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Les Amputés de guerre du Canada

présentent

LES ANCIENS COMBATTANTS 

DU CANADA À HONG KONG :

La question de l’indemnisation

Durée : 58 minutes 20 secondes

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LES ANCIENS COMBATTANTS DU CANADA À HONG KONG :

La question de l’indemnisation

CLIFF CHADDERTON :

Ici Cliff Chadderton, des Amputés de guerre du Canada; mais, pour ce film, je

dois aussi vous dire que je suis fier de patronner les anciens combattants du

Canada à Hong Kong. Leur demande d'indemnisation reste une épineuse

question de grande portée. Et pourtant, dans une seule page d'un simple

dictionnaire se trouvent rassemblés l'essentiel des mots pour décrire cette

incroyable situation. « T » pour tragédie : l'une des plus grandes de notre histoire

militaire. « T » pour transgression : une nation guerrière faisant fi du plus sacré

des protocoles internationaux, c'est-à-dire la Convention de Genève. « T » pour

traumatismes : causés à de jeunes Canadiens qui en furent marqués pour la vie.

« T » pour traîtrise : de la part du gouvernement japonais et peut-être même du

nôtre. « T » pour traité : un traité par lequel le gouvernement canadien aurait

apparemment renoncé aux droits de ses propres citoyens. « T » pour trahison :

certainement pas commise par nos soldats, mais par ceux qui étaient censés les

protéger. « T » pour traitement qui fut barbare de la part des ravisseurs, mais

très dur également par la nature même des soins médicaux dispensés aux

survivants pour le reste de leurs jours dans l'espoir de les soulager de leurs

blessures. Bien sûr, certains Japonais furent jugés pour crimes de guerre et

payèrent de leur vie. Voilà pour les coupables, mais les victimes, elles, qu'en est-

il de leur indemnisation? Et que penser de la ruse qui a mené le gouvernement

canadien, comme on le verra, à boycotter les audiences de Genève? Toute cette

triste affaire passera-t-elle à l'histoire comme l'un des plus grands simulacres de

justice que nous ayons jamais connus?

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... ou finira-t-elle, au contraire, dans le triomphe? Oui, si les Canadiens élèvent la

voix. Les grands mots qui comptent dans la Convention de Genève disent qu'une

puissance qui détient des prisonniers et dans ce cas c'est le Japon, ne doit pas

profiter de ceux-ci et les forcer au travail. Si cette puissance les force à travailler

dans ses industries de guerre, elle doit les payer au même tarif qu'elle paye ses

propres travailleurs. Et si jamais des circonstances l'empêchent de rémunérer

ses prisonniers de guerre, elle est tenue de leur remettre, au moment de leur

libération, une attestation de la somme qui leur est due. Si jamais l'économie de

l'ancien pays ennemi est alors jugée en ruine, il lui sera accordé un délai de

quelques années pour rembourser, mais ce pays est tenu de légiférer pour

assurer une juste indemnisation aux prisonniers de guerre qu'il aura soumis aux

travaux forcés.

Oui, les anciens combattants de Hong Kong, reçoivent, en effet, pension de la

part de notre gouvernement pour leurs maux de toutes sortes causés par la

guerre, mais ce qui nous occupe, en ce moment, c'est bien autre chose. On parle

ici plutôt de rappel de paie. Une paie dont les arrérages remontent à 1940 pour

les prisonniers de guerre qui furent soumis aux travaux forcés. Pendant sept

longues années, on a vu le gouvernement du Japon faire obstruction dans le but

d'empêcher que nous ayons gain de cause aux Nations Unies. Sept longues

années, incidemment, pendant lesquelles les représentants du gouvernement

canadien ne se sont jamais donné la peine d'assister aux audiences.

Alors, il nous reste à exercer un recours dont on peut se prévaloir selon la loi

internationale, c'est-à-dire, nous déférons ce cas au Canada et à son

gouvernement.

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Je suis allé rendre visite à Roger Cyr, un ancien combattant enrôlé à l'âge de 19 

ans dans les Royal Rifles du Canada. Fait prisonnier par les Japonais le jour de

Noël 1941, il a été soumis aux travaux forcés dans les industries japonaises

pendant près de quatre ans.

Roger a fait partie de notre délégation quand nous sommes allés à Genève en

février 93 où il a raconté, en conférence de presse, l'histoire des anciens

combattants de Hong Kong alors qu'ils étaient prisonniers de guerre au Japon. Et

Roger a accepté de nous en refaire le récit.

ROGER CYR :

Eh bien, voilà! À l'âge de 19 ans, j'étais déjà enrôlé dans les Royal Rifles du

Canada quand le gouvernement canadien décida d'envoyer ce régiment à Hong

Kong pour aller prêter main forte à la garnison britannique installée là depuis

nombre d'années. Notre troupe était formée d'un autre régiment et d'un élément

de brigade comme groupe de soutien.

Commencé début novembre 1941, notre séjour idyllique à Hong Kong a pris

abruptement fin le jour de Noël 1941... quand les Japonais nous ont fait

prisonniers après douze jours et demi, treize jours de batailles rangées.

Personnellement, mon calvaire a débuté le 26 décembre après ma capture par

une patrouille japonaise. Pendant les 19 jours qui ont suivi, j'ai été détenu sur un

court de tennis où j'ai été interrogé, bien sûr... et battu à plusieurs reprises.

Éventuellement, on m'a conduit à mon premier camp de prisonniers, appelé

North Point et situé sur l'île de Hong Kong... puis on m'a fait traverser sur l'île de

Kowloon, où j'ai été emprisonné au camp Sham Shui et immédiatement assigné

aux travaux forcés pour la construction de l'aéroport Kai Tak.

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Le travail consistait à casser des montagnes de roches, à les réduire en petits

morceaux et à les charger dans des paniers de bambou que l'on transportait,

deux par deux suspendus aux extrémités d'une perche à la manière des coolies,

pour ensuite monter et descendre une côte jusqu'au bord de l'eau où l'on

déchargeait notre fardeau et cela de l'aube au crépuscule. Plus tard, je fus parmi

ceux qui eurent la chance d'être choisis pour être envoyés au Japon, cela se

passait en janvier 1943.

 

On a embarqué 250 des nôtres à bord d'un navire... et certains ont été mis dans

un trou sans lumière, sans ventilation et sans rien à manger. On ne peut

imaginer pires conditions. J'ai parfois entendu l'expression « navire infernal » et

j'ai lu ces mots-là dans bien des romans, mais ce bateau, c'est vraiment ma

description personnelle d'un navire infernal! On a fini par se retrouver au Japon

où on a touché quai à Nagasaki.

 

L'une des premières règles qu'on nous a imposées a été de répondre à l'appel

en japonais. Évidemment, personne d'entre nous ne connaissait le japonais, à

part les quelques mots appris dans les premiers jours de notre captivité.

 

Eh bien, ils ont décidé de nous apprendre à compter jusqu'à 50. On nous a

alignés quatre par quatre en nous ordonnant : « Allez-y! Comptez en japonais :

ichi, ni, san, yon, guo, roccu, nana, achi, kyi, ju... et le reste. »

 

Puis on nous a dispersés et, entre nous, on s'est dit que les gars des premiers

rangs feraient mieux de se rappeler de ces fichus chiffres parce qu'il faudrait

répondre de nouveau à l'appel dès le lendemain matin.

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Plus tard, on nous a disséminés par chemin de fer à travers le Japon.

Personnellement, je me suis retrouvé à Yokohama où j'ai travaillé au chantier

naval de NKK, ou Nippon Ko Kan Kai Sha, une entreprise mondialement connue

aujourd'hui. Là aussi, dans ce chantier naval où je faisais fonction de riveur, on

nous forçait à travailler de l'aube au crépuscule sans presque rien nous donner à

manger. Que je vous explique le système des rations alimentaires.

Plus on travaillait, moins on était physiquement apte au travail et plus on était

sujet à la maladie. Or, plus on était malade et moins on avait à manger, si bien

qu'on ne se sortait jamais de ce cycle parce qu'on manquait de nourriture pour

refaire nos énergies, et parvenir à travailler. Par conséquent, on restait malade

plus longtemps. À preuve, bien peu d'entre nous tenaient encore debout quand

les Américains ont bombardé ce chantier naval au début de 1945. Malgré notre

état, à la suite de ce bombardement, les Japonais ont quand même décidé de

nous transférer dans un autre camp près d'une ville appelée Taira sur la côte

nord-est de l'île de Honshu. Je me suis retrouvé à la mine de charbon de Ona

Hama, une toute petite localité.

 

C'est le pire endroit, et de loin, que j'aie jamais vu de toute ma vie. D'ailleurs,

cette mine n'était plus en exploitation depuis nombre d'années. Les Japonais

l'avaient fermée parce qu'elle présentait un trop grand danger. Elle était, en effet,

située sous l'océan Pacifique, à des kilomètres au large de la côte et à une

profondeur de 1800 à 2000 mètres et plus. Comme vous le savez, le Japon est

un pays très volcanique et il faisait donc extrêmement chaud dans cette mine qui

était sous terre, évidemment. Il nous fallait travailler dans une eau sulfureuse

dont la température oscillait entre les 32 et 35 degrés Celsius et plus on

descendait profondément dans la mine, plus la température de l'eau augmentait.

Notre tâche principale consistait donc à travailler à longueur de journée dans

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cette eau sulfureuse qui nous montait jusqu'aux épaules. On partait à l'aube et

on rentrait au crépuscule. Alors vous pouvez imaginer comment était notre corps

après avoir croupi dans l'eau pendant tant de jours. On avait la peau comme de

l'éponge.

 

Je peux vous affirmer que si la guerre avait duré trois ou quatre mois de plus,

aucun d'entre nous n'en serait sorti vivant. Il a été prouvé par la suite, et c'est

d'ailleurs dans les archives, que si les Américains avaient envahi le Japon, une

des premières choses que l'ennemi aurait faites, ç'aurait été de fusiller tous les

prisonniers. L'ordre en avait été bel et bien donné, comme en témoignent les

archives, ou tout au moins les archives militaires.

 

Permettez-moi, maintenant, de vous parler un peu des effets que tout cela a eu

sur moi, aussi bien physiquement, physiologiquement, qu'autrement.

 

À la fin de la guerre, je pouvais à peine marcher. Alors que j'étais en pleine forme

quand je suis parti me battre, je pesais 40 kilos quand j'ai été libéré. Comme on

dit, un bon coup de vent aurait suffi à me jeter par terre. De plus, j'ai souffert de

béribéri, de nombreuses crises de paludisme, de pellagre et de toutes sortes de

plaies corporelles. Des plaies causées par infestation de poux, de punaises et de

toutes sortes d'autres insectes parce que les conditions hygiéniques étaient

telles qu'on ne pouvait tout simplement pas se laver. Faute de médicaments,

toute plaie laissée sans traitement finissait par suppurer et se détériorer.

 

J'avais aussi reçu un coup de baïonnette dans le dos, sans doute parce que

j'avais perdu la tête un jour où un garde japonais avait commencé à me faire des

choses qui ne me plaisaient pas particulièrement. J'avais donc frappé le garde

au visage et, bien sûr, même si eux nous frappaient 24 heures par jour, il était

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insupportable pour un Japonais de se faire gifler parce que ça lui faisait

évidemment perdre la face. Et pour peu que l'on connaisse l'esprit oriental, on

sait que perdre la face équivaut à perdre la vie. Ce gars-là a donc

immédiatement placé son fusil pour me percer au coeur, mais je me suis

retourné et il m'a touché au dos. Et bien que la blessure ne fût pas de nature

extrêmement grave puisque la baïonnette ne m'avait pénétré que de trois ou

quatre centimètres... la plaie s'est mise à suppurer par la suite et il en est résulté

une interminable série de problèmes qui persistent encore aujourd'hui.

 

Pendant les 12 années qui ont suivi ma démobilisation de l'Armée canadienne,

j'ai été malade à la fois physiquement et mentalement. Physiquement, j'ai

souffert des conséquences désastreuses des mauvais traitements et des

séquelles de la sous-alimentation, quand ce n'était pas le manque d'alimentation

tout court. Sans compter que, là-bas, je n'ai jamais reçu les soins médicaux et

les médicaments qu'exigeait mon corps avec tous ces maux et ces maladies. De

plus, j'ai été complètement privé de toute dignité humaine à force d'être battu et

de me faire dire que je valais moins qu'un chien.

 

La situation était absolument sans issue, car, de deux choses l'une : ou on restait

prisonnier pour le reste de sa vie ou on cessait de l'être parce qu'on était mort.

 

Permettez-moi de revenir à la période d'après-guerre. Tout ce que je viens

d'énumérer m'a non seulement causé des problèmes de santé, mais cela m'a

aussi marqué psychologiquement de façon indélébile. Au point que je le suis

encore aujourd'hui. Et pourtant, près de 50 ans ont passé depuis. Oui, je porte

encore toutes ces marques-là avec tout ce que cela comporte d'effets résiduels,

si bien que, du point de vue médical, j'éprouve toutes sortes de problèmes. Je

peux à peine marcher; mes jambes et mes chevilles me font constamment mal

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quand je marche. J'ai plusieurs cancers, dont un, ou peut-être même deux, sont

directement attribuables aux privations que j'ai subies. Je pense à mon cancer

de l'estomac, par exemple. J'impute tout ça au manque de nourriture ou aux

choses qu'on nous a forcés à manger là-bas. Sans compter les conditions dans

lesquelles on nous a obligés à travailler, puisqu'après avoir trimé dans la mine

avec la poussière de charbon, l'eau sulfureuse et tout le reste, j'ai eu un cancer

de la gorge. Je ne suis pas médecin, mais je suis persuadé que ces conditions

de vie ont rendu mon système plus sujet au développement de ces diverses

formes de cancer.

 

Bien sûr, aujourd'hui encore, je dois faire très attention à ce que je mange. Et je

relie toutes sortes de douleurs que j'éprouve aux coups de crosse de fusil que j'ai

reçus dans le dos parce que je ne travaillais pas assez vite ou assez bien. Et

puisque j'en suis à ce que je ressens maintenant, je terminerai en vous parlant

de mes droits personnels, ce que je n'ai pas encore fait.

 

J'ai l'impression que le jour où les Japonais m'ont fait prisonnier, mes droits

personnels ont été taillés en pièces. Je suis devenu une quantité négligeable, un

être moins bien traité qu'un chien. De plus, je crois que quand les puissances

alliées en sont venues à un règlement avec le Japon au moment de la

négociation d'un traité de paix et lors de la signature d'un protocole de paix en

1952, mes droits ont été totalement ignorés. À ce que j'ai vu, on ne fait jamais

mention des prisonniers de guerre dans aucun des documents de ce traité de

paix et je me demande aujourd'hui qui pouvait bien se préoccuper de mes droits.

J'ai le sentiment que ces droits ont été violés et que personne n’était justifié de le

faire.

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Des anciens combattants, tel Cliff Chadderton, ont connu ce que c'était, enterrer

des camarades, et ils ne l'oublieront jamais. Nous, nous avons perdu plus de 250

des nôtres dans ces camps de travaux forcés pour les prisonniers. Et c'est nous

que les Japonais chargeaient de disposer de leurs cadavres. Ils nous obligeaient,

entre autres, à ramasser les corps et à les brûler après les avoir aspergés

d'essence. Autant ne pas donner de détails, c'est trop affreux. Pour les gardes

japonais, c'était comme si la Convention de Genève n'avait pas existé. Ils n'en

ont jamais fait mention.

CLIFF CHADDERTON :

Brian Forbes est un avocat d'Ottawa qui se spécialise en droit international et qui

est le conseiller juridique de l'Association des Amputés de guerre du Canada. 

C'est monsieur Forbes qui a la responsabilité du suivi de nos réclamations

auprès des Nations Unies. Brian Forbes.

BRIAN FORBES :

Après avoir négocié en vain pendant des années avec les Japonais, il est

devenu évident aux yeux des anciens combattants de Hong Kong qu'il leur fallait

un forum international où porter leur demande pour maintenir la pression exercée

contre le gouvernement japonais. Les Amputés de guerre du Canada et

l'Association des anciens combattants de Hong Kong unirent alors leurs efforts

pour soumettre la cause à la Commission des droits de l'homme aux Nations

Unies.

En vertu de la résolution 1503, promulguée dans les années 70 par la

Commission des droits de l'homme, les individus ou les organisations peuvent

porter leur cause devant les Nations Unies quand il y a eu violation flagrante des

droits de l'homme. Cette procédure permet à la Commission de Genève

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d'examiner les revendications individuelles en cas de violations constantes et

systématiques des droits de l'homme, ce qui correspond parfaitement à la

situation des anciens combattants de Hong Kong pendant les quelque 44 mois

de leur emprisonnement dans les camps de travaux forcés au Japon, au cours

de la Deuxième Guerre mondiale.

La première demande, déposée en 1987, mettait en lumière certains éléments

de droit international. En tout premier lieu figurait la preuve relative aux violations

flagrantes de la Convention de Genève par les Japonais, envers les anciens

combattants de Hong Kong, dans les camps de prisonniers. Violations dûment

énumérées, en listes détaillées, quand elles furent examinées lors des procès

pour crimes de guerre, en 1946.

En outre, on y invoquait les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le

principe des violations flagrantes des droits de l'homme, et on y formulait une

demande d'indemnisation relative au concept de travail forcé, lequel, dans le

contexte des camps japonais de prisonniers, relevait des Normes internationales

du travail et, très certainement, de la Convention de Genève elle-même.

Lors de notre première comparution devant la Commission des droits de

l'homme, nous avons travaillé en étroite collaboration avec des organisations non

gouvernementales de premier plan, telles que la Commission internationale des

juristes, celle des professionnels de la santé et le Comité international de la

Croix-Rouge. Ces organisations avaient le statut d’ONG auprès de la

Commission des droits de l'homme à Genève et nous avons vite compris qu'il

nous serait très utile d'acquérir ce statut afin de poursuivre nos revendications à

tous les niveaux de procédure de la Commission des droits de l'homme aux

Nations Unies.

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Nous nous sommes donc rendus à New York, où nous avons obtenu le statut

d'ONG pour l'Association des Amputés de guerre du Canada. C'était là tout un

exploit, car très rares sont les organisations nationales dans le monde à qui on a

attribué pareille attestation. Par la suite, de 1988 à 1993, nous sommes

intervenus pour notre propre compte auprès de la Commission et nous y avons

représenté, de fait, les anciens combattants de Hong Kong et plusieurs autres

organisations. À titre d'exemple, voici les principes de droit qui furent ainsi

sanctionnés :

En premier lieu, il était question d'établir s'il devait y avoir moratoire ou

prescription dans le cas de pareilles revendications. Le droit international est

clair; la Sous-Commission et la Commission ont reconnu qu'il ne pouvait y avoir

prescription et que, en fait, il n'y en avait jamais eu pour les crimes de guerre ou

les crimes contre l'humanité, les coupables pouvant être poursuivis indéfiniment.

En deuxième lieu, en ce qui concerne la seule défense jamais présentée par les

Japonais et fondée sur le traité de paix de 1951-1952, il a été clairement établi

que, en droit international, les dispositions de la Convention de Genève ont

priorité sur tout traité de paix signé entre des pays.

Finalement, le droit à l'indemnisation a été reconnu il y a nombre d'années

comme principe en droit international. La Convention de Genève, datant de

1929, et celle de la Haye, remontant à 1907, reconnaissent le droit à

l'indemnisation pour les victimes de crimes de guerre et de crimes contre

l'humanité.

Au cours de l'été 1991, une revendication unique regroupant les prisonniers de

guerre alliés et les internés civils fut portée devant le groupe de travail de la

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Sous-Commission des droits de l'homme à Genève. Même si ce groupe de

travail de la Sous-Commission a jugé qu'il y avait bel et bien eu d'effroyables

violations des droits de l'homme durant la Deuxième Grande guerre, elle n'en a

pas moins conclu en disant qu'il n'était pas de sa juridiction d'octroyer des

indemnisations aux victimes de cette guerre. Une fois cette décision rendue

publique, des sources à Genève nous ont appris qu'une énorme pression

politique avait été exercée par les Japonais et leurs représentants au sein du

mécanisme pour la défense des droits de l'homme aux Nations Unies.

Évidemment, dans ce contexte, nous avons été extrêmement déçus de constater

que le gouvernement canadien n'avait rien fait pour appuyer notre demande

devant la Commission des droits de l'homme, alors qu'il avait l'occasion

d'intervenir en faveur de ses propres citoyens, en l'occurrence, les anciens

combattants du Canada à Hong Kong. Cela eut pour effet de gravement

compromettre toute chance de succès que nous aurions pu avoir devant cet

organe des Nations Unies.

Il devint évident, après les audiences de février 1993 de la Commission des

droits de l'homme, que les Japonais allaient continuer de faire obstruction à la

question d'indemnisation, même s'ils subissaient de grandes pressions au sein

du processus des droits de l'homme à Genève. Et, bien entendu, les anciens

combattants de Hong Kong ont commencé à comprendre l'importance capitale

du facteur temps. Parmi eux, en effet, bon nombre approchaient les 75 ans et

plusieurs souffraient de handicaps ou d'invalidités comme séquelles de leur

détention.

C'est à ce moment-là que nous nous sommes mis à examiner quelle était

généralement la responsabilité du gouvernement canadien en vertu du droit

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international. Au cours des deux années précédentes, l'un des développements

les plus frappants survenus aux Nations Unies touchait la question des 

Korean

Comfort Women

, alors que les gouvernements de la Corée du Nord et du Sud

avaient tous deux entièrement endossé leurs revendications et les avaient

soutenues auprès des cercles internationaux, ce qui eut pour effet dramatique de

forcer les Japonais à traiter avec un autre gouvernement. Il nous apparut donc

clairement que l'implication du gouvernement canadien était un élément essentiel

au succès de la revendication des vétérans de Hong Kong.

En travaillant en étroite collaboration avec d'éminents juristes internationaux, tel

le docteur John Humphrey, il devint évident que, en droit international, le

gouvernement canadien avait violé plusieurs dispositions d'un traité connu sous

le nom de « Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Ce traité

exige, en effet, qu'un pays fasse en sorte que soient dédommagées les victimes

de violations flagrantes des droits de l'homme. Il est très clair que le Canada a

violé plusieurs dispositions de ce pacte international par ses omissions envers

les anciens combattants de Hong Kong.

Si on remonte au traité de paix de 1951-1952, on voit que le gouvernement

canadien a négligé de protéger ses prisonniers de guerre au cours des

négociations de paix. Le fait que le gouvernement canadien ait effectivement

renoncé à la revendication de ses anciens combattants contrevenait absolument

à la Convention de Genève et, plus particulièrement à l'article 131, où il est

stipulé qu'on ne peut se soustraire aux droits fondamentaux de l'homme, ni y

renoncer dans le cadre d'un traité de paix. Par conséquent, nous avons déposé

une demande en vertu du Protocole facultatif du Pacte international.

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Le Protocole facultatif est un outil international régi par le Comité des droits de

l'homme des Nations Unies, un organisme différent de la Commission du même

nom. Ce comité est formé d'un certain nombre d'experts en droit international et

ses membres ont compétence pour déterminer si un pays a violé les dispositions

du Pacte international.

Par ailleurs, il importe de noter que lors d'une visite au Japon en 1991, le premier

ministre Mulroney a accepté les excuses que lui présentait le premier ministre

japonais, monsieur Kaifu, au sujet des atrocités commises par les Japonais

envers les soldats alliés. Et il est regrettable que notre premier ministre, en

acceptant pareilles excuses, ait saisi l'occasion pour indiquer au premier ministre

Kaifu que le gouvernement canadien ne chercherait pas à obtenir réparation à

l'égard de ses anciens combattants à Hong Kong.

En fait, le premier ministre Mulroney a laissé entendre que le gouvernement

canadien s'occuperait des siens s'il devait y avoir d'autres demandes

d'indemnisation.

[Extrait d'une conférence de presse du premier ministre Brian Mulroney]

BRIAN MULRONEY:

« Devrait-on faire davantage? Si jamais la question se pose, je crois que la

réponse devrait venir du gouvernement canadien. Quand on veut obtenir de

l'argent, on s'adresse à son propre gouvernement. »

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BRIAN FORBES :

Notre demande en vertu du Protocole facultatif constituait un document de

quelque 86 pages, citant les violations du Pacte international commises, selon

nous, par le Canada.

Dans notre dossier, qui sera maintenant examiné par le Comité des droits de

l'homme à Genève, nous pensons, en conclusion, que le gouvernement devra

soutenir notre revendication auprès des Japonais, ou s'exposer aux

conséquences d'un jugement négatif du Comité des droits de l'homme en ce qui

concerne les violations qu'il a commises, auquel cas il serait tenu d'indemniser

lui-même ses anciens combattants de Hong Kong. Selon la procédure du Comité

des droits de l'homme, le dépôt du document en vertu du Protocole facultatif va

entraîner l'envoi d'une notification au gouvernement canadien par le Centre des

droits de l'homme à Genève. Le Centre accordera alors un maximum de six mois

au gouvernement canadien pour rendre officiellement sa réponse.

CLIFF CHADDERTON :

Le professeur John Humphrey a pendant 20 ans été le directeur du Centre des

droits de l'homme à Genève. Il est le coauteur de la Déclaration universelle des

droits de l'homme et il a été longuement associé à l'Université McGill de

Montréal. Il est bien reconnu ici au Canada comme l'expert des questions des

droits de l'homme.

Je lui ai demandé d'expliquer pourquoi la revendication des anciens combattants

de Hong Kong est faite en vertu de la résolution 1503 du Conseil économique et

social des Nations Unies, une résolution qu'il a d'ailleurs rédigée lui-même.

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JOHN HUMPHREY :

On a procédé ainsi, d'une part, parce que cette résolution donne droit à tout

individu de pétitionner, d'où qu'il soit, et, d'autre part, parce que, en la rédigeant à

titre de directeur de la Division des droits de l'homme, j'ai ajouté aux textes la

liste des pays où des violations flagrantes des droits de l'homme ont été

commises.

Cependant, une pétition auprès des Nations Unies ne signifiait pas qu'il y avait

un mécanisme pour mettre la décision à exécution. En dernière analyse, il nous

fallait alerter l'opinion publique et l'éclairer. Nous pensions, en effet, que le

gouvernement japonais finirait par reconnaître que cette page d'histoire était

entachée et que l'opinion publique exigeait qu'ils y remédient, mais en 1992,

nous avons finalement décidé que nous avions fait tout ce que nous avions pu,

en vertu de la résolution 1503, pour faire pression sur le Japon.

Nous en avons conclu, en accord avec la décision que l'Association a prise elle-

même, qu'il fallait nous en prendre directement au gouvernement canadien, car

celui-ci avait non seulement refusé de nous aider, mais il nous avait élevé des

obstacles en plus. L'un des principaux arguments qu'ils utilisaient, qui lui venait

d'ailleurs des Japonais... voulait que toute demande de réparation ait été exclue

par une des dispositions du traité de paix de 1952. Un argument qui semblait

boiteux aux yeux de l'avocat spécialisé en droit international que je suis. J'étais

personnellement convaincu que les pays n'avaient pas le droit de renoncer par

traité aux droits des individus et qu'il existait des conventions au sujet du

traitement des prisonniers en temps de guerre.

À présent que nous avons entamé des procédures contre le gouvernement

canadien, j'ai bon espoir que nous allons réussir, étant donné l'influence que les

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médias ont eu sur les politiciens japonais pour le règlement de la revendication

des 

Korean Comfort Women

. Comme je l'ai dit maintes fois à Brian Forbes, je

crois que la reconnaissance de la cause de ces femmes va nous aider à gagner

la nôtre.

CLIFF CHADDERTON :

S'il s'avérait que le traité de paix ait mis fin à tout recours des Canadiens contre

le Japon, est-ce à dire que le gouvernement canadien a violé une loi

internationale en signant ce traité?

JOHN HUMPHREY :

Oui, à mon avis, car c'était là un déni des droits de ses propres citoyens. Qui

plus est, je ne crois pas que cette conclusion puisse tenir en droit international, ni

le traité lui-même, ni la clause en question.

CLIFF CHADDERTON :

Étant moi-même un ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale, une

question m'intéresse particulièrement. Vous avez déclaré à Genève, en février

1993, que la Deuxième Guerre mondiale avait été le catalyseur des lois

internationales contemporaines régissant les droits de l'homme. Je trouverais

intéressant d'entendre votre point de vue là-dessus.

JOHN HUMPHREY :

Je soutiens que la Deuxième Guerre mondiale a été le catalyseur de l'intégration

du respect des droits de l'homme dans les lois internationales. Au départ, la

Déclaration universelle des droits de l'homme - dont, incidemment, j'ai rédigé le

premier projet... ne constituait qu'une simple résolution de l'Assemblée générale,

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et vous savez sans doute que, en principe, les résolutions de cette Assemblée

n'engagent pas les États membres... En principe!

Cependant, cette résolution-là a été invoquée tant de fois aux Nations Unies et

ailleurs, comme ayant force de loi, qu'elle a fini par faire partie du droit

international coutumier, et c'est ainsi, entre autres, que le respect des droits de

l'homme a été intégré dans ces lois. Un autre des facteurs a été, évidemment,

l'adoption, par les Nations Unies, de deux pactes internationaux, le premier relatif

aux droits civils et politiques, et le second relatif aux droits économiques, sociaux

et culturels. Et le Canada a ratifié ces deux pactes.

CLIFF CHADDERTON :

Vous avez aussi parlé de « l'inspiration de la honte ». Que vouliez-vous dire par

là?

JOHN HUMPHREY :

Comme je l'ai déjà dit, les individus n'avaient aucun statut en droit international

avant la Deuxième Guerre mondiale. Tout ce qu'on pouvait faire pour obtenir

réparation d'un pays, c'était de porter le cas devant l'ONU et alerter l'opinion

publique... puisque les nations y sont très sensibles. On misait donc sur la honte

qui retomberait sur le pays montré du doigt. À mon avis, c'est sur l'inspiration de

cette honte qu'il faudra miser encore longtemps. Par exemple, qu'est-ce qui

adviendra si nous portons notre grief contre le gouvernement canadien devant

les Nations Unies et si nous obtenons gain de cause? Il va certainement en

résulter un fort sentiment de... honte au Canada! Un très fort sentiment de honte,

j'en suis persuadé.

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CLIFF CHADDERTON :

Je vous remercie, John, au nom des anciens combattants du Canada à Hong

Kong que j'ai l'honneur de patronner.

Le docteur Gustave Gingras est un spécialiste de réputation mondiale et, en fait,

au Canada, il est l'un des plus connus. Il a été chef de mission pour la

réadaptation de personnes handicapées dans des pays comme le Maroc, le

Vietnam et le Venezuela, et il a dirigé la première délégation de médecins

canadiens en Chine, il y de ça plusieurs années. Auteur du best-seller «Feet was

I to the Lame» il est aussi le coauteur d'un autre ouvrage qui traite des droits des

personnes handicapées physiques dans le monde.

Lors de la préparation des informations pour notre demande aux Nations Unies,

on s'est adressé au docteur Gingras, et c'est bénévolement qu'il a accepté

d'effectuer une étude sur les séquelles dont les anciens combattants ont souffert

à Hong Kong après plusieurs années de détention par les Japonais. Les deux

rapports qu'il a produits jusqu'à maintenant sont célèbres dans le monde entier

et, pour nous les résumer, voici donc le docteur Gustave Gingras.

GUSTAVE GINGRAS :

Le premier chapitre traite d'avitaminose. Le principal problème résultant de

l'avitaminose était évidemment l'émaciation. Quant au fameux symptôme des

« pieds électriques », il constituait un nouveau symptôme en médecine... car la

science n'avait jamais vu de malades souffrant à ce point d'avitaminose. Les

« pieds électriques » entraînaient des douleurs fulgurantes comme des

décharges électriques dans les jambes et les pieds et, chose étrange, le seul

palliatif possible était l'eau froide. Toutefois, l'eau boursouflait la peau et causait

de graves plaies. C'était donc un bien pour un mal encore plus grand.

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Parmi les autres symptômes que j'aimerais également mentionner à ce stade-ci,

il y a eu les troubles de la vue, les affections cardiaques et la névralgie... une

douleur qui suivait la trajectoire des nerfs des extrémités supérieures et

inférieures et qui était franchement insupportable, si je peux m'exprimer ainsi.

Une autre chose qu'on a pu observer, c'est le syndrome organique du cerveau.

J'ai été plutôt étonné de découvrir, après avoir examiné 37 cas de la côte

Atlantique jusqu'à Vancouver... que plusieurs d'entre eux montraient des signes

de la maladie de Parkinson.

Un troisième aspect des plus importants, c'est l'aspect psychiatrique. Personne

ne peut être incarcéré pendant 44 mois dans les circonstances qui ont été

décrites, et que l'on décrira à nouveau, sans souffrir d'un certain type de

déséquilibre psychologique.

Au nombre des autres problèmes psychiatriques, par exemple, il y eut de

nombreuses tentatives de suicide et ce qu'on a bizarrement décrit comme étant

des suicides passifs. Cette forme de suicide survenait après qu'un homme très

malade eut dit à un camarade de chambrée, si on peut donner ce nom au lieu où

les prisonniers étaient entassés pour dormir, « Demain, je  serai mort. » Et, fait

très étrange, il est souvent arrivé au réveil, en effet, que cet homme fût mort.

C'est ce qu'on a appelé le suicide passif.

Il y eut aussi des maux affectant les pieds. Nous avons dénombré 30 % de ces

anciens prisonniers de guerre, qui souffraient de maux de pieds, causés par des

gelures. Et dans bien des cas, les orteils devaient être amputés sur place ou par

la suite. On a également observé divers autres problèmes, dont des affections de

l'oeil imputables à l'avitaminose.

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Nous tenons à mentionner que les premiers symptômes se sont manifestés trois

ou quatre mois après le début de l'incarcération en 1942. Et c'est important. Des

pathologies spinales et paraspinales, accompagnées de complications, ont

frappé 33 % de nos Canadiens, là-bas; ces symptômes et diagnostics ont

d'ailleurs tous été confirmés par radiographie après leur rapatriement. Ces

pathologies furent causées par des accidents survenus au fond des mines, pour

la plupart, cela se produisait lorsque de gros fragments de pierre ou de charbon

se détachaient du haut d'une galerie. Ces morceaux de roc tombaient sur le dos

des prisonniers qui maniaient le pic et la pelle leur causant de sérieuses

fractures.

 

En plus des chapitres traitant de nos 13 diagnostics... nous avons décidé de

consacrer une section particulière aux troubles des membres. Trente-six pour

cent  des hommes ont souffert, selon nos constatations de troubles aux

membres supérieurs ou inférieurs, ce qui est considérable. Des troubles reliés,

entre autres, aux articulations et qui se sont manifestés davantage dans les

cartilages des genoux. Il y eut aussi de nombreuses amputations de doigts... à la

suite d'une mauvaise circulation sanguine causée par les gelures.

 

On a également compté de nombreuses névrites des extrémités inférieures et

supérieures... des névrites bilatérales dans la plupart des cas, devrais-je

ajouter... On peut probablement les attribuer au fait que ces hommes devaient

demeurer à l'extérieur pendant de longues heures sans presque aucun vêtement

pour les protéger.

 

À partir de l'année du retour de ces anciens combattants en 1945 jusqu'à 1970,

67 % de tous les décès ont été causés par des maladies cardiaques.

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Enfin, terminons en disant que c'est la diphtérie et la dysenterie qui ont fait le

plus de morts parmi les prisonniers des Japonais. On connaît, en autres,

l'épidémie de diphtérie qui a sévi à Sham Shui Po et dont on doit la description

au docteur S. M. Banfill, médecin canadien et ex-prisonnier de guerre.

 

Des événements survenus par la suite ont prouvé qu'il y avait des antitoxines

disponibles à Hong Kong à cette époque, des antitoxines qui avaient

évidemment été volées à l'hôpital militaire britannique de Hong Kong. On peut

donc directement attribuer ces décès à l'insensibilité et à l'insouciance des

geôliers japonais.

 

Comme chacun sait, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Ligue des

Sociétés de la Croix-Rouge faisait la tournée de tous les camps de prisonniers

de guerre en Allemagne, en Angleterre, au Canada et partout dans le monde.

Cependant, il a été établi que leur visite n'était certainement pas la bienvenue au

Japon. On interdisait aux prisonniers de parler aux membres des groupes venus

de Genève pour visiter les camps. Un jour, un aumônier militaire canadien s'est

écrié : « Pourquoi ne pas aller voir les malades? »  Eh bien, après le départ des

visiteurs, le pauvre a été battu au point de se retrouver à un doigt de la mort!

 

Les services médicaux dans les camps étaient pratiquement inexistants. Le

personnel des infirmeries était constitué de Japonais ignorants et sans formation.

Il n'y avait ni médicaments, ni médecins. Les toilettes n'étaient que de simples

fosses d'aisance. Les prisonniers n'avaient pas de papier hygiénique. Ils en

étaient donc réduits à se servir de leurs mains pour s'essuyer et comme il n'y

avait pas d'endroit où se laver les mains, eh bien ils répandaient les microbes et

les infections dans tout le camp. Pas étonnant qu'il y eut tellement de cas de

diphtérie et tellement d'infections du système gastro-intestinal.

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Plusieurs prisonniers de guerre, tout du moins parmi les Canadiens, ont

manifesté des signes de maladies cardiaques peu après leur incarcération ou

durant leur captivité. Et le plus grand nombre de décès chez les survivants après

leur rapatriement est attribuable aux maladies cardiaques. On n'a jamais établi

de façon précise, quelle était la cause de cette pathologie... mais on pense que

le coeur de ces prisonniers, tout comme leur cerveau, ne recevait pas assez de

nourriture pour leur permettre de fonctionner adéquatement. Après tout,

n'oublions pas que le coeur est doté de son propre petit système nerveux pour

accomplir sa fonction, et lorsqu'il y a une trop longue privation de nourriture chez

un sujet, ce délicat système nerveux subit forcément les conséquences que je

viens de mentionner.

CLIFF CHADDERTON :

Voilà quels sont les faits. Certains peuvent se dire : « pourquoi tiendrait-on notre

gouvernement responsable? » D'abord, parce que, en 1952, c'est le

gouvernement alors en place au Canada qui a signé un traité de paix où il

renonçait, tout du moins aux yeux des Japonais, au droit d'indemnisation de ses

anciens combattants de Hong Kong. En second lieu, en signant le traité de paix

en question, le Canada a clairement passé outre à la priorité qu'il devait accorder

à la Convention de Genève. Troisièmement, il y a quelques années de cela,

notre gouvernement a réglé les demandes que lui adressaient les Canadiens

d'origine japonaise internés au Canada durant la Deuxième Guerre mondiale.

Ces demandes d'indemnisation étaient sans doute légitimes, mais elles étaient

fondées sur la loi canadienne, alors que la réclamation des anciens combattants

de Hong Kong est faite en vertu de la plus sacrée de toutes les lois

internationales en vigueur dans le monde entier, c'est-à-dire la Convention de

Genève.

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En quatrième lieu, dans sa hâte de lancer les Canadiens dans l'action en 1941,

le premier ministre d'alors, MacKenzie King, a envoyé nos troupes pour défendre

la garnison britannique à Hong Kong. Et cela, en dépit de l'avis contraire de

Winston Churchill. Et en dépit même des rapports de tous les services secrets

militaires au moment où nos troupes se sont embarquées à destination de

l'Extrême-Orient. Nos soldats étaient condamnés d'avance à l'une ou l'autre de

deux issues : ou bien ils se feraient tuer, ou ils seraient pris par l'ennemi. Voyez-

vous, s'ils sont allés à Hong Kong, ce n'était pas pour des raisons militaires, mais

pour des raisons politiques. Donc, le Canada a deux options, soit d'appuyer la

demande d'indemnisation et de faire pression sur les Japonais...

... ou le Canada paye de ses fonds à lui. À noter que, si le Canada paye tout de

suite, et que le Japon décide de le dédommager plus tard, alors, les Canadiens

se verront remboursés de leurs frais. Ici Cliff Chadderton, des Amputés de

guerre et un patron de l'Association des anciens combattants de Hong Kong.

FIN