe oppose la mer du Nord (valeur test =
2,3) dont la diversit´e des captures est stable, au nord de la mer du Nord (VT = -2,4)
caract´eris´e par des changements importants de composition sp´ecifique des captures au
cours du temps.
Suivant lâinterpr´etation des axes pr´esent´ee pr´ec´edemment, la position dâune ZPE dans le
plan donne une image globale de ses caract´eristiques en termes dâexploitation. Lâanalyse
concernant la p´eriode 1997-2001 permet de comparer les zones (Fig. 3.15).
Le plateau islandais et la mer du Nord sont tr`es productifs avec des captures domin´ees
par quelques esp`eces et un ratio PPR/PP ´elev´e, sugg´erant quâelles figurent parmi les
zones de pËeche les plus exploit´ees dâEurope (Fig. 3.15a). La production halieutique im-
portante, associ´ee `a un niveau trophique moyen dâenviron 3,3 pour les deux zones et
`a un ratio P/D ´elev´e, est principalement li´ee `a un petit nombre dâesp`eces : le capelan
(
Mallotus villosus
; TL = 3,05) pour le plateau islandais, et les lan¸cons (
Ammodytes
spp.
; TL = 3,19) et le sprat (
Sprattus sprattus
, TL = 4,09) en mer du Nord. Ces esp`eces
repr´esentent plus de 50% des captures totales dans chaque zone pour la p´eriode 1997-
2001. A lâoppos´e, les pËecheries localis´ees dans les grands zones plus pauvres de la r´egion
ib´erique et des A¸cores et sur la plateau celtico-gascon sont caract´eris´ees par une faible
production halieutique compos´ee dâun grand nombre dâesp`eces, plus de 150 en moyenne
´etant captur´ees dans chaque ZPE durant la p´eriode 1997-2001. Ces zones montrent une
haute variabilit´e dans le temps de la production d´emersale (VY
dem
variant entre 12% et
18%) et de la PPR associ´ee, et pr´esentent un niveau trophique moyen sup´erieur `a 3,5
(3,51 pour la r´egion ib´erique et des A¸cores et 3,65 pour le plateau celtico-gascon). Le nord
de la mer du Nord et lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande apparaissent dans une position
interm´ediaire sur le premier axe par rapport aux ZPE pr´ec´edemment d´ecrites mais ont
des coordonn´ees positives et sup´erieures sur le second axe. Elles sont ainsi caract´eris´ees
par des captures d´emersales ´elev´ees (respectivement 1,68 t.km
â
2
et 2,41 t.km
â
2
) et de
mËeme que par des captures ´elev´ees des esp`eces de grands et moyens p´elagiques (0,71
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
171
Fig.
3.15
â
Graphes en ´etoile dans le premier plan factoriel reliant les individus statistiques actifs
(cercles noirs) et illustratifs (cercles blancs) repr´esentant les zones de pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE) `
a
leurs centres de gravit´e (carr´es noirs). Les individus actifs correspondent aux p´eriodes les plus r´ecentes et
les illustratifs aux plus anciennes. (a) Plateau islandais, mer du Nord, Ouest de lâ ´
Ecosse et de lâIrlande,
r´egion ib´erique et des A¸cores (b) Nord de la mer du Nord, plateau celtico-gascon et mer dâIrlande.
t.km
â
2
) associ´ees `a un MTL haut pour le nord de la mer du Nord (3,66). Au cours de
la p´eriode 1997-2001, les captures d´emersales `a lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande ont
´et´e largement domin´ees par le merlan bleu (
Micromesistius poutassou
; TL = 3,14) qui
repr´esentait plus de 50% de la production totale et explique la position de la ZPE dans
le plan. Finalement, la mer dâIrlande apparaËÄąt bien s´epar´ee des autres ZPE dans le pre-
172
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
mier plan factoriel (Fig. 3.15b). Elle est principalement caract´eris´ee par une production
importante de bivalves et ainsi un bas niveau trophique moyen (3,0 durant la derni`ere
p´eriode) hautement variable dans le temps. Les variations du niveau trophique moyen
combin´ees `a celles des captures de p´elagiques et du ratio P/D montrent des modifications
des cat´egories de poissons captur´ees dans cette ZPE, li´ees `a des changements importants
de la composition sp´ecifique des captures.
3.4.2.3
Variabilit´
e temporelle
Lâanalyse de la variabilit´e temporelle met ´egalement en ´evidence de grandes diff´erences
entre les ZPE (Fig. 3.15). Dans le premier plan factoriel, la mer du Nord, lâouest de
lâ´
Ecosse et de lâIrlande et la r´egion ib´erique et des A¸cores pr´esentent une faible gamme
de valeurs des coordonn´ees, caract´eris´ee par des graphes en ´etoiles peu ´etendus dans le
plan. Ceci traduit une certaine constance dans le temps des indicateurs utilis´es et suppose
une relative stabilit´e de la composition des captures dans ces ZPE, qui pourrait refl´eter
une certaine stabilit´e des strat´egies dâexploitation ou un certain degr´e de r´esistance
des ´ecosyst`emes sous-jacents `a la pËeche. Lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande pour la
p´eriode 1976-80 montre une position dans le plan ´eloign´ee des autres p´eriodes (1983 `a
2001), sugg´erant des caract´eristiques dâexploitation diff´erentes durant cette p´eriode. Les
autres ZPE (le plateau islandais, le nord de la mer du Nord, le plateau celtico-gascon
et la mer dâIrlande) montrent des graphes en ´etoile plus ´etendus dans le premier plan
factoriel, refl´etant des modifications importantes des captures entre les p´eriodes dans
les ´ecosyst`emes dâint´erËet. Les graphes de la mer du Nord et plus particuli`erement du
nord de la mer du Nord semblent r´ev´eler des patrons similaires de changement entre les
individus statistiques illustratifs (1973 `a 1986) et actifs (1987 `a 2001) (Fig. 3.15).
Le suivi des trajectoires des ZPE peut permettre de mieux comprendre la variabilit´e
observ´ee avec les graphes en ´etoile (Fig. 3.16).
Encore une fois, chaque trajectoire peut Ëetre d´ecrite suivant lâinterpr´etation des com-
posantes principales. La reconstruction des trajectoires temporelles des ZPE dans le
premier plan factoriel montre des ´evolutions vari´ees rendant difficile la d´etection de pa-
trons clairs. Comme d´ej`a observ´e avec les graphes en ´etoile, la mer du Nord et lâouest
de lâ´
Ecosse et de lâIrlande sont tr`es stables dans le premier plan factoriel. Le nord de
la mer du Nord, le plateau celtico-gascon et la r´egion ib´erique et des A¸cores pr´esentent
une direction similaire vers le quadrant gauche du bas du plan, au cours de la derni`ere
p´eriode. De la mËeme mani`ere, la mer dâIrlande tend `a se d´eplacer vers ce quadrant bien
que sa position initiale ´etait plus basse sur le deuxi`eme axe contrairement aux autres
ZPE pr´esentant cette tendance. Seul le plateau islandais pr´esente un mouvement vers la
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
173
Fig.
3.16
â
´
Evolution temporelle des ZPE dans le premier plan factoriel (a) Plateau islandais, mer
du Nord, Ouest de lâ ´
Ecosse et de lâIrlande, r´egion ib´erique et des A¸cores (b) nord de la mer du Nord,
plateau celtico-gascon et mer dâIrlande.
droite du plan, sugg´erant une augmentation de la production halieutique qui pourrait
Ëetre due `a une augmentation de la pression de pËeche.
3.4.3
Discussion
3.4.3.1
Donn´
ees de captures et de production primaire
Les limites de lâanalyse tiennent notamment au manque possible de fiabilit´e des donn´ees
de captures utilis´ees. De fait, les rejets, les sous ou non-d´eclarations et les difficult´es
logistiques inh´erentes `a la collecte statistique se combinent pour affecter le degr´e de
fiabilit´e des statistiques de captures (Larkin, 1996). De plus, la qualit´e des statistiques
sâest mËeme potentiellement d´et´erior´ee au cours du temps, en raison de la mise en place
dâun syst`eme de gestion bas´e en partie sur les quotas (Daan, 1987). De tels probl`emes
sont difficiles `a quantifier et surmonter. Dâun autre cËot´e, les donn´ees de d´ebarquements
de pËeche constituent la seule s´erie dâinformation `a long terme disponible `a lâ´echelle de
lâEurope pour un ensemble dâesp`eces aussi important. Les donn´ees utilis´ees sont g´er´ees
par le CIEM depuis tr`es longtemps et ceci sugg`ere une bonne homog´en´eit´e des jeux de
donn´ees en d´epit de possibles diff´erences marqu´ees dans la pr´ecision des reports de cap-
174
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
tures entre les pays membres (voir tableau de conformit´e de la PCP
4
). Les rejets nâont
pas ´et´e pris en compte dans lâanalyse bien quâils puissent epr´esenter une part substan-
tielle de la production halieutique chaque ann´ee (Alverson et al., 1994). Cependant, le
manque dâ´echantillonnages syst´ematiques et les faibles niveaux de pr´ecision qui leur sont
associ´es (ICES, 2003c) nous ont contraint `a supposer des niveaux de rejets homog`enes
entre les zones. Une analyse de sensibilit´e pourrait Ëetre conduite pour estimer les mo-
difications que la prise en compte de rejets aurait sur la d´efinition des ZPE ou leur
position dans le premier plan factoriel. Ceci n´ecessiterait cependant de disposer dâordres
de grandeur pour les rejets `a lâ´echelle des sous-divisions CIEM ou ZPE consid´er´ees, ou
au niveau des grands groupes dâesp`eces, alors que ceux-ci sont g´en´eralement estim´es
pour des flottilles particuli`eres (p. ex. Rochet et al., 2002). De lâincertitude demeure sur
les niveaux de rejets et il est raisonnable de penser que leur prise en compte pourrait
affecter les ZPE et modifier les r´esultats de lâanalyse. Cette ´etude constitue cependant
une premi`ere ´etape relativement exploratoire et nous pouvons admettre que lâ´echelle
dâ´etude est appropri´ee pour n´egliger les probl`emes li´es `a la qualit´e des donn´ees de cap-
tures puisque nous cherchons des tendances g´en´erales et des patrons `a grande ´echelle.
Peu dâanalyses comparatives `a cette ´echelle spatiale ont ´et´e conduites en halieutique
bien quâelles puissent sâav´erer Ëetre de puissants outils pour d´etecter des patrons `a une
´echelle globale (De Leiva Moreno et al., 2000).
La PP estim´ee dans chaque sous-division CIEM est utile pour caract´eriser la producti-
vit´e naturelle des ZPE et pour calculer lâindex PPR/PP qui est un indicateur du degr´e
dâexploitation des ´ecosyst`emes (Pauly et Christensen, 1995). Les sources dâincertitude
dâestimation de PP sont de deux ordres. Tout dâabord, la r´ecup´eration des donn´ees de
concentration de chlorophylle
a
`a partir des donn´ees de t´el´ed´etection de couleur de lâeau,
qui servent comme param`etres majeurs dâentr´ee des mod`eles de PP, est toujours associ´ee
`a des incertitudes importantes dans les zones cËoti`eres dont les eaux sont caract´eris´ees par
des propri´et´es optiques complexes. Ceci est typiquement le cas pour la mer du Nord et
peut expliquer les diff´erences entre les moyennes de PP utilis´ees dans la pr´esente ´etude
(surestimation dâun facteur de 2 `a 3) et les valeurs bas´ees sur des mesures de terrain
synth´etis´ees par (Greenstreet et al., 1997). La pr´ecision des donn´ees Seawifs de chloro-
phylle
a
est bien meilleure pour les oc´eans ouverts (Gregg et Casey, 2004). Par ailleurs, le
mod`ele simplifi´e de repr´esentation de la physiologie du phytoplancton et de sa distribu-
tion verticale est responsable de d´ecalages de lâordre dâun facteur 2 en g´en´eral, entre les
sorties des mod`eles et les mesures
in situ
(Campbell et al., 2002). Cette incertitude est
att´enu´ee lorsque des moyennes spatiales et/ou temporelles sont calcul´ees (Siegel et al.,
2001). En d´epit de ces limites, les distributions de PP fournies par les donn´ees
ÂŤ
couleur
de lâeau
Âť
et les mod`eles appropri´es demeurent la source majeure dâinformation pour
une cartographie synoptique et consistante de lâactivit´e phytoplanctonique sur de larges
4
http ://europa.eu.int/comm/fisheries/scoreboard/index en.htm
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
175
´echelles de temps et dâespace. De plus, dans la pr´esente analyse, les moyennes annuelles
de PP ont ´et´e utilis´ees `a des fins comparatives et comme variables illustratives dans
lâACP. Elles ne participent donc pas `a la d´efinition des composantes principales mais
ont pour but dâaider `a leur interpr´etation.
3.4.3.2
Patrons dâexploitation
Les indicateurs montrent dâimportants contrastes entre les ZPE refl´etant des syst`emes
dâexploitation et des ´ecosyst`emes sous-jacents tr`es vari´es. Lâindex PPR/PP souligne des
degr´es diff´erents dâutilisation de la production primaire en Europe et est hautement
corr´el´e `a la production totale. La PPR a ´et´e calcul´ee avec une efficacit´e de transfert
sup´erieure `a celle utilis´ee dans lâ´etude de Pauly et Christensen (1995) et uniquement
bas´ee sur la composante d´emersale et benthique des captures. Lâutilisation dâune ef-
ficacit´e de 10% aurait conduit `a des estimations de PPR/PP anormalement ´elev´ees,
proches ou sup´erieures `a 1 dans certaines zones (p. ex. plateau islandais). Ceci sugg`ere
des importations de production via des migrations dâesp`eces p´elagiques dans les zones
de pËeche. Pour cette raison, le calcul de lâindex PPR/PP restreint aux esp`eces demer-
sales et benthiques apparaËÄąt moins sensible aux esp`eces migratrices et doit permettre
de mieux comparer lâimportance de lâexploitation entre les ZPE. Les ratios de PPR/PP
auraient mËeme dË
u Ëetre plus ´elev´es puisque les estimations de PP utilis´ees tendent `a Ëetre
surestim´ees en zone cËoti`ere (voir pr´ec´edemment).
Les calculs de PPR ayant ´et´e restreints aux esp`eces d´emersales et benthiques, la PP
devrait Ëetre calcul´ee dans les sous-zones o`
u sont captur´ees ces esp`eces, c.-`a-d. la surface
correspondant `a lâisobathe 1000 m dans lâanalyse. Les valeurs de PP sont ici moyenn´ees `a
lâ´echelle de la sous-division, puis de la ZPE car les donn´ees de PP pour les zones les plus
cËoti`eres sont g´en´eralement moins fiables. Lâoc´ean cËotier est une zone aux dynamiques
physiques et biologiques complexes qui n´ecessitent le recours `a des mod`eles couplant
physique et biog´eochimie pour les estimations de PP (Huret, 2005). Le d´eveloppement
et la validation de ces mod`eles sont en cours pour certaines r´egions europ´eennes mais
les donn´ees ne sont pas encore disponibles `a lâ´echelle de notre ´etude. Lâutilisation des
sorties de PP de ces mod`eles pour des analyses plus locales semble en revanche conseill´ee
par rapport aux donn´ees employ´ees dans notre approche.
Les ratios ´elev´es de PPR/PP pour certaines ZPE soul`event ´egalement des questions
sur lâhypoth`ese dâefficacit´e de transfert constante entre les niveaux trophiques et les
ZPE, puisque celle-ci diff`ere entre les grands types dâ´ecosyst`emes (Ryther, 1969). Cette
hypoth`ese demeure acceptable au niveau mondial (Pauly et Christensen, 1995) mais peut
avoir des cons´equences sur les r´esultats compte tenu de notre ´echelle dâ´etude. Encore
176
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
une fois, le manque de connaissances sur ces param`etres `a lâ´echelle de notre ´etude nous
a contraint `a utiliser les valeurs moyennes de la litt´erature.
Lâanalyse comparative que nous avons men´ee combine des dimensions spatiale et tem-
porelle avec pour objectif de parvenir `a d´etecter des patrons dâexploitation. Elle montre
notamment que la production totale dans les eaux europ´eennes est principalement do-
min´ee par les captures dâesp`eces p´elagiques. Ceci est particuli`erement le cas dans les ZPE
les plus productives telles que le plateau islandais et la mer du Nord. La pr´edominance
dâesp`eces p´elagiques semble intuitive car les petits p´elagiques sont g´en´eralement bien
plus abondants que les esp`eces d´emersales dans les ´ecosyst`emes marins, et les plus bas
niveaux trophiques demeurent pour lâinstant exploit´es `a des niveaux moindres pour des
raisons techniques et commerciales. Cette tendance se retrouve `a lâ´echelle mondiale o`
u
les petits p´elagiques repr´esentaient environ 75% des 10 esp`eces de poissons les plus ex-
ploit´ees en 1993, contre 60% en 1973 (Fischer et al., 1997).
Les r´esultats mettent ´egalement en relief des degr´es diff´erents de variabilit´e des ZPE
dans le temps ainsi que des ´evolutions vari´ees dans le premier plan factoriel. LâACP
permet notamment de d´etecter des tendances sugg´erant des changements importants
des caract´eristiques dâexploitation. En particulier, le changement du nord de la mer
du Nord le long du premier axe `a partir de 1987 pourrait Ëetre li´e `a
ÂŤ
lâexplosion des
gadid´es
Âť
qui a commenc´e dans les ann´ees 1960 et sâest termin´e au milieu des ann´ees
1980. En effet, cette ZPE ´etait domin´ee dans les ann´ees 1970 par des captures de lieu
noir (
Pollachius virens
), de tacaud norv´egien (
Trisopterus esmarkii
), de morue (
Gadus
morhua
) et dâ´eglefin (
Melanogrammus aeglefinus
). Ces esp`eces de gadid´es ont diminu´e
en termes dâabondance et par cons´equent de d´ebarquements jusquâau milieu des ann´ees
1980 (Hislop, 1996). Ceci sâest traduit pas des variations des captures totales et de la
composition sp´ecifique des captures dans la zone, pouvant sâobserver dans le plan sous
la forme dâune s´eparation relativement nette entre les deux p´eriodes. Parmi les ZPE,
seul le plateau islandais se
ÂŤ
d´eplace
Âť
vers le quadrant droit du bas du plan, c.-`a-d. vers
une direction notamment associ´ee `a une augmentation de la production halieutique, une
plus grande variabilit´e des captures de p´elagiques et une diminution du niveau trophique.
Cette trajectoire sugg`ere un stress croissant sur lâ´ecosyst`eme. Celui-ci peut Ëetre en partie
dË
u `a lâaugmentation des captures de capelan (
Mallotus villosus
), qui ont repr´esent´e
la majorit´e de la production islandaise au cours des derni`eres p´eriodes. La tendance
croissante dâabondance du capelan, associ´ee `a une plus grande variabilit´e temporelle,
pourrait Ëetre en partie li´ee `a un relËachement de pr´edation sur cette esp`ece, occasionn´e
par le d´eclin de ses pr´edateurs majeurs dans lâAtlantique nord-ouest (Carscadden et al.,
2001).
3.4 Sp´
ecifier une direction de surexploitation par analyse multivari´
ee
177
3.4.3.3
Directions de r´
ef´
erence
Afin de repr´esenter les variables majeures corr´el´ees aux composantes principales et
de proposer une synth`ese des caract´eristiques dâexploitation observ´ees et de leur in-
terpr´etation en terme de direction de surexploitation, un sch´ema conceptuel du premier
plan factoriel est propos´e (Fig. 3.17).
Fig.
3.17
â
Sch´ema conceptuel r´esumant lâinformation apport´ee par les deux premi`eres composantes
principales de lâACP. La fl`eche montre la direction sugg´erant une surexploitation ´ecosyst´emique.
Le sch´ema sugg`ere quâune ´evolution vers le quadrant droit du bas du plan pourrait
caract´eriser une tendance vers une pression de pËeche croissante et,
in fine
, vers une sur-
exploitation de lâ´ecosyst`eme. Comme mentionn´e auparavant, le quadrant droit du bas
du plan correspond `a des plages de valeurs pour les indicateurs d´ecrivant un syst`eme
productif p´elagique, dont les captures centr´ees sur quelques esp`eces de bas niveaux tro-
phiques sont variables dans le temps. Chaque ZPE ´etant contrainte par les propri´et´es de
lâ´ecosyst`eme sous-jacent, c.-`a-d. la capacit´e biotique, lâexistence de niches ´ecologiques,
etc., leur ´evolution dans le plan doit Ëetre limit´ee `a une certaine gamme de coordonn´ees
possibles. D´efinir un quadrant cible ou limite commun `a toutes les ZPE nâapparaËÄąt
alors pas appropri´e et lâidentification de directions de r´ef´erence `a ´eviter semble une ap-
proche plus pertinente (Link et al., 2002 ; Section 1.4.3). Lâobservation dâune trajectoire
dans la direction du quadrant droit du bas du plan devrait ainsi indiquer une possible
d´et´erioration de lâ´ecosyst`eme allant vers une diminution des captures de d´emersaux
(p. ex. Christensen et al., 2003), une simplification dâun ´etat diversifi´e `a un syst`eme
p´elagique plus productif via un relËachement de pr´edation (Caddy et Rodhouse, 1998
178
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
; Pauly et al., 998a, 2002), une diminution du niveau trophique des captures (Pauly
et al., 2001) et lâutilisation dâune grande partie de la productivit´e naturelle pour la
pËeche (Pauly et Christensen, 1995).
Les modifications importantes des coordonn´ees dâune ZPE dans le plan traduisent des
variations importantes de la composition des captures et sugg`erent des changements des
esp`eces cibl´ees ou des ´ecosyst`emes. LâACP apparaËÄąt utile pour d´etecter et interpr´eter ces
transitions en termes dâindicateurs globaux et pour soulever des questions sur les causes
possibles de ces changements. Une bonne connaissance des pËecheries compl´et´ee par des
´evaluations des esp`eces semblant en particulier impliqu´ees dans les patrons observ´es
pourrait aider `a mieux comprendre les changements importants prenant place au sein
des ´ecosyst`emes marins sous-jacents. Lâapproche adopt´ee dans lâanalyse demeure cepen-
dant exploratoire car tr`es peu de donn´ees sont disponibles `a une ´echelle dâ´etude aussi
large. N´eanmoins, la combinaison des donn´ees de production primaire et de captures a
permis de d´efinir et comparer les grands syst`emes dâexploitation halieutique dâEurope.
La quantification dâindices de pression de pËeche `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme constitue
cependant un point essentiel qui reste `a d´evelopper pour ´etudier et comprendre les rela-
tions entre les indicateurs ´ecosyst´emiques des effets de la pËeche et le niveau dâexploitation
(Daan, 2005).
3.4.3.4
Quel diagnostic pour les pË
echeries du Finist`
ere ?
Le plateau celtico-gascon et lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande sont situ´es dans des qua-
drants du premier plan factoriel plutËot favorables au sens d´efini dans le sch´ema 3.17.
Le plateau celtico-gascon est caract´eris´e par des positions dans le plan assez diff´erentes
dâune p´eriode `a lâautre, ce qui refl`ete des changements importants des captures au cours
du temps. Lâ´evolution du plateau entre les p´eriodes 1992-96 et 1997-2001 est perpendi-
culaire `a la direction de surexploitation, apr`es avoir ´et´e en sens inverse entre 1987-91
et 1992-96. Lâ´evolution entre les deux derni`eres p´eriodes consid´er´ees met cependant en
´evidence une diminution de la production et du niveau trophique moyen des captures,
associ´ee `a une augmentation de la diversit´e des captures et de leur variabilit´e. Ce diag-
nostic confirme ainsi ce qui a ´et´e observ´e auparavant au travers des indices MTL et FIB
(Section 3.3), c.-`a-d. le plateau celtico-gascon semble montrer pour la p´eriode la plus
r´ecente des signes de d´egradation de lâ´ecosyst`eme sous-jacent.
`
A lâinverse, les coordonn´ees de lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande dans le premier plan
factoriel sont tr`es proches entre les p´eriodes, sugg´erant une certaine stabilit´e des valeurs
des indicateurs consid´er´es. Cette zone de pËeche ´ecosyst´emique apparaËÄąt ainsi comme
lâune des ZPE les moins affect´ees par la pËeche sur la p´eriode dâ´etude. Comme nous
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
179
lâavons d´ej`a soulign´e auparavant, ceci peut notamment sâexpliquer par le d´eveloppement
de la pËecherie de merlan bleu, esp`ece consid´er´ee comme d´emersale dans lâanalyse, dont
lâaugmentation des captures
ÂŤ
compense
Âť
les d´eclins constat´es pour plusieurs stocks
dans cette zone.
3.4.4
Conclusion
Lâ´evaluation de lâ´etat des ´ecosyst`emes marins constitue un point essentiel de lâAEP
au regard des impacts de la pËeche, qui ne se limitent pas aux populations exploit´ees
mais affectent lâensemble de leurs composantes (cf. Chapitre 1). Compte tenu de la com-
plexit´e des ´ecosyst`emes, lâutilisation dâindicateurs compl´ementaires est recommand´ee, de
mani`ere `a appr´ehender les diff´erentes propri´et´es dâint´erËet (Fulton et al., 2005 ; Rice et Ro-
chet, 2005). Dans cette section, nous avons montr´e que les ZPE pr´esentent des propri´et´es
diff´erentes selon lâensemble des indicateurs s´electionn´es, et quâil est possible dâ´etablir un
diagnostic de leur ´evolution dans un plan factoriel, synth´etisant lâinformation apport´ee
par les indicateurs. Lâidentification de directions semblant indiquer une d´egradation `a
lâ´echelle des ´ecosyst`emes apparaËÄąt comme une premi`ere ´etape n´ecessaire `a lâ´etablissement
dâune d´efinition du concept de surexploitation ´ecosyst´emique (Murawski, 2000), de la
mËeme mani`ere que des crit`eres pr´ecis ont ´et´e mis en place pour d´efinir la surexploitation
au niveau du stock individuel (Section 1.4.1). Les ´etapes suivantes consisteront `a analy-
ser les diff´erentes causes possibles pouvant expliquer les tendances observ´ees (climat vs.
pËeche ; p. ex. Blanchard et al., 2005), `a d´efinir des valeurs de r´ef´erence seuil ou limites
pour les indicateurs, et `a transcrire ces valeurs (ou directions) en crit`eres de d´ecision
(Link, 2005 ; Section 1.4.3). Ces questions formeront certainement la base des futurs
travaux portant sur les approches indicateurs en halieutique, afin de parvenir `a franchir
le pas entre lâ´etablissement de concepts centr´es sur lâobservation et la compr´ehension
des processus en jeu, `a leur utilisation comme partie int´egrante de lâam´enagement des
pËecheries. Cette transition ne pourra pas se r´ealiser sans une modification en profondeur
des syst`emes de gouvernance actuellement en place (cf. Chapitre 1).
3.5
Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et
de lâomnivorie
Lâun des objectifs majeurs en ´ecologie est le d´eveloppement de mod`eles complets de niche
´ecologique, c.-`a-d. du rËole jou´e par une esp`ece dans sa communaut´e ou son ´ecosyst`eme
(Begon et al., 1996). Dans cette perspective, une voie explor´ee par les ´ecologues r´eside
180
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
dans lâ´etude des relations alimentaires prenant place au sein des r´eseaux trophiques. Plu-
sieurs concepts tels que lâesp`ece, le rËole, le niveau, la position ou le groupe trophiques
ont ´et´e propos´es afin de r´eduire la complexit´e trophique, via lâidentification de classes
dâesp`eces
ÂŤ
isotrophiques
Âť
, c.-`a-d. occupant des positions analogues dans le r´eseau tro-
phique (Luczkovich et al., 2003). Parmi ces concepts, le niveau trophique (TL) a une
grande importance en ´ecologie th´eorique et appliqu´ee (Pimm et Lawton, 1977, 1978 ;
Levine, 1980 ; Pace et al., 1999 ; Post, 2002 ; Williams et Martinez, 2004). Le TL
indique la position dâun individu au sein dâun r´eseau trophique et est d´etermin´e par le
nombre de transferts ´energ´etiques menant `a ce niveau. Le concept a ´et´e critiqu´e par
certains auteurs, notamment en raison de lâabsence de prise en compte des pr´edateurs
dans sa d´efinition et de la vision simplifi´ee quâil offre du r´eseau trophique (Murdoch,
1966 ; Cousins, 1987 ; Burns, 1989 ; Persson, 1999). N´eanmoins, la notion de niveau tro-
phique continu, sugg´er´ee par Kerr (1974) et introduite de mani`ere pratique par Odum
et Heald (1975) et Adams et al. (1983), a permis de compl´eter lâapproche discr`ete et
de promouvoir lâutilisation des niveaux trophiques en ´ecologie marine. D`es lors, le calcul
des TL a ´et´e impl´ement´e en routine dans le logiciel EwE (Christensen et Pauly, 1992)
et des valeurs de niveaux trophiques ont ´et´e estim´ees pour un grand nombre dâesp`eces
`a partir de donn´ees de contenus stomacaux (Pauly et al., 1998 ; Cort`es, 1999 ; Ster-
giou et Karpouzi, 2002). Parall`element, lâ´emergence de m´ethodes bas´ees sur les ratios
isotopiques du carbone (
13
C/
12
C) et de lâazote (
15
N/
14
N) permettant lâestimation du TL
(Owens, 1987), sâest r´ev´el´ee tr`es utile pour lâanalyse des r´eseaux trophiques (Cabana et
Rasmussen, 1994 ; Vander Zanden et al., 1999 ; Post et al., 2000).
Bien que lâapplication de ces approches apparaisse en plein d´eveloppement, la grande
majorit´e des valeurs disponibles via FishBase ou la litt´erature est issue dâanalyses sto-
macales. Ces niveaux trophiques sont g´en´eralement des valeurs moyennes suppos´ees
constantes dans le temps et lâespace et assign´ees `a une esp`ece donn´ee (Section 3.3).
Nous avons vu quâelles sont en particulier utilis´ees pour lâestimation dâindicateurs per-
mettant de quantifier les effets de la pËeche `a lâ´echelle des ´ecosyst`emes (Pauly, 1995 ;
Pauly et al., 998a, 2000 ; Bundy et al., 2005 ; Gascuel, 2005 ; Sosa-L´opez et al.,
2005). Lâestimation de valeurs non biais´ees pour les niveaux trophiques apparaËÄąt ainsi
comme une phase cl´e de ce type dâapproche. Les tendances des indicateurs, tels que le
niveau trophique moyen des captures, peuvent en effet Ëetre fortement influenc´ees par
quelques esp`eces lorsque celles-ci repr´esentent une majorit´e des captures. Ceci se v´erifie
par exemple dans les ZPE ´etudi´ees o`
u le capelan sur le plateau islandais et le merlan
bleu dans lâouest de lâ´
Ecosse et de lâIrlande, repr´esentent chacun plus de la moiti´e de la
production halieutique. Attribuer une valeur moyenne de TL, issue dâune analyse dans
un ´ecosyst`eme particulier par exemple, peut alors avoir un impact non n´egligeable sur les
valeurs estim´ees des indicateurs et biaiser
in fine
lâ´evaluation de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme.
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
181
Lâomnivorie, d´efinie comme la facult´e de
ÂŤ
se nourrir sur plus dâun niveau trophique
Âť
(Pimm et Lawton, 1978) et renvoyant `a la dimension trophique de la niche ´ecologique,
a ´et´e beaucoup moins ´etudi´ee que le niveau trophique. Nous verrons pourtant quâelle
semble jouer un rËole essentiel dans la dynamique de lâ´ecosyst`eme (cf. Chapitre 4). Cer-
tains auteurs ont propos´e des indices en vue de la mesurer (p. ex. Levine, 1980), mais
ceux-ci demeurent globalement peu employ´es en halieutique.
Dans ce contexte et dans lâoptique dâam´eliorer les estimations des niveaux trophiques,
nous proposons dâanalyser
5
ici un jeu de donn´ees de contenus stomacaux pour cinq
esp`eces de mer Celtique mis `a notre disposition par M.H. du Buit. Ces donn´ees per-
mettent dâexplorer la variabilit´e du TL et de lâomnivorie en fonction de la taille du
pr´edateur, de la profondeur et de la saison. Lâomnivorie est mesur´ee via un indice origi-
nal, exprimant la variabilit´e des TL au sein du r´egime alimentaire de chaque pr´edateur.
Lâobjectif est de d´ecrire la variabilit´e des deux indices et de hi´erarchiser les effets pouvant
lâexpliquer. Leur couplage permet en particulier de d´ecrire le comportement alimentaire
des populations de poissons (c.-`a-d. g´en´eraliste vs. sp´ecialiste) et de mettre en ´evidence
des patrons r´ev´elant la n´ecessit´e de d´evelopper des indicateurs centr´es sur lâomnivorie.
3.5.1
Mat´
eriel et m´
ethodes
3.5.1.1
Donn´
ees de contenus stomacaux
Lâ´echantillonnage a ´et´e r´ealis´e de 1977 `a 1988 par M.H. du Buit (Museum National
dâHistoire Naturelle, Concarneau) et la couverture temporelle des donn´ees disponibles
est pr´esent´ee dans le tableau 3.4. La p´eriode (jour, mois, ann´ee), la profondeur et la sous-
division sont g´en´eralement disponibles, sauf pour la morue et le merlan o`
u la profondeur
nâa pas ´et´e enregistr´ee. Les poissons ont ´et´e collect´es `a bord de chalutiers commerciaux
(Agora, Elsinor, Galaxie, Madiana, Melodie, Opera, Peoria, Symphonie et Valeriane)
lors dâop´erations de pËeche men´ees sur le plateau celtico-gascon. Ces donn´ees ont ´et´e
largement document´ees (p. ex. Du Buit, 1995, 1996) mais pas dans le contexte de la
variabilit´e des TL et de lâomnivorie. Pour chaque estomac, la taille du pr´edateur, le
nombre de proies, lâidentit´e des proies et la masse des proies (g) ont ´et´e enregistr´es.
Sur lâensemble des estomacs collect´es, 215 types de proies ont ´et´e identifi´es, au niveau
5
Cette ´etude a ´et´e r´ealis´ee en ´etroite collaboration avec T. Rouyer et a fait lâobjet dâun poster
pr´esent´e au 7
e
forum halieum´etrique en Juin 2005 :
â Chassot, E., Rouyer, T., Trenkel, V. et D. Gascuel. (2005). Variabilit´e spatiale et temporelle du
niveau trophique : analyse pour cinq esp`eces de mer Celtique. 7
e
forum halieum´etrique, 21-23 juin
2005, Nantes, France.
182
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
sp´ecifique ou au niveau du groupe taxonomique lorsque ce nâ´etait pas possible (polych`ete
(n = 19), ´echinoderme (n = 20), cnidaire (n = 6), c´ephalopode (n = 6), mollusque (n =
20), crustac´e (n = 93), poisson (n = 51)). Les estomacs vides sont exclus de lâanalyse.
Les esp`eces ayant le plus grand nombre dâestomacs non vides sont conserv´ees : la morue
(
Gadus morhua
; n = 1051), lâ´eglefin (
Melanogrammus aegelefinus
; n = 739), le merlu
(
Merluccius merluccius
; n = 992), la cardine (
Lepidorhombus whiffiagonis
; n = 998), le
merlan (
Merlangius merlangus
; n = 846).
Tab.
3.4 â
Nombre dâestomacs de pr´edateurs non vides durant la p´eriode dâ´echantillonnage.
Esp`eces pr´edatrices
Ann´ee
Morue
´
Eglefin
Merlu
Cardine
Merlan
1977
8
3
17
18
47
1978
0
15
26
19
79
1979
26
21
3
8
2
1981
65
206
54
23
39
1982
46
5
24
9
0
1983
2
57
184
214
61
1984
806
328
181
207
498
1985
91
46
318
403
68
1986
0
1
122
59
52
1987
7
56
5
1
0
1988
0
1
58
37
0
3.5.1.2
Niveau trophique des proies
Lâestimation du TL des pr´edateurs n´ecessite de disposer de TL moyens pour les proies.
Des valeurs par d´efaut sont g´en´eralement utilis´ees, notamment dans le logiciel Trophlab
(Froese et Pauly, 2000). N´eanmoins, des TL issus de lâapplication des m´ethodes isoto-
piques sont maintenant disponibles dans la litt´erature et permettent dâint´egrer le r´egime
alimentaire du pr´edateur sur une longue p´eriode de temps (Post et al., 2000). Pour cette
raison, les TL issus dâune revue de la litt´erature (Jennings et al., 2002a ; Pinnegar et al.,
2002 ; Le Locâh, 2004) ont ´et´e employ´es :
â˘
lorsque la proie est identifi´ee au niveau de lâesp`ece, le TL issu des m´ethodes isotopiques
est utilis´e sâil est disponible (n = 35 esp`eces),
â˘
lorsque la proie est identifi´ee au niveau du groupe taxonomique, un TL estim´e comme
la moyenne arithm´etique des TL issus des m´ethodes isotopiques pour les esp`eces ap-
partenant au groupe taxonomique est utilis´e (n = 158 esp`eces ; Tab. 3.5).
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
183
â˘
lorsquâaucune valeur isotopique nâest disponible pour la proie, les valeurs standards
de FishBase sont utilis´ees (n = 22 esp`eces).
Tab.
3.5 â
Niveau trophique moyen recalcul´e `
a partir des valeurs estim´ees par ratios isotopiques
de la litt´erature et attribu´e aux proies lorsque lâidentification nâa ´et´e possible quâau niveau du groupe
taxonomique. n indique le nombre dâesp`eces `
a partir desquelles les valeurs de TL sont recalcul´ees.
Groupes taxonomiques
TL
standard
TL
recalcul
´
e
Ecart type TL
recalcul
´
e
C´ephalopodes (n = 3)
3,2
4,2
0,2
Mollusques autres (n = 6)
2,2
3,4
0,8
Crustac´es (n = 18)
2,4
3,6
0,4
´
Echinodermes (n = 14)
2,4
3,0
0,4
Polych`etes (n = 6)
2,1
3,0
0,4
3.5.1.3
Calcul des indices
Le niveau trophique (TL) pour chaque estomac (pr´edateur) est estim´e suivant la formule
de Adams et al. (1983) :
T L
j
= 1 +
n
X
i
=1
DC
i,j
Ă
T L
i
(3.2)
o`
u DC
ij
repr´esente la part du poids de la proie i dans lâestomac du pr´edateur j et TL
i
est le TL moyen de la proie i.
Un indice dâomnivorie (IO) est propos´e pour exprimer la variabilit´e du r´egime alimentaire
de chaque pr´edateur, c.-`a-d. lâ´etendue de la gamme des TL des proies ing´er´ees :
IO
j
=
v
u
u
u
u
t
n
X
i
=1
(
T L
i
â
(
T L
j
â
1))
2
n
â
1
T L
j
(3.3)
o`
u TL
i
repr´esente le TL de la proie i et TL
j
le TL du pr´edateur. Des boËÄątes `a moustaches
permettent tout dâabord de visualiser les TL et OI estim´es. Dans un deuxi`eme temps,
lâensemble des estomacs disponibles sont regroup´es pour chaque esp`ece et des classes de
taille sont sp´ecifi´ees. Les indices TL et IO ainsi que lâ´ecart type du TL et le nombre de
184
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
proies identifi´ees dans chaque estomac sont ensuite repr´esent´es en fonction des classes
de taille pour chaque esp`ece pr´edatrice.
3.5.1.4
Mod`
eles additifs g´
en´
eralis´
es
Nous avons mod´elis´e les niveaux trophiques de chaque individu ´echantillonn´e comme une
fonction de lâann´ee, de la sous-division, de la profondeur et de la longueur individuelle
au moyen de mod`eles additifs g´en´eralis´es (GAM). Les GAM sont des g´en´eralisations
non-param´etriques des techniques de r´egression lin´eaires multiples (Hastie et Tibshi-
rani, 1990). Ils permettent en particulier de sâaffranchir dâune forme param´etrique rigide,
exprimant la d´ependance entre la variable `a expliquer et la (ou les) variable(s) explica-
tive(s). Les m´ethodes dâajustement GAM sâappuient sur des transformations empiriques
bas´ees sur des techniques de smoothing local. La formulation g´en´erale dâun GAM est :
S
(
Y
j
) =
X
i
T
i
(
X
i
(
j
)) +
ÇŤ
(
j
)
(3.4)
o`
u Y
j
est la valeur de la variable `a expliquer pour lâobservation j, X
i
sont les variables
explicatives, S est la fonction de lien, T sont des fonctions inconnues estim´ees non pa-
ram´etriquement `a partir de smoothers, et
ÇŤ
est une variable al´eatoire dâune distribution
de la famille exponentielle.
Dans la pr´esente analyse, lâann´ee et la sous-division ont ´et´e mod´elis´ees comme des fac-
teurs et ont pour principal objectif de sâaffranchir des effets confondus li´es au d´es´equilibre
du plan dâ´echantillonnage. La saison, la profondeur et la longueur ont ´et´e introduites
comme des variables continues non param´etriques. Le jour dâ´echantillonnage a ´et´e utilis´e
comme effet saisonnier. La forme g´en´erale du mod`ele ajust´e pour chaque esp`ece i est
alors :
T L
i
=
ann
´
ee
+
division
+
s
i
(
jour
) +
s
i
(
prof
) +
s
i
(
taille
)
(3.5)
o`
u s
i
() repr´esente une fonction de smoothing (r´egression spline) diff´erente pour chaque
esp`ece i. La profondeur nâa pas pu Ëetre test´ee pour la morue et le merlan par manque
de donn´ees. Lâajustement du mod`ele (erreur de distribution normale et fonction de lien
identit´e) et la s´election automatique des degr´es de libert´e pour les r´egressions splines
sont r´ealis´es en utilisant la librairie mgcv de R (R Development Core Team, 2004) (Wood
et Augustin, 2002).
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
185
3.5.2
R´
esultats
3.5.2.1
Description des donn´
ees
Les boËÄątes `a moustaches (Fig. 3.18) montrent lâexistence dâune grande variabilit´e des
TL et des IO entre esp`eces et entre individus pour une mËeme esp`ece. Les TL et IO
diff`erent significativement entre les cinq esp`eces dâint´erËet (Fisher, p
<
0,001). Parmi
elles, le merlan apparaËÄąt comme lâesp`ece ayant la position trophique la plus ´elev´ee avec
un TL moyen de 4,86 alors que lâ´eglefin pr´esente le TL moyen (4,29) le plus bas (3.18a).
Fig.
3.18
â
Repr´esentation graphique en boËÄąte `
a moustaches pour (a) les niveaux trophiques (TL) et
(b) les indices dâomnivorie (IO) des cinq esp`eces dâint´erËet.
Les ´ecarts interquartiles de TL pour la morue et le merlan sont plus faibles (environ 0,2
et 0,3 TL respectivement) que pour les trois autres esp`eces (0,6 `a 0,7 TL), traduisant une
variabilit´e interindividuelle faible (Fig. 3.18a). La majorit´e des IO sont nuls car plus de
70% des estomacs ´echantillonn´es ne contiennent quâune unique proie. Pour cette raison,
les IO prennent des valeurs faibles, la majorit´e des valeurs ´etant comprises entre 0 et 0,2.
La morue et lâ´eglefin pr´esentent un degr´e dâomnivorie sup´erieur aux autres esp`eces (Fig.
3.18b). La combinaison des deux graphes permet de d´ecrire le type de r´egime alimentaire
des esp`eces, c.-`a-d. leur caract`ere sp´ecialiste ou g´en´eraliste. La population de merlan
apparaËÄąt comme la plus sp´ecialiste et est constitu´ee dâindividus de TL relativement
proches, se nourrissant sur des proies ayant une position trophique proche. Par contraste,
la population de morue est compos´ee dâindividus de TL proches mais caract´eris´es par
un indice dâomnivorie ´elev´e, chacun ciblant un spectre de proies plus large au sein du
r´eseau trophique. Les populations de cardine et de merlu sont compos´ees dâindividus
ayant des TL variables mais des IO faibles, refl´etant un g´en´eralisme de type B, c.-`a-d.
le g´en´eralisme constat´e `a lâ´echelle de la population est li´e `a des individus sp´ecialistes se
nourrissant sur des gammes de TL des proies ´etroites, mais diff´erentes. `
A lâinverse, le
g´en´eralisme de lâ´eglefin indiqu´e par la large gamme de TL semble dË
u `a des comportements
186
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
individuels g´en´eralistes et similaires (g´en´eralisme type A) (Van Valen (1965) cit´e par
(Bearhop et al., 2004)).
3.5.2.2
Effets de la taille
Pour les cinq esp`eces, les relations entre le nombre moyen de proies pr´esentes dans les
estomacs et la classe de taille sont significativement croissantes (Spearman, p
<
0,001).
Les estomacs de morue pr´esentent le plus grand nombre moyen de proies par classe de
taille, les plus grandes tailles (95-120 cm) ayant en moyenne 3,7 proies dans leur estomac
(Fig. 3.19). Le r´egime alimentaire de lâ´eglefin est ´egalement caract´eris´e par un nombre
de proies ´elev´e, de 1,3 `a 2,4 pour les classes allant respectivement de 24-35 cm `a 70-90
cm, par rapport aux trois autres esp`eces. Les estomacs de cardine ne contiennent en
grande majorit´e quâune proie, quelque soit la taille de lâindividu.
Les effets de la taille sur le TL diff`erent grandement entre les esp`eces (Fig. 3.19). La
morue est caract´eris´ee par une relation lin´eaire significativement croissante entre la taille
et le TL (Spearman, r
2
= 0,69, p
<
0,001). Le TL de la cardine augmente de 4,5 `a 4,7
jusquâ`a la classe de taille 40-42,5 cm, puis diminue pour atteindre 4,6 pour les plus
grandes tailles (50-65 cm). Le TL du merlu diminue de 4,6 `a 4,4 pour les tailles allant
de 25-35 cm `a 50-55 cm, puis augmente jusquâ`a 4,8 pour les individus les plus grands
(
>
75 cm). Le TL de lâ´eglefin demeure quasiment constant (l´eg`ere augmentation non
significative) prenant une valeur dâenviron 4,3 pour la gamme de taille consid´er´ee (24-90
cm). Enfin, le merlan pr´esente une diminution significative du TL avec la taille (r
2
=
0,84, p
<
0,001), le TL passant de 4,9 `a environ 4,7 pour des tailles respectivement
comprises dans les classes 14-30 cm et 50-70 cm.
Except´e le cas du merlan qui pr´esente une augmentation significative de lâ´ecart type du
TL avec la taille (Spearman, r
2
= 0,75, p
<
0,001), la variabilit´e interindividuelle du TL
apparaËÄąt relativement constante en fonction de la taille des pr´edateurs (Fig. 3.19).
Les cinq esp`eces montrent une augmentation significative de lâIO avec la taille (Spear-
man, p
<
0,001) (Fig. 3.19). Pour la morue, lâIO croËÄąt de 1% pour la classe 0-40 cm `a plus
de 4% pour les tailles comprises entre 95 et 120 cm. Lâ´eglefin pr´esente ´egalement une
augmentation importante, de 0,9% `a 2,6% sur toute la gamme de tailles. Les ´evolutions
de lâIO du merlan, du merlu et de la cardine en fonction de la taille sont moins marqu´ees,
les valeurs demeurant inf´erieures `a 1%.
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
187
Fig.
3.19
â
Relations entre le nombre de proies, le niveau trophique (TL), lâ´ecart type du niveau
trophique (s.d. TL), lâindice dâomnivorie (IO) et les classes de taille pour les cinq esp`eces ´etudi´ees.
188
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
3.5.2.3
R´
esultats de GAM
Les r´esultats des r´egressions GAM mettent en ´evidence des effets significatifs de la taille,
saison et profondeur sur le niveau trophique des pr´edateurs. Les effets diff`erent entre les
esp`eces ´etudi´ees (Tab. 3.6). La variabilit´e saisonni`ere du TL est importante pour toutes
les esp`eces, sauf pour lâ´eglefin dont le TL ´evolue peu au cours de lâann´ee.
Tab.
3.6 â
Tableau pr´esentant les r´esultats des mod`eles additifs g´en´eralis´es. Le niveau de significativit´e
des effets est indiqu´e par les ast´erisques : *** p
<
0,001 ; ** p
<
0,01 ; * p
<
0,05. NA = Non disponible.
Ann´ee
Sous-division
Taille
Saison
Profondeur
Morue
***
-
***
***
NA
Cardine
***
-
-
***
***
´
Eglefin
***
**
-
-
-
Merlu
***
**
***
***
***
Merlan
***
*
***
***
NA
Les GAM montrent un effet significatif croissant de la taille sur le TL pour la morue
et le merlu, indiquant des changements de r´egime au cours de la vie des poissons (Fig.
3.20). Lâeffet de la taille est croissant pour lâ´eglefin mais non significatif. Le merlan
pr´esente un TL croissant avec la taille jusquâ`a environ 30 cm, puis un d´eclin du TL. Des
effets significatifs d´ecroissants de la profondeur sur le TL sont ´egalement mis en ´evidence
pour la cardine et le merlu (Fig. 3.20), sugg´erant une modification de lâenvironnement
en proies disponibles dans la colonne dâeau. Aucun effet profondeur nâest d´etect´e pour
lâ´eglefin.
3.5.3
Discussion
3.5.3.1
Donn´
ees de contenus stomacaux
Lâanalyse des contenus stomacaux constitue une source majeure dâinformation pour
les ´etudes portant sur la pr´edation, la comp´etition et les dynamiques trophiques au
sein des r´eseaux trophiques (Trites, 2003). La description du r´egime alimentaire dâune
population est g´en´eralement bas´ee sur la fr´equence dâoccurrence et lâabondance relative
des diff´erentes proies, en nombre, volume ou poids (Hyslop, 1980 ; Amundsen et al.,
1996). Dans cette analyse, le poids relatif de chaque proie pr´esente dans les estomacs
a ´et´e utilis´e pour le calcul du TL des pr´edateurs, en faisant lâhypoth`ese que ce poids
quantifie lâimportance de la voie ´energ´etique que repr´esente la proie (Odum et Heald,
1975). Les valeurs de poids sont cependant affect´ees par lâ´etat de digestion de la proie,
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
189
0
100
200
300
â0.2
0.2
0.4
0.6
s(day)
Cod
Hake
Megrim
Whiting
Day
Depth
Length
No data
20
40
60
80
120
â0.2
0.2
0.4
0.6
s(length)
50
150
250
350
0.0
0.5
1.0
1.5
s(day)
100
300
500
0.0
0.5
1.0
1.5
s(depth)
40
60
80
100
0.0
0.5
1.0
1.5
s(length)
50
150
250
350
â1.0
0.0
0.5
1.0
s(day)
100
300
500
â1.0
0.0
0.5
1.0
s(depth)
No significant relationship
0
100
200
300
â0.4
â0.2
0.0
0.2
s(day)
No data
20 30 40 50 60
â0.4
â0.2
0.0
0.2
s(length)
Fig.
3.20
â
R´esultats de r´egression GAM (ligne continue) montrant les effets saison (Day), profondeur
(Depth) et taille du pr´edateur (Length) sur le niveau trophique (TL). Les lignes pointill´ees donnent
lâintervalle de confiance `
a 95% et les tirets sur lâaxe des abscisses indiquent les valeurs observ´ees.
qui d´epend `a la fois des diff´erences de digestibilit´e des tissus et des efficacit´es de digestion
des pr´edateurs (Rosen et Trites, 2000). Des proies telles que les crustac´es peuvent ainsi
mieux r´esister aux enzymes et sucs gastriques et entraËÄąner des surestimations de leur
importance dans le r´egime des pr´edateurs. Certains auteurs ont propos´e de corriger les
poids estim´es par des coefficients attribu´es `a chaque type de proie selon la nature de leur
tissu (Beukers-Stewart et Jones, 2004). Une telle approche nâa pas pu Ëetre employ´ee dans
la pr´esente analyse compte tenu du manque dâinformation sur les taux de digestion des
esp`eces ´etudi´ees. La quantification de ces taux pour chaque couple pr´edateur-proie en
milieu exp´erimental pourrait permettre dâam´eliorer notre connaissance sur la variabilit´e
de digestibilit´e entre tissus, et
in fine
sur les r´egimes et taux de consommation des
pr´edateurs.
190
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
Une difficult´e inh´erente `a lâanalyse des contenus stomacaux r´eside dans lâidentification
des proies, notamment d´ependante de lâ´etat de digestion dans lequel elles se trouvent.
Dans la pr´esente ´etude, le degr´e de r´esolution taxonomique est particuli`erement impor-
tant puisque 215 taxons diff´erents ont ´et´e identifi´es parmi les proies. La grande majorit´e
des poissons ont pu Ëetre identifi´es au niveau de lâesp`ece (n = 28) ou de la famille (n = 19).
En revanche, les esp`eces de c´ephalopodes, crustac´es, polych`etes, cnidaires, ´echinodermes
et mollusques ont rarement pu Ëetre pr´ecis´ees et lâidentification sâest g´en´eralement res-
treinte au groupe taxonomique. Le degr´e de r´esolution taxonomique adopt´e dans lâ´etude
pour le calcul des TL des pr´edateurs apparaËÄąt cependant bien sup´erieur aux niveaux de
pr´ecision g´en´eralement employ´es pour ce type de calcul (voir Pauly et al., 998b ; Cort`es,
1999).
Les TL moyens assign´es aux proies pour le calcul du niveau trophique des pr´edateurs
ne proviennent pas des standards de FishBase mais sont issus dâune synth`ese bibliogra-
phique des applications des m´ethodes isotopiques aux ´ecosyst`emes marins. Les analyses
men´ees en parall`ele avec les niveaux trophiques moyens issus de FishBase pour les proies
(r´esultats non pr´esent´es) conduisent globalement aux mËeme r´esultats qualitatifs. Quelles
que soient les valeurs de TL consid´er´ees pour les proies, les relations croissantes entre
lâindice dâomnivorie et la taille sont observ´ees pour les cinq esp`eces ´etudi´ees. Les relations
entre niveau trophique et taille sont cependant plus marqu´ees pour la morue, lâ´eglefin et
la cardine, du fait des diff´erences plus grandes de valeurs entre les TL des groupes taxo-
nomiques dans FishBase. Une diff´erence importante entre les r´esultats est en revanche
observ´ee pour le merlan, dont le niveau trophique croËÄąt de mani`ere significative lorsque
les TL de FishBase sont utilis´es. Ceci semble principalement li´e aux niveaux trophiques
des crustac´es et du sprat (
Sprattus sprattus
; 4,09 (isotopes) vs. 3,0 (FishBase)), qui
constituent une part importante du r´egime des jeunes merlans. La valeur de TL = 4,09
est en ad´equation avec les r´esultats de Jennings et al. (2002a) en mer du Nord qui ont
estim´e un TL de 4,3 pour le sprat `a 70% de sa longueur maximale. La relation entre
TL et taille pour le sprat en mer du Nord est de plus d´ecroissante, sugg´erant que les
valeurs de niveau trophique pour les petits sprats consomm´es par les jeunes merlans sont
proches, voire sup´erieures `a 4,0.
Le recours aux valeurs de la litt´erature permet dâobtenir des valeurs de TL pour des
groupes taxonomiques dont le r´egime alimentaire est relativement mal connu. Câest
notamment le cas pour les polych`etes et crustac´es pour lesquels des analyses isotopiques
ont ´et´e r´ecemment conduites (Jennings et al., 2002a ; Le Locâh, 2004). Les valeurs de
TL retenues dans lâanalyse apparaissent nettement plus ´elev´ees que celles g´en´eralement
utilis´ees par FishBase (Froese et Pauly, 2000 ; Tab. 3.5). Ceci peut sâexpliquer pour les
crustac´es carnivores qui se nourrissent notamment de d´etritus et dâorganismes morts.
Alors que les analyses de contenus stomacaux leur attribuent conventionnellement un
niveau trophique de 1, quelque soit le degr´e de d´ecomposition des proies, les m´ethodes
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
191
isotopiques int`egrent dans le calcul du TL de pr´edateur la position trophique de ce type
de proie. Pour les polych`etes la valeur de 3,0 a ´et´e estim´ee pour six esp`eces de polych`etes
du Golfe de Gascogne et est sup´erieure `a la valeur de 2,1 g´en´eralement employ´ee par
FishBase. Comme le mentionnent Jennings et al. (2002a) `a propos du r´egime alimentaire
de petites esp`eces d´emersales se nourrissant sur des polych`etes :
ÂŤ
Existing methods of assigning trophic level based on diet data rarely take
realistic account of the complex trophic linkages which support smaller fishes,
and incorrectly assume that their small invertebrate prey consistently feed
at very low trophic levels.
Âť
La valeur ´elev´ee du niveau trophique moyen recalcul´e pour les mollusques autres que
les c´ephalopodes (TL = 3,4) provient de ce que les donn´ees issues de la litt´erature
incluent quatre esp`eces de gast´eropodes et deux esp`eces de bivalves. Lâ´ecart type estim´e
pour le TL des mollusques (0,8) est ainsi important par rapport aux autres taxons
puisque le groupe taxonomique inclut potentiellement des esp`eces caract´eris´ees par des
r´egimes alimentaires tr`es diff´erents. La valeur recalcul´ee et affect´ee aux 20 esp`eces de
mollusques non identifi´ees dans lâanalyse peut ainsi surestimer les niveaux trophiques des
pr´edateurs. N´eanmoins, les moyennes arithm´etiques calcul´ees de mani`ere `a estimer les TL
au niveau des groupes taxonomiques constituent une m´ethode pragmatique, compte tenu
du manque de connaissance sur les abondances de chaque groupe `a cette ´echelle dâ´etude,
et des pr´ef´erences des poissons pour un type de proie en particulier. Pour les poissons, les
valeurs de TL utilis´ees sont sup´erieures aux valeurs report´ees dans FishBase. Ceci peut
en particulier sâexpliquer car les TL estim´es par Pinnegar et al. (2002) correspondent aux
grandes gammes de taille de poissons (70% de la taille maximale), alors que les tailles des
poissons pr´esents dans les estomacs des esp`eces ´etudi´ees sont g´en´eralement plus petites
(Pinnegar et al., 2003b). Celles-ci nâont cependant pas ´et´e mesur´ees lors de lâanalyse des
contenus stomacaux. Les TL obtenus pour les pr´edateurs sont donc surestim´es. Cette
approche a ´et´e pr´ef´er´ee afin de recourir aux
ÂŤ
meilleures
Âť
estimations de TL et dans
un souci dâhomog´en´eit´e des valeurs de TL des proies. Ceci ne devrait pas modifier de
mani`ere importante les r´esultats de lâanalyse puisque la mËeme approche a ´et´e appliqu´ee
aux cinq esp`eces. N´eanmoins, la connaissance de relations entre la taille des proies et
leur TL devrait permettre de corriger les valeurs estim´ees.
3.5.3.2
Caract´
erisation du r´
egime alimentaire
La connaissance du niveau trophique individuel et de lâindice dâomnivorie `a lâ´echelle de
la population permet de caract´eriser son type de r´egime alimentaire dans un ´ecosyst`eme
donn´e. En particulier, la description de la gamme de TL repr´esent´es dans la popula-
192
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
tion, indiquant la taille de la niche trophique des proies, peut se faire via la variabilit´e
interindividuelle du TL des pr´edateurs. Lâ´ecart interquartile ou lâ´ecart type des TL des
pr´edateurs apparaissent comme des indicateurs de la taille de la niche et permettent
de pr´eciser le caract`ere g´en´eraliste ou sp´ecialiste dâune population donn´ee. Dans un
deuxi`eme temps, le boxplot des indices dâomnivorie renseigne sur le fait que les poissons
sont individuellement omnivores ou sp´ecialistes et permet de faire le distinguo entre des
populations g´en´eralistes de type A ou B. Deux composantes distinctes contribuent en
effet `a la largeur totale dâune niche trophique (Amundsen et al., 1996 ; De Crespin de
Billy et al., 2000) :
â˘
chaque individu pr´esente des variations dans ses propres ressources (
ÂŤ
within-
phenotype component
Âť
, WPC),
â˘
il existe une variabilit´e dans lâutilisation des ressources entre individus (
ÂŤ
between-
phenotype component
Âť
, BPC),
3.5.3.3
Variabilit´
e du niveau trophique
Pour les cinq esp`eces dâint´erËet, la variabilit´e (´ecart type) du niveau trophique pour les
gammes de taille consid´er´ees apparaËÄąt globalement faible et inf´erieure `a 0,4. Ceci est en
partie li´e aux valeurs de TL attribu´ees aux proies (voir pr´ec´edemment), ainsi quâ`a lâab-
sence de donn´ees pour les plus petites tailles des pr´edateurs, pour lesquelles les change-
ments de r´egime alimentaire peuvent Ëetre tr`es importants. Par ailleurs, la faible gamme
de TL observ´ee est ´egalement due au caract`ere piscivore des pr´edateurs ´etudi´es, sauf
lâ´eglefin dont le r´egime contient une tr`es faible proportion de poisson (
<
9%). Except´e
lâ´eglefin, les r´esultats mettent en ´evidence des changements ontog´eniques marqu´es dans le
r´egime des esp`eces dâint´erËet, qui se traduisent par des relations g´en´eralement croissantes
entre le TL et la taille des individus. Ces modifications de r´egime, g´en´eralement as-
soci´ees `a une augmentation de la piscivorie avec la taille, sont bien document´ees (Aubin-
Ottenheimer, 1987 ; Du Buit, 1995, 1996 ; Link et Garrison, 2002). De tels changements
ont ´et´e mis en ´evidence via des contenus stomacaux et des m´ethodes isotopiques pour
diff´erentes esp`eces (ReË
nones et al., 2002 ; Stergiou et Karpouzi, 2002 ; Cocheret de la
Morini`ere et al., 2003 ; Deudero et al., 2004 ; Le Locâh et Hily, 2005). En revanche,
lâanalyse montre que le merlan pr´esente une diminution du TL au cours de sa vie, bien
que Jennings et al. (2002a) aient mis en ´evidence par isotopes stables une augmentation
du TL avec la taille pour cette esp`ece en mer du Nord. La diminution observ´ee nâest
pas li´ee `a des changements de consommation entre les groupes taxonomiques puisque le
merlan apparaËÄąt piscivore pour toute la gamme de taille consid´er´ee, 90% des proies iden-
tifi´ees correspondant `a des poissons. Par contre, la croissance du merlan est caract´eris´ee
principalement par une diversification des esp`eces consomm´ees, accompagn´ee dâune dimi-
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
193
nution du sprat (
Sprattus sprattus
; TL = 4,09) dans les estomacs qui repr´esente jusquâ`a
60% du r´egime des petits merlans, et dâune augmentation des tacauds (principalement
Trisopterus minutus
; TL = 3,67) et du merlan bleu (
Micromesistius poutassou
; TL =
3,14) qui explique le d´eclin du TL constat´e. Encore une fois, la connaissance des TL des
proies pour les gammes de tailles consomm´ees devrait am´eliorer les estimations des TL
des pr´edateurs et permettre de confirmer ou dâinfirmer les tendances observ´ees `a lâ´echelle
de la population.
Des effets lieu, c.-`a-d. entre sous-divisions CIEM, sur le TL des pr´edateurs ont ´et´e re-
cherch´es via des mod`eles lin´eaires (r´esultats non montr´es). Les analyses nâont cependant
pas permis de conclure, du fait du trop grand d´es´equilibre du plan dâ´echantillonnage,
conduisant `a des effets confondus entre les facteurs ann´ee, zone et taille. Les r´egimes
alimentaires des esp`eces peuvent cependant grandement diff´erer entre les ´ecosyst`emes
ou `a une ´echelle locale (Du Buit, 1995 ; Adlerstein et Welleman, 2000), et ainsi entraËÄąner
une variabilit´e spatiale des TL des pr´edateurs. Ceci apparaËÄąt dâautant plus vrai que les
esp`eces sont opportunistes et que lâabondance des proies semble alors principalement
expliquer la composition des r´egimes alimentaires (Floeter et Temming, 2003 ; Pinnegar
et al., 2003b). Les effets saison et profondeur mis en ´evidence corroborent ce caract`ere
opportuniste observ´e en mer Celtique pour le merlan, la morue, la cardine et le merlu
(Trenkel et al., 2005).
3.5.3.4
Quantifier lâomnivorie
Lâomnivorie est un concept ´ecologique essentiel permettant de d´ecrire le comportement
alimentaire des organismes (Martinez, 1995) et se d´efinit comme la facult´e de se nour-
rir sur plus dâun niveau trophique (Pimm et Lawton, 1978)
6
. Cette caract´eristique des
populations semble particuli`erement importante `a quantifier dans les ´ecosyst`emes aqua-
tiques o`
u les relations pr´edateurs-proies sont principalement expliqu´ees par la taille (voir
Shin, 2000), et o`
u la connectivit´e apparaËÄąt bien plus ´elev´ee que dans les ´ecosyst`emes ter-
restres ou dâeau douce (Link, 2002a). Plusieurs indices ont ´et´e propos´es pour mesurer le
degr´e dâomnivorie des organismes (Pimm et Lawton, 1978 ; Levine, 1980 ; Christensen et
Pauly, 1992 ; Williams et Martinez, 2004), mais peu ont r´eellement ´et´e appliqu´es dans le
contexte de lâapproche indicateurs revendiqu´ee par lâAEP (cf. Chapitre 1). Christensen
et Pauly (1992) ont propos´e un indice dâomnivorie dont le calcul a ´et´e impl´ement´e dans
le logiciel EwE :
6
La d´efinition de lâomnivorie
sensu
Pimm et Latwton (1978) repose sur une vision discr`ete des TL
alors que les indices mesurant le degr´e dâomnivorie dâun organisme sâappuient en majorit´e sur des valeurs
continues de TL.
194
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
IO
j
=
n
X
i
=1
(
T L
i
â
(
T L
j
â
1))
2
Ă
DC
ij
(3.6)
o`
u IO
j
est lâindice dâomnivorie du pr´edateur j, TL
i
est le TL de la proie i, TL
j
est le
TL du pr´edateur et DC
ij
repr´esente la part de la proie i dans lâestomac du pr´edateur
j (en poids, volume ou nombre). Contrairement `a ce qui est mentionn´e dans FishBase,
cet indice nâest pas une variance et par cons´equent, sa racine carr´ee ne correspond pas
`a une erreur standard du niveau trophique moyen.
Par rapport `a lâindice d´efini par lâ´equation 3.6 qui pond`ere chaque ´ecart `a la moyenne par
la part relative de la proie dans lâestomac, lâindice propos´e dans la pr´esente analyse ne
tient pas compte de lâimportance des voies ´energ´etiques (raisonne en nombre de proies
et non en biomasse) et se focalise sur la gamme de niveaux trophiques cibl´es par le
pr´edateur. Cet indice mesure ainsi le degr´e dâomnivorie de chaque individu pr´edateur au
sens de Pimm et Lawton (1978), c.-`a-d. la capacit´e que chaque individu a `a se nourrir
sur plusieurs niveaux trophiques. Lâindice calcul´e individuellement permet comme nous
lâavons vu pr´ec´edemment de d´eterminer le type de g´en´eralisme en d´eterminant si la
variabilit´e du r´egime est li´ee `a des individus g´en´eralistes, ou sp´ecialistes sur des niches
diff´erentes ; il nâapporte ainsi pas la mËeme information que lâ´ecart type des TL. Celui-ci
peut th´eoriquement prendre une valeur nulle dans le cas dâune population omnivore,
compos´ee dâindividus g´en´eralistes dont le niveau trophique moyen serait ´egal mais qui
se nourriraient tous sur une large gamme de TL.
Lâ´etude de la variabilit´e de lâIO en fonction de la taille des pr´edateurs a permis de
mettre en ´evidence des degr´es dâomnivorie diff´erents entre les esp`eces dâint´erËet, lâ´eglefin
et la morue ´etant beaucoup plus omnivores que le merlan, le merlu et la cardine ; ces
trois esp`eces sont en effet caract´eris´ees par des r´egimes majoritairement piscivores. Par
ailleurs, lâanalyse a montr´e des patrons similaires dâaugmentation de lâomnivorie avec la
taille pour les cinq esp`eces, qui indiquent une extension de la gamme de TL exploit´es
par les pr´edateurs au fur `a mesure quâils grandissent. Ces relations peuvent sâexpliquer
notamment par lâaugmentation de la taille de la bouche et de la capacit´e natatoire des
poissons au cours de leur croissance, leur permettant dâing´erer des proies plus grosses et
dâacc´eder `a une gamme de proies plus grande (Karpouzi et Stergiou, 2003). Les GAM
nâont pas ´et´e conduits sur les IO individuels compte tenu de la structure des donn´ees qui
pr´esentent un grand nombre de valeurs nulles, li´ees aux poissons nâayant quâune proie
dans leur estomac. Des GAM exploratoires conduits uniquement sur les valeurs positives
dâIO (r´esultats non pr´esent´es) confirment lâaugmentation de lâIO avec la taille pour les
cinq esp`eces ´etudi´ees. Un mod`ele de m´elange associant une loi binËomiale, de mani`ere `a
discerner les valeurs positives des nulles, et un GAM est en cours de d´eveloppement afin
de rechercher les effets de la taille, la profondeur et la saison sur lâomnivorie.
3.5 Analyse de la variabilit´
e du niveau trophique et de lâomnivorie
195
Lâactivit´e de pËeche entraËÄąnant une diminution de la taille moyenne des populations en
exploitant pr´ef´erentiellement les poissons de plus grande taille (Shin et al., 2005), le degr´e
dâomnivorie des populations ´etudi´ees devrait diminuer sous une pression croissante de la
pËeche. Des analyses compl´ementaires sur dâautres esp`eces et dans diff´erents ´ecosyst`emes
devront ainsi Ëetre conduites `a partir de lâindice propos´e et dâautres indices dâomnivorie
afin de rechercher des patrons similaires `a ceux observ´es en mer Celtique, de mani`ere
`a tester lâhypoth`ese avanc´ee. Ceci pourrait ´egalement contribuer `a pr´eciser la relation
entre TL et omnivorie `a lâ´echelle des communaut´es de poissons, diff´erents auteurs ayant
sugg´er´e que lâomnivorie devrait augmenter avec la position trophique des organismes
(Froese et Pauly, 2000 ; Christian et Luczkovich, 1999 ; France, 1997). A lâ´echelle des
´ecosyst`emes, les mod`eles classiques de dynamiques des populations (voir May, 1973)
pr´evoient que lâomnivorie devrait Ëetre un ph´enom`ene rare dans les r´eseaux trophiques et
quâelle tend globalement `a d´estabiliser les communaut´es ´ecologiques (Pimm et Lawton,
1978 ; Pimm et al., 1991). Des donn´ees empiriques ont cependant infirm´e cette assertion
et montr´e que lâomnivorie est r´epandue, particuli`erement dans les ´ecosyst`emes marins
(p. ex. Martinez, 1991 ; Link, 2002a). Des ´etudes th´eoriques et exp´erimentales sugg`erent
comment lâomnivorie (Fagan, 1997 ; McCann et Hastings, 1997 ; Fussman et Heber,
2002 ; Emmerson et Yearsley, 2004) et les interactions faibles (McCann et al., 1998)
stabilisent les r´eseaux trophiques. Aussi, le comportement g´en´eraliste des esp`eces, le
degr´e de recouvrement entre niches trophiques et la connectivit´e ´elev´ee existant dans les
´ecosyst`emes marins conduisent `a des forces dâinteraction faibles entre esp`eces et consti-
tuent des facteurs pouvant expliquer la stabilit´e de ces syst`emes (Link, 2002a). Dans
ce contexte, lâ´etude des relations dâomnivorie entre les esp`eces, notamment via des esti-
mations de TL par contenus stomacaux et ratios isotopiques et le calcul dâindicateurs,
devrait permettre dâam´eliorer notre connaissance de cette caract´eristique essentielle des
r´eseaux trophiques marins. Le calcul dâun indice dâomnivorie moyen par esp`ece, dans
lâoptique dâestimer un indice dâomnivorie moyen des captures pourrait Ëetre envisag´e.
Lâ´evolution temporelle de cet indice compl`eterait ainsi le niveau trophique moyen des
captures et le FIB (Pauly et al., 1998a, 2000), et pourrait Ëetre reli´ee aux concepts de sta-
bilit´e et de variabilit´e (pour une revue voir Dunne et al. (2005)), concepts fondamentaux
pour comprendre les r´eponses des ´ecosyst`emes marins exploit´es.
3.5.3.5
Am´
eliorer les estimations des indicateurs
Lâanalyse a permis de montrer que la variabilit´e du niveau trophique diff`ere entre esp`eces
et quâelle peut Ëetre importante entre les individus dâune mËeme population. Le r´egime
alimentaire d´epend en effet `a la fois des caract´eristiques anatomiques et physiologiques
des individus et de lâenvironnement physique auquel ils ont acc`es, qui d´efinit la gamme
de proies exploitables, c.-`a-d. la niche trophique. Par cons´equent, il semble n´ecessaire de
196
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
disposer dâune bonne connaissance de la variabilit´e des valeurs de niveaux trophiques
lorsque ceux-ci sont attribu´es `a une esp`ece donn´ee sur une grande zone g´eographique et
pour une longue p´eriode de temps. Dans le contexte dâestimation dâindicateurs des effets
de la pËeche, le niveau trophique moyen des captures (MTL), la PPR et lâindice FIB de-
vraient notamment Ëetre calcul´es `a partir de valeurs de TL estim´ees
ÂŤ
localement
Âť
, câest
`a dire dans lâ´ecosyst`eme dâint´erËet. De plus, compte tenu de lâimportance des effets de la
pËeche sur la structure en taille des populations, il semblerait plus judicieux de disposer
de relations TL-taille, ou au moins de valeurs de TL attribu´ees `a des classes de taille
pour chaque esp`ece, plutËot que de consid´erer une valeur moyenne pour lâensemble de la
population. Les structures en taille sont en effet g´en´eralement disponibles via les groupes
de travail du CIEM pour les stocks repr´esentant souvent la majorit´e de la biomasse des
´ecosyst`emes. Ceci permettrait ainsi de concilier lâinformation issue des m´ethodes clas-
siques de dynamiques des populations et le calcul dâindicateurs ´ecosyst´emiques. Jennings
et al. (2002a) ont notamment mis en ´evidence en mer du Nord que les effets de la pËeche
se faisaient ressentir uniquement lorsque les relations TL-taille ´etaient prises en compte
dans le calcul du niveau trophique moyen des captures.
Lâam´elioration du calcul du spectre trophique passe ´egalement par lâestimation de la
variabilit´e des niveaux trophiques. La r´epartition de la variable dâint´erËet sur une gamme
de TL, r´ealis´ee pour lâinstant de mani`ere pragmatique par la m´ethode de lissage, devrait
ainsi tenir compte de la variabilit´e interindividuelle du niveau trophique. Lâestimation de
cette variabilit´e sur toute la gamme de niveaux trophiques du spectre apparaËÄąt comme
une condition n´ecessaire en vue dâune meilleure repr´esentation des impacts de la pËeche
sur la structure trophique des ´ecosyst`emes. La pr´ecision et la fiabilit´e du calcul des ni-
veaux trophiques, lorsquâils servent de base `a lâestimation dâindicateurs ´ecosyst´emiques,
constituent des pr´erequis indispensables pour ´evaluer lâ´etat des ´ecosyst`emes.
3.5.4
Conclusion
Les notions de niveau trophique et dâomnivorie abord´ees dans cette section apparaissent
fondamentales pour simplifier la complexit´e des syst`emes naturels et analyser les re-
lations pr´edateurs-proies, qui expliquent une part essentielle des dynamiques des po-
pulations marines. A lâ´echelle des ´ecosyst`emes, il existe des liens importants entre ces
concepts et les effets top-down et bottom-up observ´es dans diff´erentes r´egions du monde
(Sala et al., 1998 ; Cury et al., 2000 ; Pinnegar et al., 2000 ; Reid et al., 2000 ; Cars-
cadden et al., 2001 ; Worm et Myers, 2003). Par exemple, les effets bottom-up seront
plus difficiles `a d´etecter dans le cas de populations g´en´eralistes, capables de changer de
r´egime en fonction de la disponibilit´e en proies dans le milieu. `
A lâinverse, les effets top-
down et les cascades trophiques peuvent Ëetre ais´ement observables pour des populations
3.6 Conclusion du chapitre
197
sp´ecialistes, en analysant simplement les covariations entre les populations dâint´erËet. Le
caract`ere g´en´eraliste de nombreuses esp`eces marines associ´e `a la faiblesse des forces dâin-
teractions entre esp`eces rendent ainsi la visualisation de cascades trophiques en milieu
marin moins fr´equentes quâen milieu lacustre (Pace et al., 1999). De plus, ces propri´et´es
limitent lâapplication des mod`eles multisp´ecifiques utilis´es en halieutique, la MSVPA en
particulier, car ceux-ci ne sâint´eressent quâ`a quelques populations commerciales dâint´erËet
(Trenkel et al., 2004a). Le d´eveloppement de mod`eles de simulations utilis´es comme des
laboratoires virtuels apparaËÄąt alors Ëetre une voie possible pour explorer le fonctionnement
des ´ecosyst`emes marins et leurs r´eponses `a diff´erents types dâexploitation et diff´erentes
caract´eristiques de leur fonctionnement (cf. Chapitre 4).
3.6
Conclusion du chapitre
Lâ´evaluation de lâ´etat des ´ecosyst`emes marins constitue une phase cl´e n´ecessaire `a la
compr´ehension des impacts quâont lâHomme et les ´ev`enements naturels (p. ex. cyclones)
sur la structure de ces ´ecosyst`emes et les services quâils rendent `a lâhumanit´e. Compte
tenu de la complexit´e des ´ecosyst`emes, une approche centr´ee sur des indicateurs mesurant
les caract´eristiques consid´er´ees comme essentielles `a leur fonctionnement est pr´econis´ee
par lâAEP (cf. Chapitre 1). Dans ce contexte, lâobjectif de ce chapitre a ´et´e de d´ecrire
les grandes zones de pËeche europ´eennes, assimil´ees `a des ´ecosyst`emes, par un ensemble
dâindicateurs principalement bas´es sur des donn´ees de captures. Ce type de donn´ees de-
meure en effet lâunique source dâinformation disponible `a cette ´echelle spatio-temporelle
et pour un nombre dâesp`eces aussi important. Cette approche nous a conduit `a introduire
la notion de zone de pËeche ´ecosyst´emique. Lâanalyse permet en particulier de mettre en
´evidence que les ´ecosyst`emes marins europ´eens sont caract´eris´es par des syst`emes dâex-
ploitation et des r´eponses `a la pËeche tr`es vari´ees, sugg´erant notamment des degr´es de
r´esistance `a la surexploitation diff´erents entre eux. Par ailleurs, nous avons montr´e que
la combinaison des indicateurs via une analyse multivari´ee est une approche pertinente
pour comparer les ´ecosyst`emes et sp´ecifier une possible direction de
ÂŤ
surexploitation
´ecosyst´emique
Âť
. Celle-ci se traduirait simultan´ement par une baisse du niveau tro-
phique moyen des captures, une hausse de la production domin´ee par quelques esp`eces
p´elagiques et de bivalves, caract´eris´ee par une variabilit´e interannuelle importante. Ce
type de m´ethodologie pourrait dans le futur Ëetre reconduit en incluant des indicateurs
de pression de pËeche `a lâ´echelle des ´ecosyst`emes, de mani`ere `a pouvoir relier plus direc-
tement les tendances observ´ees `a lâexploitation halieutique. De plus, la mise en place
dâun syst`eme de m´etabase de donn´ees au niveau de lâEurope, via le CIEM par exemple,
donnant acc`es `a lâensemble des donn´ees biologiques et physiques collect´ees depuis plus
dâun si`ecle dans les eaux europ´eennes constituerait une avanc´ee consid´erable afin de pro-
198
3. D´
ecrire et comparer les grandes zones de pË
eche europ´
eennes via des indicateurs
mouvoir des analyses comparatives `a cette ´echelle. De telles approches pour lâ´etude des
r´eseaux trophiques existent en ´ecologie th´eorique (Cohen, 1989 ; Ecologists Co-operative
Web Bank) et ont favoris´e la d´etection de patrons communs entre ´ecosyst`emes (p. ex.
Pimm et al., 1991). Par contraste, le faible nombre dâ´etudes scientifiques portant sur
les r´eseaux trophiques marins (Raffaelli, 2000) et leurs particularit´es (Link, 2002a) ap-
pellent `a multiplier les analyses sur leur structure et leurs caract´eristiques, de mani`ere
`a am´eliorer
in fine
notre connaissance de leur fonctionnement.
3.6 Conclusion du chapitre
199
Synth`ese - Chapitre 3
Lâobjectif de ce troisi`eme chapitre est de compl´eter lâapproche monosp´ecifique du
chapitre pr´ec´edent par une dimension ´ecosyst´emique, visant `a caract´eriser lâ´etat des
´ecosyst`emes o`u op`erent les flottilles finist´eriennes. Dans la premi`ere section du chapitre,
nous proposons de regrouper les sous-divisions CIEM pr´esentant des profils de captures
similaires en
ÂŤ
zones de pËeches ´ecosyst´emiques
Âť
(ZPE) par analyse factorielle des corres-
pondances. Les ZPE apparaissent comme de grandes unit´es g´eographiques spatialement
coh´erentes, caract´eris´ees par des sch´emas dâexploitation diff´erents. La d´elimitation des
ZPE sâappuie principalement sur les limites g´eographiques et juridiques des stocks, qui
expriment notamment leurs pr´ef´erences dâhabitat dans les eaux europ´eennes.
Les ZPE sont tout dâabord d´ecrites par le niveau trophique moyen des captures (MTL),
lâindice Fishing-In-Balance (FIB) et les spectres trophiques de captures et de production
primaire requise (PPR). Pour la p´eriode la plus r´ecente (1997-2001), les spectres mettent
en ´evidence des diff´erences importantes de production entre ZPE, les zones les plus
productives ´etant majoritairement associ´ees `a des captures dans les TL interm´ediaires,
souvent le fait dâune seule esp`ece. Lâ´evolution temporelle des indices montre un d´eclin
significatif du MTL et du FIB pour la majorit´e des ZPE, sugg´erant des ph´enom`enes de
surexploitation dans les ´ecosyst`emes sous-jacents et des degr´es vari´es de r´esistance `a la
pËeche. Une diminution du MTL et du FIB est observ´ee dans la p´eriode la plus r´ecente
pour le plateau celtico-gascon, zone de pËeche principale des flottilles finist´eriennes.
Des indicateurs quantifiant la production primaire, la productivit´e halieutique, la diversit´e
des captures, leur niveau trophique moyen ainsi que la variabilit´e de ces indices dans le
temps, sont utilis´es pour comparer les zones. Lâinformation apport´ee par les diff´erents
indices est synth´etis´ee par une analyse en composantes principales. La position des ZPE
dans le premier plan factoriel pour la p´eriode 1997-2001 sâinterpr`ete ais´ement et montre
des contrastes spatiaux importants entre zones. Leur ´evolution au cours de la p´eriode
1973-2001 est tr`es diff´erente et permet de sp´ecifier une direction que nous proposons
dâassocier `a une surexploitation ´ecosyst´emique. Lâ´evolution du plateau celtico-gascon
dans le plan sugg`ere ainsi une d´egradation de lâ´ecosyst`eme sous-jacent.
La derni`ere section consiste en une analyse de la variabilit´e du niveau trophique (TL)
et de lâomnivorie, `a partir de contenus stomacaux de cinq esp`eces pr´edatrices de mer
Celtique. La combinaison du TL et dâun indice dâomnivorie original permet de d´ecrire
le comportement alimentaire et le rËole trophique des esp`eces. Des mod`eles additifs
g´en´eralis´es mettent en ´evidence pour certaines dâentre elles des modifications du TL
li´ees `a des changements ontog´eniques, ainsi que des variations saisonni`eres et avec la
profondeur. Lâaugmentation de lâomnivorie avec la taille constat´ee pour les cinq esp`eces
appelle `a des ´etudes compl´ementaires sur cette caract´eristique essentielle des relations
trophiques, compte tenu de son rËole stabilisateur dans les communaut´es ´ecologiques.
Chapitre 4
Mod´
eliser la r´
eponse des
´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche
par simulations
ÂŤ
Longtemps, on a pens´e que lâinformatique en g´en´eral et les programmes dâintelligence artificielle en par-
ticulier allaient m´elanger et pr´esenter sous des angles neufs les concepts humains. Bref, on attendait de
lâ´electronique une nouvelle philosophie. Mais mËeme en la pr´esentant diff´eremment, la mati`ere premi`ere reste
identique : des id´ees produites par des imaginations humaines. Câest une impasse. La meilleure voie pour
renouveler la pens´ee est de sortir de lâimagination humaine
Âť
Edmond Wells
Sommaire
4.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
4.2
Hypoth`
eses et principes du simulateur
. . . . . . . . . . . . 204
4.2.1
Description du mod`ele . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
204
4.2.2
Sc´enarii de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
211
4.3
R´
esultats de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
4.3.1
Effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
214
4.3.2
ContrË
ole top-down . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
216
4.3.3
ContrË
ole bottom-up . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
220
4.3.4
Omnivorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
223
4.3.5
Effets de structure dâË
age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
225
4.4
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
4.4.1
Mod´eliser les effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . .
226
4.4.2
Effets de la pËeche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
228
202
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
4.4.3
ContrË
ole top-down et pr´edation . . . . . . . . . . . . . . . . .
228
4.4.4
ContrË
ole bottom-up et croissance . . . . . . . . . . . . . . . .
229
4.4.5
Omnivorie et cascades trophiques . . . . . . . . . . . . . . . .
231
4.4.6
Indicateurs : quels enseignements du mod`ele ? . . . . . . . . .
233
4.4.7
´
El´ements de r´eflexion pour les fonctions de production du Fi-
nist`ere . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
235
4.5
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Synth`
ese - Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
4.1 Introduction
203
4.1
Introduction
Le troisi`eme chapitre a mis en ´evidence des diff´erences importantes dans les sch´emas dâex-
ploitation en place dans les grandes zones de pËeche europ´eennes, regroup´ees en zones de
pËeche ´ecosyst´emiques (ZPE). Le recours `a un ensemble dâindicateurs a permis de montrer
que les zones ne semblent pas affect´ees au mËeme degr´e par lâactivit´e de pËeche, ceci pou-
vant Ëetre li´e `a la fois aux strat´egies dâexploitation et au fonctionnement des ´ecosyst`emes
sous-jacents. En particulier, certaines zones semblent
ÂŤ
mieux r´esister
Âť
`a la surexploita-
tion que dâautres, notamment du fait de potentiels de production dans les bas niveaux
trophiques. Cependant, le manque de connaissances disponibles sur les abondances des
esp`eces non commerciales (p. ex. Christensen et al., 2003) et plus g´en´eralement, lâabsence
de fondements th´eoriques sur les ´ecosyst`emes marins (Hall, 1999 ; Link, 2002) limitent
notre compr´ehension des processus `a lâorigine des patrons observ´es. Dans ce contexte, un
mod`ele de simulation th´eorique est d´evelopp´e ici afin dâexplorer plusieurs hypoth`eses al-
ternatives portant sur le fonctionnement des ´ecosyst`emes et pouvant expliquer certaines
des observations faites via les indicateurs. Le mod`ele repr´esente un r´eseau trophique
complexe par un ensemble de composantes trophiques interagissant par pr´edation. Trois
caract´eristiques essentielles du fonctionnement de cet ´ecosyst`eme virtuel sont consid´er´ees
dans lâanalyse : les intensit´es du contrËoles top-down et bottom-up et le degr´e dâomnivorie
dans le syst`eme. Les objectifs de ce chapitre
1
sont doubles. Dans un premier temps, le
mod`ele est utilis´e comme un laboratoire virtuel afin dâ´evaluer la variabilit´e des fonctions
de production des composantes trophiques du syst`eme, suivant diff´erents sc´enarii dâex-
ploitation et caract´eristiques de fonctionnement de lâ´ecosyst`eme. La pr´edation est en
effet une source majeure de mortalit´e naturelle pour de nombreuses populations de pois-
sons (Bax, 1998), et influence grandement les dynamiques des stocks. Aussi, les fonctions
de production qui d´ecrivent la production biologique dâune population `a lâ´equilibre en
fonction de son abondance dans le syst`eme, d´ependent de la nature et des forces des liens
existant au sein du r´eseau trophique et de lâintensit´e de pËeche sâexer¸cant sur les esp`eces
cibl´ees. Elles correspondent ´egalement `a la production de poisson `a lâ´equilibre pour une
1
Ce chapitre a fait lâobjet de deux communications scientifiques en 2003, au 6
e
forum de lâAFH et
`a la conf´erence annuelle du CIEM, et dâun article paru dans la revue ALR en 2005 :
â Chassot, E. et Gascuel, D. (2003). Estimation de lâimpact des relations trophiques sur les fonc-
tions de production biologique dâun ´ecosyst`eme. Actes du 6`eme colloque de lâAssociation Fran¸caise
dâHalieum´etrie
ÂŤ
Connaissance scientifique et demande sociale
Âť
, Montpellier, 24-26 Juin 2003,
R´esum´e.
â Chassot, E. et Gascuel, D. (2003). Estimation of the impact of trophic interactions on biological
production functions in an ecosystem.
ICES CM 2003/N : 11 (mimeo)
.
â Chassot, E., Gascuel, D. et Colomb, A. (2005). Impact of trophic interactions on production func-
tions and on the ecosystem response to fishing : A simulation approach.
Aquatic Living Resources
,
18
, 1â13.
204
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
intensit´e de pËeche donn´ee. Deuxi`emement, un r´esultat attendu du projet ´etait de sp´ecifier
de mani`ere r´ealiste des fonctions de production int´egrant les relations intersp´ecifiques et
´eventuellement lâeffet de lâenvironnement, en pr´ealable `a la mod´elisation ´economique du
Finist`ere. MËeme si le mod`ele ´economique nâa pu Ëetre men´e `a son terme, nous pr´esentons
ici comment le simulateur permet dâenvisager de mani`ere qualitative les modifications
des fonctions de production sp´ecifiques sous lâimpact de la pËeche et dans diff´erents types
dâ´ecosyst`emes. Dâautre part et en parall`ele, le simulateur est utilis´e pour analyser la
r´eponse des ´ecosyst`emes `a lâexploitation au travers dâindicateurs ´ecosyst´emiques, selon
les caract´eristiques de fonctionnement simul´ees. Cette r´eponse est en effet une fonction
´emergente des fonctions de production individuelles des diff´erents composantes consti-
tuant le r´eseau trophique. Le but du mod`ele est de r´epondre aux questions suivantes :
1) Comment la pËeche modifie-t-elle la distribution de biomasse au sein du syst`eme ? 2)
Comment les fonctions de production varient-elles selon les caract´eristiques g´en´erales de
lâ´ecosyst`eme ? 3) Existe-t-il des ´ecosyst`emes faisant preuve dâune plus grande r´esistance
`a la surexploitation que dâautres ? 4) Quels enseignements pouvons-nous tirer du simu-
lateur, dans la perspective dâimpl´ementer dans le mod`ele ´economique du Finist`ere, des
fonctions de production int´egrant des relations intersp´ecifiques ?
4.2
Hypoth`
eses et principes du simulateur
4.2.1
Description du mod`
ele
Le mod`ele simule un ´ecosyst`eme virtuel dans lequel toute la biomasse est r´epartie entre
diff´erents compartiments trophiques qui interagissent par relations trophiques. Les com-
partiments repr´esentent des composantes trophiques allant du niveau trophique (TL)
2,0 pour les producteurs secondaires (herbivores stricts et zooplancton) `a 5,0 pour les
top-pr´edateurs, par intervalles de 0,1 TL. En premier lieu, nous consid´erons que la bio-
masse recrut´ee dans une composante trophique `a chaque p´eriode de temps ne d´epend
que de la biomasse totale de cette composante. Ce point sera discut´e plus loin. Chaque
composante trophique est structur´ee en Ëage, des fonctions de croissance, survie, cap-
tures ´etant sp´ecifi´ees. Les param`etres de mortalit´e naturelle et par pËeche sont consid´er´es
constants pour tous les Ëages au sein de chaque composante trophique, mais diff`erent entre
les composantes. La biomasse du TL 1,0 est suppos´ee non limitante dans le syst`eme.
La situation dâ´etat vierge (sans pËeche) constitue lâ´etat de r´ef´erence `a partir duquel
diff´erents sc´enarii sont simul´es jusquâ`a un ´etat dâ´equilibre. Un pas de temps annuel est
consid´er´e pour le mod`ele dont les solutions sont obtenues par it´erations successives.
Nous pr´esentons dâabord les diff´erents sous-mod`eles puis les sc´enarii de simulation. Les
symboles et abr´eviations sont r´esum´es dans le tableau 4.1.
4.2 Hypoth`
eses et principes du simulateur
205
Tab.
4.1 â
Symboles, abr´eviations et m´ethode dâestimation ou valeur des param`etres utilis´es dans
lâ´etude.
Param`etre
D´efinition
Valeur
´
Equation
K
Param`etre du mod`ele de croissance (ann´ee
â
1
)
Estim´ee (FishBase)
4.1
L
â
Param`etre du mod`ele de croissance (cm)
Estim´ee (FishBase)
4.1
a
Param`etre de la relation taille-poids
Estim´ee (FishBase)
4.1
b
Param`etre de la relation taille-poids
3
4.1
M1
Taux de mortalit´e naturelle sans pr´edation
0,05
4.2
M2
Taux de mortalit´e par pr´edation
Estim´e
4.2
F
Taux de mortalit´e par pËeche
0,2 ou 0,4
4.2
t
r
Ë
Age au recrutement
1
4.2
Ď
Coefficient de pr´ef´erence trophique
Estim´ee (´etat vierge)
4.3
Ď
Biomasse disponible
Estim´ee
4.3
Q/B
Taux de consommation par g de biomasse
Estim´ee (FishBase)
4.5
Ρ
Param`etre de s´electivit´e
Fix´ee (Tab. 4.2)
4.6
TL
50
Param`etre de s´electivit´e
Fix´ee (Tab. 4.2)
4.6
Y
Capture
Estim´ee
4.7
Îą
Param`etre de la relation S-R
Fix´ee (calibration)
4.8
β
Param`etre de la relation S-R
Fix´ee (calibration)
4.8
Îś
Intensit´e de contrË
ole top-down
Fix´ee (Tab. 4.2)
-
Ď
Intensit´e de contrË
ole bottom-up
Fix´ee (Tab. 4.2)
4.9
θ
Intensit´e de lâomnivorie
Fix´ee (Tab. 4.2)
4.10
Ď
Moyenne du spectre de biomasse vierge
Fix´ee (Tab. 4.2)
-
δ
Ecart type du spectre de biomasse vierge
Fix´ee (Tab. 4.2)
-
A
Efficacit´e sp´ecifique de conversion trophique
0,5
4.11
4.2.1.1
Croissance individuelle
Un mod`ele de croissance individuelle est sp´ecifi´e en recourant `a la fonction de croissance
de Von Bertalanffy (Von Bertalanffy, 1938) pour chaque composante trophique ou classe
i. Les param`etres sont estim´es `a partir de r´egressions lin´eaires empiriques (Fig. 4.1a,b)
entre la longueur asymptotique (L
â
; cm) ou le taux de croissance (K
i
; t
â
1
) et le TL
moyen des esp`eces, en utilisant les donn´ees de FishBase (Froese et Pauly, 2000). Ces
relations fournissent des estimations du poids individuel (W
i
) de chaque composante
trophique i `a lâËage t (Fig. 4.1d) :
W
i
(
t
) =
a
i
Ă
L
b
i
â
, i
Ă
1
â
exp (
â
K
i
Ă
(
t
â
t
0
))
b
i
(4.1)
206
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
o`
u a
i
et b
i
sont les param`etres de la relation allom´etrique taille-poids, les a
i
´etant estim´es
par r´egression lin´eaire en utilisant FishBase (Fig. 4.1c) et les b
i
sont fix´es `a une valeur
de 3. Nous avons fix´e t
0
(constante dâint´egration) `a 0. Tous les autres param`etres sont
donc sp´ecifiques de chaque composante trophique.
Fig.
4.1
â
Relations entre les param`etres de la courbe de croissance de Von Bertalanffy (1938) et
le niveau trophique moyen des esp`eces de poissons, et fonctions de croissance correspondantes pour
certaines composantes trophiques du mod`ele de simulation. Les donn´ees proviennent de FishBase (Froese
et Pauly, 2000) ; (a) Taux de croissance, K ; (b) Longueur asymptotique, L
â
; (c) Param`etre a de la
relation taille-poids ; (d) Fonctions de croissance en poids (kg).
4.2.1.2
Survie
Suivant le mod`ele classique de Beverton et Holt (1957), nous consid´erons une
ÂŤ
cohorte
trophique
Âť
i soumise `a la fois `a une mortalit´e naturelle (M
i
) et une mortalit´e par
pËeche (F
i
), suppos´ees constantes durant la p´eriode o`
u la cohorte est exploitable. Afin de
d´ecrire les relations intersp´ecifiques, la mortalit´e naturelle est s´epar´ee en M
i
= M1
i
+
M2
i
. Lâ´equation de survie pour une cohorte trophique en fonction de son Ëage t sâexprime
suivant :
4.2 Hypoth`
eses et principes du simulateur
207
N
i
(
t
) =
R
i
Ă
exp (
â
(
F
i
+
M
1
i
+
M
2
i
)
Ă
(
t
â
t
r
))
(4.2)
o`
u N
i
(t) est le nombre dâindividus dâËage t dans la cohorte trophique, R est le recrute-
ment annuel de la cohorte (Section 4.2.1.6), M1
i
est le taux de mortalit´e naturelle hors
pr´edation, M2
i
est le taux de mortalit´e par pr´edation et t
r
est lâËage au recrutement. t
r
est fix´e `a 1 dans le mod`ele.
4.2.1.3
Pr´
ef´
erence trophique
Dans le mod`ele, `a chaque pr´edateur j est associ´ee une fonction de pr´ef´erence trophique
qui d´efinit un coefficient de s´election (
Ď
j, k
) pour ses proies k dans le syst`eme (
Ď
j, k
<
1). Cette fonction est estim´ee dans la situation vierge et ensuite suppos´ee constante,
comme caract´eristique intrins`eque de chaque composante trophique. Nous supposons
en outre que les coefficients
Ď
j, k
suivent une loi de distribution normale de moyenne
Âľ
j
=
T L
j
â
Îł
j
et dâ´ecart type (
Ď
j
) augmentant avec le TL.
Îł
j
repr´esente la diff´erence
entre le TL du pr´edateur j et sa proie pr´ef´er´ee et est g´en´eralement suppos´e ´egal `a 1. Le
r´egime des composantes trophiques est donc suppos´e devenir plus g´en´eraliste avec les
TL, une tendance illustr´ee en tra¸cant les indices dâomnivorie des poissons en fonction
de leur niveau trophique `a partir des donn´ees de FishBase (Froese et Pauly, 2000 ; Fig.
4.2).
Fig.
4.2
â
Relation entre lâindice dâomnivorie (Christensen et Pauly, 1992), calcul´e comme le carr´e de
lâerreur standard du niveau trophique (DietSETroph), et le niveau trophique moyen (TL) des esp`eces de
poissons. Les donn´ees proviennent de FishBase (Froese et Pauly, 2000). La r´egression de type puissance
a une vocation illustrative.
208
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
La nourriture disponible pour la composante j `a partir de la composante k est
Ď
j, k
=
Ď
j, k
Ă
B
k
. La biomasse totale disponible
Ď
j
pour un pr´edateur j est :
Ď
j
=
X
k
Ď
j, k
=
X
k
Ď
j, k
Ă
B
k
(4.3)
Les param`etres
Îł
j
sont estim´es dans la situation dâ´etat vierge en r´esolvant les ´equations
de TL pour toutes les composantes trophiques :
T L
j
= 1 +
X
k
DC
j, k
Ă
T L
k
= 1 +
X
k
Ď
j, k
Ď
j
Ă
T L
k
(4.4)
o`
u les TL
k
et les TL
j
sont respectivement les TL des proies et des pr´edateurs et DC
j, k
repr´esente la composition du r´egime, c.-`a-d. la contribution de la proie k au r´egime du
pr´edateur j.
Les pr´edateurs sont ainsi suppos´es avoir acc`es `a toutes les proies (mËeme vuln´erabilit´e) et
la composition de leur r´egime refl`ete directement la proportion de chaque proie dans la
biomasse totale de proie disponible. Le cannibalisme trophique, c.-`a-d. la consommation
de la mËeme composante trophique, et la pr´edation sur des TL sup´erieurs sont suppos´es
mineurs. Lâ´ecart type (
Ď
j
) des coefficients de pr´ef´erence
Ď
j, k
est ainsi fix´e conventionnel-
lement de mani`ere `a ce que le cannibalisme sur des niveaux trophiques plus ´elev´es soit
inf´erieur `a 5%.
4.2.1.4
Mortalit´
e par pr´
edation
Le taux de mortalit´e par pr´edation dâune composante trophique k (M2
k
) est consid´er´e
´egal `a tous les Ëages. Il correspond `a la proportion de proie qui disparaËÄąt chaque ann´ee,
et est donn´e par le ratio de la quantit´e totale de proie k mang´ee par tous les pr´edateurs
j sur toute la biomasse de proie (Andersen et Ursin, 1977) :
M
2
k
=
X
j
(
Q/B
)
j
Ă
B
j
Ă
Ď
j, k
Ď
j
B
k
(4.5)
o`
u (Q/B)
j
est la consommation annuelle de nourriture du pr´edateur par unit´e de bio-
masse, B
j
est la biomasse de pr´edateur, B
k
est la biomasse de proie et
Ď
est la biomasse
4.2 Hypoth`
eses et principes du simulateur
209
disponible de proie (´
Eq. 4.3). Une fonction empirique entre la consommation de nourri-
ture par unit´e de biomasse (Q/B) et les TL est tout dâabord estim´ee (Froese et Pauly,
2000 ; Fig. 4.3), le param`etre Q/B ´etant alors consid´er´e constant, c.-`a-d. ind´ependant de
la biomasse donc de lâexploitation. Dans un deuxi`eme temps, le param`etre Q/B varie en
fonction de la mortalit´e totale, traduisant ainsi un ph´enom`ene de densit´e-d´ependance
(Section 4.2.2.5). Le param`etre M2
k
estim´e est ensuite report´e dans lâ´equation 4.2. Lâes-
timation de M2
k
`a partir de nombres ou de biomasse conduit `a des r´esultats identiques,
la mortalit´e ´etant la mËeme pour tous les Ëages dâune composante trophique.
Fig.
4.3
â
Relation entre le taux annuel de consommation de nourriture par unit´e de biomasse (Q/B)
et le niveau trophique moyen (TL) des esp`eces de poissons. Les donn´ees proviennent de FishBase (Froese
et Pauly, 2000).
4.2.1.5
Captures
Afin de d´efinir les composantes trophiques pr´ef´erentiellement cibl´ees par la pËecherie, la
mortalit´e par pËeche (F
i
) est pond´er´ee par une s´electivit´e (s
i
), mod´elis´ee par une relation
d´ependante du TL :
s
i
=
T L
Ρ
i
T L
Ρ
50
+
T L
Ρ
i
(4.6)
o`
u TL
50
est un param`etre de la fonction de s´electivit´e indiquant le TL pour lequel la
s´electivit´e est de 50% et
Ρ
est un param`etre qui donne la vitesse `a laquelle la s´electivit´e
maximale est approch´ee.
210
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
Toujours en sâappuyant sur le mod`ele de Beverton et Holt (1957), nous estimons les
captures correspondant `a lâ´etat dâ´equilibre de chaque composante trophique. Pour cette
raison, la capture annuelle est identique aux captures qui seraient r´ealis´ees sur toute la
vie dâune classe dâËage donn´ee. `
A partir de lâ´equation de Beverton et Holt, les captures
(Y
i
) sont donn´ees par :
Y
i
=
R
i
Ă
s
i
Ă
m
F
Ă
F
Ă
W
â
, i
Ă
3
X
n
=0
âŚ
n
Ă
exp (
â
nK
i
)
Z
i
+
nK
i
(4.7)
o`
u R est le recrutement, s est la s´electivit´e (´
Eq. 4.6), mF est un multiplicateur de
mortalit´e par pËeche, F est la mortalit´e par pËeche dans la situation actuelle, W
â
est le
poids asymptotique, K est la param`etre de croissance du mod`ele de Von Bertalanffy, Z
est la mortalit´e totale et âŚ
n
sont des coefficients de valeur âŚ
0
= 1 ; âŚ
1
= -3 ; âŚ
2
= 3 ;
âŚ
3
= -1.
4.2.1.6
Recrutement
Afin de mod´eliser la reproduction des diff´erents compartiments de lâ´ecosyst`eme, des
relations stock-recrutement (S-R) d´eterministes de type Beverton et Holt (1957) sont
d´efinies pour chaque composante trophique :
R
i
=
Îą
i
Ă
B
i
β
i
+
B
i
(4.8)
o`
u R
i
est le recrutement, B
i
est la biomasse et
Îą
i
et
β
i
sont les param`etres de la relation
S-R. La principale hypoth`ese ici est que le recrutement dâune composante i d´epend
uniquement de sa biomasse. Les param`etres
Îą
i
sont utilis´es pour calibrer le mod`ele.
Pour cela, les valeurs de
Îą
i
sont estim´ees dans la situation dâ´etat vierge (sans pËeche),
de mani`ere `a ce que la distribution de biomasse dans lâ´ecosyst`eme suive une loi donn´ee.
Ce spectre trophique de biomasse `a lâ´etat vierge, c.-`a-d. la distribution de biomasse par
TL, est empiriquement choisi comme une loi normale de moyenne 1 et dâ´ecart type 0,7.
4.2 Hypoth`
eses et principes du simulateur
211
4.2.2
Sc´
enarii de simulation
4.2.2.1
Effets de la pË
eche - Simulation de r´
ef´
erence
Une premi`ere simulation des captures et des biomasses, dite
ÂŤ
simulation de r´ef´erence
Âť
,
est conduite en utilisant les valeurs standards des param`etres : pr´ef´erence trophique,
composition du r´egime, recrutement et taux de mortalit´e par pr´edation (Simulation 1 ;
Tab. 4.2). Les spectres trophiques de biomasse et de captures (Gascuel et al., 2005 ; Sec-
tion 1.3.3) sont calcul´es pour un multiplicateur de mortalit´e par pËeche (mF) augmentant
de 0 `a 2, par pas de 0,1 TL. Le niveau trophique moyen de la biomasse (MTL
B
) et des
captures (MTL
Y
), la biomasse totale de lâ´ecosyst`eme (B
tot
), les captures totales (Y
tot
)
ainsi que lâindice Fishing-In-Balance (FIB ; Pauly et al., 2000 ; Section 1.4.2.1) sont
repr´esent´es en fonction des mortalit´es par pËeche simul´ees. Dans une seconde simulation,
les fonctions de production, exprim´ees en rendements par recrue (Y/R), sont estim´ees
pour certaines composantes trophiques de lâ´ecosyst`eme. Dans ce cas, aucune s´electivit´e
nâest prise en compte dans la simulation et une mortalit´e par pËeche plus intense est
consid´er´ee, ceci de fa¸con `a mieux visualiser les r´esultats (Simulation 2 ; Tab. 4.2).
Tab.
4.2 â
Valeurs des param`etres utilis´es dans les simulations.
N
âŚ
Simulation
F
TL
50
Ρ
B
T L
1
,
0
Îś
Ď
θ
1
R´ef´erence
0,2
3,0
30
5,4.10
14
1
0,1
0,05
2
Y/R
0,4
0,0
30
5,4.10
14
1
0,1
0,05
3
ContrË
ole top-down
0,2
3,0
30
5,4.10
14
0,5-2
0,1
0,05
4
Surexp. top-down
0,6
3,0
200
5,4.10
14
0,5-2
0,1
0,05
5
ContrË
ole bottom-up
0,4
3,0
30
5,4.10
14
1
0-0,6
0,05
6
Surexp. bottom-up
0,6
3,0
30
5,4.10
14
1
0-0,6
0,05
7
Variation de PP
0
3,0
30
5.10
14
-5,3.10
15
1
0,2
0,02-0,08
8
Omnivorie
0,2
3,0
30
5,4.10
14
1
0,1
0,02-0,08
9
Q/B variable
0,2
3,0
30
5,4.10
14
2
0,1
0,05
4.2.2.2
ContrË
ole top-down
Le contrËole top-down, c.-`a-d. la r´egulation de composantes du r´eseau trophique par un
(ou plusieurs) pr´edateur(s) situ´e(s) plus haut dans le r´eseau, est formul´e de mani`ere
explicite via le param`etre de mortalit´e par pr´edation. Lâintensit´e de ce contrËole est
fix´ee par le param`etre de consommation de nourriture par unit´e de biomasse (Q/B).
La multiplication de ce param`etre par un coefficient
Îś
, suivant la gamme de valeurs
de Q/B observ´ees dans la figure 4.3, conduit `a augmenter la part de la mortalit´e par
212
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
pr´edation dans la mortalit´e totale affectant les composantes trophiques. Lâaugmentation
de ce param`etre accentue donc les processus top-down. Dans un premier temps, des
valeurs croissantes de
Îś
sont utilis´ees afin de visualiser leur impact sur les fonctions de
production des composantes trophiques du syst`eme (Simulation 3 ; Tab. 4.2). Les valeurs
de
Îś
conduisant `a des valeurs de pr´edation diff´erentes, les fonctions sont exprim´ees
relativement `a la situation vierge pour les biomasses par recrue (B/R) et `a mF = 0,1
pour les Y/R, de mani`ere `a pouvoir comparer les effets du contrËole top-down. Dans une
deuxi`eme ´etape, des simulations identiques sont conduites pour une mortalit´e par pËeche
plus ´elev´ee afin de se focaliser sur les r´eponses de lâ´ecosyst`eme (Simulation 4 ; Tab. 4.2).
Pour cela, la biomasse totale (B
tot
), la production totale (Y
tot
) et les indices MTL
B
,
MTL
Y
et FIB sont trac´es en fonction des mortalit´es par pËeche. Les valeurs des indices
sont ´egalement exprim´ees de fa¸con relative dans une optique comparative.
4.2.2.3
ContrË
ole bottom-up
Le contrËole bottom-up, c.-`a-d. la r´egulation des composantes du r´eseau trophique par
lâabondance de leurs proies est simul´e via le param`etre de croissance (K
i
) de chaque
pr´edateur. K
i
est suppos´e d´ependre de la proportion de proie disponible par rapport `a
la situation `a lâ´etat vierge :
K
i
=
K
i, pristine
Ă
Ď
i
Ď
i, pristine
Ď
(4.9)
o`
u K
i, pristine
est le taux de croissance `a lâ´etat vierge,
Ď
est la biomasse de proie disponible
pour i (´
Eq. 4.3),
Ď
i, pristine
est la biomasse de proie disponible `a lâ´etat vierge et
Ď
est un pa-
ram`etre d´efinissant lâintensit´e du contrËole bottom-up. Ce param`etre favorise la croissance
lorsque plus de nourriture est disponible que dans la situation dâ´etat vierge. `
A lâinverse,
la croissance est ralentie dans les situations o`
u moins de nourriture est disponible. Trois
types de simulations sont consid´er´es. Tout comme pour les sc´enarii de simulations du
contrËole top-down, diff´erentes intensit´es de pËeche sont dâabord simul´ees afin dâanalyser
la variabilit´e des rendements par recrue des diff´erentes composantes du r´eseau trophique
(Simulation 5 ; Tab. 4.2). Puis, les r´eponses de lâ´ecosyst`eme aux diff´erentes valeurs de
contrËole bottom-up dans le cas dâune intensit´e de pËeche plus forte, sont d´ecrites par les
indicateurs cit´es pr´ec´edemment, c.-`a-d. B
tot
, MTL
B
, Y
tot
, MTL
Y
et le FIB (Simulation
6 ; Tab. 4.2). ´
Egalement, des changements dâabondance du TL 1,0 sont simul´es pour
diff´erentes valeurs de
Ď
et sans pËeche, de mani`ere `a estimer leur impact sur le spectre
trophique de biomasse (Simulation 7 ; Tab. 4.2).
4.2 Hypoth`
eses et principes du simulateur
213
4.2.2.4
Omnivorie
Plusieurs degr´es dâomnivorie correspondant `a des types vari´es de fonctionnement des
´ecosyst`emes sont simul´es. `
A cette fin, une relation lin´eaire de pente
θ
est suppos´ee entre
lâ´ecart type de la distribution de pr´ef´erence trophique (
Ď
i
) et le TL :
Ď
i
=
θ
Ă
T L
i
(4.10)
Augmenter
θ
permet de simuler des syst`emes caract´eris´es par un plus haut degr´e dâom-
nivorie, les composantes trophiques se nourrissant alors sur une plus grande gamme de
proies (Simulation 8 ; Tab. 4.2). De mËeme que pour les contrËoles top-down et bottom-
up, les effets de lâomnivorie sur lâ´ecosyst`eme sont ´evalu´es via les indicateurs B
tot
, MTL
B
,
Y
tot
, MTL
Y
et FIB.
4.2.2.5
Mod´
eliser des effets de structure dâË
age
Le param`etre Q/B a dâabord ´et´e consid´er´e constant pour chaque composante trophique
(Section 4.2.1.4). Cependant, lâ´equation de la courbe de Von Bertalanffy est d´eriv´ee
dâhypoth`eses sp´ecifiques au regard de lâassimilation et des coË
uts ´energ´etiques (Von Ber-
talanffy, 1938). La fonction de croissance dite
ÂŤ
sp´ecialis´ee
Âť
suppose notamment un taux
de consommation Q/B proportionnel `a la taille du corps `a la puissance 2/3 (Beverton
et Holt, 1957 ; Essington et al., 2001). Lâint´egration de la consommation (Q) au niveau
de la population donne alors `a lâ´equilibre :
Q
i
=
R
i
Ă
3
K
i
W
â
, i
A
Ă
3
X
n
=0
âŚ
â˛
n
Ă
exp (
â
nK
i
)
Z
i
+
nK
i
(4.11)
o`
u K est le taux de croissance du mod`ele de Von Bertalanffy, W
â
est le poids asymp-
totique, A est lâefficacit´e sp´ecifique de conversion trophique (calorique apr`es correction
de lâindigestibilit´e), et Z est la mortalit´e totale. A est fix´e `a une valeur de 0,5 suppos´ee
constante dans les simulations pour toutes les composantes trophiques. âŚ
â˛
0
= 1 ; âŚ
â˛
1
=
-2 ; âŚ
â˛
2
= 1.
Q/B est estim´e en divisant Q/R (´
Eq. 4.11) par B/R. Ce second terme est estim´e `a partir
dâune forme d´eriv´ee de lâ´equation 4.7, soit :
214
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
B/R
=
Y /R
Ă
1
/F
=
W
â
, i
Ă
3
X
n
=0
âŚ
n
Ă
exp (
â
nK
i
)
Z
i
+
nK
i
(4.12)
o`
u R est le recrutement, F est la mortalit´e par pËeche, W
â
est le poids asymptotique, K
est la param`etre de croissance du mod`ele de Von Bertalanffy, Z est la mortalit´e totale
et âŚ
n
sont des coefficients de valeur âŚ
0
= 1 ; âŚ
1
= -3 ; âŚ
2
= 3 ; âŚ
3
= -1.
On montre ainsi que Q/B augmente avec la mortalit´e totale (Z), car les jeunes classes
dâËage tendent `a pr´edominer dans une population soumise `a une pression de pËeche crois-
sante. Les simulations ont de nouveau ´et´e conduites avec les nouvelles valeurs de Q/B, en
ad´equation avec les hypoth`eses sous-jacentes au mod`ele de Von Bertalanffy, de mani`ere
`a estimer leur impact sur les r´esultats (Simulation 9 ; Tab. 4.2).
4.3
R´
esultats de simulation
4.3.1
Effets de la pË
eche
4.3.1.1
Impact sur lâ´
ecosyst`
eme
La simulation de r´ef´erence (Simulation 1) montre que la structure trophique de
lâ´ecosyst`eme est modifi´ee par lâexploitation. Lâ´evolution des spectres trophiques de bio-
masse en fonction de la mortalit´e par pËeche (F) met en ´evidence une diminution crois-
sante des TL sup´erieurs `a 2,9 avec la pËeche, associ´ee `a une augmentation de la biomasse
des TL compris entre 2,4 et 2,8, li´ee `a la diminution de leurs pr´edateurs (Fig. 4.4a).
Les niveaux trophiques compris entre 2 et 2,3 diminuent ´egalement sous lâinfluence de
lâexploitation, du fait de lâaugmentation de biomasse de leurs pr´edateurs. Les varia-
tions de biomasses dues `a la pËeche sont ainsi transf´er´ees au sein du r´eseau trophique
via la pr´edation. Par cons´equent, la pËeche nâaffecte pas uniquement les composantes
trophiques cibl´ees mais induit des modifications de toutes les composantes du syst`eme,
en supprimant de la biomasse dans les hauts TL. Lâaugmentation de biomasse dans les
TL interm´ediaires implique ici une augmentation du niveau trophique de lâ´ecosyst`eme
(MTL
B
) avec la pËeche qui passe dâune valeur de 2,3 `a un plateau `a 2,38, `a partir dâun F
´egal `a 0,2 (Fig. 4.4b). La biomasse totale diminue jusquâ`a une mortalit´e par pËeche ´egale
`a 0,1, puis la tendance sâinverse et elle augmente pour retrouver un niveau l´eg`erement
inf´erieur `a la situation `a lâ´etat vierge, pour une valeur de F de 0,4 (Fig. 4.4b).
4.3 R´
esultats de simulation
215
Fig.
4.4
â
Effets de la pËeche dans la situation de r´ef´erence (a) Spectres trophiques de biomasses en
fonction de diff´erents niveaux de mortalit´e par pËeche (F). Lâ´echelle de lâaxe des ordonn´ees est logarith-
mique. (b) Niveau trophique moyen de la biomasse et biomasse totale en fonction de F.
4.3.1.2
Impact sur les captures
Le niveau trophique moyen des captures (MTL
Y
) diminue de 3,06 `a 2,86 et les captures
totales augmentent de mani`ere continue lorsque la pression de pËeche augmente (Fig.
4.5a). Les spectres trophiques de captures montrent en effet une diminution des captures
dans les hauts niveaux trophiques (TL
>
4) et une augmentation dans les bas niveaux
(TL
<
3). Les captures dans les niveaux interm´ediaires (3
<
TL
<
4) ne varient pas :
lâaugmentation de production par relËachement de pr´edation compense la diminution
due `a la pËeche (Fig. 4.5b). Lâindice FIB augmente avec F jusquâ`a une valeur de 0,8,
ceci caract´erisant une phase dâexpansion de la pËecherie (Fig. 4.5c). En effet, en d´epit du
choix dâune s´electivit´e des hauts TL par la pËeche (Tab. 4.2), les valeurs de s´electivit´e
pour les bas TL ne sont pas nulles. Aussi et compte tenu de la biomasse tr`es importante
de ces composantes dans lâ´ecosyst`eme, lâaugmentation de F conduit progressivement `a
une proportion plus grande de ces niveaux trophiques dans les captures.
4.3.1.3
Sensibilit´
e `
a la pË
eche
Lâestimation des fonctions de croissance de chaque composante trophique (Simulation 2)
montre que les hauts niveaux trophiques apparaissent plus sensibles `a la surexploitation
que les bas niveaux (Fig. 4.6). Pour un F de valeur 0,4, la courbe de rendement par recrue
du TL 4 montre une surexploitation de croissance importante alors que les rendements
aux TL 2,5 et 3,0 pr´esentent un plateau correspondant `a des valeurs maximales de
production. La plus grande sensibilit´e des hauts TL sâexplique principalement par leur
216
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
Fig.
4.5
â
Effets de la pËeche dans la situation de r´ef´erence (a) Niveau trophique moyen des captures
(MTL
Y
) et captures totales (Y
tot
) en fonction de F (b) Spectres trophiques de captures en fonction de
diff´erents niveaux de F. Lâ´echelle de lâaxe des ordonn´ees est logarithmique. (c) Indice FIB en fonction
de F.
croissance lente caract´eris´ee par des taux de croissance plus faibles (K ; Fig. 4.1a) et des
longueurs asymptotiques (L
â
; Fig. 4.1b) plus grandes que pour les bas TL.
Fig.
4.6
â
Courbes de rendement par recrue pour certaines composantes trophiques de lâ´ecosyst`eme.
4.3.2
ContrË
ole top-down
4.3.2.1
Variabilit´
e des fonctions de production
Les simulations pour les diff´erents niveaux de contrËole top-down (Simulation 3) montrent
que la variabilit´e des fonctions de production d´epend de la position de la composante
trophique dans le r´eseau (Fig. 4.7). Dans les bas niveaux trophiques, les fonctions B/R
4.3 R´
esultats de simulation
217
et Y/R varient grandement avec le contrËole sâexer¸cant dans lâ´ecosyst`eme. La production
primaire nâ´etant pas limitante et les bas TL ´etant tr`es peu exploit´es, leur biomasse
d´epend principalement de la mortalit´e par pr´edation exerc´ee par les TL sup´erieurs.
Pour cette raison, lâaugmentation des taux de consommation, et donc de lâintensit´e du
contrËole top-down, affecte fortement leur biomasse en modifiant les taux de mortalit´e
par pr´edation.
Fig.
4.7
â
Impact du contrË
ole top-down sur les courbes de biomasse et de rendement par recrue pour
certaines composantes trophiques de lâ´ecosyst`eme (a-c) Courbes de biomasse par recrue (B/R) ; (d-f )
Courbes de rendement par recrue (Y/R).
Les courbes de biomasse par recrue (B/R) exprim´ees de mani`ere relative par rapport `a
la situation vierge montrent que les biomasses des TL 3,5 et 4,5 sont moins effect´ees par
la pËeche lorsque le contrËole top-down augmente (Fig. 4.7b-c). La diminution de B/R en
fonction de F et relativement `a lâ´etat vierge est alors moins marqu´ee lorsque le contrËole
est plus intense. Lâaugmentation de
Îś
entraËÄąne en effet un relËachement de pr´edation
croissant, li´e `a la diminution de la biomasse des pr´edateurs induite par la pËeche. Ceci se
retrouve ´egalement pour TL = 2,5, mais `a partir dâune valeur de mortalit´e par pËeche F de
0,3 (Fig. 4.7b). En revanche, les niveaux trophiques compris entre 2 et 2,3 (non montr´es)
pr´esentent une diminution de B/R plus importante avec F lorsque
Îś
augmente. Ceci est
dË
u `a lâaugmentation de biomasse des niveaux trophiques compris entre 2,4 et 2,8 (Fig.
4.4a), qui constituent leurs principaux pr´edateurs. Les augmentations de biomasse (B/R)
favoris´ees par des relËachements de pr´edation plus importants impliquent que les captures
(Y/R) augmentent avec lâintensit´e du contrËole top-down pour les trois composantes
trophiques consid´er´ees (Fig. 4.7d-f).
218
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
En r´esum´e, les composantes trophiques directement pr´edat´ees par des TL exploit´es
pr´esentent g´en´eralement des rendements par recrue dâautant plus importants que le
contrËole top-down est intense, la suppression des pr´edateurs par la pËeche impliquant
alors un relËachement de la pression de pr´edation. Cet effet est d´ecroissant quand le ni-
veau trophique augmente car le param`etre Q/B diminue avec les TL (Fig. 4.3) et la
biomasse est plus faible dans les hauts niveaux trophiques. Le contrËole d´epend ainsi
du spectre trophique de biomasse choisi, c.-`a-d. de la r´epartition de la biomasse dans
lâ´ecosyst`eme. Par ailleurs et du fait de ph´enom`enes de cascades, des composantes des
bas TL peuvent pr´esenter une diminution de leur B/R sous lâinfluence de la pËeche. Lâim-
portance du contrËole top-down au sein du r´eseau trophique semble ainsi li´ee au ratio de
mortalit´e par pr´edation sur la mortalit´e totale affectant une composante trophique. Les
bas niveaux trophiques caract´eris´es par un haut ratio sâav`erent tr`es sensibles `a lâintensit´e
du contrËole top-down.
4.3.2.2
R´
eponse de lâ´
ecosyst`
eme
Les syst`emes caract´eris´es par un faible contrËole top-down pr´esentent des niveaux de cap-
tures et de biomasses plus ´elev´es, dus `a une diminution de la mortalit´e par pr´edation
sur toutes les composantes de lâ´ecosyst`eme (Simulation 4 ; Tab. 4.2). Lorsquâils sont ra-
men´es `a des valeurs relatives, les indicateurs mettent en ´evidence des r´eponses diff´erentes
des ´ecosyst`emes selon le degr´e de contrËole simul´e. Pour des faibles valeurs de mortalit´e
par pËeche F, lâimpact de lâexploitation sur les biomasses est dâautant plus ´elev´e que le
contrËole top-down est fort (Fig. 4.8a). Celui-ci implique en effet des biomasses totales
faibles et qui apparaissent donc plus sensibles, dans un premier temps, `a la pression
de pËeche. En revanche, lorsque cette pression augmente, la capture des hauts niveaux
trophiques induit un relËachement de pr´edation dâautant plus important que le contrËole
top-down est intense. Pour une valeur de
Îś
´egale `a 2, la biomasse totale est ainsi crois-
sante lorsque F augmente, et devient sup´erieure `a la biomasse `a lâ´etat vierge dans le
cas dâune valeur de F sup´erieure `a 0,9 (Fig. 4.8a). Cette augmentation de biomasse
est majoritairement li´ee aux TL non exploit´es, dont la biomasse globale augmente par
relËachement de pr´edation. La diminution de mortalit´e par pr´edation augmente dâautant
plus que le contrËole top-down sâintensifie. Elle implique une augmentation du MTL
B
en
fonction de F plus marqu´ee pour des valeurs de
Îś
croissantes (Fig. 4.8b).
Lâ´evolution de Y
tot
en fonction de F pr´esente une forme similaire pour les trois niveaux
de contrËole top-down consid´er´es, c.-`a-d. une augmentation des captures jusquâ`a une va-
leur de 0,3 pour F, un maximum de captures stable pour un F compris entre 0,3 et
0,5, puis une diminution caract´erisant une surexploitation de lâ´ecosyst`eme (Fig. 4.9a).
Dans le cas dâun contrËole top-down plus intense et relativement `a la situation initiale,
4.3 R´
esultats de simulation
219
Fig.
4.8
â
Impact du contrË
ole top-down sur (a) la biomasse totale (B
tot
) et (b) le niveau trophique
moyen de lâ´ecosyst`eme (MTL
B
).
les captures totales augmentent plus rapidement et demeurent plus ´elev´ees que pour des
valeurs faibles de
Îś
(Fig. 4.9a). Les valeurs de MTL
Y
sont d´ecroissantes avec F pour
les trois sc´enarii consid´er´es, mais diminuent plus dans le cas dâun contrËole top-down
plus intense (Fig. 4.9b). Du fait de lâexploitation principalement orient´ee sur les hauts
TL, le relËachement de pr´edation favorise des prises plus importantes des composantes
trophiques correspondant `a leurs proies (voir pr´ec´edemment), et g´en`ere ainsi une diminu-
tion du MTL
Y
plus marqu´ee pour des valeurs de
Îś
croissantes. Les indice FIB pr´esentent
une forme similaire pour les diff´erentes valeurs de
Îś
, c.-`a-d. une augmentation jusquâ`a
une valeur de F = 0,3 suivie dâune diminution progressive de lâindice (Fig. 4.9c).
Fig.
4.9
â
Impact du contrË
ole top-down sur (a) les captures totales (Y
tot
) (b) le niveau trophique
moyen des captures (MTL
Y
) et (c) lâindice Fishing-In-Balance (FIB).
220
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
4.3.3
ContrË
ole bottom-up
4.3.3.1
Variabilit´
e des fonctions de production
La variabilit´e des courbes de B/R et Y/R (Simulation 5 ; Tab. 4.2) estim´ees pour
diff´erents degr´es de contrËole bottom-up simul´e d´epend grandement des TL (Fig. 4.10).
Les fonctions dans les bas TL sont peu affect´ees par une augmentation de lâintensit´e du
contrËole bottom-up (Fig. 4.10a,d). En effet, lâabondance de leur proie varie peu, relative-
ment `a lâ´etat vierge, car la biomasse du TL 1,0 est suppos´ee non limitante et constante
dans le mod`ele, et que les bas TL ne sont pas exploit´es. Par contraste, les hauts TL
pr´esentent des fonctions de production variables suivant le degr´e de contrËole bottom-up
simul´e. En r´eduisant la biomasse des proies, lâactivit´e de pËeche g´en`ere une diminution
du param`etre K de la fonction de croissance de leurs pr´edateurs selon lâ´equation 4.9.
La diminution de la valeur de K avec des valeurs croissantes du param`etre de contrËole
bottom-up
Ď
implique une diminution de Y/R pour une mortalit´e par pËeche donn´ee (F),
et g´en`ere ainsi des ´etats de surexploitation de croissance pour des mortalit´es par pËeche
plus faibles (Fig. 4.10f). Par cons´equent, les Y/R des TL interm´ediaires b´en´eficient du
contrËole bottom-up, du fait de la surexploitation plus pr´ecoce de leurs pr´edateurs directs
(Fig. 4.10e).
Fig.
4.10
â
Impact du contrË
ole bottom-up sur les courbes de biomasse et de rendement par recrue
pour certaines composantes trophiques de lâ´ecosyst`eme (a-c) Courbes de biomasse par recrue (B/R) ;
(d-f ) Courbes de rendement par recrue (Y/R).
4.3 R´
esultats de simulation
221
4.3.3.2
R´
eponse de lâ´
ecosyst`
eme
La biomasse totale de lâ´ecosyst`eme ne montre pas de variations fortes li´ees au contrËole
bottom-up (Simulation 6 ; Tab. 4.2), car elle est pr´edomin´ee par les bas TL peu affect´es
par la pËeche et que lâabondance de TL 1,0 est suppos´ee constante (Fig. 4.11a). Lâexploi-
tation implique dans un premier temps une diminution de biomasse jusquâ`a une valeur
de F de 0,2, puis une augmentation li´ee au relËachement de pr´edation sur les bas TL
(voir pr´ec´edemment). Pour les mËemes raisons, le MTL
B
varie peu sous lâinfluence du
contrËole bottom-up et montre une tendance identique `a celle observ´ee dans la situation
de r´ef´erence, c.-`a-d. une augmentation suivie dâun plateau, due `a lâaugmentation de la
part des TL compris entre 2,4 et 2,8 dans la biomasse totale (Fig. 4.11b).
Fig.
4.11
â
Impact du contrË
ole bottom-up sur (a) la biomasse totale (B
tot
) et (b) le niveau trophique
moyen de lâ´ecosyst`eme (MTL
B
).
Lorsque lâon consid`ere les captures totales (Y
tot
) dans lâ´ecosyst`eme, le contrËole bottom-
up acc´el`ere la surexploitation des hauts TL en r´eduisant la biomasse de leurs proies, et
conduit `a une surexploitation ´ecosyst´emique plus pr´ecoce pour des valeurs ´elev´ees de
Ď
(Fig. 4.12a). N´eanmoins, le MTL
Y
pr´esente une diminution moins marqu´ee pour des
valeurs croissantes de
Ď
(Fig. 4.12b). Les composantes trophiques qui b´en´eficient dâun
relËachement de pr´edation occupent en effet des TL interm´ediaires sup´erieurs au MTL
Y
initial (pour mF = 0,1). Leur part dans les captures augmente avec la pression de pËeche
et entraËÄąne une diminution moins forte du MTL
Y
pour des valeurs croissantes de
Ď
.
Lâ´evolution des indices FIB en fonction de la mortalit´e par pËeche pour les trois valeurs
de contrËole bottom-up simul´ees montre que la valeur de mortalit´e par pËeche `a partir
de laquelle le FIB commence `a d´ecliner est plus faible lorsque la valeur de
Ď
augmente,
sugg´erant un ph´enom`ene de surexploitation plus pr´ecoce (Fig. 4.12c).
222
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
Fig.
4.12
â
Impact du contrË
ole bottom-up sur (a) les captures totales (Y
tot
) (b) le niveau trophique
moyen des captures (MTL
Y
) (c) lâindice Fishing-In-Balance (FIB).
4.3.3.3
Variations de production primaire
Simuler des variations de lâabondance du phytoplancton modifie principalement les bio-
masses des bas TL, suivant lâintensit´e de contrËole bottom-up utilis´ee (Simulation 7 ; Tab.
4.2). Lâeffet se propage le long du r´eseau trophique mais est amoindri pour des valeurs
croissantes de
θ
(Fig. 4.13). Il affecte rarement les hauts TL car lâeffet bottom-up simul´e
ne tient compte que des modifications du param`etre de croissance (K) du mod`ele de Von
Bertalanffy.
Fig.
4.13
â
Spectres trophiques de biomasse pour trois niveaux dâabondance du TL 1,0 dans le syst`eme
et suivant diff´erents degr´es dâomnivorie. (a)
θ
= 0,02 ; (b)
θ
= 0,08.
4.3 R´
esultats de simulation
223
4.3.4
Omnivorie
4.3.4.1
Variabilit´
e des fonctions de production
Augmenter lâomnivorie modifie la mortalit´e par pr´edation et par cons´equent la biomasse
de tous les compartiments du r´eseau trophique (Simulation 8 ; Tab. 4.2). Lâaugmentation
de
θ
entraËÄąne `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme une diminution de la mortalit´e par pr´edation.
En effet, chaque proie a alors une plus large gamme de pr´edateurs dans les niveaux tro-
phiques sup´erieurs et la mortalit´e par pr´edation exerc´ee par les composantes trophiques
diminue rapidement lorsque le niveau trophique augmente, du fait dâune diminution des
valeurs du param`etre Q/B (Fig. 4.3) et de la biomasse avec les TL. Les B/R et Y/R
varient diff´eremment selon la composante trophique consid´er´ee et le degr´e dâomnivorie
simul´e dans lâ´ecosyst`eme (Fig. 4.14). Les TL interm´ediaires et hauts pr´esentent ainsi
des niveaux de B/R et Y/R plus ´elev´es pour une mortalit´e par pËeche donn´ee, quand
θ
augmente (Fig. 4.14b,c,e,f). Lorsque le degr´e dâomnivorie dans le syst`eme diminue, la
mortalit´e par pr´edation sâexer¸cant sur les bas TL augmente pour les composantes non
pËech´ees, mais diminue plus fortement pour les composantes pËech´ees. Ceci sâexplique par
un relËachement de pr´edation plus important et a alors pour cons´equence une diminution
de B/R et Y/R lorsque
θ
augmente (Fig. 4.14a,d).
Fig.
4.14
â
Impact de lâomnivorie sur les courbes de biomasse et de rendement par recrue pour
certaines composantes trophiques de lâ´ecosyst`eme (a-c) Courbes de biomasse par recrue (B/R) ; (d-f )
Courbes de rendement par recrue (Y/R).
224
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
4.3.4.2
R´
eponse de lâ´
ecosyst`
eme
Les ´evolutions de B
tot
et MTL
B
en fonction de F diff`erent entre les sc´enarii de simulation
consid´er´es (Fig. 4.15). Pour une valeur de
θ
´egale `a 0,02, caract´erisant un ´ecosyst`eme
tr`es sp´ecialiste, B
tot
est presque doubl´ee sous lâinfluence de la pËeche (Fig. 4.15a). Ceci
est li´e au relËachement de pr´edation constat´e avec les courbes de B/R pour les bas TL
(2,2-2,6), qui repr´esentent la majorit´e de la biomasse de lâ´ecosyst`eme. Lâ´evolution de
B
tot
est presque similaire pour les deux autres valeurs de
θ
. Lâaugmentation dâabon-
dance des bas TL pour
θ
= 0,02 implique une diminution du MTL
B
avec F (Fig.
4.15b). La valeur interm´ediaire de
θ
(0,05) conduit `a une augmentation du MTL
B
ob-
serv´ee pr´ec´edemment (Section 4.3.1). Enfin, dans le cas dâun fort degr´e dâomnivorie, le
relËachement de pr´edation apparaËÄąt plus faible, aussi lâaugmentation du MTL
B
est moins
marqu´ee pour
θ
= 0,08 (Fig. 4.15b).
Fig.
4.15
â
Impact de lâomnivorie sur (a) la biomasse totale (B
tot
) et (b) le niveau trophique moyen
de lâ´ecosyst`eme (MTL
B
).
Fig.
4.16
â
Impact de lâomnivorie sur (a) les captures totales (Y
tot
) (b) le niveau trophique moyen
des captures (MTL
Y
) (c) lâindice Fishing-In-Balance (FIB).
Suivant lâaugmentation constat´ee des Y/R pour les TL interm´ediaires et hauts, les
´ecosyst`emes d´ecrits par un degr´e dâomnivorie ´elev´e permettent des niveaux dâexploi-
tation (Y
tot
) plus importants que les syst`emes plus sp´ecialistes (Fig. 4.16a). Ceci est
4.3 R´
esultats de simulation
225
notamment li´e `a la s´electivit´e choisie, qui cible en particulier les TL
>
3 (Tab. 4.2). La
diminution du MTL
Y
apparaËÄąt plus marqu´ee quand
θ
diminue (Fig. 4.16b). Les captures
r´ealis´ees dans les bas TL apparaissent en effet plus importantes pour des valeurs faibles
de
θ
(Fig. 4.15), leur part dans Y
tot
augmentant et impliquant une diminution du MTL
Y
.
Le FIB pr´esente en revanche des tendances similaires pour les trois niveaux dâomnivorie
simul´es (Fig. 4.16c).
4.3.5
Effets de structure dâË
age
Les simulations incluant un param`etre Q/B variant avec la mortalit´e par pËeche (´
Eq. 4.11)
montrent que les fonctions de rendement et biomasse par recrue sont affect´ees `a tous les
TL, mais de mani`ere relativement mineure. Toutes les figures ne sont pas pr´esent´ees ici
pour des raisons de clart´e, mais les r´esultats montrent que les patrons g´en´eraux observ´es
avec un Q/B constant sont conserv´es. Tenir compte dâun Q/B variable conduit `a une
mortalit´e par pr´edation plus importante dans un syst`eme soumis `a la pËeche, du fait de
valeurs de Q/B plus ´elev´ees. Pour une mortalit´e par pËeche donn´ee, les syst`emes avec
un Q/B variable sont ainsi caract´eris´es par un contrËole top-down plus fort que pour
des valeurs constantes. Ceci se traduit dans la simulation (Simulation 9 ; Tab. 4.2) par
un relËachement de pr´edation plus important quand lâabondance des pr´edateurs d´ecroËÄąt
(Fig. 4.17).
Fig.
4.17
â
Spectres trophiques de biomasse consid´erant le param`etre Q/B (a) constant pour chaque
composante trophique (estim´e `
a partir de FishBase) et (b) variable en fonction de la mortalit´e totale,
suivant les hypoth`eses sous-jacentes au mod`ele de croissance de Von Bertalanffy (1938).
226
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
4.4
Discussion
4.4.1
Mod´
eliser les effets de la pË
eche
Estimer les liens entre pr´edateurs et proies ainsi que leur impact sur les dynamiques
des populations est lâun des objectifs majeurs en ´ecologie quantitative depuis les tra-
vaux pionniers dâAlfred Lotka (1924) et Vito Volterra (1926). En halieutique, les deux
derni`eres d´ecennies ont vu une explosion du nombre et des types de mod`eles mul-
tisp´ecifiques d´evelopp´es pour quantifier les effets des interactions trophiques sur les
populations de poissons (Hollowed et al., 2000 ; Whipple et al., 2000 ; Section 1.3.2).
En particulier, le logiciel Ecopath with Ecosim a largement ´et´e utilis´e pour explorer le
fonctionnement des ´ecosyst`emes et les effets de la pËeche (Christensen et Walters, 2004 ;
Section 1.3.3). Cependant, ces mod`eles requi`erent dâimportants jeux de donn´ees diffi-
ciles `a collecter et se focalisent g´en´eralement sur un ´ecosyst`eme sp´ecifique. Lâapproche
pr´esent´ee ici permet la d´efinition dâun cadre dâ´etude tr`es g´en´eral en utilisant des pa-
ram`etres d´eriv´es de la base de donn´ees FishBase, disponible dans le monde entier. De
plus, le recours `a un mod`ele de simulation offre une grande flexibilit´e au regard des
hypoth`eses et param`etres employ´es. Lâint´erËet dâun tel laboratoire virtuel est dâexplorer
diff´erentes r´ealit´es possibles en les inf´erant `a partir dâun ensemble dâhypoth`eses sur le
fonctionnement de lâ´ecosyst`eme. Dans ce sens, lâexp´erimentation virtuelle est lâextension
naturelle de la mod´elisation (voir Maury, 1998). Dans le simulateur, plusieurs hypoth`eses
concernant le fonctionnement des ´ecosyst`emes marins exploit´es ont ´et´e faites. Le mod`ele
est bas´e sur les processus de pr´edation car la pr´edation apparaËÄąt Ëetre le concept dâorga-
nisation le plus central en ´ecologie (Martinez, 1995).
Toutes les esp`eces ont ´et´e agr´eg´ees en classes trophiques conform´ement au concept
dâ
ÂŤ
esp`ece trophique
Âť
, c.-`a-d.
ÂŤ
a collection of organisms that feed on a common set
of organisms and are fed by a common set of organisms
Âť
(Briand et Cohen, 1987).
Regrouper les organismes en hi´erarchie trophique d´efinit un r´eseau dâesp`eces trophiques
(Martinez, 1991) qui apparaËÄąt plus simple `a d´ecrire et analyser. Ici, les esp`eces ne sont
pas group´ees en compartiments suivant la composition de leur r´egime comme dans les
mod`eles Ecopath (Christensen et Pauly, 1992) mais la biomasse totale est distribu´ee en
classes d´efinies par leur TL. Ce choix de mod´elisation est plus proche dâun mod`ele de flux
dâ´energie (p. ex. Gascuel, 2005) et permet une plus grande flexibilit´e pour repr´esenter
les relations trophiques au sein du r´eseau. Le coefficient M1 est le taux de mortalit´e na-
turelle hors pr´edation mais pourrait ´egalement prendre en compte les changements on-
tog´eniques possibles des esp`eces avec lâËage, c.-`a-d. le passage dâune composante trophique
`a lâautre au cours de leur vie (Section 3.5). Les composantes trophiques repr´esenteraient
alors un compartiment regroupant diff´erentes esp`eces selon leur Ëage. Dans ce cas, les
4.4 Discussion
227
´equations de croissance estim´ees seraient discutables. Cependant, il est vraisemblable
que les dynamiques globales du syst`eme demeureraient du mËeme ordre de grandeur et
que les r´esultats g´en´eraux obtenus seraient peu modifi´es, compte tenu de lâimportance
de la mortalit´e par pr´edation par rapport aux changements ontog´eniques. Au sein dâune
composante trophique, un profil moyen est affect´e aux esp`eces, devant repr´esenter la
variabilit´e intra et intersp´ecifique. La composition sp´ecifique de chaque classe demeure
cependant essentielle et lâutilisation de diff´erents jeux de param`etres (
Îś
,
Ď
et
θ
) doit ainsi
permettre de repr´esenter des ´ecosyst`emes ayant des compositions sp´ecifiques diff´erentes.
Dans le mod`ele, le recrutement de chaque composante trophique est suppos´e ind´ependant
de lâabondance des autres classes trophiques en interaction. Dans la nature, le recrute-
ment des poissons d´epend en effet principalement de lâenvironnement physique et de la
productivit´e primaire (Cushing, 1982 ; Cury et Roy, 1989 ; Platt et al., 2003), bien que la
pr´edation puisse jouer un rËole parfois important dans les processus de recrutement (Wal-
ters et Kitchell, 2001). Par ailleurs, lâabondance du niveau trophique 1 correspondant
essentiellement au phytoplancton (plus algues et d´etritus) est suppos´ee non limitante
dans le r´eseau trophique. Lâanalyse se focalise principalement sur la partie exploit´ee de
lâ´ecosyst`eme et les r´eseaux trophiques marins p´elagiques sont caract´eris´es par un faible
couplage entre le phytoplancton et les herbivores (Micheli, 1999). Le recrutement dans
le simulateur est donc consid´er´e comme un recrutement moyen permettant la r´ealisation
de pr´evisions `a long terme comme dans les analyses courantes de rendement par recrue
(Section 1.3.1). Simuler un recrutement variable pour certaines des composantes tro-
phiques, dË
u `a des changements du climat par exemple (Watters et al., 2003), et estimer
ses effets sur le r´eseau trophique pourrait Ëetre r´ealis´e avec le mod`ele mais d´epasserait
largement les objectifs de lâanalyse.
Au sein du simulateur, les param`etres de mortalit´e par pr´edation sont suppos´es constants
`a tous les Ëages de chaque composante trophique. Ceci constitue une hypoth`ese forte et
peu r´ealiste de la pr´esente ´etude. Une telle simplification est g´en´eralement faite dans
les mod`eles courants dâ´evaluation de stock `a propos de la mortalit´e naturelle (Section
1.3.1). De la mËeme mani`ere, nous avons choisi de consid´erer une mortalit´e par pËeche
constante pour toutes les tailles dâune composante trophique donn´ee, associ´ee `a une
courbe de s´electivit´e sp´ecifiant uniquement les composantes pr´ef´erentiellement cibl´ees
par la pËeche. Ces choix permettent de grandement simplifier le syst`eme ´etudi´e et de
sâappuyer sur le mod`ele classique et bien connu de Beverton et Holt (1957). Ajouter de
la complexit´e via des taux de mortalit´e par pr´edation diff´erents, bas´es sur des pr´ef´erences
de taille par exemple, n´ecessiterait de d´efinir de grandes matrices de param`etres (p. ex.
matrice de pr´ef´erence trophique) empiriques, et diminuerait consid´erablement lâint´erËet
g´en´erique du mod`ele.
228
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
4.4.2
Effets de la pË
eche
Les caract´eristiques de croissance de chaque composante trophique impliquent une plus
grande sensibilit´e des hauts TL `a la surexploitation de croissance que les bas TL, pour
une mortalit´e par pËeche similaire. De fait, les hauts TL pr´esentent une croissance plus
lente due au param`etre de croissance (K) et `a la longueur asymptotique (L
â
) estim´es
via FishBase, et `a une dur´ee de vie plus longue. Les mod`eles de r´egression lin´eaires
utilis´es expliquent une faible part de la variance mais expriment lâid´ee simple et robuste
que les hauts TL affichent des tailles plus grandes et une croissance plus lente que les
bas TL. Dans les ´ecosyst`emes marins, les esp`eces plus grandes `a maturit´e tardive sont
moins capables de soutenir un taux de mortalit´e par pËeche donn´e, que celles plus petites
`a maturit´e plus pr´ecoce (Jennings et al., 1998). La position trophique et la taille ´etant
corr´el´ees au niveau de la communaut´e (Jennings et al., 2001b), les hauts TL semblent
donc plus vuln´erables `a lâexploitation que les bas TL (Roberts et Hawkins, 1999).
4.4.3
ContrË
ole top-down et pr´
edation
Bien quâil soit difficile dâ´etablir des liens clairs lorsque plusieurs proies et pr´edateurs sont
concern´es (May et al., 1979 ; Cox et al., 2002), il a ´et´e montr´e par m´eta-analyse que les
pr´edateurs peuvent supprimer les TL plus bas dans les r´eseaux trophiques oc´eaniques
comme ils le font dans les lacs, les rivi`eres et les eaux cËoti`eres (Worm et Myers, 2003).
Observ´e dans plusieurs ´ecosyst`emes, le contrËole top-down apparaËÄąt ainsi Ëetre un patron
g´en´eral du fonctionnement des ´ecosyst`emes marins (Cury et al., 2003). Les simulations
illustrent le fait que les hauts TL sont peu sujets `a la pr´edation, et par cons´equent
que leurs fonctions de production sont relativement insensibles aux changements de
lâintensit´e de contrËole top-down. Dâun autre cËot´e, les bas TL pr´esentent des fonctions
de Y/R tr`es variables selon le niveau de pr´edation simul´e dans le syst`eme, compte tenu
de lâimportance de la mortalit´e par pr´edation sâexer¸cant sur ces composantes. Ainsi, un
param`etre essentiel d´eterminant les patrons observ´es semble Ëetre la part relative de la
mortalit´e par pr´edation sur la mortalit´e totale subie par une classe trophique.
Les simulations portant sur une intensit´e de pr´edation croissante mettent en ´evidence
des changements de biomasse de plus en plus importants au sein de lâ´ecosyst`eme. La
biomasse totale est en effet domin´ee par les bas TL dont les variations dâabondance sont
grandement d´ependantes de la mortalit´e par pr´edation. Le choix dâun sch´ema dâexploi-
tation ciblant principalement les TL interm´ediaires et hauts (TL
>
3) peut conduire
`a une augmentation de la biomasse totale de lâ´ecosyst`eme et du MTL
B
, du fait dâun
relËachement de pr´edation sur certains TL situ´es dans le bas du r´eseau trophique. Les
´ecosyst`emes caract´eris´es par des hauts niveaux de pr´edation semblent donc Ëetre plus
4.4 Discussion
229
r´esistants `a la surexploitation, du point de vue de B
tot
et de MTL
B
, du fait dâun effet
de compensation plus fort li´e au relËachement de pr´edation. Cette r´esistance se mani-
feste ´egalement pour les captures totales qui tendent `a Ëetre plus importantes lorsque
lâintensit´e du contrËole top-down augmente. En revanche et de mani`ere assez logique,
la diminution du MTL
Y
semble accentu´ee par lâintensit´e de pr´edation dans le syst`eme.
Certains TL interm´ediaires b´en´eficient en effet dâun relËachement de pr´edation qui favo-
rise leur production et lâaugmentation de leur part dans les captures totales. Pour cette
raison, lâ´evolution du MTL
Y
peut Ëetre particuli`erement marqu´ee lorsque la pËeche cible
`a la fois des pr´edateurs dans les hauts TL et leurs proies dans les TL interm´ediaires.
Lâobservation dâune diminution de MTL
Y
au niveau des captures est associ´ee dans cer-
tains cas `a une augmentation du MTL
B
`a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme. Ce d´ecalage entre
MTL
Y
et MTL
B
d´epend principalement de la s´electivit´e choisie et de la distribution
de biomasse dans le syst`eme. Il est dË
u `a lâaugmentation importante de lâabondance de
composantes trophiques non exploit´ees par relËachement de pr´edation.
Le param`etre
Îś
utilis´e pour simuler les divers degr´es de contrËole top-down est reli´e `a lâef-
ficacit´e sp´ecifique dâassimilation (A). De hautes valeurs de
Îś
correspondent en fait `a de
faibles valeurs dâefficacit´e et `a un fort contrËole top-down (et r´eciproquement). Les simu-
lations conduites avec des Q/B constants ou variables conduisent de mani`ere globale `a
des r´esultats qualitatifs identiques. Le recours `a un Q/B variable apparaËÄąt plus coh´erent
avec les hypoth`eses inh´erentes au choix du mod`ele de croissance de Von Bertalanffy, et
implique un contrËole top-down plus fort. Il n´ecessite cependant lâajout du param`etre A,
suppos´e constant pour tous les niveaux trophiques. Deux effets oppos´es ont lieu dans
les simulations lorsquâune composante trophique se nourrissant sur une autre compo-
sante est pËech´ee : une diminution de la mortalit´e par pr´edation quand lâabondance du
pr´edateur diminue, limit´ee dans le mËeme temps par une augmentation de la mortalit´e
par pr´edation due `a lâaugmentation du Q/B des pr´edateurs restants. Dans la nature, les
effets de structure dâËage peuvent ainsi r´eduire lâampleur du contrËole top-down, bien que
ce ph´enom`ene de compensation au niveau de la population doive Ëetre peu important par
rapport aux effets de diminution de biomasse des pr´edateurs.
4.4.4
ContrË
ole bottom-up et croissance
Le contËole bottom-up est suppos´e expliquer de nombreuses observations de fluctuations
de populations de pr´edateurs suivant les changements dâabondance de leurs proies (Cury
et al., 2000). Les syst`emes o`
u ce type de contrËole pr´edomine sont suppos´es d´ependre prin-
cipalement des producteurs primaires. Ici, ce contrËole est consid´er´e dans son acception
g´en´erale, c.-`a-d. lâabondance des proies dirige lâabondance des pr´edateurs, et ne se res-
treint pas aux producteur primaires. En effet, une perturbation de type bottom-up des
230
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
´ecosyst`emes marins se d´efinit comme une alt´eration de la disponibilit´e des ressources
(Micheli, 1999). Bien que ces effets soient relativement intuitifs lorsque lâon sâint´eresse
aux effets des nutriments sur lâabondance du phytoplancton, le lien nâest pas direct si
on se r´ef`ere `a un effet au niveau de TL plus ´elev´es, entre les petits p´elagiques et leurs
pr´edateurs par exemple. D´efinir clairement et identifier la part relative des composantes
du contrËole bottom-up qui peut agir `a diff´erentes ´echelles de temps semble une tËache
n´ecessaire `a entreprendre pour mieux comprendre ses effets sur le r´eseau trophique.
Bien que la disponibilit´e en nourriture nâaffecte pas directement la croissance dâun in-
dividu, elle peut la modifier via ses r´eserves ´energ´etiques (Kooijman, 2000). Ceci est
simul´e dans le mod`ele par une fonction empirique de type puissance, qui modifie la
croissance du pr´edateur selon lâabondance de ses proies dans le syst`eme. La fonction
est cens´ee repr´esenter un gain en ´energie li´e `a une diminution du temps de recherche
lorsque lâabondance de proie augmente. Par opposition, une diminution de la nourriture
dans le milieu peut augmenter les coË
uts ´energ´etiques li´es `a la chasse, la localisation et la
capture des proies, conduisant ainsi `a des effets prononc´es sur lâefficacit´e de croissance
(Ryther, 1969). En d´epit de la diff´erence dans la formulation math´ematique utilis´ee,
une approche similaire a ´et´e adopt´ee dans la version ´etendue de la MSVPA (Gislason,
1999). Ne pas consid´erer les effets de lâabondance de proie sur le recrutement demeure
un choix de mod´elisation. Il conduit `a des r´esultats plus directs et permet dâ´eviter une
plus grande complexit´e, n´ecessitant de nouvelles hypoth`eses et plus de param`etres dans
le simulateur. Comme mentionn´e auparavant, le mod`ele est ainsi bas´e sur lâhypoth`ese
forte que le recrutement est principalement d´etermin´e par lâenvironnement plutËot que
par des processus de pr´edation.
Lorsque la production primaire est suppos´ee non limitante dans le syst`eme et que lâex-
ploitation cible principalement les hauts TL, la biomasse totale de lâ´ecosyst`eme, domin´ee
par les bas TL, est peu affect´ee par des diff´erences dâintensit´e du contrËole bottom-up. En
revanche, les simulations mettent en ´evidence que les hauts TL sont les composantes les
plus affect´ees par ce type de contrËole lorsque leurs proies sont ´egalement lâobjet dâune
exploitation commerciale. Câest pourquoi les syst`emes domin´es par un contrËole bottom-
up apparaissent comme plus sensibles `a la surexploitation. Ceci sâobserve notamment au
niveau des captures (Y
tot
), qui sugg`erent un ´etat de surexploitation plus pr´ecoce lorsque
lâintensit´e du contrËole bottom-up augmente. En revanche, lâindicateur MTL
Y
nâ´evolue
pas dans le mËeme sens. Du fait de ph´enom`enes dâajustement entre contrËole bottom-up
et pr´edation, le MTL
Y
diminue moins vite sous la pression de la pËeche pour des valeurs
croissantes de
Ď
.
En r´esum´e, lâ´equilibre entre les contrËoles top-down vs. bottom-up d´efinit les fonctions de
production de chaque composante selon leur position dans le r´eseau trophique. La pËeche
modifie cet ´equilibre et semble faire transiter le fonctionnement de lâ´ecosyst`eme vers
un contrËole bottom-up en supprimant les pr´edateurs majeurs et alt´erant les relations
4.4 Discussion
231
consommateur-ressource. La pr´edation ´etant suppos´ee favoriser la stabilit´e, la pËeche
pourrait conduire `a des syst`emes domin´es par des contrËoles de type bottom-up, devenant
ainsi plus d´ependants de la variabilit´e climatique et plus sujets `a la surexploitation. La
sp´ecification de lâimportance relative de chaque processus devrait aider `a comprendre
les dynamiques des ´ecosyst`emes et leurs r´eponses `a la pËeche.
4.4.5
Omnivorie et cascades trophiques
Un point fondamental pour lâanalyse des relations pr´edateur-proies r´eside dans la
d´efinition de la pr´ef´erence trophique qui affecte consid´erablement les dynamiques au
sein du syst`eme, et modifie
in fine
les fonctions de production de chaque composante
trophique. En se basant sur la th´eorie de la niche ´ecologique dans laquelle les rela-
tions de niche sont mod´elis´ees par des courbes en
ÂŤ
forme de cloche
Âť
(May, 1976), nous
avons choisi des distributions normales pour mod´eliser la pr´ef´erence trophique de chaque
classe. Les fonctions permettent lâexistence de cannibalisme trophique, de boucles, dâom-
nivorie et de pr´edation sur les niveaux trophiques sup´erieurs dans de faibles propor-
tions (Williams et Martinez, 2000). Au sein de cette
ÂŤ
fenËetre de proies
Âť
th´eorique, la
pr´edation dans le mod`ele ne d´epend que de la biomasse disponible des proies et aucun
terme de vuln´erabilit´e nâest pris en compte. Les fonctions de pr´ef´erence trophique sont
suppos´ees constantes et calibr´ees par rapport `a la situation `a lâ´etat vierge. Elles sont
ainsi d´ependantes de la distribution de biomasse, qui semble grandement varier entre
diff´erents types dâ´ecosyst`emes (Fig. 4.18).
Fig.
4.18
â
Spectres trophiques de biomasse estim´es `
a partir des donn´ees de biomasses et de niveaux
trophiques issus dâapplications du mod`ele Ecopath (Source : http ://www.Fishbase.org).
232
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
A lâ´echelle des composantes trophiques, le caract`ere omnivore des ´ecosyst`emes a un im-
pact sur les effets de surexploitation en diminuant la mortalit´e par pr´edation sâexer¸cant
sur elles. Aussi les bas TL, dont la mortalit´e par pr´edation peut Ëetre tr`es impor-
tante, semblent particuli`erement affect´es par les variations du degr´e dâopportunisme.
Par cons´equent, les variations de B
tot
peuvent Ëetre consid´erables dans des ´ecosyst`emes
tr`es sp´ecialistes, du fait de modifications de pr´edation sâop´erant dans les bas TL. Lâaug-
mentation de lâ´ecart type des fonctions de pr´ef´erence trophique, simulant une omnivorie
croissante, amortit les effets top-down et bottom-up ainsi que les variations de produc-
tion primaire, en les diffusant au sein du r´eseau trophique. Lâomnivorie apparaËÄąt comme
un facteur essentiel qui d´etermine la r´esistance des ´ecosyst`emes `a la surexploitation, ceci
´etant notamment observ´e via les indicateurs utilis´es dans lâanalyse. Les r´eseaux d´ecrits
par un degr´e dâomnivorie important et de nombreuses interactions de faible intensit´e
semblent ainsi favoriser la stabilit´e du syst`eme (Shin et Cury, 2001). Des ´etudes empi-
riques (Fagan, 1997 ; McCann et al., 1998) et th´eoriques se focalisant sur les dynamiques
de courtes chaËÄąnes trophiques (McCann et Hastings, 1997 ; Emmerson et Yearsley, 2004),
ont en effet montr´e que lâomnivorie et lâexistence dâinteractions faibles favorisent la sta-
bilit´e locale et globale des syst`emes.
Les cascades trophiques se d´efinissent comme des effets pr´edateurs-proies r´eciproques
qui alt`erent lâabondance, la biomasse ou la productivit´e dâune population, communaut´e
ou dâun niveau trophique sur plus dâun maillon du r´eseau trophique (Pace et al., 1999).
La simulation de cascades trophiques avec le mod`ele nâest pas directe car le syst`eme
ne se compose pas dâune simple chaËÄąne lin´eaire mais repr´esente un r´eseau trophique
complexe avec de multiples liens, chaque composante trophique ayant une large gamme
de proies. Les cascades trophiques simul´ees sont particuli`erement importantes dans le cas
de fonctions de pr´ef´erence trophique ´etroites, c.-`a-d. pour un degr´e dâomnivorie faible.
En effet, les cascades trophiques peuvent Ëetre amorties ou ´elimin´ees par de nombreux
m´ecanismes compensatoires tels que lâomnivorie et la complexit´e des r´eseaux trophiques
(Micheli, 1999 ; Pace et al., 1999). Elles ont ´et´e simul´ees (Harvey et al., 2003 ; Gascuel,
2005) et observ´ees dans des ´ecosyst`emes marins (p. ex. Pinnegar et al., 2000 ; Jackson
et al., 2001) bien quâelles y soient moins fr´equemment observ´ees que dans les lacs. La
pr´edation dans les r´eseaux trophiques marins ´etant essentiellement bas´ee sur la taille des
proies (Kerr, 1974) et opportuniste, les fonctions de pr´ef´erence trophique doivent Ëetre
tr`es larges dans la nature, particuli`erement dans les milieux p´elagiques. Observer une
cascade trophique n´ecessite ainsi des conditions sp´ecifiques, devant Ëetre peu courantes
dans les ´ecosyst`emes marins.
4.4 Discussion
233
4.4.6
Indicateurs : quels enseignements du mod`
ele ?
Le mod`ele de simulation a ´et´e utilis´e afin dâexplorer lâinfluence de diff´erents modes de
fonctionnement des ´ecosyst`emes sur leurs r´eponses `a la pËeche, quantifi´ees au travers
dâindicateurs bas´es sur des donn´ees de biomasses et de captures. Les r´eponses au niveau
global ´emergent du comportement des fonctions de production des diff´erents comparti-
ments constituant le r´eseau trophique. Lâ´evolution des indicateurs sâav`ere ainsi grande-
ment d´ependante des caract´eristiques de lâ´ecosyst`eme et parfois contre-intuitive, compte
tenu de la complexit´e des relations trophiques et de la dimension s´elective de la pËeche.
Les spectres trophiques de biomasse exprim´es en fonction dâune pression globale de pËeche
sont utiles pour visualiser quelles composantes trophiques sont principalement affect´ees
par lâexploitation, et rechercher des contrËoles top-down et bottom-up. Lâexistence dâun
contrËole top-down apparaËÄąt plus ais´ee `a d´etecter dans des situations de faible omnivorie,
c.-`a-d. de sp´ecialisme trophique, de forte s´electivit´e de la pËeche sur certaines compo-
santes du r´eseau trophique, et de forte intensit´e de pr´edation. En d´epit des difficult´es
dâ´echantillonnage et du manque de connaissances sur les esp`eces pr´esentes dans les bas
niveaux trophiques, la construction de spectres trophiques de biomasse dans certains
´ecosyst`emes pourrait notamment sâappuyer sur les jeux de donn´ees utilis´es pour estimer
les spectres de taille, et les relations entre la taille et le niveau trophique des organismes,
quantifi´ees `a lâ´echelle des communaut´es (p. ex. Jennings et al., 2002c). Lâutilisation
de spectres trophiques, bas´es sur des indices dâabondance issus de campagnes scienti-
fiques, a ainsi permis de sugg´erer une r´egulation de la communaut´e d´emersale du S´en´egal
par un contrËole de type top-down (Laurans et al., 2004). En compl´ement, les spectres
trophiques de captures permettent de d´ecrire les modifications affectant les captures et
´eventuellement dâobserver des contrËoles top-down. Lâinterpr´etation de spectres compar´es
entre p´eriodes de temps `a partir de donn´ees observ´ees dans des pËecheries et non dâun
indicateur dâintensit´e de pËeche, est cependant difficile car les variations entre spectres
peuvent Ëetre le fait de changements de ciblage de la pËecherie et/ou dâam´eliorations tech-
nologiques au cours du temps par exemple, plutËot que de r´eels processus de r´egulation
prenant place au sein des ´ecosyst`emes sous-jacents.
De la mËeme fa¸con, lâindice FIB, calcul´e comme un indicateur des effets de la pËeche,
est exprim´e dans la pr´esente ´etude en fonction de la mortalit´e par pËeche et non du
temps. Ceci n´ecessiterait pour une application `a des cas r´eels de disposer dâun indicateur
de lâintensit´e de pËeche `a lâ´echelle de lâ´ecosyst`eme (Dulvy et al., 2004 ; Daan et al.,
2005b), et permettrait ainsi dâavoir une relation plus directe entre les changements de
composition trophique des captures et la pression de pËeche. Les valeurs positives estim´ees
pour lâindice FIB ne correspondent pas aux valeurs g´en´eralement calcul´ees dans des
´ecosyst`emes r´eels car lâindice est ici d´efini par rapport `a une situation de r´ef´erence proche
234
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
de lâ´etat vierge. Les ´evolutions de lâindice montrent g´en´eralement pour les sc´enarii de
simulation de surexploitation une diminution du FIB `a partir dâune valeur de mortalit´e
par pËeche dâenviron 0,3. Le d´eclin du FIB en fonction de F semble plus pr´ecoce dans
des ´ecosyst`emes caract´eris´es par un contrËole bottom-up plus intense. En revanche, dans
la simulation de r´ef´erence, le FIB ne d´ecroËÄąt pas lorsque lâintensit´e de pËeche augmente.
La diminution de la part des hauts niveaux trophiques due `a leur surexploitation est
alors compens´ee par des captures plus importantes dans les bas TL dont la biomasse
est tr`es importante. Le mod`ele suppose ainsi que les pËecheries ciblent peu les bas TL,
mais que toute leur biomasse est accessible et exploitable. En r´ealit´e, une part majeure
des bas niveaux trophiques (TL
<
3,0) demeure inexploit´ee pour des raisons techniques
et commerciales. Dans ce cas, les valeurs de lâindice FIB, observ´ees dans les ZPE par
exemple (Section 3.3), refl`etent des ph´enom`enes de compensation entre les captures
r´ealis´ees au niveau de la biomasse exploitable et non pour lâensemble de la biomasse de
lâ´ecosyst`eme.
Dans tous les cas de figure consid´er´es et du fait de la s´electivit´e par la pËeche des hauts
niveaux trophiques, le niveau trophique moyen des captures (MTL
Y
) diminue lorsque
la pression de pËeche sâintensifie. La diminution du niveau trophique moyen des captures
semble plus marqu´ee lorsque le contrËole top-down est plus intense et le contrËole bottom-
up plus faible. Certaines simulations montrent par ailleurs quâil existe des valeurs de
mortalit´e par pËeche `a partir de laquelle lâindice pr´esente un plateau. Dans les simula-
tions pr´esent´ees et de mani`ere contre-intuitive, le niveau trophique moyen de la biomasse
(MTL
B
) augmente g´en´eralement avec la pËeche. Ceci sâexplique vraisemblablement par
la param´etrisation de la s´electivit´e et des fonctions de pr´ef´erence trophique (sp´ecialisme
important dans les bas niveaux trophiques), qui g´en`erent un ph´enom`ene de cascade tro-
phique et une augmentation de la biomasse des TL compris entre 2,3 et 2,8 associ´ee `a
une diminution des TL compris entre 2,0 et 2,3. La complexit´e du r´eseau trophique, les
caract´eristiques de fonctionnement de lâ´ecosyst`eme et le diagramme dâexploitation des
pËecheries peuvent ainsi induire des r´eponses des indicateurs diff´erentes entre syst`emes et
parfois non triviales. De mËeme, la biomasse totale (B
tot
) peut augmenter sous lâinfluence
de la pËeche lorsque des ph´enom`enes de relËachement de pr´edation sur les biomasses im-
portantes des bas niveaux trophiques se font sentir. Lâindicateur B
tot
pr´esente de plus des
tendances non lin´eaires marqu´ees par des effets de seuil, qui montrent que la d´efinition de
directions de r´ef´erence pour les indicateurs doit Ëetre envisag´ee selon les caract´eristiques
de lâ´ecosyst`eme ´etudi´e et ´eventuellement Ëetre modifi´ee en fonction des connaissances
nouvellement acquises sur leur fonctionnement.
4.4 Discussion
235
4.4.7
´
El´
ements de r´
eflexion pour les fonctions de production
du Finist`
ere
Bien que le mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC) nâait pu Ëetre men´e `a terme,
il est quand mËeme int´eressant de d´efinir quels sont les enseignements `a tirer du simula-
teur pour construire des fonctions de production int´egrant des interactions trophiques.
En ciblant pr´ef´erentiellement les hauts niveaux trophiques, la pËeche modifie en effet les
courbes de production (Y/R) des diff´erents compartiments du r´eseau trophique, cette
modification ´etant d´ependante des caract´eristiques de fonctionnement des ´ecosyst`emes
et du sch´ema dâexploitation mis en Ĺuvre. Les fonctions de production des hauts ni-
veaux trophiques sont logiquement peu affect´ees via les relations trophiques puisque
leurs pr´edateurs sont peu nombreux et caract´eris´es par des taux de consommations
(Q/B) faibles. N´eanmoins, les niveaux de production des hauts TL diminuent pour une
mortalit´e par pËeche donn´ee lorsque le contrËole bottom-up sâintensifie, du fait de la di-
minution de la biomasse de leurs proies induite par la pËeche. Ce contrËole des proies sur
leurs pr´edateurs d´epend donc en particulier de la gamme de niveaux trophiques exploit´es
au sein de lâ´ecosyst`eme.
Les fonctions de production des niveaux trophiques interm´ediaires peuvent Ëetre
consid´erablement modifi´ees par la pËeche car elles sont `a la fois d´ependantes de la mor-
talit´e par pr´edation exerc´ee par lâensemble de leurs pr´edateurs et de la disponibilit´e
en proies. La suppression de leurs pr´edateurs par la pËeche, entraËÄąnant une augmenta-
tion des niveaux de production pour une mortalit´e par pËeche donn´ee, semble cependant
g´en´eralement dominer le contrËole bottom-up. Ceci sâexplique dans le simulateur car ce
type de contrËole est uniquement consid´er´e par un effet de la disponibilit´e en proies
sur la croissance, effet g´en´eralement faible au regard des cons´equences de modifications
des taux de mortalit´e par pr´edation. Selon la s´electivit´e de la pËeche et les fonctions
de pr´ef´erence trophique consid´er´ees, les niveaux trophiques interm´ediaires peuvent dans
certains cas b´en´eficier dâune augmentation de la biomasse des bas niveaux trophiques,
qui se cumule alors au relËachement de pr´edation des hauts niveaux trophiques exploit´es,
et entraËÄąne
in fine
une augmentation des rendements pas recrue.
Les bas niveaux trophiques sont principalement affect´es par les niveaux interm´ediaires
car la biomasse de phytoplancton est suppos´ee non limitante et que les fonctions de
pr´ef´erence trophique sont ´etroites dans la partie basse du r´eseau trophique. Peu ex-
ploit´es, les bas TL ont des rendements tr`es faibles qui peuvent fortement varier selon
la param´etrisation du mod`ele. En effet, la biomasse de leurs pr´edateurs est importante,
pr´esente des taux de consommation (Q/B) ´elev´es, et peut augmenter ou diminuer sui-
vant la s´electivit´e des pËecheries et le degr´e dâomnivorie du syst`eme. Le contrËole top-down
semble ainsi favoriser un plus grand relËachement de pr´edation sur les TL compris entre
236
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
2,3 et 2,8 (rendements par recrue plus ´elev´es), et provoque par cons´equent une diminu-
tion des rendements par recrue des TL compris entre 2,0 et 2,3. Le contrËole bottom-up ne
modifie pas les fonctions de production des bas niveaux trophiques dans le simulateur
car la biomasse des producteurs primaires est g´en´eralement suppos´ee constante. Ceci
constitue ´evidemment un choix de mod´elisation et les simulations portant sur la varia-
tion de production primaire mettent en effet en ´evidence des modifications importantes
des fonctions de production des bas niveaux trophiques.
Compte tenu de notre manque de connaissance sur le r´eseau trophique du plateau
celtico-gascon, il semble n´ecessaire dâadopter une d´emarche empirique pour int´egrer ces
diff´erents r´esultats aux fonctions de production sp´ecifi´ees pour les stocks du Finist`ere.
Lâobjectif est ainsi de simuler diff´erents sc´enarii de fonctionnement de lâ´ecosyst`eme (va-
riation des contrËoles top-down, bottom-up et de lâomnivorie) afin de tester leur impact
sur les r´esultats ´economiques issus du MEGC. Pour ce faire, un formalisme est adopt´e
de mani`ere `a modifier les valeurs des param`etres des fonctions de production (r, taux in-
trins`eque de croissance et K, capacit´e biotique), et ainsi proposer des mod`eles alternatifs
pour les stocks exploit´es par les pËecheries finist´eriennes (cf. Chapitre 5).
4.5
Conclusion du chapitre
Les mod`eles de dynamiques des populations marines exploit´ees constituent des ou-
tils essentiels pour expliquer et pr´evoir les variations dâabondances observ´ees dans les
´ecosyst`emes naturels. Bien que les approches courantes dâ´evaluation demeurent mo-
nosp´ecifiques, le d´eveloppement de mod`eles toujours plus complets t´emoigne de la re-
connaissance progressive du besoin dâune perception plus globale des ressources marines,
dont les dynamiques sont intimement li´ees `a leurs environnements biotique et abiotique
(cf. Chapitre 1). En d´epit de leur caract`ere non op´erationnel, les mod`eles multisp´ecifiques
et ´ecosyst´emiques, majoritairement centr´es sur les relations pr´edateurs-proies, ont per-
mis des progr`es consid´erables dans la compr´ehension de la structure et des fonctions des
syst`emes naturels complexes (Section 1.3). Dans ce sens, le mod`ele de r´eseau trophique
propos´e dans ce chapitre correspond `a une approche compl´ementaire, pour explorer des
hypoth`eses sur le fonctionnement des ´ecosyst`emes marins. Les propri´et´es du syst`eme et
les patrons ´emergents peuvent ainsi Ëetre utilis´es pour questionner notre connaissance du
monde
ÂŤ
r´eel
Âť
. La simplicit´e des hypoth`eses du mod`ele et lâestimation des principaux
param`etres `a partir de relations empiriques d´eriv´ees de larges ensembles de donn´ees is-
sues de FishBase, en font un outil g´en´erique dont la plupart des r´esultats sont en concor-
dance avec ceux obtenus par Gascuel (2005), dont le mod`ele de flux est pourtant bas´e sur
des principes et hypoth`eses tr`es diff´erents (Section 1.3.3). En particulier, le simulateur
montre que les relations trophiques apparaissent Ëetre des facteurs majeurs d´eterminant
4.5 Conclusion du chapitre
237
la production et la stabilit´e des ´ecosyst`emes. N´eanmoins, ces relations sont d´ependantes
de la disponibilit´e en proies et des caract´eristiques des esp`eces (Section 3.5). La mise
en place dâune approche ´ecosyst´emique des pËeches (AEP) requiert donc dâanalyser en
routine les relations trophiques afin dâam´eliorer notre perception de la variabilit´e spatio-
temporelle du r´eseau trophique, intimement li´ee au fonctionnement de lâ´ecosyst`eme.
Certains des processus majeurs responsables de ces contrËoles sont li´es aux transferts
dâ´energie prenant place au sein du r´eseau trophique et sont directement d´ependants
des besoins ´energ´etiques aux niveaux de lâindividu et de la population. Le manque de
connaissance sur de nombreux param`etres ´energ´etiques appelle `a des ´etudes dans ce do-
maine afin de r´econcilier les mod`eles traditionnels de dynamiques de populations et les
analyses de r´eseau trophique. En alt´erant les relations consommateur-ressource, la pËeche
peut entraËÄąner des modifications des fonctions de production qui se transmettent via les
interactions de pr´edation, et apparaissent tr`es variables selon la position trophique de la
composante consid´er´ee. Ces variations des potentiels de production du fait de la pËeche
et des propri´et´es des ´ecosyst`emes ont des r´epercussions directes sur les captures r´ealis´ees
par les flottilles, et peuvent avoir au final des impacts importants sur lâ´economie locale
de certaines r´egions o`
u la pËeche repr´esente une activit´e ´economique majeure.
238
4. Mod´
eliser la r´
eponse des ´
ecosyst`
emes `
a la pË
eche : approche par simulations
Synth`ese - Chapitre 4
Un mod`ele th´eorique de r´eseau trophique est d´evelopp´e pour explorer le fonctionnement
des ´ecosyst`emes marins et les effets de la pËeche. Un ´ecosyst`eme virtuel est repr´esent´e
par un ensemble de composantes trophiques interagissant par pr´edation. La croissance
de chaque composante est d´etermin´ee par le mod`ele de Von Bertalanffy (1938), calibr´e
`a partir de FishBase. Le mod`ele `a taux constants de Beverton et Holt (1957) est utilis´e
pour suivre les biomasses de chaque
ÂŤ
cohorte trophique
Âť
, et les captures r´ealis´ees par
une pËecherie ciblant pr´ef´erentiellement les hauts niveaux trophiques (TL). Des relations
stock-recrutement empiriques assurent le renouvellement des
ÂŤ
cohortes
Âť
. La pr´edation
entre composantes trophiques est d´efinie via des fonctions de pr´ef´erence trophique, qui
hi´erarchisent les relations et supposent une augmentation de lâomnivorie avec le TL.
Trois caract´eristiques essentielles de fonctionnement sont consid´er´ees : les intensit´es des
contrËoles top-down et bottom-up et le degr´e dâomnivorie du syst`eme. Dans un premier
temps, la variabilit´e des fonctions de production des diff´erentes composantes du r´eseau
est d´ecrite en fonction des caract´eristiques simul´ees. Dans un second temps, les r´eponses
de lâ´ecosyst`eme `a la pËeche sont quantifi´ees via des indicateurs bas´es sur les donn´ees de
captures et de biomasse.
Les fonctions de production sont g´en´eralement affect´ees par la pËeche `a des degr´es
variables, selon leur position au sein du r´eseau trophique et les caract´eristiques
´ecosyst´emiques simul´ees. Au niveau global, la r´eponse des ´ecosyst`emes `a la pËeche est une
propri´et´e ´emergente de la r´eponse des diff´erentes composantes du r´eseau trophique. Le
contrËole top-down favorise une certaine r´esistance `a la pËeche, du fait de ph´enom`enes de
relËachements de pr´edation. Une forte intensit´e de pr´edation peut n´eanmoins provoquer
une variabilit´e importante de la biomasse totale du syst`eme. Lorsque des pr´edateurs et
leurs proies sont exploit´es simultan´ement, le contrËole bottom-up acc´el`ere les ´etats de
surexploitation ´ecosyst´emique. Lâaugmentation de lâomnivorie semble amortir les effets
top-down et bottom-up, ainsi que les variations de production primaire, en les pro-
pageant au sein du r´eseau trophique. Lâ´evolution des indicateurs apparaËÄąt grandement
d´ependante du sch´ema dâexploitation en place et des caract´eristiques des ´ecosyst`emes.
Lâapproche adopt´ee offre un cadre g´en´erique de mod´elisation permettant dâobtenir des
patrons observ´es dans des ´ecosyst`emes r´eels, ou simul´es avec dâautres mod`eles pour
des cas dâ´etude sp´ecifiques. Dans ce sens, le mod`ele de simulation est un outil puis-
sant pour ´emettre des hypoth`eses sur la structure et le fonctionnement des syst`emes
naturels. Lâidentification et la quantification des facteurs responsables des contrËoles top-
down, bottom-up et de lâomnivorie constituent des enjeux majeurs, afin dâam´eliorer notre
connaissance des impacts de la pËeche sur les ´ecosyst`emes marins exploit´es.
Chapitre 5
Coupler ´
economie et biologie â
D´
eveloppement dâun MEGC pour le
secteur pË
eche du Finist`
ere
ÂŤ
Les id´ees justes ou fausses, des philosophes de lâ´economie et de la politique ont plus dâimportance quâon
ne le pense en g´en´eral. `
A vrai dire, le monde est presque exclusivement men´e par elles. Les hommes dâaction
que se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont dâordinaire les esclaves de quelque
´economiste pass´e
Âť
.
J.M. Keynes
Sommaire
5.1
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
5.2
Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e sociale . . 242
5.2.1
Analyses en termes dâinput/output . . . . . . . . . . . . . . .
242
5.2.2
Construire la matrice de comptabilit´e sociale . . . . . . . . .
246
5.3
Un mod`
ele dâ´
equilibre g´
en´
eral calculable appliqu´
e au sec-
teur des pË
eches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
5.3.1
Mod´elisation en ´equilibre g´en´eral . . . . . . . . . . . . . . . .
250
5.3.2
Le mod`ele PECHDEV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
253
5.4
Sc´
enarii de simulations envisag´
es . . . . . . . . . . . . . . . . 257
5.4.1
Analyser des politiques de gestion . . . . . . . . . . . . . . .
258
5.4.2
Variabilit´e des fonctions de production biologique . . . . . . .
259
5.5
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
5.5.1
Une difficult´e majeure : les donn´ees
. . . . . . . . . . . . . .
261
5.5.2
Politique des pËeches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
262
5.5.3
Sc´enarii ´ecologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
264
240
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
5.5.4
MEGC et AEP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
264
5.6
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Synth`
ese - Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
5.1 Introduction
241
5.1
Introduction
Nous avons vu que lâApproche ´
Ecosyst´emique des PËeches (AEP) a pour principe de
consid´erer lâHomme comme faisant partie int´egrante de lâ´ecosyst`eme, et pour objectif
de garantir son bien-Ëetre. Pour cette raison, la prise en compte de la dimension socio-
´economique de la pËeche se r´ev`ele Ëetre un facteur d´eterminant lors de la mise en place de
mesures de gestion. La diminution de quotas de certains stocks par exemple, nâaffecte pas
uniquement les producteurs en modifiant les quantit´es de poisson quâils pËechent, mais
peut ´egalement avoir des r´epercussions importantes sur dâautres secteurs de lâ´economie
r´egionale. Ceci se fait via les effets ´economiques directs et indirects induits par la pËeche,
dont lâestimation sâav`ere g´en´eralement complexe (p. ex. Boude, 1996 ; Lesueur et Boude,
2005).
Les mod`eles usuels de mesure des effets ´economiques des activit´es halieutiques sur les
autres secteurs ´economiques dâune r´egion sâappuient pour lâessentiel sur les m´ethodes
dites input/output. Utilis´es dans le cadre dâ´etudes au niveau europ´een (DG Fishe-
ries, 1992 ; CofrepËeche, 2000), ces mod`eles ont montr´e, de par leur simplicit´e dâutili-
sation, leurs avantages, mais aussi et surtout leurs limites car les hypoth`eses fortes sur
lesquelles ils se basent ne leurs permettent pas de repr´esenter le fonctionnement r´eel
dâune ´economie. Encore tr`es peu appliqu´ee au secteur des pËeches, la mod´elisation en
´equilibre g´en´eral permet de pallier aux limites principales des approches de type in-
put/output (Gohin et al., 1998) et a ´et´e utilis´ee pour la simulation et lâ´elaboration
de politiques ´economiques dans de nombreux domaines (p. ex. Commerce internatio-
nal, politique ´energ´etique, environnement ; Schubert, 1993). Ces mod`eles constituent
des instruments relativement flexibles de simulation qui ne se limitent pas au calcul des
retomb´ees ´economiques mais permettent de calculer les impacts ´economiques des chocs
autant sur lâoffre que sur la demande.
Lâobjectif principal du projet europ´een
ÂŤ
PECHDEV
Âť
´etait ainsi de d´evelopper un
mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC) pour
ÂŤ
rendre compte de la contribution
des activit´es de la pËeche et lâaquaculture au d´eveloppement des r´egions cËoti`eres, ainsi
que des interrelations que ces activit´es maritimes entretiennent avec les composantes
des autres secteurs ´economiques de la r´egion concern´ee
Âť
. Le mod`ele devait notamment
Ëetre appliqu´e au d´epartement du Finist`ere en tant que r´egion fortement d´ependante de
la pËeche (cf. Chapitre 2). Bien que le projet nâait pour lâinstant pas ´et´e men´e `a son
terme, ce chapitre a pour vocation `a pr´esenter les grands principes du mod`ele et la
mani`ere dont le lien est ´etabli avec les fonctions de production des stocks, sans rentrer
dans les d´etails techniques de mod´elisation ´economique. Lâapplication du MEGC au
Finist`ere doit ainsi sâappuyer sur les r´esultats du chapitre 2 qui a permis dâidentifier
les secteurs de production halieutique ainsi que les stocks dâint´erËet commercial majeur
242
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
pour le Finist`ere, et ´egalement de proposer une fonction de production de type g´en´erique
`a impl´ementer dans le mod`ele. Les objectifs de ce cinqui`eme chapitre de la th`ese sont
de pr´esenter : 1) la matrice de comptabilit´e sociale (MCS) qui constitue le tableau de
donn´ees `a partir duquel le MEGC est calibr´e et qui sert de r´ef´erence pour la comparaison
avec les r´esultats de simulation 2) les principes g´en´eraux de fonctionnement du mod`ele
dont le comportement des agents ´economiques qui d´efinit la fonction dâoptimisation du
MEGC 3) le lien entre les fonctions de production biologique des stocks exploit´es et
les facteurs de production de la r´egion et 4) les diff´erents sc´enarii envisag´es `a la fois
en termes de mesures de gestion et en termes ´ecologiques. Nous revenons `a la fin de ce
chapitre sur la contribution potentielle de ce type dâapproche `a lâAEP.
5.2
Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e
sociale
Les matrices de comptabilit´e sociale sont g´en´eralement d´eriv´ees des tableaux (ou ma-
trices) input/output mais en g´en´eralisent les principes, c.-`a-d. elles ne se limitent pas
aux flux entre industries mais int`egrent lâensemble des transactions ayant lieu dans
lâ´economie. Aussi, nous pr´esentons dans un premier temps et de mani`ere succinte les
principes, int´erËets et limites des tableaux input/output. Nous explicitons ensuite dans
quelle mesure la matrice de comptabilit´e sociale correspond `a une extension de ces ap-
proches avant de d´ecrire
1
la MCS estim´ee pour le Finist`ere.
5.2.1
Analyses en termes dâinput/output
5.2.1.1
Origine et principes
Lâanalyse input/output d´evelopp´ee initialement par Leontief au cours des ann´ees 1930
(Leontief, 1936) sâappuie sur lâid´ee simple mais fondamentale que la production dâun
bien n´ecessite des intrants. Depuis, de nombreuses applications bas´ees sur cette m´ethode
1
Le travail dâ´elaboration de la matrice de comptabilit´e sociale du Finist`ere a ´et´e r´ealis´e pour lâessentiel
par P. Bernard de lâUniversit´e de Nantes et a fait lâobjet dâune pr´esentation orale `
a la XVI
e
conf´erence
de lâEAFE en Avril 2004 :
â Bernard, P. et Chassot, E. (2004). From Biology to Economy : development of a Computable
General Equilibrium Model applied to the fishery sector. EAFE Conference, 5-7 April 2004, Rome,
Italy.
5.2 Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e sociale
243
ont ´et´e conduites dans une large gamme de domaines (cf. International Input-Output
Association, http ://www.iioa.org). Cette technique peut notamment Ëetre utilis´ee pour
pr´edire les cons´equences de modifications potentielles ou pr´evues de la demande dâun
produit dâune r´egion (p. ex. McGregor et McNicoll, 1992).
Par d´efinition, la matrice input/output repr´esente un ´equilibre g´en´eral permettant de
relier les activit´es de production, les facteurs de production et les institutions. Le
degr´e de d´esagr´egation des industries peut consid´erablement varier entre les mod`eles
input/output. La figure 5.1 pr´esente de mani`ere sch´ematique le fonctionnement dâun
mod`ele r´egional input/output dans un cas simple o`
u seulement les secteurs majeurs
de lâ´economie sont consid´er´es. Les flux repr´esent´es correspondent aux biens et services
qui transitent dâun secteur `a lâautre ; les paiements en argent pour ces biens et services
vont dans la direction oppos´ee. Le trait marque les limites de la r´egion : les secteurs du
gouvernement et du capital sont partiellement `a lâint´erieur et `a lâext´erieur de la r´egion.
Fig.
5.1
â
Sch´ema du fonctionnement dâun mod`ele r´egional input/output (extrait de Hoover et Giar-
ratani, 1999).
Les secteurs majeurs de lâ´economie correspondent ainsi aux :
â
Secteur interm´
ediaire
â Activit´es commerciales priv´ees, au sein de la r´egion. Le secteur
est s´epar´e en activit´es ou industries individuelles (p. ex. construction, production
mini`ere, pËeche),
â
M´
enages
â individuels et familles r´esidant ou employ´es dans la r´egion, consid´er´es `a
la fois comme acheteurs de biens de consommation et services, et comme vendeurs,
principalement de leur propre travail,
â
Gouvernement
â autorit´es locales et nationales, `a la fois dans et hors de la r´egion,
244
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
â
Reste du monde
â activit´es (autres que le gouvernement) et individus localis´es hors
de la r´egion,
â
Capital
â le stock de capital priv´e de la r´egion, incluant le capital fixe et les stocks.
La figure 5.1 peut Ëetre traduite sous la forme dâune matrice input/output (Tab. 5.1).
Les cellules de la matrice correspondent alors aux flux de production exprim´es en valeur
(milliers dâeuros par exemple) qui transitent au sein de lâ´economie de la r´egion ou du
pays pendant une ann´ee donn´ee, ainsi quâavec lâext´erieur (importations et exportations).
Tab.
5.1 â Forme simple dâune matrice r´egionale input/output avec quatre industries
repr´esent´ees (A-D) (repris de Hoover et Giarratani, 1999).
Secteurs de demande finale
Secteurs interm´
ediaires
A
B
C
D
M´en.
Gouv. Rdm
Capital
Total
A
300
400
100
500
1600
500
200
700
4300
Secteur inter.
B
50
200
1000
300
100
200
100
900
2850
par industrie
C
1000
200
100
700
100
300
200
500
3100
D
0
800
200
500
700
0
0
400
2600
Secteurs primaires
M´enages
1900
300
1000
400
Gouvernement
200
100
200
100
Reste du monde
200
300
300
0
Capital
650
550
200
100
Total
4300
2850
3100
2600
Les activit´es du secteur interm´ediaire (A-D, Tab. 5.1) effectuent entre elles ou au sein
dâune mËeme activit´e des transactions financi`eres ; chaque activit´e inclut en effet plusieurs
entreprises pouvant produire diff´erents types de biens. Par exemple, lâactivit´e A ach`ete
pour une valeur de 300 000
e
de produits `a A et 50 000
e
`a B. Les ventes du secteur
interm´ediaire aux autres secteurs constituent les ventes de
ÂŤ
demande finale
Âť
. `
A ce
stade, les produits sont ainsi consid´er´es dans leur forme finale ; ils ne sont plus destin´es
`a un nouveau processus de transformation mais prËets `a Ëetre utilis´es comme produits
dâexportation, de biens de consommation pour les m´enages ou le secteur public, ou
´eventuellement pour Ëetre int´egr´es dans le stock de capital. Ils quittent alors la branche
r´egionale dâactivit´e de transformation. La partie des intrants pour la demande finale
constitue
ÂŤ
lâoffre primaire
Âť
: le travail que les activit´es A-D consomment (A r´etribue aux
m´enages 1 900 000
e
en ´echange de leur travail), les autorit´es publiques (gouvernement),
les importations (provenant du reste du monde) et le capital entrent alors dans le syst`eme
de transformation r´egional pour la premi`ere fois.
5.2 Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e sociale
245
Lâensemble des comptes de la matrice du tableau 5.1 montre uniquement les encaisse-
ments et les paiements pour les activit´es du secteur interm´ediaire (Industries A-D), les
transactions entre tous les autres secteurs ´etant ignor´ees. La matrice input/output ne
permet donc pas de dâacc´eder aux revenus per¸cus par les emplois du gouvernement, les
pensions, les propri´etaires et les sources hors de la r´egion nây figurent pas. Le tableau ne
comprend pas non plus la totalit´e des exportations et importations r´egionales de biens
et de services, les transactions entre les m´enages, le gouvernement et les secteurs du
capital y ´etant omis.
5.2.1.2
Calcul de multiplicateurs
Lâint´erËet de la construction des matrices input/output ne se limite pas `a la simple
description des flux mon´etaires au sein de lâ´economie r´egionale. La quantification des
inter-d´ependances entre secteurs permet en effet de mesurer lâimpact dâune variation de
la demande finale sur le syst`eme ´etudi´e sur de courtes p´eriodes de temps, via le calcul
de multiplicateurs (Schaffer, 1999). Ceci suppose que la production de chaque bien est
dirig´ee par la demande, et quâil existe une surcapacit´e de production dans chaque secteur
dâactivit´e, c.-`a-d. lâoffre en facteurs de production est suppos´ee parfaitement ´elastique.
Sous ces hypoth`eses, un accroissement de la demande finale en un bien peut toujours
Ëetre satisfait en augmentant la production des biens `a prix inchang´es. Les multiplicateurs
de production par secteur et de revenus des m´enages sont obtenus `a partir du calcul
de la matrice inverse. Celle-ci montre comment la production de chaque secteur est
affect´ee pour un niveau donn´e dâaugmentation de la demande finale, pour un secteur
sp´ecifique. Cet effet peut Ëetre estim´e par un changement de la production (multiplicateur
de production) ou de lâemploi (multiplicateur dâemploi). Des multiplicateurs de revenu
peuvent ´egalement Ëetre estim´es. Ils diff`erent des multiplicateurs de production en ce sens
quâils ne se r´ef`erent pas aux effets directs et indirects de la production du secteur de
transformation, mais uniquement `a un effet des changements de revenu du secteur des
m´enages. En r´esum´e, la matrice input/output compl´et´ee des multiplicateurs constitue
un mod`ele simplifi´e de lâ´economie r´egionale permettant de pr´edire quel devrait Ëetre le
niveau de production et/ou de recrutement de certaines entreprises de la r´egion pour
faire face `a un doublement de la demande en langoustines fraËÄąches par exemple.
5.2.1.3
Limites de lâapproche
Les principales limites des m´ethodes input/output sont bien connues. Ces mod`eles sup-
posent en particulier que les coefficients techniques de production sont fixes, c.-`a-d. un
doublement des outputs n´ecessite de doubler les inputs. Cette hypoth`ese restrictive sâop-
246
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
pose `a la dynamisation du syst`eme mais peut Ëetre partiellement contourn´ee en int´egrant
les progr`es techniques annuels et en endog´en´eisant les investissements (Boude, 1996).
Par ailleurs, ces mod`eles ignorent en g´en´eral lâexistence de contraintes dâapprovision-
nement. Ils font lâhypoth`ese dâune surproduction de tous les facteurs du march´e, toute
augmentation de la demande ´etant satisfaite sans influencer les prix des facteurs. Cepen-
dant, une expansion rapide de la production dâun bien peut ne pas Ëetre possible `a court
terme, du fait dâun manque en inputs n´ecessaires. Les analyses input/output peuvent
alors surestimer lâimpact de chocs de la demande `a court terme lorsque les r´egions sont
soumises `a des contraintes de capacit´e. En revanche, lâapproche semble plus appropri´ee
pour faire des pr´evisions `a long terme puisque lâoffre des facteurs est plus ´elastique pour
une longue p´eriode de temps en raison des migrations de facteurs entre r´egions et des
investissements, c.-`a-d. des ajouts au stock de capital (Failler, 2003).
Une autre difficult´e tient au d´ecoupage en branches de lâ´economie consid´er´ee, qui doit Ëetre
suffisant pour permettre lâidentification des pËecheries comme un secteur s´epar´e des autres
activit´es primaires, et ´egalement favoriser la diff´erenciation des effets socio-´economiques
recherch´es au niveau r´egional. Cependant, la faible importance des produits de la pËeche
dans lâ´economie implique de faire apparaËÄątre dans la matrice un grand nombre de pro-
duits. La finesse des donn´ees n´ecessaires apparaËÄąt alors g´en´eralement en d´ecalage avec
les donn´ees statistiques officielles disponibles (Boude, 1996).
5.2.2
Construire la matrice de comptabilit´
e sociale
Les objectifs de la construction dâune MCS sont doubles : 1) organiser lâinformation
portant sur la structure ´economique et sociale de la r´egion dâ´etude et 2) fournir une
situation de r´ef´erence (dite de base) pour la cr´eation dâun mod`ele (King (1985) cit´e par
Vargas et al. (1999)).
5.2.2.1
Extension des matrices input/output
La matrice de comptabilit´e sociale est une extension `a lâensemble de lâ´economie de la
matrice input/output. Elle synth´etise pour une ann´ee donn´ee et sous la forme dâune
matrice carr´ee les flux comptables (transactions mon´etaires) correspondant aux achats
et ventes de biens et services entre les diff´erentes activit´es de production et consom-
mation des agents ´economiques. Les lignes i repr´esentent les recettes (ou ressources)
et les colonnes j les d´epenses ; lâ´el´ement g´en´eral dâune MCS ´etant T
i, j
, d´efini comme la
d´epense du compte j qui constitue la recette du compte i. La coh´erence interne de nature
5.2 Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e sociale
247
comptable dâune MCS est garantie par le fait que, pour chaque compte (k), la somme
des recettes est ´egale `a la somme des d´epenses (Sadoulet et De Janvry, 1995) :
X
j
T
k, j
=
X
i
T
i, k
(5.1)
Les MCS sont dites coh´erentes et compl`etes : coh´erentes dans le sens o`
u chaque d´epense
correspond `a un revenu et compl`etes dans le sens o`
u lâexp´editeur et le r´ecepteur de
chaque transaction sont identifi´es (Bourque, 2004). Les comptes g´en´eralement identifi´es
sont :
â le compte des activit´es,
â le compte des biens,
â le compte des facteurs de production (ou de la valeur ajout´ee),
â le compte des marges commerciales,
â le compte des secteurs institutionnels,
â le compte de capital (investissements et ´epargne),
â le compte des relations avec lâext´erieur.
Le tableau 5.2 pr´esente un exemple de matrice de comptabilit´e sociale dans un cas tr`es
simple. Les comptes des marges commerciales et de capital nây figurent pas. Lâ´equilibre
g´en´eral est atteint lorsque chacun des totaux en ligne est ´egal au total correspondant en
colonne (Piet, 2002).
De la mËeme mani`ere que les comptes input/output, les matrices de comptabilit´e so-
ciale fournissent la structure compl`ete des comptes des activit´es r´egionales fond´ees sur
le march´e et utilisent un syst`eme de double entr´ee comptable. En revanche, les comptes
sociaux consid`erent les m´enages comme lâunit´e pertinente dâanalyse et ajoutent un en-
semble complet de comptes qui permettent de suivre comment les revenus des m´enages
sont g´en´er´es et distribu´es (Vargas et al., 1999). Le terme
ÂŤ
social
Âť
requiert ainsi que
la matrice pr´esente une d´esagr´egation des comptes des m´enages et des facteurs, afin de
pouvoir appr´ehender des caract´eristiques institutionelles `a un niveau plus fin que dans les
matrices input/output (Round, 2003). L`a o`
u les tableaux input/output sâint´eressent aux
industries et `a leurs relations avec la production r´egionale, les MCS ´etendent ces aspects
`a une plus grande gamme de m´ecanismes du march´e associ´es `a la cr´eation du revenu
des m´enages. Cet ´el´ement est particuli`erement important dans les mod`eles dâ´equilibre
g´en´eral qui se focalisent `a la fois sur les processus de production et sur les m´ecanismes
´economiques li´es `a lâoffre des m´enages, la demande en biens et les interactions gouver-
nementales (Vargas et al., 1999).
248
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
Tab.
5.2 â Structure simplifi´ee dâune matrice de comptes sociaux. Il y a ´equilibre g´en´eral
lorsque,
â
i, Ci
=
Li
. Les cases vides ne sont pas renseign´ees car elles nâont pas de
signification (repris de Piet 2002).
Activit´es
Biens
Facteurs
Institutions Reste du
monde
TOTAL
Activit´es
Production au
prix du pro-
ducteur
Subventions
L1
Biens
Consomm. in-
term´
ediaires
Consomm. fi-
nales & Sub-
ventions
Exportations
L2
Facteurs
Valeur ajout´
ee
R´
emun.
des
facteur
ext.
utilis´
es dom.
L3
Institutions
Taxes
Taxes
R´
emun.
des
dotations
Transferts
Transferts
L4
Reste du
monde
Importations
R´
emun.
des
facteurs dom.
utilis´
es `
a lâext.
Transferts
L5
TOTAL
C1
C2
C3
C4
C5
5.2.2.2
La MCS comme outil dâanalyse de politiques
Les MCS ont ´et´e employ´ees dans une grande vari´et´e de situations afin de sâint´eresser aux
probl`emes essentiels de structure ´economique et dâ´evaluation dâimpacts (Vargas et al.,
1999 ; Round, 2003). Elles peuvent en particulier Ëetre utilis´ees pour ´evaluer la contri-
bution dâun secteur au d´eveloppement socio-´economique dâune r´egion ou lâeffet dâune
politique sur une activit´e donn´ee. Lâapproche dâ´evaluation consid`ere `a la fois les effets
directs dâune activit´e et les effets indirects, qui sont ressentis sur le reste du syst`eme
´economique via les interd´ependances entre secteurs. Les impacts dus `a une modification
du niveau de production dâune activit´e et des secteurs qui lui sont reli´es prennent en
compte le rËole de la production, des consommations interm´ediaires et finales, et de lâin-
vestissement. `
A notre connaissance, lâanalyse des effets directs et indirects en recourant
`a des MCS a ´et´e appliqu´ee une seule fois au secteur des pËeches, pour ´evaluer les effets
socio-´economiques des politiques des pËeches au sein de lâUnion Europ´eenne `a une ´echelle
sous-r´egionale, et via une
ÂŤ
quasi-MCS
Âť
(Cella et al., 1996).
Le calcul des multiplicateurs se fait de mani`ere similaire que dans le cas des mod`eles
input/output, except´e que la matrice de multiplicateurs obtenue est ferm´ee au regard de
la distribution et de la consommation des revenus, et quâelle d´ecrit alors le flux circulaire
5.2 Donn´
ees du MEGC : la matrice de comptabilit´
e sociale
249
de revenus dans lâ´economie. La segmentation de la matrice des multiplicateurs en quatre
composantes permet de d´ecrire (Failler, 2003) :
1 â Lâimpact initial,
2 â La contribution nette des multplicateurs dâeffets des flux internes directs sur les
comptes,
3 â La contribution nette des effets de circuit ouvert entre les comptes,
4 â La contribution nette des effets de circuit circulaire ferm´e entre les comptes.
Afin de clarifier le sens de ces quatre composantes, consid´erons une variation exog`ene
de la demande, par exemple, une augmentation de la demande ´etrang`ere en produits de
la pËeche. La premi`ere composante du multiplicateur indique simplement de combien la
production halieutique doit augmenter afin de satisfaire la demande. La deuxi`eme com-
posante mesure comment la production a augment´e dans toutes les autres industries,
directement et indirectement, du fait de lâaugmentation initiale de la production halieu-
tique. La somme de ces deux composantes correspond au multiplicateur de production
classique des approches input/output. La troisi`eme composante quantifie lâaugmenta-
tion de revenu des facteurs (p. ex. capital) et des agents ´economiques (p. ex. m´enages),
r´esultant de lâaugmentation de production dans les diff´erents secteurs. Cette variation
de revenu correspond aux
ÂŤ
effets de circuit ouvert
Âť
car elle renvoie `a lâimpact dâun
seul compte (production dans ce cas) sur tous les autres comptes (facteurs, agents, ...)
de la MCS. Pour finir, la quatri`eme composante mesure de combien la production va
augmenter dans toutes les industries, en raison de lâaugmentation de revenu des agents.
Cette variation de production constitue les
ÂŤ
effets de circuit ferm´e
Âť
(r´etro-contrËole). De
cette fa¸con, les multiplicateurs calcul´es avec la MCS peuvent Ëetre utilis´es pour ´etudier
la fa¸con dont une impulsion donn´ee `a une composante du syst`eme va se r´epandre et
atteindre toutes les autres composantes. Ces mod`eles constituent ainsi des outils analy-
tiques utiles pour analyser les relations dâinter-d´ependance ´economique entre les branches
´economiques dâun syst`eme.
Tout comme les mod`eles input/output, les multiplicateurs g´en´eraux de demande issus
des MCS ne permettent cependant que dâanalyser des effets de demande. Ils ne sont donc
adapt´es quâ`a des situations keyn´esiennes caract´eris´ees par des prix fixes, des capacit´es
productives en exc`es dans tous les secteurs dâactivit´e et lâabsence de substitution `a lâoffre
et `a la demande. Ils ne permettent ainsi pas de repr´esenter le fonctionnement r´eel dâune
´economie o`
u les ajustements par les prix jouent un rËole majeur et o`
u les possibilit´es de
substitutions `a lâoffre et `a la demande sont importantes (Gohin et al., 1998). Câest `a
lâinverse ce que permet de faire le MEGC.
250
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
5.3
Un mod`
ele dâ´
equilibre g´
en´
eral calculable ap-
pliqu´
e au secteur des pË
eches
5.3.1
Mod´
elisation en ´
equilibre g´
en´
eral
La mod´elisation en ´equilibe g´en´eral offre une alternative aux approches classique dâana-
lyse r´egionale. Elle englobe les techniques bas´ees sur les tableaux input/output et les
MCS en rendant la demande et lâoffre des biens et des facteurs d´ependants des prix. Un
MEGC simule ainsi le fonctionnement dâune ´economie de march´e dans laquelle les prix
et les quantit´es sâajustent pour
ÂŤ
solder
Âť
tous les march´es (´equilibre ´economique). Le
mod`ele sp´ecifie le comportement dâoptimisation des consommateurs et des producteurs,
en int´egrant le gouvernement comme un agent et en consid´erant toutes les transactions
du flux circulaire de revenus (Vargas et al., 1999). La construction du mod`ele se d´eroule
en sept ´etapes (Piet, 2002) : 1) dimensionnement 2) d´efinition des processus 3) mise
en forme des donn´ees de r´ef´erence 4) calibrage 5) impl´ementation 6) r´eplication et 7)
simulations.
5.3.1.1
´
Equilibres partiels et g´
en´
eraux
Les mod`eles dâ´equilibre partiel d´ecrivent les liens directs entre certaines variables isol´ees,
suppos´ees sans interf´erence avec le reste de lâ´economie. Ils sâint´eressent ainsi uniquement
`a un ou quelques march´es et ne repr´esentent pas lâensemble de lâ´economie. Ces mod`eles
permettent de d´etailler un secteur en particulier, ceci favorisant la repr´esentation des
diff´erents types dâinstruments politiques pouvant exister. Compte tenu du fait que ce
type de mod`ele se focalise uniquement sur un secteur, les hypoth`eses sous-jacentes sont
g´en´eralement plus r´ealistes et le recours `a des fonctions de production flexibles permet
notamment de sâaffranchir de contraintes portant sur la fa¸con dont les biens se substi-
tuent les uns aux autres. Le relativement faible nombre de param`etres permet ´egalement
dâestimer ´econom´etriquement leurs valeurs. Les mod`eles dâ´equilibre partiel apparaissent
ainsi pertinents pour ´eclairer un point particulier ou pour des probl`emes de prospec-
tive et des pr´evisions (Bureau et Gohin, 2004). N´eanmoins, ces mod`eles manquent de
coh´erence sur le plan th´eorique car certaines interactions ne sont pas prises en compte.
Dans la pratique, ils n´egligent notamment le secteur de transformation. Enfin, les ana-
lyses de bien-Ëetre des agents ´economiques, correspondant `a lâ´evaluation mon´etaire du
gain dâutilit´e lorsquâils acc`edent `a une consommation plus ´elev´ee et `a moindre coË
ut, sont
rarement men´ees dans le cadre des approches en ´equilibre partiel (Bureau et Gohin,
2004).
5.3 Un mod`
ele dâ´
equilibre g´
en´
eral calculable appliqu´
e au secteur des pË
eches
251
`
A lâinverse et par d´efinition, un mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable prend en compte
de mani`ere simultan´ee tous les secteurs de lâ´economie, quitte `a nâen d´etailler quâun, et
d´etermine les prix relatifs sur tous les march´es des produits et des facteurs, de fa¸con `a
assurer les ´equilibres de ces derniers. Les param`etres ne sont g´en´eralement pas estim´es
par des m´ethodes ´econom´etriques compte tenu du nombre tr`es important dâobservations
qui seraient n´ecessaires `a leur calcul. Contrairement aux mod`eles dâ´equilibre partiel, les
formes fonctionnelles adopt´ees sont simples mais contraignantes en termes ´economiques.
Le fait que ces mod`eles englobent lâensemble des secteurs de lâ´economie et quâils per-
mettent une analyse coh´erente des effets de bien Ëetre leur conf`ere cependant un avan-
tage par rapport aux approches en ´equilibre partiel, particuli`erement pour lâanalyse des
cons´equences de mesures de gestion qui peuvent se faire ressentir dans plusieurs secteurs,
c.-`a-d. en amont et en aval de la production.
5.3.1.2
Principes du mod`
ele
Le MEGC se base sur la structure socio-´economique de la MCS d´esagr´eg´ee en plu-
sieurs secteurs dâactivit´es et plusieurs types dâagents. Lâid´ee centrale de ces mod`eles
est de convertir la structure abstraite de lâ´equilibre g´en´eral Walrasien en un mod`ele
r´ealiste dâune ´economie. Pratiquement, le mod`ele consiste en un syst`eme dâ´equations
non-lin´eaires qui repr´esentent les relations entre les activit´es, les biens et les facteurs
de production du pays ou de la r´egion ´etudi´ee. Lâ´equilibre Walrasien correspond `a la
situation o`
u tous les agents ´economiques maximisent leurs fonctions objectif et o`
u sur
chaque march´e, lâoffre est ´egale `a la demande. Les MEGC sont des mod`eles statiques
par nature (il en existe cependant des versions dynamiques), aussi, le cadre temporel
dans lequel ils sont appliqu´es est le temps n´ecessaire afin que tous les march´es passent
de lâ´equilibre de base `a un nouvel ´equilibre, apr`es avoir subi un choc.
La sp´ecification des ´equations du mod`ele, c.-`a-d. le choix des fonctions utilis´ees pour
repr´esenter lâutilit´e des agents ´economiques et la technologie de production (qui exprime
la quantit´e produite (output) en fonction de la quantit´e dâintrants (inputs)), constitue
une ´etape cl´e du processus de mod´elisation que nous ne d´etaillerons pas ici, `a lâexception
cependant des fonctions de production du secteur pËeche lui-mËeme. Il est n´eanmoins
important de conserver `a lâesprit que la forme des fonctions suppose des hypoth`eses
particuli`eres sur le fonctionnement de lâ´economie et a des effets tr`es importants sur les
r´esultats du mod`ele.
Une fois la MCS ´etablie et les ´equations math´ematiques choisies, une proc´edure
d´eterministe de calibrage est utilis´ee afin dâestimer certains des param`etres requis pour
le MCEG. Cette proc´edure consiste `a r´esoudre le mod`ele
ÂŤ
`a lâenvers
Âť
de mani`ere `a
252
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
calculer la valeur des param`etres et coefficients qui sont compatibles avec les variables
exog`enes et endog`enes de lâann´ee de r´ef´erence, afin que le mod`ele reproduise la MCS ini-
tiale. Cette derni`ere est donc suppos´ee repr´esenter une ´economie en situation dâ´equilibre.
Le calibrage permet ainsi dâestimer les diff´erents coefficients des fonctions de production
du mod`ele, quelles que soient leurs formes. De cette mani`ere, la part de chaque produit
dans la production dâune activit´e est fix´ee en fonction de ce qui est observ´e dans la
MCS (H´erault, 2004). Ces diff´erentes fonctions et les coefficients aff´erents sont ensuite
conserv´es pour les simulations, g´en´eralement bas´ees sur la modification dâune des va-
leurs de la MCS (modification de lâoffre traduisant un changement dâabondance de la
ressource par exemple).
5.3.1.3
Comportement des agents ´
economiques
Le MEGC est coh´erent en termes micro´economiques au sens o`
u toutes les fonctions de
comportement sont explicitement d´eriv´ees de programmes micro´economiques dâoptimi-
sation (Gohin et al., 1998). Les deux principes en micro´economie traditionnelle sont
(Walras, 1954) :
â
la rationalit´
e
: les individus agissent en utilisant au mieux les ressources dont ils
disposent,
â
la concurrence pure et parfaite
entre producteurs : elle n´ecessite la transparence du
march´e, lâatomicit´e des participants, lâhomog´en´eit´e du produit et la libre entr´ee sur le
march´e qui empËeche toute entente ou collusion des vendeurs. Cela suppose quâaucun
agent ne peut avoir dâinfluence sur les prix par ses actions, et que tous prennent les
prix du march´e comme donn´ees auxquelles ils r´eagissent, ´etant donn´e les contraintes
impos´ees par la technologie et la structure du march´e.
Les d´ecisions des agents sont prises suivant les prix des biens et services et les march´es
ÂŤ
r´econcilient
Âť
les d´ecisions dâoffre et de demande. Les agents de lâ´economie d´ecrite dans
un MEGC sont les mËemes que ceux identifi´es dans la MCS et se comportent de fa¸con
ÂŤ
rationnelle
Âť
au sens ´economique. Le mod`ele d´evelopp´e ´etant un mod`ele dâ´echanges,
la monnaie y joue un rËole neutre, c.-`a-d. quâil ne sâagit que dâun
ÂŤ
voile
Âť
facilitant
les ´echanges (Bourque, 2004). Les producteurs cherchent `a maximiser leurs profits en
choisissant leur niveau de production et leur utilisation des facteurs en se basant sur les
prix. Les consommateurs disposent dâune dotation initiale de biens qui leur permettent
de survivre, et compte tenu dâun vecteur de prix donn´e, maximisent lâutilit´e quâils retirent
de la consommation des biens dans les limites de leur budget disponible. Ce dernier est
compos´e de la dotation initiale et de la part des revenus de production.
5.3 Un mod`
ele dâ´
equilibre g´
en´
eral calculable appliqu´
e au secteur des pË
eches
253
5.3.1.4
Un mod`
ele r´
egional
Dans le cas du projet PECHDEV, lâapplication du mod`ele doit se faire `a lâ´echelle NUTS
III, correspondant en France au d´epartement du Finist`ere. Ce choix de r´egions de pe-
tite dimension g´eographique doit en effet permettre de d´etecter et dâanalyser le rËole
´economique et social que peut jouer la pËeche au niveau local, dans des pays o`
u elle ne
repr´esente g´en´eralement quâune tr`es faible part du produit int´erieur brut. Comme le
mentionnent Cella et al. (1996) :
ÂŤ
The evaluation of socio-economic indicators changes radically when one
passes from the regional to the provincial level. Furthermore, it is only at
the level of the local administrative unit (commune) that the role and relative
importance of fishing in the local economy (principally as regards employ-
ment) can be identified with clarity and precision
Âť
.
Lâ´echelle spatiale `a laquelle une ´economie est consid´er´ee apparaËÄąt ainsi fondamentale
lorsque lâon cherche `a quantifier lâimportance ´economique de la pËeche. Le d´eveloppement
dâun mod`ele dâ´equilibre g´en´eral r´egional pr´esente cependant des particularit´es car ces
mod`eles sont caract´eris´es par des diff´erences `a la fois structurelles et techniques par rap-
port aux mod`eles nationaux. En particulier, les ´economies r´egionales (ici d´epartementale)
sont relativement plus ouvertes que les ´economies nationales. Du fait de cette ouver-
ture, le commerce des biens et la migration des ressources sont plus importants dans
les mod`eles r´egionaux (Vargas et al., 1999). De plus, la collecte du vaste ensemble de
donn´ees n´ecessaires aux MEGC apparaËÄąt beaucoup plus difficile `a r´ealiser au niveau
r´egional. Suivant (Malvarosa et Pinello, 2004), les difficult´es principales pour construire
une MCS sous-nationale sont li´ees `a lâunit´e g´eographique de r´ef´erence car la r´egion ne
dispose pas 1) de fronti`eres pr´ecises et contrËol´ees, ceci entraËÄąnant des difficult´es pour
quantifier les flux de revenus et de biens entre r´egions 2) dâune couverture statistique
suffisante des campagnes dâ´echantillonnage, qui sont g´en´eralement conduites au niveau
national et 3) des probl`emes m´ethodologiques se posent pour estimer certains ensembles
´economiques, comme ceux reli´es au gouvernement central.
5.3.2
Le mod`
ele PECHDEV
5.3.2.1
Module ´
economique : MCS et choix des fonctions
â˘
Donn´ees
254
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
La matrice de comptabilit´e sociale du Finist`ere a ´et´e construite par P. Bernard (Uni-
versit´e de Nantes) `a partir de plusieurs sources et estim´ee pour lâann´ee 1998. Les
donn´ees sont issues de lâInstitut national de la statistique et des ´etudes ´economiques
(INSEE) concernant les emplois et les ressources pour chaque produit et branche dâacti-
vit´e. Les chiffres concernant le commerce ext´erieur proviennent de la FAO et de lâoffice
national interprofessionnel des produits de la mer et de lâaquaculture (OFIMER). Les
donn´ees relatives `a la consommation ont ´et´e extraites dâenquËetes conduites par la soci´et´e
dâ´etudes de la consommation, distribution et publicit´e (SECODIP), financ´ees par lâOFI-
MER. En ce qui concerne le secteur des pËeches, les comptes dâexploitation des pËecheurs
pour les flottilles artisanales et industrielles ont ´et´e rendus accessibles par lâobservatoire
´economique r´egional des pËeches de Bretagne (OERPB) et lâassociation r´egionale pour le
d´eveloppement des industries de pËeche en Bretagne (AREDIPEB). La base de donn´ees
ÂŤ
DIANE
Âť
a enfin ´et´e utilis´ee pour disposer des donn´ees de revenu et des comptes
financiers de lâindustrie de pËeche.
â˘
Activit´es et biens
Les diff´erentes activit´es et biens de la MCS ne sont pas pr´esent´es en d´etail (cf. Failler,
2004). Les activit´es de production du secteur pËeche correspondent aux six flottilles
d´efinies dans le chapitre 2 : petite pËeche du nord (PPN), pËeche cËoti`ere du nord (PCN),
pËeche au large du nord (PLN), petite pËeche du sud (PPS), pËeche cËoti`ere du sud (PCS) et
pËeche au large du sud (PLS). Par manque de donn´ees disponibles, les secteurs en amont
(c.-`a-d. construction navale) et en aval (c.-`a-d. mareyage, transformation) nâont pas pu
Ëetre segment´es en activit´es propres au secteur pËeche. Les entreprises de construction et
de r´eparation navale par exemple consacrent g´en´eralement une partie de leur activit´e
`a la fabrication de bateaux de plaisance. Il apparaËÄąt alors difficile de d´etailler dans la
MCS le lien entre la production halieutique (flottilles) et la consommation de biens issus
de la construction navale. Cette activit´e est donc conserv´ee dans un secteur plus large
regroupant tout ce qui `a trait `a la construction navale et lâa´eronautique (nomenclature
INSEE). Les produits de la pËeche pr´esents dans la MCS du Finist`ere correspondent aux
stocks s´electionn´es dans le chapitre 2 (Tab. 2.3). Ils sont destin´es aux consommations
interm´ediaires (transformation) ou finales (consommation par les m´enages), ou peuvent
Ëetre export´es hors du d´epartement.
â˘
Hypoth`eses du mod`ele
La partie ´economique du mod`ele emploie des hypoth`eses ´economiques standards que
nous de d´etaillerons pas ici mais dont nous pr´esentons uniquement les grands principes
(cf. Failler, 2004). Comme mentionn´e auparavant, le mod`ele suppose que les produc-
teurs maximisent leurs profits conditionnellement aux fonctions de production, et que
les m´enages maximisent leur utilit´e suivant leurs contraintes budg´etaires. Les compor-
5.3 Un mod`
ele dâ´
equilibre g´
en´
eral calculable appliqu´
e au secteur des pË
eches
255
tements de production et de consommation sont mod´elis´es en recourant `a la famille
des fonctions de substitution `a ´elasticit´e constante, qui inclut les fonctions de Leon-
tief, Cobb-Douglas, et de transformation `a ´elasticit´e constante. Le mod`ele suit la loi
de Walras puisque les conditions dâ´equilibre du march´e sont satisfaites pour lâensemble
des biens. Dâautres hypoth`eses majeures sont pos´ees. Tout dâabord, la r´egion est trait´ee
comme une ´economie ouverte, ceci impliquant que les prix des importations et expor-
tations sont exog`enes. De plus, les produits sont diff´erenci´es selon leur origine, de telle
sorte que les produits dâimportation et dâexportation sont diff´erents de ceux produits
dans la r´egion. En ce qui concerne lâ´epargne, il est suppos´e que 1) le revenu des m´enages
est allou´e selon des proportions fixes entre lâ´epargne et la consommation 2) la valeur des
d´epenses dâinvestissement est d´etermin´ee par la valeur de lâ´epargne 3) les d´epenses dâin-
vestissement sont allou´ees entre les biens. Le gouvernement mod´elis´e gagne ses revenus
`a partir des revenus et taxes `a la vente, et les d´epense dans la consommation et dans les
transferts aux m´enages. Lâ´epargne du gouvernement provient de la diff´erence entre ses
revenus et ses d´epenses. La taxe sur le revenu correspond `a une part fixe du revenu brut
de chaque m´enage. Les taxes sur les ventes sont des parts fixes des prix des produits. Le
gouvernement consomme des quantit´es de biens quâil paye aux prix du march´e et verse
´egalement des taxes. Le compte final du mod`ele est le reste du monde.
5.3.2.2
Coupler biologie et ´
economie
Dans le MEGC, la pression de pËeche qui sâexerce sur chaque stock est mesur´ee au sein du
module ´economique et ne requiert pas de quantifier lâeffort de pËeche (p. ex. nombre de
jours de mer) comme il est dâusage dans les approches globales et dans les mod`eles bio-
´economiques classiques. Ainsi, les captures r´ealis´ees sur chaque stock sâexpriment comme
une combinaison du capital et du travail des flottilles qui les exploitent, et d´ependent
´egalement de son niveau de biomasse. En supposant de mani`ere simple que les fonctions
de production sont de type Cobb-Douglas, la production Y de chaque produit de la
pËeche i (stock) peut alors sâ´ecrire pour chaque activit´e j (flottille) :
Y
i, j
=
A
Ă
B
i
Ă
C
Îą
j
j
Ă
T
β
j
j
(5.2)
o`
u
Îą
et
β
sont des constantes d´etermin´ees par la technologie,
A
est un param`etre dâajus-
tement,
C
correspond au capital,
T
repr´esente le travail et
B
i
la biomasse du stock
i.
256
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
Le couplage des fonctions de production de type global (cf. Chapitre 2) au module
´economique se fait ainsi via les captures estim´ees comme une fonction des facteurs de
production que constituent le capital, le travail et la biomasse du stock (Fig. 5.2).
Fig.
5.2
â
Repr´esentation sch´ematique du lien entre le module biologique et le module ´economique.
Un stock donn´e peut Ëetre par ailleurs Ëetre cibl´e par plusieurs flottilles en mËeme temps,
aussi la biomasse du stock i au temps t+1 sâexprime :
B
i
(
t
+ 1) =
B
i
(
t
) +
g
i
(
B
i
(
t
))
â
X
j
Y
i j
(5.3)
o`
u
B
est la biomasse,
g
est la fonction de production
ÂŤ
naturelle
Âť
et
Y
i j
sont les captures
r´ealis´ees sur le stock i par la flottille j. La fonction g correspond au mod`ele biologique
sp´ecifi´e pour chaque stock, c.-`a-d. exponentiel (Fox, 1970) ou g´en´eralis´e (Pella et Tom-
linson, 1969).
Le mod`ele est ajust´e `a une situation donn´ee, correspondant `a une situation dâ´equilibre,
par un processus it´eratif. `
A chaque it´eration et pour une combinaison de capital (C),
travail (T) et biomasse (B), le mod`ele ´economique calcule une capture Y. Celle-ci est uti-
lis´ee dans le module biologique pour en d´eduire la biomasse correspondante, r´e-introduite
dans le mod`ele ´economique `a lâ´etape suivante, et ceci jusquâ`a convergence. Par ailleurs,
nous avons vu au chapitre 2 que les captures r´egionales ne repr´esentent g´en´eralement
quâune part, parfois tr`es faible, des captures totales effect´ees sur chaque stock. De plus,
la mod´elisation des facteurs de production nâest r´ealis´ee que dans la r´egion ´etudi´ee, câest
pourquoi il apparaËÄąt n´ecessaire de consid´erer ´egalement lâeffort de pËeche ext´erieur `a la
r´egion. La dynamique du stock i sâ´ecrit alors :
5.4 Sc´
enarii de simulations envisag´
es
257



























B
i
(
t
+ 1) =
B
i
(
t
) +
g
i
(
B
(
t
))
â
X
j
Y
i j
(
t
)
Ă




ďŁ
1 +
Îł
i
Ă



ďŁ
X
j
Y
i j
(
t
)
B
i
(
t
)




(
β
â
1)





Îł
i
=
1
â
Îą
i
Îą
i
Ă



ďŁ
B
ref
i
X
j
Y
ref
i j




(
β
â
1)
(5.4)
o`
u
B
est la biomasse,
g
est la fonction de production biologique,
Y
i, j
sont les captures
r´ealis´ees sur le stock i par la flottille j,
Îą
i
est la part relative des captures finist´eriennes
sur les captures totales du stock i dans la situation de r´ef´erence et
β
est le param`etre de
r´eactivit´e (cf. Chapitre 2).
5.4
Sc´
enarii de simulations envisag´
es
Dans un premier temps, les simulations envisag´ees avec le MEGC ont pour objectif
dâanalyser lâimpact possible de mesures de gestion en politique des pËeches. Une large
gamme de sc´enarii ´economiques (p. ex. quota, taxes, subventions) peut Ëetre simul´ee au
moyen du MEGC, par rapport aux approches bio-´economiques classiques qui se foca-
lisent essentiellement sur les variations dâeffort de pËeche (Ulrich et al., 2002). Lâobjectif
des simulations est dâidentifier en premier lieu, au travers des variations de lâoffre et de
la demande, quels secteurs sont affect´es par une mesure politique donn´ee. Le couplage
entre le module ´economique et le module biologique (fonctions de production) doit en
outre permettre dâestimer le nouvel ´equilibre biologique pour les diff´erents stocks ex-
ploit´es par le Finist`ere. Une deuxi`eme s´erie de simulations envisag´ees porte sur les effets
de modifications de lâ´etat de lâ´ecosyst`eme, sous lâinfluence de la pËeche ou de changements
des conditions environnementales. Celles-ci peuvent en effet entraËÄąner une variation des
fonctions de production biologique des stocks, ceci ayant alors des incidences sur les
d´ebarquements r´ealis´es dans le Finist`ere, et
in fine
des r´epercussions sur plusieurs sec-
teurs de lâ´economie.
258
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
5.4.1
Analyser des politiques de gestion
Le tableau 5.3 donne les principaux sc´enarii envisag´es lors de lâapplication du MEGC,
conform´ement aux d´efis majeurs auxquels doit faire face le secteur des pËeches du Fi-
nist`ere (Section 2.2.1.3). Lâaugmentation du prix du carburant constitue notamment
un surcoË
ut important pour les flottilles de pËeche, particuli`erement celles qui op`erent
loin des cËotes bretonnes (Sc´enario 1). La r´eforme de la politique commune des pËeches
(PCP) et la mise en place du fonds europ´een pour la pËeche (FEP) devraient par ailleurs
sâaccompagner dâune diminution progressive des subventions pour la construction et la
modernisation des navires, ceci pouvant avoir un impact sur leur productivit´e et leur
rentabilit´e (Sc´enario 2). Un troisi`eme sc´enario concerne la diminution possible des quo-
tas de deux stocks respectivement consid´er´es en ´etat de surexploitation pour le merlu
nord (plan de reconstitution) et tr`es sensible `a la pËeche pour le grenadier. Le sc´enario 4
correspond `a un moratoire (arrËet total de la pËeche) sur les pËecheries de morue (
Gadus
morhua
) de mer Celtique (VIIe-k).
Tab.
5.3 â Tableau pr´esentant les simulations ´economiques et biologiques envisag´ees lors
de lâapplication du MEGC au Finist`ere.
Simulations de mesures de gestion
1 â Augmentation du prix de carburant
2 â Diminution des subventions `a la construction
3 â Diminution de TAC sur le merlu nord ou le grenadier
4 â Moratoire sur les pËecheries ciblant le stock de morue (VIIe-k)
Consid´erons `a titre dâexemple le sc´enario de mise en place dâune mesure de gestion de
type moratoire sur les pËecheries exploitant la morue de mer Celtique. Ce stock est en effet
hors des limites biologiques de pr´ecaution puisque sa biomasse f´econde a diminu´e depuis
1996 et est actuellement en dessous du niveau de biomasse dâapproche de pr´ecaution
(B
pa
) (ICES, 2003d). Pour cette raison, le CIEM a recommand´e en 2002 de diminuer
de mani`ere significative la mortalit´e par pËeche sâexer¸cant sur le stock. La simulation
dâun moratoire total sur la pËecherie de morue pourrait ainsi correspondre `a un sc´enario
envisag´e pour favoriser la reconstitution du stock.
En premier lieu, les r´esultats devraient mettre en ´evidence quelles flottilles de pËeche sont
r´eellement impact´ees par la mesure, en termes revenus et de coË
uts et donc de rentes.
De plus, la r´eallocation de lâeffort de pËeche des navires concern´es par le moratoire doit
affecter les autres flottilles du Finist`ere et conduire `a de nouveaux ´equilibres biologiques
pour plusieurs stocks. De tels r´esultats sâav´ereraient tr`es utiles pour clairement iden-
tifier les stocks indirectement affect´es par le moratoire sur la morue, et pour ´evaluer
5.4 Sc´
enarii de simulations envisag´
es
259
si lâeffort de pËeche tend `a Ëetre r´eallou´e `a des esp`eces proches ou d´ej`a en ´etat de sur-
exploitation. Finalement, la mesure de gestion pourrait entraËÄąner des modifications de
la MCS `a diff´erents niveaux de lâ´economie (transformation, importations, m´enages) via
les relations existantes entre les secteurs de lâ´economie du Finist`ere. Le mod`ele coupl´e
´economie/biologie prend alors tout son sens puisquâil doit permettre `a la fois de chiffrer
en termes mon´etaires lâensemble des cons´equences ´economiques directes et indirectes du
moratoire, et indiquer les tendances de la biomasse des stocks exploit´es par la r´egion.
5.4.2
Variabilit´
e des fonctions de production biologique
Comme nous lâavons vu de mani`ere th´eorique au chapitre 4, la pËeche et lâenvironnement
(variation de la production primaire) peuvent consid´erablement affecter la dynamique
des composantes trophiques des ´ecosyst`emes, ceci se transmettant via les relations de
pr´edation. Les fonctions de production des esp`eces apparaissent ainsi modifi´ees par lâex-
ploitation, lâampleur et la nature des changements semblant tr`es d´ependants des ca-
ract´eristiques de fonctionnement des ´ecosyst`emes. Compte tenu du manque de connais-
sances disponibles sur le(s) r´eseau(x) trophique(s) du plateau celtico-gascon, lâapproche
adopt´ee ici est empirique et sâappuie sur un formalisme simple qui est en ad´equation avec
les enseignements du simulateur th´eorique (cf. Chapitre 4) et les principes des MEGC,
c.-`a-d. simuler une variation des param`etres des fonctions de production biologique afin
de mesurer lâimpact de diff´erents sc´enarii ´ecologiques (Tab. 5.4).
Tab.
5.4 â Tableau pr´esentant les simulations de nature
ÂŤ
´ecologique
Âť
envisag´ees lors
de lâapplication du MEGC au Finist`ere.
Simulations ´
ecologiques
1 â Augmentation de la temp´erature (r´echauffement climatique)
2 â Diminution de la croissance des hauts niveaux trophiques (bottom-up)
3 â Augmentation de la capacit´e biotique des bas niveaux trophiques (top-down)
La simulation 1 correspond `a un sc´enario dâaugmentation de la temp´erature des eaux
marines sous lâeffet du r´echauffement climatique. Lâanalyse des effets environnemen-
taux sur la dynamique des populations est complexe en raison de sa concomitance avec
les impacts de la pËeche et soul`eve parfois des controverses au sein de la communaut´e
scientifique (Schiermeier, 2004 vs. Worm et Myers, 2004). Nous supposons ici que la
temp´erature favorise les taux de survie des petits poissons et la production en Ĺufs des
poissons matures. Elle a ainsi un impact `a la fois sur le taux de croissance des popula-
tions (param`etre r du mod`ele global) et sur le recrutement. ´
Etant donn´e que les mod`eles
260
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
ont ´et´e estim´es pour la plupart dâentre eux en multipliant un rendement par recrue
(Y/R) par un recrutement moyen (
R
), ce dernier d´etermine lâamplitude de la fonction
de production sans en changer la forme. Lâaugmentation de recrutement est ainsi simul´ee
par une augmentation de la valeur de la capacit´e biotique (K). La modification des pa-
ram`etres r et K affecte les fonctions de production biologique et ainsi les potentiels de
captures, en augmentant les valeurs du MSY et de la mortalit´e par pËeche au MSY (Fig.
5.3a). Bien quâillustr´ee ici dans le cas de la morue de mer Celtique, elle pourrait Ëetre
envisag´ee pour les autres esp`eces de gadid´es exploit´ees par les pËecheries finist´eriennes :
´eglefin (
Melangrammus aeglefinus
), merlu (
Merluccius merluccius
), merlan (
Merlangius
merlangius
) et lieu noir (
Pollachius virens
).
Fig.
5.3
â
(a) Simulation 1 â Variations de +10% des valeurs des param`etres r et K pour le stock
de morue de mer Celtique. (b) Simulation 2 â Variation de -10% de la valeur du param`etre r pour le
stock de merlu nord (c) Simulation 3 â Variation de +10% de la valeur du param`etre K pour le stock
de langoustine (VIIf,g,h).
Le deuxi`eme sc´enario de simulation correspond `a un contrËole de type bottom-up, c.-`a-d.
des proies vers les pr´edateurs. Lâextension de la gamme de niveaux trophiques cibl´es,
et particuli`erement lâexploitation dâesp`eces fourrages a ainsi potentiellement des effets
sur leurs pr´edateurs. Nous supposons, comme nous lâavons mod´elis´e dans le simulateur
th´eorique du chapitre 4, que la biomasse des proies a un impact sur la dynamique des
pr´edateurs en affectant uniquement leur taux de croissance (param`etre r des mod`eles
globaux). Nous prenons ici lâexemple du merlu, esp`ece piscivore qui consomme sur le
plateau celtico-gascon principalement du merlan bleu (
Micromesistius poutassou
), du
maquereau (
Scomber scombrus
), du sprat (
Sprattus sprattus
) et des tacauds (
Trisopterus
spp.
). Lâexploitation de ces esp`eces et leur possible surexploitation peut entraËÄąner une
diminution de la valeur du param`etre r de la fonction de production estim´ee pour le
merlu (Fig. 5.3b).
La simulation 3 repr´esente un effet de relËachement de la pr´edation exerc´ee par les niveaux
trophiques interm´ediaires et hauts (3-5) sur les bas niveaux (2-3), du fait de la s´electivit´e
de la pËeche qui cible pr´ef´erentiellement les niveaux trophiques sup´erieurs `a 3 (Section
5.5 Discussion
261
3.3). Ce contrËole top-down est sugg´er´e par les spectres trophiques de captures du plateau
celtico-gascon qui montrent une l´eg`ere augmentation des bas niveaux trophiques associ´ee
`a une diminution des niveaux interm´ediaires entre les p´eriodes 1992-1996 et 1997-2001.
La suppression dâune partie des pr´edateurs pourrait ainsi induire une diminution de
la mortalit´e par pr´edation sâexer¸cant sur les bas niveaux trophiques. En particulier, les
donn´ees de contenus stomacaux utilis´ees dans le chapitre 3 (Section 3.5) montrent que la
morue et lâ´eglefin se nourrissent majoritairement sur de nombreuses esp`eces de crustac´es
(crabes, crevettes, galath´ees, ...). Nous supposons ainsi que les stocks de langoustine
pourraient b´en´eficier de la diminution de la biomasse de leurs pr´edateurs. Les r´esultats
du chapitre 4 montrent notamment quâun relËachement de pr´edation se traduit par une
augmentation des rendements pour une mortalit´e par pËeche donn´ee (Section 4.3). Nous
simulons donc ici comme impact de la pËeche une augmentation de la valeur de la capacit´e
biotique (K) des stocks de langoustine (Fig. 5.3c).
5.5
Discussion
Au cours du projet PECHDEV, la MCS du Finist`ere a ´et´e construite et analys´ee
(Bernard et Chassot, 2004 ; Failler, 2004), les ´equations du mod`ele sp´ecifi´ees (Failler,
2003, 2004), ainsi que les fonctions de production biologique et la m´ethode de cou-
plage ´economie/biologie (pr´esent document). En revanche, lâ´equipe en charge du
d´eveloppement informatique du mod`ele a apparemment rencontr´e des difficult´es inatten-
dues et le MEGC nâest `a ce jour pas impl´ement´e. Il nous est donc impossible de pr´esenter
et de discuter `a ce stade des r´esultats des simulations. En revanche, il paraËÄąt utile de
revenir sur les int´erËets, limites et enseignements de la d´emarche dans la discussion, sans
´evoquer tout ce qui `a trait `a la mod´elisation en ´equilibre g´en´eral, notamment la forme
des ´equations retenues, la th´eorie n´eoclassique sous-jacente ainsi que lâestimation des
param`etres. Nous abordons n´eanmoins la question de la disponibilit´e en donn´ees pour
de tels mod`eles et la pertinence des sc´enarii envisag´es et du formalisme adopt´e. Nous
discutons plus g´en´eralement du rËole important que peuvent jouer ce type de mod`ele
couplant ´economie et biologie/´ecologie dans le contexte de lâAEP.
5.5.1
Une difficult´
e majeure : les donn´
ees
Une difficult´e essentielle dans le d´eveloppement dâun MEGC r´egional r´eside dans la
collecte des donn´ees de mani`ere `a construire une matrice de comptabilit´e sociale dont les
secteurs dâint´erËet sont bien d´etaill´es. Dans la pratique, ceci requiert en effet de mettre
en place des syst`emes dâenquËetes tr`es coË
uteux aupr`es des industries ou des m´enages
262
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
afin de clairement analyser la structure comptable et de pouvoir la segmenter selon les
objectifs du mod`ele. Cette segmentation apparaËÄąt tr`es importante lors de lâapplication du
mod`ele puisque lâint´erËet des r´esultats d´ependra en grande partie du degr´e de d´ecoupage
adopt´e dans la MCS de r´ef´erence. `
A titre dâillustration, si les secteurs de construction,
mareyage et transformation (p. ex. conserveries) demeurent int´egr´es `a dâautres comptes
plus g´en´eraux dans la MCS, les r´esultats de simulation dâune augmentation du prix
des carburants, qui nâaffecte pas uniquement le secteur de production halieutique, ne
pourront pas Ëetre attribu´es sp´ecifiquement `a une modification des activit´es des flottilles
de pËeche. La construction de la MCS ´emerge ainsi dâun compromis entre les objectifs du
mod´elisateur, la disponibilit´e en donn´ees et les moyens financiers et humains associ´es `a
la construction du mod`ele.
De plus, les MCS sont g´en´eralement estim´ees `a partir de jeux de donn´ees h´et´erog`enes
provenant de sources diff´erentes. Il apparaËÄąt ainsi n´ecessaire dâ´equilibrer dans un premier
temps la matrice afin de la rendre coh´erente en termes ´economiques (Robinson et El-Said,
1997 ; Round, 2003). La construction dâune matrice pour une ann´ee donn´ee n´ecessite que
lâ´economie ´etudi´ee soit relativement stable dans le temps (pas dâann´ee exceptionnelle) ou
peut Ëetre faite en consid´erant une ann´ee moyenne sur quelques ann´ees. Lâaspect essentiel
des MEGC nâest ainsi pas de disposer de valeurs parfaitement exactes des transactions
financi`eres au sein de lâ´economie mais de connaËÄątre sa structure comptable g´en´erale.
Une autre difficult´e inh´erente `a la construction de la MCS provient du d´ecalage dâinfor-
mation disponible entre les secteurs de lâ´economie, lorsque plusieurs stocks dâune mËeme
esp`ece sont exploit´es (p. ex. langoustine). En effet, les statistiques enregistr´ees dans les
ports de d´ebarquements permettent dâ´etablir la production halieutique finist´erienne en
termes de stocks. En revanche, lâorigine g´eographique des esp`eces (sous-divisions CIEM)
nâapparaËÄąt pas pour tout ce qui concerne les consommations interm´ediaires des industries
de transformation, la consommation par les m´enages et les exportations. Il apparaËÄąt ainsi
n´ecessaire dâ´etablir de mani`ere empirique comment se r´epartissent les diff´erents stocks
dâune esp`ece donn´ee entre les secteurs vers lesquelles elle est achemin´ee. La mise en
place de syst`emes dâenquËete de mani`ere `a suivre lâorigine g´eographique des produits de
la mer pourrait Ëetre envisag´ee afin de pouvoir clairement suivre le devenir des stocks
dans lâ´economie finist´erienne.
5.5.2
Politique des pË
eches
La r´eforme de la Politique commune des pËeches va probablement induire des change-
ments majeurs dans le secteur des pËeches au cours des prochaines ann´ees. En particulier,
la nouvelle PCP va progressivement sâaccompagner dâune diminution des subventions ac-
5.5 Discussion
263
cord´ees aux flottilles europ´eennes, de mani`ere `a ce que les capacit´es de pËeche soient en
ad´equation avec les possibilit´es de pËeche, c.-`a-d. afin de diminuer la surcapacit´e des flot-
tilles. Dans le mËeme temps, des aides publiques seront maintenues pour am´eliorer la
s´ecurit´e et les conditions de travail `a bord des bateaux. Dans ce contexte, le sc´enario de
diminution des subventions `a la construction devrait permettre dâidentifier la direction et
lâampleur des effets dâune telle mesure sur lâinvestissement, le travail et les emplois, ainsi
que les activit´es ´economiques globales du d´epartement. Cette simulation ainsi que la si-
mulation 3 portant sur une diminution des TAC pour des esp`eces surexploit´ees semblent
ainsi parfaitement r´epondre aux attentes de lâarticle 7.4.3 du code conduite pour une
pËeche responsable (FAO, 1995) :
ÂŤ
Il y aurait lieu de promouvoir les ´etudes permettant de comprendre les
coË
uts, avantages et effets des diff´erentes options dâam´enagement possibles
con¸cues pour rationaliser lâexercice de pËeche, en particulier des options ayant
trait `a la capacit´e exc´edentaire de pËeche et aux niveaux dâeffort de pËeche
excessif
Âť
.
En ce qui concerne la simulation dâun moratoire sur les pËecheries de morue de mer
Celtique, elle est vraisemblable dâun point de vue biologique, puisque le stock est hors des
ÂŤ
limites biologiques de s´ecurit´e
Âť
et que le CIEM a d´ej`a recommand´e la mise en place de
plans de reconstitution pour certains stocks comme la morue de mer du Nord. Ces plans
visent `a assurer une reconstitution sË
ure et rapide de la biomasse f´econde et recourent
notamment `a une diminution importante de la mortalit´e par pËeche. Ici, le moratoire
correspond `a un sc´enario extrËeme o`
u la capture et donc lâeffort de pËeche sp´ecifique est
r´eduit de 100%. Des mesures de moratoire ont ´et´e adopt´ees dans le pass´e et se basent
sur lâhypoth`ese que les stocks de poissons peuvent r´ecup´erer dâune forte diminution de
biomasse lorsque la pression de pËeche est r´eduite, un patron g´en´eral observ´e au niveau
de la communaut´e (Myers et Worm, 2004). Des aspects techniques peuvent cependant
limiter consid´erablement la mise en place dâune telle mesure de gestion pour une pËecherie
donn´ee. En particulier, la morue des divisions VIIe-k est captur´ee par les pËecheries
de chalutier mixte et ceci peut remettre en cause la pertinence du sc´enario simul´e.
N´eanmoins, lâanalyse des d´ebarquements des chalutiers fran¸cais pour la p´eriode 1996-
1999 a montr´e que la morue et le merlan ´etaient m´elang´es sur la base dâune mar´ee mais
que les pËecheurs ´etaient capables de bien s´eparer les esp`eces `a lâ´echelle du coup de chalut
(ICES, 2003b). Dâun point de vue ´economique, la fermeture temporaire dâune pËecherie
peut conduire `a des perturbations des activit´es de pËeche et portuaires, et ainsi modifier
lâorganisation du secteur des pËeches. La fermeture de la pËecherie de hareng de mer du
Nord `a la fin des ann´ees 1970 a entraËÄąn´e des changements importants de la structure
des sch´emas de transformation et de consommation. Une fois la pËecherie r´e-ouverte en
1982, des modifications importantes et permanentes avaient ainsi eu lieu. Encore une
264
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
fois, le sc´enario envisag´e doit Ëetre per¸cu comme exploratoire et illustratif de lâint´erËet de
lâapproche et non comme lâanalyse prospective dâune future politique de la Commission
europ´eenne.
5.5.3
Sc´
enarii ´
ecologiques
Le formalisme adopt´e tout comme les sc´enarii envisag´es sont tr`es rudimentaires et
pr´eliminaires et se basent sur une modification des valeurs estim´ees des param`etres
des fonctions de production biologique. En outre (et surtout), la non-impl´ementation du
MEGC ne nous a pas permis dâaller plus loin dans cette voie. Lâid´ee ´etait cependant
de commencer `a explorer, de mani`ere pragmatique et th´eorique, diff´erents sc´enarii de
modification des fonctions de production, susceptibles de traduire leur variabilit´e dans
un contexte ´ecosyst´emique, et donc regarder lâimpact de la prise en compte de cette va-
riabilit´e sur les captures et biomasses des diff´erents stocks consid´er´es, et sur les r´esultats
´economiques du mod`ele. Les simulations sâappuient sur des hypoth`eses r´ealistes (mais
non v´erifi´ees ici) qui constituent `a elles seules un champ entier de la recherche en ´ecologie
halieutique. En particulier, la relation entre les conditions environnementales (p. ex. in-
dice NAO, temp´erature) et le recrutement a fait lâobjet dâun grand nombre dâ´etudes tout
au long du si`ecle et demeure mal comprise (p. ex. Cushing, 1982 ; Parsons et Lear, 2001).
Les m´ecanismes `a lâorigine des effets de la temp´erature sur les pr´edateurs sup´erieurs sont
complexes et indirects, et semblent notamment associ´es `a des variations des composantes
zooplanctoniques des r´eseaux trophiques dans le cas de la morue (Beaugrand et al., 2003).
Les deux autres sc´enarii apparaissent ´egalement coh´erents en termes ´ecologiques puisque
des ph´enom`enes de relËachement de pr´edation li´es `a un contrËole top-down ont pu Ëetre
observ´es dans plusieurs types dâ´ecosyst`emes (p. ex. Caddy et Rodhouse, 1998 ; Laurans
et al., 2004), de mËeme que des contrËoles de type bottom-up (p. ex. Ware et Thomson,
2005). Lâamplitude des variations simul´ees (
Âą
10%) est ici arbitraire et doit favoriser la
d´etection des changements op´er´es dans lâ´economie finist´erienne.
5.5.4
MEGC et AEP
Lâint´egration de la composante socio-´economique des syst`emes pËeche en gestion est lâun
des principes de lâAEP. Câest pourquoi lâapproche de couplage propos´ee dans ce chapitre
constitue une ´etape initiale mais importante pour aller vers une am´elioration du forma-
lisme pour la mod´elisation des effets socio-´economiques en halieutique. Bien sË
ur, nous
ne sommes pas all´es aussi loin que nous lâaurions souhait´e, mais la th`ese est une ´etape
de recherche et nous sommes tout de mËeme parvenus `a :
5.6 Conclusion du chapitre
265
â D´efinir une d´emarche de couplage entre une approche terrestre (´economique) et ma-
ritime (centr´ee sur des ´ecosyst`emes),
â Sp´ecifier le lien par des fonctions de production tr`es classiques,
â Identifier des premiers sc´enarii suppos´es rendre compte des relations de nature
´ecosyst´emique.
Un travail important reste `a faire afin dâam´eliorer les aspects de mod´elisation ´ecologiques,
de mani`ere `a repr´esenter les interactions de pr´edation et ´eventuellement de comp´etition
entre les esp`eces des ´ecosyst`emes exploit´es. Finnoff et Tschirhart (2004) ont notamment
propos´e un mod`ele ´ecologique bas´e sur la th´eorie
ÂŤ
dâoptimal foraging
Âť
pour d´ecrire
la dynamique de plusieurs esp`eces en interaction dans lâ´ecosyst`eme marin dâAlaska.
Le d´eveloppement de mod`eles plus complexes passe n´eanmoins par la disponibilit´e en
donn´ees biologiques et ´ecologiques n´ecessaires `a lâanalyse des r´eseaux trophiques, et
lâestimation des param`etres quâils requi`erent.
5.6
Conclusion du chapitre
Les mod`eles dâ´equilibre g´en´eral sont largement utilis´es hors du champ de lâhalieu-
tique lors de processus de n´egociations afin dâanalyser et dâanticiper les cons´equences
´economiques possibles li´ees `a la mise en place de politiques alternatives. En cela, ils
constituent des outils puissants dâaide `a la d´ecision et `a la gestion de conflits. Dans
certains secteurs de lâagriculture notamment, des probl`emes similaires au secteur des
pËeches se posent, c.-`a-d. les producteurs sont peu nombreux et ont un poids direct faible
dans lâ´economie nationale. Le recours `a la mod´elisation en ´equilibre g´en´eral favorise
alors une approche holistique qui permet dâ´etablir, suivant un cadre th´eorique micro et
macro´economique clairement d´efini, la r´eelle port´ee ´economique et sociale dâune mesure
politique. Dans ce sens, le d´eveloppement dâun MEGC appliqu´e au secteur des pËeches
suit certains des principes fondamentaux de la gestion ´ecosyst´emique, c.-`a-d.
ÂŤ
prendre
en compte les consid´erations socio-´economiques et culturelles des populations, et progres-
sivement accepter les Hommes comme une composante n´ecessaire de lâ´ecosyst`eme et la
satisfaction de leurs besoins comme une condition pour la durabilit´e et la conservation
Âť
(Garcia et al., 2003).
En compl´ement de cette approche, le couplage entre des mod`eles biologique/´ecologique
et ´economique semble ´egalement une approche prometteuse pour estimer, de mani`ere
quantitative et fonctionnelle, les retomb´ees ´economiques (et sociales) dâune modification
de la dynamique des esp`eces exploit´ees, quâelle soit due `a des perturbations naturelles
ou anthropiques. La d´egradation des ´ecosyst`emes par la pËeche (ou dâautres activit´es),
en affectant leur structure et leur fonctionnement, a un impact direct sur la production
266
5. Coupler ´
economie et biologie â D´
eveloppement dâun MEGC pour le secteur pË
eche du Finist`
ere
naturelle des esp`eces exploit´ees. Celui-ci se manifeste notamment par une diminution de
production des hauts niveaux trophiques pr´ef´erentiellement cibl´es, qui a alors en retour
des cons´equences directes et indirectes sur lâ´economie. Lâint´erËet de la construction dâune
telle
ÂŤ
boucle
Âť
entre ´ecosyst`eme et ´economie est de pouvoir alors attribuer une valeur
financi`ere `a la surexploitation de certains stocks par exemple. Cette estimation du coË
ut de
la d´et´erioration des ´ecosyst`emes marins ne prend ´evidemment pas en compte la valeur
non-marchande des syst`emes naturels (patrimoine pour les g´en´erations futures) mais
peut offrir un moyen de communication efficace lors de discussions et n´egociations avec
les d´ecideurs et les politiques. Dans les deux cas, c.-`a-d. quâil sâagisse de sc´enarii de
nature ´economique ou ´ecologique, la question est de savoir si les simulations envisag´ees
conduiront `a des r´esultats soulignant lâimportance ´economique de la pËeche `a lâ´echelle du
Finist`ere ; seules la finalisation et lâapplication du mod`ele semblent pouvoir y r´epondre.
5.6 Conclusion du chapitre
267
Synth`ese - Chapitre 5
Ce cinqui`eme chapitre de la th`ese pr´esente les hypoth`eses et principes dâun mod`ele
dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC), en cours de d´eveloppement pour Ëetre appliqu´e
au secteur des pËeches du Finist`ere. Lâobjectif de ce type dâapproche, largement uti-
lis´ee dans dâautres domaines (p. ex. ´energie, agriculture), est de sâint´eresser en parti-
culier aux impacts ´economiques et sociaux que peuvent avoir diff´erentes politiques sur
lâ´economie ´etudi´ee. Dans le contexte de la r´eforme de la politique commune des pËeches
(PCP), la construction dâun MEGC apparaËÄąt ainsi pertinente pour ´evaluer quelles sont les
cons´equences possibles de mesures de gestion `a lâ´echelle dâune r´egion d´ependante de la
pËeche. Dans un premier temps, les concepts de matrices input/output et de comptabilit´e
sociale (MCS) sont introduits. Elles constituent des outils classiques dâanalyse des effets
´economiques induits par une activit´e et repr´esentent la donn´ee de base n´ecessaires `a la
construction du MEGC.
Dans un deuxi`eme temps et sans rentrer dans les d´etails techniques de mod´elisation
micro et macro´economique, les fondements th´eoriques et hypoth`eses du mod`ele sont
pr´esent´es et la structure du lien entre les modules biologique et ´economique formalis´ee. Le
MEGC simule le fonctionnement dâune ´economie de march´e par un syst`eme dâ´equations
non lin´eaires qui repr´esente lâensemble des relations existant entre les biens et services,
les activit´es et les agents de lâ´economie r´egionale. La r´esolution du syst`eme d´etermine
les quantit´es et les prix permettant dâavoir un ´equilibre entre lâoffre et la demande
simultan´ement sur lâensemble des march´es, et repose sur le comportement dâoptimisation
des agents ´economiques ; les producteurs maximisent leur profit sous la contrainte des
fonctions de production et les consommateurs maximisent leur utilit´e dans les limites de
leur budget disponible. Lâobtention de lâ´equilibre ´economique sâaccompagne dâun nouvel
´equilibre biologique pour les diff´erents stocks exploit´es par le Finist`ere.
Deux grands types de sc´enarii sont envisag´es afin de mesurer les effets ´economiques et
sociaux induits sur les diff´erents secteurs de lâ´economie finist´erienne. Dâune part, des
simulations visant `a estimer les effets de la mise en place de mesures de gestion sont
propos´ees : diminution des subventions, r´eduction de TAC et instauration dâun moratoire.
Dâautre part, des sc´enarii ´ecologiques via une modification des valeurs des param`etres des
fonctions de production biologiques sont consid´er´es : r´echauffement climatique, contrËoles
top-down et bottom-up. En d´epit de lâabsence de r´esultats, le couplage entre mod`eles
biologique/´ecologique et ´economique apparaËÄąt une voie prometteuse en ad´equation avec
les principes de lâAEP pour analyser les relations entre lâ´etat des ´ecosyst`emes exploit´es
et le bien-Ëetre de lâHomme, exprim´e ici en termes ´economiques et sociaux.
Conclusion g´
en´
erale
LâApproche ´
Ecosyst´emique des PËeches (AEP) englobe un vaste ensemble dâobjectifs et
de principes qui concernent une grande vari´et´e de domaines (p. ex. biologie, ´ecologie,
´economie, droit) et dâacteurs (p. ex. producteurs, chercheurs, d´ecideurs). Au-del`a des
nombreuses probl´ematiques scientifiques suscit´ees par cette approche, les questions
quâelle soul`eve constituent ´egalement des choix de soci´et´e, qui renvoient notamment `a la
dualit´e exploitation/conservation, exprim´ee dans le concept de d´eveloppement durable.
Dans un contexte aussi large, les objectifs dâune th`ese ne peuvent quâËetre modestes et
un grand nombre de sujets directement li´es `a lâAEP nâont pas ´et´e trait´es, ni mËeme men-
tionn´es dans le manuscrit (p. ex. pollution, ´ecolabellisation). N´eanmoins, le travail de
th`ese a permis de focaliser sur diff´erents champs compl´ementaires de lâhalieutique et de
travailler conjointement avec des ´economistes et des ´ecologues au sein du projet interdis-
ciplinaire PECHDEV. `
A travers le cas dâ´etude du Finist`ere, les questions abord´ees par la
th`ese ont concern´e les m´ethodes classiques de dynamique des populations, les indicateurs
´ecosyst´emiques et le couplage entre mod`eles biologiques/´ecologiques et ´economiques. Les
apports de la th`ese se font ainsi `a plusieurs niveaux et offrent des perspectives de re-
cherches qui pourraient contribuer de mani`ere importante `a la mise en place effective
dâune AEP.
270
Conclusion g´
en´
erale
Quelques enseignements de la th`
ese
Consid´
erations ´
economiques et sociales
En d´epit de vifs d´ebats scientifiques portant sur le niveau r´eel de surexploitation des res-
sources marines (voir Myers et Worm, 2003 vs. Hampton et al., 2005), qui soulignent la
complexit´e des syst`emes naturels et lâincertitude associ´ee aux m´ethodes dâ´evaluation ac-
tuelles (Ludwig et al., 1993), la d´egradation des ´ecosyst`emes marins et de lâ´etat global des
stocks est aujourdâhui admise par les institutions politiques en charge de lâam´enagement
des pËecheries (p. ex. UE, 2001). N´eanmoins, les d´ecisions de gestion prises `a court terme
(TAC annuels notamment) vont souvent `a lâencontre des avis scientifiques ; elles int`egrent
en effet des consid´erations ´economiques et sociales qui peuvent pr´evaloir sur les as-
pects biologiques et ´ecologiques (Corten, 1996). De la mËeme mani`ere, lâAEP consid`ere
lâHomme comme une composante `a part enti`ere des ´ecosyst`emes et reconnaËÄąt que son
ÂŤ
bien-Ëetre
Âť
passe par son aptitude `a pouvoir d´eterminer ses besoins et `a les satisfaire
(Garcia et al., 2003).
Dans cette perspective, le d´eveloppement dâun mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable
(MEGC) appliqu´e au secteur des pËeches, couplant mod`eles biologique et ´economique,
semble un outil adapt´e pour quantifier les valeurs ´economiques et sociales r´eellement
d´egag´ees par les activit´es halieutiques. Lâapplication du mod`ele `a cinq r´egions eu-
rop´eennes, consid´er´ees d´ependantes de la pËeche, devrait notamment mettre en ´evidence
le rËole majeur quâelle occupe `a une ´echelle locale, en estimant lâensemble des effets socio-
´economiques que peuvent avoir certaines mesures de gestion.
Bien que le mod`ele ne soit pas encore op´erationnel, le travail men´e sur le Finist`ere
au cours de la th`ese a produit un certain nombre de r´esultats. La vision globale de
la production finist´erienne permet en particulier dâidentifier les principaux ´ecosyst`emes
et stocks exploit´es et dâ´etablir un diagnostic plurisp´ecifique sur la totalit´e des esp`eces,
de mani`ere `a visualiser simplement lâ´etat des ressources pËech´ees par les flottilles du
d´epartement. Le travail a ´egalement permis de :
â Proposer une m´ethode g´en´erique pour estimer des fonctions de production biologique,
quelle que soit la nature des donn´ees disponibles en terme de dynamique des popula-
tions,
â D´evelopper un mod`ele de production r´egional, int´egrant lâeffort de pËeche des flottilles
ext´erieures et faisant le lien entre ´echelles terrestres (Finist`ere) et marines (ZPE),
â Formaliser le lien entre les fonctions de production biologique et le mod`ele ´economique,
â Pr´esenter des sc´enarii politiques et ´ecologiques en vue de lâapplication du MEGC.
Conclusion g´
en´
erale
271
Au-del`a des apports m´ethodologiques, la th`ese souligne le manque criant de connais-
sances sur la biologie et lâ´ecologie de nombreuses esp`eces exploit´ees, alors que celles-ci
peuvent repr´esenter une part essentielle des d´ebarquements, et certainement avoir des
retomb´ees ´economiques locales importantes (p. ex. crabe dans le nord Finist`ere). Le
caract`ere tr`es h´et´erog`ene de lâinformation disponible en termes dâ´evaluations de stocks
limite consid´erablement les approches visant `a consid´erer plusieurs esp`eces, la pr´ecision
des r´esultats des mod`eles ´etant d´etermin´ee par les param`etres dâentr´ee des stocks pour
lesquels lâon dispose du moins de connaissances. En compl´ement, le degr´e de finesse du
module biologique doit Ëetre en ad´equation avec la pr´ecision des donn´ees utilis´ees dans le
module ´economique. Le d´eveloppement de mod`eles coupl´es n´ecessite ainsi de clairement
d´efinir quel est le degr´e de pr´ecision recherch´e, suivant les objectifs de lâ´etude, et de
r´ealiser des choix entre lâexhaustivit´e (au d´etriment de la pr´ecision) et la s´election des
´el´ements les mieux renseign´es. Lâapplication du mod`ele requiert en outre de conduire
des analyses de sensibilit´e sur les r´esultats du mod`ele. Pour ce qui concerne la par-
tie ´ecologique, lâabsence de donn´ees concernant les relations trophiques et les effets de
lâenvironnement dans les ´ecosyst`emes exploit´es appelle `a lâadoption dâun formalisme em-
pirique pour les simulations envisag´ees. Celui-ci apparaËÄąt satisfaisant dans le cadre de
lâapplication du MEGC, qui vise principalement `a analyser des tendances, mais met
clairement en ´evidence la n´ecessit´e de mettre en place des proc´edures de collectes de
donn´ees, afin dâam´eliorer dans le futur notre connaissance des r´eseaux trophiques dâo`
u
provient la majorit´e des captures fran¸caises.
Indicateurs ´
ecosyst´
emiques
Les indicateurs occupent une place majeure au sein de lâAEP et ont pour objectif prin-
cipal de servir `a lâ´evaluation de lâ´etat des ´ecosyst`emes, en focalisant sur certaines de
leurs propri´et´es ou composantes (Daan et al., 2005a). Le recours `a un certain nombre
dâentre eux, bas´es sur des donn´ees de captures, a permis de mener une analyse compa-
rative `a grande ´echelle, de mani`ere `a caract´eriser les ´ecosyst`emes o`
u op`erent les flottilles
finist´eriennes. Compte tenu de lâabsence de limites unanimement reconnues pour les
´ecosyst`emes marins europ´eens, une ´etape pr´ealable au calcul des indicateurs a consist´e
en la sp´ecification de grandes unit´es g´eographiques, caract´eris´ees par des profils de cap-
tures diff´erents et d´efinissant des
ÂŤ
zones de pËeche ´ecosyst´emiques
Âť
(ZPE). Lâanalyse
a montr´e que la majorit´e des ZPE pr´esentent une diminution significative du niveau
trophique moyen des captures et de lâindice Fishing-In-Balance (FIB), sugg´erant des
ph´enom`enes de surexploitation `a lâ´echelle des ´ecosyst`emes. La synth`ese de lâinformation
issue dâun jeu dâindicateurs, par analyse multivari´ee, a mis en ´evidence des contrastes
spatiaux importantes entre zones. Lâ´evolution dans le temps des coordonn´ees de certaines
ZPE dans le premier plan factoriel caract´erise des changements de valeurs de plusieurs
272
Conclusion g´
en´
erale
indicateurs et est d´efinie comme une
ÂŤ
direction de surexploitation ´ecosyst´emique
Âť
, car
elle va dans le sens dâune d´egradation des ´ecosyst`emes sous-jacents. La mer dâIrlande ap-
paraËÄąt en particulier suivre cette direction. Cette partie de la th`ese a ´egalement confirm´e
des patterns dâexploitation observ´es dans de nombreux ´ecosyst`emes, c.-`a-d. une surex-
ploitation des esp`eces d´emersales g´en´eralement de hauts niveaux trophiques, une domi-
nation des captures par des esp`eces de petits p´elagiques et peu de captures importantes
dans les bas niveaux trophiques. Le maintien de hauts niveaux de production dans les
´ecosyst`emes est g´en´eralement li´e `a seulement quelques esp`eces (capelan, lan¸cons, merlan
bleu), qui repr´esentent parfois plus de la moiti´e des captures totales et sont exploit´ees
de mani`ere industrielle (surimi, farine de poisson). La limite principale de ce type dâap-
proche r´eside dans la nature des donn´ees qui refl`etent `a la fois les biomasses des esp`eces
pËech´ees et les ´evolutions spatio-temporelles de lâeffort de pËeche, qui peuvent Ëetre in-
fluenc´ees par une grande vari´et´e de param`etres (p. ex. strat´egie, mesures de gestion,
march´e, innovations). Le calcul dâautres indicateurs bas´es sur des indices dâabondance
issus de campagnes scientifiques par exemple, pourrait compl´eter lâapproche qui demeure
exploratoire et permettre de
ÂŤ
valider
Âť
la direction de surexploitation d´efinie.
En compl´ement, lâ´etude de donn´ees de contenus stomacaux de cinq esp`eces pr´edatrices de
mer Celtique a montr´e que le niveau trophique (TL) des individus peut fortement varier
au cours de lâann´ee, entre les ann´ees, entre les zones, avec la profondeur et au cours de leur
vie. De plus, les sources de variabilit´e affectent diff´eremment les esp`eces et lâestimation
du niveau trophique des pr´edateurs d´epend des valeurs moyennes de TL attribu´ees aux
proies, elles-mËeme li´ees au degr´e de r´esolution taxonomique de lâ´echantillonnage. Le
calcul de plusieurs indicateurs ´ecosyst´emiques (p. ex. indice FIB, niveau trophique moyen
des captures), s´electionn´es pour quantifier les effets de la pËeche sur les ´ecosyst`emes marins
(Cury et al., 2005b), sâappuie ainsi sur des valeurs moyennes de niveaux trophiques par
esp`ece qui n´egligent lâensemble de la variabilit´e pouvant les caract´eriser. Lâestimation
de ces indicateurs requiert ainsi la mise en place dâ´echantillonages en routine afin de
disposer de lâinformation n´ecessaire au calcul de valeurs de niveaux trophiques plus
fiables. Les m´ethodes isotopiques plus int´egratrices dans le temps apparaissent adapt´ees
`a lâestimation de valeurs moyennes annuelles du niveau trophique.
Parall`emement, des traitements similaires ont ´et´e conduits sur un indice dâomnivorie
individuel repr´esentant la variance des niveaux trophiques des proies consomm´ees. Bien
que pr´eliminaire, lâanalyse sugg`ere ´egalement une variabilit´e importante de lâomnivorie
entre esp`eces et en fonction de la zone, la profondeur et la p´eriode. Elle montre en parti-
culier que lâindice dâomnivorie augmente pour les cinq esp`eces ´etudi´ees avec la taille des
individus, sans doute en raison de lâaugmentation de la taille de leur bouche et de leurs
capacit´es natatoires. En r´eduisant la taille moyenne des populations (Shin et al., 2005),
la pËeche pourrait ainsi diminuer lâomnivorie, consid´er´ee comme pr´epond´erante dans les
´ecosyst`emes marins (Link, 2002a) et comme un facteur essentiel de stabilit´e des r´eseaux
Conclusion g´
en´
erale
273
trophiques (Emmerson et Yearsley, 2004). Des ´etudes compl´ementaires sur lâomnivorie
et la d´efinition dâindicateurs ´ecosyst´emiques bas´es sur cette mesure apparaissent ainsi
pertinentes dans le cadre dâune AEP.
Fonctionnement des ´
ecosyst`
emes
Un mod`ele multisp´ecifique de simulation a ´et´e d´evelopp´e dans un contexte tr`es g´en´erique
afin dâexplorer plusieurs hypoth`eses sur le fonctionnement des ´ecosyst`emes marins. Dans
une premi`ere phase, le simulateur a permis dâanalyser comment la pËeche peut modifier
les fonctions de production des composantes du r´eseau trophique en affectant essen-
tiellement les hauts niveaux trophiques. La production de chaque composante d´epend
en effet de la biomasse de ses proies, surtout dans les hauts niveaux trophiques, et
de ses pr´edateurs. Les caract´eristiques de fonctionnement de lâ´ecosyst`eme (intensit´e
des contrËoles top-down et bottom-up, et omnivorie) peuvent consid´erablement modi-
fier les fonctions de production des composantes trophiques, `a des degr´es divers se-
lon leur position dans le r´eseau. Dans un deuxi`eme temps, le simulateur a ´et´e utilis´e
pour appr´ehender comment certains indicateurs ´ecosyst´emiques utilis´es pr´ec´edemment
r´epondent `a la pËeche, sous les hypoth`eses du mod`ele. Les r´esultats montrent que les
r´eponses d´ependent des caract´eristiques de fonctionnement de lâ´ecosyst`eme, quâelles ne
sont pas toujours lin´eaires et quâelles sont parfois contre-intuitives, compte tenu de la
complexit´e des relations trophiques et de ph´enom`enes de compensation. Les propri´et´es
de lâ´ecosyst`eme modifient ainsi consid´erablement la transmission dâimpacts de change-
ments de biomasse dans le r´eseau trophique, et
in fine
les r´eponses de lâ´ecosyst`eme `a la
pËeche. La sp´ecification de valeurs et/ou de directions de r´ef´erence pour les indicateurs
doit ainsi Ëetre envisag´ee ´ecosyst`eme par ´ecosyst`eme, et ´eventuellement renouvel´ee en
fonction de la connaissance scientifique acquise, des objectifs de gestion et des modifi-
cations des processus sous-jacents. Lâapproche indicateurs se doit dâËetre adaptative au
regard de lâaspect dynamique des ´ecosyst`emes.
Perspectives
Donn´
ees de production primaire et for¸cage bottom-up
Lâutilisation des donn´ees de production primaire issues des donn´ees
ÂŤ
couleur de lâeau
Âť
du satellite SeaWiFs (Sea-viewing Wide Field-of-view Sensor) a permis dâestimer pour
chaque ZPE la part de la production primaire (PP) utilis´ee par la pËeche (ratio PPR/PP).
Les valeurs estim´ees sont tr`es ´elev´ees, mËeme lorsque lâindice PPR/PP est estim´e unique-
274
Conclusion g´
en´
erale
ment pour les esp`eces d´emersales, c.-`a-d. en excluant les biomasses pËech´ees pouvant avoir
´et´e produites dans dâautres zones (p. ex. grands migrateurs). Aucune relation nâa ´et´e
mise en ´evidence entre les captures et la PP pour les p´eriodes de cinq ans consid´er´ees.
En revanche, lorsque les captures sont moyenn´ees pour lâensemble des ann´ees dispo-
nibles, une relation significative entre la PP et la production halieutique, similaire `a
celle r´ecemment publi´ee par Ware et Thomson (2005) dans le Pacifique Nord Est, est
mise en ´evidence. Elle sugg`ere lâimportance dâun for¸cage de type bottom-up dans les
eaux europ´eennes (Fig. 5.4). Ce contrËole bottom-up apparaËÄąt particuli`erement ´evident
lorsque lâon repr´esente les captures des petits p´elagiques en fonction des donn´ees de PP,
leur production d´ependant plus directement de la productivit´e primaire des syst`emes que
pour les esp`eces positionn´ees plus hauts dans les r´eseaux trophiques (De Leiva Moreno
et al., 2000).
Fig.
5.4
â
Relation entre production primaire et les captures moyennes d´emersales (triangles) et de
petits p´elagiques (cercles) r´ealis´ees dans les diff´erentes Zones de PËeche ´
Ecosyst´emiques sur les p´eriodes
disponibles (cf. Chapitre 3).
Ce type de relation souligne lâint´erËet de recourir `a diff´erentes sources de donn´ees pour
estimer des indicateurs ´ecosyst´emiques tels que le ratio PPR/PP. Bien que les m´ethodes
utilis´ees en routine au JRC constituent actuellement lâ´etat de lâart pour le calcul de
la PP sur de vastes zones, les erreurs dâestimation en zones cËoti`eres, caract´eris´ees par
des propri´et´es optiques complexes, sont beaucoup plus importantes quâen oc´ean ouvert
(Gregg et Casey, 2004). Le d´eveloppement r´ecent de m´ethodes dâoptimisation pour des
mod`eles biog´eochimiques coupl´es `a des mod`eles physiques cËotiers pourrait fournir des
valeurs de PP moins biais´ees pour le calcul des indicateurs, ces mod`eles int´egrant les
processus physiques et biologiques majeurs et tenant compte des probl`emes li´es aux
mati`eres en suspension (Huret, 2005).
Conclusion g´
en´
erale
275
Indices dâexploitation et standardisation
Lâinterpr´etation des valeurs et/ou tendances des indicateurs ´ecosyst´emiques destin´es
`a ´evaluer les effets de lâexploitation n´ecessite de disposer de m´etriques quantifiant la
pression de pËeche `a lâ´echelle des ´ecosyst`emes (Daan, 2005). En particulier, la pente du
spectre de taille, le niveau trophique des captures ou lâindice FIB sont g´en´eralement
´etudi´es en fonction du temps et non dâun indice exprimant lâintensit´e dâexploitation.
Daan et al. (2005b) ont propos´e de recourir aux valeurs de mortalit´e par pËeche issues
des groupes de travail du CIEM afin de sp´ecifier un indicateur moyen dâintensit´e de
pËeche pour lâ´ecosyst`eme. Cette m´ethode offre lâint´erËet dâassocier les m´ethodes classiques
de dynamique des populations et les approches indicateurs. N´eanmoins, elle ne tient ne
compte que des mortalit´es estim´ees pour les stocks ´evalu´es et doit se baser sur un pool de
stocks commun `a toute la p´eriode ´etudi´ee, car lâajout de nouvelles ´evaluations affecterait
les valeurs de lâindice. La m´ethode apparaËÄąt ainsi appropri´ee lorsquâon sâint´eresse `a une
zone donn´e (valeur relative de lâindice), mais pose des difficult´es suppl´ementaires pour
une analyse comparative de plusieurs ´ecosyst`emes.
Le calcul des taux moyens de mortalit´e par pËeche sâexer¸cant sur des classes pr´ealablement
sp´ecifi´ees de niveaux trophiques ou de tailles, pourrait permettre de d´ecrire la fa¸con dont
la pression de pËeche se r´epartit sur lâensemble de lâ´ecosyst`eme. Gascuel et al. (2005)
proposent ainsi des spectres de taux dâexploitation, correspondant au rapport entre les
captures et la biomasse par classe de niveau trophique. Ces approches n´ecessitent de dis-
poser dâindices dâabondance issus des campagnes scientifiques pour lâensemble des classes
de taille (ou de niveau trophique) exploit´ees. Collecter ce type dâinformation `a grande
´echelle demeure cependant tr`es difficile car les campagnes sont g´en´eralement nationales,
et les bases de donn´ees demeurent peu accessibles. La mise en place de proc´edures de
standardisation au niveau international, pour la collecte des donn´ees et le calcul dâun
jeu dâindicateurs de r´ef´erence, constituerait une avanc´ee importante pour promouvoir
leur utilisation. La structuration dâune m´etabase de donn´ees internationale qui regrou-
perait lâensemble des donn´ees pourrait ainsi faciliter la comparaison entre ´ecosyst`emes,
les m´etaanalyses sâav´erant des m´ethodes tr`es utiles pour d´etecter des patterns et mettre
en ´evidence des relations fonctionnelles essentielles.
Application du mod`
ele
Une perspective essentielle du travail de th`ese est de parvenir `a faire fonctionner le
mod`ele ´economique afin de conduire les simulations propos´ees dans le cas du Finist`ere,
et dâappliquer ´egalement le mod`ele aux autres r´egions du projet PECHDEV : la Cor-
nouaille (Royaume-Uni), lâËÄąle de Bornholm (Danemark), la province de Salerne (Italie)
276
Conclusion g´
en´
erale
et la r´egion de Vigo (Espagne). Une analyse comparative en recourant `a un (ou des)
sc´enario(s) commun(s) (p. ex. r´eduction de quota ou de subventions) entre les r´egions
pourrait notamment permettre de mettre en ´evidence les particularit´es et la plus ou
moins grande sensibilit´e de certaines dâentre elles `a des mesures de gestion donn´ees.
De la mËeme mani`ere, cette approche pourrait au contraire r´ev´eler des r´eponses de type
socio-´economique communes aux cinq r´egions, ceci permettant de tirer des enseignements
g´en´eraux sur les cons´equences possibles de politiques des pËeches. Le couplage du module
´economique avec des mod`eles biologiques/´ecologiques plus complexes que les mod`eles
globaux pr´esent´es dans la th`ese constitue une autre perspective int´eressante du travail.
En particulier, le recours `a un mod`ele Ecopath with Ecosim, repr´esentant les interactions
de pr´edation entre les diff´erents compartiments du r´eseau trophique, devrait permettre
de compl´eter lâapproche globale propos´ee en approfondissant les aspects ´ecologiques.
Exprimer les indicateurs en valeur mon´
etaire
Malgr´e les difficult´es inh´erentes `a lâestimation de la valeur de biens non-marchands,
Costanza et al. (1997) ont estim´e `a environ 21 billiards de dollars par an les services
rendus par les ´ecosyst`emes marins `a lâHomme. En dehors des critiques et discussions
possibles sur lâexactitude de ces chiffres (Balmford et al., 2002), le fait dâattribuer une
valeur aux services rendus par les ´ecosyst`emes rel`eve dâune volont´e de faire prendre en
consid´eration aux gestionnaires leur vraie valeur, sous-estim´ee par les march´es commer-
ciaux. Le couplage entre mod`eles biologiques/´ecologiques et ´economiques apparaËÄąt de ce
point de vue tr`es int´eressant puisquâil permet de quantifier les cons´equences ´economiques
et sociales associ´ees `a la d´egradation des ´ecosyst`emes, via la modification des potentiels
de production des esp`eces exploit´ees. `
A ces valeurs financi`eres et sociales sâajoute une
valeur ´ethique, qui reste tr`es difficile `a estimer. N´eanmoins, lâid´ee que la valeur du
ÂŤ
ca-
pital
Âť
ressources marines diminue lorsque les ´ecosyst`emes sont surexploit´es et que ceci
correspond `a une perte importante pour la soci´et´e apparaËÄąt comme un moyen de com-
munication tr`es puissant avec les gestionnaires et le public. Lâattribution dâune valeur
`a la biomasse, mais ´egalement `a la structure trophique, la diversit´e, ... pourrait notam-
ment conduire `a r´eexprimer tous les indicateurs quantifiant des effets de la pËeche en une
unit´e commune, lâunit´e mon´etaire. Il nây aurait alors plus de difficult´e pour comparer ou
pond´erer les diff´erentes propri´et´es des ´ecosyst`emes. La difficult´e ´emanera avant tout de
la m´ethode pour attribuer une valeur marchande `a des biens et des services ´ecologiques
non marchands. Cependant, si une telle approche a pu Ëetre conduite `a lâ´echelle du globe,
cela signifie que des m´ethodes sont disponibles et quâelles peuvent Ëetre appliqu´ees plus
localement, dans la perspective de traduire les indicateurs en notions compr´ehensibles
par tous.
Conclusion g´
en´
erale
277
Bien quâun certain nombre des principes de lâApproche ´
Ecosyst´emique des PËeches soit
clairement ´enonc´e dans des Conventions ou accords internationaux (p. ex. FAO, 1995),
lâint´egration de lâensemble de ses objectifs dans les modes de gestion des pËeches va
certainement requ´erir une, voire plusieurs d´ecennies. Lâinertie administrative, la non
acceptation, lâincertitude sur les r´esultats attendus et les coË
uts importants associ´es `a
une transition dâune gestion conventionnelle des pËeches vers une AEP sont autant de
limites `a sa mise en place. Dans ce contexte, elle doit se construire progressivement
pour se superposer `a la gestion actuelle en sâappuyant notamment sur un ensemble
dâapproches compl´ementaires, c.-`a-d. biologique/´economique, th´eorique/empirique,
mod`eles/indicateurs, monosp´ecifique/´ecosyst´emique. Câest dâailleurs lâun des enseigne-
ments forts du pr´esent travail que de montrer que lâAEP, tout comme la mod´elisation
´economique, peuvent reposer sur les m´ethodes usuelles de dynamique des populations, et
prolonger ainsi lâexp´erience acquise depuis plus de cent ans en halieutique. La cr´eation de
comit´es consultatifs r´egionaux (CCR), la r´eflexion men´ee par la profession sur les engins
s´electifs, la fusion des rapports ACFM et ACE au sein du CIEM ainsi que lâorganisation
de programmes de recherche comme le
ÂŤ
D´efi Golfe de Gascogne
Âť
par lâIfremer sont
autant dâexemples qui soulignent le chemin parcouru.
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ABSTRACT
The overfishing of many fish stocks at the global scale associated with the degradation of marine
ecosystems have progressively put into relief the limits of current fisheries management. The
Ecosystem Approach to Fisheries (EAF), particularly recommended by FAO, calls for modifying the
perception of fisheries management in order to include ecosystem considerations. By improving our
understanding of population and ecosystem dynamics, and by quantifying the effects of fishing,
EAF thus aims to reconcile sustainable exploitation of fisheries resources and conservation.
The PhD thesis is part of a European project (
ÂŤ
PECHDEV
Âť
QLRT-2000-02277), aiming to
define a link between the state of the ecosystem, the dynamics of marine exploited populations,
and the economic sectors of the production region. The case study is the department of Finist`ere
(France), characterized by a high degree of dependence on fishing.
1. The first chapter presents the state of world fisheries in which EAF has progressively emerged,
as well as its main objectives and conceptual principles that define the prerequisite to its im-
plementation. The chapter also deals with current methods used in fisheries science, indicator
approaches and ecosystem models, all being major tools for an EAF.
2. The second chapter describes the Finist`ere case study. The heterogeneity of information available
in terms of assessment for the stocks exploited leads to propose a generic methodology in order
to define surplus production models, in the perspective of their coupling with the economic model
presented in the fifth chapter. A simulation model allows to deal with scaling problems due to
the lag between the terrestrial dimension of the economic analysis, and the marine dimension of
the fished resources.
3. The third chapter intends to characterize the state of the ecosystems exploited by the Finist`ere.
The concept of Ecosystem Fishing Unit (EFU) is introduced. They define marine units described
by distinct exploitation schemes. A set of indicators based on primary production and catch
data allows to compare the EFU at the European scale by multivariate analysis. The notion of
direction of ecosystem overfishing, observed in the first factorial plane, is discussed.
4. The fourth chapter concerns more the domain of theoretical ecology. A multispecific simulation
model is developed and represents a virtual ecosystem in which trophic components interact by
predation. The model shows that production functions are generally affected by fishing at various
degrees, according to their position within the food web and the characteristics of ecosystem
functioning simulated,
i.e.
the top-down and bottom-up controls and the degree of omnivory.
These processes appear to be essential in the ecosystem response to fishing.
5. The fifth chapter concerns the approach of economic modeling allowing to link the economic
activities of Finist`ere, through a social accounting matrix locally estimated. The hypotheses
and principles of the computable general equilibrium model (CGEM) are exposed as well as the
method of coupling with the production functions specified in the second chapter. A formalism
is proposed to take into account ecological effects. Management scenarios considered (taxes,
quotas, subventions) and expected results are discussed.
The PhD thesis concludes to the complementarity of the monospecific/multispecific, mo-
del/indicator and ecological/economic approaches, each being an essential component towards
the progressive implementation of an EAF.
Key words :
Ecosystem Approach to Fisheries, Finist`ere, indicator, population dynamics, preda-
tion, simulation model, trophic level.
R´
ESUM´
E
La surexploitation de nombreux stocks de poissons `
a lâ´echelle mondiale et la d´egradation des
´ecosyst`emes marins ont progressivement mis en ´evidence les limites de la gestion des pËeches
actuelle. LâApproche ´
Ecosyst´emique des PËeches (AEP), pr´econis´ee en particulier par la FAO,
appelle `
a modifier la perception de lâam´enagement des pËecheries afin dây int´egrer des consid´erations
´ecosyst´emiques. En am´eliorant notre compr´ehension de la dynamique des populations et des
´ecosyst`emes, et en quantifiant lâensemble des impacts li´es `a la pËeche, lâAEP a ainsi pour objectif
de r´econcilier lâexploitation durable des ressources et leur conservation.
Le travail de th`ese sâinscrit dans le cadre dâun projet europ´een (
ÂŤ
PECHDEV
Âť
QLRT-2000-02277),
visant `
a ´etablir un lien entre lâ´etat des ´ecosyst`emes, la dynamique des populations marines qui
y sont exploit´ees, et les secteurs ´economiques de la r´egion productrice. Le cas dâ´etude est le
d´epartement du Finist`ere (France), caract´eris´e par un fort degr´e de d´ependance `a la pËeche.
1. Le premier chapitre pr´esente le contexte halieutique mondial au sein duquel a progressivement
´emerg´e lâAEP, ainsi que les objectifs et principes conceptuels majeurs qui d´efinissent les pr´erequis
`
a sa mise en Ĺuvre. Le chapitre introduit ´egalement les m´ethodes halieutiques courantes, et les
approches indicateurs et de mod´elisation ´ecosyst´emique, qui constituent des outils essentiels au
service de lâAEP.
2. Le deuxi`eme chapitre d´ecrit la zone dâ´etude du Finist`ere. Lâh´et´erog´en´eit´e de lâinformation dis-
ponible en terme dâ´evaluation pour les stocks commerciaux exploit´es, am`ene `a proposer une
m´ethodologie g´en´erique pour d´efinir des mod`eles globaux de production, dans lâoptique de leur
couplage avec le mod`ele ´economique pr´esent´e dans le chapitre 5. Un mod`ele de simulation per-
met dâaborder les probl`emes dâ´echelle li´es au d´ecalage entre la dimension terrestre de lâanalyse
´economique, et la dimension marine des ressources pËech´ees.
3. Le troisi`eme chapitre a pour vocation de caract´eriser lâ´etat des ´ecosyst`emes exploit´es par le Fi-
nist`ere. Le concept de Zones de PËeche ´
Ecosyst´emiques (ZPE) est introduit. Celles-ci d´efinissent
des unit´es marines g´eographiques d´ecrites par des sch´emas dâexploitation distincts. Un jeu dâin-
dicateurs bas´es sur des donn´ees de production primaire et de captures permet de comparer les
ZPE `
a lâ´echelle de lâEurope par analyse multivari´ee. La notion de direction de surexploitation
´ecosyst´emique, observ´ee dans le premier plan factoriel, est discut´ee.
4. Le quatri`eme chapitre sâinscrit dans une d´emarche dâ´ecologie plus th´eorique. Un mod`ele mul-
tisp´ecifique de simulation est d´evelopp´e et repr´esente un ´ecosyst`eme virtuel dans lequel les com-
posantes trophiques interagissent par pr´edation. Le mod`ele montre que les fonctions de produc-
tion sont g´en´eralement affect´ees par lâexploitation `
a des degr´es variables, selon leur position au
sein du r´eseau trophique et les caract´eristiques du fonctionnement de lâ´ecosyst`eme simul´ees,
i.e.
les contrË
oles top-down et bottom-up et le degr´e dâomnivorie. Ces processus apparaissent ainsi
d´eterminants dans la r´eponse des ´ecosyst`emes `
a la pËeche.
5. Le cinqui`eme chapitre concerne lâapproche de mod´elisation ´economique permettant de relier les
activit´es ´economiques du Finist`ere entre elles, via une matrice de comptabilit´e sociale estim´ee
localement. Les hypoth`eses et principes du mod`ele dâ´equilibre g´en´eral calculable (MEGC)
sont expos´es ainsi que la m´ethode de couplage avec les mod`eles de production d´efinis dans le
deuxi`eme chapitre. Un formalisme pour la prise en compte dâeffets ´ecologiques est propos´e. Les
sc´enarii de gestion envisag´es (taxes, quotas, subventions) et les r´esultats attendus sont discut´es.
La th`ese conclut `
a la compl´ementarit´e des approches monosp´ecifique/multisp´ecifique,
mod`ele/indicateur et ´ecologique/´economique, chacune constituant une composante indispensable
`
a la mise en place progressive dâune AEP.
Mots cl´
es :
Approche ´
Ecosyst´emique des PËeches, dynamique des populations, Finist`ere, indicateur,
mod`ele de simulation, niveau trophique, pr´edation.