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Full text of "Anthologie des poètes du Divan. Avec une introduction par Pierre Lièvre"

ANTHOLOGIE 

DES 

?OÈTES DU DIVAN 

AVEC UNE INTRODUCTION 

PAR 

PIERRE LIEVRE 




PARIS 
LE DIVAN 

37, Rue Bonaparte, 37 



MCMXXIII 



A? 

4gù 



.^î^==^RA^ 



APR 6 1967 



LES POETES DU DIVAN 

Conférence faife au Caméléon 

le 2^ mai tgiS 

Sous ta présidence de M""® Henri de Régnier 

Mesdames, Messieurs, 

Vous avez l'incomparable fortune de vous trouver 
réunis ce soir autour de l'une des plus séduisantes 
figures du monde littéraire contemporain. Gérard 
d' Hou ville, M"^e Henri de Régnier, a consenti à 
descendre en ces lieux. 

Elle ne se trouve cependant liée à la revue dont 
je vous parlerai tout à l'heure par rien d'autre 
que l'admiration unanime de ceux qui la rédigent. 
Elle a bien voulu considérer que c'était là un lien 
en effet, et avouer que notre admiration lui 
créait un devoir envers nous. Ce qui prouve une 
fois de plus qu'on est toujours l'esclave de ses propres 
bienfaits. 

Si les écrivains du Divan se trouvent particuliè- 



2 LES POÈTES DU DIVAN 

rement heureux de la voir parmi eux, c'est qu'ils se 
plaisent à reconnaître une sorte de parenté spirituelle 
entre son art et celui auquel ils s'efforcent. Le 
mélange de malice émue et de sagesse mélancolique 
qui se remarque en des livres tels que U Inconstante 
et que Tant pis pour toi I la fantaisie capricieuse 
et l'irréprochable pureté de forme composent un 
idéal esthétique qui ressemble à celui que j'essaierai 
de vous montrer chez la plupart des auteurs dont 
je vous parlerai. 

Il semblait donc que, depuis toujours, depuis que 
Le Divan existe, sa place y fut marquée et l'attendit. 
Il ne lui manquait que de se voir occupée. 

Le hasard me réservait le privilège inattendu de 
la saluer au moment où elle prend possession de 
ce qui lui appartient. Je me sens tout à fait inégal 
à cet honneur, mais je suis fier de me trouver choisi 
pour lui offrir les hommages de tous les auteurs du 
Divan. 



Mesdames, Messieurs, 

Je n'ai jamais, jusqu'à cette minute pris la parole 
en public. Je ne le dis pas pour m'en vanter, mais 
plutôt pour constater que jamais l'occasion ne s'en 
est offerte à moi (jamais personne ne m'a prié de 
faire une conférence), et que d'autre part, jamais, 
de mon côté, je n'ai recherché cette occasion. C'est 
que je ne crois pas être orateur. Je suis même sûr 
que je ne le suis pas. J'ai toujours peur de devoir 
parler, d'avoir à improviser. Je redoute le trou 
noir dans lequel la parole et la pensée viennent 



LES POÈTES DU DIVAN 3 

s'engloutir au milieu d'une belle phrase et vous 
voyez que je m'apprête à vous faire lecture d'un 
texte que j'ai rédigé par avance. Pourtant je ne suis 
pas même sûr de savoir lire à haute voix. C'est très 
difficile de lire à haute voix. C'est déjà tout un 
travail que de se faire entendre distinctement. 
Et Ton n'est jamais sûr d'éviter la fâcheuse psalmodie 
qui plonge l'auditoire le plus favorable dans la 
torpeur, puis dans le sommeil. 

Vous allez donc avoir à supporter tous les incon- 
vénients d'un début. Si je vous le fais remarquer 
avec insistance ne croyez pas que ce soit pour réclamer 
votre indulgence. J'ai horreur de l'indulgence. J'y 
vois une des formes du mépris et par conséquent 
je la trouve aussi fâcheuse à obtenir que désobligeante 
à accorder. Au reste, quand on a cessé d'être des 
enfants on doit être de force à supporter la vérité 
même désagréable à entendre, de caractère aussi 
à envisager les conséquences de ses actions, à mesurer 
les responsabilités que l'on encourt et à savoir que 
si l'on fait quelque chose de répréhensible — par 
exemple une conférence très ennuyeuse — on mérite 
un blâme et une condamnation sans aucune cir- 
constance atténuante. 

Si je me risque à cette éventualité cruelle, si 
vous me voyez rompre avec mes habitudes et venir 
sur cette estrade m' exposer à être jugé durement, 
ou à endormir — ce qui est beaucoup plus grave — 
c'est que j'en ai été prié par Martineau qui est l'une 
des rares personnes à qui je ne sais rien refuser, 
et c'est aussi parce que le sujet qu'il me proposait 
se trouve être de ceux qui me sont le plus agréables 
à considérer. 



4 LES POÈTES DU DIVAN 

J'ai passé de très bons moments à préparer cette 
conférence. J'ai dû rouvrir des livres que j'aime, 
relire des poèmes qui m'ont touché il y a déjà bien 
longtemps et qui conservent à peu près intacte leur 
ancienne puissance de séduction. J'ai dû feuilleter 
dans son ensemble la collection du Divan. Elle est 
rarissime, et je ne me doutais pas du plaisir que me 
réservait cette occupation, 

Avez-vous remarqué, Messieurs, la façon sin- 
gulière que nous avons de nous comporter avec les 
revues quand nous les avons une fois lues. Les plus 
soigneux d'entre nous, qui les gardent, les entassent 
dans des cabinets obscurs ou sur les bas rayons de 
leurs bibliothèques. Ils disent avec mauvaise humeur : 
Ce que ça prend de la place, les revues I et ils les con- 
servent avec une sorte de fétichisme pour ne jamais 
plus les reprendre, ni les ouvrir. 

C'est un grand tort. Si d'aventure vous veniez 
à toucher leurs anciennes livraisons, vous auriez 
la surprise ém.ou vante d'en voir jaillir une partie 
de votre passé. Les revues ont un remarquable 
pouvoir d'évocation. Rien ne fait plus exactement 
revivre des heures qui ne sont plus. Les numéros 
violets du Mercure, capucine des Marges, gris, 
rouges ou bleus du Divan — qui change de couleur 
comme un caméléon — vont rallumer avec netteté 
la lumière des jours où pour la première fois vous 
dûtes les recevoir et les découper. D'anciennes 
réactions de votre sensibilité vont se reproduire 
identiques à elles-mêmes. Ceci qui vous avait irrité, 
cela qui vous avait charmé va recommencer de vous 
charmer ou de vous irriter — à moins que vous ne 
soyez amené à mesurer une évolution de votre 



LES POÈTES DU DIVAN 5 

goût. D'où venait l'agrément qu'avait à vos yeux 
telle page qui vous semble insipide aujourd'hui ? 
Allez- vous retrouver son charme évaporé... Peut-être 
entre deux feuillets allez- vous simplement retrouver 
un antique ticket de métro... tout le mécanisme du 
souvenir, quoi ! Vous connaissez ça aussi bien que 
moi. 

La lecture de la collection m'a ramené à l'époque 
où paraissaient les premiers numéros du Divan. Le 
titre que portaient ces minces livrets faisait rêver — 
ou tout au moins sollicitait l'esprit. Il signifiait 
beaucoup de choses, car il n'en signifiait aucune 
exactement, et il en promettait d'autant plus qu'il 
n'avait rien d'un programme. 

Tel quel il était chargé de littérature. Il l'est 
encore. On ne peut le lire des yeux sans entendre 
l'écho de tel vers fameux : 

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères. 
Des divans 



OU tel autre 



Gœthe au son du canon brutal 
Fit le divan occidental 
Fraîche oasis 



C'est du Gautier que je viens de citer là. On l'a 
bien reconnu. Je sais qu'il y a quinze jours, et c'est un 
poète du Divan qui l'a fait, on a décidé que Gautier 
n'était plus un bon poète (1). Je suis toujours un peu 
lent à m'accoutumer aux modes nouvelles et n'ai 
pas encore adopté celle-ci. Je m'en excuse auprès 

(1) Roger AUard : La Nouvelle Revue Française,!^' mai 1923 



6 LES POÈTES DU DIVAN 

de ceux de mes auditeurs qui m'ont devancé, et 
qui n'estiment plus que l'on puisse faire cas de ce 
poète en qui le mois dernier personne n'hésitait 
à reconnaître un maître. 

Pour ce qui est de ce mot : Divan ; de ce titre : 
Le Divan, plus encore que de littérature c'est de 
poésie qu'il est chargé, et la revue l'était, pour le 
moins autant que son titre. Elle faisait aux œuvres 
poétiques une place considérable. Je n'ai pas voulu 
faire de statistique, compter des pages, mesurer 
leur surface ni leurs lignes, mais j'ai l'impression 
que cette jeune revue réservait alors — ce qui est 
énorme — un bon quart de ses forces à la présentation 
des poètes. 

C'est des poètes qui ont bénéficié de cette géné- 
reuse hospitalité que je vais avoir le plaisir de vous 
parler. 

Je dis le plaisir. On a beau faire comprendre 
aux critiques qu'ils n'entendent rien à la poésie — 
en connaissez- vous un seul. Messieurs, dont on n'ait 
pas dit qu'il se mêlait d'en parler mais qu'il ne savait 
seulement pas ce que c'était — eh bien, malgré cela, 
ou peut-être à cause de cela, ils ont un penchant 
très accusé à s'en occuper. Je suis comme eux tous. 
Le seul fait de m' occuper de poésie me cause un vif 
plaisir. On dira probablement, on dira certainement 
que je n'y entends rien, je suis toujours heureux de 
pouvoir quand même suivre mon penchant. 

Faut- il justifier ce penchant que nous montrons 
tous, nous, les critiques. Tout bêtes que nous soyons, 
l'art que nous cultivons, ou, si l'on préfère le métier 
que nous exerçons implique une certaine curiosité 



LES POÈTES DU DIVAN 7 

du mystère des autres arts littéraires. Or c'est 
précisément dans la poésie que ces mystères sont les 
plus obscurs, les moins saisissables, les plus secrets — 
les plus attirants par conséquent. La poésie est 
vraiment ce qui oppose le plus de résistance à l'ana- 
lyse. On ne parvient jamais à savoir comment ni 
de quoi c'est fait. Et c'est pourquoi l'on revient 
toujours s'acharner sur cette impossible dissection, 
sur cet hallucinant problème. 

En outre du plaisir peut-être un peu morbide 
qu'en tant que critique, et comme tous les critiques, 
j'éprouve à parler poésie, je suis content d'avoir 
à parler des poètes du Divan parce qu'ils me plaisent 
presque tous. Et puis il y en a plusieurs qui sont 
mes amis, et c'est toujours charmant d'avoir à 
parler de ses amis. Non pas que je me sente obligé 
de trouver bien tout ce qu'ils font. J'ai quelquefois 
le regret de ne pas les approuver. Alors je le leur 
dis. Mais c'est toujours un moment extrêmement 
désagréable que celui où l'on doit dire à un ami 
qu'on n'aime pas ce qu'il fait. C'est très ennuyeux. 
Je m'en dispenserai peut-être ce soir. Peut-être. 

Les poètes du Divan, Messieurs, ne forment pas 
une école, et c'est une singularité. Généralement 
en effet, les Revues, — je veux dire les petites revues 
littéraires, celles qui dans l'histoire des lettres 
comptent essentiellement, — naissent presque uni- 
quement pour faire la propagande d'une école qui 
est née en même temps qu'elles, et qui mourra de 
même après six semaines ou deux mois d'existence. 
Parmi celles qui ont eu une vie plus longue et une 
importance plus réelle, on peut dire que le Mercure^ 
la Revue Blanche, VErmitage ont défendu et illustré 



8 LES POÈTES DU DIVAN 

le symbolisme. Que la Nouvelle Revue Française 
est née en recueillant les débris de ce même sym- 
bolisme et qu'elle a grandi en servant l'unanimisme — 
auquel il ne faut pas croire, parce que j'en parle 
après le symbolisme, que j'attache une même impor- 
tance. Nord- Sud, Les Soirées de Paris du pauvre 
Apollinaire furent les organes du futurisme et du 
cubisme littéraire, et divers papiers périodiques 
dont j'ai oublié les noms — dont, à vrai dire, je n'ai 
jamais retenu les noms — furent les organes de cette 
chose sans nom qui a pourtant porté celui de dadaïsme. 
Au Divan rien de pareil et cela s'explique par 
les conditions mêmes dans lesquelles il naquit. Ce ne 
fut point pour servir les ambitions d'un groupe ni 
pour aider à celle d'un homme, ce ne fut point par 
stratégie que cette discrète revue vit le jour. Vous 
connaissez les circonstances de ses origines. Un 
lettré isolé en province, très loin de Paris, encore 
plus loin du monde littéraire et de ses agitations, se 
plût à consacrer ses loisirs au service des belles- 
lettres. Il avait le goût sûr et délicat. Il n'aimait 
ni le tapage ni la singularité forcée. Il distingua 
quelques esprits qui lui convenaient et publia leurs 
écrits. Vous savez que dès qu'une revue existe, 
une masse de copie bénévole s'offre à elle et vient 
gonfler le courrier de son directeur. Elle s'offrit au 
Divan comme aux autres, plus qu'aux autres peut- 
être si l'on en croit Jean Giraudoux, qui prétendait 
de Coulonges-sur-l'Autize où vivait Martineau que 
tous les employés de la poste en France ont V ordre rf'z/ 
envoyer les poèmes égarés ou anonymes (1). Dans 

^1) Arnica america. 



LES POÈTES DU DIVAN 9 

cette masse, Martineau, directeur, choisissait ce qui 
s'accordait à ses préférences, ce qui rentrait dans 
ses vues, et c'est ainsi que se forma une sorte de 
rédaction. On le voit donc, le Divan ne révéla pas 
un groupe qui existait auparavant en silence, ce 
fut son existence qui occasionna un groupement. 
Il n'y a donc rien qui ressemble moins que ce début 
à la naissance ou à la constitution d'une école. 

Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'une école ? On emploie 
continuellement ce mot. On le voit écrit, on l'entend 
prononcé à tous les coins de journaux et de courriers 
littéraires. Il est très commode, je n'en disconviens 
pas. Mais l'abus que l'on en fait pourrait laisser 
supposer que la chose est de réalité courante. Il 
n'en est rien, car il ne faut pas admettre que, lorsque 
trois jeunes gens de lettres se réunissent autour d'une 
table de café une école littéraire soit née. Sans 
même nous attarder à blaguer la charmante manie 
des enfants qui pensent avec ingénuité — comme 
nous avons tous fait — qu'ils vont en paraissant 
bouleverser l'univers littéraire — l'existence même 
d'une doctrine ne suffit pas à assurer l'existence 
d'une école. L'unanimisme que j'ai déjà nommé 
tout à l'heure possède un corps de doctrine cohérent. 
Une doctrine assez nette sert de soutien à l'école 
qui se décore d'une manière aussi obscure qu'orgueil- 
leuse du nom de romane. Il existe aussi une théorie 
je dirai presque un dogmatisme de la fantaisie 
On sait ce que c'est : Il s'agit d'avaler ses larmes, 
de souffrir en riant, de ne pas attacher d'importance, 
à ce qui en a, et réciproquement. Eh bien, Messieurs, 
malgré cela je ne pense pas que l'on puisse dire 
qu'il existe une école unanimiste, une romane. 



10 LES POÈTES DU DIVAN 

une fantaisiste. Trois écoles qui coexisteraient I Ça ne 
se serait jamais vu. 

A vrai dire, dans l'histoire entière de la litté- 
rature française — et par ces exemples je vais pré- 
ciser ma pensée — je ne reconnais l'existence que 
de deux écoles. L'une fut la pléiade de Ronsard, 
l'autre le cénacle de Victor Hugo. Assurément la 
pléiade et le cénacle avaient chacun une doctrine 
cohérente et bien conditionnée. Mais ils avaient 
aussi et surtout un poète d'une taille démesurée 
en qui cette doctrine s'incarnait avec éclat. Un 
maître au plein sens du mot. Autour du maître 
des disciples constituaient essentiellement l'école. 
Ils reconnaissaient son éminence, sa supériorité et 
ne nourrissaient qu'une ambition : non pas de l'égaler 
ni de le surpasser, mais simplement de marcher sur 
ses traces, de lui ressembler, et d'être aussi grands que 
possible, — à quelque distance que ce soit, proche 
ou lointaine, de ce génie héroïque qui les condui- 
sait et les entraînait. 

Messieurs, si l'on considère avec l'attention et le 
respect dont ils sont dignes, de semblables phéno- 
mènes — auxquels on ne trouve d'analogues que dans 
l'histoire des religions — on doit se montrer plus 
ménager du mot école qui est un grand mot. 

Jules Romains a beau, je le reconnais volontiers, 
détenir une sorte de génie. Notre ami Fernand Fleuret 
{je choisis à dessein le nom d'un vivant pour sym- 
boliser l'école romane), Fernand Fleuret, dis- je, a beau 
être un artiste incomparable. On a beau voir avec 
raison en notre très cher Tristan Derème un des 
tout premiers poètes de ce temps, rien ne me déter- 
minera jamais à reconnaître pour l'amour d'eux 



LES POÈTES DU DIVAN 11 

l'existence d'une école unanimiste, d'une école romane, 
d'une école fantaisiste. A moins bien entendu que je 
n'y sois contraint, comme Galilée à confesser que 
la terre ne tournait pas. Ne riez pas, Messieurs, du train 
dont vont les choses, ça peut venir. 

Messieurs... Mesdames, Messieurs, je parais m' être 
écarté de mon sujet. Je ne l'ai pas tant fait qu'on 
le pourrait croire. 

D'une part en effet selon moi, c'est faire un sin- 
gulier éloge du Divan, de sa sagesse, de sa juste appré- 
ciation des valeurs littéraires, que de bien souligner 
le fait qu'il n'a jamais constitué une école, qu'il n'a 
jamais eu ni cette ambition, ni cet aveuglement. 
D'autre part, et comme pour me contredire, je vais 
donner bien de la gravité à tel épisode de son existence 
en indiquant qu'à une certaine époque il faillit devenir 
l'organe de quelque chose qui ressemblait à une école. 

Il fut un temps où Le Divan s'honora de la colla- 
boration d'un poète qui, sans être un Ronsard ou un 
Victor Hugo, sans avoir d'autre part une doctrine 
très nettement formulée, eut quelque chose d'un 
maître tant par sa valeur propre que par son autorité 
spirituelle. C'est à Toulet à qui je fais ici allusion. 

Toulet sans conteste est jusqu'à présent le plus 
éminent des auteurs qui aient collaboré au Divan, 
le plus grand des poètes du Divan, et l'on trouvera 
bon qu'il soit le premier dont je parle nommément 
au sortir de ces généralités. 

D'ailleurs je n'en ai pas fini avec les généralités. 
On n'en a jamais fini avec les idées générales. Je vais 
cependant tâcher d'en terminer avec elles vme bonne 
fois, et je sais bien à l'avance que c'est à Toulet qu'elles 
me ramèneront. 



12 . LES POÈTES DU DIVAN 

Quoiqu'ils ne forment pas une école, les poètes 
du Divan présentent cependant des traits communs. 
On pourrait dire qu'ils appartiennent à une même 
famille d'esprits. Tout au plus à deux ou trois familles 
d'esprits très voisines les unes des autres — et même 
un peu alliées entre elles. 

Ils n'ont point de doctrine, mais ils obéissent 
inconsciemment aux mêmes directions intellectuelles. 
Tous se rattachent au rameau traditionnel de la litté- 
rature contemporaine, mais ils n'ont pas le tradi- 
tionalisme agressif de l'école romane. (Je continue 
à employer cette expression pour la commodité du 
langage.) Pour parler plus exactement, ils ne sont 
point passéistes. La poésie qu'il leur plait de faire 
reproduit les traits de la poésie française, comme une 
jeune femme peut représenter naturellement les 
traits de l'une de ses anciennes aïeules, tandis que 
la poésie que j'appelle passéiste, est figurée par la 
jeune femme qui adopte le chignon et la crinoline de 
sagrand'mère, ou bien, plus férue encore d'ancienneté, 
la fontange et le vertugadin de sa plus qu'arrière 
grand'mère. L'une de ces ressemblances tient à 
l'essence des choses, mais l'autre qui tient à ce 
qu'elles ont de plus accidentel, n'est qu'un dégui- 
sement. 

Le traditionalisme des poètes du Divan s'atteste 
par leur attachement aux formes régulières de la 
poésie. Peut-être se permettent-ils quelques licences 
poétiques, peut-être s'afîranchissent-ils des exi- 
gences de la métrique qui furent acceptées à peu 
près sans trêve depuis Malherbe jusqu'à Banville, 
du moins n'ont-ils jamais renoncé à ce qui constitue 



LES POÈTES DU DIVAN 13 

essentiellement le vers français, à savoir : la rime 
et la numération des syllabes. 

Autrement dit, on ne voit pas de vers libre au 
Divan, si ce n'est tout à fait accidentellement, et 
de la part d'un des poètes qui devait ultérieure- 
ment fournir une carrière de poète traditionnel 
aussi caractérisée que fatalement interrompue ; 
Jean-Marc Bernard. 

Je dois aussi vous signaler une autre exception. 
Le premier numéro du Divan s'ouvre sur un petit 
poème de Francis Jammes. La jeune revue avait 
eu la coquetterie naïve de vouloir orner son premier 
sommaire d'un nom déjà célèbre. Francis Jammes 
avait eu la bonne grâce de lui donner un petit poème 
intitulé Fumée : 

Mon cœur dans la saison du vent et de la brume 

est comme un pot de terre un peu fêlé qui fume. 

Une vieille femme y trempe son pain 

et aux sanglots de l'eau qui bout mêle les siens. 

Une jeune femme y trempe son pain 

et aux rires de l'eau qui bout mêle les siens. 

Au dehors l'arbre se courbe et le vent emporte 

une fumée entrecoupée et torte. 

— Quelle est cette fumée qui sort du toit : 
Femmes aimées, 

Dites-le moi ? 

— C'est celle que le cœur qui passa par le feu 
jette à Dieu. 

Et selon que la vieille ou la jeune se penche 

sur ce cœur pauvre, la fumée est noire ou blanche. 

Ce petit morceau est très agréable n'est-ce pas ? 
On ne peut pas dire le contraire. Il n'est. ni tout à 
fait régulier ni tout à fait libre, mais plutôt libre que 
régulier. Il caractérise parfaitement l'art de Francis 



14 LES POÈTES DU DIVAN 

Jammes, mais on ne peut en somme point dire que 
cette collaboration momentanée fasse de M. Jammes 
un poète du Divan. Non plus qu'à cause de lui le 
vers libre ait ici droit de cité. 

Je ne ferai point le procès du vers libre. C'est un 
soin superflu. A-t-il encore des défenseurs ? On les 
ignore, — exception faite pour Tristan Klingsor 
qui parvient à tirer de ce faux instrument des 
chansonnettes et des mélodies délicieuses. 

Ce fut une mode absurde et passagère que celle 
du vers libre. Maintenant que sa défaite nous a 
libérés de l'animosité que l'on nourrissait à son 
endroit, je consentirais à dire que, telle mainte chose 
absurde, il fut charmant. Et puis non. Rien ne saura 
me faire admettre qu'il ait été charmant. Il fut pas- 
sager, c'est sa seule excuse. Contemporain des 
meubles laqués blancs de Liberty, des étoffes à 
fleurs stylisées de Moriss, très modem- style de 1900, 
très vieux modem- style il disparut avec ces choses 
éphémères et ridicules. 

A quoi pouvait-il servir en effet ? Ou bien abso- 
lument dépouillé de rythme il se résolvait, se dis- 
solvait en une prose énervée et énervante, ou bien 
rythmé il déguisait en lui les rythmes ordinaires, 
car, tout ce qui est plus court que l'alexandrin 
existe valablement d'autre part, et tout vers qui se 
prétend plus long que l'alexandrin n'est que la 
succession dissimulée de deux vers moins longs que 
lui. On l'a par ailleurs abondamment démontré. 

Ennemis de ces extravagances hasardeuses, on 
pourrait dire que les poètes du Divan, si l'on veut 
en tracer une sorte de portrait composite, se remar- 
quent d'abord... tout simplement par une certaine 



LES POÈTES DU DIVAN 15 

distinction d'esprit. La grâce, la décence, l'harmo- 
nieuse discrétion sont leur propre, et ces vertus 
moyennes empêchent les moins importants d'entreeux 
d'être jamais vulgaires comme elles permettent aux 
plus remarquables, pour s'élever aux plus hautes 
sphères de la poésie, de prendre leur vol sur une ter- 
rasse déjà haute, bien architecturée, solidement cons- 
truite. Achèverais-je de les peindre d'ensemble, ajou- 
terais- je qu'ils sont pour la plupart des élégiaques ou 
des épigrammatistes ? Qu'en outre ce ne sont jamais 
des raseurs. Non, cette notion de raseurs m'entraî- 
nerait à elle seule trop loin. Pour bien vous montrer 
que les poètes du Divan n'en sont point, je devrais 
vous expliquer avec des exemples, à l'appui ce que 
c'est que les raseurs. Je serais peut-être amené à 
faire des personnalités. De toute façon c'est une 
histoire dont il me faudrait longtemps pour sortir, 
et j'ai hâte à présent de vous les présenter indi- 
viduellement pour ne point retarder davantage 
le plaisir que vous prendrez aux récitations qui vous 
seront faites de leurs œuvres (I). 



Mesdames, Messieurs, 

Je vous ai annoncé qu'au terme de ces généra- 
lités nous retrouverions Toulet. Nous le retrouvons 
en effet, d'abord en sa technique. Vous savez que 
c'est un versificateur régulier, si régulier même qu'il 

(1) Le plus sûr agrément de cette conférence fut un cer- 
tain nombre de lectures et de récitations faites avec talent 
par M™" Dussanne, Claire Magnus, Régine le Quéré, Vellini 
et MM. Audel, Barthus et Dodeman. 



16 LES POÈTES DU DIVAN 

a pu nous enrichir d'une nouvelle forme de strophe en 
qui, dès qu'on l'a vue, on a cru reconnaître un 
mode ancien, au passé déjà riche. C'est le quatrain 
aux rimes embrassées, mais aux vers alternés de 
huit et de six pieds : 

Un jurançon 93 

Aux couleurs du maïs, 
Et ma mie et l'air du pays, 

Que mon cœur était aise. 

Cette strophe n'est pas des plus frappantes qu'ait 
agencées Toulet, mais c'est la première que l'on 
puisse au Divan lire de lui. Elle y parut en novembre 
1910, et c'est pourquoi je l'ai choisie pour vous 
rappeler comment sonne la forme chère entre toutes 
à ce poète. 

Je lui ai attribué l'invention de cet ingénieux 
arrangement rythmique, dont la singularité tient 
moins à ce que les rimes ne sont point supportées 
par des vers de même mètre, qu'à la succession de 
ces deux mètres qu'on fait rarement voisiner. Un 
plus érudit aurait su peut-être lui trouver dans 
le passé des précédents, sinon des titres de no- 
blesse, car des titres de noblesse tout le monde les 
connaîtrait — mais nul ne pourrait contester que 
Toulet se soit approprié cet instrument délicieux 
par l'usage qu'il en a fait, par la musique qu'il 
en a tirée. 

Je vous ai dit que les poètes du Divan sont essen- 
tiellement des élégiaques et des épigrammatistes. 
Toulet fut l'un et l'autre à la fois, si l'on veut bien 
entendre par épigrammatiste un poète qui compose 
des pièces brèves et polie*^, plus spirituelles que 



LES POÈTES DU DIVAN 17 

passionnées, et si par élégiaque on veut définir celui 
qui exhale des plaintes lyriques quel que soit le cadre 
prosodique dans lequel il les enferme. 

Qui voudrait étudier de manière approfondie 
le talent de Toulet pourrait trouver dans ce double 
aspect la base de son étude. Je n'essaierai point de 
la faire devant vous. Comme la plupart... comme 
tous les poètes dont je vais avoir à parler, Toulet 
à lui seul pourrait faire l'objet d'une vaste étude, 
de toute une conférence. C'est un grand sujet. 
C'est une figure de premier plan. J'ai eu l'occasion 
déjà de dire que les poètes les plus considérables 
qui aient paru chez nous depuis la mort de Mal- 
larmé sont avec lui : Moréas, M"^® de Noailles et 
Henri de Régnier. 

Non seulement. Madame, j'ai exprimé cette opi- 
nion, mais je l'ai imprimée noir sur blanc. Ce n'est 
point parce que j'ai l'honneur de vous voir dans 
mon auditoire que je le dis, et que je mets 
M. de Régnier à cette place éminente. Si à ces quatre 
grands noms je n'ai pas joint celui de Gérard d'Hou- 
ville c'est que nous sommes toujours à attendre le 
recueil de ses vers. C'est à peine hélas si nous les 
connaissons. 

Toulet, quant à lui, est une figure beaucoup trop 
complexe pour pouvoir être définie d'un mot 014 
même de deux. Alors même qu'en veine de formule 
on viendrait dire que c'est l'Horace français ou même 
l'Horace moderne, on ne l'expliquerait pas. Les 
nuances de sa sensibilité sont tellement variables 
qu'on ne peut les saisir. Elles ne se répartissent 
pas entre les différentes sortes de poèmes qu'il 



18 LES POÈTES DU DIVAN 

produisit. Elles se suivent avec tant de promptitude 
qu'elles se mélangent et se confondent à l'intérieur 
d'un même poème. Ses larmes ont à peine coulé, — 
ou pour parler d'une façon moins romantique et 
pour user d'expressions plus conformes à sa vraie 
nature, — à peine sa tristesse s'est elle exprimée 
qu'un sourire ironique naît sur ses lèvres comme 
une raillerie de soi-même, et ce sourire en général 
ne peut faire autrement que de s'achever en grimace 
d'amertume. 

Ce qu'on aime en lui, en Toulet, c'est sa liberté 
et sa contention, ce que l'observance d'une règle 
très stricte ajoute à l'étincellement de l'expression, 
et ce que l'éclat, le miroitement de l'expression 
confère de vigueur à la pensée. Car il y a une pensée 
chez Toulet, ce n'est pas un creux rhétoriqueur, 
un enfileur de mots retentissants, ce n'est pas une 
cigale, même ivre de rosée au renouveau, c'est un 
homme qui a vécu, qui est plein d'expérience sinon 
de sagesse et de sérénité. C'est un moraliste en même 
temps qu'un poète. 

Malheureusement pour bien saisir le moraliste 
il faudrait sortir de l'œuvre poétique de Toulet, 
aborder ses romans, ses contes, ses maximes et ce 
serait rompre le cadre qui nous a été assigné. Je ne 
veux pas le faire et c'est par un autre chemin que 
je vous montrerai son importance, peut-être direz- 
vous avec moi, sa grandeur. Le mot n'est pas trop 
fort car il sut faire vibrer lui aussi ce que l'on 
appelle la corde d'airain. — A l'appui de cette asser- 
tion entendez ce court poème particulièrement 
pathétique : 



LES POÈTES DU DIVAN 19 

Ce pavé que l'Europe foule 
Est gras encor du suif des morts. 
Leurs os, qui n'ont plus de remords, 
Y dorment au pas de la foule. 
D'un sommeil noir, à pleins paniers. 
— Dors-tu, Cathau, loin des charniers 
Où tes crapauds, sous l'herbe verte, 
Enchantaient le cœur des passants : 
Toi qu'un jour l'aube, aux Innocents, 
Trouva nue, et la gorge ouverte ? 

D'un poète dont la voix trouve sans efforts de 
pareils accents 

Ce pavé que l'Europe foule 

Est gras encor du suif des morts 

d'un tel poète, Messieurs, on n*a pas le droit de dire 
comme l'ont fait certains critiques que c'est un 
poète mineur. 

Je vous ai dit tout à l'heure qu'à un moment 
donné sous l'influence de Toulet Le Divan s'était vu 
presque au point de devenir une école, ou du moins 
l'organe d'une école. En effet, à la veille de la guerre, 
le succès de Toulet était si considérable — je parle 
de son succès auprès des jeunes poètes, non pas 
auprès du gros et grand public qui suit lentement 
à dix ans de distance, ce succès était si considérable 
qu'il lui suscitait des disciples. 

Or, Messieurs, chacun le sait, ce sont les disciples 
qui font les maîtres, et c'est les maîtres, j'ai eu l'avan- 
tage de vous le dire, qui sont le symbole des écoles. 

Nombre de jeunes poètes séduits par la déchirante 
musique de cette petite strophe de huit-six que 
Toulet mettait en lumière l'essayèrent. Et dans ce 
cadre singulier ils enfermaient une poésie qui avait 
de l'analogie avec celle du poète dont ils faisaient 



20 LES POÈTES DU DIVAN 

leur maître. Sourires pinces, larmes avalées comme 
j'ai dit précédemment, raillerie de soi-même et de 
sa propre mélancolie, air de ne se point prendre au 

sérieux Voilà ce que ces jeunes gens s'exerçaient 

à infuser dans leur poésie. 

A ce signalement, à cette brève profession de foi 
que je leur «suppose, vous reconnaissez qu'il s'agit 
des poètes fantaisistes puisqu'il faut les appeler 
par leur nom. Les poètes fantaisistes sont des dis- 
ciples de Toulet. Toulet a failli se voir promu chef, 
grand maître ou président — tel titre qu'il vous 
plaira de choisir — de l'école fantaisiste. Mais il était 
d'esprit trop fin : on sait bien qu'il aurait échappé 
ce ridicule. 

Vous voyez. Messieurs, que je raille l'école fan- 
taisiste. Je la raille en tant qu'école, et d'autant plus 
librement que je fais le plus grand cas des écrivains 
qui la composent. S'il y a là une contradiction je 
tenterai de l'élucider tout à l'heure. 

La suite naturelle de mon discours me conduit 
ainsi, après vous avoir parlé de Toulet, à vous entre- 
tenir des poètes fantaisistes. Or ce n'est pas cela 
du tout que je voulais faire. 

Mon dessein était de m'occuper à présent des 
écrivains dont Le Divan est en deuil. Au Divan comme 
partout. Messieurs, il y a des morts du fait de la 
guerre. C'est un destin aussi commun que déplo- 
rable. Vous me dispensez je l'espère des dévelop- 
pements dont on pourrait orner cette proposition : 
il n'y a qu'une seule pensée sur ce sujet tragique. 
Chacun la sent en lui et préfère assurément sa 
propre méditation faite à son heure à toutes les 



LES POÈTES DU DIVAN 21 

amplifications, même sublimes, qu'il pourrait lui 
être donné d'entendre. 

La seule chose qu'il nous appartienne de faire 
aujourd'hui c'est de laisser à ces disparus la première 
place parmi nous. Personne ne penserait à la leur 
disputer. 

Les poètes du Divan morts pour la France s'ap- 
pellent, vous le savez, André Lafon, Marcel Droûet, 
Gérard Mallet, Paul Drouot et Jean-Marc Bernard. 

Paul Drouot était le plus tendre et le plus plaintif. 
C'était si on le juge sur ses poèmes une âme dou- 
loureuse et quelque peu morose. Un désespéré 
semble- 1- il. De longues plaintes parcourent ses 
livres comme des frissons. Il est bien de ces élégiaques 
que je vous ai dit que vous rencontreriez ici. L'idée 
de la mort hante ce jeune homme mélancolique et 
délicat, et son anxiété, ses appréhensions, sa souf- 
france intime s'exhalent en poèmes brefs à l'ordi- 
naire, au lyrisme un peu haletant et saccadé. Il 
a quelque chose de hagard et d'halluciné. On croirait 
une voix qui s'étouffe et ce qu'elle dit est déchirant, 
et son accent est pathétique. 

Jean-Marc Bernard, de tempéramment plus 
ardent — plus fortement en possession de la vie, 
et c'est ce qui rend la disparition de tels hommes 
si mal tolérable — a laissé une œuvre plus achevée. 
On a l'impression qu'il s'était réalisé et qu'il avait 
mis au jour un certain nombres de pages dont il 
pouvait s'estimer satisfait — quand bien même 
il aurait été difficile juge de lui-même. On peut 
légitimement mettre le mot « Œuvres Complètes » 
en titre du recueil que l'on constitue de ses ouvrages. 

Tels de ses poèmes donnent une exacte impression 



22 LES POÈTES DU DIVAN 

de perfection. On croit sentir que le poète a réel- 
lement fait ce qu'il se proposait de faire. L'ins- 
trument qu'il avait façonné pour lui était d'une 
merveilleuse précision et la musique qu'il en tirait 
était vraiment délicieuse. En outre je sais peu 
d'écrivains contemporains qui se soient montrés 
traditionalistes dans un meilleur sens du mot. 
Nourri du passé sans trace de pédanterie, ron- 
sardisant sans affectation, gai, allègre sans faire la 
théorie de sa gaieté et de son allégresse, c'était ce 
que les gens qui parlent roman appellent un gentil 
esprit, et ce que nous appelons plus simplement 
dans notre langage d'aujourd'hui : un esprit char- 
mant. Un homme charmant en vérité que l'on aurait 
voulu connaître et dont on jalouse les amis. 

Il avait un sentiment exquis et frais de la nature, 
un épicurisme délicat, une sensualité frémissante. 
Il goûtait l'univers par ses saveurs, il avait de 
l'éternel écoulement des choses un sentiment à la 
fois profond et délicat : le sentiment que doit en 
avoir un grand poète. 

En outre il avait égalé le tragique des événements 
dans lesquels il était emporté et ses derniers vers 
sont bien d'un grand poète. 

Avant de reprendre l'ordre normal que j'aurai 
dû suivre dans cet exposé, je dois encore vous parler 
d'un mort. La guerre a beau être finie, Messieurs, 
les hommes continuent à mourir injustement. Un 
deuil considérable a frappé les lettres l'an dernier 
quand Jean Pellerin a disparu. Lui aussi était un 
poète charmant. Ne me reprochez point ce mot 
charmant que je répète. Je crois que c'est celui 



LES POÈTES DU DIVAN 23 

qui caractérise le mieux les poètes qui s'appellent 
fantaisistes. Jean Pellerin était l'un d'eux — et 
d'ailleurs si vous me le permettez, maintenant 
que j'ai marqué mon dessein de lui rendre un hom- 
mage particulier — parce qu'il n'est plus — laissez 
moi le réunir à ses condisciples pour les étudier 
conjointement. 

Pellerin, Derème, Carco, et, plus jeune que ces 
hommes pourtant très jeunes, Chabaneix forment 
à eux quatre l'essentiel de ce petit groupe qui a 
eu la bizarre fantaisie de s'établir à l'enseigne de 
la fantaisie. 

Ils sont charmants, vous ai-je dit, et je crains 
que ce mot ne vous fasse l'effet que d'une demi- 
louange, ou, tout au plus, que d'un très petit éloge. 
Charmant, cela se dit des chapeaux de femmes, 
cela se dit des clowns. De quoi encore ? Je ne sais, 
mais de rien d'extrêmement sérieux. N'est-ce donc 
rien pourtant que charmer ? Fragonard n'est-il 
pas charmant avant tout ? Ne faut- il point pour 
parvenir à charmer mettre en œuvre de rares 
qualités : la bonne grâce avenante, l'agrément, 
une certaine complaisance, de la bonne humeur 
et de l'amabilité d'esprit ? 

Enfin pour achever de réhabiliter ce mot un des 
écrivains de ce temps en qui l'on se plaît — même 
au Divan — à reconnaître un maître, n'a-t-il pas 
jugé le mot Charmes suffisant pour désigner un 
recueil à coup sûr fort digne de considération, mais 
assurément le moins charmant qui soit. 

Nos fantaisistes ont beaucoup de charme. La 
bonne grâce, l'agrément, l'avenante bonne humeur, 
l'amabilité d'esprit fleurissent dans leurs ouvrages. 



24 LES POÈTES DU DIVAN 

C'est le trait commun de leur talent. Je vais rechercher 
avec vous leurs traits particuliers, pour marquer 
par quoi ils se différencient les uns des autres : 
quel est l'apport personnel de chacun d'eux. 

Des quatre je crois bien que Jean Pellerin était 
le plus réellement mélancolique. Mais je n'en suis 
pas absolument sûr. Il est très difficile d'apprécier 
au juste l'œuvre d'un mort récent, surtout si c'est 
un jeune mort. L'événement ajoute une résonance 
particulière à leurs propos. Il leur confère une puis- 
sance d'émotion qu'ils n'ont peut-être pas d'eux- 
mêmes. Tout ce qui nous fait sentir leur goût de la 
vie nous déchire par le sentiment de la privation 
où ils en sont. Tout ce qui nous montre leur pré- 
vision ou leur inquiétude de la mort sonne comme 
un lugubre avertissement. N'oublions pas cependant 
que ce sont là de grands lieux communs poétiques, 
et qu'il n'y a pas de poète qui ne songe à la mort — 
et ne parle d'elle. Sully- Prudhomme dans sa'jeunesse 
prévoyait sa mort prochaine et demandait qu'on 
allât chercher sa vieille nourrice pour l'ensevelir. 
Ce n'est un peu ridicule que parce qu'il a vécu 
octogénaire. 

Si Chénier avait été sauvé de l'échafaud, son 

Je ne veux pas mourir encore 

ne susciterait pas en nous les mêmes vibrations. 
Nous avons beau nous dire tout cela, nous sommes 
toujours émus par ces impressionnantes rencontres, 
et voici deux petites strophes qui projettent sur 
toute l'œuvre de Jean Pellerin une ombre dispro- 
portionnée : 



LES POÈTES DU DIVAN 25 

Quand mon fil se cassera sous 

Les ongles de la Parque, 
Quand ma bouche aura les deux sous 

Pour la dernière barque, 

Où serez-vous ? Dans le jardin 

Où je devrai descendre ? 
Que serez-vous ? Charme, dédain, 

Douce chair ou bien cendre ?... 

Aujourd'hui le destin a répondu à cette interro- 
gation. Et c'est à cause de cela que les plus allègres, 
les plus vifs des poèmes de Pellerin semblent avoir 
des dessous d'une funèbre tristesse. 

Si j'en viens maintenant à Francis Carco je m'aven- 
turerai à dire que de cette petite bande, c'est peut- 
être le plus spontané et le plus ingénu. Le moins 
savant assurément. Il ne se préoccupe pas d'avoir 
une technique extraordinaire. Il ne recherche ni 
les rimes assourdissantes, ni même seulement les 
rimes très rares. Son vers de très bonne qualité 
est uni, simple et souple. Il est quant à lui tout 
premier mouvement, tout effusion, et c'est ce qui 
donne un accent si particulier et si rare à sa poésie. 
Je ne vois personne — je ne dirai pas dans sa géné- 
ration, car auprès de sa génération Verlaine n'avait 
déjà plus beaucoup d'audience — mais parmi ses 
aînés je ne vois pas beaucoup de poètes qui aient 
ressemblé plus naturellement à Verlaine — non 
point par imitation préméditée, mais par conformité 
de tempérament et de sensibilité. Je sais que ce n'est 
pas un médiocre éloge que j'adresse là à Carco, 
mais c'est en pleine connaissance de cause que je 
le fais. Je fais de ses petits recueils de vers plus de 
cas que du restant de son œuvre, et quand je les 
relis, je me reporte au temps où j'avais le plaisir 



26 LES POÈT*iS DU DIVAN 

d'approuver tout ce qu'il produisait. J'avoue que 
ses récents ouvrages ne me satisfont pas tous éga- 
lement. Ils méritent cependant toujours qu'on y 
fasse attention. Ils ne sont jamais indifférents — 
et plaisent précisément dans la mesure où ils con- 
servent quelque chose de ce premier souffle poé- 
tique. Jusque dans ses plus récents romans on retrouve 
d'espace en espace cette sensibilité à la fois trouble 
et naïve, ce charmant regard de provincial grand 
ouvert sur l'enfer parisien, cette perversité candide, 
surtout un sentiment si particulier de la nature, 
une vision réellement pathétique des paysages, 
une façon si individuelle d'avoir conscience de 
l'inimitié des choses et de les aimer cependant. 

Ah I certes, Carco, comme tout auteur d'une 
œuvre complexe, prête à la critique — et d'ailleurs 
qui n'y prête point ? — mais on ne peut contester 
que ce soit une personnalité exceptionnellement 
attachante, un talent, ou comme on dit une nature. 

Arrivons maintenant à Tristan Derème. En ce 
qui le concerne j'ai l'intention de me montrer 
extrêmement circonspect et réservé. Chaque fois 
que je le rencontre il profère à mon endroit d'épou- 
vantables menaces. Sans doute le fait-il sur un ton 
riant et cordial — mais je ne pense pas, comme fait 
le commun des mortels, que ce soit le ton qui fasse la 
chanson et il ne me plairait pas du tout d'être décer- 
velé — fut-ce de la main d'un ami, surtout de la 
main d'un ami. Au reste est-ce peut-être la bonne 
façon d'imposer silence à la critique que de lui 
annoncer qu'on aura sa peau. 

Derème ne se contente pas de l'admiration très 
sincère que je porte à ses ouvrages, ni, vous l'avez 



LES POÈTES DU DIVAN 27 

VU, à ceux de ses émules, il veut encore que je les 
admire tous en tant que fantaisistes. Il veut que je 
confesse la vérité fantaisiste. Cette exigence me 
paraît monstrueuse. Et d'ailleurs si l'on y prend 
garde je crois qu'il y a dans Tristan Derème quelque 
chose de monstrueux en effet. J'entends monstrueux 
au sens le plus noble de ce mot, et prie qu'on se 
souvienne qu'il définit les centaures, les sirènes 
et les chimères étranglées ou non. Comme ces créa- 
tures fabuleuses notre Tristan participe d'une double 
nature. Il tient de l'un des dons extrêmement rares. 
IJ en tient de l'autre qui le sont moins à mes yeux. 
Jamais je n'ai vu pareille alliance d'une sensibilité 
des plus fines, véritablement exquise, et d'un esprit... 
assurément plein de sel — mais plein d'un très gros 
sel. Derème ne dédaigne ni le calembour ni la calem- 
bredaine et il sait les marier à la plus suave rêverie. 
N'est-ce pas monstrueux ? Monstrueux comme une 
sirène. 

Telles de ses petites élégies sont pour l'oreille 
bercée et pour le cœur qu'elles touchent un sou- 
verain enchantement. Telles autres pièces par leur 
cocasserie un peu trop voulue déterminent chez 
nous une gaieté forcée. Entre ces deux extrêmes 
on rencontre enfin une poésie souriante et trempée 
de pleurs qui est le meilleur et le plus personnel 
de ce qu'il a produit. Ajoutons pour terminer le 
portrait de ce poète qu'il est d'une insurpassable 
habileté technique et qu'il connaît son métier comme 
personne. Il en possède tous les moyens; je dirai 
tous les trucs. C'est un prodigieux virtuose. Il 
rejoint Banville et Glatigny par dessus Rostand. 
Je ne lui ferai qu'un reproche en cette matière, 



28 LES poèTass du divan 

son goût trop marqué pour cette catégorie d'asso- 
nance qu'il appelle contre-assonance. Je ne connais 
rien de plus dur à supporter ni qui inflige un malaise 
pire à une oreille sensible. 

(Ici M^^ de Régnier interrompit le conférencier : 

— Je ne suis pas du tout de cet avis, dit- elle, et 
je trouve cela charmant.) 

— Puisque Gérard d'Houville trouve la contre- 
assonance charmante, je vous engage à vous ranger 
à son avis, mais pour ma part, je ne puis la sup- 
porter longtemps. Elle me procure l'impression 
d'être conduit sur une route mal entretenue dans 
une voiture mal suspendue. Toutefois ce n'est là 
qu'un détail, et cela mis à part — je crois n'avoir 
pas trop maltraité devant vous M. Derème au cœur 
trop tendre et j'espère pouvoir passer tranquillement 
au suivant de ces messieurs. 

Le suivant c'est Philippe Chabaneix. C'est le 
dernier venu des fantaisistes. Il n'a publié encore 
que deux très minces plaquettes, mais qui sont 
d'une telle qualité, d'un tel agrément qu'elles ont 
immédiatement installé sa jeune réputation sur 
de solides assises. Un début d'enfant prodige, quoi I 
On voit traduites, dans ces petits livres les émotions 
d'un cœur juvénile qui s'exalte sans être tout à fait 
dupe de sa propre griserie. On leur choisirait volon- 
tiers pour épigraphe cette strophe de Verlaine : 

Ce fut le temps sous de clairs ciels 
Vous en souvenez-vous, madame, 
Des baisers superficiels 
Et des sentiments à fleur d'âme. 

C'est superficiel, c'est à fleur d'âme en effet, 
mais ce n'est ni vain, ni passager. Tout ce qui est 



LES POÈTES DU DIVAN 20 

léger n*est pas nécessairement éphémère. On peut 
dire au contraire qu'il est possible de rencontrer 
par la légèreté le chemin de certaines choses éter- 
nelles. Il y a une légèreté impérissable. C'est la 
légèreté des roses de l'anthologie, de telles ou telles 
amours de Ronsard, c'est la légèreté des villanelles 
de du Bellay, et de ses jeux rustiques, celle aussi des 
improvisations que j'ai déjà citées de Fragonard, 
du cruel Fragonard comme aimait à dire Toulet. 
C'est dans cette aimable compagnie qu'il faut ranger 
les œuvres de début de Chabaneix. Je ne prévois 
pas du tout la physionomie de celles qui suivront. 
Je m'attends à tout de la part de ce garçon, et ce 
que je puis seulement prophétiser à coup sûr, c'est 
que ses œuvres à venir seront de haut prix. 

J'en ai fini avec les fantaisistes. Je les quitte ici. 
Si je les ai un peu égratignés, ils me le pardonneront, 
j'espère, car ils connaissent mes sentiments pour 
eux. Je ne veux pourtant pas les abandonner sans 
rendre sur un point justice à leur groupe. Ils ont eu 
le sentiment profond que l'ennui, quel que soit 
son prestige, n'est pas indispensable à l'art. Ils 
ont entrepris de rire, ou tout au moins de sourire, 
tout en demeurant des artistes au sens le plus vrai 
du mot. C'est un mérite considérable et dont on doit 
en tout état de cause leur tenir compte. 

Mesdames, Messieurs, les figures que j'ai dû vous 
présenter jusqu'ici se sont rangées elles-mêmes dans 
un cadre, artificiel en vérité, mais singulièrement 
commode. On a beau dire tout ce qu'il y a à dire 
contre les écoles, assurer qu'elles n'en sont pas, 
qu'elles nourrissent les défauts de leurs membres. 



30 LES POÈTES DU DIVAN 

et bien d'autres choses encore, il n'empêche qu'elles 
offrent à l'esprit des divisions extrêmement pratiques. 
C'est des cases où ranger les auteurs : une facilité 
de classification. On sort de ces compartiments les 
gens qui y sont logés, on les rapproche, on les oppose, 
on les compare, on organise des parallèles, Une étude 
se trouve tout de suite faite. C'est aussi avantageux 
pour celui qui l'entreprend que pour ceux qui en 
sont les objets. Les isolés ne bénéficient point d'un 
pareil privilège, à moins qu'on ne se préoccupe 
avec diligence d'établir ou de rétablir en leur faveur 
d'autres divisions dans lesquelles on parvient avec 
un peu de ruse et d'astuce à faire rentrer qui l'on 
veut. 

On n'est jamais en peine de faire des classifications. 
C'est un jeu d'esprit. Il y en aurait une première 
qui serait tout à fait simple : c'est celle qui sépa- 
rerait les bons poètes des mauvais. Mais celle-ci, 
je n'ai pas à m'en préoccuper. Martineau lui- 
même se charge de l'effectuer, il ne laisse rien paraître 
au Divan qui vienne des mauvais poètes. 

Plus utile, dans le cas qui nous occupe serait le 
partage que l'on pourrait faire entre les écrivains 
objectifs et les subjectifs. Ceux à qui la poésie sert 
d'un moyen de s'analyser eux-mêmes, d'exprimer 
l'impression qu'ils reçoivent individuellement des 
choses, et ceux qui s'oubliant davantage en présence 
de l'objet de leur art, cherchent surtout à restituer 
ce qu'il peut contenir de beauté essentielle, de 
puissance d'émotion générale. Mais je m'aventure 
à vous donner ici des explications assez confuses. 
Ce soin est superflu. Vous savez tous, comme moi 



LES POÈTES DU DIVAN 31 

ce qu'il faut entendre par poésie objective et par 
poésie subjective. 
Si j'applique cette division très simple aux poètes 

du Divan qu'il me reste à vous présenter non, 

pas à vous présenter, car vous les connaissez, mais 
dont il me reste à vous parler, je dirai que Jean- 
Louis Vaudoyer, Emile Henriot, Albert Erlande 
sont des poètes objectifs, tandis que Guy Lavaud, 
Alphonse Métérié, Jean Lebrau, Francis Éon sont 
des poètes subjectifs. 

La poésie de Francis Éon, par exemple, est une 
sorte de confidence perpétuelle, la confidence d'un 
cœur grave et délicat. Il chante presqu' uniquement 
l'amour et la nature, d'une voix discrète et réfléchie. 
C'est un solitaire, un bucolique, qui a de la gravité 
et qui exprime avec une passion contenue l'amitié 
fervente qu'il porte à son pays natal, aux sites qui 
ont environné son existence. Il pourrait, semble-t-il, 
mener aussi près que possible de la perfection, si 
le dessein lui en venait, la décevante entreprise 
d'écrire des Géorgiques françaises, et l'on croit 
véritablement voir réalisé un fragment de cet ouvrage 
que personne encore n'a réussi en lisant des vers 
tels que ceux-ci : 

J'ai des ceps bien feuillus qui seront vendangés 

Dans la joie exaltée et saine de l'automne. 

Les fermiers prévoyants cerclent déjà les tonnes. 

Le forgeron trapu lève son grand marteau. 

Et dans les bois souffrants qu'elles blessent trop tôt 

Les bûcherons nerveux abattent leurs cognées. 

De tels vers, Messieurs, sont de très beaux vers. 
Outre qu'ils peignent avec largeur et simplicité le 



32 LES POÈTES DU DIVAN 

tableau qu'ils se proposent de représenter, ils sont 
d'une harmonie heureuse et pleine. Ils sont bien faits. 
Je me permets de le dire car la poésie est heureu- 
sement encore un art dont il est permis d'apprécier 
la technique, — car un poète est un homme à qui l'on 
fait un compliment valable en disant qu'il est bon 
ouvrier. La technique de Francis Éon est aisée. 
Conservant le cadre immuable de l'alexandrin il 
l'assouplit par le jeu des enjambements et des coupes 
intérieures et il en fait une matière ductile, qui 
traduit les moindres frémissements de la sensibilité, 
qui peut rendre les plus subtiles nuances de la 
pensée. 

Non loin de Francis Éon je crois qu'on peut placer 
Alphonse Métérié et Jean Lebrau. Eux aussi sont des 
confidents de soi-même, et il y a dans tout leur 
discours une grâce touchante à laquelle nul ne 
saurait demeurer insensible. Ce mot : touchant, 
me semble pour le moment celui qui caractérise le 
plus exactement Alphonse Métérié dont le talent 
plein de promesses, ne s'est pas encore complètement 
affirmé. Il atteint le cœur de la sensibilité d'autrui 
par je ne sais quel moyen où n'entre aucun artifice. 
Ecoutez-le. Un cœur va trouver le chemin de votre 
cœur, sans vain subterfuge, sans pompeux inter- 
médiaire, de la façon la plus directe qui soit. 

Les vers de Jean Lebrau sont peut-être plus 
intimes encore que ceux de Métérié, et ses petits 
recueils semblent constitués de pages arrachées au 
carnet sur lequel il note ses impressions au jour la 
journée. 

En écoutant ce langage si fluide et si musical^ 
il me vient à l'esprit que j'aurais dû choisir une autre 



LES POÈTES DU DIVAN 33 

classification pour ranger les poètes dont je vous 
entretiens à présent. En effet, rien n'était si juste 
et si facile que de les partager en poètes plastiques, 
et en poètes musiciens, et l'avantage de cette di- 
vision, c'est que dès l'abord elle m'aurait permis 
de définir Guy Lavaud, puisqu'il est celui qu'avant 
tout j'aurais placé parmi les musiciens. 

En effet il y a dans sa poésie quelque chose 
de musical. Je ne parle point seulement de cette 
musique même qui est l'une des particularités 
essentielles du vers — qui se dégage d'un harmonieux 
agencement de syllabes bien choisies, qui tient à la 
complaisance des mots entre eux, et qui — lorsque 
la poésie se dégrade peu à peu pour devenir entre 
les mains de certains écrivains de la mauvaise poé- 
sie — est peut-être le caractère qu'elle conserve 
le plus longtemps, sinon jusqu'au bout. La musicalité 
à laquelle je fais allusion ici,est chose moins matérielle. 
Il semble que la sonorité des poèmes prise en elle- 
même soit, par l'artifice de certains artistes très 
subtils, un moyen d'exprimer et de faire saisir un 
sens secret qui ne coïncide pas nécessairement avec 
la signification littérale des mots. Je ne suis pas 
absolument sûr de me faire parfaitement comprendre ; 
vous avez dû cependant reconnaître que j'usais de 
quelques mots qui font partie du vocabulaire mal- 
larméen. Ce problème de la musicalité des poèmes 
va s'élucider pour nous grâce au souvenir de 
Mallarmé. C'est un des points bien définis de son 
esthétique. 

Je parle devant vous. Messieurs, depuis déjà 
bien longtemps, et je n'ai pas encore eu l'occasion 
de nommer Mallarmé. Je vous avouerai que je le 



34 LES POÈTES DU DIVAN 

constate sans plaisir. Je demeure toujours fidèle 
à son culte. En dépit de certaines apparences je 
crois son influence toujours active et féconde, et 
je m'étonne d'avoir pu étudier un si grand nombre 
de poètes sans avoir eu à la noter. Je sais bien que 
j'aurais pu la relever dans les ouvrages de Toulet, 
et par conséquent chez les écoUers de ce dernier. 
J'ai eu mes raisons pour ne pas le faire. Ne revenons 
pas en arrière. 

Je rends grâce à Guy Lavaud d'être mallarméen. 
En le lisant on croit reconnaître un des disciples 
immédiats du maître, une sorte de Rodenbach 
mieux portant et plus sain. Le nom de Rodenbach 
ne vous choquera point et ne vous paraîtra point, 
je l'espère, le terme d'une comparaison sans éclat. 
De Rodenbach aussi je fais beaucoup de cas. Je crois 
qu'il a eu plus d'influence qu'on ne le suppose. 
C'est un oublié qu'on a tort d'oublier. On y reviendra, 
j'imagine. 

La poésie de Guy Lavaud se rapproche de celle 
que je viens de dire par sa fluidité et par l'impétuo- 
sité de son épanchement. Elle s'accommode mal de 
la strophe et des formes fixes. Une force intérieure 
conduit son effusion et l'étend sur un nombre indé- 
terminé de vers. La voix ne se repose que lorsque 
le souffle est passé. 

On n'aurait pas encore dépeint dans ses grandes 
lignes cette poésie immatérielle, si l'on n'avait 
pas indiqué son caractère allusif. Lavaud est un 
peintre que la réalité sensible ne borne point. Tantôt 
il la dépasse, et la montre environnée d'un halo de 
clarté surnaturelle. Tantôt il l'évoque précisément, 
mais par de tout autres moyens que ceux dont 



LES POÈTES DU DIVAN 35 

use un réaliste. Je pense en disant ces mots à 
certains poèmes où le jeu des vagues est décrit 
et dépeint par un enchevêtrement de compa- 
raisons inachevées, par un mélange de notes qui 
se chevauchent, qui se superposent, et qui font 
irrésistiblement songer aux allusions que contiennent 
eux aussi tel nocturne ou telle symphonie de Debussy. 
Debussy, Mallarmé, vous voyez qu'on est toujours 
dans l'intérieur du même cercle quand on s'occupe 
de Guy Lavaud. 

Pour ne point quitter la catégorie des poètes 
musiciens, j'en viendrai maintenant à Daniel Thaly, 
encore que ce soit une autre musique qu'il nous 
fasse entendre. Ici ce sont les grandes orgues baude- 
lairiennes qui déferlent. Elle ne sont pas mises au 
service d'une âme aussi cruellement blessée que 
celle qui est évoquée par ce nom sublime, mais elles 
bercent de leur musique souveraine une inguérissable 
mélancolie. Daniel Thaly est un exilé. Comme Ovide, 
comme du Bellay, il se souvient de sa patrie et il la 
pleure. Autrefois, je m'étonnais qu'un homme qui 
avait le bonheur prodigieux de vivre sous le ciel 
des Antilles — que je ne verrai jamais, hélas I — 
n'y connut point le parfait bonheur et qu'il put 
souffrir de l'absence de quoi que ce fût. Aujourd'hui 
l'harmonieuse lamentation du poète m'a mieux 
pénétré et quelle que soit la splendeur des paysages 
qu'il sait nous dépeindre, je compatis à sa nos- 
talgie française et vous invite à faite de même. 

Jean- Louis Vaudoyer, Emile Henriot, Albert 
Erlande dont je vais vous parler à présent sont ces 
poètes plastiques que l'on peut opposer aux poètes 
musiciens, comme ils sont aussi des poètes objectifs, 



36 LES POÈTES DU DIVAN 

que dans mon autre classification j'aurais opposés 
aux subjectifs. Je n'ai point l'intention de les expli- 
quer par ces mots d'une précision relative. D'ailleurs 
les mots n'expliquent rien, mais ils sont au contraire 
l'occasion de toutes les confusions. 

J'appelle plastique un écrivain qui abonde en 
images et qui suggère des visions précises, aux formes 
et aux couleurs desquelles il se complait de manière 
évidente. Un homme qui éprouve de la volupté à 
utiliser des mots sonores pour des descriptions de 
belles choses, qui les choisit significatifs et reten- 
tissants avec le même soin qu'il apporterait à choisir 
et soupeser un fruit mûr dans une corbeille. 

Comme tout poète plastique Emile Henriot est 
un descriptif. Il goûte un visible plaisir à restituer 
l'aspect et la physionomie des choses, et certains 
de ses poèmes ne sont qu'une description prolongée 
que le poète évite de commenter. 

La route monte. Un grillon chante. L'air sourit. 
C'est l'été, sa lourde paresse. Un lézard gris 
Frissonne et s'engloutit au creux d'un tas de pierre. 
Le vallon courbe et bleu 

Non, ce poème a trop d'agrément pour que je 
l'abîme en vous le lisant mal et je vais plutôt vous 
indiquer ce qui, dans la poésie d'Emile Henriot, 
s'ajoute à ce tempérament de peintre et le com- 
plète. C'est une sensibilité délicate, une passion 
contenue, et, trait particulier, qui s'analyse. Dans 
tout ce qu'il écrit on reconnaît la main du roman- 
cier, du psychologue très fin qui nous a déjà 
donné quelques romans si distingués. 

En outre, et c'est la première fois que chez un 



LES POÈTES DU DIVAN 37 

poète du Divan nous apercevons ce point, ses poèmes 
ont fort souvent quelque chose de mondain qui 
n'est pas sans agrément. Cela sent le bal, — pas le 
dancing, mais le bal — les élégances, la fréquentation 
des jeunes filles, et cela donne à cet art délicat sans 
être maniéré un caractère de bourgeoisie raffinée — 
je ne dis pas de grande bourgeoisie, parce que l'expres- 
sion évoque une autre idée, surtout depuis la guerre — 
mais ce caractère de haute bourgeoisie, dis-je, 
qui existait déjà chez Musset et qui se retrouve 
chez plusieurs de ses petits-neveux. 

Chez Albert Erlande, nous ne retrouverons pas 
ce dernier trait. 

C'est un poète abondant et sonore. Lui aussi 
ressent une magnifique volupté à composer avec 
des mots éclatants une description dont on se 
souvient comme d'une chose visible, comme d'une 
chose vue. Peut-être est-il plus romantique que 
les poètes du Divan. Mais on peut facilement 
passer pour romantique lorsque l'on est éloquent 
et imagé. Au reste je ne trouve pas que ce soit un 
péché que d'être romantique. Tout le monde l'est 
un peu aujourd'hui. Le romantisme se reconnaît 
à une certaine façon de draper les lieux communs. 
D'ailleurs c'est presque toujours par la façon dont 
ils restituent une originalité nouvelle aux éternels 
lieux communs que les poètes s'individualisent. 
Albert Erlande le fait avec une ampleur et une 
magnanimité qui ne laisseront pas de vous charmer. 

Nul ne saurait s'étonner que Jean- Louis Vaudoyer 
soit un artiste plastique, car chacun le connaît 
pour un esthéticien. J'imagine volontiers que chez 
lui la faculté poétique est parente du plaisir qu'il 



38 LES POÈTES DU DIVAN 

a tant de fois montré qu'il prenait à goûter les arts — 
tous les arts. Nul n'a su comme lui montrer qu'il 
se dévouait à eux avec tant de ferveur ! Tous ceux, 
entre autres, qui flattent les yeux l'ont tellement 
subjugué que l'on ne peut s'étonner de voir sa 
poésie servir à peindre des formes, à organiser des 
décors, à y voir abonder les mots qui restituent une 
couleur pour les yeux. Parcourez seulement la 
table des matières de son premier recueil, vous serez 
frappé de l'abondance de ces derniers, en notant 
des titres comme ceux-ci, tous charmants d'ailleurs : 
Le manteau cramoisi, la péotte verte, la nuit au 
Divan (Tébène, Mercure aux ailes bleues, la musique 
sous V arceau noir... J'ai été quelquefois tenté de 
faire une comparaison de Vaudoyer aux Goncourt. 
Eux aussi avaient été tellement conquis par les 
arts dont ils étaient amateurs passionnés, qu'ils 
ont pu dire, quelque part, dans leur journal je crois, 
que la nature ne savait plus les impressionner direc- 
tement et que, ce qu'elle évoquait en eux c'était 
des réminiscences d' œuvres d'art. Ils étaient d'ailleurs 
très fiers de cela, qui nous paraît à nous une sorte 
de monstrueuse difformité. 

Chez Jean- Louis Vaudoyer aussi, les spectacles du 
monde, qui le trouvent cependant très directement 
sensible, évoquent souvent des souvenirs de musée 
et de culture. On a pu le lui reprocher. Je crois même 
l'avoir fait moi-même lors de ses débuts, comme 
si, à l'époque où nous vivons on avait le droit 
de reprocher à qui que ce soit d'être trop cultivé. 

Ce qui suffirait à le séparer des Goncourt plus 
que par un abîme, c'est que, tandis que ceux-ci 
furent menés par leurs inclinations et leur tempe- 



LES POÈTES DU DIVAN 39 

rament à T impressionnisme, il fut, quant à lui, par ses 
goûts et ses admirations choisies, ramené à ce 
classicisme vers lequel tout l'art moderne se retourne 
d'un si puissant mouvement. 

Soit qu'en ses vers aisés et tranquilles il se soit 
mis à l'école de Chénier, d'Alfred de Musset ou de 
Théophile Gautier, soit qu'il ait subi l'influence 
des poèmes les plus décoratifs d'Henri de Régnier, 
soit que, plus ambitieux, en son entreprise, il ait, 
en un temps où Paul Valéry ne l'avait pas encore 
remise dans le domaine commun, tenté de reprendre 
la strophe malherbienne, la grande strophe du modèle 
« Apollon à portes ouvertes », quoi qu'il fasse, quoi 
qu'il ait fait c'est toujours à des canons très purs 
qu'il a voulu conformer son effort. 

Vous savez. Messieurs, que Jean- Louis Vaudoyer 
est un des rares critiques d'art dont on puisse lire 
les écrits spéciaux avec intérêt et avec fruit. Une 
idée qu'il a toujours développée avec insistance, 
c'est celle-ci : qu'il existe une hiérarchie des genres. 
J'ai eu d'autant plus de satisfaction à lui voir défendre 
cette thèse, que je l'ai toujours fermement soutenue 
moi aussi, et je m'aperçois que tout en conduisant 
au hasard les propos que je viens de tenir devant 
vous j'ai mis obscurément cette théorie en pratique, 
puisque Toulet et les morts mis à part, je suis parti 
des fantaisistes frivoles et badins pour arriver à 
cet art que je me plais à personnifier ici dans Vau- 
doyer qui occupe dans la hiérarchie des genres, un 
degré tellement plus élevé. En effet ces visions 
sereines ou pathétiques, ces nobles cadences dépendent 
d'une esthétique très haute. 

Je me dspeinserai toutefois de dire à quelle place 



40 LES POÈTES DU DIVAN 

il faut ranger le poète parmi ceux qui font voir des 
tendances analogues aux siennes. Contrairement 
à bien des écrivains qui jettent le meilleur de leur 
feu dans leurs premiers écrits — et que l'on voit 
ensuite rapidement s'abaisser, ceux qui comme moi 
suivent depuis ses débuts la carrière de Jean- Louis 
Vaudoyer ont eu la satisfaction de noter que dans 
toutes les branches de son activité, comme critique, 
comme essayiste, comme romancier ou comme poète, 
sa production devenait toujours plus valeureuse à 
mesure qu'il approchait de la maturité. Ce serait 
donc faire injure à un artiste dont on peut encore 
tant attendre que de le définir trop tôt. On sent qu'il 
n'est pas de ceux qui perdent pour attendre. 

Je termine. 

Vous savez, Messieurs, que lorsque les orateurs 
annoncent qu'ils terminent, ils en ont encore 
pour trois quarts d'heure au moins. Je ne suis 
pas un orateur et cependant je vous demande 
de supporter que moi aussi je termine avec quelques 
longueurs. Je vous promets toutefois que cela ne 
durera plus trois quarts d'heure. 

Ce que je veux faire en ces dernières minutes c'est 
exprimer mon regret de n'avoir pu m' occuper 
malgré mon dessein de tous les poètes du Divan. 
Je n'ai parlé que trop brièvement de ceux dont 
je me suis occupé. Il y en a malheureusement d'autres 
dont je n'ai pas parlé du tout. Ce sont cependant 
aussi de très bons poètes, mais j'aurais abusé de 
votre patience si j'avais entrepris de le faire. Quoi- 
qu'une énumération soit une chose bien vaine 
laissez moi les nommer devant vous, pour qu'on ne 
puisse pas croire qu'ils ont été oubUés. Il y a d'abord 



LES POÈTES DU DIVAN 41 

le pauvre Deubel qui eut, vous vous en souvenez, 
une fin si tragique. Le malheur et l'adversité tirèrent 
de lui quelques remarquablement beaux vers. Il y a, 
mort aussi, hélas, Pierre Fons. Ce poète hermétique 
ne manquait ni de charme ni de distinction. Puis 
parmi les vivants, parmi les heureusement bien 
vivants, il y a Louis Thomas, dont l'esprit est si 
ingénieux, si agile et qui publia jadis un si frais 
recueil. Les douze livres pour Lily, que je n'ai jamais 
vu mettre à sa place. Il y a Jacques Noir, Louis 
Pize, Henri Duclos, Marcel Martinet, Lucien Fabre. 

Il y a enfin le délicieux Gilbert Charles dont les 
débuts heureux et chargés de promesses nous ont 
tous séduits. Et puis parmi d'autres, il y en a encore 
un à qui un assez bel avenir semble réservé, et dont 
il n'est pas impossible d'ailleurs que vous ayez 
déjà entendu prononcer le nom. C'est Pierre Benoit. 
Vous savez que Pierre Benoit est un poète et c'est 
un poète du Divan. Je vous en aurais volontiers dit 
quelques mots, car c'est un écrivain qui m'intéresse 
beaucoup et dont je parle toujours avec plaisir. 
Mais par suite d'engagements spéciaux je n'ai pas 
le droit d'en rien dire cette année, ni l'année pro- 
chaine, ni enfin je ne peux pas en parler avant 

1931 ou 32. 

Maintenant donc je devrais conclure. Mais que 
pourrais- je dire pour conclure que je n'ai dit, pour 
commencer. Je m'aperçois que j'aurais dû réserver 
pour cet instant une partie des généralités que j'ai 
énoncées tout à l'heure. Il est trop tard pour y prendre 
garde. Trop tard aussi pour remarquer que j'aurais 
pu inscrire cette conférence dans un tout autre cadre. 

Il y a en elîet au Divan un poète encore dont je 



42 LES POETES DU DIVAN 

me suis retenu de parler. C'est Henri Martineau 
lui-même. Vous connaissez les vers dont il est 
l'auteur, leur inspiration harmonieuse et contenue, 
leur ton grave et voilé de mâle douceur. J'aurais 
pu le placer au centre du petit travail que j'ai 
esquissé pour vous, et montrer les correspondances 
qui le relient aux ouvrages des autres poètes, ses 
collaborateurs. Ainsi j'aurais à la fois étudié Mar- 
tineau et ses amis, puisque les poètes du Divan 
sont ses amis. Il aurait été possible de faire aper- 
cevoir un lien intime et certain entre chacun des 
poèmes qui a paru dans la revue et le tempérament 
de notre ami. Ce sont des faces de sa propre sensi- 
bilité, de son goût, de son intelligence que mettent 
en lumière les auteurs qui écrivent chez lui. Il aurait 
été facile et amusant de montrer que Le Divan, qui 
est une autre de ses œuvres, est une sorte de miroir 
magique au fond duquel nous apercevons mis à 
nu le cœur et la pensée de Martineau, et je suis 
certain que si j'avais organisé cette conférence 
pour faire la démonstration de cette vérité, elle 
aurait gagné en intérêt et en vie profonde. Mais je 
suis bien certain aussi que si je l'avais fait, j'aurais 
été amené à lui adresser des louanges que sa modestie 
n'aurait pas toléré de recevoir publiquement. 

Quoi qu'il en soit je pense que vous estimez avec 
moi qu'il a droit à un large tribut d'hommages. 
Je suis sûr d'être votre interprète en les lui adressant 
ici. Et après l'avoir fait, messieurs, je n'ai plus rien 
à dire, j'ai fini. 

Pierre Lièvre. 



ANTHOLOGIE 

DES POÈTES DU DJVAN 



ROGER ALLARD 
Né à Paris le 22 janvier 1885. 
Collaboration poétique au Divan : n» 2, mars-avril 1909. 

Bibliographie. — Poésies : La Féerie des Heures, 
Taillandier, 1902. — La Divine Aventure, « Le 
Beffroi », Lille, 1905. — Les Noces de Léda. « Le 
Beffroi », Lille, 1905. — Vertes Saisons. L*Abbaye, 
1908. — Le Bocage amoureux ou Le Divertissement 
des amants citadins et champêtres. Eug. Figuière, 
1911. — • Les Elégies martiales, illustrées de gra- 
vures sur bois par Raoul Dufy. Camille Bloch, 
1917. • — L'Appartement des Jeunes Filles, orné de 
gravures au burin par J.-E. Laboureur. Camille 
Bloch, 1919. — Les Feux de la Saint- Jean, poème, 
orné de cinq dessins de Luc-Albert Moreau. 
Camille Bloch, 1919. — Critique et divers autres 
OUVRAGES : Baudelaire et l'Esprit nouveau. « Carnet 
Critique », 1918. — Luc- Albert Moreau. 1 vol. 
illustré. « Nouvelle Revue Française », 1920. — 
Marie Laurencin. « Nouvelle Revue Française », 
1921. — R. de la Fresnaye. « Nouvelle Revue Fran- 
çaise », 1922. — Maître Pierre Pathelin, adaptation 
en vers français modernes. « Nouvelle Revue Fran- 
çaise », 1922. — En préparation : Poésies légères. 
« Nouvelle Revue Française ». — Paul Verlaine, 
Garnier. 

Bourse nationale de voyage, 1918. 



44 LES POÈTES DU DIVAN 



PETITE FUGUE d'ÉTÉ 



Moi qu'enchantèrent les regrets 
Et les romans et les romances 
Maintenant je souhaiterais 
Des yeux où rien ne recommence. 

Quand le goût des baisers anciens 
Remonte à deux bouches offertes, 
Chacune entend garder les siens 
Et veut l'autre nue et déserte ; 

Mais ce qu'un jour on a donné 
Où donc irait-on le reprendre ? 
Gomme on dit au Pays du Tendre 
C'est macache et midi-sonné. 



II 



Enfant I prête-moi ton bandeau, 
Que je me dérobe à moi-même I 
Il n'est pas vrai, je le sais trop, 
Qu'on soit aveugle quand on aime. 

Ne quittez pas mes yeux mortels 
Retenez-les contre les vôtres. 
Qu'ils ne voient plus terre ni ciel 
Ni ces destins où je me vautre. 

Faites que leurs feux obstinés 
A votre ingrat et doux service. 
Meurent enfin comme ils sont nés 
Rebelles, et pleins de caprices. 



LES POÈTES DU DIVAN 45 

NICOLAS BEAUDUIN 
Né à Amiens le 10 septembre 1883, 
Collaboration poétique au Divan : n» 20, avril 1911. 

Bibliographie : Le Chemin qui monte. Sansot, 1908. — 
Les Triomphes. Edit. Rubriques Nouvelles, 1909. — 
La Divine Folie. Rubriques Nouvelles, 1910. — 
Les Cités du Verbe. Rubriques Nouvelles, 1912. — 
Les Sœurs du Silence. Basset, 1913. — Les Cam- 
pagnes en Marche. Basset, 1913. • — Rythmes et 
Chants dans le Renouveau. Povolozky, 1920. — 
Signes Doubles, poèmes sur plusieurs plans. Povo- 
lozky, 1921, — L'Homme Cosmogonique, poèmes 
sur plusieurs plans. Povolozky, 1922. — Les Enfants 
des Hommes. Povolozky, 1923. 

Depuis 1912 Nicolas Beauduin dirige La Vie des Lettres 



POÈME 

Le crépuscule est au jardin. 
L'odeur des sureaux monte et grise. 
Huit heures sonnent au lointain 
Au cadran de la vieille église. 

La chatte traverse la cour, 

Le chien jappe vers son écuelle. 

C'est l'ultime baiser du jour 

Au front d'or des grappes nouvelles. 

Le serin frappe à petits coups 
Le bois vernissé de sa cage. 
Là-bas la plaine est à genoux 
Dans la ferveur du paysage. 

Instant de repos et d'espoir I 
La terre humide et grasse fume, • 
Et dans la douce paix du soir 
Meurt le son grave d'une enclume. 



46 LES POÈTES DU DIVAN 

Silence. Vois, l'oiseau s'endort... 
J'aime l'adieu divin des choses. 
Et dans l'ombre où flotte la mort 
Tes lèvres ont un goût de roses. 

Cher bonheur, mais sitôt passé I... 
Les frelons rentrent sous les treilles. 
Tu suis d'un regard angoissé 
Le pesant départ des abeilles. 

Déjà la dernière s'enfuit !... 

Mais dans le grand ciel qui se voile 

S'ouvre la ruche de la nuit 

D'où vont s'envoler les étoiles. 

(Inédit) 



• PIERRE BENOIT 
Né à Albi, le 16 juillet 1886. 
Collaboration poétique au Divan ; n» 65, mai-juin 1920. 

Bibliographie. ■ — Poésie : Diarfumène, 1914. — Les 
Suppliantes. Albin Michel, 1920. — Romans : 
Kœnigsmark. Emile-Paul, 1918. — L'Atlantide. 
Albin Michel, 1919. • — Pour Don Carlos. Albin 
Michel, 1920. — Le Lac Salé. Albin Michel, 1921. — 
La Chaussée des Géants. Albin Michel, 1922. — 
Mademoiselle de la Ferté. Albin Michel, 1923. 

A consulter : Henri Martin eau : Pierre Benoît, « Le Divan » 
1922. — Pierre Lièvre : Pierre Benoit, «Les Marges», 
15 septembre 1922. — Paul Souday et iM°'^ Gharasson- 
Johannet, passim. 

CHARLES IX 

Nous aurons moins chéri les clairs jours de victoire, 

Les victoires des plus illustres de nos rois, 

Que la nuit où tu fis, ô prince expiatoire, 

Gémir sous son bourdon Saint- Germain-l' Aux errois. 



LES POÈTES DU DIVAN 47 

L'histoire aura bien pu flétrir sous Tanathèine 
Les lys, les fleurs de lys de ton manteau royal... 
Ils t'offriront toujours leurs rouges chrysanthèmes 
Ceux que tu délivras des gens de l'Amiral. 

Ils savent que sans toi, doux enfant sanguinaire, 
On n'aurait jamais vu de cygnes à Cambrai 
Et les Nymphes de Vaux, Mancini ou Néère, 
Auraient voilé de voiles noirs leurs corps ambrés. 

Qui donc aurait connu ces belles libertines ?... 
Le Grand Siècle eût été blafard et ténébreux, 
Et j'aurais préféré aux chants purs de Racine 
Les hurlements hagards des prophètes hideux. 



JEAN-MARC BERNARD 

Né à Valence le 4 décembre 1881. Tué à la guerre, entre 
Souchez et le Cabaret Rouge, le 9 juillet^l915. 

Collaboration poétique au Divan : n» 5, septembre-oc- 
tobre 1909 ; — n" 10, avril 1910 ; — n» 22, juin 1911 ; — 
n» 30, avril-mai 1912 ; — n" 39, mai 1913 ; — n« 89, mai 1923. 

Bibliographie : Savinien de Cyrano et Edmond Ros- 
tand. Valence, 1903. ' — La Mort de Narcisse. Va- 
lence, 1904 et Bruxelles, 1905. — L'Homme et le 
Sphinx. Valence, 1904. — Quelques Essais, poèmes 
1904-1909. Nouvelle Librairie Nationale, 1912. — 
Pages politiques des Poètes français. Nouvelle Librai- 
rie Nationale, 1912. — Charles d'Orléans : Rondeaux 
choisis. Sansot, 1913. — Sub tegmine fagi. Éditions 
du Temps Présent, 1913. — François Villon. 
Larousse, 1918. — Haut Vivarais d'Hiver. Collection 
du Pigeonnier, Saint- Félicien-en- Vivarais, 1921. — 
Œuvres de Jean- Marc Bernard, suivies des Reli- 
quiœ, de Raoul Monier. « Le Divan », 2 volumes, 
1923. 

A consulter : Charles Maurras : Tombeaux, Nouvelle Librairie 
Nationale, 1921. — Henri Martineau : Jean-Marc Bernard, 
« Les Ecrits Nouveaux » , n«> «23 et 24, nov.-déc. 1919.— Henri 



4S LES POÈTES DU DIVAN 



Clouard : Jean-Marc Bernard. ^ Le Divan »,no 51, octobre 
1915, — Fagus : L'âme et la destinée d'un poète. — Henri 
Martineau : Jean-Marc et Raoul Monter — Maurice de 
Noisay : Les Guêpes. « Revue critique des Idées et des 
Livres» .novembre 1919. — La Revue Fédéraliste, n° consacré 
à Jean-Marc Bernard. — Paul Souday : Le Temps, 23 août 
1923. 



POÈMES 



Qu*ai-je à faire, bavards, de vos préceptes vains ? 
Apprenez-moi plutôt à goûter de ces vins 
Qui réjouissent l'âme et parfument la bouche ; 
Ou mieux, enseignez-moi les déduits inconnus 
Auxquels s'abandonnaient Adonis et Vénus 
Sur les épais gazons qui leur servaient de couche. 
Raoul, emplissez donc la coupe que je tiens ; 
Et toi, souple amoureuse aux fraîches lèvres, viens î 
Puis, tes voiles tombés, permets que je te touche. 
Endormons notre cœur dans les plus doux plaisirs : 
La mort, bien assez tôt, calmera nos désirs, 
En posant sur nos fronts sa caresse farouche. 



Que l'aube est froide après une nuit d'insomnie I 
Beau souvenir d'amour, ah 1 pourquoi me blesser ? 
Sans doute, avec le jour, qu'ils vont enfin cesser 
Mes soupirs, mes regrets et ma peine infinie... 

Mais voici s'élever, sous les treilles épaisses, 
Le râle continu des pigeons palpitants. 
Et j'évoque aussitôt son image et j'entends 
Son lent gémissement sous les lentes caresses. 



O corps tant caressé, d'autres mains que les miennes. 

Ce soir, s'alanguissent sur toi. 
Oublieux, je le crains, des caresses anciennes, 

Tu frémis d'un pareil émoi. 



LES POÈTES DU DIVAN 49 

Je n'aurai point pour toi de jalouse colère : 
Je saurai contenir mon cœur ; 

Car je redoute, ô mon amour, de te déplaire 
En découvrant trop ma douleur. 

Tu ne sais repousser l'attrait d'une caresse ; 

Toujours tu cèdes au désir. 
Il faut, à ta chair tiède et souple, la paresse 

Qui suit l'étreinte et le plaisir. 

Vois : je suis calme, et je souris au doux sourire 

Offert à ton nouvel amant ; 
Mais cependant, parfois encore, je soupire... 

Et je suis triste infiniment. 



Lorsque tu lèveras, tendrement, veî-s mes yeux 
— Etirant la langueur de ta chair lasse et moite - 
Le doux remerciement de ton regard heureux. 
Je ferai mon étreinte à tes flancs plus étroite. 

Sans nous dire un seul mot nous resterons ainsi. 
Indolents et rêveurs dans les bras l'un de l'autre. 
Et berçant notre amour, étonnés, comme si 
Nous bercions un amour qui ne fut pas le nôtre. 



A Carco comme à Derème, 

A moi-même. 
On nous reproche aujourd'hui 
De chanter notre maîtresse 

Et l'adresse 
D'un beau corps qui nous séduit I 

On va jusqu'à prendre en grippe 

Cette pipe 
Qui console notre cœur 
Des mensonges de la femme 

Et du blâme 
Infligé par un censeur. 



50 LES POÈTES DU DIVAN 

Mais ceux que nos livres blessent, 
Qu'ils les laissent : 

Nous n'écrivons pas pour eux I 

Seuls nous plaisent les suffrages 
De ces sages 

Que l'on nomme paresseux. 

Assis non loin de la route, 

Sous la voûte 
D'un hêtre au feuillage épais, 
Nous célébrons ensemble 

L'eau qui tremble. 
Sa fraîcheur, l'ombre et la paix... 



Ce soir encore tu te lèves, 

O lune, amicale clarté : 

Et, dans le jardin enchanté. 

Tu viens nourrir mes tendres rêves. 

Plus tard, dans ce même jardin, 
O lune, que de soirs encore. 
Tu chercheras, jusqu'à l'aurore, 
A me revoir — hélas I en vain... 

DE PROFUNDIS 

Du plus profond de la tranchée, 
Nous élevons les mains vers vous. 
Seigneur ! ayez pitié de nous 
Et de notre âme desséchée I 

Car plus encor que notre chair. 
Notre âme est lasse et sans courage. 
Sur nous s'est abattu l'orage 
Des eaux, de la flamme et du fer. 

Vous nous voyez couverts de boue. 
Déchirés, hâves et rendus... 
Mais nos cœurs, les avez-vous vus ? 
Et faut-il, mon Dieu, qu'on l'avoue ? 



LES POÈTES DU DIVAN 51 

Nous sommes si privés d'espoir, 
La paix est toujours si lointaine, 
Que parfois nous savons à peine 
Où se trouve notre devoir. 

Eclairez-nous dans ce marasme, 
Réconfortez-nous, et chassez 
L'angoisse des cœurs harassés ; 
Ah 1 rendez-nous l'enthousiasme I 

Mais aux Morts, qui tous ont été 
Couchés dans la glaise ou le sable. 
Donnez le repos ineffable, 
Seigneur I ils l'ont bien mérité I 



FRANÇOIS BERTHAULT 
Né au Mans en 1889. 
Collaboration poétique au Divan : no 81, juillet 1922. 
Bibliographie : Des heures sous le ciel : I. La Beauté. 
« Le Divan », 1920. — Des heures sous le ciel : 
IL Le drame. « Le Divan », 1921. 

A consulter : Le Divan, i\° 68, novembre 1920. — Les Marges, 
janvier 1921. — Le Mercure de France, janvier 1921. — 
Le Feu, !«' août 1921. — Le Divan, n° 74, novembre 1921 ^ 

LES MORTS ET LES VIVANTS 

Vos yeux, — ces lacs éteints et ces éclairs de lune 
Pleurent de l'ombre, ô Morts, divinement. 
Et la nuit large, c'est tout l'amoncellement 
De cet ombre qui choit de votre sang nocturne. 

La nuit — 6 Morts divins 1 c'est votre monument. 

Mais si l'humain désir, encor, sous vos paupières, 
O Morts, — pleure de l'ombre et fait la nuit : 
C'est en vous que mes barques vivantes s'enfuient 
Pour saigner leurs grands trous percés par les lumières !.. 

(Inédit.) 



52 LES POÈTES DU DIVAN 

FRANCIS CARGO 

Né à Nouméa (Nouvelle Calédonie) le 3 juillet 1886. 

Collaboration poétique au Divan : n° 4, juillet-août 
1909 ; — no 8, février 1910 ; — n" 18, février 1911 ; — 
n» 30, avril-mai 1912. 

Bibliographie. — Poèmes : Instincts. « Le Feu », 
1911. —La Bohème et mon cœur, 1912. — Chansons 
aigres-douces, 1913. —Petits Airs. R. Davis, 1920. — 
Romans : Jésus-la- Caille. « Mercure de France », 
1914. A. Fayard, 1922. • — Les Innocents. La Renais- 
sance du Livre, 1917. • — Scènes de la vie de Mont- 
martre. A. Fayard, 1919. ■ — Bob et Bobette s'amusent. 
Albin Michel, 1918. ^L'Equipe. Emile-Paul, 1919. 
— L'Homme traqué. Albin Michel, 1922. — Verot- 
chka l'étrangère ou le goût du malheur. Albin Michel, 
1923. — Contes et récits : Au Coin des Rues. 
Georges Grès, 1921. < — Maman Petitdoigt. Georges 
Grès, 1921. — Panam. Stock, 1922. — Critique : 
Les Humoristes. Ollendorfï, 1921. ■ — Vlaminck. 
« Nouvelle Revue Française », 1921. ■ — Utrillo. 
« Nouvelle Revue Française, » 1921. — Le dernier 
état de la poésie. Ghiberre, 1919. ■ — Editions de 
LUXE : Promenades pittoresques à Montmartre. 
L. Delteil, 1922. • — Les Innocents. La Renaissance 
du Livre, 1921. • — L'Ami des Filles. R. Davis, 
1921. — Jésus-la-Caille. R. Davis, 1921. — Rien 
qu'une femme. Georges Grès, 1923. — Maman 
Petitdoigt. R. Davis, 1920. —Au Coin des Rues, 
Kundig, 1919. 

Francis Garco a obtenu le prix du Roman de 
TAcadémie française en 1922. 

A consulter : Francis Carco (Ceux dont on parle). 1 pla- 
quette. Chiberre, 1921. — Joseph Peyre : Francis Carco» 
1 plaquette. « Pau-Pyrénées» , 1922. — 'Fortunat Strowski : 
La Renaissance littéraire, 1 vol. Pion. — Jacques Boulenger : 
Mais l'art est difficile, 3" série. Pion, 1922. — Henri Marti- 
neau : Francis Carco. n Le Divan» , n^ 61, septembre 1919, 
no 63, janvier 1920, no 72, juillet 1921. 



LES POÈTES DU DIVAN 53 

ADIEU 

Si l'humble cabaret noirci 

Par la pluie et le vent d'automne 

M'accueille, tu n'es plus ici... 

Je souffre et l'amour m'abandonne. 

Je souffre affreusement. Le jour 
Où tu partis j'appris à rire. 
J'ai depuis pleuré, sans amour, 
Et vécu tristement ma vie... 

Au moins, garde le souvenir, 
Garde mon cœur, berce ma peine, 
Chéris cette tendresse ancienne 
Qui voulut, blessée, en finir... 

Je rirai contre une autre épaule. 
D'autres baisers me suffiront, 
Je les marquerai de mes dents : 
Mais tu resteras la plus belle. 



JUIN 

Une lune : croissant doré, 
Le silence de la campagne... 
Chante une voix qui s'accompagne 
D'un violon énamouré. 

Entends comme la voix se brise 
Et comme l'instrument gémit. 
La nuit attend, paisible et grise. 
Ta souffrance, ô cœur endormi I 

Souffre avec cette voix qui chante. 
Cette douleur qui s'enfle et crois — 
Tellement l'ombre est émouvante 
— Que c'est la tienne, cette voix I 



54 les poètes du divan 

l'heure du poète 

La fillette aux violettes 
Equivoque, à l'œil cerné, 
Reste seule après la fête 
Et baise ses vieux bouquets. 

Ce n'est ni la nuit, ni l'aube. 
Mais cette heure où, dans Paris, 
Les rôdeurs et les chiens maigres 
Errent dans un brouillard gris... 

L'heure amère des poètes 
Qui se sentent tristement 
Portés sur l'aile inquiète 
Du désordre et du tourment. 

Et ma lampe qui charbonne 
Luit sur ce pauvre cahier 
D'où se lèvent des fantômes 
Que je croyais oubliés. 



MONTMARTRE 

Montmartre a connu d'autres jeux. 
D'autres voix, d'autres rires jeunes ; 
Mais cela n'importe : le jaune 
Matin brille dans les carreaux. 

Hélas I l'Amour nous trompe et pleure. 
Nous l'accueillons et le fêtons. 
Le matin bleuit tristement, 
L'horloge ne marque pas l'heure. 

Ceux qui nous ont quittés, sont là ; 
L'un chante et l'autre est près du feu, 
Ils boivent et se rient entre eux 
Du jour et de son mauve éclat. 



LES POÈTES DU DIVAN 55 

Voici Mimi, Blanche et Germaine, 
La plus sévère a les yeux faits. 
Le jour envahit tout à fait 
Les carreaux encrassés et blêmes. 

Et toi, butée contre mon cœur, 

Pauvre petite abandonnée. 

Tu te plains à la dérobée 

De quel cruel et doux malheur ? 

Tais-toi, mes souvenirs blessés 
Dorlotent tes mauvais sourires, 
Je t'adorais sans te le dire. 
Tu pleuras quand j'en eus assez. 

O Moreau, poète 1 Hégesippe I... 
Parle-lui, tu sais consoler.- 
Moi, dans le matin violet, 
(Jaune, bleu, mauve, violet), 
Je descends en fumant ma pipe... 

(La Bohême et mon Cœur.) 



POÈME FANTAISISTE 

A Tristan Derème. 
Cette enfant qu'on voit dans des bars 
Qui souvent donnent de la bande, 
N'aime d'amour que Zanzibar. 

Elle en parle, elle vous demande 
A l'aube, alors qu'il se fait tard, 
Si tout y a vraiment le parfum de la mangue 
Et ce goût malheureux des objets de bazar. 

— Or, Zanzibar — lui dit le petit nègre 
Qu'on trouve, au vestiaire, endormi — 
N'est qu'un affreux et chaud pays 
Où les magistrats blancs ne sont pas plus intègres 
Que ceux que l'on trouve à Paris... 



56 LES POÈTES DU DIVAN 

Mais allez donc empêcher une femme 
De s'ennuyer d'amour au fond d'un bar 
Où tout est fait pour compliquer sa flamme 
Jusques au jeu du Zanzibar I 

(Inédit.) 



PHILIPPE CHABANEIX 

Né sur VAuatrnlien des Messageries Maritimes en rade 
d'Albany (Australie) le 20 mai 1898. 

Collaboration poétique au Divan : n° 72, juillet-août 
1921 ; — no 80, juin 1922. 

Bibliographie : Les Tendres Amies. Librairie des 
Lettres, 1922. • — Le Poème de la Rose et du Baiser. 
« Le Divan », 1923. 

A consulter : Tristan Derème, Ere Nouvelle, 3 mars 1922. — 

Hector Talvart, Petite Gironde, 27 juillet 1922. — André 

Gaillard : Le Feu, 1" mars 1923. — Noël Ruet : La 

Wallonie en Fleurs, mars 1923. — Marc Lafargue. La Revue 

' Universelle, 15 avril 1923. 



LES QUATRE SAISONS 

Hélène, cette ville et le printemps sur elle, 

Tes bras nus, tes beaux yeux mouillés de jeunes pleurs. 

Tes robes, nos aveux, ta fraîcheur éternelle 

Et le parc au soleil qui prenait ses couleurs. 

Jacqueline, l'été devant l'assaut des vagues, 
Souvenirs de jardins et souvenirs de bars, 
Tes roses, tes colliers, tes fourrures, tes bagues, 
Notre bonheur à deux et tes brusques départs. 

Madeleine, la neige et la pluie et le givre. 
L'hiver auprès du feu dans l'ombre du salon, 
Nos visages penchés sur les pages d'un livre, 
Et le temps qui fuyait et qui nous semblait long. 



LES POÈTiiS DU DIVAN 57 

Mais les automnes d'or c'est toi qui me les portes 
Dans ton sourire clair et pensif, ô Manon, 
Et dans tes cheveux roux comme des feuilles mortes, 
Et c'est dans la douleur que je redis ton nom. 



LE VERT- GALANT 

A Henri Martineau. 

Vers les cyprès de l'Italie 

Notre amour s'en allant 
Ne fera pas que je t'oublie. 

Pointe du Vert- Galant, 

Où sous le feuillage du saule 

Dans l'onde reflété 
J'ai vu, penché sur son épaule. 

Mourir un soir d'été. 

(Le Poème de la Rose et du Baiser.) 
PARENTHÈSES 



Si l'un fidèle au rendez-vous 
T'appelait son cher ange. 

L'autre disait, parlant de vous 
Quel animal étrange 1 

Ils avaient tous les deux raison. 

L'amour, sage folie, 
Du bel été fait la saison 

De ma mélancolie. 

Je revois au quartier latin 
La sœur de mon amie 

Jusqu'à dix heures du matin 
Dans mes bras endormie. 



58 LES POÈTxiS DU DIVAN 

Avant que sèche ce bouquet 
Si frais chez la fleuriste, 

Confiera-t-elle au perroquet : 

« Je l'aime et je suis triste ? 

II 

Suzanne, Suzon ou Suzette, 
Viens ; les colombes de Vénus 
Roucouleront au bal-musette. 
Les tendres jours sont revenus. 

Baisers d'une jeune maîtresse, 
Printanière et charmante ivresse, 
Dons pour moi les plus précieux.. 

Déjà reverdit la nature 

Et quelle amoureuse aventure, 

Se dessine dans tes beaux yeux ? 

(Inédit.) 



GILBERT CHARLES 
Né par hasard à Toulouse le 26 mars 1901, 

Collaboration poétique au Divan : n» 82, septembre 

1922. ^ 

Bibliographie : Appren/issap-e. «Le Divan », 1923. 

PÉGASE 



I 



Glorieuse volupté. 
J'ai recherché ton visage 
Dans les ivresses du sage 
Et les parfums de l'été. 



LES POÈTES DU DIVAN 59 

Mais je connais ta beauté 
Qui rayonne sous Toutrage 
Et le lumineux passage 
De ta sourde impureté. 

Sanglant rubis dans le sombre 
Secret de silence et d'ombre 
Tu dispenses, gerbe d'or, 

Les fruits mortels de la honte, 
— Froide horreur où sonne encor 
Cette chaîne qui te dompte. 



II 



Renaissance de la lumière ' 
Splendeur vivante de la chair, 
Ton doux sang frais, ton sang si clair 
Où vibre la ferveur première. 

Et jaillissant de ce mystère 
Gomme Amphitrite de la mer, 
Beau corps déchiré par le fer, 
De cette astreinte se libère. 

O lune errante, dans ton cœur 
Source inflexible de douleur I 
Le soleil a lui sur le monde ' 

Et frémissant à sa clarté, 
Pourpre délire de son onde, 
Tu défailles de volupté. 

III 

Dans l'eau fuyante et dans l'azur,. 
Lourdes fleurs, froides pierreries. 
Souffles des vents sur les prairies, 
J'ai tout désiré d'un cœur pur. 



go LES POÈTES DU DIVAN 

Si j'ai songé parfois d'un sûr 
Délice à tes lèvres meurtries 
De plaisirs et de rêveries, 
Je suivais le principe dur 

Issu des nombres et des sphères 
Où, jeu d'aurore et de lumières. 
Le monde a trouvé sa raison. 

Vaine gloire des apparences, 
J'ai dépassé tout horizon, 
Ivre de vie et de cadences. 

(Inédit.) (Août 1922) 



PENSIVE... 

Pensive, supportant le poids de ton plaisir. 
Ame ardente soumise à l'afflux du désir, 
Quel étrange destin te hante et te consume 
Et quel goût remâché de cendre et d'amertume 
Donne à ta bouche un pur dégoût de toute chair ? 
Ah 1 comme aux jours premiers il souriait le clair 
Délice d'un présent tout parfumé de roses 
Où, silences unis, chant des métamorphoses. 
Tout ton corps épousait l'aurore et le printemps 
Et tes seins se miraient aux fleuves inconstants. 
Mais le sable a crié sous ta marche nocturne 
Et l'eau de la fontaine a fait déborder l'urne 
Où les roses mouraient à l'approche du soir. 
Voici fleurir au fond du mystère le noir 
Iris dont la corolle a frémi sur ta bouche... 
O Nymphe, dont l'amour est cruel et farouche 
Et dont la chair enfante un ténébreux souci, 
La mort est comme toi divine et sans merci. 

(Inédit.) (Août 1923.) 



LES POÈTES DU DIVAN 61 

HENRY CHARPENTIER 

Né à Paris le 15 juin 1889. 

Collaboration poétique au Divan: n° 34, novembre 1912 
(sous le pseudonyme de Henry de Verneuse). 

Bibliographie : La mer fabuleuse, poèmes. Messein, 
1909. — Le Tombeau de Stéphane Mallarmé, 1910, 
H.C. — Le Poème d' Armageddon. « La Connais- 
sance », 1920. 



LE PAVILLON FERMÉ 

Nos serments oubliés dorment dans les tiroirs 
De la chambre d'amour mystérieuse et close 
Où l'éventail fané des bouquets s*ankylose 
Et rien n'y vit que l'eau magique des miroirs. 

O miroirs I Les ardeurs des anciennes luxures 
En votre complaisance ont, bien des fois, uni 
Des couples enlacés la joie et les blessures 
Et de déUre emph votre double infini. 

— Ressuscite, Célie, ombre d'un soir morose 1 
Toute nue, apparais, par l'iris et la rose. 
Adorant ton beau corps sur leur onde penché. 

...Naguère, tu venais, impudique et mignonne. 
Lorsque l'allée ôtait sa perruque d'automne 
Multiplier en eux les jeux de ton péché... 

(Inédit.) 



LUCIEN CHRISTOPHE 
Né à Verviers (Belgique) en 1891. 
Collaboration poétique au Divan : no 30, avril-mai 1912. 



62 LES POÈTES DU DIVAN 

Bibliographie : Les Jeux ei la Flamme, poèmes. 
« Flamberge », Mons, 1913. — La Rose à la lance 
nouée... poèmes. « Vivre », Paris, 1917. — Aux 
Lueurs du brasier, proses. « La Vie Intellectuelle », 
Bruxelles, 1921. 

CIGARETTE 

AbduUa, Muratti, fumées 
Egyptiennes, charmez-moi. 
Trompez ce cœur, battant d'émoi, 
Où gémit ma peine enfermée. 

Abdulla, Muratti, fumées 
D'un instant que l'oubli reçoit... 
Ah I que ma peine entre mes doigts 
N'est-elle aussitôt consumée. 

(Inédit.) 



TRISTAN DERÈME 

Philippe Hue, connu en littérature sous le nom de Tristan 
Derème, est né à Marmande le 13 février 1889. 

Collaboration poétique au Divan : n» 15, novembre 
1910 ; n° 25, novembre 1911 ; n» 38, avril 1913 ; n^ 61, 
septembre-octobre 1919 ; n» 76, février 1922 ; n" 78, avril 
1922 ; n° 89, mai 1923. 

Bibliographie : Le Renard et le Corbeau, poème 
comique, 1905. ■ — Le Tiroir Secret, poèmes, 1906. — 
La Chimère vaincue, poèmes, 1907. — Le Parfum 
des Roses fanées, poèmes, 1908. ■ — Les Ironies 
sentimentales, poèmes. Aux éditions de la revue 
« Poésie », 1909. — Petits Poèmes. Lecène et Oudin, 

1910. — Erène ou l'Eté fleuri, 1910. — Discours, 
à l'occasion du centenaire de Théophile Gautier, 

1911, H.C. — La Flûte fleurie, poèmes, 1913. — 
Le Poème de la Pipe et de l'Escargot. Emile-Paul 



LES POÈTES DU DIVAN 63 

frères, 1920. — Le Poème des Chimères étranglées. 
Emile-Paul frères, 1921. — La Verdure dorée. 
Emile- Paul frères, 1922. — En préparation : 
L'Enlèvement sans clair de lune. — La Chasse au 
Lièvre ou V Arquebuse fleurie. 

On trouve encore des vers de Tristan Derème dans : 
Almanach des Muses. Bernouard, 1910. > — Antho- 
logie des Poètes français. Verviers, 1922. • — Antho- 
logie poétique du xx® siècle. Grès, 1923. ■ — Antho- 
logie des matinées poétiques de la Comédie Fran- 
çaise. Delagrave, 1923. ■ — On trouve des pastiches 
de ses vers dans : La Grande Anthologie. Michaud, 
1914, et dans Jean Pellerin : Le Copiste Indiscret. 
A. Michel, 1919.1 



PETITS POÈMES 



Dans le calme, la barque se balance 
Comme un vers que je dis. 

Dors, mon amour, aux vagues de silence 
Des golfes attiédis. 

Pour toi, j'ai déserté l'ombre des grèves, 

Le lac et les roseaux ; 
Tes larges yeux ont reflété mes rêves, 

La mer et les oiseaux. 

J'ai mis ma vie au chaton de ta bague 

Sous la lune d'un soir. 
Dors, mon amour, il n'est pas une vague 

Aux nappes de l'espoir. 

N'écoute pas siffler sur toutes choses . 

Les merles que j'entends ; 
Et que pour toi les heures soient des roses 

Sur la tige du temps. 



64 LES POÈTES DU DIVAN 

II 

Regarde, la glycine a jauni sur la porte. 

Et voici que l'automne aux tempes couronnées 

De lierre caduc et de roses fanées 

S'avance et d'un pied lourd foule les feuilles mortes. 

Il marche et son manteau de pourpre au crépuscule 

Se dénoue et se mêle aux nuances champêtres. 

Mon cœur, voici l'octobre ; et les joueurs de flûte 
Commencent à siffler sous la voûte des hêtres. 
Veux-tu, nous quitterons pour la ville prochaine 
Les parterres flétris et l'ombrage des chênes, 
Et la maison rustique au milieu du feuillage 
Qui sut nous accueillir au retour du voyage, 
Et la source. Mon cœur, partons ; voici l'automne 
Et la dernière abeille aux troènes bourdonne. 

III 

Reste étendue sous la chaude verdure 
Et dors dans le parfum des hêtres et du buis ; 
Là-bas, l'herbe roussit dans la lumière dure. 
Mais sur nous, plein d'oiseaux, feuillage, tu bruis. 

Dors, pendant qu'au zénith le soleil rude forge 
Le cuivre de l'automne et lance les essaims. 
Tandis que je regarde incliné sur ta gorge 
L'escargot jaune et bleu qui glisse entre tes seins. 

IV 

La vie est douce encore à ceux qui savent vivre 
Et tirent de leurs maux de puissantes liqueurs ; 
Suspendez ce fracas, ce tambour et ce cuivre ; 
Il n'est besoin de cris pour émouvoir nos cœurs. 

Ne me reprochez pas de vivre solitaire ; 
Mais dans ce bleu jardin au feuillage léger 
Où la rose fleurit près de la serpentaire 
Pour un songe amical j'ai de quoi vendanger. 



LES POÈTES DU DIVAN 65 

Je fume sagement ma vieille pipe à l'ombre 
D'un arbre blanc et vert, sonore et japonais ; 
Eh 1 pourquoi penserais-je à quelque heure plus sombre, 
A d'anciens printemps qui sont déjà fanés ? 

Celui-ci me déchire et cet autre me loue ; 
Mais qu'importe ? Demain, les grappes mûriront. 
Laissez- moi dans ces jours que le destin m'alloue 
De funèbres rameaux ne pas ceindre mon front. 

Dois-je encore pleurer ? Qui faut-il que j'envie ? 
Cette glycine en fleur s'enroule au cyprès noir ; 
Amie aux beaux cheveux dont l'amour est ma vie, 
N'ai-je pas tes bras nus qui m'enivrent le soir ? 



CHARLES DERENNES 
Né à Villeneuve-sur-Lot, le 4 août 1882. 

Collaboration poétique au Divan : n» 26, décembre 
1911 ; — 11° 67, septembre-octobre 1920 ; — n» 91, juillet- 
août 1923. 

Bibliographie. — Poèmes : L'Enivrante Angoisse. 
Ollendorff, 1904. — La Tempête. OUendorff, 1906. 

— La Chanson des deux Jeunes Filles. Bemouard. 

— Le Livre d'Annie. Bemouard. — Perséphone. 
Garnier. — La Princesse. Champion. — La Fontaine 
Jouvence. — Œuvres en Prose : L'Amour Fessé. 
Mercure de France. — Le Peuple du Pôle. Mercure 
de France. — La Guenille. Louis Michaud. — Le 
Miroir des Pécheresses. Louis Michaud. — Nique 
et ses Cousines. Louis Michaud. — M. de Tournèves. 
Bernard Grasset. — Les Caprices de Nouche. Renais- 
sance du Livre. — Le Béguin des Muses. Renaissance 
du Livre. — Les Enfants sages. Renaissance du 
Livre. — Leur tout petit Cœur. Renaissance du 
Livre. — Cassinou va-t-en Guerre. G. Crès. — 
Le Pèlerin de Gascogne. G. Crès. — Les Conquérants 



56 LES POÈTES DU DIVAN 

d'idoles. G. Grès. — La Nuit d'été. L'Edition. — 
La Petite Faiinesse. L'Edition. — Les Bains dans 
le Pactole. Albin Michel. — Le Renard bleu. Albin 
Michel. — Le Beau Max. Férenczi. — Vie de Grillon. 
Albin Michel. — La Chauve- Souris. Albin-Michel. 

A consulter : E. Gaubert et Rigal : Les poètes du Midi. — 
Gabriel Boissy : Les plus beaux poèmes d'amour. — Henri 
Martineau : Charles Derennes, poète. « Le Divan », n» 67, 
septembre-octobre 1922. 



I. LA HALTE 

Ame d'enfant qui fut la mienne quinze jours I 
Plaisir de tout ; grands bois aux mousses de velours 
Où le soleil tombait des branches goutte à goutte ; 
Paysans qui passiez dès l'aube sur la route, 
Bruit rythmé de sabots lourds et laborieux ; 
Prés humides remplis de vaches aux beaux yeux, 
De grillons et du goût mouillé des joncs qu'on mâche ; 
Bêlements dans la nuit d'une chèvre à l'attache ; 
Et vous, surtout, douces maisons aux toits moussus 
Avec vos rauques girouettes par-dessus, 
Vos placards qui sentaient les pommes et les miches, 
Vos murs que bénissaient des Vierges dans leurs niches. 
Vos seuils bas où les soirs étaient pleins de tilleuls, 
Et vos vergers que j'aurais cru que pouvaient seuls 
Avec leurs choux bleutés et leurs pois verts en rames. 
Rêver Madame de Noaille ou Francis Jammes... 
Pour le bonheur que manquait-il à tout cela ? 
L'amour ? Que venez-vous me dire ? Il était là. 

{La Tempête.) 

II 

Beaux arbres, elle était — vous souvenez-vous d'elle? — 
Malgré son ventre lisse et malgré ses seins durs. 
Plus vaine pour mon cœur et presque moins réelle 
Que votre ombre dressée en noir contre nos murs. 



LES POÈTES DU DIVAN 67 

C'est pourquoi, cet an-là, je vous revis encore 
Avec un cœur pareil, rempli d'ombre et d'amour, 
O pins de qui les fûts, dressés contre l'Aurore, 
Semblaient les noirs soldats d'un prince hostile au jour. 

Plus tard, lorsque midi vibrait de feux et d'ailes, 
Chacun de vous, blessé, sanglant, pourpre ou vermeil 
Exhalait la chanson des cigales fidèles 
— Cri du guerrier frappé par les traits du Soleil. 

Mais la nuit survenait ainsi qu'une revanche, 
Et vous faisiez alors retentir, ô vainqueurs 
Frémissants et laurés d'astres à chaque branche. 
L'écho du vent marin sonnant dans vos grands cœurs. 

Donc, même auprès d'Annie, et lourd du vin des rêves, 
J'ai pu soumettre encor mon vertige d'amant, 
Dans l'héroïque odeur du flot et de vos sèves, 
A votre magnifique et fruste enseignement. 

O pins du sol natal, ô guerriers, ô poètes, 

O blessés, ô chanteurs qui dominiez, devant 

La maison dont les airs craquaient dans les tempêtes. 

L'impétuosité du soleil et du vent, 

O héros que l'hiver lui-même, en sa colère. 
D'une sombre splendeur ne dépouille jamais, 
Votre conseil reste le seul qui put me plaire 
Quand ma bouche était jointe aux lèvres que j'aimais. 
(Le Livre d'Annie.) 

III 

O Béatrice, toi qui le long de ma route 
Comme une ombre de flamme es liée à mes pas, 
Ne crois pas, faible cœur, esprit enclin au doute, 
En voyant mes amours, que je ne t'aimais pas. 
Durant plus de dix ans, de l'enfance à la vie, 
Nulle heure n'est passée, angoissée ou ravie. 
Sans que fût en mon cœur ton nom crié tout bas. 



68 LES POÈTES DU DIVAN 



Tu fus l'image unique aux feuillets du beau livre 

Où — consolation de mon précoce ennui — 

Je relisais, sans fin, le conte bleu de vivre 

Pour l'amour d'un amour qui m'étonne aujourd'hui. 

D'un amourqui m'eût fait, moi l'homme et moi le maître. 

Asservir mon destin au destin d'un autre être 

Et, pour vivre ou mourir, ne compter que sur lui. 

Mais, toujours au zénith de mon ciel située, 

Etoile qui guidas mon espoir enfantin. 

Ta lueur que les ans n'ont point diminuée 

Fait de mon existence un éternel matin ; 

Et ton nom, si mon âme humaine était mortelle. 

Jusque dans le néant resplendirait sur elle 

Gomme un nuage d'or sur un soleil éteint. 

Tout ce par quoi la vie est belle, ample et féconde, 

L'enthousiasme, et la douleur, et la fierté 

Voilà ce qu'en t'aimant j'ai conquis dans le monde ; 

Quand tu repris l'amour, ce trésor m'est resté. 

On n'aliène pas un pareil héritage ; 

Ce ne sont pas des biens que l'on peut mettre en gage 

Ni vendre chez des Juifs un jour de pauvreté. 

C'est pourquoi, sur le sol de ces longues allées. 
Tes doux pieds à jamais ont marqué leurs contours ; 
Ton nom demeure inscrit sur tous les mausolées, 
Ta statue est debout dans tous les carrefours ; 
Jadis, tu t'es penchée au bord de la fontaine, 
Et tu t'en es allée, et cette heure est lointaine, 
Mais les fidèles eaux te reflètent toujours. 
(Perséphone.) 



HENRY DÉRIEUX 

Né à Le Passage (Isère) le 15 avril 1892. 

Collaboration poétique au Divan : n» 14, septembre- 
octobre 1910 ; — no 20, avril 1911 ; — n» 52, février 1916 ; — 
no 55, novembre 1917 ; — n» 71, mai-juin 1921. 



LES POÈTES DU DIVAN 69 

Bibliographie : Le Sable d'or, poèmes. « L'art libre », 
Lyon, 1911. — Le Regard derrière l'épaule. Grasset, 
1912. — Gilbert de Voisins, essai. « Le Divan », 
1912. « — En ces fours déchirants. Payot, 1916. — 
Le Livre d'heures de la guerre. « Le Divan », 1918. — 
Baudelaire, trois essais précédés d'un poème. « Nou- 
velle Librairie littéraire », Bâle, 1918. 

A consulter : A.-M. de Poncheville, La Semaine littéraire, 
octobre 1917. 

LA BACCHANTE 

Dans la chambre bien close où nous cloître l'hiver 
Tu viens jusqu'au grand feu qui ronfle sous la trappe 
Et, lui tendant tes mains qu'il rougit, tu as l'air 
De presser sous tes doigts le sang chaud d'une grappe. 

Un large flot de pourpre enveloppe ton corps 
Et le feu, comme un dieu de la fable, écarquille 
Dans sa face écarlate, et qui rit et qui mord. 
Ses yeux où le désir en flamboyant grésille. 

Tes cheveux sont défaits, ton visage est en feu 
Et je vois peu à peu, monter, ivre et dansante. 
Dans cette chambre tiède et familière, — au lieu 
D'une amante frileuse, — une antique Bacchante 1 
(Inédit.) 



LÉON DEUBEL 



Né à Belfort le 22 mars 1879 ; mort, noyé dans la Marne, en 
1913. 

Collaboration poétique au Divan : n» 12, juin 1910. 

Bibliographie : La Lumière natale. « Le Beffroi », 
1905, « Mercure de France », 1922. — Régner, 
« Mercure de France », 1913. 



70 LES POÈTES DU DIVAN 

SONNET 

Tous mes soleils couchés sous l'éclatante nue : 
Beauté, Puissance, Amour, humides de mes pleurs, 
A l'occident fouetté de verges de couleurs 
Comme une chair d'enfant mystérieuse et nue ; 

Tous mes départs sombres sur des mers inconnues, 
Toutes mes Ophélies errantes sous les fleurs, 
Je suis resté, ce soir, seul avec ma douleur 
Et quand elle a parlé, mon cœur l'a reconnue. 

Je la retrouve ainsi depuis maintes années, 
Ariane, un matin d'ivresse abandonnée, 
Dont le rire est mauvais et l'étreinte perfide 

Et vers qui nul oubli ne tend ses bras profonds, 
Car ma douleur revient par la route des rides 
Que ses pas autrefois ont creusées sur mon front. 



FERNAND D IVOIRE 

à 
Né à Bruxelles le 10 mars 1883. 

Collaboration poétique au Divaa : n» 7, janvier 1910. 

Bibliographie : Cérébraux, prose, 1906. — Poètes, vers, 
1908. — Faut-il devenir mage ?, 1909. — Flandre, 
poème, 1909. — La Danseuse de Diane, prose avec 
des dessins de Dunoyer de Segonzac. La Belle 
édition, 1911. — Metchnikoff philosophe, 1911. — 
L'Amoureux, vers. La Belle édition, 1912. — Intro- 
duction à l'étude de la Stratégie littéraire. Sansot, 
1912. — Les Rubriques littéraires, étude. La Renais- 
sance contemporaine, 1914. — Exhortation à la 
Victoire, chœur tragique, représenté le 3 juin 1917 
à la Comédie des Champs-Elysées. — Naissance du 
Poème, prose symphonique, représenté par Art et 
Action à Paris à différentes reprises et à Genève. 
Figuière. — Ames, vers. Renaissance du livre, 1918. 



LES POÈTES DU DIVAN 71 

— Isadora Duncan fille de Prométhée, prose avec des 
dessins de Bourdelle. « Les Muses françaises », 
1919. — Le Grenier de Monijoiey étude. « Le Gamet 
critique », 1920. — Gabriel- Tristan Franconi, étude. 
« Les Amis d'Edouard », 1922. ■ — Rapport sur les 
tendances nouvelles de la poésie. « La Revue mon- 
diale », 1921. — Le discours des enfants , vers. « La 
Revue mondiale », 1923. — Orphée, vers. « La 
Renaissance du livre », 1922. — Ivoire au soleil, 
vers. Povolozky, 1923. 



(La première voix 
rappellera par sa 
diction l'air popu- 
laire « Savez-Dous 
planter les choux ?) 



LABYRINTHE 



{La parenthèse se lira d'une voix très 
blanche.) 



On se jette à corps perdu 
Dans les jeux du labyrinthe 



On erre. On erre. On désespère. 
« Espère encor... Bientôt la paix. 
L'espoir s'amuse d'un jouet. 
C'est le jeu du labyrinthe. 



On se cogne à ses mirages 



On se cogne au fond des impasses. 
Tiens 1 Tiens ! Ce n'était qu'une glace. 
Bosse au front. C'était une glace. 
C'est le jeu du labyrinthe. 



Route ouverte I Par ici I 



On appelle des compagnons. 
On les regarde. On a tout prêt* 
Un bon couteau à cran d'arrêt. 



Par ici 1 une compagne I 



Amour î amour I amour 1 amour I 
En route pour d'autres détours. 
On a frappé. On est frappé. 



72 



LES POETES DU DIVAN 



Une victoire ? On s'est repu, 
On a souffert d'orgueil vaincu. 
On a souffert de jalousie 
Comme si le sexe d'un autre 
S'enfonçait dans le cœur, et le crevait. 
Des étreintes ? Ah ! des étreintes 
C'est le feu du labyrinthe. 



Ah 1 s'arrêter 1 et fonder 1 



On a eu l'espoir de fonder. 

On a fondé. On a fondé. 

Mis tout en place... Et puis... Et puis... 

On a senti l'odeur de sa maison brûlée. 

Odeur d'une maison brûlée.. 

On n'en délivrera plus jamais ses narines. 

Pas de plaintes, pas de plaintes. 

C'est le jeu du labyrinthe. 



Et des murs... Et des impasses... 



Encor des murs, et des détours 

Et, finalement, des impasses. 

Et des luttes pour arriver 

— Guêpes, guêpes dans leur cai*afe — 

Au pesant bouchon d'une impasse. 



Vos jeux sont faits ?... Et perdus 



Et perdus 

On nous a laissé jouer. 

Et tourner. Et retourner. 

Plus d'espoir, donc plus de crainte. 
C'est le jeu du labyrinthe. 



Nous tournons autour de Toi. 



Les jeux sont finis. On arrive. 
On arrive une marque au front. 
Une marque rouge ou noire 
C'est le Jeu du labyrinthe. 



Si longtemps ayant tenté 
de T'atteindre et de Te fuir, 
Nous arrivons à ton centre, 
Solitude 



A ton centre où il y a 
Une place toute creusée. 



(Inédit,) 



LES POÈTES DU DIVAN 73 

MARCEL DROUET 

Né à Sedan, le 19 août 1888, mort à la guerre devant 
Verdun le 5 janvier 1915. 

Collaboration poétique au Divan : n» 43, novembre- 
décembre 1913 ; — n» 51, octobre 1915. 

Bibliographie : Quelques feuillets du livre juvénile^ 
« Pan », 1911. — L'Ombre qui tourne, poèmes. 
Dorbon aîné, 1912. — Le Tombeau de Marcel 
Drouety « Le Divan », 1923. 

A consulter : Henri Martin eau et Eugène Marsan, Le 
Divan, n^Sl, octobre 1915. — Maurice Barrés : Le cahier 
rouge de Marcel Drouet, V « Echo de Paris», 13 mars 1915. — 
Georges Ducrocq : Le Bulletin des Ecrivains, mars 1915. 
— Charles Maurras : Tombeaux, Nouvelle Librairie Natio- 
nale, 1922. 



SOMMEIL 

Tu dors. Ta tête fine indolemment s'allonge 
Sur l'oreiller, creusé du poids de tes cheveux, 
Qui parmi la dentelle éparpillent leurs feux ; 
Et le silence, ami de l'ombre qui prolonge 
Mon rêve doux et tendre, incite encore mes yeux 
A te contempler nue au travers de leur songe. 

Tu dors. Tes seins menus sous la baptiste à jour 
Soulèvent minutieux leur pointe blanche et rose, 
Et sur ton cou gracile où mon baiser se pose 
L'ombre a gUssé ses doigts et sa lèvre. A mon tour. 
Dans le creux parfumé de ton épaule j'ose 
M'enivrer des senteurs de chair, d'aube et d'amour. 

Tu dors. Ton bras si pur, posé sur la cour^ine, 
Semble en s'abandonnant se baigner dans la nuit ; 
Ton soufïle égal et doux s'envole à petit bruit 
Et sur les yeux baissés tes longs cils se dessinent, 
Faisant plus langoureux le sourire qui luit 
Entre les lèvres, où le baiser se devine... 



74 LES POÈTES DU DIVAN 

Amoureuse lassée et câline, tu dors ; 

Ton épaule parfois dans sa blondeur frissonne 

Gomme si tu vibrais au désir qui talonne 

Cette ardeur galopant parmi ton songe encor, 

Et qui, close aux parois de ton front clair, bourdonne 

Comme Tabeille ardente au creux des ruches d'or. 

Enfant frêle et docile et tendre, qui sommeilles 
Parmi la floraison de tes cheveux épars, 
Tu ne devines pas que pour toi mes regards 
S'adoucissent dans l'aurore qui s'ensoleille ; 
Dors, car voici le jour et tous ses cauchemars 
Qui, dansant sur le lit, veulent que tu t'éveilles... 
{L'Ombre qui tourne.) 



PAUL DROUOT 

Né à Vouziers, le 21 mai 1886 ; mort à la guerre, le 8 juin 
1915 devant Lorette. 

Collaboration poétique au Divan : n» 2, mars-avril 
1909 ; — n» 59, mai-juin 1919. 

Bibliographie : La Chanson d'Eliacin. « Psyché », 
1906. — La Grappe de Raisin. « La Phalange », 
1908. — Sous le vocable du Chêne. Dorbon aîné, 
1910. — Derniers vers. La Belle Edition, 1920. 
— Eurydice deux fois perdue. Société littéraire de 
France, 1921. — Poèmes choisis. Fayard. 

A consulter : Paul Régnier : Paul Drouot. « Le Divan », 
1923 (Ce livre donne l'indication des principaux articles 
publiés à ce jour sur Drouot). — Henri Massis, Bulletin des 
Ecrivains^ août 1915. — Jane Clouzot : Paul Drouot. 
« Le Divan », n» 51, octobre 1915. — Emile Henriot : Lettre 
sur deux amis morts. « Le Divan >, n» 52, février 1916. 

I. MA GAITÉ 

Tu es mouvante, et jaune d'or, et imprévue 
Comme une fleur qui pousse au sommet d'un beffroi. 
Amie entrée par la fenêtre, ô inconnue 
Dont la venue me remplit de trouble et d'efîroi. 



LES POÈTES DU DIVAN 75 

Toi qui me dis : « Voici l'emploi de ta nuitée : 
Sais-tu danser ? Nous danserons. Sortant du bal 
Nous irons voir tomber — d'où ? du ciel — la rosée 
Et naître devant nous le soleil matinal. » 

II. SÉRÉNADE 

Le soleil tourne sur lui-même 
La terre tourne autour de lui ; 
Et leur double tour nous ramène 
L'aube qui à nouveau reluit. 

Si le sommeil encor t'enchaîne, 
J'irai faire un tour dans ton lit, 
Et changerai, teint de ma reine. 
Toutes vos roses en des lys I 



III. LES FEUILLES MEURENT 

Détourne de ton front l'exemple des feuillages ; 
Ce sont des cœurs légers qu'a séparés l'hiver. 
Nos pas remonteront le cours glacé des âges. 
Nous retiendrons les lys avec des nœuds de fer. 

Et nous enchaînerons l'automne aux mains sanglantes. 
Et nous clouerons le bois des rosiers dans le mur. 
Et, par nos doigts liées, leurs mânes expirantes 
Chercheront dans nos yeux la trace de l'azur. 
{La Grappe de raisin.) 

IV. CORPS A CORPS 

Opiniâtrement luttent en moi la Forme 
Et la Pensée, ainsi que deux forces énormes 
Projetées dans mon front de l'un et l'autre bouts 
Du chœur universel des dieux toujours debout I 
Je les sens : elles sont le marteau et l'enclume ; 
Le bûcher que la flamme même qui l'allume. 



76 LES POÈTES DU DIVAN 

Consume ; le torrent qui se mesure au roc, 

Qui, sur soi-même ramassé, soutient le choc 

Continuel et la perpétuelle masse 

De la fonte éperdue d'inaccessibles glaces ; 

Et les deux parts du ciel brandies par l'ouragan. 

Noires, courantes, précipitées l'une dans 

L'autre, au bruit formidable et cassant du tonnerre ! 

Non, mes vers ne sont point parfaits, mais la lumière 
Et les ténèbres tour à tour jaillissent d'eux 
Comme d'un incendie la fumée ^et le feu I 
Hélas 1 mes vers n'ont rien de pur ni d'impassible : 
L'astre qui les sillonne et l'éclair qui les crible 
Jettent sur leurs fronts blancs de farouches lueurs 
Qui font briller, parmi leurs lauriers, la sueur 
Des combattants, le sang des vainqueurs et les larmes 
Des vaincus descendant de leurs joues sur leurs armes 
Brisées, car tout un peuple est en proie dans mes vers 
Au désespoir de ne point survivre à ma chair 1 

Et pourtant je voudrais d'une ardeur insensée, 
Je voudrais qu'une fois ma Forme et ma Pensée 
Connussent cet instant de suprême beauté 
Où, corps à corps, le soir du sac d'une cité. 
Deux amants ennemis, nus et tordus de haine, 
Dans le déchaînement de leur rage inhumaine 
Par le plaisir aux rets l'un de l'autre surpris, 
Etouffent d'un brusque baiser un même cri ! 

(Sous le. vocable du chêne.) 



HENRI DUCLOS 
Né à Limoux en 1902. 
Collaboration poétique au Divan : n» 77, mars 1922. 



LES POÈTES DU DIVAN 77 

POÈME 

Les lauriers sont coupés et les roses aussi, 
L'amour n'est que fumée et la gloire que cendre. 
Si je rêve toujours d'un jardin vieux et tendre 
C'est pour mon cœur transi. 

La menthe et le tilleul donneront leurs tisanes, 
Juillet la passerose, octobre les citrons ; 
Alors je goûterai le parfum des saisons 
Et les fleurs paysannes. 

Puis dans le verger clair où jaunissent les coings 
Vers les prés que le froid rend à la solitude, 
Je vais pour satisfaire une douce habitude 
Sentir les derniers foins. 

Si quelque ancienne amour veut une sérénade 
Ma flûte chantera le désir de l'oubli. 
Et je consacrerai sur l'autel démoli 
Du miel, une grenade. 



II 



Celui qui n'a senti par sa terre natale 
Darder sur un gerbier le soleil méridien 
Ni dans le peuplier qu'on nomme carolin 
Entendu crisser la cigale, 

Ignore ce qu'un champ de notre Languedoc 
Peut avoir de grandeur et de mélancolie 
Quand le Cers, vent du Nord, rase le sol et plie 
Un fenouil épargné du soc. 

Quand les foins sont coupés et les vignes heureuses, 
Quand l'air est habité par des milliers d'essaims 
Et que luttent aussi les ruches des jardins 
Avec le fredon des batteuses.' 



78 LES POÈTES DU DIVAN 



III 

La Pinde a moins de charme et THymette de miel 
Que tes coteaux, rousse Magrie, 

Et ton ruisseau qui prend la pureté du ciel 
Est ma fontaine Gastalie. 

Sur le sol de lavande et rarement foulé 

J'enivre une Muse sévère 
Tandis qu'une poussière d'or monte de l'aire 

Où les hommes battent le blé. 

Le clocher de Magrie est une leçon brève 

D'adorable réalité ; 
Je veux pour mieux comprendre et chérir la beauté, 

A la Saint- Jean brûler mon rêve. 



JACQUES DYSSORD 

Edouard de Bellaing, en littérature Jacques Dyssord, né 
à Oloron (Basses-Pyrénées) le 4 janvier 1880, 

Collaboration poétique au Divan : n° 91, juillet-août 
1923. 

Bibliographie : Le Dernier chant de V Intermezzo. 
Grasset, 1909. — A paraître : La Paroisse du 
Moulin- Rouge. Albin Michel. — La Confrérie de 
la dernière heure. « Le Monde Nouveau ». ■ — On 
frappe à la porte, poèmes. 

A consulter : Les Veillées du lapin agile. L'Edition Fran- 
çaise illustrée, 1919. — L'Ami du lettré. Grès, 1923. 



L ELOGE DE PARIS 

Je te salue, expressément 
De voir, du bleu de tes terrasses, 
Gomme une écharpe dans le vent 
Dont chaque geste est une grâce, 
La molle Seine aux fils d'argent. 



LES POÈTES DU DIVAN 79 

Je te salue, ô frénétique, 

— Athénienne cependant — 
A cause du miracle unique 
De tous ces désirs discordants 
Dont tu sus faire une musique. 

Surtout, Paris, je te salue 
Pour ce sourire impertinent 
Où Voltaire se continue 
Et qu'ouata le gros Renan 
D'une tendresse retenue. 

Pour, quand s'éteint à l'Orient 
L'étoile qui veille et surveille 
Les péchés de tes suppliants. 
Quand la pâle mort, à l'oreille. 
Vous dit ses mots balbutiants. 

Pour cette fleur du bon courage 

— Celui de sourire toujours 
Et que tu mis à ton corsage 

— O la ville-de-trop-d'amour, 

De pas d'assez — et de notre âge... 
(Inédit.) 



ANDRÉ-MARIE ÉON 

Né à Fontenay-le-Comte, le 19 juillet 1889. 

Mort pour la France, à Troyes, le 23 octobre 1918. 

Collaboration poétique au Divan: n» 18, février 1911, 
A consulter : Achem : Revue des Revues^ t Le Divan » , mai 
1910. 



FRANCIS ÉON 

Né à Fontenay-le-Comte le 17 juillet 1879. 

Collaboration poétique au Divan : n° î, janvier 1909 
— n» 4, juillet 1909 ; — n» 9, mars 1910 ; — n» 16, décembre 
1910 ; —no 19, mars 1911 ; — n» 26, décembre 1911 ; — n» 29, 
mars 1912 ; — n° 30, avril 1912 ; — n» 35, janvier 1913 ; — 



80 LES POÈTES DU DIVAN 

n«>58. avril 1913 ;— no41, juillet 1913 ; — no68, novem- 
bre 1920 ; — 11° 72, juillet 1921 ; — n» 76, février 1922 ; 
— n° 79, mai 1922. 

Bibliographie : La Promeneuse. « Le Beffroi », Lille, 
1905. — Trois Années, « Le Divan », 1909. -- 
La Vie Continue. « Le Divan », 1919. 

A consulter : Henri Martineau : Francis Éon. « Le Divan », 
1909. — Francis Carco, Les Guêpes, juillet 1909. — Maurice 
Gauchez, Revue de Belgique, septembre 1909. — Pierre 
Quillard, Mercure de France, l^r avril 1910. — Orion, 
L'Action Française, 19 janvier 1920. — Marius André, 
La Minerve Française, 1^' février 1920. — André Fontainas, 
Mercure de France, !«' mars 1920. 

POÈMES 



Ils m'ont dit : « Admirez ce paysage miique. 
Voyez. Est-il ailleurs un horizon plus beau ? » 
— Je regarde une longue ligne de coteaux 
Que rompent de pesants rochers couleur de brique. 
Je regarde au frisson menu d'un fleuve étroit 
Trembler l'image en gris d'une église romane ; 
Mais nul trouble de joie ou de peine n'émane 
De ce pays à mes yeux vide, à ma chair froid. 
Aucune émotion déjà ne t'a sacrée. 
Nature qu'on prétend magnifique. Je viens 
En étranger jaloux de mes rythmes anciens ; 
Et ton air indulgent, ta lumière dorée 
Peut-être existeront pour moi, si je les crée. 
Et si tes différents visages sont les miens I 
Mais aujourd'hui je ne sais rien de toi. J'ignore 
Le sens du mouvement qui t'anime en secret ; 
Et tout mon inutile effort s'épuiserait. 
Malgré le glorieux soleil dont tu t'honores. 
Malgré le vent levé dans tes hauts pins sonores, 
A chercher ta pensée éparse et sans attrait. 
En vain le soir ouvert comme un vaste calice 
S'exprime en lents parfums faciles à saisir. 
Clair pays, tu n'es pas encore mon complice : 
Nulle femme avec moi n'a suivi cette eau lisse. 
Ce ciel n'a pas connu l'aveu de mon désir. 



LES POÈTES DU DIVAN 81 



II 



C'est mon infirmité douloureuse, et chérie. 
Je demeure insensible à votre flatterie, 
Spectacle harmonieux, musical horizon 
Qu'épouse la lumière et qu'éveille le son, 
Parce qu'en cet éclat soudain qui vous révèle 
Vous étonnez mes yeux d'une image nouvelle. 
Rien ne m'appelle à vous, rien ne relie encor 
Ma mémoire muette à votre grand décor. 
Et je ne peux vraiment décider si je l'aime. 
Puisque je ne sais pas m'y surprendre moi-même. 
Mais sans doute oserai-je en vous m'interroger, 
Si demain je reviens ici moins étranger ; 
Si mes yeux avertis vous possèdent, peut-être 
Aurai-je le charmant émoi de reconnaître 
Votre âme plus semblable à la mienne, surtout 
Si, son frais collier bleu ruisselant à son cou. 
Pour une joie enfin certaine et préparée, 
Plie à mon bras l'absente aujourd'hui désirée. 



ALBERT ERLANDE 

Né à Marseille le 30 août 1878. 

Collaboration poétique au Divan : n° 2, mars 1909 ; — 
n° 5, septembre 1909 ; — n» 9, mars 1910 ; — no 24, sep- 
tembre 1911 ; — no 66, juillet 1920 ; — no 88, avril 1923. 

Bibliographie. — Poèmes : Euphorion. Raybaud 
Marseille, 1896. — Le Chant d'amour. Raybaud, 1898. 

— Odes et Poèmes. « Mercure de France », 1899. — 
Le Cœur errant. « Mercure de France », 1900. — 
Hélène. « Mercure de France », 1902. — Fehl Yas- 
min, avec Gilbert de Voisins. Floury, 1905. ' — Les 
Hommages divins. Sansot, 1906. —Le Titan. « Mer- 
cure de France », 1911. — La Tragédie des Empires. 
« Le Monde Nouveau », 1920. — Niobé. Gamier, 
1921. — Le Poème royal. Librairie de France, 1922. 

— Prose : La Tendresse. Ollendorfî, 1902. — Jolie 
Personne. « Mercure de France »,1905. —Le Paradis 



82 LES POÈTES DU DIVAN 

des Vierges sages. « Mercure de France », 1906. — 
Le défaut de V armure. Sansot, 1909. — L'Enfant de 
Bohème. « Le Feu », Aix- en-Provence, 1910. — 
// Giorgione. Grasset, 1911. • — En campagne avec la 
légion étrangère. Payot, 1917. • — Vivre et mourir là. 
Pion- Nourrit, 1920. — Stella Lucente. Albin Michel, 

1921. — La Vipère dorée. « Œuvres libres », n^ 10, 

1922. ' — L'Immortelle bien-aimée. Albin Michel, 
1923. 

A consulter : E. Sicard : Films. Edit. du « Feu » , 1912. — 
F. de Miomandre : Figures d'hier et d'aujourd'hui. Dorbon. 
— E. Jaloux, Le Feu, mars 1907. 

ALACIEL 

(Fragment.) 

Heureux celui qui sent les spectres des années 
S'assembler en silence, autour de lui, le soir. 
Quand, par les souvenirs, les âmes entraînées, 
En parlant du passé ressuscitent l'espoir I 
Il conçoit la grandeur de la vie et du songe. 
Et le cortège ému de la suite des jours. 
En échos et reflets évocateurs prolonge 
La lumière et les voix des premières amours ! 
...C'est vous, ô rossignols dans les nuits phébéennes ; 
Vous, désirs plus changeants que les vapeurs de l'air ; 
Toi, Lampe, sous les vols d'esprits et de phalènes, 
Vous, livres médités près d'Elle et de la mer I 

— Revenez I Revenez, beaux instants de ma vie 1 
Tous également chers, mais, cependant, ce soir. 
Laissez l'ombre d'une heure à peine évanouie, 
Toute ardente et peureuse, auprès de moi, s'asseoir 1 

— Voyez, comme elle semble, à souffrir, obstinée 1 
Quelle mansuétude adorable ont ses mains 1 

Des fleurs de vos jardins, sa tête est couronnée. 
Et sa bouche est humide, encor de mots humains 1 
Laissez-moi lui donner l'instant qu'elle réclame I 
Spectres, comprenez-moi 1 Ne soyez-pas jaloux... 
Cette ombre, hier, hélas 1 la force de mon âme. 
Vient garder, aujourd'hui, mon secret, parmi vous I 
(Inédit.) 



LES POÈTES DU DIVAN 83 

LUCIEN FABRE 

Né à Pampelonne en 1889. 

Collaboration poétique au Divan : n° 11, mars 1922 ; 
— no 86, février 1923. 

Bibliographie : Connaissance de la déesse. Société 
littéraire de France, 1919. — Les Théories d'Eins- 
tein. Payot, 1921. — Vanikoro. « Nouvelle Revue 
Française », 1923. 

LÉDA 

L'ombre des myrtes tremble au-dessus du limon, 

Quelle nymphe couchée, 
Dans son rêve, ou d'un dieu peut-être visitée. 

Se meurt ?... Lève ton front. 

Nymphe, vois, dans ces prés, les faunes te font signe 1... 

Elle ne répond pas ; 
Elle ne répond pas, Léda 1 tordant ses bras 

Elle appelle le cygne... 

« O toi, dit-elle, ô toi, seul objet de mes vœux, 

Garde-moi de ces mâles. 
Je suis si faible, hélas 1 tant d'ardeurs, tant de râles.. 

J'ai peur 1... » Mais, dédaigneux. 

Sur le double que l'onde indulgente aux caprices 

Vient offrir à son œil. 
Le bel oiseau effeuille une rose d'orgueil 

Et vogue avec délices. 

{Inédit.) 



FAGUS 

Georges Faillet, connu en littérature sous le nom' de Fagusj 
né à Bruxelles, de parents français, le 22 janvier 1872. 

Collaboration poétique au Divan : no 89, mai 1923. 



g4 LES POÈTES DU DIVAN 

Bibliographie : Testament de sa vie première, vers. 
Vanier, Paris, 1898. — Colloque sentimental, vers. 
Société libre d'Editions, 1898. — Ixion, poème. 
« La Plume », 1903. — Jeunes fleurs, vers. « Revue 
de Champagne », Reims, 1906. — Aphorismes. 
Sansot, 1908. — Discours sur les Préjugés ennemis 
de l'Histoire de France. « L'Occident », 1909. — 
Politique de l'Histoire de France. « L'Occident », 
1910. — La Prière de Quarante Heures. Gallus, Paris, 
1920. — Le Jeu Parti de « Futile ». La Belle édition, 
1920. —La Danse macabre, poème. Malfère, Amiens, 
1920. — Jonchée de fleurs sur le pavé du Roi. Nou- 
velle Librairie nationale, 1921. — La Guirlande à 
l'Epousée, poème. Malfère, Amiens, 1921. — Frère 
Tranquille, poème. Malfère, Amiens, 1922. — Essai 
sur Shakespeare, Amiens, 1923. 

LES SPECTRES 

Hodie tibi, cras mihi. 

— Grands frères qui dormez sous la calme bruyère 
Tandis que les fourmis vous travaillent les yeux ; 
La chair pleine de plomb, plein la bouche de terre 
Où tremble la poussière auguste des aïeux. 

Dormeurs de la guerre. 

Dormez, les heureux 1 

Dans les plis sinueux des vieilles capitales 

Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements. 

Je suis, obéissant à mes humeurs fatales. 

Des êtres singuliers, sublimes et navrants. 

Ces spectres dont plus tard on fera des statues 
Ont un nom dérisoire à force d'être grand : 
Poètes 1 leur génie les soulève et les tue. 
Demi-dieux égarés dans des cerveaux d'enfants. 



J'ai vu Alfred Jarry dans la rue Mazarine 
Dîner de quatre sous de schnick et pas toujours ; 
Laforgue par morceaux qui crache sa poitrine, 
Samain agonisant et Guérin à son tour. 



LES POÈTES DU DIVAN 85 

J'ai vu Jean Lorrain mort ; vu Charles Baudelaire 
Retroussant en avare un pantalon limé, 
Et Paul Verlaine, hélas, ivre à rouler par terre, 
Que soutenait, pleurant, Stéphane Mallarmé : 

Dormants de la guerre. 

Dormez, nos aimés ! 

J'ai vu Léon Deubel sur la dalle gluante 
Que baisa le front blanc de Gérard de Nerval, 
J'ai vu Francis Latouche, amas de chair fumante, 
Aplati contre un mur par l'autobus trivial. 

Albert Fleury traîner jusqu'à Dieu son squelette, 
Moréas accueillant la mort parmi les fleurs, 
Charles-Louis Philippe, Henri Degron, Lafayette, 
Et tous ceux que j'oublie ou qui sont morts ailleurs : 

Dormants de la guerre, 

Bercez les dormeurs 1 

Signoret lapidé par le voyou des rues, 
Barbey d'Aurevilly risée du cocodès, 
Rimbaud en quarantaine ainsi qu'un incongru, 
Villiers de l'Isle-Adam tutoyé par Mendès 1 

Et je me suis vu, moi, hagard et famélique, 
Qui racle son génie, ulcère après son flanc. 
Me complaire au métier de la fille publique 
Pour apporter du pain à mes petits enfants : 

Dormeurs angéliques, 

Soyons vos enfants I 

Qu'importe 1 ridicules martyrs que nous sommes. 
Cœurs infirmes d'amour dévorés, dieux proscrits, 
Pour tous saigne au delà de la ruée des hommes, 
La face pleine de rayons de Jésus-Christ. 



86 LES POÈTES DU DIVAN 

PIERRE FONS 

Né à Toulouse le 16 juillet 1880, mort pour la France le 
23 avril 1917. 

Collaboration poétique au Divan : n» 3, mai 1909 ; — 
n» 28, février 1912. 

Bibliographie. Les Songes pâles, fantaisie en un acte 
en vers, Toulouse. Brun-Rey, 1900. — Crépuscule 
d'automne, poésie. 1 plaquette. H.G. Toulouse, 
Privât, 1901. — La Double Guirlande, poésies en 
collaboration avec J.-R. de Brousse. H.G. Toulouse, 
« L'Ame latine », 1902. — Inscriptions, sonnets. 
H.G. « L'Ame latine », Toulouse, 1903. — L'Heure 
amoureuse et funéraire, poème avec préface d'Emile 
Pouvillon. Stock, Paris, 1904. — Estampes, sonnets. 
1 plaquette. « Revue des Pyrénées », 1904. — 
Reliques de Bernard- Irma Fons, Toulouse, 1905. — 
Eloge de Clémence Isaure, ode. Toulouse, Privât, 

1905. — Le Réveil de Pallas, essais. Sansot, Paris, 

1906. — Sully- Prudhomme, étude. Sansot, Paris, 

1907. — Le Décor du Quattrocento, essai d'esthétique. 
Sansot, Paris, 1907. — La Divinité quotidienne, 
poèmes. Sansot, Paris, 1908. — Œuvres choisies de 
François de Maynard. Sansot, Paris, 1909. — 
L'Offrande au mystère. Sansot, 1911. 

A consulter : J.-R. de Brousse : Pierre Fons et l'Heure 
amoureuse et funéraire. « L'Ame latine », Toulouse, 15 février 
1904. — Louis Théron de Montangé : L'Heure amoureuse 
et funéraire. « L'Art méridional » , l^r avril 1904. — Paul 
d'Armon : Ames anxieuses. « Le Signal », 22 avril 1904. — 
Olivier de la Fayette : Les Poètes du mois. « La Revue Foré- 
zienne », avril 1904. — Ernest Gaubert : Poètes mystiques 
et païens. « Anthologie-Revue », septembre 1904. — Armand 
Praviel : Le Réveil de Pallas. « L'Ame latine », Toulouse, 
septembre 1906. — J.-R. de Brousse : Notes de Littérature 
Toulousaine. « Le Télégramme », 16 octobre 1906. — 
François Tresserre : L'Enclos des Poètes. « L'Ame latine », 
Toulouse, avril 1908. — Pierre Quillard : Les Poèmes. 
« Mercure de France », 15 mars 1908. — Jean de Gourmont : 
Littérature. « Mercure de France », 15 juin 1909. — G. Casella 
et E. Gaubert : La Nouvelle Littérature. Sansot, Paris, 1906. 
— Henri Rigal et Raoul Davray : L'Anthologie des Poètes 
du Midi. Ollendorf, 1908. — Henri Martineau : Pierre 
Fons. Editions du « Divau », 1909. 



LES POÈTES DU DIVAN 87 

POÈMES 



Ils t'ont menti, ceux qui proclament le néant 
Et prévoient le Hasard maître immortel des mondes I 
Si les matins s'éploient sur les collines blondes, 
La vie a dans son sein quelques secrets plus grands. 

Les livres t'ont fait mal, ô trop pensif enfant I 
Ne les écoute plus ; car à ton cœur répondent 
Sans cesse les amours dont les ardentes rondes 
En ton sang ont ému de plus forts battements. 

Entends, entends le guide éternel qui t'appelle ; 
Il faut vivre tes jours : toute la vie est belle. 
Même à travers les pleurs, même 4 travers la nuit ; 

Et quand la mort bientôt étreindra les collines, 

Epie à l'horizon se répandre le bruit 

Que nouent dans l'infini les étoiles divines. 

II 

Le soleil, au sommet d'un jour de février 

En présageant le printemps proche, 

Rassemble les douceurs d'une douceur de cloche 
Sur un jardin ivre en laurier. 

Et cette rumeur-là tiède et comme hésitante 
Simule qu'un bonheur d'amour brusquement vient, 
Et fait fleurir dans le mystère de l'attente 
L'Avenir qui, songeant au Passé, se souvient I 



CHARLES FOROT 



Né au Pigeonnier par Saint-Félicien (Ardèche) le 20 mai 
1890. 

Collaboration poétique au Divan : n» 68, novembre 
1920. 



88 LES POÈTES DU DIVAN 

Bibliographie : La Ronde des Ombres. « Le Divan », 
1922. 

A consulter : Paul Garcin, Nouveau Mercure, janvier 1923. 
— Jacques Reynaud, Revue Fédéraliste, août 1922. — Henri 
Rambaud : Carnet Critique, décembre 1922. 

VERS 

Plus tard, en cette heure d'or 

Où tu te recueilles, 
Quand les châtaigniers encor 

Verront choir leurs feuilles, 

Sous la coupe de cristal 

D'un ciel gris et rose 
Où cède au destin fatal 

La dernière rose. 

Où, coureur des champs, le vent 

Hérisse la meule, 
Tu sentiras l'émouvant 

Regret d'être seule. 



HENRI GADON 

Né à Limoges le 2 octobre 1884. 

Collaboration poétique au Divan : n» 3, mai 1909 ; — 
n° 40, juin 1913 ; — n» 46, mars 1914. 

Bibliographie î Le Chalumeau de Pan. « Psyché », 

1906. 
A consulter : Louis Thomas, Le Divan, n» 40, juin 1913. 

LA LUNE AU MIROIR 

Un miroir près de ma fenêtre 
Me jette les pâles rayons 
De la lune qui vient de naître 
Au bord lointain de l'horizon. 



LES POÈTES DU DIVAN 89 

Avec la douceur de ton charme, 
Tu captives, trop doux miroir, 
Ces yeux qui s'emplissent de larmes, 
Et ce cœur plein de nonchaloir. 



MAURICE GAUCHEZ 
Né à Chimay (Hainaut belge) 31 juillet 1884. 

Collaboration poétique au Divan : n»16, décembre 1910. 

Bibliographie : Essai d'étude sur le symbolisme. « La 
Jeune Revue », Bruxelles, 1902. — Charles Guérin. 
« Le Thyrse », Bruxelles, 1907. — André F intainas. 
« Vers et Prose », Paris, 1908. — Emile Verhaeren. 
M Le Thyrse », Bruxelles, 1908. — Le Livre des 
Masques belges. 3 volumes, 5^ édition. La Société 
nouvelle, Paris-Mons, 1908-1909-1910. —Les Poètes 
des Gueux, anthologie. Louis Michaud, Paris, 1912. 
— Les Poètes de Cape et d'Epée, anthologie. Louis 
Michaud, Paris, 1912. — Histoire des Lettres fran- 
çaises de Belgique des origines à nos jours. « La 
Renaissance d'Occident », Bruxelles, 1922. — 
Poèmes : Jardin d'adolescent. Sansot, Paris. — 
Les Symphonies voluptueuses. « La Belgique Artis- 
tique et littéraire », Bruxelles, 1908. • — A la louange 
de la Terre. Lamertin, Bruxelles, et Librairie des 
Sciences et des Arts, Paris, 1908 et 1912. — Images 
de Suisse. Illustrations de Amédée Lyren et dePol 
Vandebroeck,chez Lamberty à Bruxelles, 1912. — 
Les Rafales, 1914-1916. Figuière, Paris, 1917. — 
Ainsi chantait ThyU 1914-1918. G. Crès, Paris, 
1918. — L'Hymne à la Vie, 1909-1920. « La Renais- 
sance d'Occident », Bruxelles. — Les Rafales et 
Ainsi chantait Thyl, 1914-1918. « La Renaissance 
d'Occident », Bruxelles, 1922. 

A consulter : Charles Tardieii : Un poète. « Indépendance 
belge ». Bruxelles, 7 mars 1907. — Paul Cornez, La Revue 
Funambulesque, octobre 1907. — M. Wilmotte : Un poète. 
« Revue de Belgique», 15 octobre 1907. — L. Bocquet : 
Les Poètes. « Le Beffroi » , 1908, mars. — Emile Verhaeren : 



90 LES POÈTES DU DIVAN 



Die Belgische DicIUers. « Die Woche », Berlin, janvier 
1910. — Léon Bocquet, Belles - Leltres^ mars 1923. — 
Rémy de Gourmont : La Belgique littéraire (Ed. Grès, 1917). 
— Philéas Lebesguc : Maurice Gauchez. « La Revue », 
3 août 1922. 

POÈMES 

J'ai cueilli du soleil pour en faire un bouquet 
Puis j'ai posé ces fleurs de vibrantes lumières 
En offrande d'amour au seuil de ce bosquet 
Où j'ai fermé souvent en rêve mes paupières. 

J'ai cueilli du soleil, j'en ai gerbe les fleurs : 
C'était une splendide et brillante brassée, 
Un émoi de rosée y mélangeait ses pleurs 
Et j'ai tenu ces fleurs longuement embrassées. 

J'ai cueilli du soleil à l'aube du matin 
Et mes mains ont gardé l'odeur de ces pétales 
Et mon cœur a dans lui de l'or clair et divin, 
Et mon âme est une âme en robe de Vestale. 

J'ai cueilli du soleil, j'ai cueilli la clarté, 
J'en ai jeté dans l'ombre et l'ombre est lumineuse, 
J'en ai jeté par terre, et, vois-tu, c'est l'été ; 
J'en ai g5. 
— Ernest Gaubert : La Nouvelle Littérature, Sansot, 1906. — 
Martin-Mamy : Les Nouveaux Païens, Sansot, 1913. — 
Philéas Lebesgue « Les Humbles», 1918. — Pages choisies 
de Ph. Lebesgue, par Manuel Coulon, Beauvais, 1923. 

l'ombre hivernale 

L'ombre hivernale autour de mon vieux seuil s'allonge : 
Ne me demande pas, femme, pourquoi je songe. 

La vigne au bord de ma fenêtre perd ses feuilles ; 
Les abeilles au creux des ruches se recueillent. 

Il vient dans le brouillard des corneilles qui crient ; 
En moi le souvenir anime ses féeries. 

Certains échos crispent d'effroi les âmes veuves ; 
J'ai vu couler les eaux puissantes des grands fleuves. 

Il y a des amours infernales qui pèsent ; 

J'ai vu tomber les lourds marteaux près des fournaises. 

Il y a des ferveurs qui distancent la terre ; 
J'ai goûté la mer vaste, impuissante à se taire. 

Il y a des sommeils pareils à des fanfares ; 
J'ai vu le tournoiement prestigieux des phares. 

J'ai entendu crisser le cuir sur les poulies ; 
Ma cervelle a tourné sous le vent des folies. 



LES POÈTES DU DIVAN 101 

J'ai senti la beauté merveilleuse du monde ; 
Je l'ai vue incarnée en ta nudité blonde, 

Et cela me suffît pour prolonger le rêve, 

De mes jours, du côté par où rien ne s'achève. 

(Inédit.) 



JEAN LEBRAU 



Né à Moux (Aude) le 20 octobre 1891. Prix de poésie de 
la Pléiade, 1923. 

Collaboration poétique au Divan : n° 73, septembre 
1921 ; — no 84, décembre 1922. 

Bibliographie : L'Humble Levée, 1909. ■ — La Voix de 
Là-bas, préface d'Henry Bataille. Crès, 1914. — 
Six Morceaux de Buis, 1918. — Poésie, 1919. — 
Les Quinze Tonnelles de Marie, 1920. < — Le Cyprès 
et la Cabane. « Le Divan », 1922. — Sous presse : 
Le Ciel sur la Garrigue. Prix de la Pléiade. Librairie 
de France. 

N.-B. — Six Morceaux de Buis et Les Quinze Ton- 
nelles de Marie seront prochainement réédités avec 
quelques autres poèmes inédits d'inspiration reli- 
gieuse sous ce titre : Témoignage. 

A consulter : Guy Lavaud, La Vie, du 1«' mars 1921. — 
Tristan Derème, Les Pyrénées, de Tarbes, des 15, 16, 17, 
18 et 19 juin 1918, Jean Lebrau ou le Roman d'une âme. 

PRINTEMPS BÉARNAIS 

A Edmond Pilon. 

Il est cinq heures sur la ville printanière. 

Du ciel un peu brumeux que teinte le couchant 

Se répand une douce et suprême lumière ; 

Aux bambous du faubourg s'attarde quelque chant. 

Les neiges sont tout près ; on dirait des glycines. 
Satisfais-toi, cœur inquiet, de ce bonheur ; 
Goûte sans amertume et le soir des collines 
Et ces reflets partout comme un songe de fleur 1 



102 LES POÈTES DU DIVAN 



Au vent qui t'arrachait tes bouquets nuptiaux 
Précocement fleuris, vieux verger de village, 
Pour en répandre la dépouille sur les eaux. 
Une enfant s'amusait à tendre son visage. 

Et plus fraîches encore en étaient les couleurs. 
Ah I qu'il eût été doux de trouver sur sa joue, 
O vieux verger, le goût d'amande de tes fleurs 
Dont l'ouragan de mars brutalement se joue I 



J'ai vu déjà le papillon des cardamines 
Flâner sur la rosée, arc-en-ciel des talus, 
Et des pruniers fleuris comme des aubépines. 
Jours pluvieux, enfin seriez-vous révolus ? 

Le vieil arbre neigeux, tout bourdonnant d'abeilles 
Dans l'azur où fléchit la ligne du coteau. 
Le papillon-aurore et tant de fleurs vermeilles 
M'auraient fait chanceler, ivre de renouveau. 



L'église aux trois cyprès que les astres couronnent 
S'éclaire dans la nuit odorante d'avril. 
L'autel n'est qu'un bouquet de rouges anémones. 
Hier encore aux vitraux crépitait le grésil. 



Aimons ce chemin creux où les rameaux fleuris 
Des vergers séparés sur nos têtes se mêlent ; 
Et, dans le clair lacis de leurs nudités frêles, 
L'azur comme un oiseau chatoyant semble pris. 

Une fille aux seins lourds gagne, portant des seilles, 
La ferme au colombier si drôlement coiffé. 
On entend des pigeons le langage étouffé. 
Le Gave luit là-bas aux saligues vermeilles. 
(Inédit.) 



LES POÈTES DU DIVAN 103 

GASTON LUGE 

Né à Le Heinan (Indre-et-Loire) le 3 mars 1880. 

Collaboration poétique au Divan : n° 5, septembre 
1909 ; — no 11, mai 1910 ; — n» 28, février 1912 ; — n» 46, 
mars 1914 ; — no 68, novembre ; — no 87, mars 1923. 

Bibliographie : Ma Touraine. « Le Divan », 1913. 
Prix Archon-Despérouses. — - Des lumières s'éteignent, 
Figuière, 1919. 



LA ROSE DU POÈTE 

Emergeant du corset qui gardait sa jeunesse, 
La rose virginale, au seuil du jardin clair, 
S'entr'ouvre, et le Printemps, à son beau pourpoint vert 
L'agrafe et doucement la flatte et la caresse. 

Si candide et si frêle, en sa tendre couleur, 
Dressant sur le rameau, par la nuit reposée, 
Sa coupe merveilleuse où tremble la rosée. 
Elle cache sa joie au secret de son cœur. 

Pour la prendre au réveil, en sa fraîcheur première, 
Dès l'aube, son ami le poète est venu. 
Avant que sa splendeur fragile ne connût 
L'implacable baiser de la fauve lumière. 

Il contemple, ravi, son sourire plus doux. 

Plus pur et plus loyal que toute chose humaine. 

EUe naît, et déjà sa grâce souveraine 

A désarmé les fronts, de sa gloire, jaloux. 

La pervenche et l'œillet s'effacent devant elle. 
On rêve, la voyant, de bonheur infini ; 
Et le bon jardinier, dans son âme, bénit 
Ce radieux matin qui l'a faite si belle, 

{Inédit.) 



104 LES POÈTES DU DIVAN 

EDGAR iMALFÈRE 

Né à Hergnies (Nord) le 24 juillet 1885. 

Collaboration poétique au Divan : n^ 2, mars 1909 ; — 
11° 17, janvier 1911 ; — n° 71, mai 1921. 

Bibliographie : Le Vaisseau solitaire^ poèmes. « Le 

Beffroi », 1905. 



GÉRARD MALLET 

Né à Jouy-en-Josas (Seine-et-Oise) le 20 septembre 1877 ; 
mort à la guerre le 7 août 191M. 

Collaboration poétique au Divan : n» 47, avril 1914. 
Bibliographie ; Heures et Rêves, « La Nouvelle Revue 

Française », 1913. — Poèmes de Guerre et Souvenirs 

de voyage, poèmes en prose. Société littéraire de 

France, 1921. 
A consulter : Jean-Louis Vaudoyer. « Le Divan », n» 50. 

décembre 1918. 

GUERRE MORNE 

Laids comme leurs déserts de boue aux mornes teintes 
Les combats d'à présent ontpour seuls bruits guerriers 
Des détonations, des sifflements, des plaintes. 

Ils n'ont point. Magenta I tes clairons pour crier, 
Ne lancent pas au ciel, léna I tes fanfares. 
Leurs assauts se sont faits silencieux et rares. 

Leur tuerie, Austerlitz, ignorera toujours 

Le bruit tonitruant de tes deux cents tambours 

Mêlés au chœur des voix et des fifres hilares. 

Gomme deux ennemis trop las, trop haletants 
Pour proférer un mot, s'enlacent près d'un gouffre. 
Allemands et Français luttent depuis longtemps. 

Mais un son grave emplit le cœur qui peine et souffre. 
Entendu de lui seul, il grise mieux que font 
La trompette argentine ou le tambour profond, 



LES POÈTES DU DIVAN 105 

Ou le hennissement du cheval qui se cabre, 
Ou le drapeau qui claque avec ses lettres d'or. 
Ou le fourreau froissé laissant jaillir le sabre. 

Diminuant, croissant, jamais il ne s'endort. 
C'est le murmure sourd ou c'est la clameur forte 
De notre résistance orgueilleuse de soi 

Au point d'en oublier tant d'espérance morte, 
Tant d'adieux éternels, de deuil, de désarroi, 
Dans l'exaltation toujours neuve et robuste 

Du respect reconquis en cette guerre juste. 



LOUIS MANDIN 
Né à Paris le 14 avril 1872. 

Collaboration poétique au Divan : n" 1, janvier 1909. 

Bibliographie : Etude sur les Ballades françaises, de 
Paul Fort. Figuière, 1909. — Ariel esclave, poèmes. 
« Mercure de France », 1912. — Les Saisons fer- 
ventes, poèmes. « Mercure », 1914. — Notre Passion, 
poèmes et proses. Renaissance du Livre, 1920. 

A consulter : Léon Deubel, Nouvelle Athènes, avril 1907. — 
T. de Visan, Vers et Prose, mars 1912. — Henri Ghcon, 
Nouvelle Revue française, juin 1912. — Jean Florence, 
Comme il vous plaira, mai-juin 1912. — Francis Carco, 
Le Feu, juillet 1912. — Tristan Derème, L'Ile Sonnante, 
août 1912. — J.-A. Nau, La Vie, septembre 1916. • — 
Georges Le Cardonncl : Courrier du Centre, 2 avril 1920. — 
André Fontainas : Mercure, V^ mai 1920. — S.-Ch. Leconte : 
Belles-Lettres, mai 1920. — Guy Lavaud, La Vie, 15 mai 
1920. — Henriette Charasson, Le Rappel, 3 août 1920. — 
Jean Royère, Carnet critique, décembre 1920. 

A l'intérieur du divan 

L — l'étoile du soir d'amour 

Voici ma main qui vient dans le grand ^oir limpide, 
Et vous apporte, calme, après l'ardeur torride 
Du jour que l'épuisant soleil incendia. 
L'étoile qui première en l'azur scintilla. 



106 LES POÈTES DU DIVAN 

Oh I prenez son baiser, sa lumière profonde I 
Si dans le ciel et dans mon âme elle est un monde, 
Tremblante, elle se fit, pour se donner à vous. 
Petite, et dans ma main ce n'est plus qu'un bijou. 
Sur votre cœur, hélas 1 mettez-là, mon amie ; 
Car cette perle, c'est un don secret : ma vie. 

IL — LA VOIX ENFERMÉE DANS LE CŒUR 

Tout mon cœur vous appelle, et ma lèvre l'ignore. 
C'est le verbe d'amour, et qui voudrait sonore 
Crier, mais pur attend, bien reclus dans mon sein, 
D'en sortir et d'entrer en vous, un soir divin. 
D'entrer tout bas, si vierge en vous priant sans bouche 
Qu'il fuit le souffle extérieur. Humble et farouche. 
Il s'écoute dans l'ombre en mon être fleurir, 
Et si vous ne daignez, muet, le recueillir, 
Je l'enterrerai vif et vierge au souvenir, 

Au cœur sans voix, au cœur sans fond du souvenir. 
(Inédit.) 



HENRI MARTINEAU 

Né à Coulonges-sur-rAutize (Deux-Sèvres) le 25 avril 1882. 

Collaboration poétique au Divan : no 7, janvier 1910 : 
— no 72, juillet 1921 ; — n» 76, février 1922. 

Bibliographie Poésie : Les Vignes mortes, 1905. — 

Mémoires, 1906. — Acceptation, 1907. —Ouvrages 
EN PROSE : Le roman scientifique d'Emile Zola : 
la médecine et les Rougon-Macquart, 1907. — Les 
Itinéraires de Stendhal, 1912. — La Vie de P.-J. Tou- 
let, 1921. — Monographies : Francis Éon, 1909. — 
Pierre Fons, 1909. — Edmond Jaloux, 1911. — 
Guy Lavaud, 1911. — Eugène Montfort, 1913*. — 
François Porche, 1914. — Jean-Louis Vaudoyer, 
1919. — Francis Carco, 1921. — Pierre Benoît, 
1922. — Pierre Lièvre,1922. --Louis Thomas, 1922. 



LES POÈTES DU DIVAN 107 



Qu'est-ce que l'amour 
sans solitude ? 

(Stendhal.) 

L'amour sans solitude, eh I bien, ce serait vous I 
Je sais, dans le silence on exalte son âme, 
Et le feu qui couvait s'élève et devient flamme 
Je sais, mais le rayon du désir ne m'est doux 
Que si je m'imagine ici votre présence... 
Et je ne voudrais plus nourrir des rêves vains I 
Le jour que j'aurai pris votre main dans ma main 
Nous verrons des jours tels, je le sais. L'espérance 
A ma bouche déjà met le goût chaud des fruits. 
Quand votre bouche me sourit et me dit : « oui ». 
Et mon cœur ose enfin recommencer à vivre. 
Mais, ô lointaine encor, je suis seul aujourd'hui, 
Et sans rien qui saurait me distraire : mon livre, 
Echappé de mes doigts, est là sur mes genoux ; 
Une abeille, enfermée avec moi dans la chambre, 
Revient obstinément aux roses de septembre ; 
Et ma pensée ainsi ne se pose qu'en vous, 
Ma pensée est à vous et mon inquiétude I 
Que fait es- vous si loin de moi, ce soir d'été, 
Où mon amour timide et seul voudrait goûter 
Ce que sera pour nous l'amour sans solitude ? 

II 

Ce jour était de brume attristé 
Quand un regard déchira la nue 
Du bel été. 

Mais si, passante vite apparue, 
D'un tel éclat habille la rue 
Votre beauté 

Quel triomphe attend la bienvenue 
De qui vous courbe de volupté, 
Heureuse et nue 1 



108 LES POÈTES DU DIVAN 

III 

C'est au soir de l'été qu'elle poussa ma porte 
Et dit, en se laissant tomber sur le divan : 
« Cette course en auto fut folle, je suis morte, 
Et mes cheveux défaits se souviennent du vent. 

Puis elle rattacha qui toujours se dénoue 
Sa jarretelle jaune, épingla son chignon. 
Et poudra son menton volontaire et ses joues 
Que le soleil avait hâlés comme un brugnon. 

Mais le plaisir fardait d'aurore son visage 
Quand elle reposa son front sur les coussins 
Et que, par l'échancrure offerte du corsage. 
On voyait palpiter dans l'ombre un de ses seins. 



JEAN iMARTINEAU 
Né à Coulonges-sur-rAutize le 10 décembre 1880. 

Collaboration poétique au Divan : n*» i, janvier 1909 ; 
— n" 11, mai 1910 ; — n» 24, septembre 1911. 

Bibliographie : La Chanson de la mer, La Rochelle, 
1905. — La Route au Soleil. « Le Beffroi », 1907. 

VERS 

Languissante saison, automne pâle et frêle. 

Te voici de retour déjà sur nos coteaux 

De Gironde que baigne un fleuve aux lourdes eaux. 

J'entr'ouvre ce matin les volets des fenêtres 

Sur le premier brouillard moite et silencieux 

D'octobre. Le jardin n'est plus qu'un rêve bleu 

Où tintent lentement, goutte à goutte, une à une. 

Avec un bruit brisé de cristal ou de pleurs. 

Les gouttes d'eau tombant des feuilles et des fleurs 

Penchantes et jaunies. Les arbres dans la brume 

S'éloignent en fumée immobile... O mon jardin. 



LES POÈTES DU DIVAN 109 

Quel étroit horizon t'encercle de mystère 
Et d'isolement I Tout est donc mort ce matin 
Que mes yeux ne voient plus les choses coutumières ? 
Pourtant l'heure a sonné. Sur le sentier, au long 
Du mur, des vendangeurs à la vigne s'en vont, 
Et des groupes d'enfants arrivent à l'école. 
Et soudain, par deux fois, déchirant l'air pesant, 
Quelque lointain vapeur égaré sourdement 
Hulule vers le port et longuement sanglote... 
(Inédit.) 



RENÉ MARTIN EAU 

Né à Tours le 20 décembre 1866. 
Collaboration poétique au Divan : n» 78, avril 1922 ; — 

n° 90, juin 1923. 

Bibliographie. Un Vivant et deux Morts, biblio- 
graphie, 1901. — Tristan Corbière, biographie, 
« Mercure de France », 1904. — Emmanuel Chabrier, 
biographie. Dorbon, 1910. — Un Vivant et deux 
Morts, 2« édition. Lettres françaises, 1914. — 
Promenades biographiques. Librairie de France. 
1920. — Léon Bloy, souvenirs d'un ami. Librairie de 
France, 1921. — Le Musicien de Province, roman. 
Librairie de France, 1922. — La Girouette de bronze, 
poèmes. « Le Divan », 1923. — Préface aux Amours 
jaunes. Ed. Grès. Les Maîtres du Livre, 1919. 

VENDREDI SAINT 

A Adolphe Retté. 

Mon ventre a faim de nourriture 
Mon cœur est bas, mon esprit dort 
Mon corps a faim de pourriture 
Et c'est pour moi que Dieu est mort I 

Mon Dieu est mort pour que je vie 
Il me l'a dit et je le crois 
Mais le plus souvent je l'oublie 
Tout en y pensant quelquefois. 



110 LES POÈTES DU DIVAN 

L'avenir me semble stupide 
Triste décor, triste destin 
Tout mon passé me paraît vide 
Et je mourrai demain matin I 

Vanité, paresse, avarice 

De la douleur pour réconfort 

Pour me distraire un peu de vice 

Et c'est pour moi que Dieu est mort I 

L'amour est là, plein de promesse 
Ramenant le cœur défaillant 
Sa présence à la sainte messe 
Me fait rougir en bégayant 

Bégayant de béatitude 

Tout en me disant que j'ai tort 

Heureux, honteux de certitude 

Et c'est pour moi que Dieu est mort 1 



MARCEL MARTINET 

Né à Dijon le 22 août 1887. 

Collaboration poétique au Divan : n" 10, avril 1910. 
Bibliographie : Le Jeune Homme et la Vie, poèmes. 

Edition de Paris, 1910. — Les Temps maudits, 

poèmes, l^e édition. « Demain », Genève, 1917. 

Nouvelle édition complétée. Paris, Ollendorfî, 1920. 

• — La Maison à l'abri, roman. Ollendorfî, 1919. — 

Pages choisies de Romain Rolland. 2 volumes. 

Ollendorfî, 1921. — La Nuit, pièce en cinq actes. 

« Clarté », 1922. 

SOURCE 

Eternelle et fraîche coulée 
Dont le cristal aérien 
Vibre et danse glissade ailée 
Sous l'air méditerranéen. 



LES POÈTES DU DIVAN 111 

Ton chant qui bondit et qui tinte 
Cascat elles sur cent rochers 
Réveille dans la pierre éteinte 
Le rire clair des dieux cachés. 

Et quand la lumière qui joue 
A mêler ses jeux à tes jeux 
Dans tes miroirs noue et dénoue 
Ses scintillements onduleux, 

Ses reflets sur l'ombre des rives 
Frémissante de leur lueur 
Insaisissablement inscrivent 
Les jeux fluides du bonheur. 

(Inédit.) 



FERNAND MAZADE 

Né à Château-de-Monac, près d'Anduze, en 1863. 

Collaboration poétique au Divan : n^ 41, juillet 1913. 

Bibliographie : Des Pages. Bérard, à Marseille, 1882. — 
Ariette pour Arabelle. Marseille, chez Urbain Coste, 
1886. • — Arbres d'Hellade. Aux éditions du docu- 
ment du Progrès, 1912. — Athéna. Documents du 
progrès, 1912. — Dionysos et les Nymphes. Aux édi- 
tions de Pan, 1913. — Apollon. Documents du 
progrès, 1913. — ■ L'Ardent Voyage. Librairie de 
France, 1921. — De sable et d'or. Garnier frères, 1921. 

A consulter : Les Poètes de demain (Fernand Mazade, Jean 
Tribaldy, Jean Lombard), par Etienne Bellot. Librairie 
socialiste, 1887. — L'Anarchie littéraire, par Anatole Baju. 
Vanier, 1889. — Florilège normand. Librairie normande, 
1890. — Anthologie de Robert de la Vayssière. Grès, 1923. 

LA FENÊTRE 

Vous plaît-il qu'on prenne un sentier que je sais ? 

Il mène à la cime 
De ces coteaux bleus en faisant des lacets 

Au bord de Tabîme. 



112 LES POÈTES DU DIVAN 

Vous serait-il doux de suivre le chemin 
Qui, par les genièvres, 

Conduit jusqu'au seuil de l'antique moulin 
Où couchent des chèvres ? 

Voulez-vous, le long de ce ruisseau couvert 
D'un fidèle ombrage. 

Aller du côté que palpite la mer 

Fantasque et sauvage ? 

Si vous aimez mieux dans le ciel voyager, 

Il suffit peut-être 
De lever les yeux sous le rideau léger 

De cette fenêtre. 

(Inédit) 



REGRETS 

Parmi l'enclos où le soleil traîne 

Ses chèvres d'or et ses moutons blancs, 

Parmi l'enclos de cyprès dolents. 

De noirs cyprès sveltes et tremblants, 

Vous avez vu fluer la fontaine. 

Bien que rapide, elle a le cœur doux. 
Bien que limpide, elle a le cœur sombre. 
Des arbres noirs son onde aime l'ombre ; 
Mais leurs rameaux sont en si grand nombre 
Qu'elle ne peut les refléter tous. 

Je n'ai pas su réfléchir vos charmes : 
Et, belle enfant, vous pardonnerez 
A qui se meurt d'innocents regrets. 
Une fontaine entre des cyprès. 
C'est mon amour entouré de larmes. 

(Inédit.) 



LES POÈTES DU DIVAN 113 

ALPHONSE MÉTÉRIÉ 

Né à Amiens en septembre 1887. 
Collaboration poétique au Divan: nJ74, décembre 1921. 
Bibliographie : Le Livre des Sœurs, poèmes, 1907- 

1913. Malfère, 1922. — Le Cahier Noir, poèmes, 

1914-1920. Malfère, 1923. — Cophetuesques, vers. A 

paraître. 

TRISTESSE AUX YEUX D* ARGENT... 

Je parle de l'amour avec un cœur paisible. 
Hélas I et l'on voit bien que je ne subis pas 
Le bienheureux pouvoir de ce maître invisible 
Qui viendra me surprendre au jour qu'il choisira. 

Alors, je n'aurai plus de paroles peut-être 
Pour accueillir chez moi l'Etranger dangereux. 
Et, sans voix, je verrai que les dieux veulent être 
Plus beaux encor que tout ce qu'on rêva sur eux. 

Alors je goûterai les choses véritables 

Que mes lèvres d'enfant ne savent que nommer, 

Et je posséderai les trésors redoutables 

Qui me hantent de loin malgré mes yeux fermés. 

Et la Douleur viendra — car l'amour l'y convie — 
Et prendra votre chère place à mon chevet, 
O protectrice pure, ô mon unique amie 
A qui mon cœur fidèle avait tout réservé. 

Tristesse aux yeux d'argent qui veillez sur ma vie. 

NOTRE PAIN QUOTIDIEN 

Peu sensible aux plaisirs que la terre lui laisse, 
A ses chagrins humains indifférent aussi, 
Le poète est semblable à ce roi sans richesses 
Qui, souriant et grave, à l'auberge est assis : 
Avec le miel des jours il nourrit sa tristesse, 
Et sa faim de tendresse avec leur pain rassis. 
(Le Livre des Sœurs.) 



114 LES POÈTES DU DIVAN 

SEIGNEUR, JE NE SAIS PLUS... 

Seigneur, je ne sais plus mentir à ma misère : 
Je VOUS parle à genoux sans croire à mes discours, 
Puisqu'enfin ce n'est pas une simple prière 
Qui peut rassasier ce cœur mourant d'amour. 

J'ai trop erré, j'ai soif d'une eau qui désaltère, 
Et j'ai trop attendu : les temps humains sont courts. 
Si je suis votre enfant, si vous êtes mon père. 
Laissez-moi chercher seul un terrestre secours. 

Dans un trop grand désastre on ne peut plus combattre, 
Et tout cédant alors, on faiblit tout d'un coup : 
J'ai besoin d'un ami qui soit moins loin que Vous... 

Car je vis I car j'entends mon cœur gémir et battre, 
Hélas I... Et délaissant vos pensives hauteurs. 
Je rêve à d'imparfaits et doux consolateurs... 

(Le Cahier tioir.) 



CLAUDE ODILE 

Jean Gentzbourger, directeur-fondateur de La Renais- 
sance alsacienne et de La Vie en Alsace, a publié des vers sous 
le pseudonyme de Claude Odile. 

Né à Strasbourg le 27 novembre 1887. 

Collaboration poétique au Divan : n" 29, mars 1912 ; — 
n» 34, novembre 1912 ; — n« 39, mai 1913 ; — n» 43, no- 
vembre 1913 ; — no 47, avril 1914 ; — n» 64, mars 1920 ; — 
no 71, mai 1921. 

Bibliographie : Claude Odile : Prélude. « Le Divan » 
1912. — Chants. « La Phalange », 1912. — Les 
Noces d'Ariel, Brian Hill, Bruxelles, 1914. — Jean 
Gentzbourger : La Fiancée de Zellenberg. « La Mé- 
sange », Strasbourg, 1922. 



LES POÈTES DU DIVAN 115 

LUNAIRES 

Le clapotis léger des barques et des branches 
Se mêle à la douceur des parfums du tilleul. 
Les mouvements du vent dans les frondaisons blanches 
Sont si lents, qu'on s'étonne et se plaint d'être seul. 

Je ne sais plus les noms des fleurs ni des villages. 
Je ne sais plus les bruits des feuilles ni des pas. 
Je me souviens des nuits auprès des mers sauvages, 
Et je guéris d'un mal que je ne connais pas. 

ÉTREINTE 

Laissez, et dénouons l'étreinte que renoue 
Le soir qui veille seul dans la chambre de mort. 
Car je sens que des pleurs ruissellent sur vos joues, 
Délices et désirs meurtris de votre corps. 

Lorsque le vent des nuits dans la plaine circule 
Le silence se plaint comme un cœur exilé. 
J'aime cette ombre douce où pleure un crépuscule 
Vers la lune qui neige et les fleuves gelés. 



MARCEL ORMOY 

Marcel Prouille, connu sous le pseudonyme de Marcel 
Ormoy. Né à Paris le 3 septembre 1891. 

GoUahoration poétique au Divan : n» 29, mars 1912 ; — 
no 36, février 1913 ; — n" 87, mars 1923. 

Bibliographie : Les poésies de Makoko Kangourou, 
en collaboration avec Charles Moulié. Dorbon aîné, 
1910. " — Impressions. Dorbon aîné, 1911. — Le 
Jour et VOmbre. Basset, 1912. — Votifs, 1913. — 
Marquise. 1919. ■ — La Conquête, roman. Bernard 
Grasset, 1921. 



116 LES POÈTES DU DIVAN 

POÈME 

Un nuage passe. L'oiseau 

Qui le traverse 
En a-t-il fait sourdre l'averse 
Qui chante amoroso 

Dans les branches des peupliers 

Et sur l'eau lente 
Dont la molle course indolente 
Tient nos deux cœurs liés, 

Chère, et l'un de l'autre si près 

En cette barque. 
Que nous réunirait la Parque 
Sous le même cyprès. 

(Inédit.) 



JEAN PELLERIN 

Né à Pontcharra (Isère) le 24 avril 1885. Mort le 9 juillet 
1921, à Chatelard (Savoie). 

Collaboration poétique au Divan : n° 13, juillet 1910 ; 

— no 28, février 1912 ; — n» 37, mars 1913 ; — n» 60, juillet 
1919 ; — n» 76, février 1922. 

Bibliographie : — Poèmes : La Romance du Retour, 
« Nouvelle Revue Française », 1921. - — Le Bouquet 
inutile. « Nouvelle Revue Française », 1923. — 
Prose : La Jeune Fille aux pinceaux. Edition fran- 
çaise illustrée, 1919. — L'Evadé de l'Enfer, Ferenczi. 

— La Mégère amoureuse. Ferenczi, 1921. ■ — Le 
Dîner des bons ménages. Grès, 1921. — La Dame de 
leurs pensées. Albin Michel. — Sous le règne du 
Débauché. Albin Michel. ■ — Cécile £t ses amours. 
Albin Michel, 1923. — Fantaisies : Le Copiste 
indiscret. Albin Michel 1919. 

A consulter : Le Divan, n° 76, février 1922, consacré entiè- 
rement à Jean Pellerin. — Tristan Derème, La Revue 
Fédéraliste, mai 1923. 



.ES POÈTES DU DIVAN 117 



LA NUIT D AVRIL 



Je ne me suis pas fait la tête de Musset, 

Je tartine des vers, je prépare un essai, 

J'ai le quart d'un roman à sécher dans Tarmoire. 

..Mais que sont vos baisers, ô filles de mémoire 1 

Vous entendre dicter des mots après des mots, 

Triste jeu I 

...Le loisir d'été sous les ormeaux, 
Une écharpe du soir qui se lève et qui glisse... 
Des couplets sur ce bon monsieur de la Palice 
Que répète un enfant dans le jardin couvert. 
Ce crépuscule rouge, et puis jaune, et puis vert... 
Une femme passant le pont de la Concorde... 
Le râle d'un archet pâmé sur une corde, 
La danse, la chanson avec la danse, un son, 
La flûte, sur la danse entraînant la chanson. 
Ce geste d'une femme et celui d'une branche... 
Ah 1 vains mots 1 pauvres mots en habits du dimanche,. 
Ah I vivre tout cela, le vivre et l'épuiser I... 
Muse, reprendsmon luth et garde ton baiser 1 



PIPE 

La Marguerite à l'écheveau 

Penche sa gorge nue ; 
Faust que le diable rend dévot 

Regrette sa cornue ; 

Don Juan, devant un seuil galant, 
Huile quelque serrure ; 

Masoch fait jaillir en tremblant 
Deux seins d'une fourrure ; 

La maquerelle met des bas 

A la Vénus pudique ; 
L'enfant latin parle tout bas 

De lever sa tunique ; 



118 LES POÈTES DU DIVAN 

Barbe-Bleue est l'amant repu 

De ses assassinées ; 
Le succube prit ce qu'il put 

De deux hallucinées... 

Mais toi, qui gardera ta bouche 

Et vaincra ton baiser, 
Ta bouche où le baiser se couche 

Et meurt sans s'apaiser ? 

BOHÈME 

— Nous n'entendrons plus ta chanson. 

Marchande, « belles fraises », 
Ni ta trompette à l'aigre son, 
Doux rempailleur de chaises I 

— Prépare l'omelette au lard. 

Je vais plier les nappes. 

— Oh 1 ces écharpes de brouillard 

Sur mon quai de Jemmapes. 

— Où sont les restes du pâté ? 

— Où, tes rires, faunesse ? 

— J'ai perdu la passoire à thé. 

— J'ai perdu ma jeunesse. 

Nos premières heures d'amants. 
Ses baisers d'étourdie, 

Rêve I... — Deux déménagements 
Valent un incendie. 



CÉCILE PÉRIN 

Née à Reims le 29 janvier 1877. 

Collaboration poétique au Divan: n» 24,septembre 1911. 

Bibliographie: Vivre ! « Revue littéraire de Paris et 
de Champagne », 1906. — Les Pas légers. San sot 



LES POÈTES DU DIVAN 119 

1907. — Variations du Cœur pensif. San sot, 1911. — 
La Pelouse. San sot, 1914. Prix national de Poésie 
1914. — Les Captives. Sansot, 1919. — Les Ombres 
heureuses. « Le Divan », 1922. — Finistère (à paraître). 

CHANT A BOIX BASSE 

Chante. La mer s'écrase au bord des rochers noirs ; 

Même en dormant elle palpite. 
Chante à mi-voix. Le vent frais et léger du soir 

Ramène les vagues en fuite. 

Sur l'immensité bleue et laiteuse, au couchant, 
S'allongent des reflets de cuivre. 

Et de son grand vol courbe une mouette fend 
Le ciel limpide et le fait vivre. 

Tout est souple, le vent, la vague, les oiseaux. 
Devant tes yeux, contemplative I 

Sois vibrante et sensible aux plus faibles échos, 
Ne demeure jamais passive. 

(Inédit.) 



EDMOND PILON 

Né à Paris le 19 novembre 1874. 
Collaboration poétique au Divan : n° 69, janvier 1921. 

Bibliographie : Les Poèmes de mes soirs, poésies. Vanier 
Paris 1896. — La Maison d'Exil, poésies. « Mercure 
de France », 1898. ■ — Portraits français, 2 séries. 
Sansot, Paris, 1904-1907. — Le dernier jour de 
Watteau. Sansot, Paris, 1907. — Muses et Bour- 
geoises de jadis. « Mercure de France », Paris, 
1908. — Francis Jammes et le sentiment de la nature. 
« Mercure de France », 1908. — Chardin. Les 
Maîtres de l'Art. Pion, 1909. — Portraits tendres et 
pathétiques. « Mercure de France », 1909. — Dans 



120 LES POÈTES DU DIVAN 

les Jardins et dans les Villes. Sansot, Paris, 1910. — 
Sites et Personnages. Bernard Grasset, Paris, 1912. — 
Watteau et son Ecole. Van Oest, Bruxelles, 1912. — 
Portraits de sentiment. « Mercure de France », Paris, 
1913. — Jean- Baptiste Greuze, peintre de la femme. 
Piazza, Paris, 1913. — Pèlerinages de guerre. Perrin, 
Paris, 1917. — Sous l'Egide de la Marne. Bossard, 
Paris, 1919. — Aspects et Figures de femmes. Renais- 
sance du Livre, Paris, 1920. — Figures françaises et 
littéraires. Renaissance du Livre, Paris, 1921. — 
Mademoiselle de la Maisonfort. Pion, Paris, 1922. 

A consulter : André Hallays, préface à Sites et Personnages, 
1912. — Camille Mauclair : préface à Aspects et figures de 
femmes, 1920. — René Boylesve : préface à Figures fran- 
çaises, 1921. — Manoël Gahisto : Edmond Pilon. Coll. 
«Les Célébrités d'aujourd'hui », Sansot, 1921. 



LISSE COMME UN ROSEAU... 

Lisse comme un roseau le corps des jeunes filles 
S'élance du bassin dans la lueur qui brille. 
Un doux éclat de lune envahit le mystère 
Où le ciel mi- voilé le dispute à la terre ; 
Une ombre peu à peu décroît sur la colline. 
Cependant qu'au zénith une étoile s'incline 
Et semble, sur le front vivant de la plus belle, 
Mêler à ses cheveux le feu d'une étincelle. 
Puis l'azur lentement le cède à l'or lunaire ; 
Chaque astre qui s'allume au divin lampadaire 
Scintille dans le ciel au-dessus des baigneuses. 
A peine si le soufïle du vent, dans les yeuses. 
Dans les roseaux, dans les iris et sous les saules. 
Caresse les doux fronts et baigne les épaules : 
C'est une fresque où tout s'estompe, où tout recule. 
Vision faite de l'ombre et du crépuscule, 
Une sorte de doux tableau dans lequel brille. 
Lisse comme un roseau le corps des jeunes filles. 
(Inédit.) 



LES POÈTES DU DIVAN 121 

LOUIS PIZE 
Né à Bourg-Saint- An déol (en Vivarais) le 16 mai 1892. 

Collaboration poétique au Divan : n^ 55, novembre 

1917 ; — no 64, mars 1920 ; — n» 81, juillet 1922. 

Bibliographie : Petits poèmes des jardins et de la mon- 
tagne. Bibliothèque de T Amitié de France, 1913. — 
La Couronne de Myrtes, poèmes, 1914-1918. « Les 
Essaims nouveaux » et chez Emile-Paul, 1919. — 
Le Cantique de Notre-Dame d'Ay, Editions du 
Pigeonnier, 1921. — Les Pins et les Cyprès. Collection 
poétique de la Librairie Garnier, Paris, 1921. — 
Vivarais. Aubenas, 1922. 

A consulter : Tristan Derème : Chronique. « Les Pyrénées», 
24 avril 1913. — Henri Marlineau : Les Poètes. « Le' Divan », 
novembre-décembre 1919. — Henri Rambaiid : Louis 
Pize, Vivarois. «Revue Fédéraliste» , 'septembre 1921. — 
P. Hervelin : Chronique des Poèmes. « La Revue Française», 
9 octobre 1921. — Paul Champagne : Chronique des Poèmes. 
« La Terre wallonne », 15 novembre 1921. — Henri Ghéon : 
Poètes ca^/jo//gues. « Les Lettres» , janvier 1922. — Charles 
Baussan : Le Vivarais vu par Jean-Marc Bernard et Louis 
Pize. « La Croix» ,22 avril 1923. — Paul Garcin :La Poésie de 
Louis Pize. « La Muse Française» , n» du 19 juillet 1923. 

LE VOYAGEUR 

Beau jour d'été, remplis de lumière bleuâtre 
Les ravins à nos pieds longuement découverts I 
Pose sur la prairie et le chemin du pâtre 
Ton voile qui s'étend jusqu'aux plateaux déserts. 

Couvre les bois et les montagnes de silence. 
Jour trop calme et trop clair quand il nous faut soufîriri 
Le dieu qui nous dirige aime la violence. 
Et mon cœur poursuivi ne peut te contenir. 

Ta gloire et ta douceur me sont indifférentes. 
Je sens tout près de moi ton paisible sommeil. 
Si tu retiens le cours des heures transparentes, 
Pourquoi me laisses-tu dans un trouble pareil ? 



122 LES POÈTES DU DIVAN 

Ne cesserai-je pas, sous Tazur sans nuage, 
Quand le jour se répand comme un bonheur parfait, 
D'entendre les sanglots de ce cœur plein d'orage 
Que les plus beaux pays n'auront point satisfait ? 
(Inédit.) 

THIERRY SANDRE 

Charles MouUé, connu sous le pseudonyme de Thierry 
Sandre. Né le 19 mai 1890 à Rayonne (Basses-Pyrénées). 
Collaboration poétique au Divan : n° 18, février 1911; 

— n° 51, octobre 1915. 

Bibliographie : Les Mignardises. Le Nain Rouge, 

1909. — Les Poésies de Makoko Kangourou. Dorbon, 

1910. — Le Tombeau de Renée Vivien. Sansot, 1910. 

— Al Abbassa, roman traduit de l'arabe. Fonte- 
moing, 1912. — La Pourpre et le crêpe. « Le Divan », 
1917. — Le Fer et la flamme. Perrin, 1919. — Apologie 
pour les Nouveaux- Riches. Messein, 1920. — Les 
Epigrammes de Rufin. Messein, 1921. — Fleurs du 
Désert. Messein, 1921. — Le Livre des Baisers, de 
Jean Second. Malfère, 1922. — Les Amours de Faus- 
tine, de Joachim du Bellay. Malfère, 1923. — 
Tablettes d'une amoureuse, de Sulpicia. Les Amis 
d'Edouard, 1923. — Sous presse: Mienne, roman. 
Allah veuille !... roman traduit de l'arabe. — Le 
Purgatoire, souvenirs. — La Touchante Aventure de 
Héro et Léandre. 

COMPLAINTE 

Nuit perfide, nuit féminine, nuit trop belle, 
Nuit si lente, si loin de celle que j'appelle. 
Nuit, cours vers ton aurore et ne sois pas complice. 
Je ne sais quelle crainte en mon âme se glisse. 
Elle devait venir, elle n'est pas venue. 
Je ne sais quel soupçon en mon cœur s'insinue. 
Elle devait venir, doux espoir, vaine attente. 
Toi donc, si tu la vois et qu'elle est inconstante, 
Vole vers ton aurore, ô nuit, venge-moi d'elle 
Et ne sois pas si lente et ne sois pas si belle. 
{Inédit.) 



LES POÈTES DU DIVAN 123 

PÉAN MINEUR 

A ton triomphe, automobile, 
Sur Tantiquaille des chevaux. 
Tel poète, s'il en jubile, 
Dressera les autels nouveaux. 

Tu n'as plus qu'à mourir de honte. 
Amour des vieilles fictions, 
Quand notre temps si riche compte 
Tant de quadruples Ixions. 

On dira votre ivresse, roues. 
De tourner éternellement 
Et pour toi, moteur qui t'ébroues, 
L'ardeur de ton bourdonnement. 

Mais qui, dominant la folie 
Dont tout le monde semble atteint. 
Chantera, moineaux qu'on oublie, 
Votre chasse vaine au crottin ? 
(Inédit.) 



JEAN TENANT 



Né à Rive-de-Gier (Loire) le 8 octobre 1885. 

Collaboration poétique au Divan : n° 10, avril 1910 ; — 
no 17, janvier 1911 ; — n» 43, novembre 1913 ; — n» 60, 
juillet 1919 ; — no 78, avril 1922. 

Bibliograpbie : La Bonne Tâche. « Le Divan », 1918 

INGRATITUDE 



— O Femme, diligente et favorable hôtesse. 
Lorsque sur le chemin paraît le bien-aimé. 
Votre cœur toujours prêt déborde de tendresse, 
Et l'amour est debout sur le seuil parfumé. 



124 LES POÈTES DU DIVAN 

Car vous êtes l'accueil, le repos sous l'ombrage, 
Le rafraîchissement à nos lèvres offert, 
La corbeille de fleurs sur la table du sage, 
Le sein tiède, le nid berceur, les bras ouverts. 

Mais tant de promptitude et tant de complaisance 
Par quoi l'orgueil de l'homme est trop tôt satisfait, 
Dans les âmes de feu laissent un vide immense 
Que vos soins les plus doux ne combleront jamais. 

Ne vous verrai-] e point, par un coup de génie. 
Ajouter à vos dons l'impérieux désir ? 
Et ne pourrai- je, enfin, sentir la tyrannie 
D'un amour exigeant sur moi s'appesantir ? 

Ah I rejeter le faix d'une royauté vaine ; 
Sous votre loi, sombrer ou voguer vers le port, 
Et gagner, en servant les ardeurs d'une reine. 
L'oubli d'avoir été si longtemps le plus fort I 

II 

— Les dieux t'ont fait puissant, et leur faveur t'accablel 
Pourtant, vois ta malice et ton aveuglement : 
Tu réclames encore, ô maître insatiable. 
Le poids de ma faiblesse et de mon dénûment. 

Laisse à l'enfant divin le choix de nos blessures, 
Poursuivons le combat sans lui désobéir ; 
Il a mis dans nos mains les armes les plus sûres : 
A toi de commander, à moi de consentir. 

A moi d'enguirlander le vaisseau du pilote, 
A moi d'offrir ma bouche, et ma vie, et mon chant, 
Heureuse quand, meurtri par le sort, mon despote 
Sur mon cœur maternel gémit comme un enfant. 

(Inédit) 



LES POÈTES DU DIVAN 125 

DANIEL THALY 
Né à Roseau, Dominique (Antille anglaise) le 2 décembre 1879. 

Collaboration poétique au Divan : n» 7, janvier 1910 ; 

— no 9, mars 1910 ; — n» 14, septembre 1910 ; — n» 23, 
juillet 1911 ; — n^ 31, juin 1912 ; — no 34, novembre 1912 ; 

— no 36, février 1913 ; — no 66, juillet 1920 ; — n» 69, 
janvier 1921 ; — n" 85, janvier 1923. 

Bibliographie : Lucioles et Cantharides. Ollendorfï, 
Paris, 1900. — La Clarté du Sud. Société provin- 
ciale d'éditions, Toulouse, 1905. — Le Jardin des 
Tropiques. « Le Beffroi », 1911. — Chansons de mer 
et d'outre-mer. « La Phalange », 1911. — Nostal- 
gies Françaises. « La Phalange », 1913. 

l'inutile paradis 

Beaux pays reflétant le triomphe suprême 
D'une riche nature aux vibrantes couleurs, 
Océans toujours blancs, forêts toujours en fleurs. 
Paysages heureux, ce n'est plus vous que j'aime I 

Je préfère à présent aux arbres toujours verts 
Ceux des cieux tempérés dont l'éclat s'humanise 
Quand aux jours vaporeux où sanglote la bise 
L'azur prend la couleur des yeux qui me sont chers. 

Ce soir pour apaiser la peine dont je souffre, 

Au lieu de ces palmiers coupant un ciel de soufre 

Sur qui flambent les feux de l'éther aveuglant, 

Que ne puis-je en un parc où rêve le silence 
Suivre des yeux sur l'eau rêveuse d'un étang 
Le vol des feuilles d'or d'un peuplier de France ! 

CHANT dans la TEMPÊTE 

Ecoutons la chanson du mât, 

La chanson du mât de misaine, 

Qui fut sous un autre climat 

Un grand arbre bleu dans la plaine. 



126 LES POÈTES DU DIVAN 

Lui qui charmait Fair du vallon, 
Il est nu sur la mer sauvage. 
Il a pour fleur le pavillon 1 
Il a les agrès pour feuillage I 

Se souvient-il des grands étangs 
Où se miraient les pâles Ourses ? 
Se souvient-il des courts printemps 
Où riaient les nymphes des sources ? 

Ecoutons le large soupir 
Du mât de misaine en détresse. 
O mon cœur, que va devenir 
L'arbre vert de notre jeunesse ? 
(Inédit.) 



LOUIS THOMAS 

Né à Perpignan le 21 avril 1885. 
Collaboration poétique au Divan : n» 61, octobre 1919. 

Bibliographie : Les dernières Leçons de Marcel Schwob 
sur François Villon. « Psyché », Paris, 1906. — 
Lily. « Psyché », 1906. — Les Flûtes vaines. « Psy- 
ché », Paris, 1906. — Les Cris du Solitaire. « Psyché », 
Paris, 1906. — La Maladie et la Mort de Maupas- 
sant. Arthur Herbert, Bruges, 1906. Une seconde 
édition, complètement remaniée, de ce travail, a été 
publiée à Paris, chez Messein, en 1912. — Yette, 
fragment de mes mémoires. Sansot, Paris, 1907. — 
Tablettes d'un Cynique. Editions de « La Société 
Nouvelle », Paris et Mons, 1908. — L'Esprit de 
Monsieur de Talleyrand. Les Bibliophiles Fantai- 
sistes, Paris, 1909. — Le Général de Galliffet. Dorbon 
aîné, 1909. — Les douze Livres pour Lily. Les Biblio- 
philes Fantaisistes, Paris, 1909. — La Promenade à 
Versailles. Dorbon aîné, 1910. — L'Espoir en Dieu. 
Les Bibliophiles Fantaisistes, Dorbon aîné, Paris, 
1910. — Vingt Portraits. Messein, Paris, 1911. — 



LES POÈTES DU DIVAN 127 

Souvenirs sur Moréas. Sansot, Paris, 1911. — André 
Rouveyre. Dorbon aîné, Paris, 1912. — Curiosités sur 
Baudelaire. Messein, Paris, 1912. — Avec les Chas- 
seurs. Grès, Paris, 1916. — Les Diables Bleus pendant 
la Guerre de Délivrance, 1916-1914. Perrin, Paris, 
1916. — Voyage au Goundafa et au Sous. Payot, 
Paris, 1919. — Souvenirs d'un Chasseur, août 1914- 
mars 1916. Perrin, Paris, 1919. — Les Etats-Unis 
inconnus. Perrin, Paris, 1920. — L'Esprit d'Oscar 
Wilde. Grès, Paris, 1920. — Sur un Gratte-Ciel. 
Messein, Paris, 1922. — Confession de la Mort. 
« Le Divan », 1923. — Musiques. « Le Divan », 
1923. — Le Songeur. « Le Divan », 1923. 

A consulter : Henri Martineau : Louis Thomai. « Le Divan », 
1922. 

VERS l'azur 
I 

Je marchais dans la rue, je voyais des enfants 
Qui jouaient, des femmes qui riaient, des amants. 
Je suis rentré. Près d'eux j'étais un vieillard ivre 
Qui, saisissant entre ses lourdes mains un livre, 
Ne sait plus y trouver, comme il le fit jadis, 
Le parfum mystérieux qui s'exhale des lys. 

II 

Et vous, mon triste cœur, que nul ne peut connaître, 
Tandis que travaillés par un obscur émoi 
Les vergers, les moissons, les peuples et les bois 
Déchirent pour grandir les tissus de leur être. 
Pourquoi venir encor si faiblement gémir ? 

Une pure beauté sort des plus hauts désastres. 
Redressez-vous, mon cœur, et dans ces vastes cieux 
Où gisent les pensers des hommes et des dieux, 
Que la courbe où s'inscrit la volonté des astres 
Vous apprenne l'orgueil de monter pour mourir. 



128 LES POÈTES DU DIVAN 

III 

Tout passe, le vent même abandonne les flots ; 
Toi seul, ami, tu vas, cherchant d'autres sanglots, 
Vers la mer, vers l'azur, vers l'espace sans bornes ; 
Et dans ton cœur désert qu'emplit un vide énorme 
Tu écoutes mourir peu à peu cette voix 
Qui t'enchantait jadis et qui ne renaît pas. 

(Inédit) 



P.-J. TOULET 



Né à Pau le 5 juin 1867. Mort le 6 septembre 1920 à Gué- 
thary. 

Collaboration poétique au Divan : n° 15, novembre 
1910 ; — n» 45, février 1914 ; — n» 50, juillet 1914 ; — n» 51, 
octobre 1915 ; — n» 58, mars 1919 ; — n» 63, janvier 1920 ; — 
n» 75, janvier 1922 ; — n° 86, février 1923. 

Bibliographie : Monsieur du Paur, homme public. 
Simonis Empis, 1898. Emile-Paul, 1921. — Le Grand 
dieu Pan, traduit d'Arthur Machen. « La Plume », 
1901. — Le Mariage de Don Quichotte. Ju\ en, 1902. 
La Renaissance du Livre, 1923. — Les Tendres 
Ménages. « Mercure de France », 1904. « Le Divan », 
1923. — Mon amie Nane. « Mercure de France », 
1905. « Le Divan », 1922, — Comme une fan- 
taisie. « Le Divan », 1918, Emile-Paul 1921. — 
La Jeune Fille verte. Emile-Paul, 1921. — Les 
Contes de Behanzigue. Kundig et Grès, 1920. Le 
Hérisson, 1921. — Les Contrerimes. Emile-Paul, 
1921. — Les Trois Impostures. Emile- Paul, 1922. 
— Le Souper interrompu. « Le Divan », 1922. — 
Correspondance avec un ami pendant la guerre. « Le 
Divan », 1922. — Les demoiselles La Mortagne. « Le 
Divan », 1923. 

A consulter : Le Divan, n» 50, juillet 1914, consacré entiè- 
rement à Toulet. — Henri Martineau : La Vie de P.-J. Toulet. 
« Le Divan », 1921. (On trouvera dans ce petit volume l'indi- 
cation à peu près complète des principaux articles parus sur 
Toulet jusqu'à sa date d'édition. Aussi nous n'indiquerons 



LES POÈTES DU DIVAN 129 



ici que les études parues ultérieurement.) — Emmanuel 
Berl : La Vie de P.-J. Toulet et les Tendres Ménages. < L'Europe 
Nouvelle », 1" septembre 1923. — Emmanuel Buenzod : 
P.-J. Toulet. « Gazette de Lauzanne », 17 octobre 1921. — 
André Castagnou : La Poesia di Paul-Jean Toulet. « La 
Ronda », mars-avril 1922. — Clément Charoux : P.-J. Toulet 
eiV Ile Maurice, a Le Cyméen », Port-Louis, 16 février 1923. 

— André Chaumeix : Entretiens littéraires : P.-J. Toulet. 
t Le Gaulois », 17 juin 1922. — Léon Daudet : A Propos 
de P.-J. Toulet. « L'Action Française », 22 septembre 1922. 

— Tristan Derème : Tarbes et les Poètes. « Pau-Pyrénées », 
novembre 1922 ; P.-J. Toulet, poète, t Les Nouvelles Litté- 
raires », 14 juillet 1923. — Chartes Derennes : Les Bonnes 
Lettres et les Mauvaises, t Bonsoir », 19 juin 1922. — Charles 
Du Bos : Les Trois Impostures, a La Nouvelle Revue Fran- 
çaise », octobre 1922. — L. Dumont-Wilden : La Vie litté- 
raire à Paris : Les Nouvelles tendances littéraires ; les 
influences secrètes : P.-J. Toulet. « La Nation belge », février 
1923. — Jacques Dyssord : Au pays de P.-J. Toulet. « Le 
Figaro », 3 juillet 1921 ; Un petit neveu de Swift : P.-J. Tou- 
let. « Les Nouvelles littéraires », 6 janvier 1923. — A.-M. 
Gaillard : Sur P.-J. Toulet. « Le Feu », janvier 1922. — 
René Groos : Paul-Jean Toulet. « Pour le Plaisir », 15 juil- 
let 1923. — C. Guyot : La Poésie de P.-J. Toulet. Editions 
de la Renaissance d'Occident, Bruxelles, 1923. — Emile 
Henriot : Un Moraliste. « Paris-Midi », 14 juin 1922. — 
Jean Lebrau : Toulet et le Béarn. « Pau-Pyrénées », 18 février 
1922. — Paul Leclercq : Avec Jean de Tinan. « Le Mercure 
de France », 15 mars 1923. — Eugène Marsan (sous le 
masque d'Orion dans « l'Action Française ») : Les Contrer imes, 
13 mai 1921 ; La Vie de Toulet, 22 mai 1921 ; Le Bouclier 
de l'ironie, 18 juin 1922 ; Deux Dialogues de Toulet, 
23 novembre 1922. — Henri Martin eau : Toulet. « Le 
Larousse mensuel illustré », avril 1922 ; Sur la tombe de 
P.-J. Toulet. « Le Figaro », 17 septembre 1922. — Georges- 
Armand Masson : La Fantaisie et les Fantaisistes. « La 
Revue Mondiale », 15 décembre 1921. — Edmond Pilon : 
La Vie de Toulet, le créole de l'Ile Maurice. « La Vie », mars 
1922. — Henri de Régnier : La Vie littéraire. « Le Figaro », 
8 mai 1921. — G.-M. Rodrigue : Paul-Jean Toulet. «La 
Renaissance d'Occident », janvier 1923. — André Rous- 
seaux : Le Tombeau de Toulet. « L'Eclair », 19 août 1922. -^ 
François Ruchon : P.-J. Toulet. « La Semaine littéraire », 
Genève, 28 avril 1923. — Noël Ruet : P.-J. Toulet. « La 
Wallonie en fleurs », mai 1923. — Paul Souday : Pensées 
de P.-J. Toulet. « Le Temps », juin 1922 ; Les Livres. 
■ Le Temps », 1" février 1923. — Louis Thomas : De 
Toulet. « Revue critique des Idées et des Livres », 10 juin 
1921. — J.-L. Vaudoyer : La Poésie. « La Revue Hebdo- 
madaire », 11 juin 1921. 



130 LES POÈTES DU DIVAN 

POÈMES 



D'une amitié passionnée 

Vous me parlez encor, 
Azur, aérien décor, 

Montagne Pyrénée, 

Où me trompa si tendrement 

Cette ardente ingénue 
Qui mentait, fut-ce toute nue, 

Sans rougir seulement. 

Au lieu que toi, sublime enceinte. 

Tu es couleur du temps : 
Neige en mars ; roses du printemps ; 

Août, sombre hyacinthe. 

II 

Le temps irrévocable a fui. L'heure s'achève. 
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve, 
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève, 
Tes yeux plus clairs. 

A travers le passé ma mémoire t'embrasse. 
Te voici. Tu descends en courant la terrasse 
Odorante, et tes faibles pas s'embarrassent 
Parmi les fleurs. 

Par un après-midi de l'automne, au mirage 
De ce tremble inconstant que varient les nuages, 
Ah, verrai- je encor se farder ton visage 
D'ombre et de soleil ? 

III 

Cet huissier, qui jetait, l'été, 

Toute autre odeur que l'ambre. 



LES POÈTES DU DIVAN 131 

Avait le nom d'un pot de chambre 
Et la fétidité. 

L'autre, et noir, que, sous les lanternes. 

On vit à ses leçons 
Avarier les beaux garçons, 

Est charognard aux Temes. 

Celui-là, qui fut président 

De ses jolis compères, 
A Tair de suer ses affaires 

Par son fanon pendant. 

Mais l'autre (ô père de famille, 

Poète méconnu) 
Ne me laissa qu'un lit tout nu — 
Telle y couchait sa fille. 

IV 

En souvenir des grandes Indes, 

Harmonieux décor, 
La Rafette nourrit d'accord 

Un paon et quatre dindes. 

Et l'on croirait — tous ces échos 
Gloussants, l'autre qui grince — 

D'un préfet d'or, dans sa province. 
Borné de radicaux. 



« Ce tapis que nous tissons comme 
Le ver dans son linceul 

Dont on ne voit que l'envers seul: 
C'est le destin de l'homme. 

« Mais peut-être qu'à d'autres yeux, 

L'autre côté déploie 
Le rêve, et les fleurs, et la joie 

D'un dessin merveilleux. » 



132 LES POÈTES DU DïVAN 

Tel Fô, que l'or noir des tisanes 
Enivre, ou bien ses vers, 

Chante, et s'en va tout de travers 
Entre deux courtisanes. 

VI 

O mer, toi que je sens frémir 
A travers la nuit creuse, 

Comme le sein d'une amoureuse 
Qui ne peut pas dormir ; 

Le vent lourd frappe la falaise... 

Quoi I si le chant moqueur 
D'une sirène est dans mon cœur — 

O cœur, divin malaise. 

Quoi, plus de larmes, ni d'avoir 
Personne qui vous plaigne... 
Tout bas, comme d'un flanc qui saigne, 

Il s'est mis à pleuvoir. 
(Les Contrer imes.) 

VII 

Des pommes que l'automne a peintes 
Aux plus riches couleurs, 

La plus charmante a des gauleurs 
Evité les atteintes. 

Et le papillon, qu'un enfant 
Poursuit de rose en rose, 

Il s'envole et là-haut se pose. 
C'est le plus triomphant. 

Mais la femme en mes bras tenue 
Et si douce à mon cœur, 

Ce fut par un matin vainqueur 
Que je l'ai mise nue. 



LES POÈTES DU DIVAN 133 

VIII 

D'entendre sur les cèdres noirs craquer le givre, 
Que tes bras m'étaient doux, et l'auberge et l'hiver I 
Plus doux encor d'entendre, au bord du chemin vert. 
Le chant de la rainette, et la source revivre. 



O silence attentif d'un soir couleur de miel ; 
Mélancolie, et toi musique, voix du ciel. 



Bocages où s'est tu le bec du pic morose. 
Où la fleur n'a d'arôme et le fruit de liqueur. 
Jardin où meurt l'abeille et se fane la rose, 
Tels vous a fait l'automne et tel aussi mon cœur. 



IX 

Mon âme paisible était pareille autrefois 

A quelque ville assurée de ses murs antiques. 

Avec des jardins, des palais et de riches boutiques, 

Et de pâles pigeons qui se posent au bord des toits. 

Mais après les jours de joie et de calmes fêtes 
La ruine est venue, les heures de peine et de pleurs ; 
La ville a connu (ainsi qu'il est dit aux gazettes) 
La pioche du démolisseur. 

Et la pioche c'est vous qui l'aurez brandie, ô funeste 
Faustine, aimée sur les plages et dans les bois ; 
Ou vous encore, étrangère prudente de gestes. 
Aux yeux étroits. 



134 LES POÈTES DU DIVAN 

PAUL VALÉRY 

Né à Cette le 30 octobre 1871. 
Collaboration poétique au Divan : n° 79, mai 1922. 

Bibliographie : Introduction à la méthode de Léonard de 
Vinci. « La Nouvelle Revue », 1895. « Nouvelle 
Revue Française », 1919. — La Jeune Parque. 
« Nouvelle Revue Française », 1917. — Le cime- 
tière marin. Emile-Paul, 1919. — Odes, a Nouvelle 
Revue Française », 1920. — Album de vers anciens. 
Monnier, 1920. — La Soirée avec M. Teste. « Nou- 
velle Revue Française », 1920. — Le Serpent. 
« Nouvelle Revue Française », 1920. — Charmes. 
« Nouvelle Revue Française », 1922. — Eupalinos. 
«Nouvelle Revue Française », 1923. 

A consulter : Le Divan, n° 79, mai 1922, entièrement consacré 
à Paul Valéry. — Albert Thibaudet : Paul Valéry. « Les 
Cahiers Verts », n^ 25. Grasset. 

HÉLÈNE 

Azur I C'est moi... Je viens des grottes de la mort 
Entendre Tonde se rompre aux degrés sonores, 
Et je revois les galères dans les aurores 
Ressusciter de l'ombre au fil de rames d'or. 

Mes solitaires mains appellent les monarques 
Dont la barbe de sel amusait mes doigts purs ; 
Je pleurais. Ils chantaient leurs triomphes obscurs 
Et les golfes enfuis aux poupes de leurs barques. 

J'entends les conques profondes et les clairons 

Militaires rythmer le vol des avirons ; 

Le chant clair des rameurs enchaîner le tumulte, 

Et les dieux, à la proue héroïque exaltés 
Dans leur sourire antique et que l'écume insulte 
Tendent vers moi leurs bras indulgents et sculptés. 
(Vers anciens.) 



LES POÈTES DU DIVAN 135 

INTÉRIEUR 

Une esclave aux longs yeux chargés de molles chaînes 
Change l'eau demes fleurs, plonge aux glaces prochaines, 
Au lit mystérieux prodigue ses doigts purs ; 
Elle met une femme au milieu de ces murs, . 
Qui dans ma rêverie errant avec décence, 
Passe entre mes regards sans briser leur absence, 
Comme passe le verre au travers du soleil. 
Et de la raison pure épargne l'appareil. 
(Charmes.) 

NARCISSE 

(Fragment.) 

Quand le feuillage épars 
Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts. 
Tu vois du sombre amour s'y mêler la tourmente, 
L'amant brûlant et dur ceindre. la blanche amante. 
Vaincre l'âme... Et tu sais selon quelle douceur 
Sa main puissante passe à travers l'épaisseur 
Des tresses que répand la nuque précieuse. 
S'y repose, et se sent forte et mystérieuse ; 
Elle parle à l'épaule et règne sur la chair. 
Alors les yeux fermés à l'éternel éther 
Ne voient plus que le sang que dorent leurs paupières ; 
Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières 
D'un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment 
Ils gémissent... La Terre appelle doucement 
Ces grands corps chancelants qui luttent bouche à bouche, 
Et qui, du vierge sable osant battre la couche. 
Composeront d'amour un monstre qui se meurt... 
Leurs souffles ne font plus qu'une heureuse rumeur. 
L'âme croit respirer l'âme toute prochaine. 
Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine. 
Quels fruits forment toujours ces moments enchantés I 
Car, à peine les cœurs calmes et contentés 
D'une ardente alliance expirée en déhces. 
Des amants détachés tu mires les malices. 
Tu vois poindre des jours de mensonges tissus. 
Et naître mille maux trop tendrement conçus 1 



136 LES POÈTES DU DIVAN 

THÉO VARLET 

Né à Lille (Nord) le 12 mars 1878. 
Collaboration poétique au Divan : n° 6, novembre 1909. 

Bibliographie : Heures de Rêve. Nuez et Lecoq, Lille, 
1898. — Notes et Poèmes. « Le Beffroi », Lille, 
1905. — Notations. « Le Beffroi », Lille, 1906. — 
Poèmes choisis. 1911. — La Bella Yenere, contes. Le 
Hérisson, 1920. — Les Titans du Ciel^ roman. Le 
Hérisson, 1921. — L'Agonie de la Terre, roman. Le 
Hérisson, 1921. — La Belle Valence, roman. Le 
Hérisson, 1922. — Aux Libres Jardins, poèmes. 
Le Hérisson, 1923. — Le Dernier Satyre, contes. 
Le Hérisson, 1923. — Traductions de l'anglais: 
R. L. Stevenson : L'Ile au Trésor, 1919 ; Les 
Marquises et les Paumotus, 1919 ; Les Gilberts, 
1919 ; Les Gais Lurons, 1920 ; Les Veillées des 
Iles, 1920; Le Maître de Ballantrae, 1921. — J.-K. 
Jérôme : Trois Hommes dans un Bateau, 1921. — 
S. J. Weyman : La Cocarde Rouge, 1922. 

A consulter : Pan, juillet-août 1909. Etude de Ch. Cla- 
risse. — Anthologie des Poètes nouveaux, Lanson, 1912. — 
Poètes du Nord, A.-M. Gossez, 1902. — Lumière, Anvers, 
janvier 1922. Etude de J. Billiet. 

AMŒNITATES HELVETICyE 

Raquette au poing, torchon au front, teint de crevette, 
Nul monstre délirant aux cerveaux papouas. 
Nul du grotesque enfer où Breughel s'ébroua, 
Ne vaut l'épouvantail de ces houris helvètes I 

Oui I j'ouïs sans frémir la magique tempête 

Des derviches- tourneurs et des Aïssaouas : 

Mais je meurs consterné du sombre brouhaha 

Qui font tous ces battoirs sur ces vieilles carpettes. 

Qu'importe un rôt qui brûle, un marmot non torché. 
Et les maris en fuite ?... Aux fenêtres penchées 
Sur maint drap pavoisant leurs pissats, ces mégères 



LES POÈTES DU DIVAN 137 

Enflammées d'une ardeur que l'exemple exaspère, 
Cognent à tour de bras, sur mes tympans hachés. 
Le poudreux paradis des Bonn es- Ménagères I 



JEAN-LOUIS VAUDOYER 

Né au Plessis-Piquet (Seine) le 10 septembre 1883. 

Collaboration poétique au Divan : n^ 20, avril 1911 ; — 
no 24, septembre 1911 ; — n» 27, janvier 1912 ; — n«> 37, 
mars 1913 ; — n^ 51, octobre 1915 ; — n» 52, février 1916 ; — 
n« 54, mars 1917 ; — n° 62, novembre 1919 ; — n° 83, 
novembre 1922. 

Bibliographie : Les Compagnes du Rêve. 1 plaquette, 
essais et poèmes en prose. Sansot, 1906. — Quarante 
petits Poèmes, 1907. — L'Amour masqué, roman. 
Calmann-Lévy, 1908. — La Commedia, sonnets, 
préface de Henri de Régnier. Edités à Venise, 1908. 
Stances et Elégies, Floury, 1908. — La Bien- 
Aimée, roman. Calmann-Lévy, 1909. — Suzanne 
et l'Italie, lettres familières. Floury, 1909. — Le 
Bronze, étude sur les collections du musée des 
Arts décoratifs, en collaboration avec Louis Met- 
man. Longuet, 1910. — La Maîtresse et l'Amie, 
roman. Calmann-Lévy, 1912. — Poésies, 1906-1912. 
Calmann-Lévy, 1913. — Propos et Promenades. 
Hachette, 1914. — Album dédié à Thamar Karsavina, 
illustrations de G. Barbier. Corrard, 1914. — La 
Stèle d'un Ami, poésies à la mémoire de Paul Drouot. 
« Le Divan », 1916. — Les Permissions de Clément 
Bellin, roman. Calmann-Lévy, 1918. — Les Papiers 
de Cléonthe. Albin Michel, 1919. — Le Dernier 
Rendez-Vous, roman. Calmann-Lévy, 1920. — 
Rayons croisés, poésies, 1913-1921. Société litté- 
raire de France, 1921. — L'Album Italien, poésies. 
Librairie de France, 1922. — Ombres Portées. Les 
Soirées du Divan, 1923. — La Reine évanouie, 
roman. Pion, 1923. 



138 LES POÈTES DU DIVAN 



A consulter : Etudes et articles : Jacques Boulenger : 
Mais l'art est difficile, 2' série. — Jules Bertaut : Le roman 
d'aujourd'hui. — Emile Henriot : J.-L. Vaudoyer, poète. 
« Le Divan », n"« 42 et 43, septembre et novembre 1913. — 
Henri Martineau, La Minerve française, 1" août 1920. 



POÈMES 



Pose la flèche et l'arc sur la pierre qui tremble ; 
Accueille les parfums de la fleur et du fruit ; 
Et que tes belles mains daignent nouer ensemble 
Tes cheveux de soleil à mes cheveux de nuit. 

L'eau coule en gémissant sur l'herbe nonchalante ; 
L'oiseau pique en sautant le terreau velouté ; 
Consens à desceller ta lèvre étincelante 
Pour aspirer l'aurore et célébrer l'été 1 

Je t'appelle l'Amour, mais crains que l'on te nomme 
Déception, Tristesse, ou bien encore : Ennui. 
Si je souris pour toi, c'est par prudence, comme 
Au héros Dalilah, cachant sa peur, sourit. 

Et pourtant, si ton nom était : Amour ? La flamme 
Qui brûle sous tes cils peut être un feu volé 
Au foyer tout puissant que nul mortel n'entame 
Et qu'attise, en criant, sur son roc, Prométhé. 

— Tu te tais quand je viens ; je n'ai point vu tes larmes. 
Le baiser, sur ta chair, enivre sans nourrir... 
Sur la pierre qui tremble, ah 1 pose enfin tes armes : 
Sans elle dans tes bras je puis encor mourir. 

(Poésies.) 



LES POÈTES DU DIVAN 139 

II 

LE CONCERT 

(de Léonardesques.) 

On jouait près de lui, dit-on, pour Monna Lise, 
Des morceaux où la fraîche et tendre vocalise 
D'une femme chantant s'unissait au concert 
Des nombreux instruments dont l'orchestre se sert 
Il aimait l'éphémère et sonore édifice. 
Pour son art la musique était une complice : 
Avec elle, il entrait dans un monde sacré. 
Mais il ne cherchait pas l'hymne désespjéré, 
L'hymne où le cœur humain se perd et se déchire. 
Léonard méprisait les charmes du délire. 
Il voulait seulement que les purs violons, 
Les théorbes, les luths, les flûtes aux beaux sons 
Donnassent à ses yeux, à ses mains, à son âme 
Non le frémissement et l'éclair d'une flamme, 
Mais la sérénité d'un long rayon jeté 
Par un astre puissant au soir d'un jour d'été. 
Il peignait, clairvoyant, grave, attentif et libre, 
Ayant trouvé les lois du divin équilibre 
Qui, d'un visage humain, d'un concert, d'un tableau, 
Font un seul univers, volupté du cerveau. 
(Rayons croisés.) 

III 

STANCES 

Les ombres dans ton cœur s'éveillent et gémissent, 
Les lignes du passé assiègent l'horizon 
Et celle qui partit comme une Bérénice 
Revient avec son fol trésor de déraison. 

Tu reprends des chemins raturés par les ronces. 
Tu te penches au bord des réservoirs taris. 
Pareil à l'écolier qui raiUe les semonces 
Tu railles les leçons que les ans t'ont appris. 



140 LES POÈTES DU DIVAN 

Une rose d'avril égarée en automne 

Palpite dans l'or lourd, flamme sur le tison. 

Tu ne veux plus bercer près d'un feu qui chantonne 

Les débiles enfants de l'arrière-saison. 

Tu quittes ta langueur, ta paix, ta complaisance, 
Ce havre somnolent que l'on ne drague plus ; 
Et tu jettes aux dieux voraces de l'absence 
Les trésors clandestins que tu croyais perdus ; 

Ton œil suit dans le temps les jeux de la mémoire; 
Sous des bosquets jaunis, sur des seuils délaissés, 
Tu retrouves, roulés dans une étoffe noire. 
Quelques gages riants comme des nouveaux-nés. 

Ta mémoire est l'amie exacte des fantômes ; 
Elle force ton cœur avec ces visions ; 
Des philtres condensés vacillent dans leurs paumes... 
Accueille les présents de ces vieux échansons. 

Enivre-toi, hélas, à ce festin d'une heure 
Car déjà ta Jouvence est dans l'eau du Léthé. 
Tu ne garderas pas longtemps dans ta demeure 
Ces voyageurs épris de leur pays hanté. 

Ce soir tu seras seul avec ta solitude, 
Foulant des fruits amers et des restes de fleurs. 
Regardant sans son fard ta reine, l'Habitude, 
Que les sages vaincus appellent le Bonheur. 

(Inédit.) 1920. 



LÉON VÉRANE 



Né à Toulon (Var) le 21 décembre 1885. 
Collaboration poétique au Divan : n° 23, juillet 1911 ; 
— no 32, juillet 1912 ; — n° 56, décembre 1918. 

Bibliographie .La Flûte des Satyres et des Bergers, 
vers et prose, 1909. — Terre de Songe. Edit. des 
«Facettes», 1912. — Dans le jardin des Lys et des 



LES POÈTES DU DTVAN 141 

Verveines rouges. Edit. des « Facettes b, 1913. — 
Quelques tendances de la jeune poésie. Edit. des 
t Chroniques de Provence», 1913. — La Gardeuse de 
paons ou le tombeau de Stuart-Merrill avec M. Mar- 
tin et E. Dalichoux. Edit. des» Facettes «,1917. — 
Images au Jardin. Edit. des «Facettes», 1922. 

A consulter : Tristan Derème, L'Ere Nouvelle^ 24 février 
1922. — A. Fontainas, Mercure de France, 1"' juin 1922. — 
H. Pourrai : La Vie, 15 janvier 1923. — Saint-Georges 
de Bouhélier, Comœd/a, 23 mai 1921. — F. Carco, Le Feu, 
mai 1912 et mars 1913. — Louis Pize, La Revue Fédéra- 
liste, janvier 1922. — Valmy Baysse, Comœdia, 12 février 
1922. 

POUR ALBERT MARCHON 

Quand septembre fera la vigne verte et rousse 
Et qu'un faix de fruits murs chargera l'espalier ; 
Mon Marchon, avec toi je veux faire carousse 
En un port provençal encombré de voiliers. 

Sous d'antiques mûriers que le Mistral rebrousse 
Voici pour le déduit l'auberge des rouliers. 
Que des goulots étroits le vin s'échappe et mousse ; 
Servante, ouvre pour nous l'armoire et le cellier. 

Qu'on apporte, en un plat fleurant le thym et Thuile, 
L'ardente bouillabaisse où dans l'or du safran 
Près du congre en tronçons la langouste rutile. 

Et, si d'un noir civet l'hôte va nous offrant. 
N'est-ce pas qu'il convient, ô Marchon tendre ivrogne, 
De nous en barbouiller et la barbe et la trogne ? 

(Inédit,) 



LES POETES DU DIVAN 



Roger Allard 
Nicolas Beauduin 
Pierre Benoit 
Jean-Marc Bernard 
François Berthault 
Francis Cargo 
Philippe Ghabaneix 
Gilbert Charles 
Henry Charpentier 
Lucien Christophe 
Tristan Derème 
Charles Derennes 
Henry Dérieux 
Léon Deubel 
Fernand Divoire 
Mafrcel D ROUET 
Paul Drouot 
Henri Duclos 
Jacques Dyssord 
André-Marie Éon 
Francis Éon 
Albert Erlande 
Lucien Fabre 
Fagus 

Pierre Fons 
Charles Forot 
Henri Gabon 
Maurice Gauchez 
Emile Henriot 
Jagques-Noir 



André Lafon 
Jules Laroghe 
Guy Lavaud 
Philéas Lebesgue 
Jean Lebrau 
Gaston Luge 
Edgar Malfère 
Gérard Mallet 
Louis Mandin 
Henri Martineau 
Jean Martineau 
René Martineau 
Marcel Martinet 
Fernand Mazade 
Alphonse Métérié 
Claude Odile 
Marcel Ormoy 
> Jean Pellerin 
Cécile PÉRiN 
Edmond Pilon 
Louis PizE 
Thierry Sandre 
Jean Tenant 
Daniel Thaly 
Louis Thomas 

P.-J. TOULET 

Paul Valéry 
Théo Varl^t 
Jean-Louis Vaudoyer 
Léon YÉRANE 



Cette Anthologie des Poètes du Divan précédée 
d'une étude par Pikrre Lièvre constitue le nu- 
méro 92 (septembre-octobre 1923) du Divan, 

Il en a été tiré en outre, avec une pagination 
indépendante, 500 exemplaires sur alfa et 25 sur 
pur fil Lafuma. 



LE DIVAN 

REVUE DE LITTÉRATURE ET d'aRT 
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37, Rue Bonaparte, Paris (6*) 
Comptes Chèques Postaux : Paris 4i5-00 



Directeur : 

HENRI MARTINEAU 



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Edition sur alfa : 20 francs 
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6 



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PQ Anthologie des portes du Divan 

llÔi^ 

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