Cliniques
méditerranéennes.
65,
février 2002.
Sur le thÚme : Les homosexualités
aujourdâhui. Un dĂ©fi pour la psychanalyse?
Elisabeth Roudinesco
âPsychanalyse
et
homosexualité
:
réflexions
sur
le
désir
pervers,
lâinjure et la fonction paternelleâ
entretien avec François Pommier
F
rançois Pommier
: Elisabeth Roudinesco vous couvrez le champ
de
plusieurs
disciplines,
vous
ĂȘtes
historienne
et
psychanalyste. Comme vous le dites, notamment dans votre dernier
ouvrage, vous vous situez entre la philosophie, la science des
textes et lâhistoire. Vous ĂȘtes chargĂ©e de cours Ă lâEcole
Pratique des Hautes Etudes et auteur de plusieurs ouvrages
publiés chez Fayard, parmi lesquels
Histoire de la psychanalyse
en France (2 volumes), Pourquoi la psychanalyse?, Dictionnaire
de la psychanalyse (avec Michel Plon), sans parler de votre tout
récent ouvrage
De quoi demain...Dialogue, dans lequel vous
dialoguez avec Jacques Derrida sur la psychanalyse et son
avenir, sur lâantisĂ©mitisme, sur la famille que vous appelez
âdĂ©sordonnĂ©eâ.
Vous considĂ©rez qu Ă partir du moment oĂč une rĂ©alitĂ©
prend corps, la psychanalyse, comme toute autre discipline,
dites-vous, devrait la penser, lâinterprĂ©ter et la prendre en
compte sans la condamner par avance. Vous dites cela Ă propos
du problÚme trÚs spécifique des enfants de couples homosexuels.
Mais vous prenez parti Ă©galement Ă propos de lâhomosexualitĂ© en
général et des psychanalystes homosexuels en particulier. Freud
a concilié une conception structurale de l'homosexualité avec
les donnĂ©es anthropologiques. Lâun de ses grands combats a Ă©tĂ©
en effet de dĂ©gager lâhomosexualitĂ© des notions de tare et de
pĂ©chĂ©, dâen faire un choix sexuel comme un autre. Il ne la
regardait pas moins comme un drame et semble ne lâavoir fait
sortir de la maladie que pour la situer dans le cadre des
tragédies. Peut-on alors considérer, comme vous le faites, que
Freud sâinscrit dans la longue lignĂ©e des dĂ©fenseurs des
homosexuels? Ce sera ma premiĂšre question.
Elisabeth Roudinesco :
Jâai toujours considĂ©rĂ© que Freud
1
Ă©tait un Ă©mancipateur de lâhomme en gĂ©nĂ©ral et des femmes en
particulier. Certes, il ne pouvait imaginer ce que serait le
destin des hommes et des femmes au XXIe siĂšcle. Mais, dans les
réunions de la Société psychologique du mercredi, qui se
tenaient à son domicile au début du siÚcle, Freud réprouvait
par exemple la misogynie de certains de ses disciples. Ainsi,
dans une confĂ©rence de 1907 consacrĂ©e Ă la question des âfemmes
mĂ©decinsâ, on trouve des prises de positions extravagantes.
Fritz Wittels dĂ©clare par exemple quâune femme qui veut devenir
médecin, et donc exercer un métier semblable à ceux des hommes,
cherche en rĂ©alitĂ© Ă sortir de sa condition ânaturelleâ. Elle
risque alors de se nuire Ă elle-mĂȘme : elle est forcĂ©ment
âhystĂ©riqueâ, nĂ©vrosĂ©e et jamais on ne devrait lâautoriser Ă
poursuivre des études. La femme, selon lui, est destinée
exclusivement à procréer. En outre, si une femme devient
psychiatre, toujours selon Wittels, elle ne saura jamais
comprendre la psychologie des hommes. A cela, Paul Federn
oppose lâidĂ©e que les femmes ont parfaitement le droit de
travailler mais il dit aussitĂŽt quâune femme mĂ©decin ne devrait
pas ĂȘtre autorisĂ©e Ă palper les organes gĂ©nitaux dâun homme. La
discussion est passionnante car elle montre Ă quel point les
premiers disciples de Freud sont divisés sur la question de
lâĂ©mancipation des femmes et combien ils sont naĂŻfs.
Quant à Freud, il est résolument moderne. AprÚs
avoir reproché à Wittels son manque de galanterie, il affirme
que la civilisation a chargĂ© la femme dâun fardeau plus lourd
que celui des hommes (la reproduction) et tout en restant
persuadé que les femmes ne peuvent pas égaler les hommes dans
la sublimation de la sexualité - et donc dans la créativité -
il dénonce, dans la misogynie des hommes, une attitude
infantile
1
. Notons quâil changera dâavis sur la possibilitĂ© de
sublimation des femmes et ne cessera ensuite dâadmirer des
femmes exceptionnelles, aussi bien par leur talent intellectuel
(Lou Andreas-SalomĂ©) que par leur vertu âvirileâ (Marie
Bonaparte).
Sâagissant de lâhomosexualitĂ©, Freud adopte une
attitude identique. Il franchit un grand pas en refusant de
classer celle-ci parmi les âtaresâ ou les âanomaliesâ de la
sexualité, comme le faisaient les sexologues de son temps. Il
ne considĂšre pas que les homosexuels commettent des âactes
contre natureâ. Il refuse toute forme de stigmatisation fondĂ©e
sur la notion de âdĂ©gĂ©nĂ©rescenceâ. En dâautres termes, il ne
sĂ©pare pas les homosexuels des autres ĂȘtres humains et
considĂšre que chaque sujet peut ĂȘtre porteur de ce choix, du
fait de lâexistence en chacun de nous dâune bisexualitĂ©
psychique. A certains moments, Freud nâexclut pas lâexistence
dâune
prédisposition
organique
dans
la
genĂšse
de
lâhomosexualitĂ©, bien quâil reste persuadĂ© que pour un homme,
comme pour une femme, le fait dâĂȘtre Ă©levĂ© par des femmes
favorise lâhomosexualitĂ©. Autrement dit, si lâhomme au sens
1
-
Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de
Vienne, vol. 1, 1906-1908, Paris, Gallimard, 1976.
2
freudien est marquĂ© par la tragĂ©die du dĂ©sir, lâhomosexuel
nâest autre, au regard de ce tragique humain en gĂ©nĂ©ral, quâun
sujet plus tragique encore que ne lâest le nĂ©vrosĂ© ordinaire,
puisque son choix sexuel le met au ban de la société
bourgeoise. Son seul recours est alors de devenir un créateur
afin dâassumer le drame qui est le sien. On trouve cette
position dans lâouvrage que Freud consacre Ă LĂ©onard de Vinci
2
. Et câest dans ce livre de 1910 quâil renonce Ă utiliser le
mot âinvertiâ, au profit du terme dâhomosexualitĂ©.
Freud ne classe pas lâhomosexualitĂ©
en tant que
telle dans la catégorie des perversions sexuelles et il
condamne toutes les formes de discriminations qui pĂšsent sur
les homosexuels de son temps. A cet Ă©gard, il universalise la
catégorie de la perversion et ne la réserve pas aux
homosexuels, bien que les homosexuels soient souvent Ă ses yeux
des pervers. Elle est partagĂ©e par les deux sexes puisquâelle
ne se rĂ©sume pas Ă une perversion sexuelle. Lâuniversalisme
freudien
est
donc
beaucoup
plus
progressiste
que
le
différencialisme des sexologues et des psychiatres de la fin du
XIXe siĂšcle qui traitent les homosexuels comme des âanormauxâ
ou comme des malades mentaux, reconduisant ainsi la catégorie
chrétienne du sodomite, maudit parmi les maudits, et coupable
de tous les péchés
3
.
Lâhomosexuel freudien est un sujet civilisĂ©, un
sujet dont la civilisation a besoin puisquâil est en quelque
sorte lâincarnation du sublime. Freud rejoint ici une certaine
conception grecque de lâhomosexualitĂ©. En ce sens, il est un
Ă©mancipateur. Mais il est bien Ă©vident quâil ne peut pas
imaginer quâun jour les homosexuels voudront se ânormaliserâ au
point de ne plus refouler leur dĂ©sir dâenfant et de se projeter
dans le modĂšle dâun familialisme bourgeois autrefois honni et
rejetĂ©. On peut dâailleurs faire lâhypothĂšse que Freud
renoncerait aujourdâhui Ă de nombreuses thĂšses quâil avait
adoptĂ©es, notamment celle selon laquelle le fait dâĂȘtre Ă©levĂ©e
par des femmes favoriserait pour les enfants un choix
homosexuel. LâexpĂ©rience montre que ce nâest pas le cas et
Freud, toujours trÚs attaché à une certaine conception de
lâexpĂ©rience (non expĂ©rimentale), aurait pris en compte les
expériences actuelles des couples homosexuels qui élÚvent des
enfants.
2
- Sigmund Freud,
Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Paris,
Gallimard;
Un Souvenir dâenfance de LĂ©onard de Vinci (1910), Paris, Gallimard,
1987.
3
- Voir aussi : Sandor Ferenczi, âĂtats sexuels intermĂ©diairesâ (1905), in
Les Ă©crits de Budapest, Paris, E.P.E.L., 1994, p. 243-256; âLâhomoĂ©rotisme :
nosologie de lâhomosexualitĂ© masculineâ, in
Psychanalyse II. Oeuvres complĂštes
1913-1919, Paris, Payot, 1970, 117-130.
3
En 1920, Ă propos dâune jeune fille viennoise
4
quâil a eu en traitement parce quâelle aimait une femme, et que
ses parents voulaient obliger Ă se marier, Freud donne sa
dĂ©finition canonique de lâhomosexualitĂ© qui rĂ©cuse toutes les
thĂšses sexologiques sur lââĂ©tat intermĂ©diaireâ, le âtroisiĂšme
sexeâ ou âlâĂąme fĂ©minine dans un corps dâhommeâ. A ses yeux,
elle est la conséquence de la bisexualité humaine et elle
existe Ă lâĂ©tat latent chez tous les hĂ©tĂ©rosexuels. Quand elle
devient un choix dâobjet exclusif, elle a pour origine chez la
fille une fixation infantile Ă la mĂšre et une dĂ©ception Ă
lâĂ©gard du pĂšre. Dans ce texte, Freud apporte un Ă©clairage
clinique Ă cette question en montrant quâil est vain de
chercher Ă âguĂ©rirâ un sujet de son homosexualitĂ© quand celle-
ci est installée et que la cure psychanalytique ne doit en
aucun cas ĂȘtre menĂ©e avec un tel objectif.
Un an plus tard, dans
Psychologie de masses et
analyse du moi 5, il donne une définition plus claire de
lâhomosexualitĂ© masculine : elle survient aprĂšs la pubertĂ©
quand sâest produit, durant lâenfance, un lien intense entre le
fils et sa mĂšre. Au lieu de renoncer Ă elle, celui-ci
sâidentifie Ă elle, se transforme en elle et recherche des
objets susceptibles de remplacer son moi et quâil puisse aimer
comme il a été aimé de sa mÚre. Enfin, dans une lettre du 9
avril 1935 adressée à une femme américaine dont le fils est
homosexuel, et qui sâen plaint, il Ă©crit : âLâhomosexualitĂ©
nâest Ă©videment pas un avantage, mais il nây a lĂ rien dont on
on doive avoir honte, ce nâest ni un vice, ni un avilissement
et on ne saurait la qualifier de maladie; nous la considérons
comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un
arrĂȘt du dĂ©veloppement sexuel. Plusieurs individus hautement
respectables, des temps anciens
et modernes, ont été
homosexuals et parmi eux on trouve quelques uns des plus grands
hommes (Platon, Michel-Ange, Leonard de Vinci etc...). Câest
une grande injustice de persĂ©cuter lâhomosexualitĂ© comme un
crime et câest aussi une cruautĂ©. Si vous ne me croyez pas,
lisez les livres dâHavelock Ellis
6
.â Il ajoute encore quâil
est vain de vouloir transformer un homosexuel en hétérosexuel.
Dans lâhistoire du mouvement psychanalytique, câest
Ernest Freud dâun cĂŽtĂ© et Anna Freud de lâautre qui furent,
contrairement Ă Freud, les tenants dâune attitude regressive Ă
lâĂ©gard de lâhomosexualitĂ©.
On peut bien entendu se demander pourquoi la fille
de Freud a pris ainsi une position contraire Ă celle de son
3 -
âSur la psychogenĂšse dâun cas dâhomosexualitĂ© fĂ©minineâ (1920),
O.C., XV,
Paris, PUF, 1996, p. 233-263.
5 - Sigmund Freud,
Psychologie des masses et analyse du moi, O.C., XVI, Paris, PUF, 1991, p. 1-
85.
6 -
Sigmund Freud,
Correspondance, 1873-1939 (Londres, 1960), Paris, Gallimard,
1966.
4
pĂšre en replaçant lâhomosexualitĂ© dans la catĂ©gorie des
maladies mentales, au point dâailleurs dâaffirmer quâune cure
analytique bien menĂ©e devait aboutir Ă guĂ©rir lâhomosexuel de
son homosexualitĂ©. Anna a Ă©tĂ© accusĂ©e elle-mĂȘme dâhomosexualitĂ©
en raison de son statut de femme cĂ©libataire nâayant jamais
connu de relation charnelle avec un homme et recherchant avant
tout des amitiés féminines. Il y a donc dans sa condamnation de
lâhomosexualitĂ© une sorte de âhaine de soiâ, un rejet de ce
dont peut-ĂȘtre elle se sent coupable.
Comme dans de nombreuses familles de la société
bourgeoise du XIXe siÚcle, Anna a occupé la place de la
âvieille filleâ, de la fille Ă laquelle est dĂ©volu le rĂŽle de
prendre en charge non seulement le pĂšre mais lâhĂ©ritage
patriarcal : elle a Ă©tĂ© une rĂ©plique dâAntigone. Freud a Ă©tĂ©
avec elle terriblement passionnĂ© et interdicteur. Il lâa
jalousement gardĂ©e pour lui, Ă©loignant dâelle tous les
disciples qui auraient voulu la courtiser et Jones notamment.
Il a mĂȘme tenu Ă analyser sa fille (en 1921-1922), ce qui a Ă©tĂ©
ressenti par ses diciples comme une incroyable transgression,
comme une appropriation de nature oedipienne.
Mais, en mĂȘme temps, il lâa poussĂ©e Ă assumer le
destin moderne dâune femme intellectuelle. Anna a fait des
Ă©tudes et elle a rĂ©ussi Ă sâimposer dans le mouvement
psychanalytique comme un vĂ©ritable chef dâĂ©cole. Elle a Ă©tĂ©
lâune des pionniĂšres de la psychanalyse des enfants et elle
donné
naissance
Ă un
courant
qui
porte son
nom
:
lâannafreudisme. Dans le
Dictionnaire de la psychanalyse, ce
courant est recensĂ© au mĂȘme titre que le kleinisme (Melanie
Klein). Anna Freud est une âfille au pĂšreâ, en quelque sorte,
gardienne de lâhĂ©ritage et de la tradition, et donc forcĂ©ment
conservatrice en matiÚre de moeurs sexuelles. Elle a été une
orthodoxe de la doctrine. Cela dit, il y a eu entre son pĂšre et
elle une histoire dâamour fou digne des tragĂ©dies antiques.
FP :
1921, câest justement la date oĂč, sous lâinfluence de
Jones, dont vous parliez Ă lâinstant, et contre lâavis de
Freud, les homosexuels sont bannis de lâexercice de la
psychanalyse.
ER
: A partir de décembre 1921 et pendant un mois, la
question divise en effet les membres du fameux Comité qui
dirigent
secrĂštement
lâInternational
Psychoanalytical
Association (IPA). Les Viennois se montrent beaucoup plus
tolérants que les Berlinois. Soutenus par Karl Abraham, ces
derniers considérent en effet que les homosexuels sont
incapables dâĂȘtre psychanalystes, puisque lâanalyse ne les
âguĂ©ritâ pas de leur âinversionâ. AppuyĂ© par Freud, Otto Rank
sâoppose aux Berlinois. Il dĂ©clare que les homosexuels doivent
pouvoir accéder normalement au métier de psychanalyste selon
leur compĂ©tence : âNous ne pouvons Ă©carter de telles personnes
sans autre raison valable, tout comme nous ne pouvons accepter
quâils soient poursuivis par la loi.â Il rappelle dâailleurs
quâil existe diffĂ©rents types dâhomosexualitĂ© et quâil faut
5
examiner chaque cas particulier. Jones refuse de prendre en
compte cette position. Il appuie les Berlinois, et déclare
quâaux yeux du monde lâhomosexualitĂ© âest un crime rĂ©pugnant :
si lâun de nos membres le commettait, il nous attirerait un
grave discrĂ©dit.â A cette date, LâhomosexualitĂ© est donc bannie
de lâempire freudien, par une rĂšgle non Ă©crite, au point dâĂȘtre
de nouveau considĂ©rĂ©e comme une âtareâ.
Au fil des années et pendant plus de cinquante ans,
sous lâinfluence grandissante des sociĂ©tĂ©s psychanalytiques
nord-amĂ©ricaines lâIPA renforce son arsenal rĂ©pressif. AprĂšs
sâĂȘtre dĂ©tournĂ©e des positions freudiennes pour lâaccĂ©s des
homosexuels Ă la psychanalyse didactique, elle nâhĂ©sitera pas,
toujours en sens contraire de la clinique freudienne, Ă
qualifier les homosexuels de pervers sexuels et Ă les juger
tantĂŽt
inaptes
au
traitement
psychanalytique,
tantĂŽt
guérissables à condition que la cure ait pour objet de les
orienter vers lâhĂ©tĂ©rosexualitĂ©.
FP
: Est-ce que cette dĂ©cision a Ă©tĂ© prise sous lâinfluence
dâAnna Freud
ER :
Non, de Jones
FP :
De Jones, mais Anna Freud est intervenue Ă©galement dans
cette décision?:
ER :
Anna Freud intervient plus tard. Et, pour les raisons
que je viens dâĂ©voquer, elle joue un rĂŽle majeur dans le
détournement des thÚses de son pÚre en militant contre toute
possibilitĂ© dâaccĂ©s de lâanalyse didactique aux homosexuels.
Soutenu par Jones et par lâensemble des sociĂ©tĂ©s nord-
amĂ©ricaines de lâIPA, elle eut dans ce domaine une influence
considérable qui ne fut pas contrebalancée par le courant
kleinien pourtant plus libĂ©ral mais pour lequel lâhomosexualitĂ©
(latente ou accomplie), était surtout envisagée, dans sa
version féminine, comme une identification à un pénis sadique
et, dans sa version masculine, comme un trouble schizoĂŻde de la
personnalité ou comme un moyen de faire face à une paranoïa
excessive. Par la suite, elle fut assimilée à une pathologie
dite
borderline, ce qui permettait de la dissoudre tout en
continuant Ă classer les patients homosexuels dans une
catégorie
de
malades
atteints
de
troubles
gravement
pathologiques et de nature en tout cas psychotique.
Dans sa pratique, Anna Freud eut toujours pour
objectif de transformer ses patients homosexuels en bons pĂšres
de famille hĂ©tĂ©rosexuels, dâoĂč un dĂ©sastre clinique. En 1956,
elle encouragea la journaliste Nancy Procter-Gregg Ă ne pas
citer dans
The Observer la fameuse lettre de son pĂšre de 1935 :
âIl y a plusieurs raisons Ă cela dont lâune est quâaujourdâhui
nous pouvons soigner beaucoup plus dâhomosexuels quâon ne le
croyait possible au dĂ©but. Lâautre raison est que les lecteurs
pourraient voir lĂ une confirmation du fait que tout ce que
peut faire lâanalyse est de convaincre les patients que leurs
6
dĂ©fauts ou âimmoralitĂ©sâ ne sont pas graves et quâils devraient
les accepter avec joie
7
.â
Quant Ă Jones, son attitude repressive sâexplique
de plusieurs maniĂšres. Lui-mĂȘme avait Ă©tĂ© accusĂ© de
pédophilie
en
Grande-Bretagne,
dans
une
Angleterre
victorienne et puritaine, tout simplement parce quâil
parlait de sexualitĂ© aux enfants dont il sâoccupait dans un
hÎpital. Emigré ensuite au Canada, il fut dénoncé par des
ligues puritaines parce quâil vivait en concubinage avec Loe
Kann. Il faut comprendre ce que furent les débuts de la
psychanalyse pour les premiers freudiens accusés sans cesse
de vouloir corrompre la société par leurs théories
sexuelles.
DĂ©sireux de normaliser lâIPA et de la dĂ©barrasser
de ses praticiens les plus âdĂ©viantsâ (psychotiques et
pervers, notamment), Jones, qui Ă©tait lui-mĂȘme un sĂ©ducteur
de femmes (contrairement Ă Freud), pensait que le mouvement
psychanalytique devait former des cliniciens âimpeccablesâ,
des cliniciens que nul ne pourrait attaquer pour des
pratiques sexuelles dites âdĂ©viantesâ. On peut dire que
Jones agissait ainsi contre lui-mĂȘme dans son dĂ©sir de
normalisation, de mĂȘme quâAnna Freud luttait contre son
désir coupable en instaurant des rÚgles repressives contre
les homosexuels. Il est intéressant de noter que Freud, ce
grand découvreur de la sexualité, ne fut ni un libertin ni
un transgressif. Il nâavait pas de relations sexuelles avec
ses patientes et on ne lui connaĂźt aucune maĂźtresse. En
conséquence, il fut plus libéral en matiÚre de sexualité. Il
nâavait pas Ă se dĂ©fendre contre lui-mĂȘme. Son point aveugle
en ce domaine concerne sa fille Ă laquelle il portait un
amour immodĂ©rĂ© au point, comme je lâai dit, deâĂȘtre jaloux
de tous les amants quâelle aurait pu avoir.
Notons pourtant que la British Psychoanalytical
Society (BPS), fondée par Jones en 1919, avait dans ses
rangs des cliniciens peu conformistes. Ainsi James Strachey,
lâillustre traducteur de Freud, frĂšre du fameux Lytton
Strachey, était un homosexuel avoué. Il pratiquait la
psychanalyse au sein de la sociĂ©tĂ© avant dâĂ©pouser Alix
Strachey dont il tomba amoureux parce quâelle ressemblait Ă
un âgarçon mĂ©lancoliqueâ.
Câest de nos jours seulement que la fameuse rĂšgle
non écrite instaurée par le Comité secret en 1921 a été
progressivement âeffacĂ©eâ (et non pas
abolie), au fur et Ă
mesure des luttes du mouvement
gay américain et surtout des
outing
de
certains
psychanalystes
dâoutre-Atlantique,
membres de lâIPA, qui ont commencĂ© Ă se dĂ©clarer ouvertement
homosexuels, notamment au CongrĂšs international de Barcelone
de 1997. Ce fut le cas de Ralph Roughton, didacticien de la
7
- Ălisabeth Young-Bruehl,
Anna Freud (New York, 1988), Paris, Payot, 1991.
7
Société psychanalytique de Cleveland, membre de la puissante
American Psychoanalytic Association (APsaA) affiliĂ©e Ă
lâIPA. Dans un exposĂ© retentissant, il a retracĂ© la lutte
menée par les analystes homosexuels américains qui ont fini
par se faire reconnaĂźtre par lâIPA tout en Ă©laborant les
conditions dâune approche clinique capable de rendre compte
de lâexistence âindĂ©niable de femmes et dâhommes homosexuels
sains et matures
8
â.
Pour la premiĂšre fois enfin, et tout en
sâappuyant Ă la fois sur les travaux de Freud et sur ceux du
grand Robert Stoller, psychanalyste californien spécialiste
des perversions et du transsexualisme, des psychanalystes,
eux-mĂȘme homosexuels, ont dĂ©montrĂ©, Ă partir de cas
concrets, que lâhomosexualitĂ© Ă©tait un choix sexuel, une
orientation sexuelle, qui ne devait en aucun cas ĂȘtre
qualifiée,
en tant que telle, de pathologie.
Autrement dit, cette thĂšse permettait de renouer
avec lâuniversalisme freudien selon lequel un homosexuel est
un sujet à part entiÚre qui peut présenter par ailleurs des
troubles névrotiques, psychotiques, pervers ou
borderline,
au
mĂȘme
titre
que
nâimporte
quel
autre
individu
hĂ©tĂ©rosexuel. Il sâagissait donc-lĂ de sortir dĂ©finitivement
lâhomosexualitĂ© du registre de la pathologie ou des
perversions sexuelles, telles que le fétichisme, le sadisme,
le transvestisme ou la pĂ©dophilie etc : âConnaĂźtre
lâorientation sexuelle dâune personne, Ă©crit Roughton, ne
nous dit rien sur sa santé ou sa maturité psychologique, ni
sur son caractÚre, ses conflits intérieurs ou son intégrité.
Un patient homosexuel
borderline aura davantage en commun
avec un patient hétérosexuel
borderline quâavec un individu
homosexuel psychologiquement sain.â
Il faut saluer le courage de ces psychanalystes.
Leur combat nâest dâailleurs pas achevĂ©. Ils ont rĂ©ussi, non
pas Ă Ă©radiquer lâhomophobie prĂ©sente dans lâIPA, mais Ă
changer sa stratĂ©gie rĂ©pressive. Aujourdâhui, plus personne
dans lâIPA nâose sâavouer publiquement homophobe. Certes, la
haine contre lâhomosexualitĂ© persiste avec la mĂȘme violence.
Elle prend
cependant un
visage différent
de celle
dâautrefois. Elle sâĂ©nonce sous la forme dâune dĂ©nĂ©gation,
un peu comme lâantisĂ©mitisme des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques
dâaujourdâhui
9
: âNon je ne suis pas hostile aux
homosexuels, disent les psychanalystes homophobes de lâIPA.
Oui je condamne lâhomophobie, mais quand mĂȘme, on ne peut
pas accepter que des psychanalystes homosexuels soient des
militants de la cause
gay.â Câest ainsi que sâexprime le
psychanalyste français Gilbert Diatkine dans sa rĂ©ponse Ă
8
- Ralph Roughton, âPsychanalyste et homosexuel?â, in
Revue française de
psychanalyse, 4, 1999, T.LXIII, p. 1281.
9
- Voir Ă ce sujet : Jacques Derrida et Elisabeth Roudinesco,
De quoi
demain...Dialogue, Paris, Fayard, 2001.
8
Roughton quand il dĂ©nonce lâattitude âprosĂ©lyte militanteâ
1 0
de celui-ci, au nom dâune prĂ©tendue neutralitĂ© de la
psychanalyse. On trouve la mĂȘme argumentation dĂ©nĂ©gative
chez CĂ©sar Botella
1 1
, un autre psychanalysete français qui
nâhĂ©site pas Ă dĂ©clarer que le militantisme serait un âdĂ©ni
du drame personnel de lâhomosexuelâ, Ă©tant entendu que
celui-ci serait atteint dâune âpathologie narcissiqueâ que
la psychanalyse ne peut en aucun cas résoudre. Pouquoi donc
des psychanalystes persĂ©cutĂ©s nâauraient-ils pas le droit de
militer? En quoi le fait dâĂȘtre un militant serait le signe
dâune dĂ©ficience de lâĂ©thique psychanalytique? Par ailleurs,
si la psychanalyse ne peut pas résoudre la question de
lâhomosexualitĂ©, comme le souligne Botella, elle peut en
tout cas traiter certaines pathologies narcissiques qui ne
sont pas spĂ©cifiques Ă lâhomosexualitĂ©.
On retrouve encore la mĂȘme argumentation chez
Simone Korff-Sausse dans un article oĂč elle explique que
lâunion homosexuelle, concrĂ©tisĂ©e par le Pacs, nâest que âla
traduction sur le plan juridique de ce que le clonage promet
dans le domaine de la biologie. Pacs et clones : la logique
du mĂȘme
1 2
â. Ne pouvant sâopposer Ă la loi française, Simone
Korf-Sausse se réclame de la psychanalyse pour traiter les
homosexuels de clones - câest-Ă -dire dâindividus atteints de
troubles narcissiques - et donc incapables de respecter la
différence anatomique des sexes. Au-delà du caractÚre
injurieux de lâarticle, ce qui est intĂ©ressant, câest que
lâauteur avoue sa dĂ©faite face au progrĂšs de la sociĂ©tĂ© en
matiĂšre de clonage et dâavancĂ©e juridique. Et du coup, loin
de triompher, elle annonce la victoire dâune sorte
dâapocalypse que seule la psychanalyse pourrait contenir.
Certes, dit-elle en substance, je ne suis pas homophobe et
je nâinterdis pas aux homosexuels de sâunir, puisquâils ont
la loi pour eux. Mais je prédis à la société occidentale les
pires catastrophes, une plongée dans le monstrueux qui
consisterait Ă faire du couple homosexuel une nouvelle norme
sociale applicable aux hĂ©tĂ©rosexuels : âIl ne sâagit pas
dâĂȘtre pour ou contre le Pacs, ni pour ou contre le
clonage,. Ils se feront de toute façon, car ils sont
inscrits dans la logique Ă©volutive de notre sociĂ©tĂ©.â
Ici apparaĂźt la faiblesse de lâargumentation
dĂ©nĂ©gative. AprĂšs avoir dit quâon ne peut pas ĂȘtre contre le
progrĂšs, lâauteur âhallucineâ une rĂ©alitĂ© qui nâexiste pas :
elle âimagineâ une inversion des normes conforme Ă ses
hantises. On voit ici fort bien que le discours pathologique
nâest pas tenu par les militants de la cause homosexuelle
mais par la reprĂ©sentante dâune sociĂ©tĂ© psychanalytique (la
10
- Gilbert Diatkine, âIdentification dâun patientâ, in
Pevue française de
psychanalyse, op.cit., p. 1306.
11
- CĂ©sar Botella, âLâhomosexualitĂ© (s) : Vissitudes du narcissismeâ,
Revue
française de psychanalyse, op. cit., p. 1317.
12
-
Libération du 7 juillet 1999.
9
Société psychanalytique de Paris) qui brandit une prétendue
ânormeâ de la psychanalyse pour dĂ©fendre le contraire de la
norme. Cela prouve bien que les pires turpitudes et les
discours les plus pathologiques Ă©manent toujours des
comportements les plus apparemment ânormauxâ.
La nouvelle homophobie de lâIPA se caractĂ©rise
donc, par rapport aux thĂšses anciennes, de nâavoir aucun
fondement thĂ©orique et dâĂȘtre affective et pathologique. On
voit donc bien lâutilitĂ© des combats du mouvement
gay :
celui-ci a rendu âhonteuseâ lâexpression publique de
lâhomophobie. Cela nâest pas Ă©tonnant et câest pourquoi sont
indispensables
toutes
les
lois
qui
suppriment
les
discriminations. Elles obligent les homophobes Ă employer
des artifices et câest un progrĂšs.
FP :
Regardez ce qui vient de se passer dans la Société
suisse de psychanalyse (affiliĂ©e Ă lâIPA). Dans la revue
MĂ©decine et hygiĂšne ,consacrĂ©e Ă la âsexologie cliniqueâ, Nicos
Nicolaïdis, membre didacticien de la SSP, a déclaré que
âlâhomosexualitĂ© abolit la diffĂ©rence des sexes et des
gĂ©nĂ©rations et quâĂ©tant donnĂ© son complexe dâOedipe inachevĂ©,
lâhomosexuel a une pulsionalitĂ© forte qui lui fait courir le
risque de violence et de criminalité
1 3
â. Le prĂ©sident de cette
société, Juan Manzano, lui a répondu dans le journal
Le Temps
en condamnant ses propos mais en considérant néanmoins que (je
le cite) : âLâhomosexualitĂ© est une question trĂšs sensible
difficile Ă traiter en dehors dun contexte scientifique â. Que
pensez vous de ce quâil fait passer lĂ ?
ER :
Ici, le raisonnement ne repose pas sur une
dĂ©nĂ©gation prĂ©alable. Cela tient au fait quâen Suisse, les
lois sont plus rĂ©pressives quâen France et le Pacs nâexiste
pas.
En conséquence, les arguments homophobes ne
sâavancent pas masquĂ©s comme chez nous. Ils sont directs.
Cependant, les propos de ce psychanalyste ont été publiés
aprĂšs le congrĂšs de Barcelone qui a contraint lâIPA a ouvrir
un dĂ©bat sur lâhomosexualitĂ©. En consĂ©quence, ils ont Ă©tĂ©
condamnées par le président de la SSP, Juan Manzano. Dans un
entretien au journal
Le Temps, ce dernier a affirmé aussi
(je cite) que les dĂ©clarations de NicolaĂŻdis nâengageaient
que lui-mĂȘme. Puis il a ajoutĂ© que la SSP ne pratiquait
aucune discrimination. A la question de la journaliste
faisant Ă©tat dâun cas rĂ©cent de discrimination Ă lâencontre
dâun psychanalyste homosexuel, dont la candidature avait Ă©tĂ©
refusĂ©e, il a rĂ©pondu : âJe nâĂ©tais pas prĂ©sident et je ne
peux pas me prononcer. Mais si les choses se sont passées
ainsi, un tel cas ne se reproduirait pas aujourdâhui de
cette maniĂšre-lĂ â. Autrement dit, lâoutrance verbale dâun de
13
- Nicos NicolaĂŻdis, âLâhomosexualitĂ© et la question de la diffĂ©renceâ, in
MĂ©decine et hygiĂšne, 2339, 21 mars 2001.
10
ses membres a conduit la SSP Ă mettre en cause publiquement
la fameuse rĂšgle non-Ă©crite de 1921
1 4
.
Il faudrait demander à Daniel Widlöcher, actuel
prĂ©sident de lâIPA, ce quâil pense de cela et comment il
voit lâavenir.
FP :
Je lui ai Ă©crit mais il nâa pas rĂ©pondu. Jâaimerais
maintenant que lâon aborde la position de Jacques Lacan. DĂ©s
1945-1946, il effectue un changement radical de perspective.
ER :
Oui. Dans lâimmĂ©diate aprĂšs-guerre, les sociĂ©tĂ©s
américaines sont devenues de plus en plus répressives et ont
obéï
aux
principes
de
la
psychiatrie
qui
classait
lâhomosexualitĂ© dans la catĂ©gorie des maladies mentales. Quant
Ă lâĂ©cole anglaise, quâelle fĂ»t dâinspiration kleinienne ou
annafreudienne, son attitude envers les homosexuels a été
terrible. Chez les kleiniens, lâhomosexualitĂ© fut assimilĂ©e,
comme je viens de le souligner, Ă un trouble schizoĂŻde, Ă un
âmoyenâ de faire face Ă une paranoĂŻa et donc, de toute façon, Ă
une perversion de type sadique ou masochiste. A la limite,
lâhomosexualitĂ© nâexiste pas pour les kleiniens. Elle est une
variante dâun Ă©tat psychotique mortifĂšre et destructeur. Aussi
ne figure-t-elle toujours pas dans les dictionnaires de la
pensée kleinienne
1 5
, ce qui revient Ă maintenir les homosexuels
dans la catĂ©gorie des âdĂ©viantsâ, des malades, et donc Ă leur
interdire lâaccĂšs au mĂ©tier de psychanalyste.
A cette époque, en France, on obéissait aux rÚgles
de lâIPA et les homosexuels Ă©taient bannis de la formation
didactique. En tant que patients, ils étaient considérés comme
des malades devant ĂȘtre rĂ©Ă©duquĂ©s pour devenir hĂ©tĂ©rosexuels.
Dans ce contexte, les homosexuels désireux de faire une analyse
ont fui les divans de lâIPA, sauf si une âperversionâ
particuliÚre les conduisait à haïr leur propre homosexualité au
point de vouloir lâĂ©radiquer. Les autres, appartenant souvent Ă
un milieu intellectuel ou artistique, préférÚrent des divans
moins reprĂ©ssifs. Nombre dâentre eux se retrouvĂšrent en analyse
chez Lacan qui ne chercha jamais Ă les transformer en
hétérosexuels
1 6
.
Non seulement Lacan prit en analyse des homosexuels
sans jamais prĂ©tendre les rĂ©Ă©duquer ni les empĂȘcher de devenir
psychanalystes sâils le souhaitaient, mais, quand il fonda
lâEcole freudienne de Paris (EFP) en 1964, il accepta le
principe mĂȘme de leur intĂ©gration, en tant quâanalystes de
lâĂ©cole (AE) ou analystes membres de lâĂ©cole (AME). Jâai moi-
mĂȘme Ă©tĂ© membre de lâEFP et je peux affirmer quâil existait Ă
cet Ă©gard une formidable tolĂ©rance, mĂȘme si, bien entendu, de
14
-
Le temps, 2 mai 2001.
15
- Voir Ă ce sujet : Robert D. Hinshelwood,
Dictionnaire de la pensée
kleinienne (Londres, 1989), Paris, PUF, 2000.
16
- Voir Elisabeth Roudinesco,
Jacques Lacan. Esquisse dâune vie, histoire
dâun systĂšme de pensĂ©e, Paris, Fayard, 1993.
11
nombreux
psychanalystes
détestaient
les
homosexuels.
Lâhomophobie
âprivĂ©â
et
personnelle
est
une
chose,
lâinstauration de rĂšgles discriminatoires en est une autre.
Câest bien parce que cette tolĂ©rance existait que des
homosexuels, qui nâauraient eu aucun avenir dans les sociĂ©tĂ©s
de lâIPA, affluĂšrent vers lâEFP. Jâai Ă©voquĂ© dans mon
Histoire
de la psychanalyse lâitinĂ©raire de Robert Lander qui est restĂ©
dans toutes les mĂ©moires. Quant Ă François Peraldi, installĂ© Ă
Montréal, il fut accueilli beaucoup mieux par les lacaniens que
par les autres freudiens, alors quâil avait effectuĂ© son
analyse au sein de la SPP
1 7
.
Cela dit, Lacan nâavait pas la mĂȘme conception que
Freud de lâhomosexualitĂ©. A ses yeux en effet, elle nâest en
rien
une
orientation
sexuelle.
Personnage
hautement
transgressif, Lacan était marqué par la lecture des oeuvres de
Sade et par son contact avec Georges Bataille. Sa fascination
pour lâhomosexualitĂ© grecque le portait dâune part Ă faire de
la figure du pervers lâincarnation de la plus haute
intellectualitĂ© - fĂ»t-elle maudite - et de lâautre Ă regarder
toute forme dâamour - voire de dĂ©sir - comme quelque chose de
pervers. De mĂȘme que Lacan âpsychotiseâ la clinique des
nĂ©vroses, de mĂȘme il a tendance Ă voir de la perversion dans
toutes les manifestations de lâamour. Câest dans ce contexte
quâil fait de lâhomosexualitĂ©,
en tant que telle, une
perversion et non pas une orientation sexuelle. Si lâon veut
comprendre comment Lacan rĂ©introduit lâhomosexualitĂ© dans la
catĂ©gorie, non pas des perversions sexuelles, mais dâune
structure perverse, il faut poser ce préalable. Il ne rétablit
jamais lâancien dispositif de la sexologie, de la psychiatrie
ou de la thĂ©orie de la dĂ©gĂ©nĂ©rescence. Au fond, il nâest pas
éloigné de ce que seront plus tard les positions de Michel
Foucault ou de Gilles Deleuze. Lâun et lâautre, ne lâoublions
pas, valorisĂšrent la perversion, en tant quâelle serait, Ă leur
yeux, un moyen de contester radicalement lâordre social
bourgeois caractérisé par la famille oedipienne, héritée de
Freud.
Mais il existe une différence fondamentale entre
Lacan et Foucault : le premier fait de LA perversion une
structure universelle de la personnalitĂ©, dont lâhomosexuel
serait la plus pure incarnation, alors que le second privilégie
lâĂ©tude des pratiques concrĂštes de la sexualitĂ© perverse sans
se soucier de les enfermer dans une structure ou une catégorie
particuliĂšre
1 8
. Pour Lacan, lâhomosexuel est un pervers sublime
de la civilisation, pour Foucault il est un personnage qui doit
Ă©chapper, par une pratique subversive ou inventive, Ă
lâĂ©tiquette infĂąme que lui a fait endosser le discours
17
- Elisabeth Roudinesco,
Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2
(1986), Paris Fayard, 1994. Et & Michel Plon,
Dictionnaire de la psychanalyse,
op. cit.
18
-
Michel Foucault,
Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984; Les anormaux,
Paris, Gallimard/Le Seuil, 1999;
LâhermĂ©neutique du sujet, , ibid., 2001.
12
normatif. On voit bien en quoi la position de Lacan est
radicalement différente de celle des cliniciens homophobes de
lâIPA. Lacan lie lâhomosexualitĂ© (fĂ©minine et masculine) Ă la
perversion mais il refuse toute attitude discriminatoire.
Câest pourquoi, dans son discours, la reconnaissance
de lâhomosexualitĂ© en tant que perversion ne conduit ni Ă une
intolĂ©rance ni Ă lâinstauration de rĂšgles sĂ©grĂ©gatives.
Jâajouterais dâailleurs que Lacan, pour les mĂȘmes raisons, ne
condamne pas les homophobes. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, sa
tolérance envers les comportements considérés comme les plus
âdĂ©viantsâ, les plus injurieux, les plus virulents, est parfois
difficile à comprendre. Sans doute est-elle la conséquence de
la violence quâil portait en lui. On ne dira jamais assez
combien il fut un maĂźtre transgressif, sensible Ă toutes les
manifestations les plus exacerbées de la folie, de la mystique,
de la jouissance, lucide sur toutes les turpitudes humaines.
Parce quâil fait de lâhomosexualitĂ© une perversion,
Lacan considĂšre que les homosexuels ne sont pas âguĂ©rissablesâ.
Il distingue lâhomosexualitĂ© fĂ©minine, quâil tire vers
lâhystĂ©rie et la rivalitĂ© sexuelle, de lâhomosexualitĂ©
masculine, dans laquelle il repĂšre lâun des fondements du lien
social. Dans son séminaire sur
Les formations de lâinconscient,
il dĂ©clare que si lâhomosexuel tient tant Ă sa position
dâhomosexuel, câest que pour lui la mĂšre fait loi Ă la place du
pĂšre, ou plutĂŽt elle âfait loi au pĂšreâ. Lacan reprend ici la
thĂ©matique freudienne de lâOedipe inversĂ©
19
mais il la
systĂ©matise dans le cadre de lâinvention de sa propre topique
(imaginaire, symbolique, réel)
2 0
.
FP :
Bref, Lacan ferait de la perversion une sorte de
prototype de la sexualitĂ©. Mais alors, vous pensez quâon ne
peut pas interpréter comme
un discours homophobe son
commentaire sur
Le Banquet de Platon dans lequel il parle Ă ce
propos dâune âassemblĂ©e de vieilles tantesâ.
ER :
Ce passage du séminaire sur le transfert a fait couler
19
- On sait que pour Freud le complexe dâOedipe est la reprĂ©sentation
inconsciente par laquelle sâexprime le dĂ©sir sexuel ou amoureux de lâenfant pour
le parent du sexe opposĂ© et son hostilitĂ© pour le parent du mĂȘme sexe. Cette
reprĂ©sentation peut sâinverser et exprimer lâamour pour le parent du mĂȘme sexe
et la haine Ă lâencontre du parent du sexe opposĂ©. Chez Freud, lâhomosexualitĂ©
dĂ©rive souvent de lâOedipe inversĂ© mais lâOedipe inversĂ© ne donne pas lieu
forcément à une orientation de type homosexuel.
20
-
Jacques Lacan,
Le SĂ©minaire, livre V, 1957-1958, Les formations de
lâinconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 207-212.
13
beaucoup dâencre
2 1
. Avant dâentrer dans le dĂ©tail, je rĂ©pondrai
que Lacan, dĂšs 1953, fait de lâamour homosexuel le prototype de
lâamour et que, comme lâamour homosexuel est Ă ses yeux une
perversion, il y a forcément pour lui une disposition perverse
dans lâamour en gĂ©nĂ©ral, ce quâil exprime par cette maxime
inoubliable : âLâamour, câest donner ce quâon nâa pas Ă
quelquâun qui nâen veut pasâ. Plus encore, le âdĂ©sir perversâ
qui, selon lui, caractĂ©rise lâhomosexualitĂ© - mais ne sâĂ©puise
pas en elle - ne se soutient que dâune âcaptation inĂ©puisable
du dĂ©sir de lâautre
22â
.
Pour bien montrer que le désir pervers
caractĂ©rise autant lâhomosexualitĂ© que lâhĂ©tĂ©rosexualitĂ©, Lacan
commente lâoeuvre de Proust : âSouvenez-vous de la prodigieuse
analyse de lâhomosexualitĂ© qui se dĂ©veloppe chez Proust dans le
mythe dâAlbertine. Peu importe que ce personnage soit fĂ©minin -
la structure de la relation est Ă©minemment homosexuelle
2 3
â.
Câest dans cette optique quâil faut lire le
commentaire de Lacan sur le
Banquet. Il compare la place faite
Ă lâhomosexualitĂ© en GrĂšce Ă celle occupĂ©e par lâamour courtois
dans la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale. Lâune et lâautre auraient une
fonction de sublimation permettaant de perpĂ©tuer lâidĂ©al dâun
maĂźtre au sein dâune sociĂ©tĂ© sans cesse menacĂ©e par les ravages
de la nĂ©vrose. Autrement dit, lâamour courtois place la femme
dans une position Ă©quivalente Ă celle que lâamour homosexuel
grec attribue au maïtre. En conséquence, le désir pervers,
prĂ©sent dans ces deux formes dâamour oĂč se joignent la
sublimation et la sexualité charnelle, est désigné comme
hautement favorable Ă lâart, Ă la crĂ©ation et Ă lâinvention de
formes nouvelles du lien social. Et Lacan de déplorer que cet
amour-lĂ nâexiste plus dans lâhomosexualitĂ© des annĂ©es
cinquante âoĂč les lycĂ©ens sont acnĂ©ĂŻques et crĂ©tinisĂ©s par
lâĂ©ducation quâils reçoiventâ.
Jâai tenu Ă rappeler cette conception lacanienne de
lâhomosexualitĂ©
afin
de
répondre
ici
aux
accusations
dâhomophobie qui ont Ă©tĂ© profĂ©rĂ©es et auxquelles vous faites
allusion Ă propos de la phrase sur les âvieilles tantesâ. Ces
accusations Ă©manent de Michel Tort dâune part, de Didier Eribon
21
- âJâai parlĂ© incidemment, Ă propos de ce banquet, dâassemblĂ©e de vieilles
tantes, Ă©tant donnĂ© quâils ne sont pas tous de la premiĂšre fraĂźcheur, mais toute
de mĂȘme, ils ne sont pas sans ĂȘtre dâun certain formatâ,
Le SĂ©minaire, livre
VIII. Le transfert, 1960-1961, Paris, Seuil, 2001, nouvelle Ă©dition revue et
corrigée, p. 163.
22
- Jacques Lacan,
Le SĂ©minaire I, 1953-1954, Les Ă©crits techniques de
Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 247.
23
-
Ibid, p. 247.
14
de lâautre
2 4
. Les positions défendues par ces deux auteurs sont
fondées sur une analyse des textes et elles ont le mérite de
proposer un vĂ©ritable dĂ©bat. Tort tente de âsauverâ Freud de
toute imputation dâhomophobie pour mieux accabler Lacan, alors
quâEribon fustige lâensemble de la thĂ©orie psychanalytique pour
opposer Ă la notion freudienne dâinconscient âpsychiqueâ et Ă
celle lacanienne de âsymboliqueâ la conception dâun inconscient
âsocialement construitâ, inspirĂ©e des thĂšses de Pierre Bourdieu
et des travaux américains sur le
gender. Eribon est un ami et
je partage bon nombre de ses critiques Ă lâencontre des
psychanalystes, mais pas toutes.
Je ne crois pas, pour ma part, que lâon puisse
traiter Lacan dâhomophobe sous prĂ©texte de quelques phrases
injurieuses contre les âtantesâ. Lacan manie lâinjure contre
tout le monde. Dans ses sĂ©minaires, il ne cesse dâinsulter ses
adversaires, de maudire son grand-pĂšre, de traiter de âcrĂ©tinsâ
ceux qui ne lui plaisent pas. Dans ses lettres privĂ©es, câest
pire encore. Et quand il complimente quelquâun, lâinjure est
souvent présente. Ainsi quand il qualifie positivement Melanie
Klein de âtripiĂšre gĂ©nialeâ, il sâagit dâune injure dâautant
plus erronĂ©e dâailleurs que Melanie Klein ne fut en rien une
tripiĂšre. On pourrait multiplier les exemples. Le vocabulaire
de la haine est présent dans le discours de Lacan. Eribon
aurait dĂ» analyser lâinjure chez Lacan avec la mĂȘme finesse
quâil le fait dans son prĂ©cĂ©dent livre Ă propos notamment de
lâinjure homophobe profĂ©rĂ©e par les homosexuels eux-mĂȘmes
2 5
.
Lacan nâest pas non plus homophobe quand il fait de
lâamour homosexuel une perversion et du dĂ©sir pervers la
quintescence de lâamour sublimĂ©e. Dans son discours, le terme
âperversionâ nâest pas utilisĂ©e de façon dĂ©gradante ou
péjorative. Comme Freud, Lacan maintient ce mot en le vidant de
tout contenu infĂąmant. Et chez lui, plus que chez Freud, la
perversion est valorisĂ©e. A cet Ă©gard, comme je lâai dit, il
est plus lâhĂ©ritier de Sade et le contemporain de Bataille que
le continuateur de la doctrine freudienne. Sauf Ă vouloir
évacuer la perversion des caractéristiques de la passion
humaine, je ne vois pas comment on peut faire de Lacan le
suppĂŽt dâun discours homophobe. Son regard sur lâhomosexualitĂ©
sâapparente Ă celui de Proust qui fait de lâhomosexuel un
personnage sublime et maudit, un pervers de la civilisation.
Je sais bien quâaujourdâhui certains adeptes de la
normalisation considÚrent que Proust serait un homophobe, hanté
par la haine de soi. Dâautres rĂ©visent toute la littĂ©rature du
passĂ© pour y dĂ©celer des traces dâhomophobie. Et il les
24
- Michel Tort, âHomophobies psychanalytiquesâ,
Le Monde, 15 Ă ctobre 1999;
âQuelques consĂ©quences de la diffĂ©rence âpsychanalytiqueâ des sexesâ,
Les Temps
modernes, 609, juin-juillet-août 2000. Didier Eribon, Une morale du minoritaire.
Variations sur un thĂšme de Jean Genet, Paris, Fayard, 2001. Notamment les
chapitres consacrĂ©s Ă âlâhomophobieâ de Lacan et ceux intitulĂ©s âPour en finir
avec Jacques Lacanâ.
25
- Didier Eribon,
RĂ©flexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.
15
trouvent! Dans Shakeaspeare, dans Balzac, dans Genet et chez de
nombreux grands Ă©crivains. Elles vont souvent de pair avec une
judéophobie et une misogynie. Et alors? Toute analyse de texte,
digne de ce nom, se doit dâĂ©viter un tel rĂ©ductionnisme. Or,
Eribon et Michel Tort adoptent une position, réductrice,
dĂ©nonciatrice, semblable parfois au discours homophobe quâils
combattent. Ils oublient simplement dâĂȘtre justes, honnĂȘtes et
objectifs avec le texte de Lacan.
Ils omettent par exemple de dire que Lacan a été
concrĂštement, et dans sa pratique de la cure et des
institutions psychanalytiques, un Ă©mancipateur et un homme de
progrĂšs : je rĂ©pĂšte quâil a Ă©tĂ© le premier Ă autoriser les
homosexuels
Ă
devenir psychanalystes,
sans
la
moindre
discrimination. Quant Ă sa conception de lâhomosexualitĂ©, elle
ne mĂ©rite pas tant dâopprobre. Certes, elle exclut lâidĂ©e que
lâhomosexuel puisse vouloir se ânormaliserâ, au point dâimiter
les formes les plus bourgeoises, et donc les plus névrotiques
des structures de la parenté. Mais elle a le mérite de rendre
hommage Ă cette place occupĂ©e par le personnage de lâhomosexuel
dans la société occidentale: un personnage maudit et sublime.
Il est probable que Lacan aurait trouvé navrant que les
homosexuels dâaujourdâhui ne veuillent plus de cette place et
fassent le choix de ressembler ainsi Ă ceux qui nâavaient
cessé de les persécuter depuis la nuit des temps. Mais jamais
il nâaurait adoptĂ©, dans les circonstances actuelles, ce
discours homophobe. que jâai dĂ©noncĂ© plus haut. Le crois en
revanche quâil aurait Ă©tĂ© interpelĂ©, comme nous le sommes tous,
par le dĂ©sir de normalisation qui sâexprime aujourdâhui chez
les homosexuels.
FP :
Que pensez-vous de la haine catholique de la perversion
dont parle Michel Tort Ă propos de Lacan ?
ER :
Lâargumentation de Tort - reprise dâailleurs par
dâEribon - ne se limite pas Ă cette accusation dâhomophobie.
Elle
prétend
lui
trouver
un
fondement
théorique
et
anthropologique. Aussi les deux auteurs font-ils de la
conception lacanienne de la famille, telle quâon la trouve
énoncée dans
Les complexes familiaux (1938)
2 6
, une sorte de
thĂ©ologie fanatique, sortie tout droit de lâintĂ©grisme
catholique, et visant Ă empĂȘcher les homosexuels dâaccĂ©der Ă
des droits élémentaires : Pacs, adoption, etc. Mais pire
encore, selon Michel Tort, Lacan se serait rendu coupable de
sympathie anticipée envers le gouvernement de Vichy. Car la
thÚse de la névrose familiale et du déclin du patriarcat ne
serait, je cite, que âlâĂ©tiologie du symptĂŽme social dans les
années 30, qui prendra toute son importance idéologique pendant
la période de Vichy avec le personnage du maréchal - qui devait
26
- Jacques Lacan, âLes complexes familiauxâ (1938, 1985), repris dans
Autres
Ă©crits, Paris, Seuil, 2001. PubliĂ©e en 1938 dans lâEncyclopĂ©die française.
16
ĂȘtre suivi du gĂ©nĂ©ral (sic)
2 7
â
Au-delĂ de cette comparaison absurde, qui tend Ă
mettre dans le mĂȘme sac deux figures radicalement antagonistes
de âpĂšres de la nationâ - (PĂ©tain et de Gaulle, un traĂźtre et
un héros) -, on reste stupéfait de lire de telles contre-
vérités.
Dans mon livre sur Lacan, jâavais remarquĂ© que
celui-ci avait été le premier, avant les spécialistes de
lâhistoire de Vienne (Carl Schorske et Jacques Le Rider), Ă
ĂȘtre frappĂ© du fait que la psychanalyse Ă©tait nĂ©e du dĂ©clin en
occident de la famille patriarcale. Face à ce déclin, symbolisé
Ă Vienne par lâagonie de la monarchie des Habsbourg, Freud prit
acte dâune forme nouvelle de subjectivitĂ© en comparant lâhomme
du XXe siĂšcle Ă Oedipe et Hamlet, câest-Ă -dire Ă lâacteur
solitaire dâun drame de la conscience, condamnĂ© Ă rejouer en
permanence la scĂšne dâun meurtre originel afin de dĂ©nouer les
fils de sa généalogie.
Notons que si la psychanalyse attribue au pĂšre une
place centrale dans cette configuration, ce nâest pas pour
revendiquer la posture caricaturale dâun chef de horde criminel
et tyrannique - comme le feront les régimes fascistes et le
nazisme - mais pour revaloriser symboliquement une paternité
dĂ©faite, toujours en quĂȘte dâelle-mĂȘme.
Chez Freud, le pÚre est une figure fragilisée par la
montĂ©e en puissance de lâĂ©mancipation des femmes et câest bien
de cette tradition que se réclame Lacan. Par sa théorie dite du
Nom-du-PĂšre, il situe, en 1953, la position symbolique de la
paternitĂ© au coeur de la constellation familiale. Loin dâĂȘtre
un suppĂŽt de lâintĂ©grisme, attachĂ© Ă un patriarcat de
pacotille, et loin de faire de la fonction symbolique du pĂšre
une âessenceâ, Lacan se veut un penseur des LumiĂšres dĂ©tachĂ© de
sa culture catholique mais capable de lâintĂ©grer Ă sa dĂ©marche,
comme Freud le fit avec sa judĂ©itĂ©. Câest dâailleurs pour cette
raison quâil empruntera Ă LĂ©vi-Strauss la notion de fonction
symbolique (du pÚre, de la paternité) en précisant son
intention de ne jamais lâassimiler Ă une instance nominaliste
ou essentialiste.
Cela dit, il y a chez Lacan une référence constante
à la théologie chrétienne. Mais, faire de lui un représentant
orthodoxe et rigoureux de lâĂ©glise catholique romaine, revient
Ă oublier quâil fut athĂ©e, nietzschĂ©en, spinoziste, hĂ©gĂ©lien
puis structuraliste, et quâil se dĂ©signa lui-mĂȘme, dans sa
jeunesse comme un âAntĂ©christâ. Son âcatholicismeâ baroque et
flamboyant, teinté de haine sacrée, était plus proche de celui
dâun Salvador Dali ou dâun Luis Bunuel que des prĂ©ceptes des
bons pĂšres. Et mĂȘme si la notion de Nom-du-PĂšre fut directement
empruntée à la théologie, elle eut aussi pour fondement les
catĂ©gories modernes de lâanthropologie issues de Durkheim, de
Mauss et de LĂ©vi-Strauss. A cet Ă©gard, il nây a aucune
confusion chez Lacan, contrairement à ce que prétend Michel
27
- Michel Tort, âHomophobies psychanalytiquesâ, in
Le Monde, op. cit., ce
passage nâest pas repris dans lâarticle des
Temps modernes.
17
Tort
2 8
, entre une loi anthropologique (lâinterdit de lâinceste)
et une structure familiale âpaternalisteâ.
De mĂȘme, il nây a pas de contradiction de principe
entre le modÚle oedipien élaboré par Freud (et repris par ses
successeurs) et le mouvement dâĂ©mancipation des homosexuels
amorcé à la fin du XIXe siÚcle avec le déclin du patriarcat. Si
le pÚre a été progressivement dépossédé en occident de ses
fonctions autoritaires traditionnelles, la famille nâen demeure
pas
moins
aujourdâhui,
comme
en
1938,
une
entité
indestructible.
Quâelle
soit
ânaturelleâ,
ârecomposĂ©eâ,
âmonoparentaleâ ou âhomoparentaleâ, elle est bien Ă lâimage de
cette tragédie oedipienne réinventée par Freud. A condition de
ne pas faire de lâOedipe un simple âcomplexeâ. La famille sert
de creuset autant Ă lâaffirmation dâune normalitĂ© sociale et
symbolique quâau surgissement des plus grandes pulsions
criminelles ou quâĂ lâĂ©panouissement des transgressions et de
toutes les pathologies conscientes et inconscientes liées à la
construction de la subjectivité humaine.
On ne voit donc pas en quoi la théorie lacanienne,
qui se réclame de cette conception de la famille, pourrait
ressembler de prĂšs ou de loin Ă une quelconque prise de
position homophobe comparable Ă celle de Tony Anatralla, prĂȘtre
psychanalyste, conseiller du cardinal Lustiger, qui sâest fait
rĂ©cemment le champion, comme Simone Korff-Sausse, dâune
croisade inquisitoriale contre les homosexuels, qualifiés
dââadeptes dâune gĂ©nitalitĂ© infantile
2 9
.â
Pour faire de Lacan un représentant du catholicisme
le plus réactionnaire, Michel Tort prend appui sur une lettre
que celui-ci a écrit à son frÚre Marc-François Lacan, moine
dans lâordre des bĂ©nĂ©dictins, en septembre 1953, juste aprĂšs la
rĂ©daction de son fameux âDiscours de Rome
3 0
â. Michel Tort nâa
pas lu cette lettre, dont je suis la seule aujourdâhui Ă
dĂ©tenir la copie et dont jâai en effet Ă©voquĂ© le contenu Ă deux
reprises : dans le deuxiĂšme volume de mon
Histoire de la
psychanalyse en France (1986) et dans mon livre sur Lacan en
1993 : âOn comprend le ton dĂ©jĂ nĂ©o-testamentaire du cĂ©lĂšbre
âDiscours de Romeâ de 1953, Ă©crit Tort, en direction du Saint-
SiĂšge pour obtenir une audience du Saint-PĂšre
3 1
â
Jâai racontĂ© dans quel contexte Lacan avait demandĂ©
Ă son frĂšre dâintervenir auprĂšs de Pie XII pour obtenir une
audience. A cette date, trĂšs exaltĂ© par sa âreconquĂȘteâ du
mouvement psychanalytique, Lacan veut rencontrer le Pape. Mais
il adresse aussi son âDiscoursâ Ă Lucien BonnafĂ© pour quâil le
transmette Ă Maurice Thorez. Enfin, il envoie sa confĂ©rence Ă
des personnalités importantes du champ intellectuel de
28
- Michel Tort, âDe la diffĂ©rence..â op. cit., p. 213.
29
- Tony Anatrella, âA propos dâune folieâ,
Le Monde du 26 juin 1999.
30
- âFonction et champ de la parole et du langage en psychanalyseâ, in
Ecrits,
Paris, Seuil, 1966.
31
- Michel Tort, âDe la diffĂ©rence..â, op. cit., p. 202.
18
lâĂ©poque. Autrement dit, et câest ce que jâexplique, il veut
faire de ce âDiscoursâ, prononcĂ© Ă Rome, ville hautement
symbolique, un événement, au sens politique du terme. Et il
sait quâĂ cette date, il a de nombreux Ă©lĂšves catholiques parmi
les JĂ©suites
3 2
qui sont en train de sâouvrir Ă la psychanalyse,
de mĂȘme que les communistes Ă©mergent du glacis stalinien.
Face au pouvoir médical, représenté par la SPP et
face Ă Daniel Lagache qui incarne, Ă la SFP, lâentrĂ©e de la
psychanalyse Ă lâUniversitĂ©, Lacan fait appel Ă deux autres
grandes institutions dâavenir pour la psychanalyse : le Parti
communiste français et lâEglise. Rien de plus normal. Il ne
sâagit donc pas dâune tentative de rapprocher la psychanalyse
du catholicisme, ou de se convertir Ă la foi, mais dâune
volonté de
faire venir à lui les Chrétiens et, pourquoi pas, le
Pape ou les plus hautes autoritĂ©s de lâEglise. Lacan nâhĂ©sitait
devant rien pour séduire les grands de ce monde. Il tentera
aussi, plus tard, de rencontrer Mao Zedong aprĂšs avoir fait
plusieurs fois le voyage de Fribourg pour converser avec
Heidegger. Chaque fois, il sâagit de âse faire reconnaĂźtreâ et
de dĂ©montrer que âsa doctrine peut Ă©clairer le mondeâ. En aucun
cas, Lacan ne cherchait Ă sâinfĂ©oder Ă un discours, Ă une
institution. Au contraire, il veut chaque fois amener Ă lui les
autres.
Le Pape nâaccordera aucune audience Ă Lacan qui,
dépité, ira se promener avec Serge Leclaire dans les jardins de
Castel Gandolfo. Le quiproquo vient du fait que Marc-François
Lacan a interprĂ©tĂ© cette lettre comme un retour de son frĂšre Ă
la foi. Quand il me lâa donnĂ©e Ă lire, il a tentĂ© de me
convaincre quâil sâagissait de cela. Et jâai eu beau lui dire
que Lacan oeuvrait dans le mĂȘme sens avec le Parti communiste
français, cela nâa servi Ă rien. Quant Ă la lettre, elle est
rĂ©digĂ©e avec habiletĂ©, puisquâil sâagit pour Lacan de faire
croire Ă son frĂšre quâil a rejoint la foi chrĂ©tienne et
dâobtenir de lui lâaudience souhaitĂ©e : âJâai fondĂ©, dit-il,
avec Lagache, une nouvelle société entraßnant avec nous la
majorité des élÚves (...) Tout cela est trÚs tonifiant pour moi
car enfin je vais pouvoir faire lâenseignement que je veux.
Pour lâinstant, le noeud est Ă Rome oĂč je vais donner un
rapport sur le langage de la psychanalyse dans toute son
ampleur. je crois que cela aura quelquâeffet. Mes Ă©lĂšves les
plus sages et les plus autorisĂ©s me demandent dâobtenir une
audience du Saint-PĂšre. Je dois dire que je suis assez portĂ© Ă
le faire et que ce nâest pas sans un profond intĂ©rĂȘt pour
lâavenir de la psychanalyse dans lâEglise que jâirai porter au
pĂšre commun mon hommage. Crois-tu que tu puisses faire quelque
chose pour cela?â.
Dans une autre lettre un peu antérieure (non datée),
de 1953, Lacan Ă©crit : âMa position vis Ă vis de la religion
est dâune importance considĂ©rable dans le moment dont jâai
commencé à te parler. Il y a des religieux parmi mes élÚves et
32
- Le plus cĂ©lĂšbre fut le pĂšre Louis Beirnaert, dont jâai retracĂ©
lâitinĂ©raire..
19
jâaurai Ă entrer sans aucun doute en relation avec lâEglise
dans les années qui vont suivre sur des problÚmes à propos de
quoi les plus hautes autorités voudront voir clair pour prendre
parti. Quâil me suffise de te dire que câest Ă Rome quâen
septembre je ferai le rapport de notre congrÚs de cette année
et que ce nâest pas par hasard quâil apour sujet le rĂŽle du
langage (entends
logos) dans la psychanalyse.â
A la suite de nos discussions et de nos Ă©changes
épistolaires, qui ont commencé en mars 1983 et se sont
prolongés pendant dix ans, Marc-François a admis que son frÚre
nâĂ©tait pas âchrĂ©tienâ, mais que âtoute son oeuvre Ă©tait animĂ©e
par une recherche de la transcendanceâ. De lĂ Ă faire de Lacan
un adepte des papistes et, pire encore, de Maurras, de lâ
Action
française, voire de Vichy (Tort), il y a un abime.
En 1917-1918, au CollĂšge Stanislas, Lacan fut
lâĂ©lĂšve de Jean Baruzi.Ă lâĂ©poque oĂč celui-ci rĂ©digeait sa
thĂšse de doctorat sur Jean de la Croix. Jâai montrĂ© que cet
enseignement, associĂ© Ă la dĂ©couverte prĂ©coce de lâoeuvre de
Spinoza, avait eu pour effet dâopĂ©rer dans lâitinĂ©raire de
Lacan une transition entre le catholicisme dévÎt de sa famille
et un catholicisme Ă©rudit et aristocratique pouvant servir
dâinstrument critique dans lâapprĂ©hension de la religion. Câest
dans la mĂȘme perspective quâil faut situer la fascination
quâĂ©prouva Lacan entre 1923 et 1924 pour Charles Maurras, au
moment mĂȘme oĂč il frĂ©quentait le groupe surrĂ©aliste et la
Librairie dâAdrienne Monnier. A cette Ă©poque, au cours dâune
grave crise mélancolique, il rejeta encore plus violemment
toutes les valeurs chrétiennes dans lesquelles il avait été
élevé. Sans adhérer le moins du monde aux idées maurrassiennes,
il voulut Ă toute force rencontrer Maurras (comme plus tard le
Pape ou Mao) prĂ©tendant sâengager dans le royalisme. A
lâĂ©vidence, il admirait la langue de Maurras et un certain
radicalisme monarchique qui lâĂ©loignait encore de son milieu
3 3
.
Pour faire de lui un maurrassien, et relire ainsi Ă
contrario le texte de 1938 sur Les complexes familiaux, et afin
dây retrouver la prĂ©sence des thĂšses de lâ
Action française,
Eribon sâappuie sur une lettre de 1924 envoyĂ©e Ă Maurras par la
femme de LĂ©on Daudet
3 4
: âUn jeune homme, ami de Maxime, qui
sâappelle Jacques Lacan (23 ans, Ă©tudiant en mĂ©decine, pressĂ©
je pense comme tant dâautres par la nĂ©cessitĂ© de gagner sa vie)
me demande depuis plusieurs semaines dâavoir une entrevue avec
vous (...) Il est récemment conquis à nos idées, et pense
naturellement que son adhĂ©sion a une grande importance et quâil
pourra faire beaucoup (...) Pourriez-vous le recevoir cinq
minutes? Je lui ai dit de vous Ă©crire. Quand vous lâaurez vu,
vous le connaĂźtrez et nâaurez plus quâĂ lui rĂ©pondre oralement
: cela vous fera gagner du temps. Il me paraßt cultivé,
intelligent,
mais
encore
une
fois
assez
présomptueux.
33
- Voir
Jacques Lacan. Esquisse, op.cit., p. 31-32.
34
- Lettre de Marthe Allard, in
Cher MaĂźtre...Lettres Ă Charles Maurras,
texte Ă©tabli par Pierre Henri Deschodt, Paris, Bartillat, 1995, p. 602. Et
Didier Eribon,
Une morale du minoritaire, op.cit., p.265.
20
Cependant, je pense quâil peut servir notre cause sacrĂ©e (...)
A bientĂŽt, cher ami, et je vous en prie, nâaccordez Ă ce petit
Lacan quâune courte entrevue, il ne vaut pas plus.â
Cette lettre manifeste lâhĂ©sitation de Madame
Daudet. Elle ne sait pas dire si Lacan peut ĂȘtre ou non utile Ă
la âcause sacrĂ©eâ, mais ce qui me frappe, câest quâelle affirme
que Lacan âne vaut pas plus que quelques minutesâ. Lacan, dont
la parole était interminable et les demandes illimitées, fut
souvent contraint Ă la modĂ©ration par ses interlocteurs - âĂ
juste quelques minutesâ - alors quâil en demandait plus et se
jugeait âindispensableâ. Comment ne pas voir dans cette
attitude si fréquente à son égard - on pense à Ernest Jones
3 5
- la réponse à la maniÚre dont il vivait sa relation au temps,
et dont il construisit ensuite la durée de ses séances?
Toujours
est-il
que
Lacan
ne
fut
nullement
maurrassien. Tout son itinéraire ultérieur le prouve. Et
dâailleurs, au moment de sa publication, le texte sur la
famille, dont Eribon et Tort font le fer de lance du combat
réactionnaire de Lacan en faveur de la famille patriarcale
chrétienne
et
autoritaire,
fut
commentée
en
un
sens
rigoureusement inverse par Lucien Fevbre dâune part, et surtout
par Edouard Pichon, psychanalyste et grammairien, maurrassien,
et membre de lâ
Action française
3 6
.Ce dernier reprocha Ă Lacan
son hégélianisme, son absence de considération pour la morale
catholique et enfin sa conception beaucoup trop anthropologique
et moderniste de la famille patriarcale. En bref, il déplorait
que celui dont il reconnaissait le génie se fût écarté du droit
chemin de la civilation chrétienne, et bien française, au
profit dâune adhĂ©sion Ă la
Kultur allemande
3 7
. De fait, dans cet
article de lâ
Encyclopédie française, Lacan ne conservait de
Maurras que deux thĂšses, trĂšs peu âmaurrassiennesâ : lâune
héritée du positivisme comtien, pour lequel la société se
divise en familles et non pas en individus, lâautre empruntĂ©e Ă
Aristote et concernant lâidentitĂ© sociale du sujet
3 8
.
FP :
Pour en revenir Ă ce qui se passe aujourdâhui
concernant les rapports quâentretiennent la psychanalyse et
lâhomosexualitĂ©, je vais vous poser une question en trois
volets. Quâest-ce quâon peut penser du fait que lâhomosexualitĂ©
fasse lâobjet de tant de dĂ©bats dans les institutions
psychanalytiques? Comment se fait-il que lâhomosexualitĂ© soit Ă
ce point source dâangoisse quâune telle discrimination sâopĂšre
35
- Au congrĂšs de lâIPA de Marienbad en 1936, Jones coupa la parole Ă Lacan au
bout de dix minutes. Jâai analysĂ© cette question du temps dans
Jacques Lacan.
Esquisse..., op.cit.
36
- Notons que Pichon eut pour caractĂ©ristique dâĂȘtre Ă la fois freudien,
maurrassien et dreyfusard. Voir,
Histoire de la psychanalyse en France, Vol. 1,
op.cit.
37
- Edouard Pichon, âLa famille devant Monsieur Lacanâ, rĂ©Ă©d., in
Cahiers
Confrontation, 3, 1980.
38
- Voir : Bertrand Ogilvie,
Lacan, le sujet, Paris, PUF, 1987.
21
dans le milieu analytique, comme si rien nâavait changĂ© depuis
quatre-vingt ans? Quâest-ce qui fut si violent dans la dĂ©cision
de lâIPA dâautrefois pour que cela ce soit maintenu jusquâĂ
aujourdâhui? Peut-on considĂ©rer que lâhomophobie existe au sein
des Ă©coles de psychanalyse?
ER :
Pour répondre à vos trois questions, je dirai
simplement que les institutions psychanalytiques et ses
membres rĂ©agissent exactement âcomme tout le mondeâ. La
volontĂ© des homosexuels Ă sâintĂ©grer aux normes de la famille
a fait Ă©merger partout une nouvelle forme dâhomophobie âpar
dĂ©nĂ©gationâ, comme je lâai dit. Lâennui, câest que les
psychanalystes homophobes prétendent parler au nom de la
psychanalyse, au nom de Freud ou au nom de Lacan, alors
quâils ne font quâexprimer leur opinion de citoyen. DâoĂč les
critiques qui leur sont adressées et qui, bien entendu, nous
obligent Ă rĂ©flĂ©chir sĂ©rieusement Ă lâavenir et Ă la capacitĂ©
de la psychanalyse Ă prendre en compte les transformations de
la famille occidentale. Jâai posĂ© ce problĂšme dans mon
discours dâouverture des Etats GĂ©nĂ©raux de la Psychanalyse en
juillet 2OOO. Il me paraĂźt donc normal que tous les groupes
soient mobilisés autour de cette question.
FP :
Jâai constatĂ©, Ă lâĂ©coute de plusieurs membres de
diffĂ©rentes Ă©coles de psychanalyse auxquels jâai demandĂ© la
rédaction
dâun
texte
pour
ce
numéro
de
Cliniques
MĂ©diterranĂ©ennes sur âLes homosexualitĂ©s aujourdâhuiâ que,
dans la plupart des Ă©coles, semble t-il, il nâexiste pas de
position commune sur la question de lâhomosexualitĂ©. On parle
volontiers de personnalités trÚs différentes parmi les
homosexuels. Certains analystes prĂ©fĂšrent tout de mĂȘme Ă©viter
le sujet de lâhomosexualitĂ©
gay ou génitale, pour parler
plutĂŽt dâhomosexualitĂ© psychique. Ainsi Thierry Bokanovski
parle-t-il dââhomosexualitĂ© primaireâ, dââOedipe inversĂ©â ou
âstructurantâ, ou de type âinversifâ. Dâautres psychanalystes
adoptent des positions plus tranchées, comme par exemple
Charles Melman dans lâ
Encyclopédie Universalis
3 9
, et ceci tant
vis Ă vis de lâhomosexualitĂ© masculine - je passe sur les
particularités cliniques et les détails de son article - que
de lâhomosexualitĂ© fĂ©minine qui ne serait pas, non plus,
exempte de perversion. Cest ce quâil dit en 1990. Dans le
texte publié dans ce présent numéro, Charles Melman écrit
quâil semble considĂ©rer aujourdâhui que si lâhomosexualitĂ©
masculine constitue bien une perversion, lâhomosexualitĂ©
fĂ©minine, en revanche, nâen serait pas une, dans la mesure oĂč
elle nâexisterait pas. Ce serait une âhystĂ©rie aboutieâ, dit-
il. Je voudrais savoir ce que vous pensez de tout cela.
ER :
Toutes ces âthĂ©orisationsâ me semblent ĂȘtre, une fois
de plus, lâexpression dâune homophobie qui sâavance masquĂ©e.
39
- Article âHomosexualitĂ©â, rĂ©digĂ© en 1976 et repris depuis sans
modifications..
22
POurquoi ne pas appeler un chat un chat? Nous savons bien que
lâhomosexualitĂ© âpsychiqueâ existe ou que lâhomosexualitĂ©
latente est présente chez les hétérosexuels. Nous pouvons
Ă©galement, comme lâa fait Lacan, supposer que lâhomosexualitĂ©
fĂ©minine serait plus âhystĂ©riqueâ que la masculine. Encore que
... Nous nâen savons rien! Et Lacan nâa jamais dit, comme
Melman, que âlâhomosexualitĂ© fĂ©minine nâexiste pasâ.
En réalité, au-delà des interrogations cliniques de
ce genre, ce nâest pas la dĂ©finition de lâhomosexualitĂ© ou des
homosexualités,
qui
obsĂšde
aujourdâhui
la
communauté
psychanalytique, câest son ârĂ©elâ (au sens lacanien) dâune
part et sa rĂ©alitĂ© sociale de lâautre. Ce qui la dĂ©range, ce
qui la perturbe, ce qui la rend parfois paranoĂŻaque, violente,
injurieuse, câest que des homosexuels
pratiquants, câest-Ă -dire
des couples du mĂȘme sexe ayant des relations charnelles,
veuillent se comporter comme des névrosés ordinaires : avoir
des enfants et vivre en famille, obtenir des droits, etc. Cela
semble inacceptable pour les psychanalystes homophobes. Ils
redoutent en quelque sorte quâun acte sexuel dâune nature
différente que le coït entre un homme et une femme, ne vienne
se substituer Ă la scĂšne primitive, Ă
leur scĂšne primitive
freudienne. Ils craignent quâĂ la scĂšne primitive fondĂ©e sur la
différence anatomique des sexes ne vienne se substituer un réel
Ă©tranger et presque âmonstrueuxâ. Comme si cette diffĂ©rence
anatomique risquait dâĂȘtre effacĂ©e ou de disparaĂźtre sous le
poids dâune prĂ©tendue âhomogĂ©nĂ©isationâ des sexes. Quel curieux
fantasme! Elle nâest pas prĂȘte dâĂȘtre abolie cette diffĂ©rence
sexuelle et les autres différences ne risquent pas de la
recouvrir.
Mais fort heureusement, tous les psychanalystes ne
sont pas homophobes et nombre dâentre eux sont dâores et dĂ©jĂ
capables dâĂ©couter
autrement la parole de ces nouveaux
homosexuels qui apportent le désordre dans la communauté
freudienne, du fait de leur désir de norme et non pas de leur
désir pervers. Je suis du reste frappée de voir que cette
communauté tolÚre mieux les psychanalystes psychotiques ou
pervers hétérosexuels que les psychanalystes homosexuels
âordinairesâ (ânĂ©vrotisĂ©sâ), ne prĂ©sentant aucune pathologie
particuliĂšre. Cela montre bien quâil existe au sein de la
communautĂ© freudienne un dĂ©sir de conserver lâidĂ©e que
lâhomosexualitĂ©
serait,
en elle-mĂȘme,
lâessence
de
la
perversion.
Il faudra bien un jour accepter la nouvelle réalité,
puisquâelle existe et que, dâici quelques temps, des lois
seront votées qui rendront légal le désir de normalisation des
homosexuels. Cette réalité, il faut donc la penser et la
prendre en compte sans avoir peur de réviser de fond en comble
nos catĂ©gories psychanalytiques. Il faut mĂȘme prendre parti en
faveur des homosexuels contre toutes les discriminations qui
les accablent. Si la psychanalyse veut rester freudienne, elle
doit poursuivre la mission civilisatrice et Ă©mancipatrice dont
elle Ă©tait porteuse Ă son origine.
A cet Ă©gard, je pense que la conception lacanienne
23
de
lâhomosexualitĂ©
ne
convient
pas
Ă
lâanalyse
des
homosexualitĂ©s dâaujourdâhui, puisque lâhomosexuel en tant
quâil incarnerait la race maudite du pervers sublime est en
voie de disparition. Les homosexuels contemporains ne peuvent
plus ĂȘtre classĂ©s globalement dans la catĂ©gorie des pervers. De
mĂȘme, lâhomosexualitĂ©
nĂ©vrotisĂ©e dâaujourdâhui nâest pas, en
tant que telle, une perversion : ni une perversion sexuelle, ni
une perversion au sens structural. En revanche, ce qui reste de
la thĂ©orie lacanienne, câest lâidĂ©e, magistrale Ă mes yeux,
quâil existerait dans lâamour en gĂ©nĂ©ral une composante, voire
une structure de nature perverse, une structure âhomosexuelle
sublimĂ©eâ commune aux homosexuels et aux hĂ©tĂ©rosexuels. Et si
la thĂšse lacanienne de lâexistence nĂ©cessaire dâun rĂ©el
irréductible à la norme est exacte - il y a fort à parier que
le personnage du pervers sublime et maudit se maintiendra dans
notre société sous de nouvelles formes.
Nous devons donc ĂȘtre vigilants face au dĂ©ferlement
de la violence homophobe des psychanalystes. En ce qui concerne
lâoeuvre de Lacan, nous sommes dans une pĂ©riode dâhĂ©ritage. Il
faut faire un choix et ne pas ressasser de façon interminable
les bons mots du maĂźtre. Or, celui-ci a laissĂ© en hĂ©ritage Ă
quelques-uns de ces disciples - minoritaires fort heureusement
- dâune part un goĂ»t prononcĂ© pour lâinjure, de lâautre une
lecture dogmatique de sa théorie du Nom-du-PÚre et de la
fonction symbolique qui mérite bien les critiques que lui
adressent Tort et Eribon. Plus que Freud, Lacan a suscité,
voire favorisĂ©, une lecture rĂ©gressive de son oeuvre. Jâai eu
lâoccasion dâexpliquer pourquoi ailleurs.
Charles Melman et Jean-Pierre Winter qui, au nom du
lacanisme et de la psychanalyse, se sont lancés dans une
véritable croisade médiatique contre les homosexuels, se
servent en effet de la conception lacanienne de la paternité
symbolique pour prétendre restaurer la figure perdue du pÚre
autoritaire, laquelle serait, à leurs yeux, menacée par le
nouvel ordre homosexuel.
Cette attitude ne fait que reproduire une terreur
conservatrice et hostile Ă lâidĂ©e mĂȘme de âprogrĂšsâ, semblable
à celle qui avait envahi la société viennoise de la fin du XIXe
siĂšcle. On en trouve la trace dans les textes dâOtto Weininger
et de Bachofen mais jamais dans ceux de Freud. Ces auteurs,
dâun conservatisme Ă©trange et nihiliste, redoutaient une
féminisation
généralisée
de la
société,
consécutive
Ă
lâĂ©mancipation des femmes. Et bien aujourdâhui, les lacaniens
homophobes, rejoignant dâailleurs leurs collĂšgues de lâIPA,
sont les victimes dâune terreur Ă©quivalente. Ils ont une peur
bleue quâune sorte dâapocalypse vienne ravager lâensemble de la
sociĂ©tĂ© pour lââhomosexualiserâ, pour âlâhomogĂ©nĂ©iserâ.
Aussi
expriment-ils
leur
terreur
sous
forme
dâinsultes en se rĂ©clamant plutĂŽt dâun patriarcat autoritaire
de type âmosaĂŻqueâ que dâun paternalisme chrĂ©tien. Ainsi Winter
a-t-il revendiquĂ© lâordre dâun judaĂŻsme caricatural pour
stigmatiser les femmes homosexuelles ayant adopté des enfants.
Elle seraient, a-t-il dit en substance, les reprĂ©sentantes dâun
24
christianisme maternaliste puisque, telle la Vierge Marie,
elles auraient commis la faute dâenfanter une descendance sans
aucun coït hétérosexuel
4 0
. Des âChrĂ©tiennesâ en quelque sorte :
ici lâinjure anti-chrĂ©tienne est de mĂȘme nature que lâinsulte
judĂ©ophobe. Elle suppose que la fonction paternelle âjuiveâ
serait en mesure de restaurer la vĂ©ritable âLoi du PĂšreâ
psychanalytique, face à un paternalisme chrétien décadent. Dans
la mĂȘme perspective, Winter a accusĂ© les couples homosexuels de
vouloir fabriquer des âenfants symboliquement modifiĂ©s
4 1
.
De son cÎté, Charles Melman a prononcé des anathÚmes
contre Martine Gross en accusant les parents homosexuels dâĂȘtre
des adeptes dâune sorte de narcissisme primaire dont serait
exclue toute relation véritable à autrui. Les enfants de ces
couples seraient Ă ses yeux, je cite, des âjouets en peluche,
destinĂ©s Ă satisfaire le narcissisme de leurs parentsâ.
Impossible dans ces conditions, a-t-il ajoutĂ©, quâun tel projet
soit âhonorableâ. Quant Ă la dĂ©finition melmanienne de la
famille dite ânormaleâ, elle elle bien Ă©trange : âJâentends par
famille normale ce qui permet Ă lâenfant dâaffronter les vraies
difficultĂ©s.â Quand on sait que Lacan montrait en 1938 que les
pires turpitudes et les plus grandes anomalies surgissaient
toujours dans les familles apparemment les plus normales, on
mesure ici ce qui sépare le maßtre de ses adeptes homophobes.
Oserais-je dire quâĂ mes yeux, ils sont le dĂ©shonneur du
lacanisme et de la psychanalyse?
Jâajouterais que jâai moi-mĂȘme Ă©tĂ© traitĂ©e par
Melman, aprĂšs la publication de mon
Histoire..(en 1986), de
ârenifleuse des pieds de Lacanâ, attendant que âsa queue
frĂ©tille contre moiâ, puis dâorganisatrice de âpsychoprideâ
aprÚs avoir pris, en juillet 2000, la défense des couples
homosexuels
4 2
.
La position la plus grave est celle prise par Pierre
Legendre.
Elle
est
injurieuse
mais
ne
mobilise
pas
dâargumentation dĂ©nĂ©gative. Dans la mesure oĂč lâauteur est un
penseur important, ayant publié de nombreux ouvrages savants
sur la filiation, sa responsabilité me paraßt plus lourde que
celle des autres. HantĂ©, lui aussi, par la terreur dâune
dĂ©cadence, ou dâune âdĂ©symbolisationâ de lâoccident, ou dââune
escalade de lâobscurantismeâ, il soutient que le dĂ©sir de
normalisation des
homosexuels relĂšverait
dâun hĂ©donisme
40
- Lâaccusation a Ă©tĂ© profĂ©rĂ©e, en ma prĂ©sence, le 2 fĂ©vrier 200O, lors dâune
Ă©mission de France culture (
La suite dans les idées), réunissant notamment
GeneviĂšve Delaisi et Martine Gross, prĂ©sidente de lâAssociation des parents gays
et
lesbiens
(APGL).
Sur
lâhomoparentalitĂ©,
voir
Stephane
Nadaud,
LâhomoparentalitĂ© : une nouvelle chance pour la famille?, Paris, Fayard, 2002.
41
- Jean-Pierre Winter, âGare aux enfants symboliquement modifiĂ©sâ,
Le Monde
des débats, mars 2000.
42
- Charles Melman sâest exprimĂ© ainsi en face de Martine Gross, lors de
lâĂ©mission PlanĂšte de juin 2001 et Ă RTL le 21 juin 2001. Voir aussi Ă mon
propos, âHyacinthe Hirschâ,
Le discours psychanalytique, 5759, 1986, p. 64, et
âLacan a-t-il fait acte?â, in
La CĂ©libataire, automne-hiver 2000, p. 9.
25
illimitĂ©, dâun refus de tout interdit et de tout tabou.
Pourquoi les homosexuels seraient-ils responsables
de cet hédonisme qui existe partout dans les sociétés dites
âpostmodernesâ et que lâon peut en effet critiquer? Et pourquoi
désigner cet hédonisme comme un héritage du nazisme, alors que
ce courant philosophique existe depuis la GrĂšce archaĂŻque? Ici
Pierre Legendre dérape et sa terreur est pour le moins
paranoĂŻaque : âPensez aux
initiatives prises par les
homosexuels, dit-il. Le petit épisode du Pacs est révélateur de
ce que lâEtat se dĂ©saisit de ses fonctions de garant de la
raison. Freud avait montrĂ© lâomniprĂ©sence du dĂ©sir homosexuel
comme effet de la bisexualité psychique (...). Instituer
lâhomosexualitĂ© avec un statut familial, câest mettre le
principe dĂ©mocratique au service du fantasme. Câest fatal, dans
la mesure oĂč le droit, fondĂ© sur le principe gĂ©nĂ©alogique,
laisse la place à une logique hédoniste, héritiÚre du nazisme
4 3
â.
Franchement, je ne vois pas en quoi le désir de
normalisation des homosexuels mettrait en péril le principe
démocratique. Que celui-ci ait été associé au mariage
hĂ©tĂ©rosexuel et donc Ă la diffĂ©rence des sexes, câest certain.
Mais cela ne veut pas dire que la différence des sexes soit
fondatrice de la dĂ©mocratie. Dans la mesure oĂč lâhomosexualitĂ©
se réfÚre à ce principe comme à un modÚle elle ne risque pas de
mettre en péril la démocratie. Bien au contraire, elle réclame
davantage de dĂ©mocratie. JusquâĂ prĂ©sent dâailleurs - et
lâactualitĂ© vient dâen donner un exemple Ă©clatant - ce qui
interdit la démocratie, ce sont les formes barbares et
autoritaires dâun patriarcat archaĂŻque. Sur ce point, les
analyses de Freud sur la horde primitive et celles de Lacan sur
la famille se rejoignent. Pour le moment, la seule âapocalypseâ
qui semble menacer la sociĂ©tĂ© occidentale - et lâislam lui-mĂȘme
- est celle de lâislamisme radical et terroriste. Or, je
remarque que les menaces islamistes sont proférées par des
barbus polygames et barbares qui entravent le corps des femmes
et lancent des anathÚmes contre les homosexuels, jugés
responsables dâun abaissement des valeurs viriles de Dieu le
pĂšre.
Et puis tout de mĂȘme, lâhomosexualitĂ© nâest pas
assimilable aux moeurs sadiques ou âhĂ©donistesâ des guerriers
de la SA ou de la SS. Les homosexuels, en tant que ârace
infĂ©rieure et dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©eâ ont Ă©tĂ© exterminĂ©s dans les camps de
la mort, marqués, comme les Juifs et les Tsiganes, du sceau de
lâinfĂąmie. Aujourdâhui ils sont assassinĂ©s en Arabie saoudite
et martyrisĂ©s en Egypte sans que lâon entende la moindre
protestation de la communauté psychanalytique.
FP :
Quelques mots, si vous le voulez bien, Ă propos des
psychanalystes homosexuels. A la fin dâun entretien que vous
43
- Pierre Legendre, Entretien avec Antoine Spire,
Le Monde du 23 octobre 2001.
26
avez donné à la revue
Ex aequo en avril 1999
4 4
, vous dites
quâun analyste homosexuel ne doit pas exhiber sa propre
sexualité pour la simple raison que la rÚgle veut que le
patient ne connaisse pas la vie privée de son analyste. Que
pensez vous de cette idée et de la constitution de réseaux de
psychanalystes homosexuels?
ER :
Je pense quâil faut appliquer, dans la cure, des rĂšgles
universelles. Nous savons que les patients, dans le transfert,
connaĂźssent rapidement la nature des choix sexuels de leurs
analystes. Mais il faut maintenir lâinterdit actuel qui veut
que lâanalyste ne donne aucune information Ă lâanalysant sur sa
âvie privĂ©eâ. Les analystes homosexuels doivent aussi Ă©viter le
principe du âghettoâ et prendre en cure aussi bien des
homosexuels que des hétérosexuels. Si un patient dit à son
analyste quâil
sait ou quâil pense que celui-ci est homosexuel,
et que cela est vrai, lâanalyste ne doit pas, Ă mon sens, nier
cette rĂ©alitĂ©. Mais pour autant, il nâa pas Ă Ă©taler ses choix
sexuels. La non-rĂ©ponse Ă ce type de demande peut-ĂȘtre,
de
facto, une rĂ©ponse en forme dâinterprĂ©tation
De nombreuses questions devront ĂȘtre soulevĂ©es Ă
lâavenir, du fait de la transformation de lâhomosexualitĂ© dans
nos sociétés. Par exemple, comment procédera un analyste
confrontĂ© dans une cure dâenfant Ă des signes Ă©vidents
dâhomosexualitĂ© prĂ©coce? Devra-t-il faire en sorte que lâenfant
Ă©volue vers un autre choix sexuel? Je pense que oui sâil sâagit
dâun enfant prĂ©pubĂšre, soumis Ă une fĂ©tichisation de la part de
sa mĂšre par exemple. Mais comment lâanalyste pourra-t-il agir
de la sorte, dans un monde oĂč lâhomosexualitĂ© sera reconnue
comme une sexualité ordinaire et non plus comme une pathologie?
Quelles seront alors les frontiĂšres entre la norme et la
pathologie?
Fin de lâentretien, Paris, novembre 2001.
44
- âVision progressive de lâhomosexualitĂ©â, entretien avec Eric Lamien,
Ex
oequo, 27, avril 1999.
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