Le dirigeant du Parti Tunisie Verte.

La Tunisie de Ben Ali et de sa clique n’est pas un modèle de démocratie. La société civile, d’opposition ou non, est muselée voire harcelée. Au vu de la situation environnementale et sociale alarmante, les pouvoirs publics devraient pourtant s’intéresser de plus près aux initiatives d’organisations telles que « Tunisie Verte », seul parti écolo tunisien reconnu en Europe. Interview

Quelles sont les principales menaces sur l’environnement en Tunisie ?

La situation de l’environnement est préoccupante à plus d’un titre. Si la Tunisie a toujours été une pionnière pour signer et ratifier toutes les conventions internationales de Rio depuis 1992 et bien avant, la mise en œuvre de ces conventions est plus difficile.

Les politiques, applications et limites

La gestion de l’environnement est très discutable, et les stratégies de développement socio-économique sont peu soucieuses de la dégradation de l’environnement. La législation et les textes de lois pour la protection de l’environnement sont assez avancés, mais ils ne trouvent pas leur chemin vers l’exécution sur le terrain. Les sphères d’influence, la corruption, l’inégalité dans l’application des lois sont à l’origine de beaucoup d’abus et de la dégradation effective de l’environnement.

Industrie

La pollution industrielle est très menaçante et pourtant elle est très peu prise en charge malgré les subventions et les crédits à des taux préférentiels accordés à outrance. Ces subventions vont plutôt vers l’extension de ces unités industrielles polluantes.

Agriculture

L’agriculture biologique peu valorisée au niveau national est consacrée exclusivement à l’exportation. Soit 180 000 ha sur 1 million ha. Ainsi les fruits et légumes sont contaminés, le lait et ses dérivés, la volaille et la viande bovine sont également contaminés car les règles d’hygiène à respecter avant l’abattage ne sont pas respectées. Tous ces facteurs expliquent l’évolution rapide et inquiétante des morts dûes au cancer ; et pourtant l’information est étouffée ; il est impossible de publier ces résultats de la recherche scientifique dans la presse.Les OGM rentrent librement en Tunisie et il est très facile d’acheter une autorisation de mise à la consommation de n’importe quel produit. Devant ces abus certains ingénieurs ont préféré démissionner par honnêteté scientifique. La Tunisie n’est dotée d’aucun laboratoire pour l’analyse et le contrôle des OGM. C’est seulement en 2005 que les pouvoirs publics ont décidé de lancer des études sur ces secteurs ; et il faudra dix ans pour voir des choses se mettre en place.

Eau et exploitation

Les ressources en eau qui sont de l’ordre de 480m3 /hab. et par an sont très insuffisantes. On fait pourtant du développement du secteur hôtelier une priorité de premier ordre, malgré sa consommation excessive des ressources en eau. (ndlr : voir aussi l’article « Brève histoire des dégâts du tourisme de masse en Tunisie »). Ce développement va aggraver la dégradation d’un littoral déjà très fragilisé. Les écosystèmes se trouvent gravement menacés, sans compter l’impact du tourisme qui incite les petits exploitants agricoles à abandonner le travail agricole pour se convertir en prestataires de services pour le secteur hôtelier durant six mois par an. (ndlr : voir l’article de Claude LLena dans Le Monde Diplomatique de juillet 2004). Ces petits exploitants se trouvent menacés par le manque d’eau et l’inégalité dans la distribution du tour d’eau qui se fait selon l’allégeance au parti au pouvoir (le RCD) [Ndlr : parti de Ben Ali, président de Tunisie depuis 20 ans. RCD : Rassemblement constitutionnel démocratique].Les eaux usées traitées mobilisées à 20% des capacités nationales sont très chargées et ont eu des conséquences néfastes sur les milieux récepteurs, ce qui réduit les possibilités de leur valorisations, certains agriculteurs n’ont pas hésité à utiliser ces eaux traitées dans leur périmètres irrigués, ce qui a provoqué des morts et des maladies très graves.

Pisciculture

Les ressources halieutiques côtières sont surexploitées et certaines espèces ont complètement disparus en raison de la pollution maritime (le Golfe de Gabès est pollué par le phospho- gypse ; Sfax également). Par contre la pêche en haute mer est sous exploitée par manque d’investissement. La lutte contre la surexploitation des ressources halieutiques reste limitée malgré l’existence des lois.

Déchets

Les déchets ménagers sont traités et valorisés partiellement dans le grand Tunis, et ils ne le sont pas à l’intérieur du pays. Les décharges publiques non contrôlées sont sources de pollution, de moustiques et de maladies d’autant plus qu’ils se situent très prés des agglomérations.

Pollution atmosphérique

Il existe certaines régions très polluées pour lesquelles rien n’est fait encore sauf quelques études ; alors que pour le reste du pays les émissions de gaz à effet de serre sont estimés à 3000 TEpCO2/ hab. /an, ce qui reste dans des limites acceptables. La Tunisie est tenue d’évaluer la situation et doit faire les communications nationales périodiques au secrétariat international de la convention sur les changements climatique (CNUCC). Par contre, elle peut vendre des permis d’émission de carbone à des pays industrialisés selon le protocole de Kyoto. Mais ces potentialités sont très mal exploitées par manque de capacités à identifier des projets éligibles au MDP (mécanisme de développement propre) et par sa faible capacité à négocier au niveau international.

Désertification

La désertification est un phénomène très grave qui touche 76% des terres de la Tunisie, devant ce phénomène, les efforts de lutte contre la désertification sont très faibles malgré l’élaboration du Plan d’Action National (PAN/LCD) depuis 1996. Dix ans après nous sommes encore dans une phase d’étude et projets pilotes avec une assistance technique étrangère très forte et un personnel dans l’administration non formés et peu outillé pour la mise en œuvre participative des ces Plans d’action régionaux et locaux.(ndlr : participation très forte des allemands par exemple, par le biais de la GTZ ou du ECO CONSULTING GROUP, en partenariat avec le ministère de l’agriculture et des ressources hydrauliques tunisien)

Couvert forestier

La dégradation des ressources forestières est également inquiétante, alors qu’on affiche un taux de reboisement qui a atteint 12% mais ce chiffre est gonflé artificiellement pour satisfaire les pouvoirs politiques. Dans la réalité, La surexploitation des ressources continue par manque d’alternatives pour les populations forestières démunies (et qui sont exclues de la propriété de la terre) donc elles sont tolérées uniquement à vivre dans et de la forêt. Cette population se trouve privée de l’exploitation des produits secondaires forestiers non ligneux qui sont l’apanage des commerçants et exploitants externes. D’où les abus dans l’exploitation des ressources.

Comment travaillez-vous sur le terrain ?

Tous nos contacts sont étroitement surveillés. Tous nos téléphones sont constamment mis à l’écoute. Chaque fois que c’est possible nous menons des actions sur le terrain. Exemple l’arrachage des arbres centenaires à Om Dhouil Cap Bon : des arbres centenaires sont arrachés par des entrepreneurs et vendus à l’étranger. Nous nous sommes déplacés sur les lieux et nous nous sommes réunis avec 300 villageois âgés de 18 à 90 ans. Une vieille femme pleurait car on allait couper l’arbre qui l’abritait de la pluie et du soleil lorsqu’elle allait à l’école primaire vers les années 30. Après une réunion libre avec les citoyens de ce village nous avons mis en place une association pour défendre les arbres. Sitôt la réunion terminée, nous avons quitté le village et nous avons su que le délégué est venu pour dire aux citoyens que l’opération « Arrachage d’arbre » est arrêtée.

Quelles sont vos relations avec les partis écologistes européens et maghrébins ?

Nous sommes reconnus par le parti Vert Européen comme le seul parti écologique représentant la Tunisie. Voici la liste des grands évènements écologistes auxquels nous avons participé après invitation :

    - Congrès de Reims en décembre 2004. La collaboration avec les verts français est très active, nous avons réalisé des communiqués communs avec eux et les marocains, à destination des grands organes de presse.
    -Invitation par les écolos belges en février 2003
    - Séminaire organisé par les Verts Européens à Malte en Novembre 2005. Il avait pour objet « L’Emploi Dans L’Environnement » en présence des verts maltais, portugais, italiens, grecs, turques, espagnols, français ainsi que le Secrétaire Général du Parti Vert Européen. Nous avons présenté une communication en anglais concernant l’expérience tunisienne en matière d’emploi dans l’environnement. Une motion de soutien à notre Parti a été envoyée aux autorités tunisiennes.
    - Réunion à Stockholm du 2 au 4 Mai 2005
    - Congrès des verts européens à Helsinki du 5 au 7 Mai 2005. Nous avons présenté lors de ce congrès une note en anglais relative au Hold-Up politique de notre Parti. Cette communication a été retenue comme document officiel du congrès à Helsinki.

D’autre part nous avons d’excellentes relations avec les Verts Marocains, les Verts du Burkina Faso, du Congo, du Sénégal ainsi que le Secrétaire Général des Verts Africains.

Un parti se revendiquant écologiste a été très récemment autorisé. Connaissez-vous les cadres de ce parti et leur président ? Ont-ils des précédents sur le terrain écologiste ?

Le Parti dit « Vert pour le Progrès », est une création pure et simple du Ministère de l’Intérieur pour contrecarrer notre action. Nous n’avons aucun rapport avec son premier responsable désigné par le pouvoir et tout le monde politique en Tunisie connaît ce personnage. Il a toujours appartenu au parti libéral proche du pouvoir et le représente au Parlement (dans le cadre des quotas de députés désignés par le Gouvernement pour ses Partis d’opposition proches de lui). Il n’est en aucun cas un écologiste convaincu.Les membres de ce Parti, désignés par le Ministère de l’Intérieur, n’ont aucune relation avec l’Ecologie et l’Environnement. Son premier responsable a déclaré avoir remis son dossier au Ministère de l’Intérieur en Décembre 2005. Le Secrétaire Général du Parti Libéral a répondu que bien que ce responsable ait été écarté du bureau il n’a jamais démissionné du parti. Le premier responsable du parti fantoche a déclaré qu’il a remis sa démission au Ministère de l’Intérieur.

L’UE subventionne des projets environnementaux en Tunisie. Que pensez-vous de ces projets ? Quelle est leur efficacité ?

Dans le cadre de la Coopération entre la Tunisie et l'Union Européenne, les projets de développement Agricole qui préservent l'environnement sont plutôt dominants. Mais le problème de la Tunisie se situe au niveau des limites structurelles de l'administration tunisienne, constituée d'un mode de gestion et des ressources humaines archaïques et dont le rajeunissement est bloqué depuis le Plan d'Ajustement Structurel de 1985 imposé par la Banque Mondiale. Le taux de réalisation reste faible, la durabilité des projets est très compromise en raison de l'absence d'un financement national durable pour la préservation des acquis à long terme. Ainsi 70% des acquis se trouvent dilapidés 3 à 4 ans après la fin d'un projet. Une véritable mise à niveau de l'administration et une révision de ses méthodes de gestion est plus qu’urgente.

Au niveau de la protection de l’environnement, les subventions et les crédits se limitent au financement des études ou séminaires ou à certains projets pilotes qui restent limités au niveau des résultats et de leurs impacts sur l'environnement. Les vrais problèmes de la dégradation des ressources naturelles sont très mal pris en charge, ou ignorés et escamotés dans l'élaboration des stratégies de développement. Plusieurs exemples :

    - La pollution catastrophique du Groupe chimique de Gabès sur l'environnement et dont l'impact s'étend jusqu'à Kebili à 100 Kms et menace les Oasis et donc les sources de revenus de milliers de petits exploitants;
    - L'impact catastrophique de la SIAP à Sfax qui existe depuis 50 ans et qu'on refuse de résoudre pour des raisons économiques. Dans cette ville les cas de cancers se comptent en milliers.

L’écologie n’est-elle pas une préoccupation de pays riches, où les situations économique, sociale et surtout politique sont plus favorables qu’en Tunisie ?

Non. L'écologie est une préoccupation de l'ensemble des pays du monde et non un luxe. La lutte ne peut se faire sans une coopération et une solidarité agissante entre les pays touchés. Au niveau du bassin méditerranéen, cette lutte pour la préservation des ressources naturelles et cette lutte contre toute sorte de pollutions qui nous menacent doivent et font l'objet d'une coopération Nord / Sud mais qui manque de pertinence et d'efficacité car elle n'est pas encore suffisamment appropriée par les peuples. Chose qui doit être consolidé.

La protection de l'environnement doit aller de pair avec le développement économique et social. Nous ne voulons pas d'un développement qui ne préserve pas l'environnement. La mondialisation et la délocalisation ne doivent pas concerner les industries polluantes telles les usines de délavage de jeans installées suite aux mouvements sociaux et écologiques en Europe pendant les années 80. Notre lutte est commune entre les pays du Nord et du Sud de la méditerranée.

La Tunisie est très avancée en matière de sensibilisation aux problèmes environnementaux. Le peuple tunisien paye lourdement la facture des pollutions par sa santé, ses ressources financières et la qualité de sa vie. Les populations tant pauvres que riches subissent ces impacts au quotidien; mais l'absence de libertés fondamentales, le muselage du milieu associatif et son inféodation dans sa majorité au pouvoir, l'empêche de faire entendre sa voix.

Liberté, démocratie et environnement vont ensemble. Les mouvements de la société civile sont très vite réprimés et étouffés par tous les moyens. La lutte pour un environnement sain et durable passe par le respect des libertés fondamentales et des droits de l'homme, bafoués quotidiennement bien que garantis par la Constitution.



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Rédacteur de l'article Date de mise en ligne Thème de l'article
Josua Grabener 02/01/2007 Interview

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