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LA
CORSE DANS L'ANTIQUITÉ
ET
DANS LE HAUT MOYEN AGE
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XAVIER POLI
DES ORIGINES A L'EXPULSION DES SARRASINS
V
PARIS
LIBRAIRIE ALBERT FONTExMOING
4, nUF- LE GOFF
1907
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h^S^AA^ C/A-O^reKL^ -<uac-^
A LA MÉMOIRE DE MON AMI
FRANÇOIS DE GAFFORY
A MON COUSIN JULES-FRANÇOIS LUIS!
INTRODUCTION.
L'histoire de la Corse des origines à Texpulsioa des Sarrasins a
été particulièrement négligée. Le présent volume a pour but de
combler en partie cette lacune.
Je me suis proposé de remonter aux sources, de réunir tous
les textes des .écrivains grecs et romains et toutes les inscriptions
intéressant la Sardinia^ en général, et la Corska, en particulier.
Ces textes et ces inscriptions ne sont pas fort nombreux ; bien
que pouvant être réunis en quelques pages, ils n'en représentent
pas moins les jalons traçant la voie que la Corse a suivie dans la
suite des temps.
Heureusement à ces textes viennent s'ajouter les commentaires
des savants éminents et consciencieux qui, grâce à un travail
opiniâtre, ont réussi à poser de nouveaux jalons, au point que
peu à peu l'itinéraire suivi se détache assez net à nos yeux.
Nous savions par Sénèque que les Ligures avaient peuplé la
Corse ; mais nous ignorions quelle importance il fallait donner à
leur immigration ; M. d'Arbois de Jubainville nous permet de nous
en faire, aujourd'hui, une idée assez exacte par les noms de lieu,
d'orgine ligure, que Ton peut trouver dans l'île.
De même nous pouvons déterminer l'aire d'influence des Ibères,
en suivant certaines règles indiquées par les beaux travaux de
M. Luchaire, de M. Bertrand et de M. Desjardins.
Pour la période romaine, les études de Klein, de Mommsen, de
Raspatt, de Mùller, du commandant Espérandieu et de M. Etienne
Michon ouvrent de nouveaux horizons à quiconque s'intéresse à
l'histoire de notre île.
Le haut inoyen âge reste encore obscur. Point de sources par-
culières et les courtes indications que l'on peut trouver dans les
X INTRODUCTION
textes narratifs, composés en Italie, ea France et en Germanie^
laissent subsister dans notre histoire des lacunes si grandes que,
pour les combler en partie, il faut recourir k des chroniqueurs
modernes et même contemporains. C'est ainsi qu'après avoir
compulsé les Historiens de France, les diverses séries des Monu-
menta Germaniœ et des Monumenta historiée patriœ, j'ai eu recours
à la belle introduction aux Statuti Corsi de Gregori, aux travaux
de Lebeau, de Fournel et de Wenrich. Malheureusement je me suis
même appuyé sur Delbène et, sans les sages avis de M. René
Poupardin, j'aurais à mon tour contribué à accréditer une nou-
velle fausse légende concernant l'expulsion des Sarrasins de
Corse. Employer tous ses loisirs à détruire les fables qui, en trop
grand nombre, ternissent nos annales nationales ; ressentir un
profond dédain pour les faussaires de notre histoire et finir par
se faire le propagateur d'un récit imaginé de toutes pièces, voilà
qui me donne à réfléchir. J'ai là une preuve évidente que la bonne
foi ne remplace pas l'érudition et je conviens volontiers que
d'autres erreurs ont pu se glisser dans mon travail. Je serai très
reconnaissant aux lecteurs qui voudront bien me les signaler.
J'espère que bientôt le comte Colonna Cesari nous donnera une
histoire de la Corse, telle que la désirent tous ceux qui se tien-
nent au courant des études historiques, c'est-à-dire dégagée des
fausses légendes, exempte de toute préoccupation généalogique, je-
dirais volontiers familiale, une histoire à l'usage de ceux qui sacri-
fient gaiement leur chauvinisme à la vérité, parce qu'ils ont la
conviction que cette vérité est encore assez belle pour leur
permettre de s'enorgueillir de leurs aïeux.
Personnellement je saluerai un semblable travail avec joie ; il
mettra un terme à mes recherches et me permettra de consacrer
mes loisirs à l'histoire militaire des Corses, que j'espère terminer
bientôt.
Je ne comptais pas publier moi-même ce travail. En me documen-
tant sur les régiments corses, je notais, à l'occasion, les pièces ouïes
ouvrages intéressant l'histoire générale de mon pays. Je destinais
ces notes à mon jeune ami François de GafTory, un esprit d'élite
qu'il m'eût été doux de voir doter notre pays d'une histoire qui
INTRODUCTION XI
lui manque. Hélas ! mon brave Gheco a rendu sa belle âme à Dieu,
sans avoir réalisé les grandes espérances qu'avaient mises en lui
tous ceux qui l'avaient connu et aimé. Son souvenir, toujours
vivant dans mon âme, a inspiré ces pages, comme il m'inspirera
le jour où, je l'espère, il me sera permis de retracer les faits de
ses aïeux célèbres dans nos annales.
En terminant, je tiens à remercier M. René Poupardin de ses
conseils éclairés. J'ai fait appel à son érudition, sans le connaître,
et je n'oublierai jamais avec quelle charmante amabilité il a
répondu à mes questions indiscrètes. Mon ami, M. Broche, archi-
viste de l'Aisne, a mis à ma disposition toute son érudition, il
peut compter sur ma reconnaissance ; mon cousin Luisi a, par sa
généreuse intervention, hâté la publication de cet ouvrage. Qu'il
permette à son ami d'enfance de joindre son nom à celui du jeune
ami qui, dans ma pensée, était appelé à rédiger et à signer de sou
nom historique ce livre qu'il aurait su rendre attrayant, si aride
que soit le sujet.
Laon, 15 Août 1907.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Pages.
3,1. 20 au
lieu de
: étéd écrits lire :
été décrits.
5,n. 2
—
Mont-Rivinco —
Mont Rivinco.
14,1. 1
1
—
lieux —
lieu.
23,1. 9
Ucciani et villages —
Ucciani etLucciana,
villages.
31,1. 18
Bocagnano —
Bocognano.
50,1. 8
VIII® et le XI® siècle —
XI® et le VIII® siècle.
56,1. 4
vint —
vient.
80,1. 23
(582-172) —
(582=572).
95, n. 3
Juncta... —
« Juncta...
99,1. 32
travaux —
travaux militaires.
101, n. 4
Les apôtres, p. 26 —
L'Antéchrist, p. 108.
176,1. 19 et 20, corriger ainsi : « Je crois qu'il y a lieu, jusqu'à
« preuve du contraire, de rejeter la version de Delbéne. »
176, n. 4. Supprimer la note.
CHAPITRE h'.
PÉRIODE PRÉHISTORIQUE.
Sommaire.— § 1. L'homme néolithique.— §2. Monuments mégalithiques.
§ 1. L'homme néolithique.
La Corse a été totalement négligée, dans l'antiquité, par les
nations maîtresses de la mer. Tandis que du sol de la Sicile et
de la Sardaigne sortent tous les jours, sous forme d'outils, de
bijoux, d'inscriptions et de monuments, des témoins des diverses
races qui, pendant des milliers et des milliers d'années, se sont
disputé le bassin occidental de la Méditerranée, en Corse, l'ar-
chéologie préhistorique est réduite à sa plus simple expression
et aucune inscription antérieure aux Romains n'a été signalée.
Est-ce à dire que la Corse ne fut habitée que longtemps après
les autres îles de la Méditerranée ? Nous ne le pensons pas i.
Pourtant dans l'état actuel de la science, la présence de
l'homme, ne s'y révèle qu'à partir des temps néolithiques 2,
1. Cazîoi^ Découvertes d'objets préhistoriques et protohistoriques, faites dans
Vile de Corse, ext. du Bulletin de la Société d'anthropologie de Paris, 1897,
fascicule 5, p. 463-476. — Ch. Ferton, Sur l'Histoire de Bonifacio à l'époque
néolithique, ext. des Actes de la Société Linnéenne de Bordeaux, tome LUI,
1898 ; tirage à part. — Ch. Ferton, Nouvelles preuves de l'existence du détroit
de Bonifacio à l'époque néolithique. Les premiers habitants de Bonifacio, leur
origine. Poterie néolithique trouvée à Bonifacio ; ext. des Comptes rendus de
l'Association française pour l'avancement des sciences, 1901. Tirage à part. —
E. Chantre, La Nécropole Protohistorique de Cagnano, ext. des Comptes rendus
de l'Assoc. franc, pour Vavanc. des sciences. Année 1931 ; tirage à part.
2. Les communications du docteur Deperet et de M. Edwards, sur le corse
quaternaire ne nous paraissent pas concluantes. La présence du Lagomgs
corsicanus, au milieu de débris d'ossements humains, n'est pas suffisante pour
prouver une antiquité aussi reculée. Qui nous dit que le Lagomys n'a pas
survécu dans l'île, après la période quaternaire ?
1
2 CHAPITRE I*^ § l*^
Les savantes recherches du capitaine Ferton, du comman-
dant Caziot, des docteurs Deperet et Caujolle, du professeur
Testut nous font faire connaissance avec le squelette de l'homme
de ces temps reculés et posent des bases sûres à une question
qui ne peut manquer de passionner les esprits que l'histoire de
la Corse intéresse.
La race néolithique corse aurait été d'assez grande taille.
Par son crâne allongé et sous-dolichocéphale, par la ligne âpre
et assez saillante de son fémur incarné, par son tibia remar-
quablement platycnémique, le squelette retrouvé présente
les caractères principaux de la race néolithique de l'Europe
occidentale.
Cet homme, ajoute M. Ferton, utilisait pour la confection de
ses armes et de ses outils, non-seulement les roches du pays :
le silex, le quartz et diverses roches des terrains granitiques,
mais aussi les os d'animaux, et une roche étrangère à la Corse,
l'obsidienne, qu'il devait recevofr du Monte-Arci, en Sardaigne.
Il devait recevoir également du dehors du fer oligiste et divers
minerais de fer hydraté, dont il se servait probablement pour se
teindre le corps. Il savait fabrii^uer une couleur blanche, qu'il
tirait peut-être de coquilles pulvérisées et mélangées à la chair
des mollusques.
Les morts étaient ensevelis dans des abris sous roche. Ils
étaient munis de vivres et d'outils, et les corps étaient garantis
de la dent des animaux par une couche de pierre.
Cet homme n'avait probablement pas de chien, mais, plus
tard vers la fin de l'époque néolithique, il posséda le bœuf, le
mouton ou la chèvre. D'où venait cet homme ?
« Les relations de commerce entretenues à Bonifacio, avec les
« peuplades de la Sardaigne, l'emploi coûteux qu'on y faisait de
« l'obsidienne, bien que le silex du pays, d'égale valeur, fût
« connu et utilisé, permettent de supposer que le Bonifacien des
« temps néolithiques était un immigré venu de la Sardaigne,
« peut-être originaire de l'Afrique. »
La conclusion du capitaine Ferton serait sans réplique
s'il était prouvé, après de sérieuses recherches, que l'obsidienne
ne se trouve pas en Corse où l'on constate des roches d'origine
volcanique. L'examen de ces roches ne révèlerait-il pas, comme
partout, l'existence de trachites ou d'andésites plus ou moins
PERIODE PREHISTORIQUE. 3
riches en silice ? Dans raffîrmative nous serions obligés de
reconnaître que, de tout temps, le corse a pu se procurer l'obsi-
dienne, sans sortir de Tile. L'origine du corse néolithique reste,
croyons-nous, à démontrer.
Nous n'insisterons pas sur les découvertes de l'industrie de
ces âges lointains ; nous préférons renvoyer le lecteur à l'étude
magistrale du commandant Caziot, publiée par la Société anthro-
pologique de Paris en 1897.
Jusqu'à ce jour c'est surtout dans le Cap Corse, le Nebbio,
la Balagne, les environs d'Ajaccio, de Grossa et de Bonifacio
qu'ont été trouvés les plus beaux spécimens des artisans néoli-
thiques : haches, percuteurs, broyeurs, polissoirs, poteries et
pointes de flèches.
Ces pointes de flèches sont toutes en jaspe de Corse.
Ajoutons pour terminer que les âges du bronze et du fer sont
représentés par des haches, des phalènes, des flibules et des
agrafes datant des époques morgienne, larnaudienne et halsta-
tienne i.
*
§ 2. Les Monuments mégalithiques.
Les monuments mégalithiques de la Corse ont étéd écrits avec
tant de précision et de compétence par Mérimée et M. de Mor-
tillet, que nous nous bornerons à une étude générale, sans
entrer dans aucun détail de construction et d'orientation 2.
1. Milne Edwards, FouzV/es faites à Toga par M. Locard, extrait des Comptes
rendus de l'Académie des sciences, tome 76, l**" semestre 1876. — Pompelly (R),
Sur quelques traces de glaciers dans Vile de Corse, extrait du Bulletin de la
Société de Géologie, 2e série, tome XVII, p. 78. Paris, 1859. — D' Deperet,
Étude de quelques gisements nouveaux de vertébrés pléistocènes de Vile de
Corse, extrait des Annales de la Société Linnéenne de Lyon, 1897. — A. Bloch,
Considérations anthropologiques sur la Corse actuelle, ancienne et préhisto-
rique, extrait des Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de
Paris. Année 1902, p. 334-359.
2. Matliieu (Capitaine), Mémoires de V Académie celtique, tome VI, 1810. —
Hobiquet, Recherches historiques et statistiques sur la Corse, Paris, 1835. —
Mérimée (P.), Notes d'un voyage en Corse, Paris, 1840. — Grassi (A.)., Menhirs
de la Corse, étude parue dans la Science pour tous. Décembre 1865. —
Mattei (A.), Les Monuments celtiques en Corse, article paru dans V Avenir de
la Corse du 20 février 1867. — Pigorini (L.), Notizie Palet nologiche délia
4 CHAPITRE I**". § 2.
Rien d'aussi frappant que la répartition de ces monuments ;
ils se trouvent tous à l'Est de la ligne de partage des eaux qui
sépare l'île en deux régions. Nous avons quelques raisons pour
considérer comme imaginaires les dolmens du Niolo dont
personne ne peut préciser l'emplacement ; enfin, nous ne
pensons pas qu'on puisse faire remonter aux temps néolithiques
le monolithe de Sainte-Marie de Vallerustie.
Sur cette large bande de terre les dolmens forment trois
groupes distincts ; l'un au Nord ou groupe du Nebbio, l'autre
au Sud-Ouest ou groupe de Sartène, le troisième à l'Ouest est
représenté par l'unique dolmen d'Appietto i.
Quel que soit le groupe que l'on étudie il est facile de constater
que tous les dolmens sont situés près du bord de la mer; le plus
éloigné en est à peine à dix kilomètres.
Les monuments mégalithiques de l'arrondissement de Sartène
s'étendent entre la rive droite de l'OrtoIo et la rive gauche du
Taravo ; ils comprennent : cinq dolmens, trente quatre menhirs
et deux alignements répartis sur les territoires des communes
de Sartène, de Grossa, de Belvédère Campo-Moro, de Viggianello,
de Sollocaro et d'Olmiccia. Les dolmens sont généralement
connus sous le nom de stazzone, les menhirs sous celui de
stantare 2.
Le groupe septentrional est limité par la rive droite du ruis-
seau de Reggino et la rive gauche du ruisseau de Mezzana qui
se jette dans le golfe de Saint-Florent ; on y trouve sept dolmens
et six menhirs, érigés à travers les territoires des cantons de
Saint-Pierre de Tenda, d'Oletta, de Belgodere et d'Olmi-Cappella.
« Les monuments mégalithiques de la Corse, dit M. de Mor-
Corsica, étude parue dans le Bulletino de Paletnologia italiana, 1877. —
Corbetta, Sardegna e Corsica. — Mortillet (A. de). Rapport sur les Monuments
mégalithiques de la Corse, paru dans les Nouvelles archives scientifiques,
tome III, année 1893. — Mahoudeau, Etude, sur le Menhir de Sainte-Marie de
Vallerustie, extrait de la Revue mensuelle de Vécole d'Anthropologie de Paris,
année 1893.
1. Bonaparte (prince Roland), Une excursion en Corse, p. 75, Paris, 1893.
2. Stazzona, nom générique de tous les dolmens de la Corse, signifie forge dans
le dialecte des paysans. Stantare, nom des menhirs ; ce mot n'est pas plus
italien que Stazzona ; toutefois on y devine une étymologie latine. Erï Corse,
lorsqu'un enfant s'amuse à se tenir la tête en bas, les pieds en l'air, pivotant
sur lui-même, cela s'appelle « far la Stantara ». (Mérimée, p. 22).
PERIODE PREHISTORIQUE. O
« tillet, sont en tout semblables à ceux de la Bretagne et du
« reste de la France. Les matériaux employés à leur construction
« paraissent avoir été souvent pris sur place et ne doivent,
« dans tous les cas, pas venir de bien loin, car il y a toujours
« à proximité des monuments, des gisements de la roche qui a
« servi à les construire i ».
La tradition a conservé un caractère mytliologique au groupe
du Nord ; il ne s'agit ici que de maisons ou de tombeaux
de géants 2, de constructeurs redoutables, toujours en lutte
avec leurs voisins et qui finissent par être subjugués non sans
avoir dévoilé un secret précieux : la manière de fabriquer
certain fromage spécial à Tîle.
La légende qui s'altache aux monuments du Sud-Ouest est
plutôt chrétienne ; nous nous trouvons en présence de forges
ou d'enclumes du diable, de tables du péché, de religieux et
de religieuses pétrifiés, parce que, parjures à leurs vœux, ils ont
déchaîné sur eux la colère divine. Nous sommes en plein moyen
âge, c'est tout au plus si, dans la dénomination de « stazzone »,
nous devons retenir que leurs constructeurs étaient des forge-
rons, c'est-à-dire connaissaient l'art de travailler les métaux.
Tous ces indices ont néanmoins leur importance parce que
tous les dolmens de la Corse ne présentent que des chambres
complètement vides, depuis longtemps, et que nous sommes
sans aucune indication sur les os et objets qu'ils ont dû
contenir.
Maintenant que nous connaissons l'aire de développement des
1. Mortniet (A. de), p. 82.
2. Le dolmen du Mont-Rivinco est nommé dans le pays : la Casa deU'Orco,
la Maison de l'Ogre, la Maison du Géant, la Maison du Cyclope ou la Maison
du Titan. La légende appelle l'endroit où se trouve ce monument la Valle
deU'Orco, la vallée de l'Ogre. Elle rapporte tout à ce géant redoutab qui
remplissait le pays de terreur. Les habitants, dit -on, cherchaient, depuis
longtemps, à s'en défaire sans . pouvoir y parvenir, lorsque à force de ruse,
les bergers finirent par l'attraper. Ses nombreux ennemis se jetèrent alors sur
lui et le tuèrent ainsi que la mère qui ne fit aucune résistance, après la mort
de son fils. On raconte aussi qu'avant de mourir, VOrco, espérant obtenir sa
grâce, enseigna aux bergers la recette du broccio, (espèce de fromage
blanc). Mortillet (A. de), p. 76. Le souvenir deU'Orco se retrouve dans la
Punta deirOrco, à 5 kilomètres au Sud de Pila-Canale et dans Capo-d Orco,
2 kilomètres au Nord de Serriera.
6 CHAPITRE 1**»'. § 2.
dolmens de la Corse, il nous reste à chercher de quel point du
globe ont pu venir ceux qui les ont élevés.
Les beaux travaux publiés par les savants de tous les paj's,
depuis trente ans, nous permettent de déterminer avec une
rigueur suffisante l'étendue géographique des monuments
mégalithiques. Nous en trouvons sur les rivages de la Norwège,
de la Suède, tout le long des côtes de l'Europe occidentale,
jusqu'aux plages de l'Afrique septentrionale.
Nous en chercherions vainement en Italie, en Sicile et en
Sardaigne. Insistons sur la valeur de cette constatation : « On
« n'a jusqu'à présent signalé aucun dolmen, en Grèce et en
« Italie 1. »
« Les dolmens de la Corse représentent le groupe de méga-
« lithes le plus oriental de l'Europe ; il faut ensuite aller en
« Algérie et en Tunisie pour en retrouver 2 ».
La Marmora, il est vrai, avance timidement que la Sardaigne
a ses dolmens : « Ces tombeaux de géants, nous paraissent de
« véritables dolmens, (Tune époque plus récente que ceux de la
« Corse et probablement de celle des Nurhags qui « sans doute
« n'ont point pénétré dans cette île 3 ». H n'y a qu'à lire la
description de ces tombeaux pour être obligé d'avouer qu'ils ne
peuvent être confondus avec des dolmens, — même d'époque
récente. L'auteur semble oublier que lui même a déjà laissé
entendre que l'on peut trouver en Sardaigne des menhirs, mais
non des dolmens proprement dits *. Il est vrai, que l'on doit
reconnaître l'absence totale de vestiges de Nuraghs en Corse,
constatation d'autant plus remarquable que la Sardaigne
septentrionale en possède quelques-uns, au bord de la mer, et
que les deux îles ne sont séparées que par un canal de trois
lieues. Nous sommes autorisés à penser que nous devons attri-
1. Maury (Â), Journal des Savants, année 1877, p. 207. « On a signalé des
dolmens, probablement à tort, dans l'Etrurie. » Mortillet (de), Le Préhisto-
rique, p. 593, Paris, 1883.
2. Discussion sur l'étude de M. Adrien de Mortillet : Monuments mégali-
thiques de la Corse, étude publiée dans V Association pour l'avancement des
Sciences, année 1883, p. 599.
3. La Marmora (Comte Albert de la), Voyage en Sardaigne, tome II, p. 562,
Paris, 1839.
4. La Marmora, tome I, p. de 1 à 5.
PERIODE PREHISTORIQUE. 7
buer les monuments coniques de la Sardaigne et des Baléares à
un peuple qui fréquentait la partie méridionale de la Méditer-
ranée et qui était à peu près exclus de sa partie septentrionale,
comme aussi de la Corse i.
Elysée Reclus est plus affirmatif: « Les dolmens sont rares
« en Sardaigne : on n'en cite même qu'un à l'égard duquel il
« n'y a pas de doute possible 2. » H est fort regrettable que le
savant géographe ne précise pas l'emplacement de cet unique
spécimen d'une architecture aussi intéressante.
Considérons comme admise l'existence de cet unique dol-
men 3. Dans ce cas, il est plus logique de croire qu'il a été
élevé par une tribu venue de la Corse ou d'Afrique que de
le supposer comme le point de départ du peuple, qui est
venu se fixer dans le bassin du Rizzanese ? D'une manière géné-
rale plus un groupe de population est considérable, plus il y a
de raisons de le regarder comme renfermant le berceau des
groupes voisins moins importants. Comme le fait observer, avec
tant d'autorité, M. de Quatrefages, dans le cours des âges, toute
agglomération d'hommes, une fois constituée, ne peut manquer
de peupler les espaces déserts ou mal occupés qui se trouvent
dans son aire d'influence, mais elle laissera en place, à moins
d'événements exceptionnels, un nombre plus ou moins consi-
dérable et d'ordinaire la très grande majorité de ses repré-
sentants 4. Il est donc raisonnable de considérer l'unique
dolmen de Sardaigne, s'il existe, comme ayant été construit
par une tribu qui se serait fondue avec les populations du
pays.
Alphonse Baux et Léon Gouin qui ont étudié spécialement les
monuments protohistoriques de la Sardaigne ne mentionnent
aucun dolmen et terminent par des conclusions que nous ne
pouvons passer sous silence : « Le peuple des nuraghs a été un
« peuple étranger qui a envahi la Sardaigne par l'Est. Sans
1. La Marmora, tome II, p. 560 et 563.
2. Reclus (E.), Géographie : L'Europe méridionale, p. 591.
3. Les savants auteurs de l'Histoire de France publiée sous la direction de
M. E. Lavisse, sont d'un avis opposé à celui d'Elysée Reclus : « Le domaine
« des dolmens dans la Méditerranée se borne à la Corse Les dolmens
manquent dans l'Italie, dans la Grèce. » Tome I, 2^ pailie, p. 9.
4. Quatrefages (de), L'Espèce humaine, p. 134.
8 CHAPITRE l«^ § 2.
« nous prononcer d'une manière absolue sur le nom à donner à
« ce peuple, nous pouvons affirmer qu'il appartenait à ce courant
« d'émigration qui, partant de l'Orient, a semé sur une partie
« de l'Europe et de l'Afrique ses monuments mégalithiques,
« seulement il a dû arriver en Sardaigne probablement plus tard,
« à en juger par le degré de civilisation qui a produit les nu-
« raghs de Sardaigne. Des siècles séparent peut-être l'époque
« mégalithique continentale de celle de Sardaigne.
« Les tombeaux des géants de Sardaigne sont généralement
<( considérés comme contemporains des nuraghs. Leur cons-
« truction dénote la même origine que les tombes mégalithiques
« d'Europe, mais avec le perfectionnement de la pierre
« taillée i. »
Conclusion : Les monuments mégalithiques de la Sardaigne
ont été construits par un peuple venant de l'Est et à une date
postérieure à l'érection des dolmens de la Corse, Enfin, et c'est
le point essentiel, les constructeurs des dolmens de la Corse ne
peuvent venir de Sardaigne. Ils viennent donc de l'Afrique, de
l'Espagne ou de la France.
Mais comment admettre qu'ils ont pu partir de l'Afrique, sans
s'arrêter soit en Sicile, soit en Sardaigne, îles plus rapprochées
des côtes africaines, plus fertiles que la Corse et partant plus
attrayantes ? Nous sommes en présence, ne l'oublions pas, d'un
peuple navigateur qui, s'il avait suivi sa route du Sud au Nord,
n'aurait pas manqué de signaler son passage dans toutes les
îles du bassin occidental de la Méditerranée.
Tiendrions-nous de l'Espagne ces aïeux mystérieux ? On est
tenté d'admettre cette hypothèse, lorsqu'on considère qu'une
partie des dolmens de la Corse est répartie le long de la côte
occidentale, c'est-à-dire face à l'Espagne. Mais la grande
distance qui sépare la pointe de la Nao du cap Rosso, environ
450 kilomètres ; l'absence totale de dolmens dans les îles
Baléares 2 et en Sardaigne ; la présence dans ces îles de monu-
ments de même origine et de même date 3, paraissent
1. Baux et Gouin, Essai sur les Nuraghs et bronzes de Sardaigne, Paris,
Reinwold, 1884. p. 190, 193 et 200.
2. La Marmora, tome I, p. 120.
3. Elysée Reclus, UEurope méridionale^ p. 795.
PÉRIODE PRÉHISTORIQUE. 9
prouver que les constructeurs dés dolmens de l'Espagne n'ont
jamais émigré en Corse.
Par élimination nous arrivons donc à reconnaître que les
architectes des monuments de Tenda et du Rizzanese sont venus
des côtes de France.
Il y a des preuves plus positives encore : « Les pointes de
flèches de Tâge de la pierre trouvées en Corse se divisent en deux
grandes catégories : certaines allongées (comme dans les îles qui
séparent Tltalie de la Corse), sont du type italien ; d'autres plus
triangulaires, à barbelures plus prononcées et à pédoncule
mieux proportionné sont de forme française. .On en trouve de
semblables dans les dolmens des Causses, de la Lozère et de VHé-
rault. Ces pointes de flèches ont été trouvées à la surface du sol
sur le mont Patro, qui domine le canton d'Olmi-Cappella ; sur le
pic del Santo, près de Palasca, au-dessus d'Ochiatana ; près du
Pian delta battagtla et sur le territoire de Belgodere l. » On ne
saurait mieux délimiter le groupe septentrional des dolmens
corses.
Qui a pu apporter en Corse ces armes ou ces outils de forme
française, semblables à ceux quon trouve dans les dolmens du Sud
de la France, sinon les constructeurs de ces dolmens ? Puisque
les archéologues admettent que les dolmens de la Corse sont, en
tous points, semblables à ceux de la Bretagne et de la Provence,
il n'est point téméraire de compléter l'analogie en disant
qu'ils datent de la même époque, c'est-à-dire de l'âge de la
pierre polie.
N'est-ce point en faisant la même comparaison, qui vient
naturellement à l'esprit, que le docteur Bertholon, dans ses belles
études sur l'anthropologie, rapporte, en adoptant l'opinion du
docteur Collignon, la construction des monuments mégalithi-
ques de Tunisie à la même race que ceux des monuments
semblables d'Europe et montre que cette race a dû envahir le
Nord de l'Afrique en même temps que l'Espagne, ou même
après, au temps de la pierre polie ou des premiers métaux 2.
1. Caziot (commandant), BuUetin de la Société d'anthropologie de Paris,
page 469. Paris, 1897.
2. Bertholon (docteur), Résumé de l'anthropologie de Tunisie ; Berger-
Levrault, 1897.
10 CHAPITRE l*^ § 2.
Celle émigralioii esl-elle postérieure ou antérieure à l'arrivée
de rhomnie néolithique de Bonifacio ? Les objets préhistoriques
en obsidienne, découverts par le capitaine Ferton et soumis par
le commandant Caziot, à l'examen de M. Mortillet ont été
reportés au robenhausien ; ils seraient donc postérieurs à la
période des dolmens.
L'homme qui a élevé ces dolmens serail-il le premier habi-
tant de la Corse ? On est tenté de répondre par la négative,
puisque ces monuments ne sont pas répandus dans toute Tile ;
ils font défaut dans tout l'en-deçà des monts et dans toutes les
hautes vallées qu'aucun des peuples historiques envahisseurs
n'a pu conquérir entièrement. Et pourtant à Theure actuelle
aucun monument, aucun texte ne nous autorise à affirmer que
la Corse a été habitée antérieurement à l'époque des dolmens.
L'émigration du peuple des dolmens fut-elle bien considérable ?
Les savants travaux de M. Bertrand prouvent surabondamment
que ces monuments sont des tombeaux de chefs, ou des tom-
beaux de famille et de tribu i. De leur nombre découle l'impor-
tance de l'émigration ; tout porte donc à croire qu'elle n'a pas
dû être très importante. Il est vrai qu'il y a lieu de tenir compte
de l'opinion des archéologues qui pensent que beaucoup de
ces tombeaux ont été certainement anéantis et ne sont pas
parvenus jusqu'à nous; mais il ne faut pas exagérer l'impor-
tance de ces disparitions, surtout en Corse, où la pierre abonde
et où les moyens de destruction ont toujours été fort limités.
Il nous semble plus raisonnable d'admettre que beaucoup de
monuments mégalithiques sont encore dans leur état primitif,
c'est-à-dire fermés et recouverts d'une enveloppe de terre ou
tumulus.
Enfin et pour nous résumer :
1° La présence de l'homme en Corse, pendant la période
quaternaire, n'est pas suffisamment démontrée ; pendant la
période néolithique elle est indiscutable ;
2** Des dolmens indiquent qu'à cette époque, des hommes
probablement venus des côtes françaises occupaient le Nord et
l'Est de l'île 2 ;
1. Bertrand (A), La Gaule avant les Gaulois, p. 124.
2. « Les dolmens de l'Algérie et du Maroc témoignent qu'avant 1500 des
PÉRIODE PRÉHISTORIQUE. 11
3° Des objets en obsidienne témoignenl, jusqu'à preuve du
contraire, que, pendant la période robenhausienné, des hommes,
venus de Sardaigne, occupaient les environs de Bonifacio ;
4° Des objets de la période néolithique et d'origine italienne
affirment la présence d'hommes venus d'Italie ;
5° Dans l'état actuel de la science on est obligé de reconnaître
qu'antérieurement à la construction des dolmens nous ne
trouvons, en Corse, aucune trace de la présence de l'homme.
\
« invasions de proclic en proche d'un peuple blond venu du Nord s'étaient
(( déjà produites. On pourrait donc ainsi fixer la terminaison de la pierre
« polie en Afrique, vers l'an 2000 environ. » Topinard (D^), U Anthropologie.
Paris 1894, p. 447. — Le même raisonnement semble pouvoir s'appliquer à
la Corse,
CHAPITHE II
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE.
Sommaire. — § 1. Les Libyens en Corse, sous le nom de Gorsi ; les
Shardana et les Corsi appartiennent à la même race. — § 2. Les
Ibères en Corse. -— § 3. Les noms de lieu semblent prouver la
parenté des Corses et des Basques. — § 4. Date approximative de
l'arrivée des Ibères en Corse. — § 5. Les Ligures en Corse ; le nom
Corsica n'est pas ligure.— §6. Parenté des Corses et des Ligures prou-
vée parles noms de lieux. — §7. Les Celtes n'ont pas occupé la Corse.
■— §8. Des Celto-Ligures et des Celtibères ont dû passer en Corse. —
§ 9. Importance des migrations ligures en Corse. — § 10. Les Ligures
et les Corses actuels devant l'anthropologie. — § 11, Les Phéniciens.
— § 12. Les Etrusques ou Pélasges-Tursânes.
§ 1. Les Libyens en Corse sous le nom de Corsi ; les. Shardana et
les Corsi appartiennent à la même race.
Aussi haut que nous pouvons remonter dans le lointain des
âges, l'histoire nous apprend que la Corse a été peuplée par des
Libyens, des Ibères et des Ligures. Plus tard les Phéniciens,
les Etrusques, les Phocéens et les Carthaginois ont tour à tour
occupé ses côtes, peuplé des colonies peu nombreuses et, dans
tous les cas, exploité, dans la limite de leur propre tempéra-
ment, les populations indigènes qui semblent s'être peu altérées
au contact de leurs dominateurs passagers.
L'unique texte sur lequel nous pouvons nous appuyer, pour
avancer que les Libyens ont occupé la Corse, est tiré de la
Phocide de Pausanias qui écrivait au ii® siècle de notre ère :
« A peu de distance de la Sardaigne il est une île appelée par
« les Grecs Cyrnos et par les Libyens qui l'habitent Corsica.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUË. 13
« Une partie non minime de la population, écrasée dans une
« sédition, passa de cette ile dans celle de Sardaigne et se
« tailla dans la montagne un territoire où elle s'établit. Les
« Sardes nomment ces émigrés du nom qu'ils ont apporté de
« leur pays, Corses l ».
La légende est plus précise, Sardus fils d'Hercule et fondateur
mythique de la Sardaigne aurait eu un frère Cyrnos. A la tête
d'une nombreuse armée de Libyens, l'un et l'autre auraient
quitté l'Afrique pour venir s'installer, le premier en Sardaigne,
le second en Corse, donnant leurs noms aux deux îles 2. H faut
reconnaître là, l'usage grec qui, pour tout pays dont la pre-
mière histoire était perdue dans la nuit des temps, imposait un
héros éponyme.
Nous ne citerons que pour mémoire le passage de Cicéron
qui, dans son discours pour Scaurus, traite les habitants de la
Sardinia, province qui comprenait les deux îles, de vils
1. Phocide, 1. X, c. VII, §8 ; éd. Didot-Dindorf.
Deinceps sûnt insulte Gymnesiœ ; prope lias Busus
ac potentissima Sardinia et amabilis in mari Cyrnus,
quam quidem indigense homines Corsicam appellant ;
silvis autem tantum quantum illa abundat nulla.
Dyonisii, Orbis descriptio, v. 457-460.
Ëustathe dans ses Commentarii du vers 458 ajoute :
Insularum Ligustici maris, secundum Siciliam, maximae suut Sardinia et
Cyrnus. At enim Gyrnum vocant etiam, ut est apud Dyonisium, Gorsidem,
vel ex quorundam exemplarium fide, Gorsicam. Atque, ut alii quidem aiunt,
Corsis appcllatur a Gorsa, serva quœ boves pascebat ; verum, ut vult
Dyonisius, dicitur Corsis propter tuç Koptruç^ quœ ibi sunt. — M. Charles
Toubin dans son Essai d'étgmologie historique et géographique, (Paris,
Alphonse Picard, 1892), propose l'étymologie suivante que nous donnons,
sous toutes réserves : Cgrnus, ancien nom grec de la Corse ; du sanscrit
çirna, divise, partagé, çirna mince, petit. Prop.:la petite île par comparaison
avec sa voisine la Sardaigne. Corsica : du sanscrit Kic, amincir, rendre petit,
Kârcia, ténuité, petitesse. Prop. : la petite île.
2. Corsica insula grœcè Gyrno Herculis fîlio. (Servius Honorius, Bue, IX,
V. 30, éd. Thilo-Hagen). — Sardus, Hercule procreatus, cum magna multitudine
a Libya profectus, Sardiniam occupavit et ex suo vocabulo nomen dédit.
(Isidore, Origines, 1. XIV, c. VI, § 39). — Corsica a Cyrno ejusdem Sardi fratre
et Herculis filio dicto qui ex Lib3'^a veniens insulam ipsam habitasse et de
suo nomine nuncupasset. Salvator Vitalis, Apparatus ad annales Sardinia?,
p. 22.
14 CHAPITRE II. § 1.
carthaginois et d'africains l. Quelques noms de lieux semblent
prouver le passage des Libyens en Corse 2.
Il convient d'ajouter que Pausanias, Silius Italiens, Soliii et
Isidore de Séville font arriver en Sardaigne les Libyens avant
tout autre peuple 3. Or, si nous en croyons un passage de
Varron, heureusement reproduit par Servius, dans les temps
reculés, la Corse et la Sardaigne ne formaient qu'une nation,
soumise à un même roi, le mythologique Phorcus, fils de
Neptune et de la nymphe Thoosa *. Les textes sur l'origine des
Sardes paraissent ainsi pouvoir s'appliquer aux Corses 5.
L'histoire des Libyens ne nous est guère connue, mais il est
certain que, dès le XVI* siècle avant Jésus-Christ, ils avaient
une marine et se trouvaient en relations fréquentes avec les
peuples des îles et des côtes de la Méditerrannée 6.
Une inscription trouvée à Karnak, par Mariette-Bey, nous
apprend que Marmaiou, fils de Deid, roi des Libyens, organisa
une alliance des peuples des îles de la grande mer, pour l'envahis-
sement de l'Egypte gouvernée par Thothmès III. La confédéra-
tion comprenait, indépendamment des tribus Libyennes, les
Shardanas ou Sardiniens, les Shakalshas ou Sicules, les Âkaou-
1. Cicéron, Pro Scauro, passim.
2. Ptolomce place dans la Mauritanie ou dans la Libye : Ziglia, rivière ;
Lixttj rivière ; Zilia, ville ; Zalaco, mont ; Vittaca, oppidum ; Charax,
oppidum ; Gaulo, oppidum ; Pallas, oppidum. Or nous trouvons en Corse :
Zigliara, village ; Liscia, (en latin Lixa), rivière ; Zalana et Zevaco, villages ;
Villaca^ mont ; Charax, ville (Strabon), Pallas, ville (Ptolémée). Gaula
(Golo), rivière (Ptolémée) ; Azillona, village.
3. Pausanias, livre X, c. 17 §2 et 5; éd. Didot-Dindorf, p. 512.— Silius Italicus,
Punica, livre XII, vers 359-360.*— Solin, 4, 1 ; éd. Mommsen, p. 50.
4. Phorcus dicitur Thoosse nymphœ et Neptuni filius ; ut autem Varro
dicit, rex fuit Corsicœ et Sardiniœ, qui cum ab Atlante rege navali certa-
mine cum magna exercitus parte fuisset victus et obrutus, fînxerunt
socii ejus eum in deum marinum esse conversum. Servius, AEn, V, vers 824,
éd. Teubner-Thilo et Hagen.
5. Il convient de n'attacher aucune importance aux récits fantaisistes de
quelques écrivains insulaires qui confondent la Corse avec l'île de Théra
primitivement appelée Calliste.
6. Archeologia XXXVHI. — Revue arch. Vol. IV, année 1861. — Archives
des Missions scient, t. IV, p. 309, année 1872.
i
PÉRIODE PRÔTO-HlSTORlQUE. 15
sas OU Achéeiîs ; il faudrait y joindre « sans doute aussi
toutes les populations insulaires depuis Chypre jusqu'aux
Baléares » i.
« Dans les S'ardana, dit M. de Rougé 2, nous y voyons les
« ancêtres du peuple Sarde (Sardinienses,) (Sardonici,). Le cou-
« rant qui porta plus tard les Carthaginois en Sardaigne et en
« Sicile, avait donc commencé à se faire sentir dès le temps de
« la domination Libyenne, et les données égyptiennes sur Taffi-
« nité de ces divers peuples de la mer viennent éclairer et
« confirmer les traditions classiques de la manière la plus inat-
« tendue. Sans m'arrêter ici à discuter tous les noms géogra-
« phiques assez nombreux qui pourraient prouver l'existence
« de cette famille je citerai :
« les Sordici, dans l'Adriatique,
« Sardica, ville d'Illyrie,
« Sardonici, au pays des Libures. »
M. d'Arbois de Jubainville reprenant la question estime
« qu'avant les Phéniciens et bien avant les Ligures, les Sordes
« ou Shardana, auraient occupé tout ou partie des côtes de la
« Méditerranée entre les Pyrénées et le Rhône. 3 ». Il s'appuie
sur l'autorité d'Avienus, de Pline et de Pomponius Mêla qui
placent les Sordi ou Sordones dans le pays qui fut plus tard le
Roussillon.
Avec les Shardana, nous nous trouvons donc en présence
d'un peuple qui aurait occupé la Sardaigne, une partie des côtes
de la Méditerranée, françaises et italiennes, sans qu'aucun texte
nous autorise à supposer qu'il a aussi peuplé la Corse. Tel est
cependant notre avis que nous allons essayer de justifier ; nous
pensons même que Corsi et Shardana désignent des peuples de
même origine. Nous avons vu que des savants, comme M.
d'Arbois de Jubainville et M, de Rougé, ne craignent point
d'affirmer la présence d'un peuple, dans une région déterminée,
en s'appuyant sur l'origine des noms de lieux.
1. Conestabile, Archives des missions scientifiques, Jtome VII, p. 309, année
1872. — Chabas, Etudes sur l'Antiquité historique, 2« éd. p. Î79, 181 et 184.
2. Revue archéologique, tome XVI, p. 37.
3. d'Arbois de Jubainville (H.), Les premiers habitants de VEurope, 2» édlt.,
t. I, p. 189.
16 CHAPITHE II. § 1.
Appliquons cette méthode à la Corse. Le passage des Shardana
y est nettement accusé par :
Matisa-Sardo (Sartène ou Sardène) i ;
Sardagena, localité 2 ;
Sardaggia, mont 3 ;
Sardo, mont 4 ;
Casa di Sardo ^ ;
Local usardo 6.
Tous ces noms, à Texception de Localusardo, s'appliquent à
des lieux situés dans le sud-ouest de File, dans la région qui
parle le même dialecte que la Sardaigne. Serait-il téméraire
d'avancer que les Shardana ont occupé cette partie de la Corse ?
Nous ne le pensons pas. Pour nous, les Shardana ont laissé
leur nom à la Sardaigne et à l'arrondissement de Sartène, les
Corsi ont donné leur nom à la Corse et à une partie de la Sar-
daigne ancienne, mais les uns et les autres appartenaient à la
même race et ne formaient, à l'origine, qu'une nation soumise
à un même maître, représenté par le mythologique roi Phorcus.
Il est donc tout naturel de trouver, dès l'antiquité la plus reculée,
l'oppidum Sardo, en Corse, et la tribu des Corsi, en Sardaigne 7.
1. Ptolémée, Geographia, Didot-Mûller t. I, p. 372, n. 4.
2. Donation à Tabbaye de Monte-Christo, de- l'an 1034, reproduite par
Muratori et le Bul. de la Soc, des études historiques de Bastia, Vol. IV, p. 191 ;
à rapprocher de Sordicena gleba d'Avienus, Ora maritimay v. 568.
3. Carte de l'état-major, f. 265.
4. Carte de Vétat-major, f. 264.
5 Atlas de Vlsle de Corse, par Bellin, planche XXIX.
6. Pétri Cyrnœi, De rébus Corsicis, libri quatuor, trad. Letteron, p. 17.
7. Les Corsi de Sardaigne quoique placés par Ptolémée au sud de Tibulati
devaient occuper une partie de la j^rovince actuelle de Gallura. (La Marmora,
I, p. 412) m Les gens de Sassari ne se disent point Sardes ; ils laissent ce
nom, pour eux un peu synonyme de barbare, aux habitants de l'intérieur et
des côtes méridionales. Autrefois il y avait une grande rivalité et même de la
haine entre les Sardes du Nord, capo di sopra, et ceux du midi, capo di sotto,
et les uns et les autres ne parlaient de leurs voisins qu'en terme de mépris ;
l'instinct de vendetta pailageait l'île entière en deux moitiés ennemies. »
(E. Reclus, L'Europe méridionale, p. 601). Il est curieux de rapprocher cette
constatation des observations de Thevet au sujet des Corses : « La Corse se
divise en deux parties : Bande di dentro et Bande di fuori. Je ne peux jamais
sçavoir de ce peuple qui est la cause dont ils sont ainsi divisés et pourquoi ils
s'en veulent, comme font l'Ânglois et l'Escoçois ». Thevet (A), La Cosmogra"
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 17
Mais tandis que les Shardana s'installent dans le Sud-Ouest
de la Corse, les Corsi poursuivent leur route, vers le Nord, et
jalonnent leur marche de noms qui, comme autant de gîtes
d'étape, marquent leurs efforts et rappellent leur souvenir i.
Nous trouvons ainsi dans l'île : le canton de Corsa, l'île des
Corsi 2, la rivière de Corsigliese 3, les hameaux de Corsoli et
de Corsacci, le ruisseau Corso et la pointe Corsa *. Il ne suffit
pas à ces hardis navigateurs d'occuper la Corse ; bientôt ils
traversent la mer et s'installent sur les côtes d'Italie où ils fon-
dent Populonîa 5.
phie universelle, Paris 1572, p. 712. Il convient d'ajouter que les Corses de la Bande
di dentro et les Sardes de Sassari parlent le même dialecte : « Corsorum idioma
Tempium et contermina regio, ad Sassaritanam usque urbem loquitur. Unde
non quidem vère Sardoum, sed Cyrnaeum est illis peculiare Collogium. »
Salvator Vitalis, Apparatus ad annales Sardiniœ, p. 88«
1. Dans sa curieuse Introduction à l'histoire ancienne, Victor Fournie laisse
croire que les Shardana venaient du Nord. « Une branche basco-ibère, les
Sordi ou Sordones des Romains, les Shardana des Égyptiens, se nommant
sans doute les S. Arda, (les marcassins), est partie de la Cerdagne, Serdinya,
a conquis la Sardaigne sous un amiral, Norax, évidemment basque. Je pense
que Sartène est ibère comme la Sardaigne. » p. 122, 135.
2. Insula Corsorum, Cursa civitas, Petrus Cyrnaeus, p. 13.
3. Carte de Vétat major, f »« 263.
4. Carte de Vétat major, fi« 265. — Bellin, Atlas, planche XIV.
5. Quidam Populoniam, post XII populos in Etruria constitutos, populum
ex insula Corsica in Italiam venisse et condidisse dicUnt, alii Populaniam
Volaterranorum coloniam tradunt ; alii Volaterranos Corsis eripuisse Popu-
laniam dicunt. Servius ad Mneid. 1. X, vers 172. L'abbé Lanzi a cru qu'il
fallait entendre, par les Corses auxquels le commentateur de Virgile faisait
allusion, les descendants des Phocéens qui s'étaient emparé de l'île de Corse.
(Lanzi, Saggio di lingua Etrusca, t. II, p. 65.) M. Milingen, a supposé que la
conjecture de Lanzi devait recevoir une confirmation de la découverte d'une
monnaie d'argent de Populonia portant un type évidemment imité de ceux
de rionie et appartenant précisément à l'époque où les Phocéens étaient
établis dans la Corse. (Considérations sur la numismatique de l'ancienne
Italie, p. 164.) Nous préférons, après mûr examen, nous en tenir à l'opinion
de Mommsen : « Les Etrusques eurent aussi d'amicales relations avec les
villes grecques, témoins les monnaies d'or et d'argent frappées dès l'an 200
de Rome, (550 ans avant J.-C), sur le modèle et d'après le titre des pièces
grecques, dans les villes de l'Etrurie et notamment à Populonia. » (Hist,
Romaine, trad. Alexandre, I, p. 194). La monnaie de^ Populonia, du type
ionien, nous paraît prouver que la ville avait des relations avec les colonies
grecques et non qu'elle a été fondée par les Phocéens venus de la Corse.
2
18 CHAPITRE II. § 1.
Que faut-il entendre par Libyens et par Shardana ? Hérodote
appelle Libyens tous les peuples qui habitent l'Afrique septen-
trionale 1. Les Libyens et les Gétules furent les premiers habi-
tants de la Sardaigne, écrit Gustave Boissière. Ils doivent être con-
sidérés comme autochtones, ceux dont les hiéroglyphes égyptiens
font mention sous le nom de Lebous, ceux dont un papyrus plus
récent désigne le pays sous le nom de Tarnahoux ; ce sont les
indigènes bruns, les antiques fabricateurs de ces instruments
en silex, de ces pierres taillées qui sortent du sol africain, plus
nombreuses chaque jour ; c'est en un mot le berbère qui vit
aujourd'hui près de nous, et dont les purs échantillons, échap-
pant à toute conquête, se sont réfugiés dans les inaccessibles
retraites du plateau central 2. M. d'Arbois de Jubainville pense
que les plus anciens Libyens sont identiques aux Ibères et il
considère les Shardana comme un peuple ibère 3. Nous admet-
tons donc que les Libyens qui, au dire de Pausanias, habitaient
la Corse, étaient des Ibères et nous passons à l'étude des textes
et des arguments qui signalent l'installation des Ibères dans
l'île.
§ 2. Les Ibères en Corse.
Nous savons, par les témoignages de Pausanias et de Solin,
que, longtemps avant la guerre de Troie, les Ibères auraient
envoyé une colonie en Sardaigne, habitée jusqu'alors par des
hommes logés épars dans des cavernes et des cabanes 4. Au
premier siècle de notre ère, Sénèque signale leur présence, en
Corse : « Après les Grecs et les Ligures, les Espagnols descen-
« dirent dans cette île, comme l'atteste la ressemblance des
« usages. Les Corses ont du cantabre et le couvre-chef et les
a chaussures et aussi quelques mots de sa langue ; car tout leur
« idiome primitif s'est altéré par un long commerce avec les
« Grecs et les Ligures, 5. »
1. Hérodote, livre XI, 32, § 5.
2. Boissière, L'Afrique Romaine, tome I, p. 86.
3. D'Arbois de Jubainville, tome I, p. 37, 41, 43 et 67.
4. Pausanias, Phocide, L. X, c. 17, § 2 et 5, édit. Didot, p. 512.
5. Hœc ipsa insula sœpe jam cultores mutavit. Ut antiquiora quse
vetustas obduxit, transeam. Phocide relicta, Graii, qui nunc Massiliam
incolunt, prius in hac insula consederunt. Ex qua quid eos fugaverit
I
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 19
Sénèque écrivait ces mots en Corse où il fut exilé, de l'an 41
à l'an 49 de notre ère. Il a pu se tromper dans la détermination
de Tordre chronologique des diverses immigrations passées en
Corse, mais son témoignage n'en conserve pas moins une valeur
sérieuse, nous dirions volontiers indiscutable ; cantabre, fils de
cantabre, il était mieux placé que personne pour pouvoir recon-
naître dans l'idiome corse la langue de ses premières années i ;
mieux que personne aussi, il pouvait comparer les usages des
deux pays et détailler leur habillement ; enfin il a vécu à côté
des populations dont il parle ; c'est un témoin oculaire, parfois
sévère, au tempérament aigri par l'exil, mais digne de foi parce
qu'il a pour lui la science et le désintéressement. Rien ne semble
l'obliger à reconnaître dans ces barbares qu'il malmène avec
tant d'âpreté les descendants de ses propres concitoyens.
Parmi les usages singuliers communs aux Corses et aux
Ibères, il en est un particulièrement caractéristique ; nous vou-
lons parler de la couvade. « Ce qu'il y a de plus incroyable, chez
« les Corses, écrit Diodore de Sicile, c'est ce qui se passe à la
« naissance des enfants ; quand une femme accouche on ne
« prend d'elle aucune espèce de soin, son mari se met au lit,
« comme si c'était lui qui était souffrant des suites de couches,
« et il y passe le nombre de jours réglementaires, comme si son
« corps avait subi quelque fâcheuse atteinte 2. »
Or Strabon fait exactement la même remarque en parlant
des Ibères. « Les femmes, dit-il dans la description de l'Espagne,
ont une énergie virile égale à celle des hommes ; elles cultivent
la terre, et quand elles viennent d'accoucher, elles servent leurs
maris, après les avoir fait mettre au lit à leur place 3. »
incertain est : utrum cœli gravitas, an prœpotentis Italiae couspectus, an
natura impoiluosi mari ; nam in causa non fuisse feritatcm accolarum, eo
apparet, quod maxime tune tnicibus et inconditis Gallise populis se
interposuerunt. Transierunt deinde Ligures in eam, transierunt et Hispani,
quod ex similitudine ritus adparet ; eadem enim tegumenta capitum,
idemque genus calceamenti, quod Cantabrio est, et verba quaedam ; nam
totus sermo, conversatione Grsecorum Ligurumque a patrio descivit. Sénèque,
Consolatio ad Helviam, c. 7, § 8 et 9 ; éd. Teubner-Haase, t. I, p. 244.
1. Sénèque naquit à Cordoue ; son père, d'origine romaine, était lui-même
né à Cordoue.
2. Diodore de Sicile, 1. V, c. 14 ; édit. Didot, tome I, p. 262, 1. 23-28.
3. strabon, 1. III, c. IV, édit. Didot, p. 137, 1. 2-5.
20 CHAPITRE II. § 2.
Certes il serait téméraire d'affirmer que les Ibères ont occupé
la Corse, ou une de ses parties, sans d'autres preuves que le
simple rapprochement d'un usage qui, dans l'opinion des Grecs,
du moins, était général chez les nations barbares et que de nos
jours encore, nous trouvons chez des peuplades qui sont mani-
festement étrangères les unes aux autres i. Mais cette observa-
tion, comme le fait remarquer M. H. Nissen, confirme la thèse
de Sénèque 2.
L'origine des Ibères nous est inconnue. M. d'Arbois de
Jubainville les considère comme les descendants des légendai-
res atlantides 3.
Les Ibères ont-ils encore des descendants, sinon purs de tout
mélange, mais se rapprochant encore par leur langue et leurs
mœurs de leurs mystérieux ancêtres ? Quelques savants croient
avoir retrouvé des Ibères dans les basques français et espa-
gnols 4. La question, sans être résolue, ferait un pas de plus si l'on
pouvait prouver que les basques et une partie des corses actuels
ont la même origine. De temps immémorial ces deux nations
n'ont eu aucun contact et si, réellement, leurs langues présentent
certains caractères communs on serait en droit de conclure
qu'elles ont eu des aïeux de même race. Ces aïeux ne pourraient
être que les Ibères, dont la langue, au dire de Sénèque, était
parlée par les Corses.
1. « La couvade a été constatée en Europe, en particulier, chez les Basques, il y
a encore peu de temps ». Zaborowski, art. Couvade de la Grande Encyclopédie.
2. Nissen (H.), Italische Landeskunde, Berlin 1883, t. I, p. 551.
3. D'Arbois de Jubainville, tome I, p. 24 et 67-73.
4. Reclus (E.), L'Europe méridionale, p. 258. — « Le type basque s'étendait
« jusqu'aux Canaries, sous le nom de Guanches ; il y a de fortes présomp-
« tions qu'il a empiété sur l'Europe méridionale et que le fond commun le
« plus ancien de la péninsule ibérique, du bassin de la Garonne et des îles
« de la Méditerranée est berbère. » Topinard, L'Anthropologie, 1894, p. 475.
(( Les Ibères sont les ancêtres des Espagnols et plus particulièrement des
a Vascons et des Basques... Qui dit Vascons dit Basques, qui dit Basque dit
« fils des anciens U^ères. » Desjardins, t. 11, p. 40 et 382. Julien Vinson est plus
circonspect : « Au surplus, écrit-il, il est vraisemblalîle que jamais il n'y a
« eu, dans le sens propre du mot, de nationalité basque. L'existence dans
« toute l'Espagne, dans le Midi de la Gaule, en Italie et jusqu'en Sardaigne
« et en Corse, d'une seule et même race, dite Ibérienne, qui aurait parlé une
(( langue parente du basque n'est qu'une hypothèse sans fondement sérieux. »
Art. Basques de la Grande Encyclopédie,.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 21
§ 3. Les noms de lien semblent prouver la parenté des Corses
et des Basques.
Dans cette étude nous examinerons successivement :
1° Les noms géographiques de la Corse explicables par le
basque ;
2° Les noms géographiques communs à la Corse et aux pays
basques ;
3° Les noms de lieu de la Corse formés à l'aide d'un radical,
probablement basque.
Noms géographiques de la Corse explicables par le basque.
L'étude des noms de lieu de la Corse a permis, au prince
L. L. Bonaparte, un basquisant des plus autorisés, de relever,
dans l'île, un certain nombre de noms restés inexplicables, à
son avis, par toute autre langue que l'euskarien.
« Cependant, écrit le savant philologue, je ferai observer, que
« quand même les dialectes corses présenteraient plus de noms
« locaux basques qu'ils n'en présentent, cela ne prouverait pas
« que les Corses soient d'origine euskarienne.... La nature des
« dialectes de l'île confirme, en effet, leur origine latine, tandis
« que l'existence de plusieurs mots explicables par le basque est
« favorable à l'opinion que les Euskariens ne se soient pas bor-
« nés à un simple passage par la Corse, mais qu'ils s'y soient
« réellement établis.... Pour pouvoir admettre que les Corses
« soient d'origine basque, il faudrait que leurs dialectes évidem-
« ment néo-latins, présentassent un certain nombre de mots bas-
« ques, autres que les noms locaux, car ces derniers sont les seuls
« qui puissent persister dans la langue du peuple qui- succède.
« Pour ce qui se rapporte aux noms locaux de la Corse qui
« restent encore inexplicables, je prétends en diminuer la liste
« par le moyen du basque. Une bonne partie du vocabulaire
« euskarien des temps anciens est d'ailleurs ignoré ; mais, si rien
« ne prouve que les noms locaux inexplicables aient jadis
« été basques, rien ne prouve non plus qu'ils n'aient pu appar-
« tenir à cette langue, puisqu'elle se trouve en état d'expliquer
« ceux qui suivent :
22
CHAPITRE II. § 3.
Noms locaux
MOTS KT ROUS lOCm
Traduction
Corses.
Basques.
et indicalion géographique.
Aïtona (forêt d)
Alton ; Aitona
Gr^'-père; legr**-père.
Arro (village)
Arro
Vain orgueilleux.
Artic^ (montagne)
Artica (village)
(en Navarre).
Asco (village)
Asco
beaucoup, plusieurs.
Asto (montagne)
Asto
âne.
Bilia (village)
Belia
Le corbeau.
Creno (étang)
Cerain (bourg)
(en Guipuscoa).
Ersa (village)
Ertza
le bord.
Ghisonaccia (village)
Guizonac
les hommes.
Ghisoni (village)
Guizoni
homme.
Goria (étang)
Gorria ; Guria
le ronge adj; le nioa adj.
Guitera (village)
Guetaria (bourg)
(en Guipuscoa).
Lincinosa (montagne)
Linzoain (village)
(en Navarre).
Lozzi (village)
Loza (village)
/en Navarre et enAlava/
Ocana (village)
Ocarana
la prune (en biscaîen) .
Orbadans Vagliorba m*
Orba (vallée)
(en Navarre).
Ose (rivière)
Oso
entier.
Ota (village)
Ota
ajonc (en biscaîen).
Ovace (montagne)
Obanos (bourg)
en Navarre.
Scata (village)
Ezcata
écaille (de poisson).
Sari (village)
Sari ; Sare (village)
prix, réccmpease (en Labourd).
Tavaco (village)
Tabar (village)
(en Navarre).
Tartagine (forêt)
Tertanga (village)
(en Alava).
« Je ne considère pas tous les mots de cette liste, que je pour-
rais enrichir de plusieurs autres, comme des pièces également
probantes ; car, si elle présente des mots qui sont identiques en
basque et en corse, elle en présente aussi d'autres qui n'offrent
qu'une ressemblance plus ou moins grande entre les deux
idiomes i ».
Les restrictions du prince L. L. Bonaparte semblent justifiées
au moins pour deux noms : Asco, que M. d'Arbois de Jubainville
1. Bonaparte (Prince L. L.), Remarques sur les dialectes de la Corse. Lon-
dres, 1877, p. 9, 10 et 11.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE.
23
considère comme un suffixe ligure, et Tavaco qui, d'après Fle-
chia, serait un dérivé du gentilice Octaviacum i.
Noms géographiques communs à la Corse et au pays basque.
Nous commencerons par les noms indiqués par Ptolémée, en
indiquant les régions de l'Espagne qui les ont fournis 2 :
Régions.
Noms de localités
DE l'Espagne.
Noms de lieux
Corses.
Bétique (Turdeiani)
Corticala, oppidum
Cortichîato, village.
d°
Ucia, oppidum
Uciani et villages.
Lusî- ) (Lusitani)
Caurium, oppidum
Cauro, village.
tanie / (Vettones)
Lama, oppidum
Lama, village.
(Callaici)
Nebio, rivière
Nebbio, régions et m*
( Contestani )
Tavero, rivière
Tavera, village
u
( Cantabri )
Concatia, oppidum
Conca, village.
o
d°
Vadinia, oppidum
Vadina, plaine.
i( rf°
Vellica, oppidum
Vallica, village.
% ( Bastitani )
Acci, oppidum
Acci ou Accia.
H rfo
Asso, oppidum
Asso, col.
( Vascones )
lacca, oppidum
Cargiaca et Viaca.
d«
Calagorina, oppidum
Calaguccia.
1. Flechia (G.), Di alcune forme di nomi locali deWItalia superiore, Turin,
1871, extr. des Atti deWAccademia délie Scienze di Torino, voL XXVII, 1873.
2. Ptolémée, Didot-Mûller, t. I, c. 5 et 6, p. 1ÎÎ2, 138, 142, 143, 150, 168, 169,
184, 190. Je pourrais augmenter considérablement cette liste. Autraca, Tarraco,
Urci, Caracca, Bravum, situés dans VHispania Tarraconensis^ présentent une
grande analogie avec Antraca, Tavaco, Urcinum, Faracca, Bravone, noms de
lieu de la Corse. A Leucciana, de Vltinéraire d'Antonin, correspond Lucciana,
commune de l'arrondissement de Bastia. Dans la GaZZi'a aQ'tizïanzca Limonum,
Hutani, Carcaso rappellent Liamone, Hotani et Carticaso. Le lecteur a sans
doute remarqué que je n*ai étudié que les provinces probablement peuplées
par les Ibères. J'ai soumis ces résultats à une contre épreuve en comparant
les noms de lieu de l'Italie, cités par Ptolémée, avec ceux de la Corse actuelle.
C'est à peine si dans Benaco, Caracca, Lucca, Nepeta, j'ai retrouvé les noms
corses : Venaco, Faracca, Lucca et Nepita.
24
CHAPITLE II. § 3.
Le dictionnaire topographique des Basses-Pyrénées, de Paul
Raymont, nous fournira aussi quelques rapprochements inté-
ressants :
Noms locaux
DES Basses-Pyrénées.
Ahaxe, Ahaxa, village
Arangaixa, ruisseau
Arriu-sec, Arrio-sec, ruisseau
Arro, mont
Asso, village
Bastide, La Bastida, village
Benac, village
Bigurne, ruisseau
Bizanos'ou Vissanos, village
Bustancelhay, col
Bustinu, village
Elichetge, Elicoche, village
Jaxu et Jaxou, localité
Larrebieu et Larrebiu,
Larribas, ruisseau
Olette, village
Onaso et Oneix, village
Penne-Blanque, mont
Restone, Restoa, ruisseau
Sarry, village
Urculu, mont
Urtiague, col.
Noms locaux
DE LA Corse.
Ajaccio, ville.
Aranciasca.
Arrio-secco, ruisseau.
Arro, village.
Asso, col.
Bastia, La Bastida, ville.
Venaco ou Benaco, village.
Bigorno, ruisseau et village.
Vezzani, village i.
Bustanico, village.
do
Elice, port.
Ajaccio, ville.
La Rebbia, village.
Le Ripe, ruisseau.
Oletta, village.
Ornaso, village.
Penne-Rosse, mont.
Restonica, rivière.
Sari d'Urcino, village.
Urcula, bergerie.
Urtaca, mont et village.
Noms de lieu corses rappelant le basque.
Ne connaissant pas le basque, je suis mal à Taise pour
essayer, à la suite de M. Luchaire, d'expliquer que beaucoup
1. En Ligurie, Vettiani fundus est devenu Vezziani, (Walkenaer, L 161).
De plus un monument découvert à Vezzani, près de Reveroto, (Italie), men-
tionne les bourgs Vettiani, chez les Genannes. Tartarotti, Memorie antiche
di Reveroto, p. 50 et 52. Vezzani serait donc un nom ligure.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE.
25
de noms de lieu de la Corse présentent une analogie frappante
avec les noms de lieu du pays basque. Ce n'est donc qu'à
titre d'indication que j'appelle l'attention des savants sur la
toponomastique corse, convaincu qu'elle peut présenter un
champ étendu aux investigations des géographes et des histo-
riens. Je prie humblement le lecteur éclairé d'excuser les
erreurs, peut-être grossières, qui peuvent se trouver dans ces
indications. C'est par crainte de ces erreurs que j'ai supprimé
la partie de ce travail consacré à l'étude des noms de lieu
corses, formés par les radicaux : as, aran, mun, ili, élit iri, eri,
ur, guar, que des savants comme Desjardins, de Jubainville et
Luchaire ont utilisé, avec tant de compétence et de minutie,
dans leurs études consacrées aux noms de lieu du Sud de la
France et du Nord de l'Espagne.
Je me bornerai donc à une énumération des noms corses
formés à l'aide du suffixe arri ou harri signifiant pierre, trans-
formé dans certaines régions basques en ar, arra et arro. Pour
diminuer les chances d'erreurs, je comparerai ces noms à ceux
relevés par M. Luchaire dans les provinces basques l :
NOMS DE LIEUX BASQUES
NOMS DE LIEUX CORSES.
Artia, mont
Arlica, mont.
Argina, carrière de
Monts : Argiomelle, Arghia, Argiusta,
pierre
Argazavo, Arghiavara, Argellajo.
Harria, mont
Ariale et Ariola, collines.
Arraiza, village
Arazula, col ; Arazza, colline.
Arri, pierre
Ario, forêt montagneuse ; Ario, pic ;
Ario, torrent ; Lozari, rocher sur les
bords de la mer.
Arracoas, mont
Monts : Arragole, Aracale, Aroga.
Arlet, mont
Aria, pic.
Arra, pierre
Monts : Ara, Aravane, Aravonc, Ara-
gnasco, Araghiarella, Arao.
Arro, rocher
Arro, village.
Arrêt, mont
Arreccia, (prononcer Arretchia).
Ar
Arso-Mala, montagne.
1. A. Luchaire, De lingua aquitanica, Paris, Hacliette, 1877, p. 53.
26 CHAPITRE II. § 3.
Nous arrêtons celte nomenclature qui ne peut avoir de valeur
qu^autant qu'elle serait discutée par des savants compétents,
rompus à la formation des noms de lieu basques et génois i.
Cependant il nous semble acquis que les noms de lieu de la
Corse explicables par le basque, aussi bien que les noms de
lieu communs à l'île et aux pays euskariens, prouvent que la
■langue basque est bien un idiome ibère. Aucun texte, en effet,
ne permet de supposer qu'en dehors des Ibères une nation ait
pu apporter en Corse des noms que nous retrouvons dans les
Pyrénées françaises et espagnoles.
Cette constatation fortifie l'hypothèse que les Basques sont,
sinon des Ibères, au moins un peuple ibère 2.
La répartition des noms de la Corse, que nous considérons
comme ayant une origine ibère, présente des caractères impor-
tants à signaler. Ils appartiennent tous à la région montagneuse
de l'île ; près des trois quarts se trouvent dans les régions de
Bastelica, de Zicavo et de Sartène où l'on parle l'idiome sardo-
corse. Rien qu'en parcourant des yeux la feuille 265 de la carte
de l'état-major, (Bastelica), on est frappé par des noms bizarres
qui contrastent avec les noms d'origine latine du reste de l'île.
L'on se demande d'où peuvent venir ces désinences si dures à
l'oreille des Italiens : Quasquara, Valscherra, Bastini, Tavera,
Ocana, Âroga, Guargalé, Zicavo, Zevaco, Guilera, Sollacaro,
Âmpaza, Zonza, Isa, Zerubia, Moca, Urbalacone, Leca, Et pour-
tant les officiers topographes ont passé par là s'efforçant d'ita-
lianiser et de franciser, si l'on peut employer ces expressions,
1. Ainsi Leca, en basque, signifie lieu, (E. Desjardins, Géographie de la
Gaule, t. II, p. 405), nous avons en Corse le fief de Leca ; Luca se traduit
par village, (Baret E., Revue des Sociétés savantes des dép. 1861, p. 765 y)
nous pouvons opposer Luca, mont et vallée. Enfin Bastia ou La Bastida,
Basterica et Bastericaccia ont un radical qui rappelle le mot basque hasOj
(forêt). Déjà au xvi« siècle, Giustiniani trouvait que Bastia est un nom
étranger et barbare ; (Histoire de la Corse, trad. Lctteron, t. I, p. 51). Aspa
se traduit par « sub râpe », au pied du mont, (Luchaire, p. 13), et nous
trouvons Aspasimata. Eccica, (pron. Etchiga), fait penser à Eiche (maison).
2. L'étude d'un certain nombre de noms corses, autres que les noms
locaux, inexplicables par la langue latine, aurait un grand intérêt. Elle
devrait tenter un professeur du lycée de Bastia. Les régions de Bastelica,
Zicavo, Ghisoni et Cruzzini seraient, à ce point de vue, très intéressantes à
explorer.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 27
ces noms déjà considérablement altérés par deux mille ans de
domination latine. Heureusement qu'il reste encore des
illettrés dans les arrondissements d'Ajaccio et de Sartène; grâce
à eux l'orthographe des noms de lieu a pu résister à la persé-
cution des maîtres d'école, clercs ou laïques, et des tabellions de
village.
A notre humble avis tous ces noms rappellent le souvenir
des premiers habitants de la Corse, de ces Ibères qui sous le
nom de Libyens, de Shardana et d'Hîspani ont peuplé l'île,
trouvant dans la montagne un refuge contre les invasions
postérieures i.
§ 4. Date approximative de l'arrivée des Ibères en Corse.
A quelle époque les Ibères sont-ils arrivés en Corse ? Il n'est
pas invraisemblable d'admettre que le passage dans cette île a
dû suivre de près leur établissement en Sardaigne fixé par
Pausanias, à plusieurs siècles avant la guerre de Troie 2. Mais
comment concilier cette hypothèse avec le texte si précis de
Sénèque qui fait arriver les Ibères après les Grecs et les
1. « J'admets l'identité des Ibères d'Espagne et des Ibères du Caucase et
« voyant en ces derniers le premier témoin de la migration du peuple cons-
« tructeur des mégalithes, je reconnais tout d'abord une bifurcation : Au
« Nord-Est ce peuple s'est répandu sur l'Asie du Nord. Je vois son nom dans
« Sibérie. Au Nord -Ouest, il se répand jusqu'à la Suède dont le nom Sverige
« égale Sibérie. Puis il envahit l'Irlande, Hibernie (H pour S). Il passe en
« Grande-Bretagne, en France, en Espagne, en Afrique. Il occupe toute l'Afrique
tf septentrionale qu'il couvre de mégalithes
« Une branche basco-ibère, les Sordi ou Sordones des Romains, les Shardana
tf des Egyptiens, se nommant sans doute les S. Arda (les marcassins) est
« partie de la Cerdagne, Serdinya, a conquis la Sardaigne sous un amiral
a Norax, évidemment basque, qui de son nom appela Nora la ville qu'il y
« fonda.
« En Corse, Sénèque, au 1»^ siècle de notre ère, montre des Ibères portant
« encore le costume des Cantabres d'Espagne et parlant leur langue. »
« Je pense que S. aliène est Ibère comme la Sardaigne.*»
Victor Fournie, Introduction à l'Histoire Ancienne, Paris 1901, pages 120-122
et 134-135. Nous ne citons M. Fournie, que sous toute réserves.
2. Pausanias, 1. X, c. 17, § 2 et 5 ; éd. Didot-Didtorf, p. 512. Mérimée :
« Si les Ibères étaient venus en Sardaigne après Aristée, c'est-à-dire vers le
xvi^ siècle avant notre ère, il est probable qu'ils se seraient également fixés
en Corse. » Voyage en Corse, p. 7.
28 CHAPITRE II. § 4.
Ligures l ? M. d'Arbois de Jubainville croit que l'ordre inverse,
moins flatteur pour la vanité des historiens grecs, est certaine-
ment celui qu'il faut adopter 2. Mérimée est plus prudent :
« On pourrait, dit-il, concilier Pausanias et Sénèque en admet-
tant deux immigrations des Ibères. »
Cette contradiction est, croyons-nous, plus apparente que
réelle. M. d'Arbois de Jubainville emploie le mot Ibère, dans
son sens le plus étendu ; pour lui les Libyens, les Shardana et
les Sicules sont probablement des Ibères. Sénèque, au contraire,
ne prononce pas le mot Ibère et ne fait mention que des
« Hispani » et des « Cantabri » 3. Or rien ne s'oppose qu'après
la première immigration des Libyens et des Shardana, — peuple
ibère, — et même après les Phocéens et les Ligures, c'est-à-dire
vers le v** ou iv« siècle, des Cantabres, cédant à l'invasion des
Celtes aient cherché un refuge en Corse.
A notre avis, M. d'Arbois de Jubainville, a raison d'écrire
que les Ibères ont peuplé la Corse, avant les Ligures et les
Hellènes.
§ 5. Les Ligures en Corse, — Le nom Corsica n'est pas ligure.
« Après les Ibères, écrit M. d'Arbois de Jubainville, les Ligures*
« sont arrivés en Corse : suivant la doctrine reçue dans le
« monde romain à la fin de la république et pendant toute la
« durée de l'empire, les Ligures étaient les plus anciens habi-
« tants de la Corse. Salluste, au deuxième livrede ses « histoires »,
« écrit entre l'an 44 et l'an 34 avant Jésus-Christ, rapporte la
« fable que voici : à une date reculée, une femme ligure appelée
« Corsa, faisait paître sur les rivages de la Méditerranée un
« troupeau de vaches, dont le vigoureux taureau, traversant de
« temps en temps la mer à la nage, allait s'engraisser dans les
« pâturages lointains d'une île inconnue jusque là ^ ; Corsa,
1. Consolatio ad Helviam, c. VU, § 8 et 9.
2. d'Arbois de Jubainville t. I, p. 68.
3. Les Basques d'aujourd'hui se vantent, avec raison, à ce qu'il semble,
d'être les descendants des Cantabres. Reclus (E). Loc. cit. p. 861.
4. L'île du taureau, isola del toro^ située en face du golfe de Santa-Giulia,
carte de l'état-major, f. 267, semble conserver le souvenir de la légende. Cette
île est située au Sud de la partie de la Corse désignée sous le nom de pieve
de Corsa.
PERIODE PROTO-HISTORIQUE. 29
« piquée par la curiosité, se rendit en bateau dans cette île,
« dont la fertilité la ravit ; à son retour, elle fit de sa découverte
« un tableau si séduisant, que sous sa conduite une colonie
« ligure alla s'y établir, et du nom de Corsa, Tîle, innommée
« jusque-là, fut appelée Corsica. Ce conte dont Priscien nous a
« conservé une phrase i, a été tout entier reproduit en abrégé, au
« commencement du septième siècle, par Isidore de Séville,
« dans la compilation qu'il a intitulée Origines ; la phrase de
« Salluste citée par Priscien, se retrouve textuellement dans le
« récit d'Isidore 2 ; Solin avait probablement, comme Isidore,
« le passage de Salluste sous les yeux, quand, au troisième
« siècle de notre ère, il a écrit que les Ligures passaient pour
« les premiers habitants de la Corse 3 ; trois mots communs au
« texte d'Isidore et à celui de Solin sont évidemment empruntés
« à Salluste.
« La même fable est résumée en quatre vers écrits au
« cinquième siècle de notre ère par Rutilius Namatianus, dans
« le poème où il raconte son retour de Rome en Gaule *.
« Sénèque admet qu'une partie des habitants de la Corse et
« qu'une partie de la langue parlée dans cette île au premier
« siècle de notre ère soient d'origine ligure. Il n'y a donc pas lieu
« de rejeter la doctrine ethnographique que Salluste nous offre.
1. Set ipsi feruiit taurum ex grege quem prope liiiora regebat Corsa tiomine
Ligus mulier. Salluste de Rodolphe Dietsch, Teubner, 1859, t. II, p. 33, § 8 ;
Priscien, 1. VI, e. 80, édition donnée chez Teubner en 1855 par Hertz, t. I,
p. 264.
2. Corsicœ insulse exordium Ligures dederunt, appellantes eam ex nomine
ducis. Nam quœdam Corsa nomine Ligur mulier, cum taurum ex grege,
quem propre littora regebat, transnatare solitum atque per intervalla corpore
aucto remeare videret, cupiens scire incoguita sibi pabula, taurum a ceteris
digredientem usque ad insulam navigio prosecuta est. Cujus regressu insulœ
fertilitatem cognoscentes. Ligures ratibus ibi profecti suut, eamque nomine
mulieris et ducis appellaverunt. Isidore, Origines, 1. XIV, c. 6, § 41.
3. Corsicam plurimi dicendo latius circumvecti i^lenissima narrandi absol-
vcrunt diligentia... ut exordium incolis Ligures dederint. Solin, édition donnée
par Th. Thommsen, 1864, p. 49.
4. Hîcc ponti brevitas auxit mendacia famse
Armentale ferunt quippe natasse pecus,
Tempore Cyrnœas quo primum venit in oras
Forte sccuta vagum fcmina Corsa bovem.
Rutilius, Itinéraire, 1. I, vers 435-439.
30 CHAPITRE II. § 5.
« Sans croire que jamais taureau ait été à la nage de Ligurie en
« Corse, ni que la bergère Corsa ait existé, on peut considérer
« comme fondée la croyance antique qui nous donne pour
« Ligure le peuple appelé Corsi, nom ethnique d'où dérive le
« terme géographique Corsica i ».
On ne saurait mieux résumer tous les textes latins qui prou-
vent le passage des Ligures en Corse ; pouvons-nous considérer
les Corsi comme une tribu ligure ? Nous avons déjà répondu
par la négative et la grande autorité de M. d'Arbois de Jubain-
ville nous semble en contradiction avec le texte si précis de
Pausanias 2.
Les Ligures ont occupé et peuplé la Corse, c'est incontestable ;
mais nie tient des Libyens son nom de Corsica et les Corsi,
à notre avis, étaient des Libyens et non des Ligures.
§ 6. Parenté des Corses et des Ligures prouvée par les noms de lieu.
M. d'Arbois de Jubainville considère les noms de lieu
formés au moyen du suffixe - asco, - asca, comme étant d'ori-
gine ligure. Après avoir étudié ces noms en France, en Espagne
et en Italie, il passe à ceux de la Corse.
<( La Corse, écrit-il, est divisée en deux parties d'inégale
étendue par le Tavignano, l'antique Rhotanos, qui la traverse
de l'Ouest à l'Est. Dans ces deux parties, l'une au Nord de cette
rivière, l'autre au Sud, on trouve des noms de lieu terminés
par le suffixe - asco, - asca. Ces noms de lieu sont au nombre
de douze au Nord du Tavignano, de huit au Sud.
Nous commençons par la région septentrionale :
Arrondissement de Bastia, six :
Commune de Venzolasca ;
Hameau de Grillasca, dans la commune d'Olmeto di Capo Corso ;
— Feciasco, — — de Barbaggio ;
— Prucinasca, — — Ibid. ;
— Martinaschc, — — de Nonza ;
— Cipronasco, — — de Sisco.
1. d'Arbois de Jubainville, t. II, p. 89-90.
h At^ywv Twv «votxovvTwv xaXovtASuv? Kopaiwi, Pausanias, Phocide, L. X, c. XVII.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 31
Arrondissement de Calvi, deux :
Commune de Palasca ;
Ruisseau de Bartasca.
Arrondissement de Corte; quatre :
Commune de Popolasca ;
Hameau de Capociascà, commune de Pianello ;
— Baransiasche, — Castello di Rostino ;
— Velflasca, — Zalana.
Au Sud du Tavignano, nous rencontrons :
Arrondissement de Corte, un :
Ecilasca, nom d'une montagne, près de Pietroso.
Arrondissement d'Ajaccio, sept :
Aragnasco, nom d'une montagne, près du chef-lieu ;
Filasca, nom d'une autre montagne, près de Corrano ;
Hameau de Salasca, commune de Péri ;
— Fiummasca, — Rosazia ;
— Acellasca, — Pietra-Sella ;
— Moraschi, — Bocagnano ;
— Bodiciasche, — Cauro i.
A ces noms il convient d'ajouter ceux du Hameau de Venzo-
lasca, commune de S'®-Lucie de Moriani, du ruisseau et de la
commune d'Asco, situés au nord du Tavignano, ayant échappé
aux recherches de M. d'Arbois de Jubainville.
Enfin, pour être complet, il y a lieu de citer les localités sui-
vantes, que nous trouvons dans de vieilles chartes, et qu'il nous
a été impossible d'identifier :
Tarasco 2 ;
Salasco, village 3 ;
Boniasca, mont 3 ;
Bien plus un examen succint de la carte de la Corse, levée
1. d'Arbois de Jubainville, tome II, p. 91 et 92.
2. Serment de fidélité à Gènes, prêté le 17 juillet 1289, par G. Cortinco ;
nutoriœ Patriœ Monumenta, t. II, p. 211.
3. Histoire de la Corse, d'après les chroniques de G. délia Grossa, de
Monteggiani, de Ceccaldi et de Filippini, trad. Letteron, tome I, p. 43 et 235.
32 CHAPITHE II. § 6.
à la fin du xviii* siècle, nous donne quelques noms en asco
omis dans la carte de l'état-major i.
Arrondissement dcBastia, quatre:
Pulasco, commune de Campile ;
Zarasca, — Sorio ;
Givellasca, — Murato ;
Caprunasco, — Sisco.
Arrondissement de Corte, deux :
Verlasca, commune de Pianello ;
Aranciasca, — Pastoreccia.
Arrondissement d'Ajaccio, quatre :
Merendasca, commune de Péri ;
Pucinasca, — Cuttoli ;
Ranasca, — Suarella ;
Tasolasca, au fond du golfe de la Liscia.
Arrondissement de Sartène, deux :
Lepasco, commune de San Gavino ;
Partadalsca, — Zonza.
En résumé la répartition des mots en asco, aaca de la Corse
est la suivante :
Arrondissement de Bastia : onze noms ;
Arrondissement de Calvi : deux noms ;
Arrondissement de Corte : huit noms ;
Arrondissement d'Ajaccio : onze noms ;
Arrondissement de Sartène: deux noms.
«
« Une autre remarque poursuit, M. d'Arbois de Jubainville,
« à laquelle donne lieu l'étude des noms en - asco, - asca de la
« Corse, c'est qu'ils font défaut dans l'arrondissement deSarlène,
(( le plus méridional de cette île. Cependant on rencontre, dans
« cet arrondissement au moins cinq noms ligures : Calanca,
<( Valinco, Stavolinca, Cargiaca, Viaca.... Quatre noms créés à
« l'aide du même suffixe se trouvent en Corse, hors de l'arron-
« dissement de Sartène, savoir : arrondissement de Bastia, la
1. Carte topogr. de l'île de Corse au cent millième, dépôt de la guerre,
dressée, d'après les levés du cadastre exécutés de 1770 à 1791, 4 feuilles et
4 demi-feuilles.
PÉRIODE PROTO-HISTOUIQUE. 33
« rivière appelée Bevînco, et le mont Revinco ; arrondissement
« de Corte, le ruisseau de Saninco, affluent du Tavignano ;
<c arrondissement d'Ajaccio, le hameau de Campinca, commune
« de Carbuccia. Le suffixe - inco, - inca existait déjà en
« Corse, au temps de l'empire romain, car Ptolémée met dans sa
« liste des villes situées dans cette ile à distance des côtes, la
« ville qu'il appelle "Aaiyxov.
« On trouve aussi le suffixe - inco sur le continent français ;
« il était ligure, il peut également avoir été gaulois. »
« A cette liste, il convient d'ajouter Casinca, nom d'une région
« de l'arrondissement de Bastia et Osaninco, mont de l'arron-
« dissement d'Ajaccio i ».
A notre avis, il n'y a pas à faire grand cas des noms qui se
terminent en inco, inca, La plupart du temps ces désinences ne
sont que des qualifications qui ont pour résultat de changer un
nom en adjectif.
Matra, village, donne Malrinco, habitant de Matra ;
Valle, — Vallinco, habitant de la vallée ;
Campi, — Campinco, habitant de Campi ;
Stavola, — Stavolinca, de Stavola (bergerie) ;
Calanca, est un mot uniformément répandu dans l'ile il se
traduit par défilé, précipice.
« Cargiaca, c'est toujours M. d'Arbois de Jubainville qui
« parle, est le nom d'une commune de la Corse, arrondissement
« de Sarlènc. Il y a dans le même arrondissement une montagne
« dont le nom se termine par le même suffixe, c'est la pointe de
« Viaca. Voilà deux exemples pour l'arrondissement de Sartène.
« Le suffixe - aco, - aca se rencontre à notre connaissance
« huit fois dans le reste de la Corse.
a Arrondissement de Bastia : commune d'Urtaca ; mont
« Faracca.
<( Arrondissement d'Ajaccio : commune de Tavaco 2, com-
« parez Tavasca, Emilie, province de Plaisance ; commune
1. d'Arbois de Jubainville, tome II, p. 95, 96.
2. Flechia pense que Tavaco dérive du gentilice Octaviacum. Il y a lieu
d'ajouter Espaco, commune de Bisinclii, arrondissement de Bastia (f. 261) ;
Pastinaca, montagne, arrondissement d'Ajaccio, (f. 264) ; Casaracca, hameau
de Tavera, arrondissement d'Ajaccio (f. 256).
3
34 CHAPITRE II. § 6.
« de Zevaco ; pointe d'Antraca, dérivé d'Antra, nom d'un
« village de Ligurie, province de Gênes ; lac de Vitelaca.
« Arrondissement de Corte : Commune de Venaco, dont le
« nom dérive de la même racine que celui de Venasco, village de
« Piémont, province de Cuneo.
« Sur la limite des arrondissements de Corte et de Sartènc se
« trouve la pointe de Velaco.
« Le suffixe - aco, - aca, a donc été ligure en même temps que
« gaulois. Comme le suffixe - aco, - aca, le suffixe gaulois
« - auo, - aua, peut être revendiqué par les Ligures. Nous en avons
« recueilli deux exemples en Corse.
« Taravo est le nom d'une rivière qui sert de limite aux
« arrondissements d'Ajaccio et de Sartène : Taravo dérive du
« thème taro -. Nous retrouvons ce thème en Italie : Tarus,
« aujourd'hui Taro, est le nom d'un affluent du Pô ; le Taro
<< prend sa source en Ligurie, province de Gênes ; il a, en
« Emilie, province de Parme, la plus grande partie de son
« cours.
« Le corse Taravo a un homonyme sur le continent français
« dans le département du Gard, c'est Tharaux, commune de
« l'arrondissement d'Alais ; son nom est écrit Taravus dans
« une charte de l'année 1192 1. Une commune de l'arrondis-
.« sèment d'Ajaccio s'appelle Zicavo ; Varavo en Ligurie, pro-
« vince de Gênes offre le même suffixe. Il est donc possible que
« les Tebauii, compris dans le royaume de Cottius et maintenus
« dans la préfecture de son fils, fussent Ligures et les Ligures
« peuvent disputer aux Gaulois une partie des noms de lieu
€ de la France qui se terminent par le suffixe - avo, - ava 2. »
M. d'Arbois de Jubainville continue sa savante étude en
consacrant quelques lignes au Tavignano, l'ancien Rhotanos 3.
« Non seulement, dit-il, le nom du Rhodanos de Gaule était
« connu dans le monde grec au siècle qui a précédé l'arrivée
1. Plus laiii) page 151, M. d'Arbois de Jubainville fait dériver Taravus du
thème tara — . Il y a lieu de rappeler que Ptolémée désigne une des peu-
plades corses sous le nom de Tarabeni ; la région qu'ils occupaient était
arrosée par le Taravo ou Tarabo.
2. D'Arbois de Jubainville, p. 97 et 98.
3. D'Arbois de Jubainville, t. II, p. 125-126. Nous pensons que le nom du
Rhotanos est hellène. Voir ch. III, § 2.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 35
« des Gaulois dans le bassin méridional de ce fleuve, proba-
« blement même deux siècles avant celte arrivée, mais ce nom
« existe dans une partie de l'Europe, où jamais les Gaulois n'ont
« pénétre. Il y a en Corse un fleuve Rhotanos, aujourd'hui le
« Tavignano. La dentale sourde dans Rhotanos est sonore dans
« Rhodanos. Cette différence s'explique par une étymologie
« populaire grecque. Le peuple aurait considéré le nom du
« grand fleuve occidental comme un dérivé du nom grec de la
« rose, /ïoSov ; en tout cas le changement de la sourde en sonore,
« entre deux voyelles, est un phénomène des plus fréquents.
« Le nom du fleuve de Corse est ligure. Nous avons relevé en
« Corse vingt noms de lieu terminés en — asco, — asca, or
(( jamais les Gaulois ne se sont établis en Corse. »
En insistant sur l'étude des noms de lieu de la Corse,
M. d'Arbois de Jubainville a pour but de démontrer que les
sufTixes - acOf - aca^ - avo, - ava, - enco, - enca, générale-
ment considérés comme appartenant aux langues gauloises et
germaniques, pouvaient être revendiqués par les Ligures,
puisque ni les Gaulois, ni les Germains n'étaient jamais passés
en Corse. Jusqu'à quel point cette assertion, en contradiction
avec la doctrine courante des historiens locaux i, peut-elle être
admise ? C'est ce que nous allons étudier.
§ 7. Les Celtes n'ont pas occupé la Corse.
Il y a cinquante ans les dolmens et les menhirs étaient géné-
ralement connus sous le nom de monuments druidiques ou
monuments celtiques. Il est universellement reconnu aujourd'hui
que les hommes qui, il y a trente ou quarante siècles, ont dressé
les monuments de pierre de la Bretagne et de la Corse, n'avaient
rien de commun avec les Celtes. Et cependant, en se basant sur
la présence de ces témoignages d'une civilisation encore fort
peu connue, en comparant minutieusement les caractères
1. « Je ne doute pas que les Celtes n'aient été les premiers habitants de
rîle ». Gregorovius, Histoire des Corses, traduite de l'allemand, par P. Luc-
eiana, Bastia, 1885, p. 8. Tous les historiens contemporains partagent le
même avis.
36 CHAPITRE II. § 7.
ethniques des populations du centre de la France avec les
Corses actuels, des esprits sérieux, épris de vérité, ont cru et
fait croire que les Celtes avaient peuplé Tîle. Mérimée et le
docteur Mattei allaient encore plus loin et trouvaient dans la
linguistique un argument de plus en faveur de cette erreur. Le
nombre de mots que le dialecte corse tenait des langues cel-
tiques et germaniques augmentait sans cesse, jusqu'au jour où
le prince L.-L. Bonaparte entrait en ligne et expliquait par le
latin ou l'italien des termes réputés bretons, anglais ou alle-
mands. Un seul a trouvé grâce : c'est le mot « valdo » signifiant
« bois ». Nous verrons plus loin que valdo ne vient pas de
l'Allemagne.
Nous admettons donc comme démontré que ni les dolmens,
ni les mots mis en avant par Mattei ne permettent d'affirmer
qu'une région quelconque de la Corse a été occupée par les
Celtes. L'argument tiré du texte de Scymnus de Chio, com-
muniqué à Mérimée par Gregori, ne soutient pas l'examen i.
Ces vers du Périple pris isolément peuvent, il est vrai, laisser
croire que la Corse doit être considérée comme une dépendance
de la Celtique. Mais trente vers plus loin Scymnus indique
clairement que, par mer de Sardaigne, il faut entendre la partie
de la Méditerranée comprise entre le détroit de Gibraltar, les
côtes orientales de l'Espagne, les côtes méridionales de la
France des Pyrénées au Rhône et les côtes occidentales de la
Corse et de la Sardaigne. Le (( Sardoum mare » de Scymnus
n'est autre chose que le « mare Ibcriciim » de Ptolémée. Eras-
thotène cité par Pline'est très-explicite à ce sujet 2. En écrivant
que la Celtique s'étend jusqu'à la mer de Sardaigne, Scymnus
veut indiquer que cette mer s'étendait jusqu'aux côtes de la
France actuelle et non que la Celtique s'étendait jusqu'aux
côtes de la Sardaigne. S'il restait un doute dans l'esprit, il n'y a
qu'à se rappeler que Polybe fait jeter le Rhône dans la mer de
Sardaigne 3. Tous ces textes ne font que proclamer hautement
l'extension des Shardana, au temps de leur puissance ; avant de
1. « Puis vient la contrée appelée Celtique jusqu'à la mer qui s*étend
auprès de Sardo, (la Sardaigne) ». Scymnus, vers 167-168 et 196-197.
2. Pline, Hist, Nat, trad. Littré, t. II, p. 452.
3. Polybe, III, c. XXXVII, § 8. Nous avons aussi l'opinion d'Eustathe
qui, dans ses Commentaires du vers 82 de la Description de VUnivers de
Dyonisius, écrit : Videtur autem post Ligusticum mare esse ctiam pelagus
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 37
s*appeler « mer d'Ibérie » le bassin occidental s'est appelé « mer
de Sardaigne », ce qui prouve que les côtes en étaient occupées
par les Shardana, aussi bien en Sardaigne, qu'en Corse, en
Espagne et en France.
Fara, qui prétend s'appuyer sur Ptolémée, Orose et l'Itiné-
raire d'Antonin, raconte qu'en l'an 2620 de l'ère juive, Galatas,
le plus jeune des enfants d'Albe, roi des Gaules, conduisit une
colonie en Sardaigne et y fonda la ville d'Olbia, (Terra Nova).
Ces Gaulois auraient donné leur nom à la Gallura, région
septentrionale de l'île, ainsi qu'au détroit qui sépare la Corse
de la Sardaigne l.
On chercherait vainement dans Ptolémée ou dans Orose une
phrase pouvant justifier de pareilles assertions ; en l'an 2620 les
Gaulois n'avaient pas encore passé le Rhin et Olbia est une
colonie grecque. Nous nous trouvons en présence d'une légende
qu'il convient de rejeter.
L'Itinéraire maritime d'Antonin appelle, il est vrai, fretiim
Galliciim le détroit qui sépare la Corse de la Sardaigne 2.
Wesseling et Mûller, justement frappés par la présence dans
CCS parages d'un nom qu'aucun souvenir historique ne justifie,
se demandent s'il n'y a pas lieu de croire à une corruption de
copiste et proposent de lire « fretum Pallicum » détroit de
Palla, (Bonifacio) 3.
L'hypothèse est séduisante, mais les nombreuses erreurs de
l'Itinéraire ne suffisent pas à la justifier. Nous ne pouvons pas
l'accepter parce que, à notre avis, l'appellation fretum Gallicum
s'explique, sans l'intervention des Gaulois et de Palla.
Du temps de Pline, en effet, le détroit de Bonifacio était dési-
gné sous le nom grec de « Taphros », signifiant « fossé » 4.
L'appellation fretum Gatlicum est donc postérieure à Pline qui,
Corsicum, quod est circa Corsicam insulam. Hoc vero mari iuterius est
Sardonium.
1. Fara, De rébus Sardois, p. 4.
2. Wesseling, Ilin. marit. Amesterdam 1735, p. 494.
3. Mûller (Ch), Claudii Ptoîemœi Geographia, éd. Didot, tome I, p. 366.
4. Sardinia, minus octo millia passuum a Corsica extremis, etiamnum
angustias cas arctantibus insulis parvis, qua3 Cuniculariic appellantur ;
itemque Phintonis et Fossge ; a quibus fretum ipsum Taphros nominatur.
Pline, L. III, 13, 1.
38 CHAPITRE II. § 7.
en sa qualité de commandant en chef de la flotte de Misène,
peut être considéré comme connaissant à fond les noms géogra-
phiques adoptés par les marins de son époque. Depuis Pline, il
est oiseux de raflîrmer, les Gaulois n'ont jamais passé en Corse.
Mais en face de Bonitacio se dresse le massif de Gallura dont le
radical fait songer à Gallicum. Pour nous le « fretum Gallicum »
doit se traduire par détroit de Gallura, « région des coqs, » et non
« région des Gaulois ».
En réunissant les textes qui nous ont servi de point d'appui
nous avions la conviction profonde que les Celles avaient
occupé la Corse. Aux preuves de Mattei et de Mérimée,- nous
avions cru pouvoir en ajouter quelques unes tirées des noms de
lieu et de quelques mots corses.
D'après M. d'Arbois de Jubainville les substantifs duno-ii
« château », « forteresse, » et son équivalent « hriga » entrent
fréquemment dans la composition des noms de lieu, en Gaule,
sous la forme latinisée Dùnum.
Or nous trouvons dans des cartes de la Corse :
1° Ambrica, montagne au N.-E. de Urtaca, commune de
l'arrondissement de Bastia, (P« 261 de la carte de Tétat-major) ;
nous respectons l'orthographe de la carte bien que, d'après des
renseignements puisés sur les lieux, il convienne d'écrire et de
prononcer Ambriga ;
2^ Brigallinus stagnus « l'étang de Biguglia ». Des cartes du
xviii® siècle portent BrigagKa ;
3° Campoduno sur le territoire de Riventosa, commune de
l'arrondissement de Corté, (plan cadastral). Ce n'est pas tout.
Trois peuplades corses, citées dans certaines éditions de
Ptolémée, les Macrini, les Comasini et les Symbri, rappellent la
ville de Macri-Campi de la Gaule Cispadane i, l'oppidum
Comacina de la Narbonnaise 2 et les fameux Cimbres vaincus
par Marins.
Passons à quelques expressions du dialecte corse.
Le mot celtique « Poil », marais, ne figure ni dans la langue
italienne, ni dans le dialecte génois ; il est cependant commu-
nément employé en Corse. Nous ne croyons pas à une altération
1. Strabon L. V, II, 2.
2. Pline III, V, 6.
r
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 39
du latin palus, puisque même des illettrés font la différence
entre ses dérivés pacinle, paliide et polio. Porto-Pollo pourrait
donc être traduit par Port du Marais, dénomination parfaitement
justifiée par les marais voisins du Taravo.
Dans le dialecte corse, « yé » ou « j^a » signifie « oui »
et rappelle le yès et le ya anglais ou allemand. Enfin nous
avons « valdo » signifiant forêt comme dans la langue alle-
mande.
Toutes ces preuves s'évanouissent devant une critique serrée.
Cl u ver, seul, cite le siagmis brigallinus, et des textes antérieurs
donnent Biguglia au lieu de Brigaglia i. Macrini n'est qu'une
corruption de Mariani et le manuscrit de la Vaticane N° 191,
au lieu de Symbri porte Syrbi ; les Comasini présentent une
variante : les Covasini 2.
Le mot « yé » ou « ya » semble n'être qu'une altération du
« jam » latin 3. Quant au mot « valdo, » au lieu de le faire
dériver de wald, il convient plutôt de n'y voir qu'une corruption
de gualdo, vieux mot italien 4. Le changement du Gii en V est
des plus fréquents : Guizavona est devenu Vizzavona.
Donc pas un texte, pas une inscription, pas un nom de lieu,
pas un mot ne nous autorise à penser que les Celles ou les
Gaulois aient pénétré en Corse.
Mais alors, dira-t-on, comment expliquer que nous trouvons
dans cette île des noms de lieu aux désinences iaco, iaca, iago»
iaga, suffixes celtiques qui, d'après Quicherat, ont donné
naissance à une infinité de produits hybrides, par leur union
avec des radicaux latins ? La même remarque s'applique aux
1. Mollard, Ambassades pisanes, années 1371 et 1385. — Pietro Cirneo.
2. Voir plus loin nos explications au sujet de l'identification des noms de
lieu cités par Ptoleméc. Nous attirons l'attention des érudits sur les noms
géographiques : mont Ambrica ou Ambriga et les Comasini ou Covasini,
tribu corse mentionnée par Ptolemée et dont le nom s'est consei'vé dans
le canton de Covasina.
3. C'est l'opinion du prince L.-L. Bonaparte : « Le mot i/é, d'en-deça des
monts, n'étant qu'une variante phonétique du ja d'au-delà des monts, et
celui-ci à son tour, étant le sj'nonyme morphologique de ya espagnol, du
vieux jà français et de già italien, tous dérivés de jam latin, il s'ensuit que
rAIIcmagnc ne peut pas revendiquer ce mot ». Remarques sur les dialectes
corses, p. 9.
i, Grcgori, Statuli corsi, t. I. c. XXXIX.
40 CHAPITRE II. § 7.
désinences aco, aca produites par un radical celtique différent
de celui qui figure dans iaco l ; à la désinence ona, celtique ou
ligure.
§ 8. Des Celto-Ligures et des Celtibères ont dû passer en Corse.
L'explication la plus naturelle de ces noms hybrides c'est
qu'ils ont été transmis par une population hybride. Les suffixes
celto-ligures font songer aux Celto-Ligures eux-mêmes.
Une pareille hypothèse paraîtra logique si l'on se rappelle que
les Grecs désignaient sous le nom de Celto-Lîgures une partie
des populations des côtes de la Méditerranée comprises entre le
Rhône et les Alpes ; que les Ibères et les Celtes, après avoir
longtemps lutté pour la possession de la région s'étendant des
Pyrénées au Rhône, finissent par s'accorder et les habiter en
commun, s'unissent même en mariage, d'où un métissa^'e
connu, dès la plus haute antiquité, sous le nom de Celtibères ^.
M. Randaccio partage cet avis : « Les anciens, dit-il, aj>pcllent
« Celto-Ligures les habitants de la région comprise entre l'Isère,
« le Var et les Alpes-Maritimes. A mon avis cette dénomination
« convient à tous les Ligures-Génois qui, j'en suis convaincu,
« ont parlé, ab antico, une langue celtique plus ou moins pure
« mélangée de quelques mots ibères 3. »
M. Maury n'est pas moins affirmatif : « Si la race ligure n'est
« pas de source celtique, elle avait au moins reçu de très-bonne
« heure une forte infusion de sang celte, et adopté un idiome
« celtique au fond 4. »
En résumé, tout en admettant que les Gaulois et les Celtes
n'ont jamais pénétré en Corse, il semble raisonnable de suppo-
ser que des Celto-Ligures et des Celtibères ont occupé certaines
1. I. Quicherat, De la formation française des anciens noms de lieu, p. 34,
41.
2. Strabon, 1. I, II, 27 ; 1. IV, VI, 3. « Les Ligures sont mélangés de Gaulois
et d'Ibères de la côte ». — Plutarque, Paiil-Émile, VI. — Tite-Live, emploie
l'expression Gaulois-Ligures, L. XXXVII, 37. Diodore, L. V, § XXXIII.'
3. Randaccio, Dell' idioma e délia litteratura genevese, p. 7.
4. Journal des Savants, 1877. Les Ibéros-Ligures sont mentionnés dans le
Périple de Scylla I. 17. Enfin Strabon désigne sous le nom de Ccltoligyes
les populations de la contrée des Massaliotes. L. IV, G. I. § 3.
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 41
régions deTile où leur langue géographique s'est conservée dans
un assez nombre de noms de lieu formés à l'aide des suffixes
- aco, - aca, - avo^ - ava i.
§ 9. - Importance des migrations ligures en Corse.
J'ai pointé sur la carte de l'élat-major et sur celle de 1824 tous
les noms formés à l'aide du suffixe - asco, - asca ; j'ai ensuite
reporté ces mêmes noms sur une carte à petite échelle. Le
résultat purement mécanique de ce relevé est des plus saisis-
sants. Les noms ligures s'étendent sur deux régions parfailement
déterminées : la première comprend le Nord-Est de l'île et est
limitée à l'Ouest et au Sud-Ouest par le ruisseau de Bertasca,
la crête des monts et la rive gauche du Tavignano. La seconde,
moins importante, comprend le territoire compris entre la Gra-
vona et la rivière de Prunelli. En reportant sur la même carte,
et à une encre différente, les noms que je suppose d'origine
ibère, il est facile de constater que ces noms, occupent toute la
partie Ouest de l'île et sont limités au Sud par le Taravo. Ils
surchargent notablement le bassin du Taravo, la région de
Ghisoni et les abords du Niolo. L'arrondissement de Sartène et
le Sud de l'arrondissement de Corte semblent avoir échappé à la
fois aux ibères et aux ligures qui seraient venus se heurter aux
derniers Corsi, de race libyenne.
§ 10. — Les Ligures et les Corses actuels deuant Vanthropologie.
La comparaison de la carte des noms en asco avec celle
annexée au beau travail du docteur Fallot présentait des concor-
dances frappantes. En admettant, avec plusieurs savants émi-
nents, que les Ligures étaient brachycéphales, il ne pouvait
échapper à un observateur attentif que sur vingt-cinq noms for-
més à l'aide du suffixe - asco, huit se trouvent précisément dans
la région de l'île où la brachycéphalie est nettement accusée. La
conclusion naturelle d'une pareille constatation était que la
linguistique et l'anthropologie étaient d'accord pour délimiter
1. « Le type des Corses d'aujourd'hui me semble celtico-ligure ». Grego-
rovius, p. 8.
42 CHAPITRE II. § 10.
la région des ligures dont Tinfluence sur le type corse actuel se
trouvait ramenée h de très modestes proportions.
Malheureusement les si affirmatives conclusions du docteur
Fallot sont aujourd'hui fortement sapées en brèche par celle
même science « qui, disait-il, n'en est plus réduile aux données
« vagues et trop souvent contradictoires de la linguistique, aux
« textes obscurs et tronqués des anciens géographes ».
Ah ! la science n'en est plus réduite aux contradictions !
Écoutons plutôt.
« Les travaux de Nicolucci, de Cari Vogt, de Pruner-Bey,
« poursuit le savant docteur, ont fait pleine lumière sur ce qu'il
« faut entendre par le terme de Ligures ; les Ligures présentaient
« comme caractères anthropologiques particulièrement remar-
« quables une brachycéphalie très-prononcée. Lagneau leur
« assigne comme indice céphalique moyen 87 ». Le docteur
Jaubert est aussi intransigeant: « On ne discute même plus à
« cette heure, dit-il, la doctrine qui attribuait aux Corses le type
« celtico-ligure ; il est établi maintenant que Celtes et Ligures
« étaient brachycéphales et qu'ils différaient essentiellement des
« Corses au point de vue craniomélrique i ».
Une question aussi claire en apparence se trouve tout à coup
singulièrement compliquée. Dans un savant travail consacré à
la Ligure préhistorique. M. Ai'thur Issel, s'appuyant sur les
travaux les plus récents des plus grands savants français,
italiens et allemands, démontre que les Ligures doivent être
classés parmi les dolichocéphales 2. Les crânes décrits par
Nicolucci comme appartenant au tj'pe ligure appartenaient sans
aucun doute à une autre race 3. Les docteurs Sergi, CoUignon,
M.-A. Bertrand partagent la même opinioil 4.
1. Jaubert (L.)» Étude médicale et anthropologique sur la Corse. Hastia 1896,
p. 91.
2. Issel (A), Liguria Geologica e Preistorica ;2 vol., Gênes 1892.
3. « Sono indubiamentc referibili ad una altra scliiatta ». Tome II, p. 70.
4. Sergi, Liguria e Ceiti nella valle dcl Po, piU)lié dans VArchivio per
VAnthropologia et VEtnologia, Firenze, 1883, tome XHÏ. Collignon (D'^ F.),
L'indice céphalique des populations françaises : « La race qui peuple la
région ligurienne allant du Rhône à l'Italie est brune, jîetite et dolichocéphale. »
Bertrand (A), Loc. cit. p. 323. « Les Ibères et les Ligures sont des dolichocé-
pliales bruns »,
PÉRIODE PHOTO-HISTOHIQUE. 43
Qui croire? Une idée se présente naturellement à Tespril.
Puisque les hommes de science ne sont point d accord, il y a
lieu de rechercher simplement les caractères du type ligure
actuel, tel qu'il se présente dans la région génoise où, selon toute
probabilité, il a conservé la plupart de ses caractères distinclifs.
La réponse pourra départir les savants à opinions contraires.
Or, il résulte des mensurations opérées par les professeurs
Lombroso, Albertoni et Morselli que le type ligure actuel .est
dolychocéphale i.
11 semble donc que, pour le moment, les conclusions de
M. Issel représentent Topinion des savants de TEuropc, raison
suffisante pour les donner de manière à fixer les esprits induits
en erreur par les études si connues des docteurs Fallot et
Jaubert. « De mes exposés, dit en terminant M. Issel, il demeure
« acquis que les Ligures méolithiques, néolithiques et proto-
« historiques appartiennent à une unique race qui présente
« tous les caractères de celles de Cro-Magnon si bien décrite
« par Henry de Quatrefages. Ce n'est point là une race locale,
<( mais bien une race qui a laissé des traces dans le Reggiano,
« ristrio, le Latium, la Sardaigne, la Sicile, la France, la
« Belgique, l'Espagne méridionale et le Caucase. La race ligure
« est une race autochtone aux époques lointaines de l'âge
« quaternaire. Dégénérée à l'époque néolithique, elle subit
« à l'époque proto-historique de profondes altérations par le
« mélange des races 2 ».
Il est donc inexact d'avancer que par son indice céphalique
la population corse se distingue d'une façon absolue des
Ligures. Les textes et l'anthropologie au contraire, sontd'accord
pour affirmer leur communauté d'origine. Les conclusions du
Docteur Fallot, reproduites par le prince Roland Bonaparte et
le Docteur Jaubert, peuvent satisfaire notre chauvinisme, mais
1. Résultat des mensurations :
Dolichocéphales 53.19/ Travaux 63.52/ Travaux
Mésaticéphales 21.27.cle Lomhroso 27.62 de Lombroso
Brachycéphales 25.54\ et Albertoni 18.86' et Morselli
Ces résultats se rapprochent très sensiblement de ceux obtenus par
M. Fallot et M. Jaubert, en Corse.
2. Issel, tome II, p. 357 : « Les crânes ligures sont dolichocépales à forme
ogivale. »
44 CHAPITER II. § 10.
ne résistent pas à un examen impartial i. On ne choisit pas
ses aïeux.
§ 11. Les Phéniciens.
Thucydide rapporte qu'avant la venue des Hellènes, ou tout
au moins avant leur émigration et rétablissement de leurs
colonies en Italie, les Phéniciens avaient déjà fait le tour de la
Sicile, fondé des comptoirs sur les côles et dans les îles adja-
centes, n'occupant pas les terres et se contentant de commercer
avec les indigènes 2. Diodore n'est pas moins explicite et nous
entretient des colonies que les Phéniciens établirent en Sicile et
en Sardaigne 3.
Si nous en croj'ons M. d'Arbois de Jubainville ce serait sur
lesShardana que les Phéniciens auraient conquis la Sardaigne 4.
La certitude que longtemps avant Homère, dès le xvii« siècle
avant notre ère, les Egypto-Phéniciens sillonnaient dans les
eaux de la Méditerrannée, nous permet de supposer que ces
hardis navigateurs n'ont pas manqué d'avoir en Corse des
escales ou tout au moins des points de relâche.
Une inscription signalée par Gregori nous apporte la preuve
de la présence des Phéniciens à Propriano, précisément dans
cette région de Sartène qui, nous croyons l'avoir démontré, fut
colonisée par les Shardana 5.
Enfin un vers de Callimaque et un passage de Jacobi per-
mettent* de considérer l'établissement des Phéniciens en Corse
comme indiscutable 6.
1. Bonaparte (Prince Roland), Une excursion en Corse, p. 85, — Jaubert,
p. 91.
2. Thucydide, L. VI, ch. 2.
3. Diodore, L. V, ch. XXXV.
4. d'Arbois de Jubainville, I, p. 189.
5. « 1 Fenici hanno fatto dimoro in Corsica, un'inscrizionc ultimamcnte
« trovata a Propriano, picciol borgo nel golfo dcl Vallinco, ed inviata
« all'instituto di Francia, non lascià piii dubbio intorno a questo punto
« di Storia ». Gregori, Statuti di Corsica, Lj^on 1843, tome I, p. 11. J'ai recher-
ché et fait rechercher vainement cette inscription dans les différents recueils
d'inscriptions sémitiques.
6. Jacobi raconte qu'il y a peu d'années, on a découvert au milieu des
ruines d'Aleria une pierre sur laquelle on distinguait des dessins à demi effacés;
parmi eux on remarquait une tête de taureau environné de signes qni
i
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 45
Jusqu'à ces dernières années les archéologues et les savants
avaient cru reconnaître dans la statue d'Appriciani, signalée et
décrite par Mérimée, un sarcophage phénicien tout à fait
semblable aux couvercles des sarcophages de Saïda conservés
au Louvro i.
Aujourd'hui la science se montre moins affirmative : « La
disposition de Tensemble du monument rappelle bien le
couvercle de sarcophage mais le style paraît différent 2. »
En résumé les Phéniciens ont visité et probablement occupé,
antérieurement à l'établissement des Etrusques et des Grecs,
pouvaient être des caractères phéniciens. (Jacobi. J.-M.), Histoire générale de
la Corse ; Paris 1833, tome I, p. 9.
Primaque Deli
Pone seqiiens Phœnissa premit vestigia C^tous.
Callimaque, Hymne à Délos.
1. Etude de M. Henri Aucapitaine publiée dans la'/îeuue africaine^ du mois
de Décembre 1862, p. 471. E. Renan, Mission de Phénicie ; Paris, Impr.
Impér. p. 425 et 864. « Aux personnes qui pourraient encore garder des doutes
« sur le caractère strictement phénicien des sarcophages anthropoïdes, nous
« soumettons une dernière considération. Oà trouve-t-on ces monuments ?
« Quatre points jusqu'ici les ont présentés ; or ces quatre points sont juste-
« ment ceux où la race phénicienne a certainement existé : 1» la Phénicie ;
« 2» Malte ; S^ la Sicile ; 4» la Corse....
« 4« La Corse, Ce curieux résultat est dû à un jeune officier qui rendit de
« gi'ands services à notre mission, et qui depuis a trouve en Algérie, une mort
« prématurée, M. Henri Aucapitaine. M. Aucapitaine avait vu nos sarcophages
« à Saïda. Peu de temps après, se trouvant en Corse, il fut frappé du caractère
« singulier d'un monument découvert par Mérimée, prés de Sagone, et désigné
« par celui-ci du nom de «Statue d'Apriciani ». M. Aucapitaine reconnut avec
* « une parfaite justesse dans ce monument, jusque-là inexpliqué, un couvercle
« de sarcophage tout à fait semblable au couvercle de Saïda. » P. 425. Mais à
la page 825, Renan est moins affirmatif. « La statue d'Apriciani est en granit ;
« la tête est sensiblement dégagée des épaules, disposition qui ne se voit
« guère dans les sarcophages de Phénicie ». Quand à Mérimée il a vainement
cherché en Corse des traces de la civilisation phénicienne si nombreuses en
Sai^aigne : « des vases, des statues, des instruments d'une forme caractéris-
« tique, certaines constructions remarquables se trouvent fréquemment
« dans les pays habités ou visités par les Phéniciens. Rien de semblable
« n'existe en Corse à ma connaissance et quelques minutieuses qu'aient été
« mes informations, elles n'ont jamais eu le moindre résultat ».
2. Observations de M. Héron de Villefosse sur une communication de
M. Laurière publiées dans le BiilL soc, ant, de France ; année 1887, p. 154.
46 CHAPITRE II. § 11.
peut-être même des Ligures, quelques points des côtes de Tîle,
mais leur influence a été nulle sur les premières populations t.
§ 12. Les Etrusques on Pélasges-Tiirsànes.
La première migration des Pélasges en Italie paraît remonter
à plus de deux mille ans avant notre ère. Son peu d'importance
nous permet de supposerque la Corse ne fut ni visitée ni occupée
par eux, nous nous bornerons donc à dire quelques mots de
leur deuxième migration placée au dixième siècle avant notre
ère, en admettant, avec M. d'Arbois de Jubainville et K. O.
Millier, que les Étrusques ne doivent pas être distingués des
Pélasges-Tursàncs, Tursènes ou Tyrrhènes 2.
La première rencontre des Étrusques et des Corsi a dû avoir
lieu sur le continent italien. D'après Servius, Populonia aurait
été fondée ou par une colonie venue de la Corse, ou par une
autre colonie venue de Volalerra, une des douze villes étrusques,
à moins que, selon une troisième opinion, émise par le même
auteur pour faire accorder les deux autres, les habitants dé
Volaterra n'aient conquis Populonia sur les Corses 3.
Il y aurait mauvaise grâce à ne pas reconnaître que le texte
de Servius est loin d'être d'une clarté éblouissante. Cependant
il y a lieu de tenir compte, que sur trois hypothèses, deux sont
favorables à la fondation de Populonia par les Corses. Enfin
comme le fait remarquer, avec tant d'à-propos K.O.Mùller, ceux
qui soutenaient que Populania n'avait été fondée qu'après la
formation de la confédération étrusque devaient être bien sûrs
que la ville qui, de leur temps, était si florissante par l'industrie,
ne faisait pas partie de la ligue des douze états 4.
Nous admettons la fondation de Populania par les Corsi et
1. Les Phéniciens ont certainement occupé la Sardaigne et Marseille ou
plutôt la Lacj'don avant la venue des Hellènes. Dans ces conditions ils
devaient probablement avoir des points de relâche en Corse. Mais aucun
texte ne permet d'avancer qu'ils y ont fondé les villes d*Asteria et d'Alonia ;
ce sont là des inventions gratuites d'écrivains peu scrupuleux.
2. d'Arbois de Jubainville ï, p. 129-168. — K. O. MûUer, Die Etrusker,
Breslau 1828 et Stuttgard 1877. 2 vol. in-8.
3. Servius ad Mneid. 1. X, V. 172, texte reproduit page 17, note 5.
4. K. O. MûUer, t. I, p. 347.
PÉUIODE PUOTO-HISTORIQUE. 47
nous la faisons remonter à l'époque lointaine où les Shardana
régnaient sur le bassin occidental de la Méditerranée, c'est-à-
dire vers le xvi® siècle avant noire ère ; mais lorsque, cinq
siècles plus tard, les Étrusques devinrent maîtres de la région
comprise entre le Tibre, l'Apennin et la mer, ils furent fatale-
ment amenés à disputer l'empire de la mer aux races
libyennes. Volaterra s'empara de Populania qui devint bientôt
une ville maritime de premier ordre.
Poursuivant leur conquêle, les Étrusques s'implantent dans
nie d'Elbe et établissent plusieurs colonies sur les rivages
corses. Chaque ville de la confédération occupe les points à sa
convenance. L'île d'Elbe, dit Niebuhr, aura sans doute appar-
tenu à Populonia et c'est pour cette raison que les fourneaux
pour la fusion de l'airain sont sur le territoire de cette ville. On
ne pouvait le fondre dans l'île même ; il faut transporter le
charbon ou le minerai. C'est le minerai qui est le plus aisé à
déplacer l. L'occupation de l'île d'Elbe ne pouvait être assurée
qu'autant que le Nord de la Corse appartenait aux mêmes pos-
sesseurs, il est à supposer que l'oppidum de Blesinon leur
appartenait ; Caere avait dû s'installer plus au Sud, puisque
nous la trouverons particulièrement intéressée à ne pas
tolérer la présence d'une colonie étrangère à l'embouchure du
Tavignano 2. Vers le vi® siècle, c'est-à-dire à l'apogée de leur
grandeur, les Étrusques sont donc maîtres de la Corse 3 ; ils
occupent toute la partie Nord de l'île où leur présence est
attestée par les fouilles sommaires de ces dernières années * et
reçoivent des habitants, sous forme de tribut, de la cire, de la
1. Niebuhr, Hist. Rom., trad. Gonjer3', t. I, p. 180.
2. Le Rothani fliwiiis de Ptolémée. Le hameau de Rotaui ou Rodaiii existe
encore et fait partie de la commune d'Aleria. Un rapprochement s'impose :
une inscription tirée du palais de Karnac parle d'une expédition faite par
Touthmès Hl, un des plus célèbres pharaons de la XVHI» d3Uîastie, avec ses
vaisseaux dans le paj's de Rotan. M. Brisse, (Revue archéologique, tome XVI,
p. 30), cix)it qu'il s'agit de la Lidye ; or les Tursanes de Lidj^e qui passèrent en
Italie étaient les Étrusques, (Hérodote I. 94 ; Symnus de Chio, v. 217-221,)
maîtres de la Corse. On pourrait timidement conclure que Rotani est un
nom étrusque.
3. Le détestable poème des Argonautes, écrit du v^ au vi« siècle, compte la
Corse parmi les îles ausoniennes. Vers 1249.
4. Caziot, loc. cit. p. 464, 475 et 476.
48 CHAPITHE II. § 12.
résine et du miel i. « Quelques fragments empruntés à l'anti-
(C quité pourraient nous faire supposer qu'ils avaient fait de
« rîle un lieu de refuge et de ravitaillement pour leurs pirates,
« comme les boucaniers et les forbans des Anlilles en avaient
« fait un de Tîle de la Tortue, au xvii« siècle » 2. Il est très
regrettable que Noël des Vergers, par des références bien claires,
ne nous permette pas d'apprécier la valeur de ces fragments.
Ne s'agirait-il pas tout simplement de ces proverbes désobli-
bligeants pour les Corses, fort goûtés, paraît-il, des populations
italiennes du moyen-àgc,et dont Erasme nous a conservé la trace
dans son recueil des Adages anciens ? 3 H est vraisemblable, du
reste, que les pirates de la Méditerranée aient fréquenté les ports
de l'île ; un vague passage de Diodore de Sicile favorise cette
supposition.
Nous nous trouvons en présence d'établissements militaires,
comme dit Micali 4, d'une conquête armée, la première que
lious puissions enregistrer. Cette conquête nous donnera peut-
être l'explication de Vimmigration forcée des Corsi en Sardaigne,
mentionnée par Pausanîas, dont nous avons cité le texte
assez intéressant pour avoir attiré l'attention de Mérimée.
« A une époque qu'on ne peut préciser, des peuplades corses
« envahirent le Nord de la Sardaigne et s'y fixèrent, mais
« cependant elles continuèrent à se distinguer des naturels de
« l'île 5. Si Ton cherche à expliquer celte immigration d'un petit
« peuple par les causes éternelles des grands mouvements qui
« agitent les races humaines, on doit croire que les Corses
« étaient, dans le même temps, envahis par une nation étrangère
1. Diodore de Sicile, Livre V. c. 4.
2. Noël des Vergers, L'Étriirie et les Étrusques, t. II, p. 75 et 77.
3. Cyrnia tellus, dicebatur regio latrociniis infamis, cujusmodi olim fuisse
C3Tniim. Proverhium non inepte detorquebitur in hominem alieni rapacem
ac viabentum. Cyrnia jactura. Cyruium malum. De magnis dispendiis et
expilationibus dicebatur. Cyrnus insula olim navigantibus erat inaccessa,
propter prsedonuni ac piratarum circa illam frequentiam. Érasme, Adagiorum
veterum, dans Opéra omnia, éd. de Leyde 1765, t. II, Chil. III. Cent. I et VII,
prov. 14 et 92, p. 92, 735 et 978.
4. Micali, L'Italie avant la conquête romaine, trad. Raoul Rochetti, t. I,
p. 155.
5. Ils gardaient le nom de Corses, au temps d'Auguste. Voir l'inscription
n» 153. Orel. CoU, inscrip. (Note de Mérimée).
PÉRIODE PROTO-HISTORIQUE. 49
« qui les poussait vers le Sud, comme les Barbares de l'Est
« refoulèrent ensuite les Germains sur les frontières romaines.
« Mais quelle est la date de cet événement. C'est ce qu'il est
« impossible de déterminer même par approximation. Tout ce
« que Ton peut conclure du récit de Pausanias, c'est que
« rétablissement des Corses en Sardaigne serait très antérieur
« à l'arrivée des Phocéens ; ainsi les Grecs auraient été précé-
« dés et de bien loin, en Corse, par d'autres nations dont
« l'histoire n'a conservé aucun souvenir l ».
Rapprochant les textes de Pausanias et de Servius nous
pensons que les Corsi, lors de leur immigration dans le Nord de
la Sardaigne, étaient envahis par les Etrusques qui, après les
avoir chassés de Populonia, ont continué leur poursuite et les
ont refoulés en Sardaigne.
Quelle est la date de cet événement ? Il est antérieur à
l'arrivée des Phocéens et postérieur, selon nous, à l'occupation
de Populonia par Volaterra et se trouve ainsi compris entre
le vil® et le v® siècles.
1. Mérimée. Loc. cit. p. 5 et 6.
CHAPITRE III.
PÉRIODE HISTORIQUE.
Sommaire. — § 1. Les Phocéens fondent la colonie d'Aleria. — § 2 Les
' noms de lieu attestent encore la possession d'une partie de la
Corse par les Hellènes. — § 3 Domination des Etrusques. Les
Syracusains maîtres des côtes de la Corse. Les Carthaginois.
§ 1, Les Phocéens fondent la colonie d' Alerta.
Les Étrusques, maîtres de la mer, allaient bientôt se trouver
en présence de nouveaux compétiteurs : les Hellènes.
Nous ne savons rien des premières visites que les navigateurs
grecs ont pu faire en Corse, antérieurement à leurs démêlés
avec les Etrusques. Toutefois il est bon de retenir que c'est de
Chalcis, principale ville de TEubée, que partit la plus ancienne
colonie que la Grèce envoya vers l'Occident ; elle alla fonder
Cumes entre le viii« et le xi® siècle. Nous savons qu'un des points
du territoire de Carystos, une des plus jolies villes de TEubée,
portait le nom de Cyrnos l. Il semblerait donc vraisemblable
que Corsica fut baptisée Cyrnos par les colons de Cumes ; mais
il convient aussi de dire que Cyrnos est un nom propre
d'homme que nous trouvons dans Hérodote et dans Stoba 2.
Ce qui est certain c'est que l'île d'Elbe (JEthalid), a été visitée
de très bonne heure par les Hellènes. « Ses riches mines de
cuivre et de fer y appelèrent l'affluence des étrangers, et y
constituèrent un centre commercial entre eux et les indigènes ;
car, sans commerce avec la terre ferme, cette île étroite et non
boisée, n'aurait pu fournir le combustible nécessaire à la fonte
1. Hérodote VlIIi 9.
2. Une île de la mer Egée portait aussi le nom de Cyrnos : «c Les habitants
nomment les îles qui sont au-devant de l'Etobé, les Echinades, Cotonis,
Cyrnos, etc. ». Pline IV. 19, 2.
PÉRIODE HISTORIQUE. 51
des minerais i ». La Corse était 4out indiquée pour fournir le
bois de chauffage et il est naturel d'admettre que son occupa-
tion a suivi de près celle d'iEthalia.
L'historien Syracusain Antiochus, qui vivait en 440 avant
notre ère, raconte qu'au temps où Harpagus, général de Cyrus,
s'empara de Phocée, les habitants s'embarquèrent avec leurs
familles et arrivèrent d'abord en Corse sous la conduite de
Créontiade, puis ensuite à Marseille, d'où, étant repoussés, ils
allèrent à Hyélé (Vclià) 2.
Strabon, qui nous fait connaître la tradition Sicilienne qu'on
vient de lire, rapporte de son côté, d'après la tradition des
Marseillais, que les ancêtres de ces derniers abandonnant
Phocée pour obéir à un oracle^ se seraient rendus d'abord à
Ephèse; ils auraient demandé des ordres à Diane, et Aristarché,
une des matrones les plus vénérées du temple, après leur avoir
ordonné d'emporter une des images de la déesse, se serait
embarquée avec eux, pour venir fonder la colonie de
Marseille et le temple de Diane M-assaliote, dont Aristarché
serait devenue la prêtresse ; l'historien ajoute que, dans toutes
les colonies fondées ensuite par les Marseillais, le même culte
et des images semblables furent établis 3.
Hérodote ne dit rien de la fondation de Marseille et son récit,
en ce qui concerne la Corse, ne concorde pas rigoureusement
avec celui d'Antiochus. D'après lui, les Phocéens, pour obéir à
un oracle, abordent dans l'île et fondent la ville d'AIalia (Aleria),
à l'embouchure du Tavignano, (557 av. J. C.)justeenfacedeCseré.
La colonie devait être très florissante puisque, vingt ans après,
elle sert de refuge aux Phocéens vaincus par Harpage. Pendant
cinq ans, ces émigrés restent libres possesseurs du sol et,
poursuivant leur œuvre de civilisation, élèvent des temples
et fortifient la cité. Ils sont bientôt assez forts pour devenir
redoutables à leurs voisins ; ils peuvent mettre en ligne jusqu'à
60 vaisseaux. Les Caerites, se sentant trop faibles pour s'opposer
à leur expansion dangereuse, font appel à la marine Cartha-
ginoise.
1. Mommsen, t. I, p. 190.
2. Citations d'Antiochus par Strabon VI, L. I. c. 1.
3. strabon IV, I, 4.
52 CHAPITRE m. § 1«'.
Les Phocéens prennent TofFensive et voguent vers la mer de
Sardaigne à la rencontre de la marine alliée, forte de cent-vingt
voiles ; la victoire semble leur être restée, mais une victoire
onéreuse qui, dans le récit d-Hérodote, ressemble à une
sanglante défaite ; ils avaient perdu quarante vaisseaux et les
vingt autres étaient hors de combat. Ils purent néanmoins
retourner à Alalia, sans être inquiétés, mais ne se sentant plus
en sûreté, ils font monter sur leurs bâtiments les femmes, les
enfants et tous les objets précieux et prennent la mer à la
recherche d'une nouvelle patrie ; ils finissent par s'installer à
Hyélé {Velià), sur la côte Lucanienne moins exposée aux coups
de l'ennemi l.
Les récits d'Hérodote, de Strabon et d'Antiochus apparem-
ment contradictoires, se complètent et s'expliquent l'un par
l'autre. Vers l'an 537, les Phocéens, pour obéir à un oracle,
viennent en Corse et de là gagnent Marseille ; le temple de
Diane d'Ephèse ou YEphesium de Marseille, l'étang de Diane
près d'Aleria expliquent les textes relatifs à la construction des
temples. Enfin dans la lutte contre les Carthaginois, il est
infiniment probable que les Phocéens de Marseille et d'Aleria
ont combattu de concert. Cette hypothèse peut s'appuyer sur les
vers 245 et 246 de Scymnus, savamment rétablis par Letronne :
« Aux Œnotriens appartient aussi Eléa ville des Phocéens et
« des Massaliotes qu'ils fondèrent au temps de la domination
« Persane 2 ». Les deux noms réunis indiquent que les deux événe-
ments se sont succédé à un faible intervalle à une époque où
Phocéens et Massaliotes agissent de concert. Or, à cette époque,
les Phocéens qui n'étaient pas à Marseille se trouvaient en
Corse ; ce sont donc les Massaliotes et les Phocéens de Corse
qui ont fondé Eléa, lorsque, devant les forces Carthaginoises,
ils se sont trouvé dans la nécessité d'évacuer l'île.
Cette interprétation nous donne l'explication d'un passage
d'Ammien Marcellin qui nous représente les colons de Phocée
comme divisés en « deux corps, dont l'un aurait fondé Velia en
« Lucanie et l'autre Marseille en Viennoise 3 » . Mais Phocéens
1. Hérodote, L. I. c. 166 et 167.
2. Letronne (A.-J.). Œuvres choisies assemblées par A. Fagnan, Tome H,
p. 471 et 472.
3. A Phocsea Asiaticus populus Harpagi inclementiam vitans, Cyri régis
PÉRIODE HISTORIQUE. 53
de Velia et Phocéens de Marseille venaient de Corse. Nous
avons du reste à notre appui, le témoignage de Sénèque. « Les
« Grecs qui maintenant habitent Marseille s'établirent
« d'abord dans cette île, Graii qui nunc Massiliam colunt,
« prias in hac insula considérant l ».
§ 2. Les noms de lieu attestent la possession dune partie
de la Corse par les Hellènes.
Chassés de leurs établissements d'Asie, ces Phocéens, qui
s'en vont à la recherche d'une nouvelle patrie, s'installent en
Sardaigne, et en Corse ; repoussés vers le Nord par de nouveaux
ennemis, ils émigrent en masse emportant les dieux tutélaires,
et s'établissent sur les cotes de la Méditerranée française ;
pour perpétuer le souvenir de la patrie lointaine, ils donnent à
leurs nouvelles colonies, le nom des colonies abandonnées.
C'est ainsi que nous retrouvons sur la côte provençale colonisée
par les Grecs : Massilia, Rhodanusia (vers Beaucairé), Olbia
(Almanaré), Nicaea (Mce, Nizza), Aeria 2, Rhodanos (le Rhône)
qui rappellent à s'y méprendre Olbia (Sardaigne), Nicaea,
Aleria, Morsiglia et le Rhotanos (Corse)*
M. d'Arbois de Jubainville, nous l'avons vu, émet l'avis que
le nom du Rhône est un mot ligure. Il a peut-être raison mais
un esprit non prévenu est forcément frappé par l'analogie des
noms, certainement d'origine grecque, qu'il rencontre sur les
côtes de Corse et de Sardaigne et les homonymes des côtes
provençales.
Les relations entre la partie septentrionale de la Corse et les
Massaliotes semblent avoir duré, pendant des siècles, puisque
Sénéque nous apprend que l'idiome primitif des insulaires
prœfecii, Italiam navigio petiit. Cujus pars in Lucaniam Velium ; alîa condi-
dit in Viennensi Massiliam. Ammien Marcellin, Rerum Gestarum, L. XV, c. 9.
1. Sénèque, Consolatio ad Heloiam,
2. Pline III, V, 6. « II est probable qu* Aeria, connue aussi d'Artémidore
d'Ephèse, était un autre lieu dépendant des Marseillais quoique cela ne soit
pas dit expressément. Appolidore dans ses chroniques, auteur plus ancien
qu'Artémidore (150 av. J.-C.) a aussi fait mention d'Aeria ».
Walckenaer, Géog, anc, des Gaules, t. I, p. 187.
54 CHAPITRE III. § 2.
s*était sensiblement altéré au contact des Hellènes. De nos jours
encore, les lieux cités plus haut, auxquels il convient d'ajouter
le village de Minerbio, le port Favone, l'étang de Diana, les
régions de Filosorma, de l'Agriata et de la Balania, attestent
la longue domination des Hellènes et déterminent leur sphère
d'influence.
§ 3. Domination des Etrusques.
Les Sgracnsains maîtres des côtes de la Corse.
Les Carthaginois..
Associés dans leurs efforts, les Etrusques et les Carthaginois
se partagent l'empire de la moitié occidentale de la Méditerranée ;
vers l'an 500, toutes les côtes de la Sardaigne sont en la posses-
sion des Africains.
La Corse reste entre les mains des Etrusques qui, au dire de
Diodore de Sicile, y fondent une nouvelle ville appelée Nicœa
et s'installent à Calaris l.
« Il faut, dit Noël de Vergers, supposer là quelques erreurs.
Le nom complètement grec de Nicœa indique une origine hellé-
nique et il est probable que, comme Alalia, elle appartenait aux
Etrusques par droit de conquête 2 ».
On ne peut s'expliquer la mention de Calaris, nom ancien de
Cagliari ville de Sardaigne, que par une interpolation ou une
erreur de copiste qui a altéré le nom d'Aleria. Cette hypothèse
est d'autant plus admissible que l'historien a soin d'écrire que
Calaris fut fondée par les Phocéens. Nous croyons inutile de
relater les assertions fantaisistes de certains chroniqueurs de la
Corse qui, sans aucune preuve, identifient Calaris avec Galeria
et poussent la candeur jusqu'à confondre la ville d'Agylla ou
Cœré avec je ne sais quelle bourgade de l'île. En réalité aucun
1. A trois cent stades environ de l'île d'iEthalie, (Elbe), est une autre île
que les Grecs appellent Cyrnos, les Romains et les Indigènes Corsica. L'abord
de cette île est très facile. On y trouve un magnifique port appelé port
Syracusain. U y a deux grandes villes : Caralis et Nicœa. Caralis fut fondée
par les Phocéens, qui, peu de temps après, furent chassés par les Thyr-
rhènes qui bâtirent Nicsaa au temps où, maîtres de la mer, ils s'emparèrent
des îles situées dans la mer Thyrrhénienne. Diodore, L. V. c. 13.
2, Noël des Vergers, L'Étrurîe et les Étrusques, t. II, p. 75 et 77,
PÉRIODE HISTORIQUE. 55
nom de lieu franchement étrusque ne peut être signalé en
Corse 1.
D'après certains savants, le type social corse serait un type
pélasge et, langue à part, c'est avec les représentants incontes-
tés des pélasges que le corse d'hier présentait le plus d'affini-
tés 2. Méfions-nous de ces comparaisons en apparence conclu-
antes. De ce que nous trouvons chez les Corses des mœurs et
des habitudes communes aux Pélasges du midi de l'Italie et des
régions balkaniques, nous n'avons pas le droit de conclure à
une unité d'origine ;quede fois n'avons nous pas été profondément
impressionné en trouvant, dans le récit des voyageurs, des
détails sur la manière de vivre de certaines tribus du Nord du
Tonkin, du Sud de Madagascar et du centre de l' Afriquel Volon-
tiers nous aurions cru que l'explorateur voulait parler de la
Corse, tant la similitude des coutumes et des mœurs était
grande I
Quand le roi des Perses Xerxès P** entreprit la conquête
d'Athènes, (485-472), il paraît s'être assuré le concours des
Carthaginois, unis aux Tyrrhéniens par une foule de traités de
commerce et une alliance armée, une Symmachie dont la
bataille d'AIalia avait attesté les importants résultats.
La Grèce courut un grand danger. Menacée par les Perses dans
l'Attique et le Péloponèse, elle dut résister en Sicile à une
invasion formidable. Hérodote raconte que Crinippe, tyran
d'Himèra, chassé par les Agrigentins, fit venir sous la conduite
d'Hamilcar, fils d'Hannon, une armée de trois cent mille
hommes, composée de Phéniciens, de Libyens, d'Ibères, de
Ligures, de Sardes et de Corses 3. L'armée alliée n'en fut pas
1. Parmi les villes des Etrusques, (Tusci ou Tuschi), on compte : Populonia,
Tarquinii, Arretium, Luai et Gora qui rappelle des noms de lieu de la Corse,
tels que : Tuschini, col au S. de Tavera, Popolasca, Talcini, Orezza, Casa-
Luna et Corrano. Mantinum, localité de l'île, citée par Ptolomée, a le même
radical que Mantus, (déesse étrusque). Il ne faut faire ces rapprocliements
qu*avec beaucoup de précautions. Comme on le verra, plus loin, Mautinum
nous parait une corruption de Blesinon.
2. Obédénare, Corses et Albanais extr. du Bull, de la Société anthropolo-
gique de Paris, Mars 1877 p. 168.
3. 4oev(X&>v xat AiSOcjv xal iS^jOUV xat Atyûwv xoct Ë^eovxuv xat Za^^Soviuv
x«t Kyjovtwv T/5tflxovT« fAiij9tà$aç xat (irpamyô^ awtwv A|A(Xxav tov Avvwvoç.
Hérodote, I. VÎl, c. 165, § 1.
66 CHAPITRE in. § s.
moins défaite près d'Himéra, le même jour, dit*on, que celui
où les Perses perdirent la bataille de Salamine, (480 av. J. C).
Carthage battue et humiliée, l'empire maritime de ses alliés
s'écroule. En 474, Hiéron de Syracuse, vint au secours de
Cumes, assiégée par les Etrusques, et inflige à leur marine un
désastre dont elle ne se releva pas i. Poursuivant leurs exploits
les Syracusains confient une flotte à Phœli qui occupe l'île
d'Elbe sans coup férir. Comme toutes les nations aux abois,
rÉtrurie eut recours à la corruption pour éloigner la flotte
grecque ; elle obtint à prix d'argent la retraite de l'amiral qui,
de retour à Syracuse, fut condamné à l'exil et remplacé dans
son commandement par Apelle, marin des plus expérimentés.
Une nouvelle flotte de vingt trirèmes vint ravager les côtes de
la Corse, occupa l'île d'Elbe et rentra à Syracuse chargée d'un
immense butin et de nombreux prisonniers (453 av. J. C).
Désormais les Etrusques n'auront plus la suprématie dans
les eaux italiennes ; c'est en vain qu'ils essaient de se fortifier
en Corse 2. Réduits à la défensive ils sont condamnés à une
rapide déchéance ; quelques années plus tard, (384 av. J. C),
sous le prétexte de venir chercher les pirates dans leur repaire,
mais en réalité pour se procurer de l'argent, Denys parut sur
la côte de Caeré, pilla le temple de Pyrgi et en emporta la valeur
de mille talents 3.
Pas un bâtiment ne se présenta pour lui disputer la mer et il
put, avant de rentrer à Syracuse, ravager à son aise les côtes
de la Corse. Longtemps cette île garda le souvenir des
Syracusains : témoin le Syracusanus portas (Santa Amanza) men-
tionné par Diodore de Sicile et Ptolémée.
Les Étrusques afiTaiblis changent de politique extérieure ;
craignant que Carthage, dont la puissance grandissait tous les
jours, n'essayât de s'emparer de la Corse, ils rompent l'ancienne
Symmachie Tusco - Phénicienne et s'allient aux Syracusains
(310 av. J. C.) ; mais pressés par les Romains et les Celtes ils
allaient bientôt perdre leur indépendance. Au iii« siècle, vers
270 av. J. C, il n'est plus question de l'Étrurie ; la Corse était
1 Diodore, 1. XI, ch. 51.
2 Noël des Vergers, tome II, p. 81.
3 Strabon, L. c. V. 1, § 8. — Diodore, L. XV, ch. VI.
PÉRIODE HISTORIQUE. 57
tombée, sinon tout à fait dans les mains de Carthage, au moins
sous le coup de sdn influence.
La domination des Carthaginois sur la Corse ne nous est
connue que par quelques textes peu clairs des historiens
romains, toujours sujets à caution quand ils parlent de la
nation rivale. Il n'en est pas moins certain que, pendant de
longues années, Tîle fut considérée comme une dépendance de
l'empire africain i. Longtemps, écrit Tile-Live, les Carthagi-
nois firent la guerre avec ces nations et enfin exercèrent leur
autorité sur la Corse et la Sardaigne, à l'exception des régions
inaccessibles. Mais voyant qu'il était plus facile de vaincfe ces
peuplades grossières et féroces que de les dompter, entre les
autres moyens qu'ils imaginèrent pour les contenir et les obli-
ger à tirer de la métropole toutes les provisions nécessaires à la
vie, ils détruisirent tout ce que les deux îles avaient de plantes
utiles ou d'arbres fruitiers, défendant aux habitants, sous peine
de mort, de rien semer ou planter qui pût leur fournir aucune
sorte de nourriture, jusqu'à ce qu'étant apprivoisés peu à peu
ils se sont enfin accoutumés à souffrir plus patiemment le joug
pénible de la servitude 2.
Il est inutile d'insister sur le peu de vraisemblance d'un
pareil récit. Qu'au cours d'une campagne les Carthaginois aient
jugé nécessaire, pour le triomphe de leurs armes, de détruire les
moissons et les arbres fruitiers, nous en convenons volontiers ;
nous trouvons là un procédé cher à toutes les nations civilisées
qui, longtemps plus tard, ont voulu s'assurer la possession
d'un pays vaillamment défendu. Mais cette nécessité n'a pu
devenir un système de gouvernement ; s'il en eût été ainsi, com-
ment expliquer que les Corses et les Sardes, loin d'accueillir les
Romains comme des libérateurs, n'ont pas hésité à les combattre
à l'instigation de Carthage, comme il est facile de le constater
sans recourir à d'autres historiens que Tite-Live lui même.
Il n'en reste pas moins impossible de déterminer, même
approximativement, les limites des possessions de Carthage
1. Raspatt, De Corsica insula a Romanis capta. L'auteur ne pense pas que
les Carthaginois aient occupé la Corse ; ils n'avaient aucune raison, dit-il,
d'occuper un pays qui ne produit presque rien.
2. Tite-Live, Histoire Romaine, traduite par Guérin, Paris 1824, *édit,
Michaud ; tome V, L. XVII, c. 16.
S8 CHAPITRE III. § 3.
en Corse, et de nous faire une idée de leur mode d'administration
et d'organisation. Heureusement que bientôt Rome et Carthage
vont en venir aux mains.' L'empire de la Méditerranée occiden-
tale doit rester au plus fort et cet empire est subordonné à la
possession de la Corse.
^-w
CHAPITRE IV.
ÉTAT DE LA CORSE ROMAINE.
Sommaire. — § 1. Description géographique. — § 2. Divisions poli-
tiques. — 3. Mœurs. — § 4. Langue.
§ 1 . Description géographique.
L'île de Corse, nommée Cyrnos par les Grecs, était baignée
au Nord par la mer. de Ligurie (Ligusticiim mare), à l'Est par
la mer Tyrrhénienne, au Sud par le détroit Taphros ou Gal-
licum qui la séparait de la Sardaigne (^Sardinia), à l'Est par la
mer Ibérique l.
Les îles d'Elbe (Jlva), de Caprara (Capraria), et de Pianosa
(jPlanasia), situées entre la Corse et l'Italie, facilitaient la navi-
gation entre les deux pays, et les barques ne mettaient pas plus
d'un jour et d'une nuit pour faire la traversée. Le Taphros coupé
par une série d'îlots pouvait être franchi en moins de huit
heures 2.
Une chaîne non interrompue de montagnes divise la Corse en
deux versants. Sur le versant oriental le Golo (Gaula fl.), le
Tavignano {Rothanus fluv.), le Fîumorbo {Syrbus fluv,), et la
Solenzara (Sacer fluv.), courent, dans des directions parallèles,
vers la mer Tyrrhénienne. Sur le versant occidental prennent
naissance le Liamone (Cricidius fluv.), la Gravona (Locra fluv.),
le Taravo (Ticarius /Z.) et le Rizzanese (Pitanis flav,). Ces cours
d'eau forment des bassins séparés par des chaînes élevées qui se
1 . Voir le chapitre : La Corse d'après PtoUmée.
2. Navigatio a Tyrrhenia in Corsicam est diei unius ac dimidiae. In média
liac navigatione occurrit insula habitata, cui nomen ^talia, aliœque com-
plures desertae insulae. A Corsica insula in Sardiniam insulam tertiae diei
partis navigatio. In medio déserta insula est. A Sardinia in Lybiam diei noctis-
que est navigatio. Scylax, Periphis, dans Geographi grœci minores, Ch. Mûller,
çd. Didot t. I, p. 18, § 6 et 7t
60 CHAPITRE IV. § !•*•.
détachent de l'arête principale. Tous, au moins dans leur partie
supérieure, se déroulent impétueusement dans des vallées
étroites, tortueuses et accidentées ; chaque vallée forme ainsi
un monde à part, un labyrinte d'inextricables montagnes domi-
nées par des pics inaccessibles, dont deux seulement paraissent
déterminés avec exactitude : le mont d*Or (mons Aureus), et le
mont San Petro (^mons Nigheunus). De ces sommets jusqu'aux
rivages parsemés de coquillages, partout s'étend la forêt vierge
où dominent des pins et des sapins d'une incomparable
beaut,p 1. Au fond des vallées, des myrtes, des ifs et des buis
gigantesques étalent leurs tiges fleuries où viennent se sus-
pendre d'innombrables essaims d'abeilles qui produisent un
miel dont l'àpreté est signalée par les poètes et les naturalistes 2.
Le laurier, acclimaté par les Romains, y pousse avec une
vigueur remarquable 3.
§ 2. Divisions politiques,
La Corse, si nous en croyons Ptolémée, était habitée par
douze nations qui, pour la plupart autochtones, n'ont subi
l'influence romaine que dans de faibles proportions. Les Ro-
mains, au dire de Pline, divisèrent le pays en trentre-trois
civitates 4. Sur le terme civitas, employé par Pline, il ne peut y
1. Evolvuntur item vada fùsi cœrula ponti
insula quse Cyrnus fluctu madet alludente,
littoris ostriferi protendens latius undam.
Rufus Festus Âvienus, Descriptio orbis terrœ, v. 120-123.
« In primo magnas etiam in Cyrno nasci produnt. Quse enim in terra
Latina eximie pulchrse nascuntur abietes piceseque, — ha enim majores et
pulchriores quam reliquœ Italise, — non comparari posse cum iis quas
Cyrnus alit ». Théopliraste, Histoire des Plantes, annotée par Fréd. Wim-
mer, éd. Didot, L, IV, p, p. 96.— Pline, Histoire naturelle, trad. Littré, tomel»
L. XVI, p. 76, 3. — Dionisii Orbis descriptio, v. 460 : Silvis autem tantum
quantum illa (Corsica) abundat nulla.
2. Buxus maxime vero et pulcherrima in Cyrno, ibi enim et longissima et
crassior multo quam alibi ; ideo mel ibi insuave est buxum oleus.
Théophraste, L. III, p. 53.
3. Pline, Hist. nat., tome I, L. XV, c. 39, § 3.
4. In Ligustico mari est Corsica. . . Civitates habet XXXIII et colonias II :
Marianam a C. Mario deductam, Aleriam a dictatore Sylla. Pline, L. III, 12, 1.
r
ÉTAT DE LA CORSE ROMAINE. 61
avoir de doute. Une civitas est une commune étrangère ; cité,
municipe ou colonie elle se composait, en dehors de la ville,
quand il y en avait une, d'un territoire plus ou moins étendu.
Ce territoire renfermait des vici, bourgs, des pagi, villages,
des castella ou oppida, réduits fortifiés, des fermes et des
grandes propriétés, fundi, villa et praedia l. Cette dernière
expression s'est conservée et, sous le nom de presa, les Corses
désignent la partie cultivée du territoire par opposition à la
portion réservée au libre parcours.
Les Vanacini, la plus connue de ces nations, occupaient tout
le Cap Corse ; leur nom semble déceler une origine ligure. On
trouvait sur leur territoire les civitates de Centurinum, de Luri-
num, de Canelata, de Mantinon ou plutôt Blesinon {La Vasinà),
et de Clunium. Le pagus Aurelianus (Rogliano) ne doit dater
que de l'occupation Romaine.
Les Cilebenses, nous préférons lire les Nibolensii, occupaient
l'ancien pays du Nebbio. Cersunum et Ostricon étaient leurs
principales civitates. Un des cinq évèques de la Corse avait sa
résidence à Cersunum, /Cathédrale de NebbioJ.
Les Mariant dont le territoire répondait aux anciens pays de
Marana et de Moriani, étaient des colons romains. Us représen-
taient les conquérants, dans toute leur avidité. Peu à peu ils ont
refoulé les indigènes vers les hauts plateaux ; ils se sont ainsi
implantés dans la région de Morosaglia, (Marii salaj, où nous
trouvons Marinaccio et Case Romane. Âsincum et Ara Tutela
figuraient parmi les localités les plus importantes de cette
colonie. Mariana fut le siège d'un des premiers évêques de l'ile.
La colonie militaire de Mariana, fondée par Marins, vers
l'an 100 avant Jésus-Christ, sur l'emplacement de Nicaea, a dû
essaimer de bonne heure, puisque Ptolémée nous apprend que
sur la côte occidentale se trouvait le promontorium et oppidum
Marianum, comprenant le domaine de Campo-Moro et le ter-
ritoire de la commune de Grossa, régions dans lesquelles nous
trouvons le nom significatif de Mariana.
Les Licnini (Casacconi ?) établis au Sud des Cilebenses et à
l'Ouest des Mariani occupaient le bassin moyen du Golo.
1. R. Gagnât, Étude sur les cités romaines de la Tunisie, dans le Journal
des Savants t année 1896, p. 406.
62 CHAPITRE IV. § 2.
Maîtres des pays de Casacconi et d'Âmpugnani ils ont dû être
refoulés vers la montagne, peuplant les cantons de Caccia et du
Niolo.
Les Opiniy dont le territoire embrassait l'ancien pays de Pino,
avec un oppidum au mont Oppido près de Chiatra, se trouvaient
resserrés entre les colons deMariana et ceux d'Aleria. Repoussés
par les conquérants ils ont dû se réfugier sur les plateaux
d'Alesani et d'Orezza.
La colonie d'Aleria fondée par Sylla, au profit dje ses vété-
rans, comprenait la vaste plaine d'Aleria ; bâtie sur l'empla-
cement de la colonie phocéenne d'AIalia, près de Rotani, elle se
trouvait au centre de la région la plus fertile de l'île et devint
un évèclié de très bonne heure.
Les Syrbi constituaient une nation établie dans les bassins
duFiumorbo et devaient être d'ardents ennemis des Romains qui,
pour se protéger contre leurs incursions, fondent un Prxsidium
sur l'emplacement de Palo (Charax),
Les Comasini s'étaient établis dans le bassin de la Solenzara,
au Nord des Subasani qui occupaient le Sud de l'île et compre-
naient les civitates d'Alista et de Pallas. Les ports Favonius et
Sgracusanus se trouvaient sur leur territoire.
Sur la côte occidentale, en allant du Sud au Nord, nous trou-
vons les Titiani installés dans la vallée du Rezzanese. Ils
avaient dû être expropriés en partie au profit des Mariani,
leur territoire embrassait les civitates de Matissa-Sardi, de
Ficaria ou Fipra et d'Albiana.
Les Tarrabeni et les Balaconi, peuples indomptés, s'étendaient
le long du Tarabo et de la rivière de Prunelli. L'étude des noms
de lieu de cette région n'accuse aucune influence romaine. Le
Vicus du canton de Sainte-Marie de Sicché et Urbalacone, seuls,
peuvent tenir leurs noms des Romains. Et encore si dans Urba-
lacone, au lieu de Urbs Balaconi, nous lisions Ur Balaconi,
(fontaine des Balaconi), nous aurions une étymologie plus
conforme à l'importance de la localité.
Les Cervini (Cruzzîni ?) qui habitaient les vallées de la
Gravona, du Liamone et de la rivière de Sagone comprenaient
les civitates de Mora et d'Urcinum. Vicus, ( Wco), a dû devenir
de fort bonne heure un centre important. Sagona, résidence d'un
évêque, et Adiatium, {Ajaccio), cité par l'anonyme de Ravenne
ETAT DE LA dOftàE ROMAINE. 63
el par Saint-Grégoire, étaient les principaux débouchés de cette
nation ; d'après les noms de lieu les Cervini appartenaient à
la même race que les Tarrabeni. Leur type a dû se conserver
pur de tout mélange dans le pays de Cruzzini.
Nous n'avons aucun renseignement sur les nations qui peu-
plaient la Balagne et le haut bassin du Tavignano. Il est
permis de conjecturer que, du temps de Ptolémée, la Balagne
était déjà romanisée et que les indigènes avaient cherché un
refuge dans le Niolo.
Quant à la vallée du Tavignano elle a dà, pour des nécessités
stratégiques, être occupée fortement par les Romains. Nous y
trouvons les oppida de Veniciuih, Talcinum, Sermitium et
Cenestum.
§ 3. Mœurs,
Au point de vue physique les Corses nous sont présentés par
Diodore de Sicile, comme ayant été favorisés par la nature i.
Ils vivaient fort vieux à cause de leur remarquable frugalité 2.
Ceux du Nord avaient conservé les coutumes cantabres ; il est
permis de supposer que les habitants de la partie méridionale
portaient, comme les Sardes, un manteau court de pelleterie
pendant sur l'épaule gauche 3. Le veston a remplacé le manteau
de peau ou de laine grossière à longs poils mais, de nos jours
encore, on rencontre rarement un montagnard qui ne laisse ce
veston pendu sur l'épaule.
Dans nie l'agriculture n'existe pas 4. Le terrain âpre et rude
1. « Les esclaves corses paraissent l'emporter sur tous les autres pour le
« service dans toutes les choses utiles à la vie ; leur physique ' les y rend
« singulièrement propres. » Diodore de Sicile, L. V, XIII.
2. Cyrnii autem vita quam maxime diuturna esse feruntur. Eustathi
Commentarii, v. 458.
3. Winkelmann, Histoire de Vart chez les anciens, t. I. L. VII, c. 3 p. 309.
4. Barbara praeruptis inclusa est Corsica saxis,
Horrida, desertis undique vasta locis.
Non poma autumnus, segetes non educat œstas ;
Canaque Palladio munera Bruma caret.
Umbrarum nullo Ver est Isetabile fétu,
Nullaque in infausto nascitur herba solo ;
Non panis, non haustus aquœ, non ultimus ignis ;
Hic sola haec duo sunt : exsul et exsilium.
Sénèque, Mélanges,
64 CHAPITRE IV. § 3.
reste en friche et les plaines sont déjà renommées pour leur
insalubrité 1.
L'élevage du bétail constitue la principale occupation des
indigènes. La propriété privée était constituée chez eux puisque
Diodore de Sicile nous apprend que les brebis iieslent à leur
maître sans que celui-ci ait besoin de les garder 2. Chaque trou-
peau est marqué d'un signe distinctif ; comme le berger ne
peut le suivre dans les pâturages parce que l'île est fort boisée
et coupée de ravins et de rochers, il se place quand il veut
réunir ces bêtes, sur quelque hauteur et sonne d'une espèce de
trompette. Les animaux accourent sans se tromper vers leur
maître. Mais si quelque étranger, à la vue des chèvres et des
bœufs abandonnés à eux mêmes, tente de s'en emparer ils fuient
aussitôt. Le pasteur, au contraire, n'a qu'à sonner de la trom-
pette, dans le cas où il voit quelque étranger venir, pour qu'ils
se rassemblent et se groupent autour de lui 3. Le voyageur
contemporain n'a rien à retrancher à la peinture de cette vie
pastorale si bien décrite par Polybe.
Les Corses se nourrissent principalement de lait, de viande
et de miel 4. Nous sommes dans un pays de simple culture ^.
Quand les Romains exigent un tribut ils se bornent à deman-
der des quantités considérables de cire ou de résine, preuve
que les vaincus ne peuvent payer ni en argent comme Carthage,
l'Espagne ou la Gaule, ni en blé comme la Sicile et la Sardaigne.
Le gibier et le bétail abondent dans ces régions que la charrue
n'a jamais remuées. Timée peuple la Corse de chèvres, de
1. Strabon, Liv. V, ch. 7, § 7. — Quid ad homines immansuetius ? Quid ad
cœli naturam intemperantius ? Sénèque, Consolatio ad Helviam, c. 7. — Hic
quoque grave ccelum est. Tite Live, L. XVIII, c. 15. Les livres compris sous
les numéros XI et suivants, jusqu'au XX« inclus, ont été reconstitués par
Freinshem, au xvii« siècle.
2. Diodore, L. V, ch. XIV.
3. Polybe, Histoire Générale, L. XII, c. III.
4. Diodore, L. V, ch. XIV.
5. Je suis porté à croire que les Phocéens avaient appris aux Corses à
tailler la vigne et à planter Tolivier. Cela me paraît ressortir d'un passage de
Justin : « Les Phocéens, dit cet écrivain, adoucirent la barbarie des Gaulois ;
« leur apprirent à cultiver la terre, à tailler la vigne et à planter l'olivier. »
L. XLIII, c. 4. Il est donc probable que les fondateurs d'Aleria aient ensei-
gné aux insulaires les premiers rudiments de l'agriculture.
ÉTAT DE LA CÛRi^E KÛMAlNË. 65
bœufs sauvages, de brebis, de cerfs, de loups et d'autres animaux,
de ce genre ; il prétend même que les habitants passent leur
vie à en faire lâchasse et que c'est là toute leur occupation.
Polybe ajoute à cette liste le renard et le lapin i : Pline mentionne
le mouflon 2 ; il conviendrait de ne pas oublier l'ours dont la
destruction est postérieure au xvi® siècle. Les patriciens romains
n'hésitent pas à traverser la mer pour traquer, dans les bois
touffus de bruyères et d'arbousiers, les fauves et les bêtes
inoffensives qui, déjà, faisaient défaut dans la péninsule 3.
Le poisson de la Corse était très estimé à Rome et passait pour
un régal de grand seigneur 4.
Aucune mine d'or, d'argent ou de cuivre ne parait avoir été
exploitée 5. Les carrières de marbre des îles du détroit de
Bonifacio ont été fouillées à une époque qui ne peut-être préci-
sée. Peu ou point de commerce ; on chercherait vainement dans
nie un nom de lieu dont l'étymologie révèle un centre commer-
cial. Le miel corse que les matrones romaines utilisaient pour
faire disparaître les tâches de rousseur devait être fourni, au
lieu et place de la monnaie, pour le paiement des impôts 6.
Toute l'industrie consiste dans l'exploitation des forêts, de la
1. Polybe, L. XII, c. III.
2. Est in Hispania, sed maxime Corsica, non maxime absimile pecori, genus
musmonum, caprino villo, quam peccoris velleri, propius. Pline, Hist, nat.
trad. Littré, t. I, L. VIII, 75, 1.
3. Au sein de la Corse et de la Sicile, la mâle Nebrophone soumet à ses
chaînes le cerf et d'autres animaux inoffensifs, délices et luxes de l'arène et
le plus bel ornement des bois. Claudianus, De Laudibus Styliconis, L. III,
V. 314-316.
4. Mullus erit domino quem misit Corsica.
Ju vénal. Satire V.
5. Sénèque, Consolation à Helvie, IX.
6. Pline, Histoire naturelle, t. I, 1. XXX, c. 10, §1.
Sic tua Cyrneas fugiant examina tassos.
Virgile, Eglogue IX, v. 30.
Quam, puto, de longœ collectam flore cicutse,
Melle sub infami Corsicse misit apis.
Ovide, Amours, Elégie XII.
Mella jubés, Hyblsea a tibi vel Himettia nasci.
Et thyma Gecropise Corsica ponis apis.
Martial, L. XI, ep. 43.
66 CHAPITRE IV. § 3.
cire et de la résine l. II parait néanmoins que, déjà au i®*" siècle
de notre ère, il existait, au pays des Vanacini des fourneaux
pour l'exploitation du minerai de l'île d'Elbe 2.
Avant l'établissement de la voie qui reliait Mariana à Palla,
en longeant la côte orientale, aucune route ne sillonnait le pays
presque impraticable 3.
La population, d'après Diodore, s'élevait à plus de trente
mille âmes 4. On peut présumer que ce cliiflre est beaucoup au-
dessous de la réalité. Au dire de Tite Live, dans un combat
livré aux Romains, les Corses auraient perdu 7000 hommes et
laissé 1700 prisonniers entre les mains du vainqueur 5. En éva-
luant à 12000 le nombre des combattants mis en ligne, on ne
saurait être taxé d'exagération ; la population totale devait être
au moins de 50000 âmes.
Strabon nous représente les insulaires comme des brigands
plus sauvages que les bêtes fauves, farouches ou abrutis comme
des bestiaux ; il leur reproche de ne pouvoir vivre dans la
servitude, ou ils s'arrachent eux-mêmes la vie, ou bien ils
fatiguent tellement leur maître par leur orgueil et leur stupi-
dité, qu'on se repent toujours la somme dépensée, quelque mi-
nime qu'elle soit d'ailleurs 6.
Diodore au contraire fait remarquer qu'ils vivent ensemble
selon les règles de la justice et de l'humanité, contrairement
aux mœurs de presque tous les autres barbares ; il ajoute que
comme esclaves ils sont préférables à tous les autres pour les
divers usages de la vie, tant ils ont une excellente nature 7. Les
écrivains romains, nous le constatons, justifient déjà le pro-
verbe français : « le Corse est tout bon ou tout mauvais. »
Les insulaires passaient pour turbulents 8, vindicatifs et
1. Pline, 1. 1, 1. XVI, c. 28, 2 et c. 76, § 3.
2. Strabo vidit qui elaborarunt ferrum quod ex iEtaiia portatur insula
Cyrno vicina. Id cum in ejus insulse fornacibus coquitur, in massam compingi
nequit, quare e fodinis illico in continentem perfertur. Chrestomatiœ ex
Strabonis.
3. Strabon, L. V, c. II, § 7.
4. Diodore, L. V. c. XIV.
5. Tite Live, L. XL, c. 34 ; L. XLI, c. 7.
6. Strabon, L. V. c. II, § 7.
7. Diodore, L. V, c. XIII.
8. Tite Live, passim.
ÉTAT DE LA CORSE ROMAINE. 67
menteurs l. Toujours prêts à la révolte, ils combattaient en
partisans, harcelant les colonies et pillant les convois 2.
Davety, en s'appuyant sur Stoba, prétend qu'ils avaient les
femmes et les enfants en commun. J'ai vainement cherché dans
Stoba la confirmation de cette étrange coutume qui semble
particulière aux Limgrnii qui n'ont jamais pénétré dans l'île.
Il est certain que les maris ne prenaient aucun soin des femmes
en couches ; mais, se mettant au Ht à leur place, ils gardaient
la chambre pendant quelques jours, comme un homme souffrant
et malade 3.
En leur qualité d'insulaires, les Corses ont dû être des navi-
gateurs ; il paraît prouvé, comme nous l'avons vu, qu'ils ont
fondé Populonia ; mais ne l'auraient-ils qu'occupée ce serait
suffisant pour démontrer l'existence d'une marine antérieure de
plusieurs siècles à l'occupation romaine. Enfin si , comme l'insinue
Diodore de Sicile, les pirates de la Méditerranée'n'avaient pas de
plus sûr asile que les côtes de l'île, nous pouvons conjecturer
que les indigènes étaient de hardis marins. Il ne faut pas, du
reste, attacher une grande importance à ces épithètes de pirates,
de voleurs et de brigands que les historiens grecs et latins acco-
lent, avec une facilité intéressée, à toutes les nations qui leur
résistaient. Il est tout naturel de qualifier de brigandage les
actes d'hostilité par lesquels un peuple, soucieux de son indé-
pendance, répondà des attaques injustifiées ou à une concurrence
déloyale.
Il ne reste aucune trace de leur religion. Une de leurs princi-
pales lois consiste à nier les dieux, dit le distique attribué à
Sénèque. Plus tard ils ont dû adopter les divinités romaines
puisque plusieurs pics de l'intérieur de l'île rappellent le sou-
venir de Jupiter 1 Dans tous les cas jusqu'à ce jour on n'a
signalé la trace d'aucun sanctuaire. Nous n'avons aucun rensei-
gnement sur leurs institutions.
§ 4. Langue.
Les Corses, d'après Diodore de Sicile, parlaient une langue
1. Prima est ulcisci lex, altéra vivere raptu
Tertia mentiri, quarta negare Deos.
2. Tite Live, passim.
3. Diodore, L. V, c, XIV,
68 CHAPITRE IV. § 4.
particulière, et difficile à comprendre i, traitée par Sénèque de
grossier jargon choquant même pour des barbares plus civili-
sés 2. Il est certain que les Vanacini s'exprimaient en un idiome
formé par le mélange de la langue cantabre avec le grec et le
ligure. Mais, au temps de Sénèque; la plupart des autochtones
avaient dû quitter le Cap Corse pour se réfugier sur les hauts
plateaux du Nebbio ; dans son exil, le célèbre philosophe a, de
son aveu, rencontré plus d'étrangers que d'insulaires. Il est donc
permis de conjecturer que la langue primitive, rapidement
altérée sur les côtes par le contact permanent du vainqueur, a
dû se conserver, pure de tout mélange, chez les montagnards.
Pausanias a conservé un mot de cette langue inconnue : Balari^
signifiant exilés 3.
Peu à peu cette langue primitive a disparu devant le latin
militaire introduit par les alliés des latins organisés en légions.
Aujourd'hui encore il existe dans le patois parlé par tes
Corses un assez grand nombre de mots inexplicables par le
latin ou le grec et remontant probablement aux temps où
aucune nation civilisée n'avait pénétré dans l'île.
1. Diodore de Sicile, L. V. c. XIV.
2. Cogita quam non possit, is aliénée vacare consolationi, quem sua mala
occupatum tenent ; quam non facile latina ei verba liomini succurrant, quem
Barbarum inconditus et Barbaris quoque humanioribus gravis, fremitus
circumsouat. Sénèque, Consolation à Poïybe,lXKX V.
3. Pausanias, L. X, c. 17.
CHAPITRE V.
LA CONQUÊTE.
Sommaire : § 1. Expéditions en Corse. §2. Organisation de la conquête.
§ 1. Expéditions en Corse.
Vers l'an 448 avant J.-C, Rome, sous l'impulsion de l'invasion
gauloise, signe un traité avec Carthage ; elle s'engageait à res-
pecter l'intégrité des possessions de ses nouveaux alliés. Par
réciprocité ceux-ci s'interdisaient toute descente sur son terri-
toire, la Corse demeurant pays neutre entre les deux i.
Le Sénat ne pouvait manquer de tirer de cette convention
tous les avantages capables de favoriser sa politique d'expan-
sion ; trente ans après, en pleine guerre des Samnites, il pres-
crivait l'envoi d'une flotte de vingt-cinq voiles, avec mission de
reconnaître les côtes de la Corse et d'y fonder une colonie.
L'expédition avorta. Effrayés par la forêt vierge qui s'étendait
de la cime des monts aux bords de la mer, les colons regrettent
bientôt le ciel de la patrie et songent au retour. Montés sur des
radeaux ils se confient au caprice des flots et la plupart péris-
sent victimes de leur audace 2.
1. Ut neque Romani ad littora Carthaginensium accédèrent, neque Cartlia-
giuienses ad littora Romanorum : Corsica esset média inter Romanos et Car-
thaginienses. Servius, Ad^JEneideim, IV v. 628.
2. Cum enim Romani in Corsica urbem condituri viginti quinque navibus
eo navigassent, tantam arborum magnitudinem ibi invenisse, ut intrantes
cum navibus in sinus portusque quosdam diffractis malis periclitarentur.
Omnino totam insulam fronde arborum tectam et quasi efferatam silvis
spectari : quamobrem destitisse etiam a condendo ibi oppido. Quosdam
tamen ingressos brevi ex loco tam Jargam cœcidisse materiam, ut ratem
contexerent quinquaginta velis ducendam, quam in alto mari périsse addunt.
Cyrnus igitur seu ratione vastitatis sive etiam telluris cœlique virtute ceteris
multum antecellit terris.... Théophraste, Histoire des Plantes, L. IV, p. 96,
éd. Didot. '
70 CHAPITRE V. § 1®'.
Cette tentative semble avoir éveillé l'attention des Carthaginois
qui, en 306, demandent et obtiennent la révision du traité conclu
42 ans auparavant. « Le commerce avec les sujets de Carthage,
« en Sardaigne et en Afrique fut fermé aux Romains qui, vrai-
« semblablement aussi, eurent à évacuer leur colonie nouvelle-
« ment fondée de Tîle de Corse i . »
Les rapports entre les deux nations ne pouvaient manquer de
se refroidir au fur et à mesure du développement de la puis-
sance navale des Romains. Enfin la guerre inévitable éclate à
propos de l'occupation de la Sicile. Il ne nous appartient point
d'entrer dans les détails de cette lutte gigantesque ; nous devons
nous borner à rappeler les faits qui expliquent l'occupation de
la Corse.
Après la victoire navale de Mylae (261 av. J.-C.) le consul
Lucius Cornélius Scipion prit le commandement de la flotte ;
il avait pour mission d'occuper la Sardaigne et la Corse, s'il le
jugeait à propos pour le bien de la République. Il mit à la voile
dès que l'escadre fut prête ; une rapide reconnaissance des côtes
de l'île, lui permit de constater qu'un coup de main hardi
pouvait le mettre en possession d'Aleria. Il n'hésita donc pas
un instant et le plus éclatant des succès couronna bientôt son
audace. Nous devons admettre que les Romains disposaient d'un
corps de débarquement imposant ou bien que la garnison car-
thaginoise était insuffisante. Dans tous les cas il nous parait
démontré qu'à cette époque Aleria se trouvait sur les bords de
la mer, comme l'indique Ptolemée, et que la bande de dunes,
d'environ 2 kilomètres, qui, aujourd'hui, la sépare du rivage, est
due à un continuel surexhaussement du sol.
Cet événement avait une portée considérable. Fondée depuis
près de trois cents ans, Aleria était, sans contredit, la ville la
plus importante de l'île ; enfin par sa situation à l'embouchure
du Tavignano elle devenait la base d'opération idéale d'un corps
expéditionnaire qui, en deux jours de marche, pouvait atteindre
l'emplacement actuel de Corte, véritable pivot de la défense inté-
rieure. D'Aleria, Scipion put se porter rapidement et sans éprou-
ver de résistance sur toutes les autres villes maritimes : Nicaea,
Port-Syracusain et peut-être Charax [Palo] et Palla [Bonifacio].
1. Mommsen, Histoire Romaine, t. II, p. 234.
LA CONQUÊTE. 71
Après cette démonstration sur la côte orientale le consul vogue à
la recherche de la flotte carthaginoise qui prend la fuite, sans oser
engager le combat. Il tente alors une descente sur la. côte nord
de la Sardaigne « mais il échoue devant Olbia (Terra Nuova)
« faute de troupes de débarquement. L'année suivante, les
« Romains sont plus heureux : ils pillent les bourgs et les cités
« ouvertes sur les rivages, mais ils ne peuvent encore prendre
« pied ». Ils n'en avaient pas moins atteint un résultat décisif
en obligeant l'armée carthaginoises à évacuer les deux îles, où
elle ne pouvait plus subsister. Parvenu au terme de son com-
mandement, Scipion reprend la route d'Italie. Ballotté par une
mer furieuse il dédia un sanctuaire à la Tempèie (^Tempestas), et
voulut que sur son tombeau on consacra le souvenir de sa
conquête et de la protection dont l'avait couvert cette singulière
divinité :
Hic cepit Corsicam Aleriamque urbeni
Dédit Tempestatibus sedem merito i.
Il fut reçu à Rome avec des transports d'allégresse. Le Sénat
reconnaissant lui décerna les honneurs du triomphe. Le 21
mars 258, il monta au Capitole faisant conduire devant
lui, avec beaucoup de pompe et de magnificence, le butin qu'il
avait rapporté des deux îles et la multitude des prisonniers
sardes, corses et carthaginois tombés en son pouvoir 2.
Contrairement aux assertions d'Aurelius Victor, d'Eutrope et
d'Orose, le traité, qui mit fin à la première guerre punique,
(241 av. J.-C), n'impliquait en aucune façon la remise de la
Sardaigne et de la Corse aux Romains 3. Au contraire, comme
l'écrivent Polybe et Appian, les deux îles étaient restées au pou-
voir des Carthaginois 4. Ce n'est que trois ans plus tard que le
Sénat, mettant à profit une insurrection des mercenaires afri-
cains, occupe la Sardaigne et refuse d'évacuer la Corse. En vain
Cartilage réclame et fait des préparatifs ; le Sénat feint de croire
1. Corpus Inscriptionum Latinarum, tome I, p. 18, no 32.
2. Tite Live, T. VI, L. XVII, C. 12, 13, 15, 16 et 21. - Zonaras, VIII, 11. -
Flonis, 1. 18. — Mommsen, t. III, p. 54.— Duniy, Histoire Romaine, t. I, p. 453.
3. Aurelius Victor, De viris ill. 41. — Eutrope, III, 2. — Orose, IV. II.
4. Polybe, I. 63. — Appian Sic, 2, 2.
72 CHAPITRE V. § !•'.
ritalie menacée et déclare la guerre. Celte colère tomba devant
l'offre de 1200 talents et de l'abandon des deux îles i.
« La grande et victorieuse République, dit Mommsen, ne
« dédaignait pas de faire cause commune avec une soldatesque
« vénale, de partager avec elle le fruit du crime, faisant passer
« le gain du moment avant la règle du droit et de l'honneur 2 ».
Tite-Live lui-même est obligé de reconnaître la déloyauté de ses
compatriotes 3.
Le consul Tib. Sempronius Gracchus fut chargé d'assurer la
nouvelle conquête. De Ligurie, il passa en Sardaigne et s'y livra à
une dévastation méthodique et à un pillage resté proverbial
(238 av. J.-C.) 4. Les Corses ne supportèrent qu'avec peine le
joug de leurs nouveaux maîtres. Deux ans après une nouvelle
expédition est devenue nécessaire : le consul C. Licinius Varus,
n'ayant pas assez de vaisseaux pour transporter en même temps
toutes ses troupes dans l'île, se fait précéder par un détachement
sous les ordres de son lieutenant Marcus Claudius Lycia.
Cet officier, dit Tile-Live, voyant les Corses effrayés de son
arrivée, ne put résister à la vanité arrogante d'agir en maître 1
sans songer ni à l'autorité du consul à laquelle il était soumis,
ni à sa qualité de subalterne qui devait l'empêcher de prendre
toute espèce d'initiative, il conclut un traité avec les Corses aux
conditions qu'il lui plut et leur donna la paix. Tel n'était pas
l'avis du consul. A peine arrivé, il traita les insulaires, en véri-
tables ennemis et, malgré leurs protestations, il ne cessa les
hostilités que lorsqu'ils eurent absolument reconnu l'autorité
des Romains. Le Sénat, pour mettre la République à l'abri de
tout reproche de mauvaise foi, décida que l'auteur de celte paix
honteuse serait livré aux Corses. Notre esprit se révolte devant
un pareil acte qui, seul, sufQrait à ternir la réputation d'une
nation civilisée. Au consul cruel et avide de sang, n'est-il pas
juste d'opposer les chefs corses qjui refusent de se faire les com-
plices d'une pareille iniquité et renvoient Claudius au camp
1. Duruy, Hist, Rom., T. I, p. 478.
2. Mommsen, T. III, p. 85.
3. Tite-Live, Tome VI, L. X, 4, 5 et 6.
4. Tite-Live, T. VI, L. XX, C. 3. Il y a lieu de ne pas confondre Tiberius
Sempronius Tib. f. C. n. Gracchus (238 av. J.-C.) avec Tiberius Sempronius
P. f. L. n. Gracchus (177 av. J.-C).
LA CONQUÊTE. 73
romain, rendant un éclatant témoignage à son courage et à sa
loyauté ? Ramené à Rome ce malheureux fut étranglé dans sa
prison l.
Une si grande injustice ne pouvait manquer d'exciter le res-
sentiment des Corses. Pourquoi reconnaîtraient-ils Tautorité
d'un peuple qui leur déclare la guerre sans d'autre motif que le
droit du plus fort ? De concert avec les Sardes, ils se révoltent
une fois encore, obéissant peut-être aux excitations secrètes des
Carthaginois. Le consul T. Manlius Torquatus (236 av^ J.-C.)
débarque en Sardaigne et la soumet de nouveau à l'autorité
romaine 2. Le 25 mars de la même année, il obtenait les honneurs
du triomphe. Quelques jours après le courrier de Sardaigne
annonçait une insurrection générale à laquelle les Corses et
les Ligures prenaient part 3.
Nous trouvons dans Tite-Live la preuve que les relations les
plus étroiles existaient toujours entre les Ligures d'Italie et les
habitants, — en grande parlie ligures, — de la Corse. Les nou-
veaux consuls, L. Posthumius Albinus et Sp. Carvilius Maximus,
chargés de la levée des troupes (234 av. J.-C.) organisent trois
corps d'armée pour empêcher les ennemis de se donner mu-
tuellement du secours, « ut hostes ab ope mutuo ferendà distrin-
gerentur 4. »
L. Posthumius marcha contre les Ligures ; Carvilius passa en
Cçrse et le préteur Pub. Cornélius en Sardaigne, dont le mau-
vais air causa des maladies contagieuses qui emportèrent la
plupart des soldats et le préteur lui-même. Heureusement pour
les Romains, les Corses n'opposèrent pas une grande résistance
et Carvilius put passer en Sardaigne avec le gros de l'armée.
Victorieux dans un combat décisif, il imposa des promesses de
soumission et retourna à Rome où, le 30 mars 234, il obtint les
honneurs du triomphe 5.
L'année suivante est marquée par une nouvelle insurrection
des Sardes. Les Corses épuisés paraissent ne pas avoir remué,
mais le Sénat ne se fait aucune illusion sur leurs sentiments ;
1. Tite Livre, T. VI, L. XX, c. 11. — Valère Maxime, L. VI, c. 3, § 3.
2. Velleius Paterculus, II. 38.
• 3. Tite Live, T. VI. L. XX, c. 12, 14.
4. Tite-Live, T. VI. L. XX, c. 15.
5. Fasti triumph, CapitoUni, dans Corp. Inscr, Latin, I, f> 458.
74 CHAPITRE V. S^l*'.
il menace Carthage d'une nouvelle guerre, l'accusant de fomenter
des troubles dans les îles. Aussi les deux nations se préparent
à la guerre. En attendant une reprise générale des hostilités,
les consuls, M. Emile Lepidus et M. Publicius Malleolus, débar-
quent tous les deux en Sardaigne qu'ils livrent à une dévasta-
tion méthodique. Ils passent (232 av. J.-C.) ensuite en Corse
emmenant avec eux un immense butin. Le convoi fut soudai-
nement attaqué parles Corses qui en restèrent maîtres. Cet échec
ne pouvait rester impuni l. Le consul Papirius Mason, à la tête
de nouvelles légions est chargé de venger l'honneur des armées
romaines. Il ne s'agit plus maintenant de s'opposer aux incur-
sions des Corses, il est de toute nécessité de les poursuivre
dans leurs repaires et de pénétrer au cœur du pays.
L'entreprise présentait de très grandes difficultés. Les insu-
laires, instruits par l'expérience, abandonnent la plaine sans
combat et se retirent, à petites journées, sur les hauteurs. Le
consul se met à leur poursuite et s'engage dans la partie monta-
gneuse de l'île. On était au cœur de l'été ; harcelées par les indi-
gènes, ne trouvant sur leur route que des ruisseaux desséchés,
des sources taries, les légions se déciment promptement. Quel-
ques jours encore et c'en est fait de l'armée consulaire ; heureu-
sement qu'elle réussit à atteindre un cours d'eau qui permit au
général de reconstituer ses troupes. Mais tel est le danger qu'il
vient de courir qu'il n'hésite pas à faire aux Corses des proposi-
tions raisonnables qui sont acceptées. Il n'est pas facile de
déterminer la région parcourue par les soldats de Papirius.
Les indications que nous avons manquent de précision ; les
Romains ont d'abord parcouru le plat pays planté de myrtes,
in campis myrteis ; ils se sont ensuite engagés dans une région
montagneuse où ils ont failli être exterminés. Nous savons aussi
que Papirius était chargé de venger l'échec infligé l'année précé-
dente à l'armée, retour de Sardaigne, échec qui a dû avoir pour
théâtre un des points de la côte orientale, comprise entre Aleria
et Palla [Bonifacio]. Il y a donc lieu de supposer que Papirius a
eu affaire aux Syrbi et aux Covasini et que le combat s'est livré
dans le bassin du Fiumorbo, région très accidentée, couverte de
myrtes et propre à la guerre de partisans.
1. Zonaras, VIII, 18.— Valère Maxime, III, 6, 5.
Ul OOIK)i2éT£. 75
La conduite et Torganisation de cette expédition furent diffé-
remment appréciées à Rome. Le Sénat jugeait l'habileté de ses
généraux d'après les résultats obtenus. Il refusa donc les hon-
neurs du triomphe à Papirius Mason qui, il faut le reconnaître,
n'avait qu'imparfaitement effacé l'affront sanglant infligé à la
majesté du peuple romain. Les partisans du consul, tenant
compte des difficultés de l'entreprise, du danger couru, des
misères supportées, des obstacles surmontés avec des moyens
peut-être insuffisants, refusèrent de s'incliner devant la décision
sénatoriale et, le deux des nones de Mars 230, Papirius triom-
pha sur le Mont Albin. Depuis ce jour il assista aux jeux publics,
couronné de myrthe, préférant cette espèce de couronne à toute
autre en souvenir de la bataille qu'il avait gagnée sur les Cor-
ses 1.
Au commencement de l'année 227, sous le consultât de Pub.
Valérius Flaccus et d'Attilius Régiilus, le Sénat doubla le nom-
bre des préteurs ; il jugea opportun d'en créer quatre, afin d'en
envoyer deux commander dans les îles. Le sort donna à l'un
d'entre eux, M. Valérius, le gouvernement de la Sardaîgne à
laquelle on avait réuni l'île de Corse 2. Ce changement d'admi-
nistration provoqua une nouvelle insurrection qui exigea le
déploiement de grandes forces confiées au consul C. Attilius
Régulus (225 av. J. C). Après avoir fait rentrer dans le devoir les
Corses et les Sardes, le consul retourna en Italie pour combattre
les Gaulois 3.
L'indomptable fierté d'Hamilcar ne pouvait se consoler de la
perle de la Sicile et de la Sardaigne et Carthage continuait ses
armements. Bientôt l'entrée en scène d'Annibal va bouleverser
les projets du Sénat et compromettre un instant ses iniques
usurpations. Les historiens romains sont muets sur les événe-
ments qui se déroulèrent dans la province de Sardaigne, de 225 à
216. Il est certain toutefois qu'ils n'ont pas évacué les deux îles,
puisque après la bataille de Cannes, A. Cornélius Mammula,
propréteur de la province, se plaint au Sénat de l'impossibilité
où il se trouve de pourvoir à l'entretien de la flottô^et de l'armée.
Mais Annibal est aux portes de Rome et le Sénat répond aux
1. TiteLive, T. VI. L. XX, c. 20 et 22. - Pline, Hist. nat. 1. XV, 38, 1.
2. Tite Live, XX, 33. - Solin, V, I. - Zonaras, XIII, 19.
3. Tite Live, XX, 36. - Polybe, II, 27, 1. - Zonaras, VIII, 19.
76 CHAPITRE V. § l*^
envoyés de Mammula que le trésor ne peut suffire aux dépenses
lointaines et qu'il faut vivre sur les pays conquis. « N'était-ce
« pas en peu de mots se priver de la possession de la Sicile et de la
« Sardaigne, ces fertiles provinces, nourrices de la patrie, ces
« pays qui lui servaient comme d'échelons et de points d'appui
« et dont la conquête avait coûté tant de sueur et de sang. »
Heureusement pour Rome les villes alliées fournirent
libéralement à Cornélius Mammula les secours dont il avait
besoin i.
Parvenu au terme de son commandement le propréteur rentre
en Italie et expose la situation critique de la province. Une
insurrection générale est à craindre, et pour comble de contra-
riété, Âsdrubal le Chauve va partir de Carthage avec une flotte
puissante pour occuper la Sardaigne. En outre le nouveau
préteur Q. Mucius Scaevola, terrassé par la maladie, est dans
l'impossibilité de rien tenter 2. Le Sénat décrète alors que Titus
Manlius Torquatus qui, au cours d'un de ses consulats, avait
déjà soumis les Sardes, retournerait dans les îles, à la tète de
5000 fantassins et de 400 cavaliers. La fortune de Rome triom-
pha une fois de plus ; la tempête jetta la flotte carthaginoise sur
les Baléares, et les Corses, réduits à leurs propres ressources,
subirent la volonté du vainqueur 3.
Les préteurs L. Cornélius Lentulus, P. Manlius Vulso,
C. Aurunculeius, A. Hostilius Cato, Ti. Claudius Asellus,
Cn. Octavius, Ti. Claudius Nero, P. Cornélius Lentulus, Fabius
Buteo, se succèdent à la tête des légions chargées de pacifier
la province de Sardaigne. Pendant 12 ans on lutte avec achar-
nement, sans résultat appréciable, au point qu'en l'an 554 = 2001e
préteur Valerius Falto quitte l'Italie à la tête de cinq mille
hommes, pour venir renforcer le corps d'occupation qui se
trouve dans l'impossibilité de maintenir l'ordre dans les deux
îles. Le préteur Villius Tappulus à son tour prend le comman-
dement de la province *. H y a lieu de supposer que, comme
1. Tite Live, L. XXIII, 21, 4. - Valère Maxime, VII, 6, 1.
2. Tite Live, XXIII, 34, 10-15.
3. Tite Live, XXIII, 34.
4. Tite Live, L. XXV, 41, 11-13 ; XXVI, 1, 11 ; 23, 1 ; 28, 11 ; XXVH, 6, 11,
22 ; 35, 1 ; 36, 10-11 ; XXVIII, 10, 9 ; 46, 14 ; XXIX, 13, 2 ; XXX, 26, 1 ; 40,
5 ; XXXI, 8, 9 ; 49, 12.
r
LA CONQUÊTE. 77
tous ses prédécesseurs, il continua à opprimer et à spolier ses
administrés puisque son successeur Caton le Censeur s'efforce
de réagir contre les procédés barbares des généraux romains
qui, non coulent du tribut imposé par le Sénat, prélevaient pour
leur compte personnel un impôt intolérable. Une pareille
conduite ne pouvait manquer d'attirer l'attention des historiens
de l'antiquité : « Caton, dit Plutarque, ne suivit pas l'exemple
des préteurs qui l'avaient précédé et qui tous avaient ruiné la
province en se faisant fournir des maisons, des lits et des
vêtements, en traînant à leur suite une foule d'amis et de domes-
tiques, en exigeant des sommes considérables pour des festins
et d'autres dépenses de même nature. Lui, au contraire, se
distinguait par une simplicité incroyable ; jamais il n'eut
recours au trésor public pour l'acquittement de ses dépenses
personnelles. Quand il visitait les villes de son gouvernement
il marchait à pied, sans aucune voiture à sa suite, n'ayant avec
lui qu'un officier public, chargé de porter sa robe et son vase
pour les libations dans les sacrifices. Simple et aimable dans
ses fonctions sacerdotales, il se montrait dans le reste de ses
fonctions grave et sévère, inexorable dans l'administration de
la justice ; d'une exactitude et d'une rigueur inflexibles pour
l'exécution des ordres qu'il donnait. Aussi jamais la puissance
Romaine n'avait paru à ses peuples ni si terrible ni si estima-
ble 1 ».
Les successeurs de Caton, L. Attilius, Tiberius Sempronius
Longus, Cornélius Merenda, L. Porcins Licinus, Salonius Sarra
ne se signalent par aucun événement digne d'être rapporté 2.
L. Oppius Salinator passa deux ans dans la province de Sardai-
gne (563-564) ; il préleva sur ses sujets des quantités considéra-
bles de blé pour approvisionner Rome et l'Etolie 3.
Les prétures de Fabius Pictor, Stertinius, Fulvius Flaccus,
Aurelius Scaurus, Nsevius Matho, Sicinius, Terentius Istra,
(565-571), ne présentent rien de saillant.
Leur administration avait dû profondément mécontenter les
1. Plutarque, La Vie des hommes illustres, traduction Ricard, Paris 1802,
tome VI, p. 129. — Tite Live, XXXII. 8, 5. — Cornélius Nepos, Cato, I. 4.
2. Tite Live, XXXII, 28, 2 ; XXXIII, 26, 1 ; 43, 9. XXXIV, 43, 6 ; 56, 6.
XXXV, 20, 8 ; XXXVI, 2, 6.
3. Tite Live, XXXVII, 3, 11.
78 CHAPITRE V. § 1*'.
insulaires puisque, en 573, les deux îles sont en pleine révolte.
Le Sénat, contrarié par une épidémie qui décime Rome, décrète
la levée de huit mille fantassins et de trois cents cavaliers parmi
les alliés du nom latin. Le préteur Pinarius Rusca est mis à
leur tête. Dans Timpossibilité de trouver les hommes nécessai-
res le général fut autorisé à compléter ses troupes en prélevant
des hommes sur la division du proconsul Baebius, alors en
quartier d'hiver à Pise.
En Corse Pinarius livra bataille aux indigènes et leur tua
deux mille hommes ; il obligea les vaincus à livrer des otages
et à payer un tribut de deux cent mille livres de cire ; il passa
ensuite en Sardaigne où il soumit la tribu des Iliens i.
Le préteur Mœnius à qui le sort avait attribué la province de
Sardaigne, en 574, paraît ne pas avoir quitté Rome. Il fut rem-
placé. Tannée suivante, par Valerius Laevinus qui semble ne
pas avoir laissé la province dans une brillante situation puisque
sous son successeur, iEbutius Carus, les ambassadeurs Sardes
viennent conjurer le Sénat de mettre au moins les villes de la
province à Tabri des incursions continuelles des farouches
montagnards 2.
Bientôt Tinsurrrection est générale au point que le Sénat est
obligé de faire de la Sardaigne un département consulaire sous
la direction du consul Sempronius P. Ti. N. Gracchus.
Bien que le texte de Tite Live semble viser particulièrement
une campagne entreprise contre Tîle de Sardaigne, il n'en est
pas moins vrai qu'il est souvent amené à laisser entendre qu'il
s'agit de la province tout entière. Il semble naturel du reste
que les Corses aient voulu profiter des embarras de leurs enne-
1. anno 573 : Pestilentiae taiita vis erat, ut, cum propter defectioiiem
Gorsorum bellumque ab Uiensibus concitatum in Sardinia octo milia peditum
ex sociis Latini nominis placuissct scribi et trecentos équités, quos M.
Pinarius prœtor secum in Sardiniam traiceret, tantum hominum demortuum
esse, tantum ubique aegrorum consules renuntiaverint, ut is numerus eflSci
militum non potuerit. Quod deerat militum, sumere a Bsebio proconsule, qui
Pisis liibernabat, jussus praetor inde in Sardiniam traicere. T. Live, XL, 19, 6.
-^ In Corsica pugnatum cum Gorsis ; ad duo milia eorum Pinarius praetor in
acie occidit. Qua clade compuisi obsides dederunt et cerœ centum milia
pondo. Inde in Sardiniam exercitus ductus et cum Uiensibus, gente ne nunc
quldem omni parte pacata, secunda prœlia facta. T. Live, XL, 34, 12.
2. Tite Live, XL, 43, 2 ; 44, 2 et 7 ; XLI, 6, 5.
LA CONQUÊTE. 79
mis pour essayer de recouvrer leur indépendance, c'est pourquoi
nous croyons devoir insister sur cette nouvelle campagne de
Sempronius Gracchus.
Rome paraît particulièrement impressionnée par cette terri-
ble insurrection ; l'alarme est des plus chaude. Elle se traduit
par l'annonce de prodiges invraisemblables. Le peuple sent que
les dieux sont irrités et que les plus grands malheurs menacent
la patrie. Pour les conjurer les consuls font immoler les gran-
des victimes et ordonnent un jour de prières publiques dans
tous les temples. On procède ensuite à un nouveau tirage au
sort des provinces ; la province de Sardaigne échoit encore à
Sempronius Gracchus avec Tibérius Abatius comme premier
lieutenant.
Le corps expéditionnaire comprenait deux légions, environ
12000 fantassins et 600 cavaliers pris parmi les alliés du nom
latin ; le général avait en outre dix quinquerèmes à prendre
dans les chantiers désignés parle Sénat.
Sempronius, à peine débarqué en Sardaigne, entra à la tête
de son armée sur les terres des Iliens, renforcés par les
Balares, livra bataille et défit les ennemis qui laissèrent douze
mille hommes sur le terrain. Le lendemain il fit rassembler
les armes des vaincus et les brûla en l'honneur de Vulcain ;
ensuite il ramena ses troupes dans ses quartiers d'hiver. Au
printemps suivant (578= 176) il reprit les hostilités et, après
une série de combats acharnés, il obtint la soumission de tous
les révoltés qui furent soumis à payer le double des impôts
ordinaires.
Après avoir pacifié la province, —paca/a provincia, — et s'être
fait livrer 230 otages par les diverses peuplades, le consul
députa des officiers à Rome, pour y porter la nouvelle de ses
brillants succès et demander qu'en reconnaissance des avanta-
ges remportés par son armée, il fut rendu aux dieux de solen-
nelles actions de grâces et qu'il lui tût permis de ramener ses
légions en Italie. Le Sénat reçut la délégation dans le temple
d'Apollon ; il décréta deux jours de prières publiques et
ordonna d'immoler les grandes victimes ; mais il jugea nécessaire
de faire rester encore cette année Sempronius en Sardaigne.
A la suite des assemblées de 579= 175 Cornélius Sulla obtint
la préture de Sardaigne et vint relever Sempronius qui rentra à
80 CHAPITRE V. § 1«'.
Rome où il obtint les honneurs du triomphe. Il ramena de
cette île un si grand nombre de captifs que leur vente prit un
temps considérable.
Pour perpétuer le souvenir de ces succès, Sempronius fit
placer dans le temple de Mater Matuta un tableau avec celte
inscription : « Sous le commandement et sous les auspices du
consul Ti, Sempronius Gracchus les légions du peuple Romain
ont soumis la Sardaigne et tué ou pris dans cette province plus
de 80.000 hommes. Après de si glorieux avantages, dont
riieureux effet a été de rendre à la République les tributs que la
révolte lui avait fait pbrdre, ce général a ramené son armée
entière et chargée de riches dépouilles. Ces succès éclatants lui
ont valu pour la seconde fois les honneurs du triomphe et, pour
en conserver la mémoire, sa pieuse reconnaissance a consacré
ce tableau à Jupiter. » Ce tableau représentait la Sardaigne per-
sonnifiée 1. Cornélius Sulla, successeur de Sempronius Gracchus,
débarqua en Corse Tannée suivante (580 = 174) à la tête de 5000
fantassins et de 300 cavaliers. Au cours de la campagne il reçut
Tordre de passer en Sardaigne. 11 était remplacé par M. Atlilius
chargé de continuer les hostilités contre les Corses avec une
armée de 1500 fantassins et 300 cavaliers 2.
Ce préteur semble avoir échoué dans son entreprise puisque
nous trouvons bientôt le préteur C. Cicereius, (582-172), à la
tête du corps d'armée chargé de soumettre les Corses. Nous
manquons de détails sur le combat sanglant qui coûtait aux
insurgés sept mille morts et mille sept cents prisonniers. De ce
que durant Taction Cicereius se trouva dans Tobligation de
vouer un temple à Junon Moneta, nous pouvons supposer que
les Romains ont trouvé devant eux des adversaires acharnés et
qu'il n a fallu pas moins que l'intervention de la Divinité pour
en triompher. Le Sénat, du reste, paraîtn'avoir été que médiocre-
ment satisfait des succès du préteur, puisqu'il lui refuse les
1. Tite Live, L. XLI, 8, 1-2 ; XLI, 9, 1-10 ; XLI, 12, 5 ; XLI, 14, 4-5 ; XLI,
15, 6 ; XLI, 17, 1-4, 1. — C. I. L. t. I, p. 436.
2. Anno 580. M. Atilio prœtori provincia Sardinia obvenerat ; sed cum
legione nova, quam consules conscripserant, quinque milibus peditum,
trecenUs cquitibus, in Gorsicam jussus est trausire. Dum is ibi bellum
gereret, Goraelio proro^jatum impsrium, uti obUneret Sardiniam. Tite Live,
L. XLI, 21, 1.
•
LA CONQUÊTE. 81
honneurs du triomphe et le met dans l'obUgation de se
contenter de la traditionnelle ascension du Mont-Albain l.
La paix avait été accordée aux Corses moyennant un tribut
de deux mille livres de cire. Cinq ans après Cicerius accomplis-
sait son vœu en inaugurant le temple de Junon Moneta. Les
résultats de ces luttes incessantes ne semblent pas avoir beau-
coup avancé Toccupation de Tîle : « Dans cette rude terre de la
Corse, les Romains imitant les Phéniciens se contentèrent de
Toccupation des côtes. Avec les indigènes de l'intérieur il y eut
des combats quotidiens, ou plutôt de vraies chasses humaines.
On les poursuivait avec des chiens : une fois pris ils étaient
conduits aussitôt sur le marché aux esclaves 2 ».
Nous pouvons encore trouver la trace de ces interminables
combats dans quelques historiens. M. Juventius Thalna se
trouvait dans l'île de Corse qu'il venait de subjuguer lorsqu'il
reçoit un message qui lui annonce que le Sénat a décrété, en
son honneur, des actions de grâces aux dieux. Dans un trans-
port de joie il tombe et expire au pied des autels, sans avoir pu
achever le sacrifice qu'il était en train d'offrir 3. II semble avoir
}, Aono 581. L. Postumius Albinus, M. Popillius Lsenas cum omnium
primum de provinciis et exercitibus ad senatum retulissent,.... mille et
quingenti pedites Romani cum centum equitibus scribi jussi, cum quibus
prœtor, cul Sardinia obtlgîsset, in Corsicam transgressus bellum gereret :
intérim M. Atilius vêtus prsetor provinciam obtineret Sardiniam. Tite Live,
XLH, 1, 1-5. Ç. Cicereius praetor in Corsica signis conlatis pugnavit ; septem
milia Corsorum cassa, capti amplius mille et septingenti. Voverat in ea pugna
prsetor sedem Junoni Monetae. Pax deinde data petentibus Corsis et cxacta
cerœ ducenta milia pondo. Ex Corsica subacta, Cicerius in Sardiniam trans-
misit. T. Live, XLH, 7, 1-2. — Anno 582. Priusquam proficiscerentur consules
G. Cicereio praetori priorls anni ad aedem Bellonse senatus datus est. Is expositis
quas in Corsica res gessisset, postulatoque frustra triumpho in monte Albano.
quod jam in morem venerat, ut sine publica auctoritate fieret, triumphavit.
Tite Live, XLII, 21, 6-7. — Acta triumph. Capitolina, (C. L L. t. I, p. 459) :
anno 582 : c. ci CER eius — f . — n T. PRO. AN. Dxxci
PR. EX. CORSICA. IN. MONTE. ALBANO. K. OCT.
2. Tite Live, XLV, 15, 9. — Mommsen, III, p. 87.
3. M. Juventius Tbalna, consul, collega Ti. Graccbi consulis iterum cum in
Corsica, quam nuper subegerat, sacrificaret, receptis litteris décrétas ci a senatu
supplicationcs nuntiantibus, intento illas animo legcns, caligine oborta ante
foculum collapsustnortuus humi jacuit. Valère Maxime, IX, 12.— Entre Cicerius et
Thalna, il y a lieu de placer les préteurs Cluvius Furius Philus, Fonteius Capito,
Papirius Carbo, Manlius Torquatus, dont nous ignorons les faits et gestes.
6
82 CHAPITRE V. § 1*^
eu pour successeur Ti. Sempronius P. Ti. N. Gracchus l. Huit
ans après (155 av. J. G.) le consul P. Gornelius Scipion Nasica
Corculum passait en Gorse et certes ce n'était point pour y
proclamer les bienfaits de la paix. Festus fait une gloire au
consul M. Gaecilius Metellus d'avoir dompté les Sardes et les
Gorses (115 av. J. G.) 2. Enfin il suffit à T. Albucius de rempor-
ter un léger avantage sur les brigands revêtus de peaux de la
province de Sardaigne pour qu'il s'adjuge une espèce de triom-
phe dans sa province 3. H est vrai qu'à Rome il fut condamné
pour crime de concussion, ce qui n'empêcha pas son successeur
le préteur G. Megabocchus de suivre son mauvais exemple. Les
gouverneurs romains n'étaient pas des modèles de vertu et de
probité 4.
Lorsque vinrent les sombres jours des guerres civiles les
Corses semblent s'être désintéressés d'une lutte qui ne pouvait
améliorer leur sort. Décimés et résignés, ils s'accommodent du
régime de terreur qui règne à Rome. Après s'être inclinés devant
Marins et devant Sylla, ils prennent parti pour Ginna ce qui ne
les empêche pas de rester impassibles devant la défaite et la
mort de son lieutenant Quintus Antonius, vaincu par Lucius
Philippus, un partisan de Sylla 5. Qu'importe aux insulaires
que le préteur s'appelle Valerius Triarius, L. Lucceius, Atius
Balbus, Glaudius Pulcher ou iEmilius Scaurus, le modèle des
gouverneurs prévaricateurs ? Pour trouver leurs noms il faut
aller les chercher dans les plaidoyers des avocats chargés de les
soustraire à la rigueur des lois 6.
Pompée, un instant maître des destinées de la République,
s'intéresse particulièrement aux provinces de Sicile et de Sar-
daigne. Il leur rend un service signalé en purgeant la mer
Tyrrhénienne des pirates qui avaient rendu la navigation
presque impossible 7. Domitius, son lieutenant, semble avoir
1. Cicéron, ad Quint, fr. II, 2, 1.
2. S. R. Festus, De Vict. et prov. populi Romani IV. — Act. Trump, Capit.
(C. I. L. I. p. 460). — Eutrope IV, 25.
3. Cicéron, Oratio de Prov, cons, VII, 15.
4. Cicéron, In Pisonem, 38, 92. Pro Scauro, 2, 40
5. Mommsen, p. 321, 340. — Tite-Live, Epit, LXXXVI.
6. Asconius, In Cic. Scaurîanam, p. 16. — Cicéron, Philipp, III, 6, 16 ;
Ad Atticum, II, 12, 1. — In Pisonem, 15, 35. — Pro Scaiiro, passim.
7. Appien, L. XCV.
LA CONQUÊTE. 83
fenrôlé quelques Corses ; nous lisons, en effet, dans Moinmsen
qu'à la défense de Marseille, contre les partisans de César,
Doinilius avait embarqué sur ses vaisseaux les mercenaires
massaliotes et ses propres esclaves-porteurs, ramassés dans les
îles et sur les côtes de Toscane l.
Mais c'est surtout comme point d'appui que les Pompéiens
utilisent les ports des deux îles. Un instant ils conçoivent le
projet d'affamer l'Italie. Ils possédaient toutes les provinces
d'où la capitale pouvait tirer ses subsistances. Ils avaient
Marcus Cotta en Sardaigiie et en Corse, Marcus Caton en Sicile.
Il était d'absolue nécessité pour César de prévenir l'ennemi et
de lui enlever les provinces à blé. Quintus Valérius passa en
Sardaigne avec une légion et força le commandant pompéien à
quitter les îles (49 av. J.-C.) 2.
Au second triumvirat la Corse et la Sardaigne sont attribuées
à Octave ; mais bientôt Menos, à la tête de la flotte de Sextus
Pompée, fils du grand Pompée, réussissait à s'emparer de la pro-
vince et à faire passer sous ses enseignes les deux légions
d'Octave (40 av. J.-C). Pompée Menodore devenait gouverneur
des deux îles.
Octave voulut reprendre la Sardaigne et envoya son affranchi
Hélénus pour la reconquérir. Celui-ci ayant été vaincu par
Menodore, le triumvir prit la direction des opérations.
Cependant Sextus Pompée, maître de la mer, bloquait les
ports italiens et affamait Rome. Au lieu de lui en faire un
reproche le peuple fut de plus en plus exaspéré contre Octave
qui, cédantàla pression populaire, consent à la paix de Misène,
reconnaissant ainsi comme appartenant à Sextus Pompée les
provinces de Sicile et de Sardaigne.
Pompée établit dans les trois îles un gouvernement despotique
à la mode asiatique ; il était devenu un vrai monarque, ayant
comme ministres d'intelligents affranchis orientaux de son
père, Menodore, Ménecrate Apollophane, transformés en ami-
raux et en gouverneurs. Beaucoup de nobles qui s'étaient réfu-
giés auprès de lui, et parmi eux le fils de Cicéron, se trouvaient
mal à l'aise dans ce gouvernement despotique ; il en résultait
1. Mommsen, t. VU, p. 271.
2. César, BelL ciu. I, 30, 31. — Appian.II, 41.
84 CHAPITRE V. § 1
er
même des mécontentements, des discordes des soupçons, qui
poussaient parfois Sextus à la cruauté et à la violence et qui
récemment lui avaient fait mettre à mort Staïus Murcus i.
Menodore ne tarda pas à se brouiller avec Sextus Pompée et
cédant aux sollicitations de son ami Philadelphe, affranchi
d'Octave, il passa à l'ennemi avec une flotte de soixante vais-
seaux et trois légions. Dès qu'il eut connaissance de la trahison,
Sextus envoya une flotte ravager les côtes d'Italie. Mais, réduit à
la possession de la Sicile, il ne tarda pas à succomber ; la
Corse et la Sardaigne restaient définitivement à Octave et for-
maient la troisième préture i.
§ 2. Organisation de la conquête.
Les Romains, dont l'esprit pratique allait jusqu'à la brutalité,
traitaient les pays soumis à leur domination en ne tenant
compte que de l'intérêt de la métropole. L'annexion de la Corse
s'imposait au point de vue militaire, mais que pouvait-elle
donner en compensation des sacrifices d'hommes et d'argent
qu'elle avait entraînés ? Rien, ou fort peu de chose.
Les Barbares et les Ligures qui forment le fond de la popula-
tion ont conservé tous les caractères des races primitives.
Retirés dans leurs repaires, cachés par la forêt immense,
protégés par des cordons de rochers d'un accès difficile, sans
aucune route praticable, ils ont évité le contact de la civilisa-
tion phénicienne, étrusque et grecque, et la stérilité du sol les a
préservés à la fois de l'humiliation de l'occupation étrangère et
des bienfaits du progrès. Ils se heurtent plutôt qu'ils ne se
mêlent aux colons d'Aleria et de Nicaea ; maîtres de la. mon-
tagne ils dédaignent l'étranger confiné dans la plaine qui, déjà,
comme en témoignent Tite-Live et Sénèque, est réputée pour
son insalubrité 2.
Les historiens sont muets sur l'organisation et l'administra-
tion de la Corse et de la Sardaigne, pendant les premières
années qui suivirent la conquête. « Toutefois, dit Klein, on peut
1. Dion, X. 4, VIII, 45, 5-7. — Appian, Bell. ciu. V, 78, 80. — Orose, VI,
18. — Suétone, Aiig, 74.
2. Tite-Live, chap. XV. — Sénèque, Ad Helviam,
LA CONQUÊTE. 85
présumer que ces deux îles ont été provisoirement administrées
comme la Sicile, par un fonctionnaire extraordinaire. Ce qui
est à peu près certain c'est que, même sous ce gouvernement
provisoire, elles faisaient partie de la même administration,
comme l'indique clairement Sextus Rufus : « luncta adminis-
tralio harum insularum fuerat : post suos praetores habuit. »
Plus tard, lorsque en 521 zn 233 Faministration de la province
fut organisée en même temps que celle de la Sicile et qu'elle fut
confiée à un préleur, nommé pour un an, on maintint la réu-
nion des deux îles, sous un seul ressort administratif.
Il demeure entendu, comme l'indique Mommsen, que l'ap-
pellation Sardinia désigne toujours la province formée de la
réunion de la Corse et de la Sardaigne l.
La province était commandée par un préteur ou un procon-
sul, à la fois général, administrateur civil et politique, et juge
souverain dans toute l'étendue de son gouvernement. Le préteur
ou le proconsul résidait à Calaris (Cagliari) en Sardaigne 2, il
était assisté de trois lieutenants (J.egati) au moins, dont un rési-
dait en Corse, à Aleria, selon toute probabilité.
Au point de vue des droits politiques reconnus à ses habi-
tants, la Sardinia était une des provinces les moins favorisées ;
son territoire était ager piiblicas, c'est-à-dire la propriété, le pa-
trimoine du peuple romain 3; les impôts qui la frappaient étaient
excessifs. Le vainqueur impitoyable prélevait la dîme sur tous
les produits de la terre. Blé, vin, huile, menus grains, résine,
cire, miel, tout est redevable et tout est bon. A la dîme venait
s'ajouter le stipendium, le tribut. Ce n'est pas encore tout. En
cas de besoins impérieux le préteur recevait l'ordre de lever une
seconde dîme. Pendant la guerre de Macédoine les Corses et les
Sardes sont mis dans l'obligation, non seulement de payer cette
deuxième dîme, mais encore d'en transporter les produits sur
la base d'opérations de l'armée. Le transport de Cagliari ou
d'Aleria jusque dans les ports macédoniens est à la charge des
insulaires 4.
A ces taxes ordinaires et permanentes, les généraux, les pro-
1. Klein. — Mommsen.
2. Marmora (de la,) La Sardaigne, passim.
3. Cicéron, Pro Balbo, XVIII, 41. - Tite-Live, XXIII, 32, 9.
4. Tite-Live, XXXVI, 2, 13. - XXXVIl, 2, 10, 12, 50. - XLI, 8, 31.
86 CHAPITRE V. § 2.
consuls, les préteurs et les propréteurs ajoutent la faculté de
prélever sur le pays, les bêtes de somme, les bestiaux, les four-
rages, les vaisseaux, les esclaves, tout en un mot. Mais ce droit
de réquisition, légal après tout, ne suffît pas aux vertueux
gouverneurs de la République ; ils ont, dans ce cas, des comptes
à rendre au Sénat et tout en réduisant les insulaires à la misère,
ils ne s'enrichissent pas. Aussi n'hésitent-ils pas de dépasser
ces règles draconiennes pour spolier, à leur profit, leurs mal-
heureux administrés.
Parmi ces nréteurs concussionnaires, l'histoire nous a
conservé le nom de Scaurus ; accusé par P. Valerius Triarius,
il est traduit devant un tribunal présidé par Caton et com-
posé de 22 sénateurs, 23 chevaliers et deux tribuns l. Ou
poursuivit une enquête sur place et il fut démontré jusqu'à
l'évidence que le préteur avait insolemment pillé la province ;
mais l'accusé était défendu par Cicéron lui-même :
« Poposcit, imperavit, eripuit, cœgit », Scaurus a exigé,
ordonné, enlevé, arraché, s'écrie le grand avocat, mais où est la
preuve ? Il n'y en a pas. Les Corses et les Sardes ne sont pas
dignes de foi ; la vanité de ce « ramassis d'Africains » est si
grande qu'entre la liberté et l'esclavage, elle ne connaît d'autre
différence que la licence de mentir » 2.
Heureusement qu'un Romain s'est chargé de répondre à
Cicéron : « M. Emilius Scaurus, écrit Valère Maxime, présenta
aux juges des moyens si faibles, une défense si pitoyable que
l'accusateur osa dire : « La loi me permet d'appeler en témoi-
gnage cent-vingt personnes ; je consens que Scaurus soit
acquitté s'il peut en citer un égal nombre à qui il n'est rien
enlevé dans son gouvernement. Tout avantageuse qu'était une
pareille condition, l'accusé ne put répondre. Néanmoins en
considération de l'ancienneté de sa noblesse et de la mémoire
encore récente de son père, il fut acquitté. » 3.
T. Albucius et G. Megaboccus furent moins heureux ; ils
1. Subscripserunt Triario in Scaurum L. Marius, L. filius, M. et Q. Pacuvii
fratres, cognomine Claudi, qui ad inquisiUonem in Sardiniam, itemque in
Corsicaminsulasdiestricenosacceperunt, nequeprofecti sunt ad inquirendum.
Asconius, In. Scaurianam,
2. Cicéron, Plaidoyer pour Scaurus, passim.
3. Valère Maxime, L. VIII, ch. 1,
LA CONQUÊTE. 87
furent condamnés à leur retour de la pro\'ince de Sardinia, bien
que plusieurs témoins à décharge se fussent présentés l.
A côté de ces gouverneurs prévaricateurs d'autres font sentir
aux provinces une administration correcte et bienfaisante.
Caton, en Sardaigne et en Corse, voyageait à pied suivi d'un
seul esclave qui portait son manteau et sa coupe à libations 2.
L'histoire pourrait encore pardonner à la République toutes
les rigueurs de son administration si, en échange d'impôts
excessifs, elle avait contribué, par de sages mesures et d'utiles
travaux, à développer la prospérité de la Corse. L'unique tronçon
de voie romaine ne date que de l'époque impériale et nous en
parlerons plus loin.
Non seulement la République Romaine a négligé la Corse,
mais sa tyrannie a étouffé tout germe de liberté et d'initiative.
Dans l'île nous ne trouvons aucune trace de cité libre ou de
cité fédérée, qu'il s'agisse de civitates sines fœdere immunes et
liberœ ou de civitates fœderatse ayant les unes et les autres
conservé leurs lois propres et la faculté de vivre suivant les
règles de leur ancienne constitution. Ici rien que des cités
sujettes, civitates stipendiant, considérées comme taillables et
corvéables à merci.
Elles étaient la grande source de revenus et constituaient
véritablement la provincia, le prœdium au sens romain du
mot 3.
Le droit y est pérégrin, les magistrats y sont, non des duum-
virs ou des édiles, images des magistrats romains, mais des
sufFètes, des iindecimprimi, des magistratus anniiales. Les civi-
tates restent en dehors de la cité romaine pressurées par les
gouverneurs de la province et pillées impunément par les
colons.
En effet il y avait en Corse deux colonies romaines :
Mariana fondée par Marins et Alerta par Sylla. Si nous en
croyons Sénèque, il s'agirait de colonies de citoyens romains
(Romanx colonise) 4. S'agit-il de colonies civiles, plebeiœ,
1. Cicéron, In Pisonem 38, 92. — Pro Scauro 2, 40.
2. Person, Adm. des prov. romaines sous la république, p. 322.
3. C. Halgan, p. 51, 58, 80, 82. — Cicéron, Pro Scauro II, 4, 44.
4. Deductœ deinde sunt duse civium Romanorum colonise, altéra a Mario,
altéra a Sylla. Consolatio ad Helviam,
88 CHAPITRE V. § 2.
de légionnaires, togatœ, ou bien nous trouvons-nous en pré-
sence de colonies militaires, militares, composées de citoyens et
de vétérans ? Gregori, avec son inconteslable compétence, pense
que Mariana était une colonie civile et Aleria une colonie mili-
taire 1. D'après lui, Mariana ne peut être classée parmi les
colonies militaires puisque, à sa connaissance, leur création ne
daterait que de Sylla. M. Halgan, au contraire, s'appuyant sur le
témoignage formel de Velleius Paterculus, classe Mariana parmi
les colonies militaires. Il est universellement admis aujourd'hui .
que, depuis l'an 100, on se préoccupa surtout, dans la colonisa-
tion nouvelle, de récompenser les soldats libérés en leur accor-
dant la propriété d'un champ 2.
Créées pour débarrasser l'Italie de bandes d'aventuriers, de
fauteurs de désordes, de soldats de l'émeute, ces colonies étaient
loin d'apporter dans l'île un élément de civilisation et de pro-
grès. Les Vanacini, les Syrbi et les Opini, spoliés de leurs ter-
ritoires, au mépris des droits les plus sacrés,^ ne durent jamais
considérer d'un bon œil, la vile soldatesque installée sur le sol
de la patrie.
Deux colonies de brigands, tels sont les avantages que la
Corse a retirés de la domination républicaine.
On peut se consoler en songeant que les autres provinces
r
n'étaient pas mieux partagées ; « Ecrasées, sous la République,
par tous les partis qui ne s'entendaient que sur ce point, la
situation devint supportable du jour où l'empire romain appar-
tint à un seul maître reconnu et sûr du lendemain. A celui qui
les délivra de l'insupportable tyrannie du soldat et du peuple,
les populations- reconnaissantes érigèrent des temples et des
autels. Elles l'adorèrent comme un Dieu : Divus Aiigustus ! »
1. Gregori, Loc. cit. I, p. XXV.
2. Halgan, Essai sur l'administration des provinces sénatoriales dans
l'empire romain, Paris, Fontemoing 1898. P. 95. — Neque facile mémorise
mandaverim, quae, nisi militaris, post hoc tempus (VI« consulat de Marius)
deducta sit. Velleius Paterculus, Hist. Romaine, 1. I, § XV.
CHAPITRE VI.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS.
Sommaire. — § 1. Evénements survenus en Corse sous le gouverne-
ment impérial. — § 2. Cliangements successifs dans le gouverne-
ment de la Sardinia. — § 3. Administration et organisation de la
Corse avant Dioclétien. — § 4. Le christianisme en Corse. — § 5.
Administration de la Corse après Dioclétien. — § 6. Situation de la
Corse au IVo siècle.
§ 1. Evénements survenus en Corse sous le gouvernement impérial.
A ravènement d'Auguste, l'empire romain comprenait vingt-
deux provinces. En l'an 27, avant notre ère, l'empereur fit deux
parts de ces immenses territoires ; il se réserva l'une tandis
qu'il attribua l'autre au Sénat : d'où la division en provinces
impériales et provinces sénatoriales.
Parmi les provinces sénatoriales nous trouvons la Corse et la
Sardaignc réunies sous le même commandement l. Elles reçu-
rent comme gouverneur un proprœtor, investi du titre de
proconsul et assisté d'un legatas et d'un quxstor 2.
L'Empereur, lorsqu'il avait fait le partage, avait attribué au
Sénat les provinces où la tranquillité semblait établie. Il voulait,
disait-il, lui laisser tous les agréments du pouvoir, et prendre
pour lui les soucis et les dangers de la situation ; en fait, il
n'entendait laisser au Sénat que les pays où ne se trouvaient
point de troupes, afin d'avoir toujours toute l'armée dans sa
main.
La Corse et la Sardaigne à ce point de vue rentraient difficile-
ment dans le cadre tracé. L'une et l'autre, depuis longtemps
conquises, n'étaient pas aux frontières ; le Sénat, à ce titre,
1. Strabon, XVIL
2. Dion Cassius, LUI, 12.
90 ^ CHAPITRE VI. § l**.
pouvait les revendiquer. Mais le caractère mobile et turbulent
des habitants, la nature de leur sol accidenté, allaient bientôt
faire sentir la nécessité d'une occupation armée. Quelques
années avant l'ère chrétienne, ces hardis montagnards orga-
nisent une résistance sérieuse contre les vainqueurs. La situation
devint assez critique ; le proconsul sénatorial n'avait pas à sa
disposition les éléments indispensables pour le rétablissement
de l'ordre, aussi Auguste n'hésita-t-il pas à intervenir.
En l'an 6 de notre ère, un procurator vint prendre la direction
des affaires de la province qui fut considérée comme impé-
riale. Dion Cassius fait allusion à ces divers événements : « Dans
« certains pays le brigandage était tel qu'en Sardaigne, par
« exemple, pendant des années, on y envoyait non pas des
« sénateurs, mais des commandants de cavalerie avec des
a soldats l. »
La Sardaigne passa donc à l'Empereur, la Corse parait avoir
suivi son sort.
Dès lors, si les généraux ne renoncent pas entièrement à leurs
opérations de police intéressées ; si la chasse aux esclaves se
pratique sur une échelle encore trop vaste, il n'en est pas moins
vrai que les provinces commencent à respirer. La démagogie de
la république agonisante a fait place à des fonctionnaires impé-
riaux dont la responsabilité n'est plus un vain mot. Les cités
maritimes, attirées par le commerce, s'attachent à la métropole
et gagnent, sinon leur indépendance, tout au moins une certaine
autonomie.
L'Empereur divinisé eut ses autels dont une inscription
d'Aleria nous a conservé le souvenir 2. Mais ce n'est pas seule-
ment les colonies qui se montrent reconnaissantes envers l'au-
torité impériale ; la civitas indigène des Vanacini entretient
1. Dion Cassius, LXV, 28.
2. Imp(eratori) Caesari Di[vi f(ilio)], Augusto, pontifici
maxim [»], co(n)s(uli) XI, imp(eratori) XII (ou XIII) ;
G(aio) Cœsari, Augusti f(iIio) ;
[ L(ucio) Csesari, Augusti f(ilio) ;
Dec(uriones) et c(oloni) c(oloniœ) V(eneriaB) P(acataB ?)
R(estitutae) [Aleriae] patronis.
C. I. L. t. X, no 8035. Nous suivons la reproduction donnée par M. Espé-
randieu, Inscriptions antiques de la Corse, p. 18,
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS.
aussi ses prêtres d'Auguste et Ton peut, sans être taxé de témé^
rite, conjecturer que cet exemple fut généralement suivi. En
retour, l'Empereur accorde des privilèges appréciables et fait
sentir sur les nations vaincues une bienveillance qui se traduit,
chez les fonctionnaires, par une diminution de tracasseries et
d'exigences.
Ni Tibère, ni Caligula ne semblent s'être intéressés à la Corse.
Sous l'empereur Claude, Sénèque, soupçonné d'être l'amant de
Lavilla, sœur de Caligula, est envoyé en exil dans le Nord de
l'île. Nous savons par ce philosophe que la civilisation romaine
n'avait fait que des progrès insignifiants; les indigènes parlaient
encore un idiome barbare, mélange confus de latin, de canta-
bre, de ligure et de grec i. « La terre où je suis, dit-il avec
amertume, ne produit pas des arbres utiles ou de pur agré-
ment ; elle n'est pas arrosée par des fleuves profonds et navi-
gables et suffit à peine à nourrir ses habitants ; on n'y taille
point de pierres précieuses, on n'en tire point de minerai d'or
ou d'argent. Le sort m'a jeté dans un p^s où la demeure la
plus spacieuse est une cabane » 2.
Il est vrai que plus tard, au contact de la vie bruyante de la
Ville Eternelle, il se prendra à regretter le beau ciel du Cap
Corse :« J'étais plus heureux, à l'abri de l'envie, dans ma retraite
« solitaire où la mer de Corse m'entourait de ses flots ; j'étais
« le maître de tous mes instants, et mon esprit, librement et
« sans trouble, se livrait à ses études chéries. Avec quel ravis-
« sèment je contemplais le ciel, chef d'œuvre de la nature, et
« la gloire de son éternel auteur, et le cours harmonieux des
<( astres, et le lever et le coucher du soleil, et le disque de la
« lune avec son cortège d'étoiles filantes, et le brillant éclat de
« la voûte céleste 3 .»
Sous Néron, Vipsanius Lena, procurateur de la province,
exploita ses administrés au point que l'Empereur n'hésita pas
à le traduire devant les tribunaux pour crime de concussion et
de pillage *. Et pourtant les populations subissent le joug du
1. Sénéque, Consolation à Polybe, XXXVII.
2. Sénéque, Consolation à Helvie, IX.
3. Sénéque, Tragédies : Octavia, acte II, vers 377.
4t Tacite, Annales XIII, 30.
92 CHAPITRE VI. § V.
vainqueur sans murmurer. La pacification paraît complète et,
en Tan 67, l'empereur rendait la Sardinia au Sénat en dédomma-
gement de TAchaie, dont l'indépendance avait été publiquement
proclamée aux jeux isthmiques de Corinthe, en l'honneur de
Neptune i.
A la mort de Galba, Othon et Vitellius se disputent l'empire.
Les prétoriens, les légions d'Afrique, d'Asie et d'Esfpagne pren-
nent parti pour Othon ; les légions de Germanie se rangent du
côté de Vitellius. La Corse, gouvernée par le procurateur Deci-
mus Pacarius, ennemi personnel d'Othon, reste un instant
indécise. Intimidés par la victoire navale qu'Othon venait de
gagner, les insulaires ne paraissaient pas décidés à épouser les
rancunes de leur chef. Pacarius n'en restait pas moins résolu à
aider Vitellius de toutes les forces de son île. « Il convoque les
« principaux personnages, et leur fait part de ses projets ;
« comme Ciaudius Phirricus, triérarque des galères station-
« nées dans l'île, et Q. Certus chevalier romain, osent le
« contredire, il les fait tuer. Le reste de l'assemblée qu'intimide
« leur mort, et, avec eux, cette foule imbécile qui partage
« aveuglement les frayeurs d'autrui, jurent obéissance à
« Vitellius. Mais, aussitôt que Pacarius eut commencé à faire
« des levées, et à fatiguer d'exercices militaires des hommes
« étrangers à la discipline, dans leur aversion pour ces travaux
« inaccoutumés, ils se mettent à réfléchir sur leur propre impuis-
« sance, sur la position de leur pays, qui était une île, sur
« l'éloignement de la Germanie et de ses légions, sur les ravages
« de la flotte dans les contrées même, que protégeait une
« armée. Tout à coup leurs dispositions changent. Ils n'em-
« ploient pas cependant la force ouverte, choisissent un moment
« où Pacarius avait renvoyé sa suite, et, le surprenant dans le
« bain, ils le tuent. Ses amis furent massacrés. Toutes ces têtes
« furent portées à Othon par les meurtriers eux-mêmes,
« comme les têtes d'autant d'ennemis ; et ni Othon ne récom-
« pensa, ni Vittellius ne punit une action qui, dans ce long
« amas d'atrocités, se perdit parmi de plus grands forfaits 2. »
La conséquence de ces troubles, ne pouvait manquer d'avoir
1. Pausanias, VII, 17.
2. Tacite, HistoireSy L. II, 16.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. 93
son contre-coup en Corse ; il était tout naturel de rendre les
insulaires responsables de la politique des généraux romains.
Les privilèges accordés par Auguste sont retirés ; des discus-
sions s'élèvent entre les civitates et il est probable que le
désordre s'était généralisé puisque Vespasien crut prudent de
retirer la province au Sénat pour en confier le commandernent
à un procurator impérial. Son choix se fixa surOctalius Sagitta,
administrateur probe et intègre, digne du respect et de la recon-
naissance de ses administrés. Grâce à sa bienveillante interven-
tion les insulaires rentrent dans leurs privilèges, l'apaisement
se fait entre les populations qui trouvent enfin des gouverneurs
et des magistrats animés de l'esprit de justice et d'équitté l.
Nous arrivons maintenant à une période où les textes font
défaut au point qu'il est impossible de rien avancer avec préci-
sion. Il ne faut pas nous en plaindre. Si l'histoire est muette,
c'est que l'île jouit enfin d'une paix complète qui lui permet de
se développer normalement, sous la protection des institutions
impériales. En étudiant l'organisation administrative de la pro-
vince nous aurons l'occasion de passer en revue les rares
documents qui peuvent nous intéresser.
§ 2. — Changements successifs dans le gouvernement
de la Sardinia.
La Corse et la Sardaigne, nous l'avons vu, ne formaient qu'une
province : la Sardinia qui, tour à tour, sénatoriale et impériale,
1. Imp. Csesar Vespasianus Augustus magistratibus et senatoribus Vanaci-
norum salutem dicit.
Octacilium Sagittam amicum et procuratorem meum, ita vobis prœfuisse,
ut testimonium vestrum mereretur, delector.
De controversia finium, quam habetis cum Marianis, pendent! ex is agris,
quos a procuratore meo Publilio Memoriale emistis, ut finiret Claudius
Glemens, procurator meus, scripsi ei et mensorem misi.
Bénéficia tributa vobis ab divo Augusto post septimum consulatum quœ in
tempore Galbse retinuistis, confirmo. Egerunt legati Lasemo, Leucani
f (ilius), sacerd (os) Aug (usti), Eunus, Tomasi f (ilius), sacerd (os) Aug (usti).
C. Arruntio Catellio Celere, M. Arruntio Aquila co(n)s(ulibus), IHI idus
Octobr (es).
C. L L. t. X, no 8038.
94 CHAPITRE VI. § 2.
SOUS Auguste, fut rendue au Sénat par Néron comme dédomma-
gement de l'Achaie i, dans le cours de Tannée 67.
Le Sénat conserva très probablement la province jusqu'au
règne de Vespasien ; ce dernier la reprit et en confia la direc-
tion à un procurator impérial. L'inscription de Sestlniim 2 ne
laisse aucun doute sur le caractère sénatorial de l'administra-
tion de la Sardinia, dans la période comprise entre Néron et
Vespasien 3.
Sous Marc-Aurèle, vers l'an 172 apr. J.-C, la Sardinia est
encore restituée au Sénat, en échange de la Baetica 4 ; elle
retombe sous l'autorité directe de l'empereur à la fin du règne
de Commode, aux environs de l'année 190, et aucun changement
ne paraît devoir être signalé jusque à la fin du iv® siècle. Dans
ces diverses fluctuations, la Corse a-t-elie suivi la destinée de
la Sardaigne ? Mommsen, Marquardt et Klein partagent cette
opinion 5, contestée par Zumpt, Michon et Espérandieu.
Les deux îles étaient trop importantes pour ne constituer
qu'une province et, selon Zumpt, déjà, sous Auguste, elles ont dû
former deux procuratèles distinctes 6. Dans les premiers temps
de l'Empire, la Corse apparaît aux yeux de M. Espérandieu,
comme ayant été comprise parmi les petites provinces dont
l'administration était confiée, non pas à des légats de rang
sénatorial, mais à des préfets qui appartenaient à l'ordre
équestre 7, Cela, ajoute-t-il, résulte d'une inscription de Savoie
où il est fait mention d'un personnage appelé L. Vibrius Puni-
1. Pausanias, VII, 17, 2.
2. Ballet, dell. Inst., 1856, p. 140, n» 3. — Mommsen, Hermès, II, p. 173.
3. Halgan (C), Essai sur V administration des provinces sénatoriales sous
l'empire romain, p. 17.
4. Spartianus, Sever., Il, 3.
5. Klein (I), Die Verwaltungsbeamten von Sicilien und Sardinien ; Bonn,
£mil Strauss, 1878. p. 259, 270 et 271. —Mommsen et Marquardt, Manuel des
Antiquités romaines, IX, 59. — Marquardt, Organisation de l'Empire romain,
t. II, p. 59, 60 et 61. Trad. franc., Paris 1892. — Michon (Etienne), Admi-
nistration de la Corse sous la domination romaine, extrait des Mélanges
d*archéologie et d'histoire. Ecole française d'Athènes, viii« année, Paris-Rome,
1888, p. 411-425.
6. Zumpt, Comment, épigr. II, p. 268.
7. Espérandieu, Inscriptions antiques de la Corse, p. 30-38.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. 95
eus, qui joignait à ses différents titres, celui de prxfectus
Corsicœ 1.
Ces conclusions viennent à rencontre d'un passage de Stra-
bon, attestant qu'en Tan 727 de Rome, Auguste fit de la Corse et
de la Sardaigne une seule province prétoriale 2 ; elles sont en
contradiction avec le texte de Rufus qui proclame l'union des
deux îles, au moins jusqu'à la fin du i®^ siècle 3. C'est pourquoi
Mommsen et Macquardt croient à l'union des deux îles jusqu'au
règne de Dioclétien ; depuis, disent-ils, elles ont formé des pro-
vinces distinctes, ayant chacune un prœses,
Michon, reprenant la question, est d'avis qu'à partir du règne
de Néron la Corse cessa de dépendre du préteur de Sardaigne.
Il croit que le texte de Rufus, peu clair et n'entrant pas dans les
détails du changement de gouvernement, a été altéré; au lieu de :
« Les deux îles avaient d'abord une administration commune ;
chacune d'elles eut ensuite ses préteurs ; l'une et l'autre, aujour-
d'hui, a son praeses particulier », il propose de lire : « Les deux
îles avaient d'abord une administration commune, confiée à des
préteurs ; elles sont aujourd'hui, l'une et l'autre, administrées
par des praeses. »
L'argumentation de M. Michon s'étend à tous les textes avec
une habileté des plus remarquables. Tout en reconnaissant que
la question reste indécise, il se prononce pour la séparation des
deux îles après Néron. S'appuyant sur Pausanias il explique que
cet empereur donna aux Romains, en échange de la Grèce, la
1. L. Vibrîo A. (f.) VoL Punico praef. equitum, primopilo, trib. miL, praef.
Corsicœ, Vibrîus Punicus Octavianas patri merentissimo. C. /. L. t. XII,
no 2,455. Inscription de Monfalcon, près d'Aix-les-Bains, publiée, pour la
première fois, par Allmer, Inscriptions de Vienne, t. I. p. 254. Reproduite
par Espérandieu.
2. Strabon, Géographie, XVII, 3, 25.
3. Sextus Rufus Festus, Breviarium de Victoriis et Provinciis populi
Romani, c. IV : « Sardiniam et Corsicam Metellus vicit : qui et triumpliavit
« de Sardis qui rebellevare ssepe. Juncta administratio harum insularum
« fuerat ; post quœlibet suos prsetores habuit : nu ne singulœ a suis prsesidi-
« bus reguntur. » Michon propose de lire : « Juncta administratio harum
insularum fuerat, quœ suos prœtores habuit, nunc singulœ prsesidibus regun-
tur. » ou : Juncta administratio harum insularum fuerat post suos prœtores
habuit, nunc singulse praesidibus reguntur. » La correction adoptée dans
toutes les anciennes éditions « post suos prœtores habuit » est, dit Michon,
en contradiction formelle avec ce que nous savons des deux îles.
96 CHAPITRE VI. § 2.
très fertile île de la Sardaigne et non la province deSardaîgne. i »
Pour lui le procuraior de Corse mentionné par Tacite 2 ne peut
être, comme Tinsinue Mommsen, un simple agent financier, un
fonctionnaire impérial, comme on en trouve aussi dans les
provinces sénatoriales, mais bien un procuraior de l'Empereur.
Il fait ressortir la valeur des inscriptions relatives aux gouver-
neurs impériaux de l'île de Corse 3, enfin à Mommsen et Mar-
quardt, partisans de la séparation des deux îles après Diocté-
tien 4, il oppose Mommsen lui-même qui, dans le Corpus, se
prononce pour cette séparation, après Néron 5.
Klein, nous l'avons dit, croit qu'après Néron les deux îles
restèrent unies, et soutient que les procurateurs cités par le
rescrit aux Vanacini gouvernaient aussi la Sardaigne.
Dans une pareille question la circonspection est de rigueur.
Lorsqu'on n'a pas de textes nouveaux à opposer, il y a lieu de
s'en tenir aux opinions des érudits éminents que nous venons
de citer. Un instant j'avais cru que l'histoire ecclésiastique de
l'île pourrait éclairer le sujet. L'église, en effet, a adopté, d'une
manière générale, les divisions administratives de l'empire
romain. Le titre de primat de Corse et de Sardaigne donné à
Lucifer, évêque de Cagliari (360), pourrait faire croire que les
deux îles étaient restées unies longtemps après l'introduction
du christianisme, mais l'épitaphe actuelle est, paraît-il, du
xv« siècle, elle est donc sans valeur.
Peut-on en dire autant du texte des Bollandistes qui fait
mention du praeses Barbarus gouverneur de la Corse au
temps de Dioctétien 6 ? L'erreur de date est manifeste mais elle
n'est pas suffisante pour enlever toute autorité au texte qui se
1. Pausanias, VII, 17, 3.
2. Histoires, II, 6. (Voir page 92).
3. Inscription de Vibrius Punicus, reproduite à la page 95, note 1. —
Inscription de Julius Longinus trouvée à Aleria : « Diis manibus sacr(um).
Tettiae Maternae, optimœ uxori, L(ucius) Julius Longinus, proc(urator)
Aug(usti). Espérandieu, p. 76. — Rescrit aux Vanacini, voir page 93, note 1.
4. Marquardt, Organisation de l'Empire romain, p. 59-61.
5. C. I. L. t. X, pars II, p. 835.
6. Temporibus Diocletiani et Maximiani Imperatorum, puella qusedam,
nomine Deivotae, fuit in insula quse vocatur Corsica. Audiens autem quod
Barbarus prseses ibidem esset venturus...
Hic jacet B. M. Lucifer arcepis. Calaritanus primarius Sardinise et Ck)rsicse,
etc. Ad. Sanct. t. V, p. 210 et 217.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. 97
trouve corroboré par d'autres textes assez explicites pour fixer
l'attention. En effet, un Barbarus est mentionné par une ins-
cription de Cagliari avec la qualité deprsefectas provinciœ Sardi-
niœ, et de procurator de trois empereurs. Ces trois empereurs,
d'après Klein, seraient représentés parSeptime Sévère, Cara-
calla et Géta l. Or, si nous en croyons Semidei dans la deuxième
leçon de l'ancien office de saint Prote et de saint Gavin, de
nationalité sarde, Barbarus aurait gouverné la Sardaigne et la
Corse 2. Il s'agit là d'une légende des plus anciennes, remontant
aux premiers siècles du christianisme, assez ancrée dans la
mémoire des fidèles pour avoir trouvé place dans les offices
divins. Elle est reproduite par tous les chroniqueurs corses et
sardes du moyen-âge ; elle nous paraît digne de foi. Dans ce
cas, il y aurait lieu d'admettre que, du temps de Caracalla, la
Sardaigne et la Corse ne formaient qu'une province et qu'elles
ne furent séparées qu'à partir de Dioctétien.
§ 3. Administration et organisation de la Corse avant Dioctétien.
Sous l'empire, la totalité des villes devaient rentrer dans la
catégorie des civitates stipendiant ; l'on n'y trouve la trace
d'aucun municipe romain, et l'on n'y relève toujours que deux
colonies : Aleria et Mariana.
L'empereur ou le Sénat était représenté dans l'île par un
procurateur ou un proconsul, véritable gouverneur jouissant des
pouvoirs les plus étendus. Klein s'est plu à dresser la liste de
tous ces fonctionnaires, en admettant, bien entendu, que la
Sardaigne et la Corse ne formaient qu'un seul gouvernement 3.
1. Q. Gabiano Barbaro, v(iro) e(gregio), a comment(ariis) praefec(ti) prset
(orio),... proc(uratori Aug(ustorum) trium n(ostrorum) praef(ecto) prov(inciae)
Sardiniae. Inscription de Cagliari, dans Klein, p. 272.
2. Factum est ut, dum quidam vir nomine Barbarus potestatem acciperet
super Corsicam et Sardiniam, pagani in ipsam Corsicam ante ipsum Barbarum
venientes dixerunt... Semidei, Descrizione del regno dl Corsica, p. 539. — Sicut
tamen sub Romani utraque insula, tanquam una provincia, uni paruisse
Prsesidi Barbare cognoscitur ex actis S. Saturnini, ita verisimiliter eidem
subfuit Métropolites saltem usque ad lustinianum imperatorem qui, post anno
quinquegentesimo, Sardiniam attribuens provinciœ Africœ, Corsicam Italise
videtur reliquisse. Acta Sanctorum, Vigesima secunda Maii, t. V, p. 217.
3. Nous donnons cette liste en appendice.
7
Ô8 CHAPITRE VI. § 3.
Le gouverneur était entouré de légats qui le remplaçaient
pendant son absence, et gouvernaient en son nom certains
districts provinciaux ; enfin dans chaque province un questeur
était préposé à la gestion des finances des deux îles.
Lorsque le gouverneur ou son légat rendait la justice, il
siégeait au forum, entouré d'un conseil. Un document
épigraphique, dit M. Halgan, nous donne la composition
du consilium dans une circonstance spéciale. Il s'agit du juge-
ment rendu par le procureur de Sardaigne, en l'an 68 de notre
ère. Etaient présents à cette audience : le legatus, le qusestor et
six personnes, sans titre, qui siégèrent en qualité d'assesseurs i.
Les gouverneurs, tant que durait leur office, n'étaient respon-
sables que devant l'Eknpereur. Aussi ne se gênaient-ils pas pour
commettre des abus de pouvoir, des déprédations et des oppres-
sions sans nombre. Heureusement, nous avons pu le constater,
quelques-uns d'entre eux, furent appelés par l'Empereur à rendre
compte de leurs actes de brigandage 2.
Administration de la Ciuitas.
Le fonctionnement delà ciuitas était assuré par trois éléments :
V* Le peuple ;
2® Le Sénat ou Curie ;
3° Les magistrats.
(al. Le peuple.
Les empereurs laissèrent-ils aux insulaires une ombre de
liberté ? Le peuple exerça-t-il une influence sur ses destinées ?
Nous avons peu de textes à notre disposition et les inscriptions
sont d'un laconisme décourageant. Nous savons par un passage
de Tacite que le procurator, au moment de prendre une décision
importante, convoque les principaux insulaires et les appelle à
son conseil : « vocatis principibus insulae, consilium aperit 3 ».
Nous trouvons là des indices probants de comices ou assemblées
locales puisque, à côté des chefs de clan, nous trouvons le peuple
lui-même, la multitude imbécile, turha ignara, pour employer
1. Halgan, p. 239. — Corp, Insc. Lat, t. II, 2129.
2. Damnatus isdem consulibus (Q. Volusio, P. Scipione) Vipsanius Lsenas
ob Sardiniam provinciam avare habitam. Tacite, Annales XIII, 30, (an 56).
3. Tacite, Histoires, L. II, 16. Voir page92.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. Ôd
l'énergique expression de l'historien. Une inscription d'Aleria
distingue entre les cives et les socii i. Il semble donc que la
Corse a eu, comme d'autres provinces, ses assemblées popu-
laires.
Le siège de ces assemblées devait êlre Aleria ou Mariana;
nous inclinons pour Aleria à cause de son ancienneté et de sa
situation.
fbj. Le Sénat municipal (curie).
Une inscriptions d'Aleria prouve que la colonie avait une
curie 2; enfin le rescrit de Vespasien, dont l'authenticité semble
admise par les érudits les pluséminents, mentionne le Sénat des
Vanacini. Il paraît logique d'admettre que les autres ciuitates
avait aussi leur curie, bien qu'aucun texte n'en fasse mention.
Toutefois, il y a lieu de se rappeler que le territoire des Vanacini
comprenait plusieurs ciuitates ; nous nous trouverions donc en
présence d'une curie de district et non d'une curie municipale.
L'île eut-elle, enfin, son concilium universœ Corsicœ ? nous
n'en savons rien.
/c/Les magistrats.
Les Vanacini avaient leurs magistrats ; il est probable que
les autres tribus étaient administrées de la même façon. Il
serait extraordinaire que des vainqueurs, sans scrupule et sans
conscience comme les Romains, se fussent privés d'un organe
aussi essentiel, pour assurer leur régime d'oppression et de
spoliation.
Organisation militaire.
Nous n'avons aucun renseignement sur les légions employées
à la conquête de la Corse. Il est certain cependant que les insu-
laires ne tardèrent pas à entrer dans la composition des armées
romaines. Tacite mentionne les levées faites par Pacarius,
(70 ap. J.-C.) ; la prétendue aversion de ces rudes montagnards
pour les travaux est contredite par l'inscription trouvée à
Sorgone, près Astis. Il est établi que, sous les régnes de
1. BulL épigr, t. VI, 1886, p. 182.
2. Ëspérandieu, p. 41.
100 CHAPITRE VI. § 3.
Nerva et de Domitien, les Corses entraient en grand nombre
dans la composition des cohortes I gemina Sardorum et Corsorum,
et II gemina Ligurum et Corsorum. Aujourd'hui il ne peut venir
à l'idée de personne de traduire, avec Baille et La Marmora,
Corsorum par Coureur. L'inscription de Sorgone jette une
lumière éclatante sur le congé militaire de Nerva i.
C'est par les services rendus dans l'armée romaine, que les
Corses gagnent, peu à peu et individuellement, le droit de cité ;
il est écrit que, même au prix de son sang, ce peuple ne pourra
jamais attirer sur son pays le regard bienveillant de ses conqué-
rants.
Bons cavaliers et bons fantassins,, les Corses étaient aussi
d'excellents marins. La flotte de Misène avait deux stations dans
l'île, l'une à Aleria et l'autre à Mariana. Le commandement de la
flottille était exercé par un triéraque des galères 2. Les inscrip-
tions nous signalent quelques matelots corses dans la flotte de
Ravenne.
Les marins corses, au service de Rome, devaient être nom-
breux. Ils sont signalés dans douze inscriptions différentes ;
l'un d'eux commandait une trirème, un autre étaient centurion.
1. Inscription de Sorgone : [Imp. Caesar, divi Vespa]siani f., Domitia[iius
Augustus Germa] nicus pontifex ma[ximus] tribuiiic[ia pot]estat[e] VII, imp.
XÏIII [censor perpetuus] cos. XIIII p[ater] p[atriœ].... [equitibus et petidibu]s
qui militant [in cohortîbus duab]us quœ appel]lantur I gemina Sardoru]m et
Corsorum [et II gemina Ligurum et] Corsorum et sunt in S[ardinia sub]
Herio Prisco, it[em dimissis hon]esta missione ex iis[dem cohortijbus
quinis et vicenis pluri[busve st]ipendiis emeritis, quorum [nomina subscr]
ipta sunt, ipsis liber[is posterisque eorum civitatem dedit]cet.
Corp. Inscr. Lat. X, p. 812. N» 7883.
Congé militaire délivré par Vempereur Nerva aux fantassins et aux cava-
liers des deux cohortes qui étaient en Sardaigne sous Tiberius Claudius Servi-
lius Geminus, Imp. Nerva Cœsar Augustus, pontifex maximus, consul II, p. p.
peditibus et equitibus, qui militant in cohortibus duabus, I gemina Sardorum
et Cursorum et II gemina Ligurum et Cursorum, quse sunt in Sardinia
qui quina et vicena plurave stipendia meruerunt, item dimisso honesta
missione emeritis stipendiis, quorum nomina subscripta sunt, ipsis liberis
posterisque corum civitatem dédit et conubium cum uxoribus, quas tuuc
habuissent, cum est civitas iis data, aut si qui cselibes essent, cum iis quas
postea duxissent, dum taxât singuli singulas.
Corp. Insc. Lat. t. X, p. 820, N» 7890. Diplôme publié pour la première fois par
Baille, (Memor. délia R. ac. délie scienze di Torino, 1821, t. XXXV. p. 201),
2. Tacite, Histoires, L. II. c. 16.
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. 101
Ils se recrutaient spécialement dans les régions de la Balagne, du
Cap-Corse, de Mariana et d'Alerîa i.
Les textes ne font aucune allusion aux milices locales que
Rome devait entretenir dans Tîle.
§ 4. Le Christianisme en Corse,
Le christianisme est venu d'Italie en Corse probablement à la
fin du i®*" siècle ou au début du ii«. Bien que les textes fassent
défaut, il est vraissemblable d'admettre, avec quelques écrivains
du moyen âge, que des chrétiens ont été envoyés dans les îles de
la Méditerranée par les premiers successeurs des apôtres, pour
y faire triompher leur doctrine et y annoncer la bonne nouvelle 2.
Mais il ne s'agit là que de conjectures respectables. Il y a donc
lieu de rejeter dans le domaine de la fantaisie les assertions des
Fara, des Pintus dont l'ardente piété s'appuie sur des textes
imaginaires de Suétone, d'Orose et de Josèphe pour démontrer
que, dès l'an 48, les chrétiens, expulsés de Rome, ont cherché
un refuge en Corse. Suétone ne dit pas en quelle année eut lieu ce
bannissement et le nom de la Corse n'est pas même prononcé.
Orose, il est vrai, en appelle à l'autorité de Josèphe, dans les
ouvrages duquel on ne retrouve rien sur ce fait 3. La prédication
de S^ Paul, en Corse, est aussi à rejeter dans le domaine des
légendes ; son voyage en Espagne n'est que problématique et, à
une époque où la navigation était surtout côtîère, il est permis de
supposer que, si ce voyage a réellement eu lieu, la route suivie a
été celle indiquée par la tradition : de Rome en Gaule et de là
en Espagne *.
La vérité, il y a lieu de le supposer, doit être plus simple.
Comme partout, le premier noyau de la population chrétienne
de la Corse a dû être formé d'affranchis, de portefaix, de soldats
et de marins, des classes méprisées en un mot. C'est dans la
1. Esperandieu, p. 1-16.
2. Manifestum sit ia omnem Italiam,Gallias, Hispanias, Africain et Siciliam,
nullum hominum instituisse Ecclesias, nisi eos quos venerabilis Petrus aut
ejus successores constituerunt sacerdotes. Baronius, Annales. — Hadc (Mariana)
fidem catholicam ab ipsis apostolorum temporibus suscepit, et proprios habuit
pastores. Ughelli, Italia sacra.
3. Suétone, Claude, 25. — Orose, Hist. VII, 6.
4. Renan, Les Apôtres, p. 26.
102 CHAPITRE VI. § 4.
foule abjecte des ports que les missionnaires de l'époque,
pauvres artisans sans sou ni maille, ont dû trouver les premiers
adhérents à une religion qui prêche l'égalité des hommes, le
mépris des richesses, et fait un devoir impérieux à chaque fidèle
de venir en aide à son prochain.
Il est donc naturel d'admettre avec les Bollandistes qu'au
début du III® siècle, deux prêtres, jetés par la tempête sur les
côtes de Corse, furent agréablement surpris de se trouver en
présence d'une population manifestement chrétienne l. La reli-
gion nouvelle a dû faire des adeptes par une infiltration allant
de la périphérie au centre de l'île. Nous chercherions vaine-
ment, comme dans la plupart des provinces, un apôtre du pays.
Il n'y avait pas d'effort à déployer pour convaincre ces éternels
opprimés de la nécessité d'espérer dans une vie meilleure, après
avoir trouvé sur terre un peu de pitié et de commisération.
Nous pouvons nous expliquer ainsi la pauvreté de l'hagyogra-
phie insulaire. En admettant comme authentiques les légendes
sacrées, que les Bollandistes, et derrière eux les prêtres de toutes
les époques, ont cherché à accréditer, la liste des martyrs et des
confesseurs de l'île est bien vite dressée. La vie de Sainte
Dévote, patronne de l'île, et de Sainte Julie, pourraient tenir en
quelques lignes ; Sainte Laurine, Saint Parthée, Saint Vindé-
mial. Saint Florent, Sainte Amanza et Sainte Restitute ne
semblent, s'ils ont tous existé, n'avoir laissé qu'un souvenir bien
effacé de leurs éclatantes vertus. L'histoire de leur vie est
inconnue et il ne nous appartient pas de faire ressortir le peu
de foi que l'on doit attacher à des textes récents, torturés et
amplifiés, pour faire sortir des ténèbres du temps ces symboles
vénérables des vertus de nos aïeux.
Il est néanmoins admissible que les premiers chrétiens corses
aient pu connaître les horreurs de la persécution. Il y a, croyons-
nous, au fond de la légende de Sainte Dévote, telle qu'elle est
rapportée par les Bollandistes, un fond de vérité dont il y a
lieu de tenir compte 2. Les empereurs, Dioctétien en particulier,
1. Tune sancta inter eos erat ista collucutio : Forsitan in his locis nos
vult divina clementia prsedicare ; sed quantum cognoscimus, omnes qui in
his locis versantur cliristiani manifestissimi sunt. Acta sanctoruirit éd. de
Vietor Palmé ; mois de mai, t. I, p. 36 et 37.
2. Temporibus Diocletiani'' et Maximiani Imperatorum, puella quœdam,
LA CORSE SOUS LES EMPEREURS ROMAINS. 103
ont persécuté les chrétiens de Rome et de l'Italie, pourquoi
âuraient-ilsépargné les chrétiens de la Corse? Que Sainte Dévote,
baptisée dès son enfance, ait cherché un refuge dans la maison
d'un notable nommé Eutychius qui a refusé de la livrer ; que la
malheureuse vierge ait préféré endurer le dernier supplice
plutôt que d'immoler des victimes aux idoles et d'offrir l'encens
à l'image impériale ; quoi de plus naturel I Ce prêtre qui vit
caché dans les grottes et les cavernes, à cause de la persécution
des païens ; ce pêcheur chrétien qui expose sa vie pour donner
à la martyre une sépulture honorable, reflètent bien les mœurs
et l'état d'âme des premiers adorateurs du Christ i. Il y a tout lieu
de croire que la grande persécution dirigée contre les chrétiens
corses eut lieu pendant l'administration du préfet Barbarus,
c'est à dire sous les règnes de Septime Sévère et de Caracalla.
Exécuteur des ordres cruels de l'Empereur, ce magistrat sema
l'épouvante au sein des populations adoucies delà Corse et delà
Sardaigne, et pendant que ses nobles victimes. Sainte Julie et
San Gavino, sont parvenus aux honneurs de l'autel, il est resté,
lui, le type de la barbarie et de la cruauté.
Il est certain que le premier évêque de la Corse remonte aux
premiers chrétiens installés sur les côtes. Mais l'évêque n'était
pas à cette époque ce qu'il est devenu plus tard, un personnage
officiel, investi de hautes fonctions sacerdotales, un pontife ;
c'était le père de la communauté chrétienne, souvent composée
de quelques individus, un homme juste et miséricordieux, père
des pauvres et soutien des orphelins, à la fois juge, conseiller,
nomine Deivota, ab infantia christiana fuit in insula quse vocatur Corsica.
Audiens autem quod Barbarus prœses ibidem esset venturus ad persequendos
christianos, surgens occulte venit ad domum cujusdam Senatoris, nomine
Euticii, propter metum et sacrilegia paganorum, ut ejus defensione, eam
liceret lege vivere cliristiana... Audiens Barbarus, indigne ferens injurias
illius, eam sic ligatis manipus equuleo suspendi jussit... Ipso tempore propter
persecutionem paganorum latitabat in speluncis et cavernis Benenatus Près-
byter Sabaudus et Apollinaris diaconus qui moniti sunt per visum, ut deberent
inde corpus beatîe Virginis deponere. Tune accepto consilio una cum Grati-
ano nauclero, cum multitudine virgînum nocte abstulerunt corpus ejus et
posucrunt in navi...
Acta ex chronoL Lerinen. Vin. Barralis,
1. n y a lieu de remarquer que Dévote (Deivota) et le prêtre Bienné
(Benenatus) sont des surnoms. Cette particularité nous paraît démon-
trer l'antiquité de la légende.
104 CHAPITRE VI. § 4.
•
infirmier et fossoyeur de ses coreligionnaires ; c'était Thonime de
bonne volonté, dévoué, héroïque, ennemi des grands et par eux
abhorré, aimé et vénéré des humbles dont il était le consolateur
et Tami. Rien de plus naturel que le souvenir de ces saints
confesseurs ait disparu avec les petits enfants de leurs ouailles i ;
c'est ainsi qu'avant le vi* siècle nous ne pouvons enregistrer
que le nom d'évêques problématiques. Ughelli cite bien un
Catonus, évêque de Mariana, comme ayant assisté au synode
d'Arles (314) ; M^*" de Guernes, dans sa liste des évêques
d'Aleria, met en avant l'évêque Eubolus, disciple de S*-Paul,
et l'évêque Crispinien, sacré vers l'an 92. Mais Ughelli four-
^nille d'erreurs et M^- Foata lui-même n'hésite pas à rayer
Catonus des évêques de l'île 2.
Pendant les six premiers siècles, l'histoire ecclésiastique de la
Corse se résume donc en des légendes dignes de respect.
Dans la lutte à mort qui eut lieu entre l'Empire et le Christia-
nisme, il est probable que les fidèles corses eurent leurs persé-
cuteurs. Plus tard, après la conversion des Empereurs, les
insulaires ont dû, par politique, suivre l'exemple de leurs
administrateurs. Au commencement du vi® siècle, le paganisme
se trouve refoulé sur les hauts plateaux, ainsi qu'en témoigne
la correspondance de Saint Grégoire-le-Grand que nous exami-
nerons plus loin.
Pendant que le Christianisme introduisait dans les provinces
des idées larges de solidarité et de fraternité, les Empereurs,
acculés par les événements, étaient obligés de faire une place
toujours plus grande aux Barbares. L'assimilation se faisait jour-
nellement d'elle-même, au point qu'au commencement du
m® siècle, Caracalla jugea opportun d'accorder le droit de cité à
l'empire romain tout entier 3. Dès lors, une ère nouvelle s'ouvre
1. Pendant les quatre premiers siècles de l'ère chrétienne l'abondance des
sièges épiscopaux était considérable. En 315, soixante dix évêques figurent au
concile provincial de Cartilage. Soixante dix évêques pour une province ! En
Orient, il y avait presque autant d'évêques que nous comptons aujourd'hui
de curés dans nos diocèses, (de Broglie L'Eglise et l'Empire au Vh siècle, t. Il,
c. IV, p. 15). Il est donc tout naturel que la plupart de ces évêques n'aient
laissé aucune trace.
2. Ma»" Foata, Recherches et notes diverses sur l'histoire de VEglise en
Corse, p. 184.
3. Digesta, 1. V, De statu hoonnu comme corres-
pondant au cap Corse nous pouvons dire, sans risque de nous
tromper, que Cœsix littus se trouve compris entre le cap Corse
et la pointe de Revellata.
La côte occidentale est limitée par le cap Attiiim et le cap
Marianum, Nous sommes convaincu qu'elle est parfaitement
déterminée. Les géographes qui ont voulu voir, dans Attii
promontorium, la pointe de l'Alciolo n'ont pas réfléchi que ce
dernier point se trouve sur la côte septentrionale. Ils ont fait de
la géographie sans s'aider de la carte, de plusieurs cartes, car
ils auraient pu constater que le promontoire de Ptolémée a
conservé son nom et figure sur la carte de l'état-major, (P® 260),
à 800 mètres au Sud du cap al Cavallo, sous le nom de Cap
d'Azzo.Ce n'est pas une erreur sérieuse que de faire commencer la
côte occidentale par ce dernier point, puisque la partie du rivage,
comprise entre le cap al Cavallo et la Pointe de Rivellata, est sensi-
blement exposée au N.-E. Une des exlrémitées de la côte occi-
dentale est donc bien déterminée par Ptolémée ; pouvons-nous
en dire autant de l'autre ?
Le Marianum promontorium et oppidum devrait se trou-
ver au cap Moro, d'après Limperani, au cap de Gatto, selon
Gregori ; Millier le recule plus au Sud, nous verrons pour-
quoi tout à l'heure, et l'identifie avec le cap Feno. Recou-
rons à nos cartes. La Corse, il ne faut pas l'oublier, a malheu-
reusement subi peu de transformations. Elle n'a pas été
bouleversée par des travaux gigantesques qui, d'un siècle à
l'autre, changent complètement la toponymie d'une région.
J'ai la profonde conviction qu'à l'aide du plan cadastral, des
esprits, tant soit peu rompus à la formation des noms de lieu
dérivés du latin, pourraient très exactement marquer l'empla-
cement de chaque point indiqué par les écrivains de l'antiquité.
Puisque la côte occidentale se termine au cap Senetosa
examinons si, dans les environs, nous ne trouvons pas un point
qui nous rappelle l'oppidum Marianum.
La carte de l'état-major nous donne, au fond de la baie deConca,
Ana et la ferme d'Ana. Nous avons bien la désinence deMariana
8
114 CHAPITRE VII. § 2.
mais ce n'est pas suffisant pour prouver que Ptolémée ne s'est
pas trompé. La carte levée de 1770 à 1791 et publiée en 1824
est heureusement, pour la région qui nous occupe, d'une incom-
parable clarté ; nous y trouvons successivement Arana, sur les
bords du golfe de Conca, et Mariana à environ 4 kilomètres
à l'intérieur des terres (P* 8). A moins de nier l'évidence, on
est obligé de convenir que l'oppidum Marianum se trouvait non
loin du golfe de Conca et que le territoire de la civitas em-
brassait la région comprise entre le golfe de Valinco et le port
de Tizzani, ainsi que l'attestent les noms de Campo-Moro,
d'Arana et de Mariana i.
En un mot, Ptolémée a parfaitement déterminé, à notre avis,
la côte occidentale de la Corse et tous les points qu'il indique
comme situés sur cette côte, doivent être cherchés entre le
cap Attium (Azzo) et l'oppidum Marianum (vers Arana), à
moins que l'on ne puisse démontrer que les manuscrits con-
tiennent des erreurs matérielles.
La côte méridionale est comprise, avons-nous dit, entre le cap
Senotosa et la pointe Semolari. Nous sommes en présence d'une
erreur capitale de Ptolémée ou des copistes, car il est impossi-
ble de placer, entre ces deux points, toutes les localités indiquées.
Mûller a cru devoir circonscrire la côte méridionale entre
Ficaria oppidum et Marianum promontorium, en identifiant
Ficaria avec Figari et Marianum prom. avec le cap de Feno. Il
admet timidement que Marianum n'est que la corruption du
mot grec Maraton, signifiant Feniculum (fenouil), d'où Feno 2. H
est obligé de convenir que tous les manuscrits, sans exception,
font commencer la côte méridionale à Palla opp.,pour la termi-
ner à Philonii portus. Je ne m'explique point pourquoi il
n'a pas compris Palla, (Bonifacio d'après lui), parmi les loca-
1. Le nom de Marius est largement représenté en Corse par Mariana, Marana,
Moriani, Morosaglia, Campo Moro. En Italie, il est représenté par Mariano,
Marano, Mairano, Majano. (Flechia, Di alcune forme di nomi locaU deU'Italia
superiore),
2. Nous trouvons en Corse deux caps Feno : l'un au N.-O, de Bonifacio, l'autre
au N.-O. d'Ajaccio. Si nous en croyons Fournie, Introduction à Vhistoire
ancienne p. 109 et 111, Feno dériverait de Phœnus (phénicien^ ou de yôvof,
rouge couleur de sang ; les raisons qu'il donne nous paraissent assez sérieu-
ses. Dans tous les cas, il me semble difficile que ces deux rochers dénudés
aient jamais pu éveiller l'idée de Feno, loin.
LA CORSE D*APRÊS PTOLÊMÉE. 115
lités situées sur la côte méridionale puisque, dans la réalité,
cette ville est bien exposée au Sud. Enfin, nous croyons avoir
démontré que Mariamim oppidum se trouvait dans les environs
de CampoMoro; la correction de Mùller ne nous parait pas suffi-
samment justifiée.
L'oppidum Palla seul appartient à la côte méridionale. Les
emplacements de Ficaria et de Tembouchure du Pitanus prêtent
à de sérieuses discussions et toutes les localités comprises entre
le Syracusamis portas et Chinium appartiennent à la côte orien-
tale.
§ 3. Noms de lieu mentionnés par Ptolémée dont remplacement
est indiqué par les cartes topographiques.
/aj. Côte orientale.
Sacrum promontorium. Le nom s'est conservé dans le cap
Sagro i; il est possible que les anciens ait désigné sous le même
nom la région du Cap Corse actuel.
Mariana oppidum. Son emplacement est indiqué sur le
Golo 2. L'expression d'oppidum est impropre lorsqu'elle s'ap-
plique à Mariana, colonie romaine, signalée par Pline et les
tables de Peutinger.
GuoLiE fluvii ostia. Variantes : Tuola, Tavola, Le Golo. Nous
avons adopté l'orthographe du manuscrit de la Vaticane, n° 191 ;
dans les autres, il y a une altération facile à expliquer par la
transformation du r en t.
DiANiE portas. L'étang de Diana 2.
Rhotani fluvii ostia. L'embouchure du Tavignano, située à
6 kilomètres du hameau de Botani, commune d'Aleria 2.
Aleria colonia. Le village et fort d'Aleria 2.
Sacri fluvii ostia. L'embouchure de la Solenzara, qui arrose
l'ancienne piève de Sagri ou Sacri. Le nom s'est conservé, avec
syncope du gr, dans Sari de Portovechio 3.
1. Carte topogr. de Tîle de Corse dressée par ordre du Roi, en 1824, P« 2.
2. Carte de TÉtat-major, fie 261, fe 263 et P» 265.
3. Hist. de la Corse, trad, Letteron, t. I, p. 32.
116 CHAPITRE VII. § 3.
(b). Côte occidentale,
ViRiBALLUM prom. Var. Veriballam, Viribalum. La pointe de
Revellata.
ÀTTii promontoriam, Var. Kattii, Actiam. Le nom s'est
conservé dans cap dell'Azzo l, au sud du cap al Cavallo. La
désinence iium a généralement fléchi en zio: Botium, Bozio;
Murtium, Murzio ; souvent Vi a subi la syncope : Palatium,
palazzo ; Antium, Azzo.
Rhium promontoriam. A identifier avec la Pointe de Trio
(carte de 1824), ou le Puntiglione (carte de TÉtat-major) 2.
RoTius mons. Var. Rœtius, Rgtias, Ritius, Le mont Rosso 2,
limite méridionale du golfe de Porto.
Urcinium oppidum. Var. Urcinia. Le nom s'est conservé dans
canton d'Orcino, Sari d'Orcino, tour d'Orcino et peut-être cap
d'Orchino. L'emplacement de l'oppidum principal de la civitas
se trouvait à Castello Capraja, autrefois Castello de Cinarca 2.
Marianum promontoriam et oppidam. La pointe d'Eccica entre
les pointes de Campo Moro et Senetosa ; l'oppidum devait se
trouver au fond du golfe de Conca.
(c). Côte septentrionale.
Centurium oppiduim. Var. Centarias, Centuria, Centarinum.
Le nom s'est conservé dans Centuri, sans d'autre altération que
la perte de la désinence grammaticale 2.
Canellata oppidum. Var. Canelata, Cenelata. Aujourd'hui
« Le Canelle », écart de la commune de Canari. Nous retrou-
vons aussi ce nom dans la pointe de Canelle.
fd). Localités situées à V intérieur des terres.
Palania. Var. Palanta. Aujourd'hui La Balagne 3. L'oppi-
1. Carte de r État-major, f " 260, 262, 264, 266, 267.
2. Carte de TÉtat-major, fie 259.
3. « Du sanscrit bal, vivre, balij aliment, et nî, porter, amener, donner.
« Prop. qui produit des aliments, de la nourriture. » — Cf. gr. Ba^œvo;, qui
par la forme se rapproche tant de Balagne et sert à désigner gland, noix,
châtaignes et autres fruits comestibles, mot formé également de bail et ni ».
Toubin, Essai sur Vétymologie historique et géogr. p. 51. Paris, 1892.— Carte
de l'Etat-major, P* 260.
LA CORSE d'après PTOLÉMÉE. 117
dum principal à Ville de Paraso, où l'on a découvert des
thermes d'une certaine importance i.
LuRiNUM. Aujourd'hui Luri. Oppidum au hameau de Casti-
glione 1.
Alucca. Var. Alauca. Nous l'identifions avec Lacca, écart de
la commune de Galeria, canton de Calenzana, sur le ruisseau
de Lucca, au pied du col de Lucca 2. « L'aphérèse de l'a,
syllabe initiale, s'explique par l'idée qu'on a pu concevoir que
cette syllabe représentait la proposition à et par conséquent une
construction grammaticale inutile pour le nom employé comme
sujet ou comme régime direct » 3. Nous trouvons dans cet
ordre d'idées : Rimini dérivé d'Ariminum, Jarnacum de Ajar-
nacum et Leria pour Aleria.
AsiNCUM oppidum. Var. Osincum, La. piève de Casinca, avec
un oppidum à Castellare-di-Casinca 4. Dans la formation des
noms de lieu, dérivés du latin, on rencontre souvent la pros-
thèse de la première lettre :
Ericis portas, devient Lerici (Ligurie),
Anxanus, devient Lanciano (Italie),
Aletium, devient Balezio (Italie) ;
on pourrait multiplier ces exemples.
Talcinum oppidum. Il n'y a rien à changer à ce nom qui a
conservé sa forme. La pièue de Talcini comprenait les paroisses
d'Omessa, de Corte, de Tralonca, de Fogata-de-Marcorio et de
Castellare. Le nom de S*® Lucie s'est accouplé au nom antique
de Marcorio qui, après le xii® siècle, est devenu Mercurio, par
corruption. Oppida probables : Castellaccie, (Corte) ; Castellare
de Mercurio et Castirla 5.
Venicium. Var. Venitium. Aujourd'hui Venaco, nom d'un
canton de l'île. D'après trois chartes citées par Muratori, le
pagus de Venaco était compris entre le Tavignano et le Vecchio.
1. Caziot, Découverte d'objets historiques en Corse dans But. Soc, Anthr.
1897, tome VHI, 4« Série ; de Villefosse Acad, des sciences, séance du l»*" avril
1894.
2. Carte de l'état-major, f « 262.
3. Quicherat, De la formation des noms de lieu.
4. Simple conjecture : Casinca dérive de Casa-Asinca par raison d'euphonie.
5. Fogata de Sancto Kirico de la Marcorio dans Donations à Vile de Monte
Christo.
118 CHAPITRE VII. § 3.
Oppida probables : Castellaccie (Riventosa) ; Castello del
Palazzo (Poggio de Venaco), et Castello de Tosanî, qui, lorsqu'il
fut brûlé par André Doria, en 1289, passait pour une des tours
les plus fortes de la Corse. « Tunis pulcherrima adeo quod in
totâ Corsicâ non invenitur tam pulchra ^ ».
Opinum. Var. Openum. Opino nom d'un canton de l'île ;
l'oppidum doit être placé au mont Oppido, près de Chiatra.
MoRA.' Var. Moursa, Ferrari l'identifie avec Ville di Mori, à
12 milles de Bastia, vers Centuri 2 ; Mùller opine timidement
pour Capo di Muro ou Campo Moro. Nos cartes ne nous per-
mettent pas de contrôler Ferrari. Millier oublie que Capo di
Muro et Campo Moro sont sur les bords de la mer ; or Mora,
d'après Ptolémée, doit se trouver à l'intérieur des terres. D'après
sa situation géographique, cette localité devrait être placée dans
le bassin de la Gravona. Si nous consultons la carte de l'état-
major nous trouvons dans cette région :
1° le pic Mora, entre Afà et Alata 3 ;
2° le pic Muraffia, au S. de Tavera 3 ;
3° Moraschi, près de Bocognano 3.
Pour nous la civitas Mora comprenait le bassin de la Gravona
et était relié au cercle de Venicium, par les postes secondaires
de Moraschi et de Moracciole, près de Vivario. L'oppidum princi-
pal doit être recherché au pied de la pointe Mora.
Matisa-Sardi. Var. Matissa, Matisa. La leçon donnée par le
manuscrit de Paris, N° 1401, jette une éclatante lumière sur un
nom dont l'identification prêtait à diverses conjectures. Matisa-
Sardi correspond à Sartène, Sardè, Serté ou Serdè autant de
variantes pour désigner un chef-lieu d'arrondissement de la
Corse.
MoNS AUREUS. Le Mont d'Or, près du col de Vizzavona.
(e/ Peuplades ou Tribus,
TiTiANi. Les Titiani occupaient approximativement la région
comprise entre la rive gauche du Taravo et la rive droite de
l'Ortolo. Il y aurait peut être lieu de rechercher l'étymologie de
la rivière Rizzanese dans Titianese ou Tizzanese.
1. de Morati, Les Milanais en Corse, p. 81.
2. M. A. Baudrand, Geographia, 1671. «
3. Carte de l'état-major, P" 263 et 264.
LA CORSE D*APRÈS PTOLÉM££. 119
Tahabeni. Var. Tarrabenii, Taracenii, Taraceni, EtarabinL
Au Nord des Titiani. Quelle que soit la leçon adoptée, tous les
manuscrits, celui de Paris Coislin 337 excepté, donnent le radi-
cal Tara ou Tarra ; dans sept manuscrits ce radical est Tarab
ou Tarrab ; or, dans la région située au Nord des Titiani, ce
radical se trouve dans Taravo ou Tarabo, cours d'eau ;
Tarraghione, pic au N.-E. de Vero ; Tarabeto et Tarabettaccio,
cités dans Monumenta historiœ patriœ. La tribu des Tarabeni
s'étendait donc de la Gravona au Taravo.
Balaconi. Var. Balatini, Balatoni, Le nom s'est conservé
dans Urbalacone, village. La tribu devait occuper approxima-
tivement les cantons de Zicavo et de St*-Marie de Sicché.
Opini. Var. Openi, Peni, La piève d'Opino.
Syrbi. Var. Symbri, Timbri. Le nom s'est conservé dans le
canton de Sorba ; col et forêt de Sorba et pointe de Zorbi et
probablement dans Fiumorbo qui semble la corruption de
Fiume Sorbo. Occupaient le bassin du Fiumorbo.
CoMASiNi. Var. Cumasini, Cogmaseni, Commaseni, Cobasani
et Coymanni. Aujourd'hui pièoe de Covasina, avec les variantes
Ck)masina et Cobasina.
§ 4. Noms de Ptolémée dont l'identification est possible par les
indications données par le texte du géographe.
Le texte de Ptolémée, nomenclature aride, ne prête pas à de
longues discussions. Cependant une lecture attentive peut jeter,
sur quelques localités, une lumière suffisante, pour nous per-
mettre de hasarder une identification logique ; ainsi lorsque
nous lisons Cœsiœ littus et Arenosum littus nous savons que
nous nous trouvons en présence de deux plages sablonneuses,
situées, la première sur la côte septentrionale, la seconde sur
la côte occidentale. Il s'agit de plage et non de golfe (sinus), ou
de port (portas). Or, l'examen d'une carte détaillée démontre
que ce qualificatif ne peut s'appliquer qu'au rivage du golfe
de Calvi, bas, sablonneux parsemé d'étangs et à la plaine de
Campoloro, présentant tous les caractères d'une véritable plage.
Cœsise littus correspond donc à la plaine du golfe de Calvi et
Arenosum littus à Campoloro, près d'Ajaccio.
Les Cervini, dit Ptolémée, habitent la partie occidentale de
120 CHAPITRE VII. § 4.
l*ile âU pied du mont d*Or : Ks/jouevoî y^h rviv ^uo-pt/viv nlvjpih vttô to
Xpffovv opoç. Au lieu de Ke/>ouevot, iious proposons de lire Kpo-tuot,
Cruzzini. En effet Cruzzini dérive de K/sudoç et rien de plus natu-
rel que les habitants qui se trouvent non loin du mont Cnizos
se soient appelés les Cruzzini, Quoiqu'il en soit, en plaçant la
tribu dans les bassins duLiamone,du Cruzzini et de laGravona,
nous remplissons les conditions exigées parPtolémée. Ajoutons
qu'un canton de l'île est désigné sous le nom de Cruzzini.
Parmi les noms corrompus nous trouvons le « Circidius flu-
vius » avec les variantes Cricidiiis, Circiidius, Circisius, Circi-
sium, qui, par leur combinaison, nous donnent Cricisius, mot
se rapprochant de Cruzzini, ce qui nous permet d'identifier ce
cours d'eau avec le Liamone, dont le Cruzzini est le principal
affluent. Liamone semble dériver des deux mots basques ou
ibères, « Elia muna, » fleuve de la montagne. Limperani
retrouve le Liamone dans le Circidius, que Cluver croit être
la rivière délie Ripe.
Ptolémée nous apprend aussi que, limitrophes des Comasini,
les SuBASANi, (Var. Tehusani, Subani, Subsani, Susani,) occu-
paient la région qui se trouve tout à fait au Sud de l'île, c'est-à-
dire le canton de Bonifacio.
Enfin la tribu des Cilebensii, limitée au Nord par les Vana-
cini, à l'Est par les Mariani, se trouvait cantonnée dans le
bassin de l'Aliso. Nous nous demandons s'il n'y a pas lieu de
lire « Nebolensii » habitants du Nebbio. L'hj^pothèse est appe-
lée par les nombreuses variantes accusées par les manuscrits :
CilebenseSy Cilebienses, Schilebensii, Cilebini,
§ 5. Noms de lieu dont V identification n'est pas discutée.
VoLERii fluvius. Var. Voilerius, Valerius, Le ruisseau d'Aliso;
du temps dePietro Cyrneo ce ruisseau portait le nom deGobino;
d'après Giustiniani, il était désigné sous le nom vague de Fiu-
minale.
Vagum promontorium, Var. Anagum. Est généralement iden-
tifié avec la Pointe d'Arco ; il y a lieu de se rappeler que la
bande de sable qui sépare la mer de l'étang de Biguglia est d'une
formation postérieure à Ptolémée, puisque de son temps
Mariana était un port. Dans ces conditions, il convient
LA CORSE d'APJRÈS PTOLÉMÉE. 121
de placer le Vagum promontorium dans Tintérieur des terres,
vers la station de Furiani.
RopicuM oppidum. Au lieu de PÔTrtxôvCluver croit qu'il y a lieu
de lire a<TT/3£xwv et identifie la civitas avec Ostriconi, piève de
Tîle. Tous les géographes se sont ralliés à cet avis. L'oppidum
devait se trouver dans le voisinage de l'église ruinée d'Ostri-
coni.
Cersum oppidum. Var. Cersunum, Cersi. « Fuit ubi postea
Nebbium, » dit Baudrant. La cathédrale des anciens évêques du
Nebbio existe encore, à 2 kilomètres de St-Florent.
Toutes ces identifications sont conformes aux indications
astronomiques de Ptolémée. Elles sont communément admises
sans doute parce que toute discussion est impossible. Quand
on ne peut plus s'appuyer sur l'étymologie d'un nom, il faut
bien avoir recours à l'unique indication qui nous reste : la lati-
tude et la longitude telles qu'elles nous sont indiquées, avec
des variations notables, par les différents manuscrits.
§ 6. Localités indiquées par Ptolémée dont V identification est
possible par comparaison avec les textes d'autres géographes.
Ptolémée est, sans contredit, le géographe qui, dans l'anti-
quité, a dressé la liste la plus complète des localités de la
Corse ; il n'en est pas moins vrai que l'identification de cer-
taines d'entre elles, n'est possible que par comparaison avec les
indications précieuses, données par d'autres auteurs. Strabon,
par exemple, place en Corse, quatre villes : Blesinon, Charax, Eni-
conia et Vapanes i. Mûller, en s'appuyant sur Grashofius, croit
que l'oppidum Mantinon de Ptolémée n'est autre chose que le
Blesinon de Strabon. Nous partageons cette opinion. Strabon,
en effet, est antérieur à Ptolémée et puisque, sur nos cartes, nous
retrouvons encore la localité, citée par le premier, il nous semble
logique d'admettre que le texte du second a été altéré par les
copistes. Mantinum, généralement identifié avec Bastia, doit,
1. Ettc 8 o^wç otxYîTtjtxdc TÎua ^lipYi xat Tro^tVpiâTtâ Trou, B^wtvwv re xai Xa^af
xat Evexoveai xat OùaTraveç. Strabon, Géographie, annotée par Dûbner et
Ch. Mûller, p. 187, 5, 2, 7.
122 CHAPITIIË VII. § 6.
croyons-nous, disparaître devant Blesinon (La Vasina) l. Ce
hameau, du reste, n*est qu*à 5 kilomètres environ, au N. de
Bastia.
Il arrive couramment que les géographes traduisent dans leur
langue les noms de lieu des pays étrangers, sans se soucier d'une
transformation qui les rend méconnaissables. C'est ainsi que
nous chercherions vainement en Corse le lieu désigné par
Strabon sous le nom de Charax ; mais, si nous tenons compte
que Charax est la traduction littérale du latin Palus, en italien
Palo, nous sommes immédiatement amenés à identifier Charax,
avec une localité qui se trouvait dans les environs de l'étang
de Palo.
L'Itinéraire d'Ântonin, probablement dressé au iv* siècle de
notre ère 2, mentionne la voie romaine qui de Mariana abou-
tissait à Palla et place, sur cette route, les gites d'étape suivants,
échelonnés le long du littoral :
A Mariana Palla m. p . . . . CXXV 3
Aleria XL
Praesidio XXX
Portu Favonii XXX
Palla* XXV
Pallas ou Palla, point terminus de la voie, est identifié, à
juste titre, par la plupart des géographes avec Bonifacio 5.
Comment expliquer que Ptolémée n'ait point mentionné le
Praesidium et le portus Favonii de l'Itinéraire ? Le Praesidium,
bien que bâti sur l'emplacement de Charax (Palo), doit être proba-
blement postérieur à Ptolémée ; il s'agit vraisemblablement d'un
refuge fortifié, construit pour mettre les convois à l'abri d'une
1. Blesinon a pu devenir Biesinon, comme Bleda (Italie) est devenu
Bieda et Planasia, Pianosa. L'emploi du V à la place du B est consacré par
mille exemples fournis par le dialecte corse. Enfin Viesinum devient Vasina
par un changement que nous trouvons dans Venicium, aujourd'hui Venaco.
2. Itinerarium Antonii Augusti et Hiersolymitaniim ex libris mamu scriptis,
ediderunt Parthey et Pinder, Berlin 1848, p. 85.
3. Quelques manuscrits accusent CXXVI.
4. Var. Pallas, Palas, Palmas, Plenas.
5. Nous pensons que Vapanes et Eniconia cités par Strabon ne sont que
des corruptions de Favone et Nicsea (Mariana). Nicœa est indiqué par Diodore
de Sicile, V, 13, 3.
r.
LA COUSE d'après ptolémée. 123
incursion des Syrbi. Le portas FavoniU (port Favoiie^de la
carte de rétat-major), est un abri naturel qui a existé de tout
temps, il ne devait donc pas échapper à Ptolémée. Au lieu de
*Awvtou Xtpifly, (Portus Filonii), n'y a-t-il pas lieu de lire *auwvtoy,
(portus Favonii). Avec Cluver, nous répondons par l'affirma-
tive.
Nous trouvons encore une leçon corrompue dans MacrinL En
effet, la tribu des Vanacini, située tout à fait au Nord de l'île,
avait avec les Mariani de fréquentes discussions de bornage,
dont le souvenir nous a été conservé par un rescrit de Ves-
pasien, que nous avons déjà reproduit. Les possessions des
Mariani, indiquées par la table de Peutinger, s'étendaient
des Vanacini aux Opini, englobant les plaines, connues de
nos jours sous le nom, à peine altéré, de Marana et de
Moriani. Or au lieu et place des Mariani (M«/Dt«vot), les copistes
des manuscrits de Ptolémée font figurer les Macrini {M«3cx/ïtuot).
La corruption de cette leçon ne laisse aucun doute.
§ 7. Noms défigurés qu'il est possible de retrouver sur les cartes.
Ara TuTELiE. Var. Tutilœ, Suivant Cluver et Canari ce lieu
devait se trouver vers la tour San Pellegrino. Nous pensons que
cette identification est inexacte. Avec le prince Roland Bona-
parte, nous sommes convaincu que, par suite du surhausse-
ment du sol, la côte orientale de la Corse a subi, dans les
temps modernes, un changement considérable i, prouvé par
la lecture attentive des textes dés écrivains de l'antiquité.
Ptolémée, nous le savons, place Aleria et Mariana, sur les
bords de la mer ; or les emplacements certains de ces deux
villes se trouvent, de nos jours, à 3 kilomètres environ à l'inté-
rieur des terres. Pietro Cyrneo, qui vivait au xv® siècle, a pu
constater que l'étaiig de Biguglia renfermait trois îles qui ne
figurent plus sur les cartes contemporaines 2.
Nous trouvons une deuxième preuve à l'appui de notre asser-
tion dans les noms de lieu de la côte orientale. Sur la carte de
Testevuide, (1791-1824), l'étang d'Urbino est coupée en deux
1. Roland Bonaparte, p. 13.
2. Carte de l'état-major, fJe 261.
124 CHAPITRE VII. § 7.
parties par une presqu'île qui est encore désignée sous le
nom d'Isola Longa (l'Ile longue). La même carte dénomme
Isoletta (la petite île) la bande de terre, comprise entre Tem-
bouchure du Golo et les dunes de Pinarelli.
Il semble donc qu'il y a lieu d'admettre qu'au ii* siècle de
notre ère Mariana et Aleria étaient encore des ports de mer et
que la partie de la côte orientale corse, comprise entre les
embouchures du Fium'alto et du ruisseau San Regino, se
déroulait du Sud au Nord, suivant la ligne San Pellegrino,
Cardice, Mariana, Campo d'Agnello et l'embouchure du Bevinco.
Nous trouvons l'oppidum maritime d'Ara Tutelae, à peine
déflguré, dans Ordetella, à 2 kilomètres au Sud de l'embouchure
du Golo ; ce point n'est séparé de la mer que par une bande de
dunes de formation récente. La transformation d'Ara Tutelae en
Ordetella s'explique aisément. La syncope de l'a en mettant en
présence deux consonnes a changé l'une d'elles, le / est devenu
d, par raison d'euphonie. Nous constatons le même phénomène
dans Agata qui devient Agta puis Agda (Ada).
Molezio Giuseppi, dans son Discours universel , annexé à la
Géographie de Ptolémée, traduite par Ruscelli, place Ara Tutelae
dans le pagus Canonica. Ordetella est à 3 kilomètres de la Cano-
nica et figure sur la carte de Tétat-major avec l'explication
« ruines ». Ce point remplit donc toutes les conditions topogra-
phiques et historiques pour être identifié avec Ara Tutelae i.
Sermitium. Var. Sermigium. Nous écartons Serraggio, proposé
par Mùller. Serragio dérive de Serra in gin par opposition à
une autre partie du canton de Venaco, désignée sous le nom de
Serra in su. Nous adoptons Sermano, convaincu que Sermitium
est une leçon corrompue de Serminium. Le changement du
second i en a se trouve dans Venicium,qui est devenu Venaco.
Albiana oppidum. Aujourd'hui Rocca Piana d'après Casteldo.
Roccapiana figure sur quelques cartes, au lieu et place de
Roccapina. Nous savons que l'expression « Rocca » est employé
1. Quelques écrivains, Grashofius entre autres, ont cru trouver dans Ara
Tutelae le souvenir de Totila, roi des Goths. L'erreur est manifeste ; à deux
siècles de distance, Ptolémée ne pouvait prévoir Totila. H est raisonnable de
voir dans Ara Tutelae un édifice consacré au culte, en commémoration de la
protection dont les Romains avaient été l'objet. Il ne s*agit là que d'une
simple conjecture.
LA CORSE D*APRÉS PTOLEMÉE. 125
comme synonyme de château, fortin, traduction littérale d'oppi-
dum. De Rocca Albiana la simple raison d*euphonie a pu faire
Rocca Diana ou Rocca Piana par changement du B en P ; la
syncope de Va, que nous constatons dans Marana, dérivé de
Mariana, Pianosa de Pianosia, donne Rocca Pina que nous
retrouvons dans le golfe de Roccapina, pointe de Roccapina et
Lion de Roccapina i. D'après ces indications, Toppidum d* Albia-
na devait se trouver sur la rive droite de TOrtolo, à7 kilomètres
de son embouchure, à l'endroit désigné sous le nom significatif
de « Castello », au pied de la « Pointe de Castello ».
LocRA fliwias, La Gravona, selon Gregori, la rivière de Pru-
nelli, si nous en croyons Cluver et Briet. Nous opinons pour La
Gravona. Nous trouvons, en France, une rivière du même nom,
Graona ou Gravona, la Grosne, affluent de la Saône. Gravona ou
Gravona parait dériver du thème Gravus, nom de la plaine de
la Grau et du suffixe -ona que nous trouvons accolé à un certain
nombre de rivière Bravona, Axona, (rAisne), Matrona, (/a
Marné), Bledona, Vesona (/a Vesubié) 2. Si nous ajoutons ce
suffixe à Locra nous obtenons Locra-ona.
LiCNiNi. Var. Licueni, Licmini, Licneri, Lignini, Licraini.
Encore une leçon corrompue. Nous savons que les Licnini (?) se
trouvaient au sud des Cilebenses, à l'ouest des Mariani et au
nord des Opini. Ils occupaient donc la région de Casacconi et
d'Ampugnani. Il est possible qu'il faille lire Ataxovot, (Liaconi),
au lieu de Atxvtvot, (Licnini). Dans ce cas, le changement de
Liaconi en Casaconi s'expliquerait facilement par la formation
d'un nom composé de Casa et Liaconi.
§ 8. Noms de lieu identifiés par recoupement.
TiLOX promontorium. La pointe de Gurza d'après Mûller, le
cap delà Mortella, d'après Cluver, la pointe de Cannella, le cap
de l'Ile Rousse, ou la pointe de la Revellata, selon d'autres
géographes.
Quand on examine les cartes de l'île, dressées au xvi®, xvii« et
xviii® siècles, l'attention est attirée par l'idée que Tiloxprom,
représente la pointe la plus septentrionale de la partie de la côte,
comprise entre le golfe de St-Florent et la pointe de Revellata.
1. Carte de TEtat-Major, f» 267.
2. d'Arbois de JubalnviHe, t. 2, p. 170.
126 r.MAPlTBE VII. § 8.
Sur*la plupart d'entre elles ce point est le cap de la Mortella. De
nos jours, les cartes ont gagné en précision et la pointe de Curza
peut être regardée comme le point le plus septentrional de
celte région. Nous nous rallions donc à l'opinion de Mùller.
Cjesim littus. Le port de TAlgajola, d'après Cluver et Canari ;
le golfe de St-Florent, d'après Mùller. Quels que soient les
degrés de latitude qu'on adopte, il résulte que le point qui
correspond à Caesia doit se trouver :
1° Au nord du cap dell' Azzo, {Attium prom. )
2? Au sud du cap de Curza, (Tilox prom,)
3** Au sud de Palania, {Ville di Paraso ?)
Donc le golfe de St-Florent, qui ne remplit pas ces conditions,
ne peut être identifié avec Caesia. Le port de l'Algajola se trouve,
il est vrai, au nord du cap dell'Azzo et au sud de la pointe de
Curza, mais il est au nord de Palania.
En outre, comme nous l'avons déjà dit, l'expression liftas ne
peut s'appliquer au port de l'Algajola. Caesia est donc à identifier
avec la plage du golfe de Calvi.
Casalus sinus. Le golfe de Calvi, d'après Gregori et Mùllfer, la
plage de Losari, d'après Cluver. L'erreur de ces identifications
provient de ce que l'un et l'autre, ont subordonné la situation
de Casalus à celle d' Ait ium. Or, comme tous deux ont cru trouver
Attium, dans la pointe de l'Alciolo, tous deux aussi devaient être
tentés de placer Casalus sur la côte septentrionale, au sud de
l'Alciolo, c'est-à-dire à Losari ou à Calvi. Mais la situation de
Casalus doit être au sud d'Attium (cap de l'Azzo), à l'ouest et
sur le degré de latitude d'Alucca, (Lucca), il doit donc être
identifié avec le golfe de Galeria, situé sur la côte occiden-
tale, ainsi que l'indique Ptolémée.
§ 9. Identifications discutables.
Sur la partie de la côte occidentale, comprise entre Pauca et
Marianum promontorium, nous trouvons :
Pauca oppidum,
Ticarii fluvii ostia,
Titianus portus,
Ficaria oppidum,
LA CORSE D*APRÊS PTOLÈMEE. 127
Pitani fluvii ostia,
Marianuni prom. et oppidum.
Il paraît naturel d'identifier Titianus portas avec le port
de Tizzani, Ficaria avec Figari et Marianiim promontoriiim et
oppidum avec le cap et le village de Campo-Moro. Sur la carte
de rétat-major et sur celle de 1824, nous retrouvons ces noms,
à peine défigurés par le passage du latin à l'italien. Mais
Campo-Moro est au Nord du port de Tizzani ; donc Tordre
indiqué par les manuscrits doit être modifié.
En outre nous savons que, dans la région qui nous occupe,
« des fouilles pratiquées à diverses époques et la charrue du
« laboureur ont révélé, dans les environs de Propriano, Texis-
« tence de toute une vallée de sépulcres. Plusieurs monnaies
« trouvées dans des urnes funéraires, dont les débris jonchent
« le sol, établissent que la cité romaine datait du temps de la
« république i ». Un oppidum s'élevait sans doute sur l'empla-
cement de Propriano. Quel pouvait être cet oppidum ? Nous
n'avons pas l'embarras du choix, puisqu'il ne nous reste à
identifier que l'unique emplacement de Pauca.
Millier et d'autres géographes ont identifié Pauca avec Porto-
Pollo,en supposant qu'il y a lieu de lire Paula au lieu de Pauca;
mais, si nous admettons une leçoa corrompue, pourquoi ne pas
lire Pora, que nous retrouvons dans Poraja, îlot situé dans le
port de Propriano 2? Par rapport à Titianus portuSy Marianum
promontorium et Matisa-Sardi, points bien repérés, Propriano
représente l'emplacement de Pauca avec beaucoup plus de
précision que Porto-PoUo. Il nous resterait à identifier les deux
cours d'eau désignés sous le nom de Ticarius et de Pitanus.
Le cours d'eau placé entre Campo-Moro et Propriano est le
Rizzanese, ou rivière de Valinco, ou rivière de Tavaria. Cette
dernière appellation a suggéré à MùUer l'idée qu'au lieu de
Ticarius il y aurait lieu de lire Tiuarius ou Tibarius.
Enfin le Pitanus, se trouvant au Sud de Figari et au Nord de
Bonifacio (Palla), ne peut être que le ruisseau de Ventilegne.
1. D' Costa, La Corse et son recrutement, p. 162. Une étude sur ces fouilles
a été publiée dans le Patriote, journal d'Ajaccio, 1871. (Note du D"" Costa).
2. Il convient de faire remarquer que Polio est synonyme de paula, mot
corse, signifiant marais.
m
128 CHAPITRE VII. § 9.
Cette solution, basée sur l*analogie frappante qui existe entre
Titianus portas et port de Tizzani, Ficaria oppidum et le village de
Figari, prête à de sérieuses objections, que nous allons discuter.
Il nous a fallu d'abord intervertir Tordre d'énumération indi-
qué par Ptolémée et il est toujours grave de toucher à un texte.
Enfin ridentification de Titianus portus avec le port de
Tizzani peut être combattue ; nous sommes dans une région
occupée par les Titiani, dont les possessions s'étendaient
depuis le golfe de Valinco jusqu'à celui de Ventilegne. Leur nom,
il est vrai, ne s'est conservé que dans le port de Tizzani, mais
on peut admettre qu'il s'étendait vraisemblablement au golfe de
Valinco qui était certainement leur port principal.
Enfin la situation géographique de Titianus portus indique
qu'il s'agit bien du golfe de Valinco.
Identifiez, dira-t-on, Titianus portus avec le golfe de Valinco,
vous n'en restez pas moins embarrassé par l'identification de
Ficaria avec Figari.
Ficaria oppidum. Var : Fesura, Fesira, Fusera, Fisera,
Fixera, Fipra oppidum ou bien Ficaria. Cette dernière leçon
donnée par un manuscrit de Paris indique que l'oppidum avait
deux noms. Ne pourrait-on pas identifier Fipra avec Proprià
ou Propriano? Comme nous l'avons déjà dit,enfacedePropriano
se trouve l'ilôt de Poraja actuellement relié au continent par
une digue. Proprià ou Propriano pourrait être un nom composé,
dérivant de Pora Fipra; mais Figari, répétera-t-on,se rapproche
de Ficaria plus que Fipra de Proprià ; c'est vrai, pouvons-nous
répliquer, mais le village actuel de Figari, situé à environ quatre
kilomètres de la mer, ne peut occuper l'emplacement de Ficaria
qui était un port de mer.
De pareilles hypothèses permettraient de conclure que le texte
de Ptolémée ne doit pas être modifié et nous amèneraient aux
identifications suivantes :
Pauca oppidum Porto-Pollo
Ticarius fluvius le Taravo
Titianus portus . legolfe de Valinco
Fipra ou Ficaria oppidum . . . Propriano
Pitanus fluvius le Rizzanese
Marianumprom. et oppidum. . . Camjjo-Moro ou la
[pointe d'Eccica]
La cohse d'après ptolémée. 120
Si Ton admettait, au contraire, que les noms géographiques
ont été intervertis nous arriverions à une troisième solution : •
Ticarius fl Le Tarayo
Pauca oppidum Propriano
Pitanus fl Le Rizzanese
Marianum op. et pr Campo Moro ou la
[pointe d'Eccica.]
Titianus portus Le port de Tizzani.
Fipra ou Ficaria Le fond du golfe de
jFigari].
Il me semble difficile d'arriver à des conclusions définitives ;
à mon avis, la troisième hypothèse me parait la plus vraisem-
blable. Je l'adopte parce que trois noms : Marianum, Titianus
portus et Ficaria se retrouvent sur les cartes actuelles ; parce
que Pilanus me parait très proche de Ritianus {le Rizzanese) ;
parce que Pauca se rapproche plus de Paura ou Pora que de
Polio, traduction de Palus, marais ; parce qu'enfin un oppidum
se trouvait certainement à Propriano et à Figari l. Je l'adopte,
mais je ne me fais aucune illusion sur les critiques auxquelles
elle prête.
Sur la côte orientale, il me reste à identifier :
Syracusanus portus
Rubra oppidum
Granianum promontorium
Alista oppidum.
De sérieux arguments militent en faveur de l'identification
d'Alista avec Balistra, étang au fond du golfe de Porto-Vecchio.
La prosthèse est très fréquente au commencement d'un nom
italien dérivé du latin : Issa devient Lissa et EUorum s'est chan-
1. « Je ne sais à quelle époque rapporter quelques tombeaux dont l'origine
« est inconnue, qui se trouvent épars sur la colline de Gervariccio, commune
« de Figari. Ce sont, à proprement parler, des espèces de caisses formées de
« dalles de granit longues de 2'n50, larges de O^^SO, assemblées à angle droit
« comme des bières. Les couvercles se trouvent souvent auprès de ces tom-
« beaux, car on ne peut, que je sache, leur assigner une autre destination....
« D'ailleurs nulle inscription, nul ornement n'aide à deviner l'époque à
« laquelle ces cercueils ont pu être fabriqués. Aucune tradition ne s'y ratta-
« che.... Us peuvent appartenir à l'époque romaine aussi bien qu'aux premiers
« siècles du christianisme. » Mérimée, Voyage en Corse, p. 89.
9
130 CHAPITRE VII. § 9.
gée en Tellorum. On peut donc admettre qa*Alista a pu devenir
Salista. L*épenthèse de IV se trouve dans Balestra, montagne de
la Ligurie, dérivée de Balista, citée par Pline et par Strabon.
Donc rien de plus naturel que Balistra représente l'oppidum
Alista. Mais, si nous plaçons Alista au fond du golfe de Porto-
Vecchio, nous sommes amenés logiquement à chercher l'empla-
cement de Syracusanus portus, de Rubra et du cap Granianum
entre Porto Vecchio et Bonifacio.ce qui serait absurde. Pouvons-
nous conclure qu'un fois de plus l'énumération de Ptolémée
peut et doit être modifiée ? Avant de nous prononcer essayons
d'identifier Rubra ; l'oppidum est placé par les uns au fond du
golfe de Porto-Vecchio et par les autres au fond du golfe de
Santa-Julia.Or,à la sortie du golfe de Porto-Vecchio, Giustiniani
place rile Rossa l. Comme Rossa est la traduction de Rubra je
suis timidement amené à utiliser cet indice. Mais Rubra ne
peut être placé à Porto-Vecchio qu'en admettant que l'énuméra-
tion de Ptolémée a été intervertie. Je me range à cet avis et
j'admets la solution suivante :
Syracusanus portus. . . . Golfe de Santa Manza
Alista oppidum Prés de l'étang de Balistra
Granianum promontorium . Pointe de Chiappe
Rubra oppidum Sur le golfe de Porto-Vecchio.
Il ne me reste plus qu'à chercher l'emplacement de Cenestum
et de Clunium.
Cenestum oppidum. « Aujourd'hui le village de Sainte Lucie
« près duTavignano; on y voit encore des ruines considérables.
« D'après Castaldo et d'autres géographes, Cenestum serait repré-
« sente par Corte même. » Telles sont les indications données
par Baudrand.
Corte et S'®-Lucie de Mercurio faisaient partie de la « civitas de
Talcini » et nous ne pensons pas que l'appellation de Cenestum
puisse leur être appliquée. En recourant à la latitude et à la
longitude de l'oppidum, je suis amené à le chercher dans le
bassin du Tavignano.
A mon avis cet oppidum devait se trouver sur la rive gauche
du Tavignano, au confluent de cette rivière et du ruisseau de
Casalorio. Je suis arrivé à cette conviction par un simple calcul
1. Hist. de la Corse, trad. LeUeron, I, p. 66.
LA CORSE d'après PTOLÉMÉË. 131
qui, je le reconnais volontiers, prête à la critique. Connaissant
la latitude et la longitude d'Aleria, d'Opinum, de Venicium et
de Talcinum, j'ai déterminé l'emplacement de Cenestum en
posant le problème de la carte, comme disent les topographes,
problème qui consiste à déterminer l'emplacement d'un point
à l'aide de deux points connus. Je me suis livré à ce travail
sans enthousiasme, mais grande a été ma satisfaction en cons-
tatant que le point indiqué se trouvait dans les environs d'un
mamelon désigné par la carte de l'état-major, sous le nom de
Castellare. Pour moi il ne subsiste plus aucun doute : ce mame-
lon marque l'emplacement de Cenestum.
Clunium oppidum. Var. Cunium. Suivant Cluver et Canari
l'oppidum devait se trouver à Sainte-Catherine de Sisco et .sui-
vant MûUer à Pietra Corbara. Nous opinons pour Pietra-Cor-
bara (marine), parce que Pietra, signifiant roche ou château,
évoque l'idée d'un oppidum.
§ 10. Division de la Corse en civitates.
La Corse, avons-nous dit, était divisée en trente-trois civi-
tates ou cercles.
En admettant, ce qui est rationnel, que les oppida mentionnés
parPtolémée étaient des chefs-lieux, nous pouvons déjà indiquer
la plupart de ces cercles que nous énumérerons ainsi : Centu-
rium, Lurinum, Canelata, Clunium, Blesinum, Cersunum,
Ostricon, Palania, Aluca, Urcinum, Pauca, Marianum, Ficaria,
Albiana, Palla, Alista, Rubra, Opinum, tous limités parla mer.
A l'intérieur des terres : Asincum, Cenestum, Venicium, Talci-
num, Serminium, Mora et Matisa-Sardi.
Nous n'avons plus qu'à chercher les sept cercles dont le chef-
lieu n'a pas été indiqué par les géographes de l'antiquité. Repor-
tons sur la carte les oppida que nous connaissons ; de leur
situation, nous pouvons déterminer les limites très approxima-
tives des cercles auxquels ils correspondent. Les vallées sont
une base d'appréciation sûre et logique.
Notre travail terminé, nous remarquons que les cercles,
limités à l'Est par la côte orientale, ne présentent qu'une inter-
ruption, comprise entre le port Favone et l'embouchure du
132 CHAPITRE VII. § 10.
Fiumorbo. Étant donnée la configuration du terrain je suis porté
à croire que cette région était divisée en deux cercles : Cova-
sina et Palo.
Sur la côte occidentale il nous faut, pour que notre carte soit
complète, trouver des cercles correspondant aux vallées infé-
rieures du Tarabo, de la Gravona, des rivières de Porto et du
golfe de Calvi. Nous croyons donc à l'existence des cercles de :
Tarabo, Adiatium, Casalus et Caesia. Nous ne savons quel
nom donner au cercle correspondant au territoire de Galeria.
Il est facile de constater que la division de la Corse en civi-
taies a subsisté jusqu'à nos jours, sous le nom de pièves ou
cantons. Les cantons qui ne correspondent pas à une civitas
représentent les régions qui n'ont jamais été organisées ou qui
ne l'ont été que fort tard, car il ne faut pas oublier qu'à partir
du II® siècle nous manquons totalement de renseignements.
C'est à peine si l'Anonyme de Ravenne nous a transmis quelques
noms estropiés i.
§ 11. Constitution de Vétat territorial de la Corse ancienne.
L'état territorial de la Corse ancienne a été constitué par
quatre groupes ethniques : les hommes des monuments méga-
lithiques, les Libyens ou Ibères, les Ligures et les Colons.
1° Hommes des dolmens. — La place que les monuments
mégalithiques occupent, dans la Corse actuelle» semble indiquer
que ces conquérants sont venus du Midi de la France. Il est à
croire qu'ils sont entrés dans l'île par le Nord et que la poussée
des invasions postérieures les poussa vers le Sud d'abord, vers
les plateaux ensuite.
2° Libyens ou Ibères. — Parmi les Libyens on distinguait
les Corsi et les Shardana. Ils venaient du Sud ; les Shardana se
sont heurtés aux hommes des dolmens et se sont cantonnés
1 . Iterum est insula quœ dicitur Gorsica, in qua plurimas fuisse civitates
legimus, ex quibus aliquantas designare volumus, id est Marianis, Colonia
Julii, Turrinum, Cœnicum, Agiation. Ravenatis Geographia, L. V, c. XXVII.
Mûller, p. 369, croit qu*il y a lieu de lire, colonia Alerise, Lurinum, Genes-
tum et Adiatium. Je suis de cet avis. L'anonyme de Ravenne écrivait au vn^^
siècle.
LA CORSE d'après PTOLÉMÉE. 133
dans les arrondissements de Sartène et d'Ajaccio ; les Corsi ont
occupé toute la côte orientale.
Ligures. — Les Ligures se sont introduits en Corse par le
Nord. Il est à présumer qu'ils ont conquis l'arrondissement de
Calvi sur les hommes des dolmens et la partie de la côte orien-
tale, au N. du Fiumorbo, sur les Corsi.
Colons. — Les Phéniciens ont eu un comptoir à Propriano,
les Hellènes ont créé des établissements à Aleria, à l'embou-
chure du Golo et entretenu de longues relations avec le Cap
Corse et la Balagne. Les Étrusques et les Carthaginois ont
occupé militairement une partie de l'île ; les Romains, par la
création de deux colonies sur la côte orientale et une domina-
tion de cinq siècles, ont certainement introduit dans le pays un
élément nouveau : l'Italien, qui, par des mesures administra-
tives, a flni par absorber les races primitives et leur imposer sa
langue. Au moyen âge, nous ferons connaissance avec d'autres
groupes dans la personne des Barbares.
CHAPITRE VIU.
LES BARBARES.
Sommaire. — § 1. Les Vandales. — § 2. Les Grecs et les Goths. —
§ 3. Les Lombards. — § 4. Influence des Barbares sur la Corse.
§ 1. Les Vandales.
Théodose, en mourant, partagea l'empire entre ses deux fils :
l'aîné, Arcadius, eut l'Orient et le plus jeune, Honorius, reçut
rOccident ou les préfectures des Gaules et de l'Italie (395). Ce
démembrement inaugure la période historique dite du moyen
âge, qui forme la transition entre l'âge ancien et l'âge moderne.
La préfecture du prétoire d'Italie comprenait les diocèses
A'Italie, de Rome et d'Afrique.
La Corse formait, avec la Sardaigne et la Sicile, les trois
dernières provinces du diocèse de Rome ; elle était administrée
par un président.
Avec cette période commencent les invasions des Barbares.
Sur les faibles frontières de l'Empire, des peuples, longtemps
contenus, se précipitent, avec toute l'énergie et toute la ténacité
des nations jeunes, destinées à précipiter l'écroulement des
civilisations usées.
La Corse, épargnée par les invasions d'Alaric et de Radagaise,
servit d'asile aux fuyards italiens, heureux de trouver, au-delà
des mers, un refuge contre les hordes qui, pendant cinquante
ans, allaient livrer la péninsule à feu et à sang i.
Bientôt, à son tour, l'île devait subir tous les fléaux des inva-
sions périodiques. Après avoir conquis l'Afrique, Genséric, roi
1 Jamjam conscendere puppes
Sardoosque habitare sinus, et inhospita Cyrni
Saxa parant, vitamque freto spumante tueri.
Glaudien, De bello Getico, v. 217-219.
LES BARBARES. 135
des Vandales, avait occupé la Sicile et, poursuivant sa route à
travers Tltalie épouvantée, était entré dans Rome (455).
Le sac de la capitale de Tempire est comme le signal d'inces-
santes attaques contre les possessions romaines. La Sicile, la
Sardaigne et la Corse n'ont plus un instant de repos. Leurs
côtes sont tour à tour visitées par de nouvelles hordes vandales
qui viennent, avec l'aide des Berbères, piller et incendier les
villes. Après la mort de Valentinien III, Genséric était devenu
maître de l'Afrique entière et de toutes les îles de la Méditerra-
née occidentale l.
L'Empire d'Occident était en pleine décadence. Le Suéve
Ricimer, maître de la milice, disposait du pouvoir à son gré.
Après avoir reconnu comme empereur le rhéteur Avitus, que
son disciple Théodoric II, roi des Visigoths, avait fait proclamer
à Arles, il marcha contre les Vandales à la tète d'une puissante
escadre, détruisit leur flotte sur les rivages de la Corse, et
battit leur armée à Agrigente 2. Ces succès l'enivrent. Bientôt il
s'insurge contre l'autorité impériale et fait déposer Avitus qui
eut pour successeur Majorien (457). Le nouvel empereur fit de
vains efforts pour réorganiser l'armée romaine, et combattre les
barbares. Ricimer, trop orgueilleux pour supporter un maître
qui voulait régner par lui-même, s'entendit avec Genséric qui
put occuper la Corse (460) ; peu de temps après, Majorien suc-
combait sous le poignard de son déloyal serviteur (461).
Pendant que l'Italie se débattait dans cette sanglante anarchie,
l'Empereur d'Orient s'efforçait d'affirmer son autorité sur les
îles de la Méditerranée. Le comte Marcelin, après avoir soumis
la Sicile, expulsa les Vandales de la Corse et de la Sardaigne
(462) et, avec les trois îles, forma un gouvernement séparé qui
brava les attaques des barbares jusqu'à la mort du gouverneur
1. Post cujus (Valentiniani) mortem, totius Africœ ambiium obtinuit
(Geisericus), nec non et insulas maximas, Sardiniam, Siciliam, Corsicam,
Ebusum, Majoiicam, Minoricam, vel alias multas superbia sibi consueta dé-
fendit. Victoris Vitensis, Historia persecutionis africaine prouinciœ tempori-
bus Geiserici et Hunirici, regum Vandalorum L. I, c. IV, p. 7.
2é Hesychius tribunus legatus ad Theodoricum cum sacris muneribus
missus ad Gallœciam venit, nuncians ei id quod supra, in Corsicam csesam
multitudinem Wandalorum et Avitum de Italia ad Gallias Arelate successisse.
Idatii Chronicon, dans Thés, temp, t. I.
136 CHAPITRE VIII. § 1«'.
survenue en 469. La situation se modifia aussitôt : une flotte
partie de Carthage débarqua un corps d*armée vandale en
Corse et en Sardaigne (470).
En Italie, l'aventurier Ricinier continuait sa politique de ruse
et de trahison. La cour orientale lui ayant envoyé Anthemius,
il l'accepta et lui fit épouser sa fille. Mais la discorde ne tarda
pas à éclater entre le beau-père et le gendre. S'appuyant sur la
Ligurie, la Toscane et la Corse, Ricimer, soutenu par Genséric,
se révolta contre l'Empereur, marcha sur Rome et la livra au
pillage (472).
Les ravages des Vandales durent ainsi jusqu'en 475, époque à
laquelle Genséric fit avec Zenon un traité de paix qui fut sévè-
rement respecté de part et d'autre jusqu'au règne de Justinîen i.
La Corse était abandonnée aux maîtres de Carthage, l'année
' même où le dernier empereur romain, Romulus Auguslule,
était confiné dans une villa 2.
Huneric, fils et successeur de Genséric, eut le malheur de se
préoccuper plus des progrès de l'arianisme que des grands inté-
rêts politiques de sa dynastie naissante. Le 20 mai 483, il
adressa un édit à tous les évêques de la province d'Afrique pour
qu'ils eussent à se trouver réunis à Carthage le l®*" février 484.
Le synode se termina par l'emprisonnement et l'exil de la plu-
plart des prélats, catholiques ou donatistes. Quarante-six
évêques furent relégués en Corse, pour y être employés au
transport du bois nécessaire aux constructions navales 3. Il est
1. Marcus pense que ce traité fut fait en 476, après la restauration de
Zenon. Histoire des Vandales^ liv. III* ch. 7, p. 282 et 283, et note 49, p. 53
des notes.
2. L'histoire de Toccupation de la Corse par les Vandales est obscure et à
embrouillée. Pour rendre le récit clair j'ai fait des emprunts à divers liisto- i
riens : Lavisse et Rambaud, Histoire Générale, t. I, passim ; Fournel,
Etude sur la conquête de l'Afrique par les Arabes, t. I. ch. II et III ; La
Grande Encyclopédie, articles divers. Marcus, Histoire des Vandales, liv. 111,
p. 219, 269, 282 et 283. Parmi les écrivains anciens il y a lieu de citer : Pro-
cope. De bello vandalico, liv. I, c. 7.
3. Jurantibus dictum est : quare contra prseceptum evangeli jurare voluistis,
jussit rex ut civitates atque ecclesias vestras nunquam videatis, sed rclegati
colonatus jure ad excolendum agros accipiatis, ita tamen ut non psallatis
neque oretis aut ad legendum codicem in manibus gestetis : non baptizetis,
neque ordinetis aut aliquem reconciliare prœsumatis. Similiter non juranti-
LES BARBARES. 137
à présumer que ces vénérables victimes furent d'excellents
propagateurs de la religion chrétienne. Il n'y a pas lieu de faire
cas des assertions des historiens modernes qui veulent rendre
les Vandales responsables du martyr de Sainte Julie, patronne
de la Corse. Les Bollandistes sont, à ce sujet, si confus, qu'il 5'
aurait mauvaise grâce à s'appuyer sur leur texte pour en dégager
un peu de lumière.
La Corse, sous la domination vandale, dépendait directement
de Cartilage. Il est à présumer que, comme la Sardaigne, elle
était gouvernée par un officier jouissant d'un pouvoir absolu l.
Néanmoins, comme le tait remarquer Gregori, la conduite des
Vandales ne fut ni aussi rigoureuse, ni aussi cruelle qu'on le
croit généralement. L'île fut occupée militairement, il est vrai,
mais elle ne cessa pas d'être administrée d'après les règles du droit
romain; cette occupation, limitée à quelques points stratégiques,
n'a pu, étant donné le faible effectif des troupes, avoir des
résultats considérables. La Corse payait la tribut, mais ce tribut
n'était ni plus exagéré, ni exigé avec plus de rapacité que par
le passé 2. Elle ne gagna rien à voir les Grecs supplanter les
Africains dans les îles de la Méditerranée. •
§2. Les Grecs et les Goihs.
Tandis que l'Empire d'Occident s'écroulait sous l'énergique
poussée des barbares, l'Empire d'Orient réussissait à se main-
tenir. L'avènement de Justinien (527) lui donne même un
regain de propérité qui fit croire, un instant, au rétablissement
de l'Empire romain.
Pour réaliser ses projets, Justinien résolut d'envoyer contre
les Vandales une armée commandée par Bélisaire. Le 22 juin
533, la flotte impériale, portant de nombreuses troupes, sortait
du port de Constantinople et venait mouiller, quelques jours
bus ait : quia regnum filii domini nosiri non optatis, idcirco Jurare nolulstis.
Ob quam causam jussi estis in Corsicanam insulam relegari, ut ligna profu-
tura navibus dominicis incidatis ac sic fiunt episcopi divcrsarum
provintiarum Corsica relegati, numéro XLVI. Victoris Viteasis, Historia
perseciitionis Africanœ, dans Mon, Germ. hist. liv. III, c. V.
1, Lebcau, Histoire du Bas-Empire, t. IX, p. 340.
2. Gregori, Statuti di Corsica, t. I, p. XLIV.
138 CHAPITRE VIII. § 2.
après, sur la côte orientale de la Sicile qui ne tarda pas à être
soumise.
Bélisaire profita de sa victoire pour envoyer son lieutenant
Cyrille occuper la Corse et la Sardaigne. Les populations catho-
liques reçurent avec joie leurs nouveaux maîtres, qui se présen-
taient en libérateurs 1 .
Maître du Nord de l'Afrique, les généraux impériaux tournent
leurs armes contre Tltalie occupée par les Gotlis commandés
par Totila. Dans cette lutte acharnée la Corse suit les vicis-
situdes de l'année grecque.
En 549, Totila, victorieux, traversait la mer à la tête d'un
corps de débarquement et envahissait la Corse et la Sardaigne
qui, sans défense aucune, furent occupées par les Goths 2. Deux
ans après Jean Troglita faisait, en Sardaigne, une expédition
qui ne fut pas heureuse et qu'il se promettait de reprendre au
printemps suivant. Il ne paraît pas que ce projet ait été mis à
exécution.
L'arrivée de Narsès, en 552, comme général en chef, change
la situation de l'Italie. Totila, vaincu et tué, est remplacé par
Teïas qui succombe, lui aussi, les armes à la main. Ces revers
forçaient les Goths à évacuer les îles et les Grecs retournaient
en Corse, sans rencontrer de résistance.
Sous les empereurs byzantins la Corse dépendait de l'exarque
d'Afrique. Elle ne formait qu'une province avec la Sardaigne,
sous l'autorité d'un président ou duc, assisté de 50 min w/rî ;
les pouvoirs militaires étaient confiés à un général, magister
militum 3.
1. « Pour poursuivre ces conquêtes, Bélisaire envoya Cyrille en Sardaigne
« avec des forces considérahles et lui fît porter avec lui la tête de Tzazon
« pour la montrer aux habitants, qui, appréhendant les Vandales, n'auraient
« pas voulu croire les Romains, ni ajouter foi à ce qu'ils leur auraient dit de
« la bataille de Tricamare. Après cela il lui commanda d'envoyer une partie
« de ses troupes dans l'île de Corse pour la conquérir sur les Vandales. » Pro-
cope. De la guerre contre les Vandales, trad. par Léonore de Mauge, 1670,
t. UMiy- H, p. 253.
2. Interea Totilas objacentes Africse insulas flagrans invadere ; classe
parata, impositoque satis valido exercitu, Corsicam et Sardiniam peti jus-
serat ; qui Corsicam adverti fuere indifensam insulam statim tenuerunt, mox
et Sardiniam. Utramque, insulam Totilas tributaria lege imperio suo addidit.
Procopii Gothicœ historiée, liv. IV, c. XXIV.
3. Gregori, Statuti, p. XLVIII. ~ Cambiaggi, Istoria di Corsica, t. I, liv. I,
LES BARBARES. 139
Le gouverneur résidait à Cagliarî et était représenté en Corse
par un de ses délégués. Les Digesta et les Pandectes, appliquées
aux îles, comme au reste de l'Empire, ne pouvaient manquer
de produire d'heureux résultats sur les mœurs des populations.
Malheureusement les meilleures lois n'ont d'influence qu'autant
qu'elles sont appliquées par des magistrats intègres, respectueux
des principes de justice et d'équité. Tels n'étaient poinî les
fonctionnaires de l'empereur. Si nous écartons le tribun
Ânastase et le comte Ruserius, dont la sage conduite est vantée
par S' Grégoire-le-Grand, nous nous trouvons en présence de
véritables satrapes, dont les odieuses exactions désespéraient
les peuples au moins autant que les ravages des Barbares ;
« ceux-ci, disaient le Pape, ne font que tuer nos corps, tandis
« que les juges impériaux dévorent nos âmes, par leurs rapines
« et leurs fraudes ».
En Sardaigne, les offîciers vendaient aux païens le droit de
sacrifier aux idoles ; en Corse, les charges étaient si accablan-
tes que, pour satisfaire aux exigences du fisc, les pauvres étaient
réduits à vendre leurs enfants.
En vain le Pape s'efforçait-il de modérerce régime d'injustice
et de partialité, sa voix n'était pas écoutée. En 597, Gennadius,
exarque d'Afrique, appelle à sa barre le comte Ruserius,
gouverneur de la Corse, sans doute parce que le rendement des
impôts n'était pas suffisant. Le Souverain Pontife intervenait,
en suppliant le puissant patricien de se montrer indulgent
envers les envoyés insulaires et surtout de veiller à la protec-
tion de l'île qui se trouvait à la merci des Barbares. Il l'engageait
à restituer son commandement au tribun Anasthase qui s'était
toujours montré à la hauteur de sa tâche : une armée sans un
chef habile, disait-il, ne sert à rien i.
Ces honteux trafics, joints à la corruption qui mettait à nu la
décrépitude de l'empire, ne pouvaient manquer de susciter des
troubles et il est tout naturel qu'à la fin du vi« siècle, la Corse
p. 29, cite, d'après Ammien Marcelliii, le nom d'un gouverneur, (Massimino),
qui aurait gouverné à la fois la Corse, la Sardaigne et la Sicile ; il y a lieu de
voir en ce personnage un simple rationalis summarum, les trois iles, ne
formant, en effet qu'une circonscription financière.
1. Saint-Grégoire, Opéra omnia, t. II, Epist, liv. I, ép. 79; liv. V, Ep, 4, 6 et
36 ; liv. VII. Ep, 3.
140 CHAPITRE VIII. § 2.
ait vu, sans trop de regrets, la première flotte lombarde se
montrer sur ses côtes (591). Pendant tout le vu® siècle, elle
continua néanmoins à faire nominalement partie de Tempire
d'Orient. Vers 725, elle fut définitivement annexée au royaume
lombard d'Italie l. .
§ 3. Les Lombards.
Nous n*avons aucun renseignement sur les agissements des
Lombards en Corse. Leur domination même n'est attestée que
par un texte assez vague de Paul Diacre 2. S'il paraît démontré
qu'au VIII* siècle Luitprand ait annexé au royaume d'Italie la
Sardaigne et la Corse il n'en reste pas moins acquis qu'en
dehors de la translation des reliques de St-Augustin et de Sainte
Julie à Pavie et à Brescia, l'histoire ne trouve, pendant cette
époque, aucune trace de l'autorité du pouvoir central.
Tombée entre les mains des Lombards à une époque où ces
barbares, dépouillés de leurs instincts féroces, prouvaient par
leurs belles qualités qu'ils étaient dignes de succéder aux
Romains, la Corse, dit Gregori, n'eut pas à passer par les
terribles vicissitudes que signalèrent les premières invasions de
la péninsule ; elle profita, au contraire, de l'heureuse transfor-
mation du conquérant et il est probable que les statuts et les
coutumes corses ont, pour la plupart, une origine lombarde.
Je suis, quant à moi, porté à croire que les Lombards n'ont
exercé aucune influence sur les mœurs et la civilisation de
l'île ; leur domination a été trop courte, cinquante au plus, de
725 à 775, pour avoir produit des résultats appréciables. Si,
comme c'est incontestable, nous trouvons dans ce que j'appelle-
rai le vieux code corse, des prescriptions d'origine lombarde,
c'est que ces lois ou ces coutumes nous viennent de Pise ou de
Gènes. Personne n'ignore en eff'et que, jusqu'au xv® siècle,
elles restèrent en vigueur dans toute l'Italie 3. Le champ des
1. Gregori, Statuti, p. LUI.
2. Corsica septima décima provincia Italise. Pauli Historia Longobardorum,
liv. II.
3. « Les lois lombardes restèrent en 'vigueur plus que toutes les autres
« législations barbares; cela est si vrai, qu'on les trouve citées jusqu'en 1451.»
César Cantu, Hist. Univ. t. VII, p. 376.
LES BAHBARËS. ' 141
conjectures est vaste mais nous ne savons qu'une chose, c'est
que nie formait la dix septième province du royaume d'Italie.
Nous croyons donc inutile de nous étendre sur l'organisation
lombarde, renvoyant une fois de plus à Gregori le lecteur dési-
reux de connaître cette partie de l'histoire des barbares, dont le
rôle s'efface avec l'arrivée des Francs en Italie.
§ 4. Influence des barbares sur la Corse.
Pendant toute la période de la lutte entre l'Empire et les
Barbares, la Corse ne fut qu'un théâtre d'opérations secondaires.
C'est en Italie et en Afrique que se décidait le sort des nations.
Aussi l'île n'eut pas beaucoup à souffrir des fléaux, conséquence
fatale d'une campagne difficile. Elle changeait de maîtres sans
avoir à supporter les dévastations et les pillages de soldats
furieux. Il y a donc lieu de croire que ni les Vandales, ni les
Goths, ni les Grecs, ni les Lombards n'ont signalé leur passage
par un déchaînement de toutes ces calamités qui ne laissent
derrière elles qu'un amas de ruines. Mais ces changements
répétés ont eu une grande et néfaste influence sur les mœurs et
l'avenir de la race. Les Vandales et les Grecs, en rattachant la
Corse à la province d'Afrique, en faisant peser sur ses habitants
le poids lourd d'impôts exagérés, ont préparé les esprits à la
révolte ; naturellement les insulaires devaient être portés à
secouer leur joug pour faire retour à l'Italie et hâter la diminu-
tion des charges qui les accablaient. Enfin, la faiblesse du pou-
voir central favorisait les idées d'émancipation des populations
de la montagne, fort peu civilisées ; les progrès imposés par les
romains se trouvaient ainsi paralysés et tout porte à croire que
la civilisation de la Corse eût sombré, dans cette triste période,
sans l'intervention bienfaisante de l'Eglise romaine.
CHAPITRE IX.
LA CORSE ET LE SAINT SIÈGE.
Sommaire. — § 1. Organisation de TÉglise corse au vie siècle. —
§ 2. Monuments consacrés au culte. — § 3. Influence temporelle du
Pape. -— § 4. Donation de la Corse au Saint Siège.
§ 1. Organisation de V Église corse au V/* siècle.
Au fur et à mesure du développement du christianisme,
rÉglise s'organise, adoptant les cadres administratifs de TEm-
pire. Le prêtre dans la paroisse, Tévèque dans son diocèse, se
substituent peu à peu aux fonctionnaires civils.
La Corse, à la fin du vi® siècle, dépendait, au point de vue
ecclésiastique, du métropolitain de Rome : le Pape. Il est donc
tout naturel que le Pape se soit spécialement occupé dé ses
possessions spirituelles. La correspondance de Saint Grégoire
le Grand nous permet d'étudier dans ses détails l'histoire ecclé-
siastique de l'île.
La majeure partie de la population est chrétienne. Des côtes
la religion nouvelle a gagné les plateaux, refoulant le paganisme
toujours plus haut vers la montagne. Les évêques s'emploient
ardemment aux conversions ; mais si beaucoup d'indigènes se
font baptiser, d'autres, déjà chrétiens, retournent au culte des
idoles, tant il est difficile de changer les mœurs d'une nation.
Il ne s'agit point là d'apostasies raisonnées, mais de simples
défaillances d'esprits, poussés par la nécessité ou une ignorance
complète de leurs devoirs. Une juste pénitence de quelques jours»
suffisait pour autoriser leur réintégration dans la communauté
des fidèles. Il n'en ressort pas moins de pareilles constatations
1. Sancii Gregorii Papse I, Opéra omnia. Ad manuscriptos codices Romanos,
Gallicanos, Anglicanos emendata et illustrata notis, studio et labore Mona-
chorum ordinis Sancti Benedicti, Parisiis, MDCCV.
LA CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 143
que rinfluence des païens est, dans certaines régions, assez
grande pour disputer le terrain aux catholiques, puissamment
soutenus par le prestige du nom romain et maîtres de tous
les rouages de l'administration l.
L'Église avait donc besoin de toutes ses forces pour mener à
bien sa noble tâche; aussi la trouvons-nous fortement organisée
à tous les échelons de la hiérarchie.
La correspondance mentionne les évêques de Sagona, d'Aleria
et d'Ajaccio ; si elle passe sous silence ceux du Nebbio et
de Mariana, c'est sans doute parce que la situation intérieure de
leurs diocèses ne nécessitait en aucune façon l'intervention du
Souverain Pontife.
Un évêque fut aussi attribué à la basilique de Saint-Pierre,
située sur le mont Nigheuno 2; il faut voir dans cette désignation
le premier évêque d'Accia, depuis longtemps vacant, quand,
au XII* siècle, il fut relevé par le pape Innocent IL
Les évêques étaient élus par l'Assemblée des fidèles ; lorsque
deux candidats obtenaient l'un et l'autre un nombre respectable
de voix, ils étaient tenus de se rendre à Rome où, après examen
de leur passé et de leurs aptifudes, le Pape prononçait son
1. Susceptis epistolis Fraternitatis vestrse, magnas omnipotent! Deogratias
retulimus : quia de congregatione multarum animarum nos dignatus es
relevare. Et ideo Fraternitas vcstra sollicite studeat opus quod cœpit,auxiliante
Domino, ad perfectionem deducere. Et sive eos qui aliquando fidèles fuerunt,
sed ad cultum idolorum negligentia aut necessitate reversi sunt, festinet cum
indicta pœnitentia aliquantorum dienim ad fîdem reduccre, ut reatum suum
plangere debeant.et tanto firmius tencant hoc ad quod Deo adjuvante revcr-
tuntur, quanto illud pcrfecte defleverint unde discedunt; sive eos qui necdum
baptizati sunt admonendo, rogando, de venturo judicio terrendo, quia ligna
et lapides colère non debent, festinet Fraternitas tua omnpotenti Domino
congregare ;... T. II, L. VIII, Epist. 1, Gregorius Petro episcopo Corsicœ^
année 598.
2. Le texte de saint Grégoire n'est pas très clair : Vcstra autcm Fraternitas
petiit ut sibi Episcopum in Ecclesia, quse non longe ab eodem monte
(Negeugno) est, facere debeat : quod omnino libenter accepi ; quia quantum
vicina fuerit, tantum prodesse animabus illic consistentibus amplius poterît.
L. VIII, Ep. 1. Année 598. Le sens général de la phrase semble indiquer qu'au
lieu de Episcopum il convient de lire Episcopium. Il ne s'agirait, dans ce cas,
que de la construction d'une simple résidence épiscopale au lieu de l'institu-
tion d'un évêché. Mais la résidence appelle l'évêque ; étant données les diffi-
cultés des communications, nous pensons que Saint-Pierre d'Accia fut érigé
de très bonne heure en évêché.
144 CHAPITRE IX. § l*^
choix. Mais le suffrage universel est capricieux et souvent les
électeurs sont têtus ; chaque parti voulait avoir son évêque et,
un instant, les diocèses d'Ajaccio et d'Aleria se trouvent privés
de leurs pasteurs. Saint Grégoire s'élève, avec beaucoup de
véhémence, contre son représentant dans l'île, parce que le
désaccord règne dans les paroisses, au moment des périodes
électorales l. Il tourne la difficulté en envoyant des évoques
d'Italie visiter les églises corses ; un de ces prélats, Martin,
évêque de Tainatis, est appelé à l'évêché d'Aleria 2 et Léon est
nommé chorévêque deSagona, avec ordre de visiter sa circonscrip-
tion et d'y remplir tous les offices d'un titulaire : instruction des
ecclésiastiques, maintien de la discipline et autres devoirs ana-
logues. Ces atteintes au droit électif des communautés chré-
tiennes,droit jalousement confirmé partons les synodes, prouvent
combien devait être grand le désarroi des églises insulaires et
expliquent les instantes recommandations du Pontife aux fidèles,
pour les engager à obéir à leurs nouveaux pasteurs 3.
1. Gregorius Bonifacio Corsicœ defensori. Experientia tua non sine cul pa est
quod Aleriam atque Adjacium civitates Corsicœ diu sine Episcopis esse
cognoscens, clerum et populum earum ad eligendum sibi saccrdotem distule-
rit commonere. Quœ quoniam sine proprio amplius non debent esse Rectore,
prsesenti auctoritate suscepta, clerum et populum singularum civitatum
hortari festina ut inter se dissentire non debeant, sed uno sibi consensu una-
quseque civitas consecrandum eligat sacerdotem. Et facto decreto, ad nos is
qui fuerit electus, adveniat. Si autem in uno consentire noluerint, sed in
duorum se elcctione diviserint, similiter decretis ex more faotis ad nos
adveniant, ut requirentes de vita, actu et moribus eorum, is qui visus fuerit,
ordinetur. L. XI, Epist, LXXVII, année 601.
2. Gregorius I, papa, Martinum, episcopum quondam Tainatis ecclesias, in
Corsica Aleriensem episcopum constitua. Et quoniam Ecclesia Tainatis, in
qua dudum fuerat honore sacerdotali tua fraternitas decorata, ita est delictis
facientibus hostili feritate occupata atque diruta, ut illuc ulterius spes
remeandi nuUa remanserit, in ecclesiam te Alirensem, quœ jam diu Pontificis
auxilio destituta est Cardinalem te secundum petitionis tuae modum, hac
auctoritate constituimus sine dubio sacerdotem. L. l,Epist. LXXIX, année 591.
Tainatis est, d'après M. Letteron, à identifier avec Tadinum, évêché de
rOmbrie. Le texte de cette lettre n'est pas le même dans toutes les éditions ;
les Bénédictins au lieu de ... remanserit, in Ecclesiam te Alirensem, donnent
... remanserit in Ecclesia Saonensi. Nous avons suivi la leçon des Monumenta
Germaniœ historica,
(3) Gregorius I papa in duabis epistolis clero et nobilibus CorsicK nuntiat,se
LA CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 145
A la tête des paroisses étaient placés les prêtres {prœsbyteri),
ordonnés et nommés par les évêques ; on exigeait certaines
qualités du personnel qui demandait à recevoir les ordres.
Avant tout il fallait qu'il fut libre. Cependant l'interdiction
absolue du mariage aux.clercs des ordres majeurs, prononcée par
le concile d'Elvire (324), n'était pas scrupuleusement observée.
La plupart des prêtres corses étaient mariés ; quelques-uns
même, il est permis de le supposer, cherchaient dans le concu-
binage les plaisirs permis aux païens. Le Pape s'élevait sévère-
ment contre la cohabitation des prêtres avec des femmes qui
n'étaient ni leurs mères, ni leurs sœurs, ni leurs épouses légi-
times 1. Ces mœurs n'étaient pas spéciales au clergé corse. Il
est naturel, du reste, que, dans une île rattachée à l'empire
d'Orient, les coutumes de l'église grecque aient longtemps pré-
Martinum episcopum Aleriensem et Leonem visitatorem ecclesiœ Saonensis
constituisse. Augustus 591.
Gregorio clero nobilibus Corsicse a pari duas
Ea de re quoniam ecclesia
Alarensis sacerdotis Saonensis sacerdotis diu est auxilio desti-
diu est auxilio destituta, tuta necessario duximus, Leoni fratri et
necessario duximus, coepiscopo nostro ejus operam visitationis
Martinum fratrem et iniungere. Cui etiam in ea parochiisque
coepiscopum nostrum ipsius prsesbyteros atque diacones conces-
ibidem cardinalem simus ordinandi ficentiam, eumque rébus
consistere sacerdotem. ejus quousque illic fuerit,ut proprium Pon-
tificem uti permisimus.
Ideoque scriptis prsesentibus admonemus, uti-prœfatum visitatorem caritas
vestra cum omni devotione suscipiat eique obedientiam in bis quœ ration!
conveniunt, sicut ecclesise decet filios, exbibite ; quatenus omnia, quœ ad utili-
tatem subscriptse pertinere cognoscistis ecclesise, vestra valeat devotione suful-
tus implere. L. I, Epist, LXXX.
Cette lettre est extraite des Monumenta Germanise historica ; les éditeurs
font remarquer que, sur les manuscrits, le document n'est point partagé en
deux parties mais, d'après eux, l'expression a pari duas implique deux
lettres. Au lieu de alarensis ecclesia, plusieurs manuscrits donnent : Sona-
nensis, Alirensis, Ararensis, Sonasausis, Soanansis, Saonensis, Aleri.
1. Praeterea volumus, ut Sacerdotes qui in Corsica commorantur, prohiberi
debeant, ne cum mulieribus conversentur, excepta dum taxât matre, sorore,
vel uxore, quœ caste regenda est. Tribus vero, de quibus prsedicto filio meo
Bonifacio Diacono tua experientia scripsit, quia vebementer egent, quidquid eis
sufficere œstimas, impende ; quod nos in tuis postmodum rationibus imputa -
bimus. Data mense Julio. L. I, Ep, LU, Gregorius Symmacho defensori,
JuUIet 591.
10
146 CHAPITRE IX. § !•'.
values. Or, à cette époque, il était permis aux prêtres de cette
église de vivre dans le mariage qu'ils avaient contracté avant
Tordination.
Au troisième rang de Tordre ecclésiastique étaient les diacres,
dont les fonctions consistaient à distribuer Teucharistie, à
baptiser même, avec la permission de Tévêque. Ces clercs, véri-
tables vicaires et suppléants des évêques, acquirent peu à peu
une grande importance.
Toutes ces fonctions étaient très recherchées. Pour faciliter
aux clercs leurs devoirs, Constantin le Grand les affranchit de
Tobligation de remplir les charges municipales gratuites.
L'Empereur Constance les exempta, eux, leurs familles et leurs
gens, des impôts extraordinaires. Dès lors beaucoup de citoyens
devaient être tentés d'entrer dans les ordres pour échapper aux
impôts qui pesaient lourdement sur les contribuables. Il est
vrai que plusieurs édits défendaient aux riches la carrière ecclé-
siastique, à moins d'avoir préalablement fait abandon • de leur
fortune, soit à la curie elle-même, soit à un de ses membres.
Au privilège de llmmunilé dont les clercs jouissaient dans
l'Empire, s'ajouta bientôt le privilège du for, privilegium fori.
Les prêtres, désormais, ne furent justiciables que des tribunaux
ecclésiastiques ; même dans les causes criminelles, ils devaient
être jugés par leurs supérieurs ; ils n'étaient livrés au bras sécu-
lier qu'après dégradation de leurs ordres.
En Corse, l'autorité civile ne tenait pas toujours compte de
ces prescriptions, confirmées cependant par l'approbation des
Empereurs. Aussi Saint Grégoire ne cessait de s'élever contre ces
empiétements du pouvoir civil sur l'autorité ecclésiastique : « Si
tu étais un homme, écrit-il au defensor Boniface, tu ne tolérerais
pas de pareils abus. » ^
1. Prseterea pervenit ad nos quod quidam Clericorum, te illic posito, a
laïcis teneantur. Quod si ita est, tuae hoc culpse noveris reputari : quia hoc
fieri si homo esses non habuit. Et ideo de cetero sollicitudinem te habere
necesse est, ut hoc fieri non permittas : sed si quis contra Clericum causam
hahuerit, Episcopum ipsius adeat. Qui si forte suspectus fuerit, executor vel
ab ipso, aut si et hoc actor refugerit, a tua est Expericutia deputandus, qui
partes sibi mutuo consensu judices compellat eligere. A quibus quidquid
fuerit definitum, ita vel tua vel Episcopi soUicitudine, servata lege, modis
omnibus compleatur, ut non sit unde se possint litigiis fatigare. L. XI, Epist,
LXXVII, Gregorius Bonifacii Defetisori Corsicœ, année 601.
LA CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 147
Le defensor Corsicx dont nous avons eu l'occasion de parler,
était le représentant du Pape dans la province. Ses fonctions
consistaient à faire respecter les droits de TElglise, à accepter et
à recueillir les legs faits aux pauvres, à protéger les incapa-
bles et à administrer les biens relevant du Saint-Siège. Il veil-
lait à la nomination des évêques, statuait sur les cas litigieux
entre clercs, rappelait au respect de la discipline, et maintenait
l'unité de doctrine, base fondamentale de la foi.
Au defensor était adjoint un notaire chargé de la rédaction et
de la conservation des actes.
La correspondance de Saint Grégoire mentionne deux défen-
seurs : Symmaque (591) et Boniface (601) et un notaire : Boni-
face (603).
§ 2. — Monuments consacrés au culte.
La paroisse, à l'origine, correspondait à la civitas. Elle com-
prenait un territoire plus ou moins étendu, répondant approxi-
mativement à la superficie d'un canton actuel. De même que
l'oppidum marquait l'emplacement du centre de la cité, ainsi la
croix d'abord, l'église ensuite, s'élevèrent au centre delà nou-
velle communauté. Autour de ces points de ralliement, les jours
de fête, le prêtre célébrait les mystères sacrés, revêtus des habits
que portaient alors, dans la vie ordinaire, les personnes honora-
bles chargées d'une fonction publique.
Plusieurs oratoires furent construits, plus tard, dans les limi-
tes d'une même paroisse, soit afin de faciliter aux populations
éloignées de l'église l'accomplissement de leurs devoirs reli-
gieux, soit dans un but de piété, comme d'honorer spécialement
quelque saint.
En Corse, ces églises primitives se trouvaient pour la plupart
en rase campagne ; presque toutes ont disparu ou fait place h
des édifices nouveaux, mais leur nom est resté attaché au site
qu'elles ont occupé.
Saint Grégoire était un trop profond politique et un trop
habile tacticien pour ne pas pousser à fond la conquête spiri-
tuelle de la Corse. Sous son habile impulsion, le clergé plante
sa croix, comme un drapeau, sur les sommets des hauts pla-
teaux et, pour assurer sa conquête, élève des églises, éternels
148 CHAPITRE IX. § 2.
remparts de la foi, destinés à repousser les continuels assauts
de l'impiété et d^ la barbarie. Dès la première année de son pon-
tificat (591), il prescrivit de bâtir un couvent dans l'île, qui n'en
possédait aucun. Les monastères, pépinières de clercs, sources
permanentes d'instruction et d'édiflcation, étaient un élément
essentiel pour assurer le triomphe de l'église. Le pape presse les
travaux, fournit l'argent nécessaire, intervient même dans le
choix de l'emplacement. Il veut que le couvent s'élève sur le
bord de la mer, dans un endroit fortifié ou facile à fortifier. Les
barbares menaçaient l'empire et il importait que les moines
fussent à l'abri d'un coup de main. 1
Ce que nous ne pouvons pas nous expliquer c'est la raison
qui a décidé le Souverain Pontife à ne pas peupler de suite
un couvent déjà construit et offert à l'Église par une vénérable
femme nommée Labina 2. Il accepte le bâtiment et compte
donner satisfaction aux intentions de la donatrice, mais, pour le
moment, il tient à son idée r avoir un monastère sur les bords
de la mer. Il est permis de conjecturer que dans son esprit ce
monastère devait être le trait d'union entre Rome et les églises
de l'intérieur de l'île.
Cinq ans après, Pierre, évêque d'Aleria, recevait la mission de
construire une basilique et un baptistère sur les flancs du
1. Filius meus Bonifacius Diaco nus dixit mihi.quod experîenta tua scripsis-
set, monasterium quondam ab Labina religiosa femina constnictum paratnm
existere, ut in eo debeant monachi ordinari. Et quidem laudavi sollicitudinem
tuam; sed volo ut excepto eo loco,qui jam in eamdem rem dimissus est,locus
alter debeat provideri : ita tamen, ut pro incertitudine temporis locus super
mare requiri debeat qui aut loci dispositione munitus existât, aut certe
non magno labore muniri valeat, ut illuc monachos transmittamus :
quatenus insula ipsa, quœ monasterium nunc usque non habuit,
etiam in hujus conversationis via meliorari debeat. Ad quam rem implendam
atque providendam Horosium abbatem, praesentis praecepti portitorem, direxi-
mus, cum quo tua experientia littora Corsicse circumeat ; et si cujuslibet
personsee privatœ locus talis inveniri dignus potuerit, dignum parati sumus
pretium dare, ut possimus aliquid firme constituere... Ita igitur experientia
tua façiat, ut ex utraque re, id ex vel providendo in Corsica monasterio, vcl
corrigendis Monachis in Gorgonia, non nostrse, sed voluntati omnipotentis
Del parère festines. L. I, Epist. LU, Gregorius Sgmmacho defensori ;
année 591.
2. Variantes : Labinia et Albina.
LA CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 149
mont Nigeuno l, au centre des domaines pontificaux de Cella
Cupia.
Il ne faut pas se laisser éblouir par les mots. Au vi* siècle, une
basilique n'implique pas l'idée d'un monument remarquable par
ses dimensions et la richesse de son ornementation, c'est un
simple bâtiment rectangulaire plus long que large, à l'extrémité
duquel se trouve souvent une niche ou abside ; généralement la
nef n'avait d'autre fermeture que le toit lui-même, et l'on pouvait
voir d'en bas le comble de l'édifice dans toute sa longueur,
A côté de ces constructions rectangulaires il y avait des édifices
ronds, servant surtout de baptistères ou de chapelles funéraires.
Ces bâtiments spéciaux étaient généralement construits dans le
voisinage des églises.
Je demande pardon au lecteur d'entrer dans des détails
d'histoire générale ; je juge ces explications nécessaires pour
jeter un peu de lumière sur les textes de saint Grégoire, que
quelques écrivains locaux ont faussement interprétés, par suite
d'une complète ignorance de la valeur des mots.
L'évêque d'Aleria poussa les travaux avec une infatigable
activité ; en 598, la basilique était ouverte au culte, sous le
vocable de Saint Pierre, et pourvue d'un desservant ; quelque
temps après un presbytère était annexé au bâtiment principal.
Le baptistère, placé sous la protection de saint Laurent, lut
construit à la même époque. Les fêtes baptismales revêtaient en
ces temps héroïques un éclat tout particulier ; elles duraient
huit jours, pendant lesquels les néophites, habillés de vêtements
blancs (dominica in albisl, recevaient successivement tous les
sacrements. Ces vêtements étaient achetés par les prêtres corses
au moyen de fonds mis à leur disposition par le Pape 2.
1. Quoniam in insula Corsica in loco Nigeuno, in possessione, quse Cellas
Cupias appellatur, juris Sanctse Romanse, cui Deo auctore deservimus Eccle-
sise, basilicam cum baptisterio in honorem beati apostolorum Principis
Fetri, atque Laurcntii Martyris prolucrandis animabus fundari prsccipimus :
idcirco Fraternitatem tuam his bortamur assatibus, quatenus ad prœdictum
locum debeat incunctanter accedere, et venerandie solemnia Dedicationis
impendens, prsedictam Ecclesiani et baptisterium solemniter consecrare te
volumus. Sanctuaria vero suscepta summa cum reverentia collocabis. L. VI,
Epist. XXII, Gregorius Petro Episc, Aleriensi de Corsica. Année 596.
2. Transmisimus autem Fraternitati tuœ quinquaginta solidos ad vesti-
150 CHAPITRE IX. § 2.
Il ne nous reste maintenant qu'à chercher les emplacements
de ces divers monuments.
La comparaison du texte de saint Grégoire avec les donations
faites à Tabbaye de Monte-Christo nous permet d'identifier
le mont Nighcuno avec le mont Saint-Pierre qui s'élève entre
les vallées d'Orezza et celles de Rostino. Peu importe que ces
donations soient des reconstitutions plus ou moins adroites de
documents disparus; peu nous importe qu'elles aient été forgées
de toutes pièces ; leur valeur historique peut et doit être contes-
tée mais, au point de vue topographique et linguistique, elles
représentent le plus riche trésor du bas moyen-âge. Tous les
noms des parcelles de terre qu'elles mentionnent se retrouvent
sur le cadastre, quelquefois détournées de leur signification par
des topographes ignorant la langue du pays.
Le mont Nigheuno, en effet, se trouvait sur une possession du
Pape, désignée sous le nom de Cella Cupia ; or, le mont Saint-
Pierre surplombe à l'Est le village de Cella-Petricajo i et au Sud-
Ouest le canton de San Lorenzo qui est limité à l'Ouest par la crête
de Sant'Angelo-di-Czippa. Sans crainte de nous tromper, nous
pouvons dire que le fief de Cella Cupia comprenait au moins une
portion des cantons actuels de Morosaglia (JMarii Sala) et de San
Lorenzo et que le mont St-Pierre correspond au mont Nigheuno.
L'église bâtie sur les flancs de cette montagne doit être identifiée
avec l'église d'Accia et non avec l'église voisine de Rescamone,
comme ou l'a écrit dans ces dernières années. En effet, exami-
nons les particularités que présentent les ruines d'Accia ; nous
constatons d'abord qu'elles comprennent deux corps de bâti-
ment : l'église proprement dite et le presbytère. « Les murs de
« l'église, dit Mgr Foata et ceux de la maison semblent avoir été
« bâtis tout d'un trait et à la même époque: attendu que,construits
« avec mêmes matériaux et même mortier de chaux et terre mê-
« lée,ils sont liés ensemble et non juxtaposés. Cependant, la croix
« percée à jour sur la façade de l'église aurait-elle était faite, si
« elle devait être immédiatement masquée par la maison ? Cela
menta eDrum,qui baptizaiidi sunt, comparanda ; Presbytère quoque Ecclesise,
quae in Negheugao monte sita est, possessionem quam tua Fraternitas petiit,
dari feciinus, itaut quantum prœstat, tantum de solidis quos accipere consue-
verat, minus accipiat. L. VIII, Epist. I, année 598.
1. Carte de rétat-major, P» 263.
LÀ CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 151
ne parait guère probable ^ ». L'observation est judicieuse, la
maison a été bâtie trois ans après Téglise.
L'église d'Accia remplit donc toutes les conditions indiquées
par la correspondance de saint Grégoire ; elle est sous le vocable
de saint Pierre ; elle est située non loin du mont Nigheuno ; elle
se trouve dans la région de Cella Cupia et elle est pourvue d'un
presbytère.
Elle ne peut donc être confondue avec l'église de Rescamone
qui ne présente aucune de ces particularités.
Le baptistère, bâti par ordre de Saint Grégoire sous le vocable
de Saint-Laurent, doit marquer l'emplacement du village de San
Lorenzo, situé à environ 8 kilomètres de Saint-Pierre d'Accia.
Nous n'avons aucun renseignement sur le premier couvent de
la Corse, fondé à cette époque. Nous savons qu'il était situé sur
les bords de la mer, dans un endroit facile à défendre. Le cou-
vent de Sainte-Marie, qui s'élevait sur l'emplacement actuel de
la chapelle de Sainte-Catherine-de-Sisco, remplit ces conditions ;
évidemment il y a lieu de rejeter les assertions de Semidei et de
Vitalis qui font remonter sa construction à l'an 400 de notre
ère, mais il est possible que nous soyons en présence du cou-
vent mentionné par la correspondance de Saint Grégoire^
Au VI* siècle, il existait en Corse un second couvent dû aux
libéralités de la pieuse Labina. Il serait vraiment extraordinaire
qu'au cours de son pontificat Saint Grégoire n'y ait pas envoyé
de moines. Nous pensons que nous sommes en présence de
l'abbaye de San Stefano-de-Venaco, dont l'antiquité se perd
dans les ténèbres des donations au monastère de Monte Christo 2.
Ce qui est certain c'est que, jusqu'à preuve du contraire, les
couvents de Sainte-Marie-de-Sisco et de San-Stefano-de-Venaco
sont les plus anciens de la Corse et tout porte à croire qu'ils
remontent au pontificat de Saint Grégoire.
§ 3. — Influence temporelle du Pape.
L'action bienfaisante de Saint Grégoire se manifestait non
seulement dans l'organisation du culte et la propagation de
1. Foata (Mgr), p. 52.
2. Ces chartes ont été publiées par Muratori, Cambiaggi et la Société des
sciences historiques de Bastia etc., nous les supposons connues par le lecteur.
152 CHAPITRE IX. § 3.
la foi, mais aussi dans une application constante à réparer les
maux que causait la négligence ou la cupidité des fonction-
naires impériaux. En 595, avec une éloquence d*apôtre,il s'adres-
sait à l'Impératrice Constance et dans un tableau saisissant
traçait l'état lamentable du pays. Comme des oiseaux de proie,
les agents du fisc s'abattaient sur les campagnes, pressurant
avec une férocité inexorable les malheureuses populations
réduites à vendre leurs enfants sur le marché aux esclaves pour
payer l'impôt l. Il réclamait des administrateurs intègres et
habiles ; il priait l'exarque d'Afrique de veiller à la défense du
pays qui était à la merci des barbares, il s'efforçait par tous les
moyens de parer aux terribles événements qui se préparaient et
il ne refusait jamais une lettre de recommandation à ceux qui
imploraient son assistance 2, Ce détail, infime en apparence,
peint l'homme politique mieux que de longues phrases ; il
1. Corsica vero insula tanta nimietate exigentium, et gravamine premitur
exactionnam, ut ipsi qui in illa sunt, eadem quœ exiguntur complere vix
filios suos vendendos sufficiant. Unde sit ut derelicta pia Republica, posses-
sores ejusdem insulœ ad nefandissimam Langobardorum gentem cogantur
efifugere. Quid enim gravius, quid credelius a Barbaris pati possunt, quam
ut contricti atque compressi suos vendere filios compellantur ? L. V, Epist,
XLI ; Gregorius Constantinœ Augustes, année 595.
2. His,qui se apud Excellentiam vestram nostris desiderant Epistolis corn-
mendari, securi de vestra benignitate, facimus quod petimur. Ruserius siqui-
dem Cornes cum aliis concivibus suis a vobis, ut cognovimus, ad Âfricanam
evocati Provinciam, petierunt scriptorum nostrorum sibi apud vos prodesse
suffragia. Quapropter Excellentiam vestram paterno salutantes affectu, peti-
mus ut eos in nullo a quoquam patiamini apud vestros animos contra justi-
tiam ingravari ; sed sicut circa commisses vobis pia discretaque vos novimus
invigilare cautela, ita et de his tranquille disponere, inspirante vobis Domino
de beatis, atque de insulœ ipsius sollicitius tractare cautela : ne si illuc
exercitus sine persona utili, quae hune gubernare valeat, incauta dispositione
transmittitur, adjumentum hostibus prœbeatur. Quia autem Ânastasium tri-
bunum, quem illic Excellentia vestra ordinaverat, bene secum egisse, atque
in nulla laesione eum afferunt misculsse se provincise, quem etiam nunc et
remotum graviter ferunt, praecipiat Excellentia vestra illuc eum iterum des-
tinari, suisque adhortationibus firmari : ut qui de bona actione jam placuit,
nullius ad maie agendum suasionibus incitetur ; ne tantorum judicium.quod
ex bona administratione habere meruit, deterius perdat, quod non optamus
agendo contraria. Ita ergo petimus, ut vestra Excellentia faciat quatenus
bonum vestrum quod testatur Africam, etiam Corsica cognoscat. L. VII,
Epiêt. III, Gregorius Gennadio Patricio Afric«, année 597.
Là corse et le saint siège. 153
prouve la popularité dont il jouissait et l'habitude qu'avaient
contractée les insulaires de recourir à sa bonté.
Enfin, le Souverain Pontife, conformément au droit romain,
exerçait, dans ses domaines de Tile, sa juridiction sur les colons,
ce qui nécessitait des magistrats, des prétoires et des prisons.
Il faisait aussi acte de souveraineté, en faisant fortifier les cou-
vents, en ouvrant des chemins, en prenant sous sa protection
les pauvres, les veuves et les orphelins, en intervenant directe-
ment auprès des gouverneurs.
Mais c'est surtout dans la reddition de la justice que se faisait
sentir l'autorité de l'Église. Il était d'usage parmi les premiers
chrétiens de ne pas porter leurs différends devant les tribunaux
.païens, mais de les terminer entre eux ; les fidèles prirent ainsi
rhabitude de s'en rapporter à l'arbitrage de l'évêque. Cette juri-
diction, consacrée par Constantin, entra en concurrence avec la
juridiction impériale et finit, dans certaines provinces, par
l'absorber.
L'administration de la justice fut une des principales préoccu-
pations de Saint Grégoire ; il intervenait à chaque instant en
faveur des pauvres et des incapables, trop souvent victimes de
la partialité des tribunaux, faisait étudier leurs réclamations et
leurs doléances et rappelait au defensor de la province qu'il
était le protecteur légal de tous les malheureux i.
Il est permis de croire que la politique habile de Saint Gré-
goire fut suivie par ses successeurs. Malheureusement les
documents que j'ai consultés ne me permettent pas de suivre
chronologiquement le développement de l'Église insulaire. C'est
à peine si je peux noter qu'en 708 le pape Sisinnius nomma un
évêque en Corse 2.
Au milieu du viii« siècle, le Saint Siège, grâce à la création des
évêchés et à l'institution des paroisses, possède tous les moyens
pour être entendu du plus humble des fîdèles.Tandis que l'auto-
1. Quia vero multi illic paupcres opprimi ac pati prsejudicium perhibentur,
Ëxperientia tua sollicitudinem gerat, et gravari eos contra justitiam non per-
mittat : sed ita studeat, ut uec agentes contra rationem impcdiri, nec hi
contra quos agitur injuste valeant dispendium sustinere. L. XI, Epist,
LXXVII, Gregorius Bonifacio defensori Corsicœ, année 601.
2. Sisinnius papa fecit autem episcopum in insula Corsica unun). Gestarum
Pontificum Romanorunif dans Mon. Germantes hist, t. I, p. 221.
164 CHAPITRE IX. § 3.
rite impériale s'affaiblit et ne se manifeste que par des vexations
et toutes sortes, le Pape crée de nouveaux clercs, multiplie les
couvents d'où jaillissent l'instruction et la civilisation, et n'in-
tervienl que pour apporter un peu d'adoucissement aux misères
du peuple. Aussi un courant puissant d'amour et de respect
monte-t-il du peuple vers le Pape et ses représentants : les
évèques, les prêtres et les moines. En moins de deux siècles,
la Corse, lasse du joug des Barbares qui l'écrasent, est de tout
cœur acquise au Saint Siège.
§ 4. Donation de la Corse au Saint Siège.
Au commencement du vin* siècle, l'autorité de l'Empereur
d'Orient sur l'Italie était purement nominale. Il y avait bien, à
Ravenne, un exarque gouvernant et surtout rançonnant, au
nom de la cour Byzantine, les provinces non envahies par les
Lombards, mais les ducs qu'il nommait et les magistrats muni-
cipaux, toujours électifs, de la Corse^ de la Sicile et de la
Sardaigne, échappaient à ses ordres. De leur côté les Lombards
purent, un instant, comprendre l'île parmi leurs possessions
mais leur action ne s'y fit jamais sentir. Un seul pouvoir
restait organisé : celui du Pape.
L'intervention de Pépin le Bref dans la lutte qui s'était
engagée entre Aslolf, roi des Lombards, et le Saint-Siège, allait
légitimer une situation créée par les événements et l'habile
politique de Rome.
Pépin, victorieux dans deux campagnes (754-756), fit à Quierzy
une promesse de donation au pape Etienne III de toutes les
provinces d'Italie qui ne dépendaient pas légalement de la
couronne de Pavie ; la Corse tout entière était acquise au Saint-
Siège.
En 774, Charlemagne était, à son tour, appelé en Italie, pour
combattre les Lombards qui furent écrasés et définitivement
réduits à l'impuissance. Ce prince ratifia la donation promise
vingt ans auparavant et y fit ajouter une partie de l'exarchat
de Ravenne 1.
1. (Ciim Carolus rex Pippiiii régis) promissionnem quœ in Francia in loco
qui vocatur Carisiaco facta est, sibi relegi fecisset, aliam donationis promission-
nem ad instar anterioris ascribi jussit per iEtherium capellanum et notarium
suum, ubi concessit easdem civitates et territoria beato Petro, easque
LÀ CORSE ET LE SAINT SIÈGE. 155
L'original de ces denatâons ii*existe plus, et celui qui fut
produit plus tard a été l'objet d'ardentes <itseiissiâii& Les uns
croient fausse l'information si précise de la Vita Hadrianl
donnée par le Liber Pontificalis, d'autres en diminuent Timpor-
tance et considèrent le passage id est a Liinis, , . jusqu'au mot
Beneoentanum comme une inlerpolation.
Ces critiques, si elles étaient admises, prouveraient que
Charlemagne n'a pas donné la Corse au Saint-Siège. Nous
n'avons pas ici à discuter sur des opinions contradictoires, nous
devons nous borner à n'interroger que les textes et les faits. En
ce qui concerne la Corse, une lettre du pape Léon III reproduite
par dom Bouquet tranche définitivement la question. En 806,
la Corse, nous le verrons plus loin, était menacée par les
Sarrasins. Que fait le Pape ? Immédiatement il invoque l'inter-
vention de Charlemagne sans oublier de lui rappeler la donation
faite quelques années auparavant i. A moins d'admettre que
cette lettre a été forgée pour contrarier les critiques, la donation
de la Corse au Saint-Siège par les rois des Francs ne peut être
mise en doute.
Malheureusement pour l'île la Papauté va bientôt se heurter
à un ennemi terrible, le Sarrasin.
(Âdriano) pontifîci contradi spopondit per designatum confinium, sicut in
eadem donatione contineri monstratur, id est : a Lunis cum insula Corsica,
deinde in Suriano, deinde in monte Burdone, inde in Berceto, deinde in
Parma, deinde in Regio et exinde in Mantua atque in monte Silicis, simulque
universum exarchatum Ravennatum, sicut antiquitus erat, atque provincias
Venetiarum et Istriam, nec non et cunctum Spoletinum seu Beneventanum.
Liber Pontificalis, c. 43. *
1. De vero Ecclesiis Dei, ut suas liabeant justitias, atque littoraria nostra
et vestra ab infestationc paganorum et inimicorum nostrorum tuta reddantur
atque defensa, nos, quantum Dominus virtutem donaverit, cum ipso praedicto
filio nostro studium ponimus : sel vestrum consillum et vestrum solatium et
nobis et illi necesse est. De autem insula Gorsica unde et in scriptis et per
Missos vestros nobis emisistis, in vestrum arbitrium et dispositum
committimus, atque in ore posuimus Helmengaudi Gomitis, ut vestra donatio
semper firma et stabilis permaneat et ab insidiis inimicorum tuta persistât.
Lettre du pape Léon III à Charlemagne, 806, dans dom Bouquet, t. V, p. 599. —
Déjà sous le pape Léon III les Gorses avaient leur quartier particulier à Rome,
c ainsi que des écoles, autrement dit des confréries, dont les noms sont restés
c à des églises, à des hôpitaux, à des collèges, à des académies ». Gésar
Gantu. Hist, Univ. trad. Aroux et Leopardi, t. IX, p. 71. — Anastasele
Bibliothécaire, dans la Vie de Léon III, mentionne, à Rome, le uicus Corsorum,
CHAPITRE X.
INVASIONS DES SARRASINS.
Sommaire. — § 1. Premières incursions des Sarrasins en Corse. —
§ 2. Expéditions des généraux de Charlemagne. — § 3. Expédition
du Comte Boniface. — § 4. Emigration des Corses en Italie. —
§ 5. La Corse au pouvoir des Sarrasins. — § 6. Expulsion des
Sarrasins. — § 7. Influence des invasions Sarrasines sur la Corse. —
§ 8. Conclusion.
§ 1. Premières incursions des Sarrasins en Corse.
Pendant que l'empire romain succombait sous les coups des
barbares, un événement considérable s'accomplissait en Asie,
par l'entrée en scène de Mahomet (622). Cinquante ans après,
les musulmans occupaient tout le Nord de l'Afrique et avaient
une marine à leur disposition. Les grandes expéditions mari-
times allaient commencer Dès l'année 648, Moavia, gouver-
neur de Syrie, faisait une descente dans l'île de Chypre ; vingt
ans après, un chef arabe, Abd-Allah-ibn-K'aïs-ibn-Makhlad-el-
Fazâri, pillait Syracuse, en Sicile. Depuis cette époque, les
provinces méditerranéennes n'eurent plus un instant de repos.
Il ne m'a pas été possible de déterminer la date précise de la
première incursion des Sarrasins en Corse. Pielro Cirneo, dans
sa chronique, place cet événement à une date correspondant à
la bataille de Poitiers, gagnée par Charles Martel sur Abd-er-
Rhaman, en ayant soin de préciser qu'il ne parle que d'après la
tradition. Il est donc inutile d'insister sur ses anachronismes
évidents et nous rejetons toute la partie de son récit concernant
les exploits de Charles Martel dans l'île i.
En vérité, les écrivains chrétiens ne font aucune mention des
premières visites des musulmans dans la Méditerranée. Si nous
en croyons Novayry, historien arabe, dès l'an 712, une escadre
1. Ptetro Cirneo^ De rébus corsicis libri quatuor, trad. Letteron, p. 72.
INVASIONS DES SARRASINS. 157
de l'émir Mouçà-ibn-Nos'aïr, serait venue piller une partie de
la Sardaigne, dévastant les églises et les maisons des riches î.
Ce récit nous paraît digne de croyance et se trouve en quelque
sorte confirmé par Tempressement de Liutprand à faire trans-
porter, de Cagliari à Pavie, les reliques de Saint Augustin, qu'il
importait de soustraire à la fureur des ennemis du christia-
nisme. Cette translation a eu lieu selon les uns en 721, selon les
autres en 722 et même en 725 2. La date exacte n'a pas grand
intérêt, ce fait n'ayant d'importance que parce qu'il confirme la
présence des Sarrasins en Sardaigne dès le commencement du
VIII® siècle. Leur apparition en Corse, vers la même époque,
découle de leur marche, et peut-être circonscrite entre 712 et 739,
date de leur première descente sur les côtes de France, dans
l'île de Lérins, aux environs d'Antibes 3. H est probable que ces
premières invasions se bornèrent à quelques légères incursions.
Mais, vers 759, il est certain que l'île était sérieusement mena-
cée ; 4es moines du couvent de la Gorgona dont dépendaient les
couvents insulaires, ne se sentant plus en sûreté, faisaient trans-
porter, de Corse à Brescia, les reliques de Sainte Julie *. Ce fait
simple en lui-même est, pour quiconque connaît l'histoire des
invasions musulmanes, une preuve indiscutable de l'appari-
tion des Sarrazins. Tout déplacement de reliques marque leur
approche redoutée.
Sans aucun doute, dès le viii« siècle, la Corse eut a souffrir
des dévastations musulmanes, ce qui explique qu'à propos de
la campagne de 807, Eginhard ait pu écrire : « Burchard défendit
1. Novayry, Histoire de la Sicile, 1. I, cité par Wenrich, Rerum ah
Arabibus in Italia insulisque adjacentibus, Sicilia maxime Sardinia atque
Corsica gestarnm commentarii, Leipzig, 1845, p. 53, et par Reinaud, Inva-
sions des Sarrazins en France, Paris 1836, p. 69. — Manuscrit arabe de la
Bibliothèque Nationale, ancien fonds, no 702, fol. 10 verso.
2. Pauli Diaconi, De gestis Longobardorum, 1. VI, c. 48. — Muratori, Scrip-
tores rerum Italicarum, t. 1, P. 1, p. 506 ; t. Vil, p. 137 ; t. XII, p. 133, 134.
3. Reinaud, p. 70.
4. Ejus (SanctsB Julise) corpus, occupata Corsica a Saracenis, translatum
fuit in insulam Marmaricam, quae et Gorgona dicitur, cum multis reliquiis
sanctorum ; deinde in Brixiam ubi cum multa veneratione habetur. Passage
de Marangone, cité par Mgr Foata, p. 19.
158 CHAPITRE X. § !•'.
« la Corse contre les Maures qui, depuis plusieurs années, avaient
« pris rhabitude d'y venir piller l ».
Avec le ix* siècle, nous entrons dans une période historique
où les guides font moins défaut 2.
§ 2. Expéditions des généraux de Charlemagne.
En 806, une lettre du pape Léon III, signale l'apparition des
Maures sur les côtes d'Italie et prie l'Empereur Charlemagne de
défendre contre eux la Corse rattachée au patrimoine de Saint-
Pierre, « afin, dit le Souverain Pontife, que la donation que vous
avez faite à l'église demeure ferme et stable et soit mise à l'abri
des entreprises de l'ennemi commun. » Le comte Helmengald,
ambassadeur de l'Empereur près du Saint-Siège, paraît avoir
joint ses supplications à celles du Pape 3 et, peu de temps après.
Pépin, roi d'Italie, recevait l'ordre d'appareiller vers l'île avec
quelques vaisseaux.
Les Sarrasins ne soutinrent pas le choc et disparurent devant
la flotte impériale. Il y eut à peine une légère escarmouche,
dans laquelle périt le Frank Hadamar, comte de Gênes, qui
s'était imprudemment lancé à la poursuite d'une des embarca-
tions ennemies 4.
Pietro Cirneo raconte qu'Adhémar débarqua ses troupes dans
l'île, et en vint aux mains avec l'infidèle 5. Eginhard et les diffé-
rents chroniqueurs de l'époque carolingienne, cités par dom
1. Vita Caroli imperatoris scripta ab Einhardo, traducUon française de
A. Teulet, Paris 1840, t. I. p. 273.
2. Pour la rédaction de ce chapitre j'ai pris pour guides les ouvrages déjà
cités de Wenrich, de Fournel et de Reinaud. J'ai consulté et fait des
emprunts à l'intéressant travail d'Alphonse Vétault, Charlemagne, J'ai
compulsé, en outre, les importantes compilations de dom Bouquet et de du
Chesne. Je n'ai eu à ma disposition les œuvres de Muratori que pendant
deux jours et, à mon grand regret, je n'ai pas eu le temps d'en faire un
dépouillement complet.
3. Leonis III papœ Epistolœ, ap. dom Bouquet, t. V, p. 599.
4. Eginhard, t. I, p. 267 ; — dom Bouquet, Annales Francorum, t. V, p.
25 D ; Annales Rerum Francicarum, t. V, p. 55 d ; Annales Franconim Met-
tenses, t. V, p. 353 c. — Reinaud, p. 121. — Wenrich, p. 56.
5. Pietro Cirneo, p. 80.
INVASIONS DES SARRASINS. 159
Bouquet, se bornent à dire que Pépin expulsa les Sarrasins 1.
Il est néanmoins probable que quelques troupes furent laissées
à la garde de l'île, comme le Pape en exprimait le désir dan§ sa
lettre à l'Empereur 2.
Il est certain, du reste, que Charlemagne s'occupa activement
de la défense de la Corse ; une flotte, sous les ordres du conné-
table Burchart, fut chargée de la protection du littoral 3. La
précaution n'était pas inutile. L'échec de leurs tentatives n'avait
pas, en effet, découragé les pirates maures. Partis d'Espagne,
suivant leur coutume, ils vinrent, en 807, attaquer la Sardaigne.
Repoussés après avoir subi des pertes qu'on évalue à 3.000
hommes, ils cinglèrent à toutes voiles vers le littoral corse. Là
encore leur déroute fut complète * ; Burchart leur coula treize
vaisseaux et les bâtiments échappés au désastre « ne rame-
« nèrent dans leurs repaires de la côte espagnole, au lieu des
« cargaisons habituelles, que des équipages décimés 5 ».
Il est permis de supposer que l'intervention de Burchart ne se
borna pas seulement à livrer bataille aux Sarrasins, mais qu'il
s'occupa activement de l'organisation défensive de la Corse.
Peut-être même eut-il à lutter contre les postes sarrasins installés
sur le littoral.
On aurait ainsi l'explication naturelle de l'importance que
ses contemporains attachaient à son expédition. Trente huit ans
plus tard, en 845,1e Roi Charles le Chauve faisait allusion à ses
exploits dans la Charte accordée au monastère d'Aaron, sur la
demande de la vicomtesse Gerberge, fille de Burchart 6.
1. Pipinus rex fîlius Caroli Mauros deCorsica pepulit. ExHermanniChronico,
ap. dom Bouquet, t. V, p. 366 a.
2. Lettredu Pape Léon III, à Charlemagne (806). Ap. dom Bouquet, t. V, p. 599.
5. Eginhard, t. I, p. 273. « Burchardus cornes stabuU » ; sa signature figure
au bas du testament de Charlemagne comme unus e duodecim Francorum
primoribus.
4. Annales Francorum Fuldenses ; Annales Francorum ; Ex Adonis
Chronico ; Annales Francorum Mettenses ; dans dom Bouquet, tome V, p.
66 D, 322 c, 333 c, 354 b. — Reinaud, p. 122. — Wenrich, p. 66.
6. A. Vétault, Charlemagne, p. 436.
6. 845... et propter bona servitia quse nobis fecit contra Mauros de Corsica
et alios adversarios Francorum nobilis consanguineus noster Burchardus
Dux, prodictse vicecomitissse Gerbergae pater... Diplomata Caroli Calvi,
ap. dom Bouquet, t. VIII, p. 472, e.
A notre avis Burchart livra aux Sarrasins la bataille navale de Marana, dont
160 CHAPITRE X. § l«^
Malheureusement l'escadre impériale abondonna bientôt la
surveillance des îles italiennes et les Maures d'Espagne revenant
à la charge, dès Tannée suivante, prirent cruellement leur
revanche. Le samedi saint 809, ils abordèrent en Corse et enle-
vèrent toute la population d'une ville, à l'exception de l'évèque
et de quelques vieillards trop débiles pour trouver des acheteurs
sur les marchés d'esclaves i.
Cette ville, dit dom Bouquet, ne pouvait être que Mariana ou
Nebbio qui, seules, à cette époque, étaient le siège d'un évêché 2.
L'erreur est manifeste puisque Sagona et Aleria étaient depuis
longtemps des villes épiscopales. Au dire de Pietro Cirneo c'est
cette dernière qui aurait été saccagée et pillée. Le chroni-
queur ajoute même que les habitants d'Aleria, pour se mettre
à l'abri de ces invasions incessantes, jugèrent à propos de
chercher un refuge les uns à Serra, d'autres à Alesani, d'autres
à Campoloro, dans les domaines qu'ils tenaient de leurs aïeux.
Ce récit est très vraisemblable 3.
Le butin considérable emporté par les Sarrasins ne pouvait
qu'exciter leur convoitise. Attaquée de nouveau, en 810, la
Corse, sans défense, connut toutes les horreurs de l'occupation
musulmane ; presque toute entière elle fut courbée sous le joug
d'un vainqueur impitoyable 4.
En s'installant dans les ports de l'île, les Sarrasins devenaient
une menace constante pour l'Italie elle-même.
En vain, en 812, Louis, roi d'Aquitaine, signe une trêve de
trois ans avec l'émir Hakem. Bientôt le bruit se répand à Rome
parle Pietro Cirneo, p. 76, il y a lieu de tenir compte de la tradition rapportée
par le chroniqueur au moins quant au lieu de la bataille. Si plus loin, p. 82,
le chroniqueur, s'appuyant sur un des nombreux récits de la période carolin-
gienne, raconte, en dénaturant le nom, les exploits de Burchart (Bucarède),
c'est que, dans son esprit, l'expédition de Charles Martel en Corse ne faisait
aucun doute.
1. Eginhard, t. I, p. 281 ; divers annalistes dans dom Bouquet, t. V, p. 58 b,
355 c. -- Wenrich, p. 57.
2. Tome V, p. 355 note n : Hœc civitas alia esse non potest quam Mariana
vel Nebium, quse hoc tempore solae erant Episcopales in Corsica.
3. Pietro Cirneo, p. 84.
4... nulloque in ea (Corsica) invento prœsidio, insulam penè totam
subegerunt. Annales Francorum Mettenses, ap. dom Bouquet, t. V, p. 356 b.
Eginhard, t. I, p. 287. Voir aussi Annales Francorum, t. V, p. 59 a, 60 a ;
Ex Adonis Chronico, t. V, p. 323 c.
Invasions des sarra&îns. 161
qu*une flotte partie des côtes d'Afrique et d'Espagne devait
venir ravager l'Italie i. Charlemagne envoya, à leur rencontre,
une flotte commandée par le moine Wala et le jeune roi Bernard,
Les côtes du royaume furent épargnées, mais une partie de la
flotte maure put encore se livrer à la dévastation de la Corse 2,
C'est à cette époque, croyons-nous, qu'il faut reporler le lamen-
table récit de PietroCirneo. « Les Sarrasins abattaient et foulaient
aux pieds tout ce qu'ils rencontraient, écrasaient les enfants
contre les pierres, livraient aux flammes tous les édifices privés
ou religieux... Combien se livra-t-il de bataille rangées, combien
des nôtres succombèrent dans cette guerre, la rareté des docu-
ments concernant cette époque ne nous permet pas de le
rapporter d'une manière exacte. La tradition raconte que les
barbares firent un tel massacre des habitants de notre île, qu'il
resta à peine le dixième de la population. Parmi ceux qui
avaient échappé, les uns se réfugièrent dans les montagnes,
d'autres se cachèrent au fond des forêts, d'autres se retranchè-
rent sur des rochers 3 ».
A la suite d'une de ces expéditions, celle de 813, les Maures
revenaient de Corse en Espagne, avec un riche butin ; à la
hauteur de Majorque, une escadre franque, commandée par
Ermanger, comte d'Ampurias, tomba sur eux à l'improviste et
leur captura huit vaisseaux, sur lesquels on trouva plus de
cinq cents insulaires captifs. Pour se venger de cet échec, les
Maures ravagèrent Civita-Vecchia, en Toscane, et Nice, dans la
province Narbonnaise 4.
L'Italie expiait la faute énorme qu'elle avait commise en
1. Abulaz, rex Sarracinorum,anno 812,pacem in très annos cum Carolo M.
pepigerat ; sed ea non triennium servata ; siquidem anno postero, id est
anno 813, Abulaz, fracta fide, Corsicam, Sardiniam, Provinciam, atque Ita-
liam agressus est. Dom Bouquet, t. VI, p. 175, note 2. Dom Bouquet commet
une légère erreur, c'est avec Hakem, émir d'Espagne, et non avec Abulaz, que
la trêve de 812 fut signée. Il convient d'ajouter que l'émir s'appelait peut-être
Hakem ÂbuIaz.
2. Eginhard, t. I, p. 299.— Annales diverses dans dom Bouquet, t.V,p.61 c,
357 E.
3. Pietro Cirneo, p. 74.
4. Eginhard, t. I, p. 305. — Ex vita Caroli magni per monacum EngoUsi^
mensem, dans dom Bouquet, t. V, p. 186 b. — Reinaud, p. 122, 123. —
Wenrich, p. 58.
162 CHAPITRE X. § 2.
laissant les Maures occuper la Corse. Désormais les humi-
liations nationales ne lui seront plus épargnées et, à son
tour, elle devra compter sur cet ennemi redoutable, auquel elle
a livré les clefs de la Méditerranée.
§ 3. Expédition du Comte Boniface.
La mort de Charlemagne, en 814, laissa rilalie à la merci de
la piraterie sarrasine. Son fils, Louis le Débonnaire, qui lui
succéda dans la dignité d'empereur, essaya vainement d'arrêter
le flot de l'invasion.
L'audace des musulmans augmentait tous les jours, le com-
merce était arrêlé, les communications entre les îles et le conti-
nent interceptées, et les côtes ravagées. Bientôt même des Sar-
rasins d'Espagne se rendaient maîtres des îles Baléares, et
ceux d'Afrique de l'île de Sicile, de manière que la Méditerranée
ne fut plus qu'un vaste théâtre de brigandages. En vain, les Sardes
imploraient la protection impériale, aucun secours ne leur était
envoyé (815).
En 820, Abderahman, fils d'Alhakem, roi de Cordoue, arma
tous les vaisseaux qui se trouvaient dans le port de Tarragone
et les envoya faire une descente sur les côtes de la Sardaigne ;
la flotte des chrétiens fut défaite et huit vaisseaux furent pris et
emmenés par les vainqueurs i.
La nécessité de s'opposer à ces ennemis toujours menaçants
décida l'empereur Lothaire à un suprême effort. Par un édit du
20 février 825, il fit un appel aux armes en faveur de la Corse en
danger.
Les comtes de l'île devaient se tenir prêts à entrer en campa-
gne, suivis de tous leurs vassaux ; l'empereur mettait à leur
disposition les possesseurs de bénéfices relevant de la cou-
ronne, et tous les vassaux des évêques et des abbés, à l'excep-
tion de deux. Les hommes libres fortunés devaient le service
1. Recueil de dom Bouquet, t. VI, p. 180. — Conde, Historia de la Domina-
cion de los Arabes en Espana, t. I, 2« partie, c. 37, p. 255. — Reinaud, p. 129.
— Wenrich, p. 59. — Mariés, Histoire de la Domination des Arabes en
Espagne et en Portugal, t. I, p. 299.
INVASIONS i)ËS SARRAâlNâ. 163
personnel ; les autres s'unissaient à deux, trois ou quatre, pour
fournir un homme l.
Il est à présumer que cet ordre de mobilisation fut suivi d'une
réorganisation générale du gouvernement de l'île. Boniface 11,
comte de Lucques, désigné comme prévôt de la province, fut
investi des pouvoirs militaires les plus étendus ; il s'adjoignit
en qualité de lieutenants, son frère Berchaire, et quelques comtes
de la Toscane.
Le comte appartenait à une famille seigneuriale bavaroise qui,
à la suite de Charlemagne, était venue s'installer en Italie ; son
père Boniface P", duc de Toscane, avait présidé les plaids de
Lucques et de Toscane, en 812 et 813, et joué un rôle des plus
actifs dans l'administration de la province.
Le comte de Lucques réunit bientôt une petite armée com-
posée de Corses et de Toscans, chargée de la protection des
côtes ; en même temps il organisa une flottille capable de dis-
1. Edictum de Expeditione Corsicana. — « In nomine Domini. Incipit capi-
« tula quod domnus Lotharius imperator sexto anno imperii sui, indictione
« tertia, instituit in curte Maringo.
€c 1» Volumus ut singulis comitibus hac districtionem teneantur inter eos
« qui cum eis introeant in Corsica, vel remanere debeant.
« 2° Ut dominici vassalli qui austaldi sunt et in nostro placito fréquenter
« serviunt, volumus ut remaneant eorum homines quos antea habuerunt,
« qui propter hanc occasionem eis se commendaverunt cum eo. Qui autem
« in eorum proprietate manent, volumus scire qui sint, et adhuc considerare
« volumus, quis eant aut quis remaneant. Illi vero qui bénéficia nostra habent
« et forîs manent, volumus ut eant.
« 3o Homines vero episcoporum seu abbatum, et qui foris manent, volumus
« ut cum comitibus eorum vadant, exceptis duobus quos ipse elegerit et
c eorum austaldi liberos, exceptis quattuor, volumus et pleniter dirigantur.
« 4o Ceteris vero liberis hominibus quos vocant bharigildi, volumus ut
c singuli comités hune modum teneant : videlicet ut qui tantum substantiœ
« facultatem habent qui per se ire possit, et ad hoc sanitas et viris utiles
« adprobaverit, vadant ; illi vero qui substantiam habent et tamen ipsi ire
« non valent, adiuvet valentem et minus habentem.
« Secundum vero ordinis liberis, quis pro paupertate sua per se ire non
« possunt et tamen ex parte possunt, coniungantur duo vel très, aut quattuor.
« Alii vero si necesse fuerit quod iusta consideratione committit, eunti
« adiutorium faciant quomodo ire possit ; et in hune modum ordo iste
c servetur, usque ad alios qui pro nimia paupertate neque ipsi ire valent
« neque adiutorium cuncti prestare, a comitibus eorum habeatur excusatus
« post antiqua consuetudo eis, fidelium comitibus observanda. » Anno 825,
febb. 20. Maringo. Gregori, Statuti, p. cv.
164 CkAPtTRE X. § â.
puter la mer aux musulmans. Ces habiles préparatifs valurent
à la Corse trois années de tranquillité.
Au cours d'une croisière effectuée en 828, le comte Boniface
put constater que la mer était libre ; convaincu que le meilleur
moyen de se défendre contre ses ennemis, c'est de les attaquer
sur leur propre territoire, il embarqua une partie de ses
troupes et fit voile pour l'Afrique.
L'occasion était propice. Toutes les forces navales et militaires
de la Tunisie actuelle étaient occupées à faire la conquête de la
Sicile, sous le commandement de Açad-ibn-el-Forât, cadi de
Kairouan. Il ne restait dans le Nord de l'Afrique que les
milices d'Abd-es-Salâm-ibn-el-Moffaradj, chargées de la pacifi-
cation de quelques tribus révoltées i.
Le 16 août 828, le comte Boniface débarqua à Sort, selon les
uns, à K'as'r-Tour, selon les autres, sans éprouver aucune résis-
tance ; l'armée chrétienne livra les environs d'Utique et de
Carthage au pillage et fit beaucoup de prisonniers. Malheureu-
sement Mohammed-ibn-Sahnoun, capitaine arabe, qui faisait
en ce moment l'inspection des différents points du littoral,
accourut avec des miliciens et donna au général Abd-es-Salâm
le temps de concentrer l'armée régulière 2.
Boniface fut obligé de se rembarquer sur ses vaisseaux. 11
avait livré plus de cinq combats dans lesquels la victoire semble
lui être restée 3. Cette expédition, dit Eginhard, répandit parmi
les Africains une grande terreur 4. H est vrai que, de leur côté,
les historiens arabes, prétendent qu'Abd-es-Salàm culbuta les
1. Eginhard, Vie de Louis le Débonnaire, traduit par Teulet, année 828. Si
l'on en croit les Gestes de Louis le Débonnaire, reproduits dans dom Bou-
quet, t. VI, p. 151, la flotte de Boniface, à son départ d'Italie, se serait composée
d'un seul bâtiment. « Li cuens Bonifaces, qui estoit prevoz et garde de l'isle
de Corse de par l'empereor, monta sur mer entre li et Berart son frère en une
petite nef coursière aussi comme galie et genz assez bien appareilliez pour la
mer cerchier et pour encontrer, se aventure fost, les galioz et les robeors, qui
en ceste isle de Corse faisaient souvent granz dommage, mais il n'aventura
pas il en trovast nul à celé foiz. En l'isle de Sardaigne arriva, de là s'esmut
pour aler en Afrique par le conduict de cens qui bien y savoient la voie par
mer. »
2. Fournel, Étude sur la conquête de l'Afrique par les Arabes, t. I, p. 496.
3. Amari, Storia di Musulmani in Sicilia, t. I, p. 277.
4. Eginhard, année 828.
INVASIONS DES SARRASINS. 165
Francs, auxquels il tua beaucoup de monde et les obligea à
reprendre la mer, en abandonnant tout leur butin i.
Boniface, dit Pietro Cirneo, revient d'Afrique en Corse avec
sa flotte victorieuse et un butin considérable ; son expédition
avait eu pour résultat de retarder l'occupation de la Sicile et
d'inspirer aux Sarrasins d'Espagne une crainte justifiée.
De retour, en Corse, Boniface s'appliqua à mettre son gouver-
nement en état de résister à de nouvelles attaques. Il fit élever,
à l'extrémité sud de l'île, un château fort qui prit son nom,
Castel Bonifazio, et devint plus tard la ville de Bonifacio. Cette
forteresse était d'une importance capitale ; sous sa protection
les navires, postés dans le port, pouvaient disputer aux Sarra-
sins le passage du détroit qui sépare la Corse de la Sardaigne,
ou se porter, si le besoin s'en faisait sentir, sur les points menacés
de l'une ou Fautre île. La date de sa construction, fixée à l'an 833
par Pietro Cirneo, nous parait erronée. En 833, Boniface se trouvait
en France chargé de négocier la mise en liberté de l'impératrice
Judith, retenue prisonnière, négociations qui se terminèrent par
une brouille complète avec l'Empereur. L'année suivante, il fut
privé de son commandement et réduit à chercher son salut dans
l'exil. Le Castel Bonifazio a dû être fondé de 829 à 832. Il est
resté l'unique témoin des efforts tentés par les Francs pour la
défense de la Corse contre les Arabes.
§ 4. Emigration des Corses en Italie.
On manque de renseignements certains sur les incursions qui
suivirent la disgrâce de Boniface. Les Sarrasins réussirent pro-
bablement à s'installer à demeure dans quelques ports de la
Corse; cette supposition vient naturellement à l'esprit quand on
suit leur marche : en 836, ils prenaient pied en Italie, dix ans
1. Fournel, p. 496. — « Si arriva (Boniface) au port de souz Carthage.
« Encore li vint grant multitude d'Aufricant, qui par cinq assauz se combat-
« tirent à li et à sa gent et. par cinq fois furent vaincus ; et moult en i or
« d'occis, et si en ot aucun, tout fussent-ils desconfit, qui leurs ennemis
« requeroient moult asprement et moult hardiement. Et li cuens Boniface
(( rassembla ses compagnons et entra en sa nef ; si retorna en Tisle de Corse,
« et li Africant qui onques mais ce leur sembloit n'avoient trouvé de si fièrc
« gent, demorèrent en grant paor en leur pais. » Dom Bouquet, t. VI, p. 151.
166 CHAPITRE X. § 4.
après, ils ravageaient la rivière deGênes; en 846, ils envahissaient
rÉtrurie, attaquaient et brûlaient la ville deLuna. Il est donc na-
turel d'admettre avec Wenrich que non-seulement la Corse était
réduite à Timpuissance, mais qu'elle servait de base d'opérations
aux terribles écumeurs de la Méditerranée l.
Quelques mois après la prise de Luna, une flotte considé-
rable, commandée par un émir, quittait Torari, près de la
Sardaigne, et déposait à CentumcelldB (Civita-Vecchia) un corps
d'armée qui remonta le Tibre et vint piller l'église des Saints-
Apôtres, aux portes de Rome. « Léon IV fut élu tumultueuse-
« ment au siège vacant ; et le nouveau pontife s'étant mis à la
« tête des troupes et des citoyens, ranimés par son noble cou-
« rage, repoussa les Sarrasins jusqu'à la mer 2. x> H assista
ensuite à la bataille d'Ostie, où fut détruite par les Campaniens
une flotte ennemie.
« Exaspérés par leur échec, les musulmans quittent la côte
« d'Italie et, cinglant droit vers la Corse, vont décharger sur les
« insulaires leur rage qu'avait réprimée le pontife romain.
« N'écoutant que leur haine pour le nom chrétien, ils mas-
« sacrent une foule d'habitants, sans épargner ni l'âge, ni le
« sexe, et brûlent tous les édifices sacrés et profanes 3. »
Vers le milieu du vin* siècle, la Corse est tombée au pouvoir
' des Sarrasins qui l'occupent en maîtres. Des faits plus pro-
bants que tous les textes confirment cette opinion.
« Parmi les Corses qui, lors de l'expédition de 847, purent
« échapper aux Sarrasins, les uns se retranchèrent sur des
« rochers inaccessibles, les autres, quittant l'île, s'en allèrent à
« Rome, comme dans le seul asile qui leur restât 4. »
Le Pape Léon IV leur assigna pour résidence la Cité Léonine
(Civitas Leoninà) qu'il venait de fortifier 5. Il fortifia aussi Orta
1. Neque tamen constat, unde locorum, utrum ex Siciliâ, an ex Hispaniâ
vel Corsicâ- recens hoc presdonum agmen profectum Lunamque delatum
fuerit. Crediderim tamen, ubi oppidi illius situm respicio, ex Hispaniâ
potius vel Corsicâ, quam ex Siciliâ, Arabes illuc trajecisse. Wenrich, p. 81.
2. César Cantu, Hist, Un. t. IX, p. 47. Wenrich, p. 82.
3. Pietro Cirneo, p. 94.
4. Pietro Cirneo, p. 94.
5. a Léon IV entoura d'une double muraille la basilique de Saint-Pierre et
« le quartier du Vatican, appelé depuis Cité Léonine, a» César Cantu, t. IX,
p. 47. — « In questo medesimo ^nno (852) essendo st^ta edific^ts^ una Città,
INVASIONS DES SARRASINS. 167
et Âmeria, réunit dans la nouvelle ville de Léopolis les habitants
de Centumcellae, et établit à Porto une colonie de Corses qui
« jurèrent de vivre et de mourir sous l'étendard de Saint-
Pierre 1. »
Près de quatre mille familles corses paraissent avoir émigré en
Italie, abandonnant l'île sans espoir de retour. Pour adoucir
leurs maux, le Pape leur fît généreusement distribuer des terres,
des vignobles, des bœufs et des chevaux 2.
Parmi ces réfugiés quelques historiens insulaires comptent
révêque de Porto, Donato, qui devint dans la suite le pape
Formose. J'ai vainement cherché un texte ancien qui put don-
ner lieu à une pareille supposition. Les évêques, il est vrai,
étaient, à cette époque, nommés à l'élection et, étant donné
l'esprit de solidarité des insulaires, il est permis de conjecturer
qu'un Corse fut mis à la tête du diocèse ; mais une conjecture
n'est pas une preuve et la Corse n'a pas le droit de revendiquer
le pape Formose pour un de ses enfants. Il convient d'ajouter
que j'ai cherché vainement la nationalité de ce Pontife ; c'est
un des rares papes dont le lieu de naissance ne peut être déter-
miné.
§ 5. La Corée au pouvoir des Sarrasins.
Vers 860, l'état de la France, de l'Italie et de l'Espagne septen-
trionale est arrivé au dernier degré de l'abaissement. Les Corses,
abandonnés à leurs propres ressources, sont en pleine anarchie,
« pcr difcsa délia Basilica di S. Pîetro, daH'incursioni dei Saraceni, fu data ad
« abitare ad una Colonia di Corsi, i quali per essere le loro case restate preda
« dei sopradetti barbari vcnnero nei stati Pontefîci, e a ciascheduno asse-
« gnate furono tante possessioni in vicinanza di detta Città, perche comoda-
« mente viver potessero. E talmente vi si stabilirono, e moltiplicarono che
« Pietro Ricordati nelVIstoria Monastica afferisce che nel 1535, era ripiena di
« Famiglie corse provenienti da queste medesime. » Cambiaggi, Istoria di
Corsica, t. I, p. 64. — « Léon IV établit les Corses fugitifs dans la Cité
« Léonine et leur assigna des terres pour qu'ils pussent se nourrir. »
P. Cirneo, p. 94.
1. César Cantu, HisL Vniv, t. IX, p. 47.
2. Anastasi, Vita Leonis IV, dans Muratori, Script, rer. liai. T. III, Pars I,
p. 242. — Platina, Vita Leonis IV : « Insuper et civitatem Portuensem
« longis temporibus derelictam, solis Corsis, qui ad Urbem Romanam, Sara-
« cenorum infestationes fugientes vénérant ad inhabitandum tribuit. »
\
168 CHAPITRE X. § 5.
aucune autorité constituée ne les dirige ; les Sarrasins, maitres
des côtes, les isolent du reste des nations et ravagent les régions
qui offrent la' moindre résistance i.
Les textes se font rares. Pendant deux siècles, un voile épais
cache à la postérité l'histoire de cette époque maudite. L'île est
devenue un refuge pour tous les ennemis de l'Empereur et du
Pape. En 873, Âdalgise, duc de Bénévent, allié des musulmans
et tributaire de l'émir de Sicile, s'y retire, certain d'y trouver
aide et protection 2.
. Avec le x* siècle, nous touchons à une période encore plus
obscure ; c'est à peine si, dans la Chronique de Giovanni délia
Grossa,nous pouvons trouver quelques traces de la vérité histo-
rique, noyées dans un fatras inextricable d'anachronismes et
d'interpolations grossières. Sa relation de l'occupation sarra-
sine n'est probablement qu'une compilation de traditions orales,
de poèmes populaires, transmis de bouche en bouche et que,
plus tard, des moines flatteurs ont embellis et augmentés, pour
la plus grande gloire de quelques familles. Je crois néanmoins
qu'un fond de vérité peut émerger de ce flot boueux de fictions
poétiques. Il est vraisemblable d'admettre qu'après l'occupation
des côtes, les Sarrasins ont pénétré au cœur du pays et se sont
installés dans les environs de Corte^ A un kilomètre au Nord-
Est de la route qui conduit de cette ville à Bastia est un champ
aride, que l'on appelle le Champ du Sang, Campo Sangaenaio ;
ce nom lui a été donné à la suite d'une bataille acharnée entre
les Corses et les Sarrasins. Cette tradition, courante dans le
pays et enregistrée par M.Lafaye, est confirmée par les noms de
lieu 3. Sur le territoire de Corte, près de l'église ruinée de Saint-
Jean, coule un ruisseau désigné sous le nom de giargolo dei
Mori (torrent des Maures) et alimenté par une fontaine voisine,
la fontaine des Maures. Il est vraisemblable que plus tard, au
moment de la guerre de délivrance, de terribles combats se
4. Reinaud, p. 149. — Wenrich, p. 149.
2. Adalgisus, Dux Beneventanorum, a Grsecis seductus, contra' Ludovicum
imperatorem rebellât et multas Italiœ urbes, ab^eo deficere facit. . . Ob hoc
Adalgisus a senatu Romanorum reus majestatis et hostis publicus dijudica-
tus, et bello contra se decreto, in Corsicam fugit. Ex Chronico Sigeberti
Gemblacensis, dans dom Bouquet, t. VI, p. 252.
3. Lafaye, Notes d'un voyage en Corse, p. 4.
INVASIONS DES SARRASINS. 169
soient livrés dans l'ancienne civitas de Venicium, où Giovanni
délia Grossa place Poggio del Palazzo ; rien que sur le terri-
toire du village de Poggio de Venaco, sur la rive droite du ruis-
seau leMinuto, se trouvent deux fontaines, situées à environ deux
kilomètres Tune de l'autre, toutes deux désignées sous le nom
de Fontana dei Mord l.
Pourquoi mettre en doute la conversion d'une partie des insu-
laires à la religion de Mahomet ? En parlant des chrétiens du
midi de la France un historien contemporain constate que plu-
sieurs d'entre eux ne rougirent pas de se joindre aux barbares.
« Ceux-là étaient les pires de tous; car ils connaissaient le pays,
« et il n'était pas possible de se soustraire à leurs investiga-
« tions 2 ». D'après Giovanni délia Grossa ce sont surtout les
habitants de la partie méridionale de l'île qui auraient renoncé
au Dieu de leurs pères, pour embrasser l'islamisme. Or, au
xviii* siècle, un observateur génois pouvait constater combien
avait été grande l'empreinte laissée par les Sarrasins sur les
populations de l'eau de/à cfc5 /non/s de la Corse ; les hommes y
portaient encore le turban et les femmes avaient conservé
plusieurs coutumes des Sarrasins 3.
1. Auachronismes à part, j'attache une ceilaine importance aux tradi-
tions. Il y a vingt ans on rencontrait encore à Poggio-de-Venaco des
vieillards qui longuement dissertaient sur les combats livrés par leurs aïeux
contre les habitants de Corte, qu'ils traitaient de maures. Ces braves gens,
illettrés bien entendu, citaient les endroits où s'étaient livrés les combats,
où les vaincus avaient été pendus ou mis en croix. J'ai fait une excursion
très instructive avec l'un d'eux. Son cours d'histoire était d'un intérêt
palpitant. Les Maures, Sampiero, Paoli, le roi Murât passaient comme
dans un kaléidoscope, dans l'ordre comique des parcelles de terrain que
nous parcourions. Je me rappelle encore mon étonnement lorsque,
dans un enclos, situé sur la rive gauche du Tavignano, il m'arrêta en
me disant : « Nous sommes dans le Pian de Vincentello. Vincentello était
« un roi de la Corse qui voulait s'emparer de Corte ; il livra ici une grande
<x bataille contre les Génois ; en ce temps-là on se battait à coups de fronde,
«c Vincentello fut vainqueur et s'empara de Corte. » Je notais ces paroles, que
je transcrits littéralement, non sans une grande envie de rire. Plus tard, je
reconnus que Vincentello d'Istria, marchant sur Corte, en 1419, avait dû,
en effet, s'arrêter à l'endroit qui porte encore son nom. Grâce à la tradi-
tion j'ai pu rétablir le voyage de Murât sur le territoire de Venaco (1815) ;
avec les illettrés intelligents disparaîtra la tradition.
2. Dom Vaissette, Histoire Générale du Languedoc, t. I, preuves, p. 108.
3. Bensi glî abitanti del di là dsC Monti nel vestire al turbante, le loro
170 CHAPITRE X. § 5.
Dans Giovanni délia Grossa il y a de solides points de repère
qu'il ne faut point perdre de vue, quand ils peuvent être fixés
par des documents contemporains ou postérieurs. Il ne faut pas
évidemment prendre son récit à la lettre, mais il ne faut pas trop
mépriser les renseignements raisonnables qu'il donne.
Vers 870, la Corse doit être considérée comme se trouvant au
pouvoir des Sarrasins, il ne peut en être autrement. La chré-
tienté tremble d'un bout à l'autre de l'Europe civilisée ; en
France les infidèles installés au Fraissinet, près de Saint-
Tropez, (889), envahissent le Dauphiné et la Savoie (907) et
font des incursions dans le Montferrat (911). En Italie, ils
occupent le couvent de Saint-Michel, sur le mont Gargano, et
jettent la terreur dans les états pontificaux. La Sicile et la Ca-
labre sont subjuguées. En 927, le Mahdi d'Afrique organise une
expédition dans laquelle S'aïn-es-S'ak'Iabi devait aller ravager
le pays des Roum, mission dont il s'acquitta conformément aux
ordres qu'il avait reçus ; l'année suivante, une autre expédition
s'empara d'une localité nommée Aourah, que M. Fournel n'a
pu identifier.
Enfin, nous trouvons un texte qui fait mention de la Corse.
Si nous en croyons les historiens musulmans, deux expéditions
ont été dirigées contre Gênes, en 934 et 935. La première, placée
sous le commandement de la'k'oub-ibn-Ish'àk', se borna à por-
ter la dévastation dans les environs de la cité. Mais, l'année
suivante, « El-k'âïem l'A'lide, émir d'Afrique, fit partir une nou-
« velle flotte pour attaquer le pays des Francs. Ses troupes s'em-
« parèrent de la ville de Gênes et opérèrent ensuite une descente
« en Sardaigne, où elles attaquèrent les habitants et brûlèrent
« un grand nombre de vaisseaux ; de là l'escadre se rendit en
« K'orse i, incendia aussi les vaisseaux qui s'y trouvaient et
« rentra saine et sauve au port 2. »
donne nelli funerali de' loro defunti, nel danzare, nel semblante oscuro, ed
in simili altre cose hanno del moresco, costumanze appunto che bisogna
siano state lasciate dalli Morri. Felice Pinello, Annotazioni particolari per il
Governo di Corsica (1722), dans La Corse et les Corses, par Ch. de Susini.
1. Fournel, t. II, p. 153, 161 et 186. Nous croyons inutile de reproduire les
références de Fournel qui peut être considéré comme l'historien le plus sûr
et le plus consciencieux des Arabes du Nord de l'Afrique.
2. Quelques historiens au lieu de K'orse écrivent K'ark'îcïa, mais, comme
Iç démontre Fournel, l'erreur çst manifeste ; un manuscrit de Dzahabi, cité
INVASIONS DES SARRASINS. 171
Les chroniqueurs chrétiens passent sous silence Texpédi-
tion de 934 et atténuent considérablement les résultats de la
prise de Gênes ; les Sarrasins auraient profité, disent-ils, de
l'absence de la flotte génoise, pour opérer un débarquement et
s'emparer de la ville qui fut livrée au pillage ; mais à peine
étaient-ils partis, emmenant avec eux un nombre considérable
de captifs, que les navires chrétiens se mirent à leur poursuite.
Les musulmans avaient fait relâche dans une île près de la
Sardaigne pour procéder au partage du butin ; surpris par les
Génois, ils furent mis en déroute et s'enfuirent vers l'Afrique,
abandonnant les prisonniers et toute leur cargaison i.
Il parait résulter de ces versions contradictoires que la vic-
toire des musulmans ne fut pas aussi complète que leurs histo-
riens le prétendent. En reconnaissant que leur flotte a eu à
combattre des navires chrétiens sur les côtes de la Corse et de
la Sardaigne, livrées sans aucun doute à leurs propres res-
sources, ils laissent supposer que ces vaisseaux appartenaient
aux Génois, acharnés à leur poursuite.
La vieille colonie d'Aleria était devenue un des principaux bou-
levards des Sarrasins. « Les premiers corsaires qui la prirent, dit
« Mérimée 2, la saccagèrent de fond en comble, mais lorsque le
« nombre de leurs compatriotes s'accrut, ils durent chercher à
« relever les ruines romaines et à s'y établir. Passionnés pour
« les courses de taureaux et les luttes d'hommes, il ne serait
« pas extraordinaire qu'ils eussent rebâti, ou même seulement
« restauré l'amphithéâtre. De ses proportions toutes mesquines,
« on peut conclure que la population d'Aleria était très faible, à
« l'époque où il fut construit, car je ne suppose pas qu'il ait
« jamais pu contenir plus de deux mille spectateurs 3 ».
De quelque côté qu'on jette les yeux l'île présente le spectacle
le plus lamentable ; sur les côtes les églises sont renversées, les
par Amari, donne K'orse. Cette leçon a pour elle une vraisemblance com-
plète. (Note de Fournel, tome II, p. li$6).
1. Chron. Januense in Murât. Script, rer. Ital. t. IX, p. 10, 11. — Danduli
Chron. Venet, I. VIII, c. II, in Murât, t. XII, p. 201. — Wenrich, p. 143.
2. Mérimée, p. 81.
3. « J*ai attribué ces constructions aux musulmans, mais elles peuvent
« encore être l'ouvrage des chrétiens du viv au viii^ siècle, époque de bar-
(< barie, s'il en fût. » Note de Mérimée, p. 81,
172 CHAPITRE X. § 5.
villes saccagées et abandonnées, les évêchés privés de leurs
pontifes, les civitates conquises ou en proie à l'anarchie. Nous
avons la preuve de cette profonde détresse dans les ruines
amoncelées par le vainqueur : Mariana, Adiatium, Nebbio,
Sagona, Saint-Jean près de Corte, proclament hautement la
furie du musulman. L'absence de documents historiques
prouve l'isolement absolu du pays ; brutalement la liste des
évêques se trouve interrompue, plus de gouverneurs, plus de
généraux, la Corse a cessé toute relation avec l'Italie, elle a des
gouverneurs arabes.
§ 6. Expulsion des Sarrasins.
Si l'occupation de la Corse par les Sarrasins est mal connue,
la date et les détails de leur expulsion prêtent à toutes les
conjectures.
Nous allons passer en revue les rares documents qui per-
mettent de jeter un peu de lumière sur une question si obscure.
Au x« siècle, Adalbert, roi d'Italie, fils de Bérenger II, exerçait
sans doute son influence sur une région de la Corse, où, à deux
reprises différentes (963), il vint chercher un refuge contre les
entreprises de l'empereur Otton, son ennemi implacable l ; ce
lieu d'asile était en même temps une terre d'exil pour ses
adversaires ; sur son ordre. Dodo, capellanus palatii, y fut
déporté en 964 2.
1. Anno sequenU dum imperator (Otton) rursum pascha Domini Papise
celebraret, ac inde progrediens Berengarium in monte Leonis clauderet,
Albertus filius ejus primo Corsicam furorem principis declinans, intravit,
post Johannem (xii) Romanonim Pontificem aviens, eum in sui partem
inclinavit... Otto, missa legatione, papam revocat... Quod videns Albertus
denuo Corsicam fugit. Otton de Freisingen, Chronicon, éd. Wilmans, Hano-
vre, 1867, in-8. (Mon. Germ, in usum scholarum), Lib. 6, c. 23, p. 276. —
Intérim Adalbertus hue illucque discursans, quoscumque poterat, sibi undique
adtraxit, sed et Corsicam ibi se tueri nitens intravit. Romanum etiam ponti-
ficem multipliciter in suum adjutorium sollicitavit. Intérim Johannes papa
promissiones imperatori facta oblivioni tradens ab eo déficit et Berengarii
seu Adalberti partibus'favens, Adalbeii:us Romam intromittit. Postea Johan-
nes videns se esse depositum sera paenitentia ductus ab Adnlberto disiun-
gitur ; Adalbertus vero in Corsicam revertitur (963). Réginon, Chronicon,
éd. Karge, Hanovre, 1890, in-8, (Mon, Germ. in usnm schoL), p. 172, 173.
2. Eodem anno (964) Duodo palatii capellanus ab Adalberto compreheu-
ditur et flagellis cœsus in Corsicam deducitur, sed non longo post tempore
dimittitur. Réginon, p. 175.
iSîVAàioNS DES sarûàsiN^. ii&
Au commencement du xi* siècle les Sarrasins, fortement
éprouvés par les échecs qu'ils avaient subi en France et en
Italie, avaient perdu du terrain en Corse et tout porte à croire
que le Nord de l'île échappait à leur dure domination. L'histoire
de leur expulsion n'en reste pas moins toujours obscure et, faute
de documents contemporains, on est dans l'obligation de recou-
rir à des annalistes postérieurs. .,
Giovanni dellaGrossa (Î388-1464) a eu pour source à pe^ près
unique la tradition orale et les renseignements intéressés des
personnages dont il fut le serviteur fidèle. Les légendes populai-
res, les généalogies falsifiées, et les romans de chevalerie se grou-
pent sous sa plume, sans ordre et sans méthode, avec un mépris
absolu de la chronologie. Son héros principal, le comte Hugues
Colonna, vivait au temps de Charlemagne (814), c'est pourtant
à ce singulier patriarche que nous devrions et la libération de
la Corse et la fondation de la Canonica (vers 1116). Tout en
croyant qu'un fond de vérité peut, je le répète, se dégager de ses
narrations si mal coordonnées, il est impossible de le prendre
pour guide.
Pietro Cirneo (xv* siècle) a recueilli les légendes populaires,
mais avec plus de circonspection et d'esprit critique. Sa version
mérite d'être enregistrée :
« Une foule innombrable de Maures étant revenus envahir la
« Corse, les Pisans, dont la République était alors florissante,
« envoyèrent en Corse une flotte commandée par Lucio Aliata ;
« mais celui-ci fut battu et mis en fuite par les Maures et
« retourna à Pise. Comme personne dans la noblesse n'osait
« plus affronter les Maures, un plébéien Alessio, se chargea,
« dit-on, de les combattre. Ayant débarqué à Saint-Florent, il
« coula, sous les yeux de son armée, sa flotte tout entière, afin
« de se rendre tout retour impossible et de donner à ses soldats
« plus de courage en face du danger. Il fallait, disait-il, vaincre
« ou mourir. Il attaqua les Maures, les vainquit dans une
« grande bataille et les chassa de l'île. C'est ainsi que les Corses
« furent soumis aux Pisans i. »
Hugues, marquis de Toscane, considérait comme faisant
partie de son domaine les terres de la Corse, dont il disposait
1. Pietro Cirneo, p. 96.
174 crtAPitRE X. § 6.
en faveur de l'abbaye de Saint-Sauveur de Sesto ; sa donation,
confirmée par l'empereur Otton III, en 996, n'a pas été retrouvée
par Mollard dans les archives de Pise et de Florence ; elle n'est
mentionnée que par Puccinelli et, san^ me prononcer sur sa
valeur; je crois qu'il y a lieu de ne la mentionner que sous
toutes réserves i.
Je ne citerai que pour mémoire deux chartes provenant des
archives de San Mamiliano de Monte-Christo, faisant men-
tion des marquis Guillaume et Hugues qui, en 1019 et 1021,
auraient veillé au salut de l'île. Ces chartes, dit Mollard, pour-
raient être sincères. On n'y trouve aucun anachronisme et les
personnages qui apparaissent sont des personnages historiques,
cités dans d'autres monuments et jouant un rôle en accord avec
celui qui leur est assigné par les chroniques contemporaines.
Ces chartes peuvent être sincères mais elles font partie d'un
fonds éyidemment falsifié ; elles restent suspectes et raison-
nablement on ne peut en tirer aucune conclusion 2.
Enfin si nous en croyons Delbêne, qui écrivait au xvi* siècle,
les comtes de Provence auraient joué un rôle important dans
l'expulsion des Sarrasins de la Corse 3.
1. Roccha etiam quae dicitur Verrucha cum omnibus sibi pertinentibus
rébus, quam Ugo marchio eidem monasterio concessit pro remedio animse
suœ cum omnibus quœ prsedicto Monasterio pertinent in Comitatu Pisense,
et Pistoriense, atque in comitatu Volaterranense, atque in Comitatu Populo-
niense, et infra Insulam Corsicam concedimus. Cambiaggi, t. I, p. 176.
2. VIIIo Donatio multorum bonorum facta monasterio Sancti Mamiliani,
insuie Montis-Christi, a Guillemo marchione, domino in Corsica, Judice
Calaritano, XXIV feb. 1019, indictione IX. (Ce Guillemo doit être un Malas-
pina, car les Malaspina ont commencé à gouverner la Corse vers cette
époque). (Note de Mollard, p. 259).
IX^ Hugo marchio dominus Corsice et judex Calaritanus, multa donat eccle-
sie Sancte Marie de Canovaria et Simoni abbati insuie Moutis-Christi, VI mart.
1021, indictione III. Dans une autre charte citée par Muratori, au tome II de
ses Antichità d'Italia, page 1074, le même seigneur s'intitule : « Dominus
« Ugonis,Dei gratia marchio Massse, dominus de Corsica et judex Calaritanus.»
Mollard, Rapport sur les Archives provinciales de Pise, publié dans le BuL
des Arch, des missions scient, et littéraires, III» série, t. II, 1« livraison,
p. 259. Ces chartes ont été publiées in extenso par Muratori, Antichità
d'Italia, t. II, dissertation XXXII, par Cambiaggi, t. I, p. 78 et 79, et par la
Société des Sciences historiques et naturelles de Bastia.
3. Delbêne (Alph.) De regno Burgundiœ Transjuranœ et Arelatis, libri III.
Lyon, 1602, in-4«, p. 148-158.
INVASIONS DÈS SAURASINS. 175
Cette version qui, à ma connaissance, n'a pas encore été
utilisée par les historiens locaux, mérite d'être approfondie. Il
y a beau jeu à reprocher à Delbêne ses erreurs de chronologie ;
lui-même avoue qu'il s'en rapporte à des chroniqueurs savoyards
et reconnaît que ni les historiens génois, ni les historiens pisans
n'ont fait mention des événements qu'il rapporte. Nous allons
résumer son récit, que nous reproduisons en appendice ^.
Vers 890, les musulmans s'installent au Fraxinetum 2, qui
devenait bientôt la base principale de leurs incursions dans le
bassin du Rhône. La question de leur expulsion ne cesse de
préoccuper les comtés de Provence, pendant tout le x® siècle.
En 972, Guillaume se décide à frapper un grand coup et une
expédition est décidée ; convaincu que le succès final de son
entreprise dépend de la possession de la Corse et de la Sar-
daigne, bases des opérations sarrasines, il envoie à Gênes et à
Pise deux ambassadeurs, avec mission de décider ces républi-
ques à une action commune contre les infidèles. Sans attendre
leur retour il marche sur le Frainet et s'en rend maître ; en
vain les vaincus demandent-ils à se retirer en Corse et en
Sardaigne 3, tous ceux qui ne consentent pas à recevoir le
baptême sont massacrés.
Cependant les démarches tentées auprès de Pise et de Gênes
étaient couronnées de succès ; au mois d'avril 999, les flottes
combinées de la Provence et de rilalie livraient une san-
glante bataille aux Sarrasins, commandés par Muget. Les chré-
tiens remportaient une grande victoire ; presque tous les bâti-
ments arabes étaient pris ou coulés, c'est à peine si, à la faveur
de la nuit, quelques fuyards réussissaient à gagner la Corse, où
peu de temps après ils étaient rejoints par la flotte alliée.
Malheureusement la mauvaise saison venait interrompre les
opérations et l'escadre provençale rentrait à Marseille.
1. Appendice IV.
2. La situation exacte de ce Fraxinetum est incertaine. C'est du côté de la
Garde-Freinet (Var, arr. Draguignan, cant. Grimaud) qu'il faut chercher le
centre des établissements sarrasins, mais il ne semble pas du tout prouvé
que ce centre ait été à la Garde-Freinet même. Pour tout ce qui concerne
Texpulsion des Sarrasins de la Provence, voir Poupardin (René), Le Royaume
de Provence, p. 243-277 ; Le Royaume de Bourgogne, p. 100rll2. Je ne connais
pas de travaux plus arides traités avec plus de claiié.
3. ... ut cum navibus se in Gorsicam et Sardiniam recipere possint. Page 150.
1% CHAPltRE X. § é.
Ce récit prête à de nombreuses critiques. En 999, peut-on dire,
le marquis Guillaume n'existait plus ^ et le corsaire arabe
Modschaed 2 n'avait pas encore fait parler de lui. Évidemment
l'erreur de chronologie est manifeste, tellement manifeste que
Delbêne a soin de préciser qu'il parle d'après des chroniqueurs
savoyards qui rapportent que le combat naval eut lieu avant la
guerre que le comte Arduin livra aux Sarrasins dans le massif
des Alpes Cottiennes. La difficulté de préciser ce dernier événe-
ment lui fait adopter l'année 999 comme date de l'alliance de
la Provence avec les républiques de Gênes et de Pise ; or il
parait acquis que les exploits d'Arduin, marquis de Turin, ont
eu lieu vers 983, à une époque où Guillaume lui-même battait
un corps sarrasin, dans les Alpes 3.
La chronologie de Delbêne semble donc retarder d'une dou-
zaine d'années, ce qui, pour moi est négligeable. L'important
est de savoir si réellement les comtes de Provence ont, vers la
fin du X® ou au commencement du xi* siècle, contribué à l'ex-
pulsion des Sarrasins de la Corse. Je crois qu'il y a lieu sur
ce point d'admettre la version de Delbêne 4.
1. Le marquis Guillaume termine ses jpurs, en 994, près d'Avignon, sous
la robe de moine qu'il avait reçue des mains de Saint Mayeul. Poupardin,
Le Royaume de Bourgogne, p. 286.
2. Variantes : Mugeid, Mugeid-Edim, Modjaed, Abu-Geix, en latin Musectus,
Mugeddus ; dans Giovanni délia Grossa, Musi. Modschaed occupa la Sardaigne
au commencement du xv siècle : Id unum constat, ineunte seculo decimo
primo Arabes in Sardinise historiâ denuo comparere, inque eorum ducibus
Modschaedum prse ceteris eminere. Wenrich, p. 151.
3. « Ce n'est qu'en 983 que la capture de Saint Mayeul par les Sarrasins
fit devenait le signal d'un effoi*t général contre eux et, pendant que GuiUaume,
fi( fils de Boson d'Arles, battait dans les Alpes un de leur corps, son frère
« Roubaud, aidé d'Ardouin, marquis de Turin, les chassait définitivement
« du Frainet ». Poupardin, Le Royaume de Provence, p. 273.
4. Une expédition dirigée par des seigneurs provençaux pourrait peut-être
se justifier : 1° par le texte de Delbêne ; 2<» par un passage du P. Anselme
(Hist, Générale et chronolog, de la Maison de France, t. V. p. 224), au terme
duquel Charles d'Anjou, comte de Provence et roi des Deux Siciles, donne»
vers 1270, à Guillaume III, vicomte de Melun, le comté de Corse ; cette dona-
tion évoque l'idée de droits acquis sur la Corse par les comtes de Provence ;
3o par un nom de lieu significatif, la tour et le port Provençal (Provenzalis
portus de Pietro Cirneo, p. 10) ; 4» par les noms provençaux que Giovanni
délia Grossa attribue aux comtes de l'ile, Gui et Rodolphe.
INVASIONS DES SARRASINS. 177
*
Tous ces récits sujets à caution pourraient contenir un fond
de vérité. La version de Pietro Cirneo explique jusqu*à
un certain point le silence des chroniqueurs italiens au sujet
de l'expédition qui força les Sarrasins à évacuer la plus grande
partie de l'île ; du moment que c'était un simple plébéien
qui avait conçu et dirigé les opérations, on comprend facile-
ment que les chroniqueurs et les généalogistes du moyen âge
se soient gardés d'en faire mention. La date de cet événement
doit être circonscrite entre 1005 et 1020. Nous savons qu'elle
correspond à une époque florissante de la République ; or
ce n'est que, dans les premières années du xi® siècle que Pise
entreprit contre les Sarrasins une série d'expéditions qui
eurent pour théâtre la Calabre (1005), la Sardaigne (1017 et 1021)
et les côtes d'Afrique (1035). Pendant cette période, il n'est fait
aucune mention de son intervention dans l'île de Corse.
Pourquoi ? Deux suppositions viennent naturellement à
l'esprit : ou les Sarrasins de la Corse étaient réduits à l'impuis-
sance ou les Pisans avaient conclu une trêve avec eux ; il nous
parait raisonnable d'admettre la première hypothèse, qui
semble justifiée par quelques documents postérieurs.
Cependant, dans les premières années du xi' siècle, la Corse
courut un grand danger ; après s'être emparé de Dénia et des
Baléares, le fameux Modschaed devint la terreur des îles de la
Méditerranée, des côtes de Pise et de Gênes (1000 à 1005).
Il est possible que pendant longtempsdes combats journaliers
se soient livrés dans l'intérieur de l'île ; il est certain, dans
tous les cas, que des aventuriers s'y taillèrent des fiefs indé-
pendants. Un document de 1077 ne laisse aucun doute sur cette
question i.
1. Gregorius Episcopus servus servorum Dei, omnibus episcopis et viris
nobilibus, cunctisque, tam majoribus quant minoribus, in insula Corsica
consistentibus, salutem. Scitis Fratres,et charisslmi in Christo filii, non solum
vobis, sed multis gentibus, manifestum esse, Insulam, quam inhabitatis,
àulli mortalium, nuUique potestati, nisi S. Romanœ Ecclesice, ex debito, vel
Juris proprietate pertinerc ; et quod illi, qui eam hactenus violenter nihil
servitii, nihil fîdelitatis, nihil penitus subjectionis, aut obedientise Beato
Petro exhibcntes, tenuerunt, semetipsos crimine sacrilegii, et animarum
suarum gravi periculo obligarunt. Cognoscentes autem per quosdam fidèles
nostros, et vestros amicos, vos ad honorem et justitiain Apostolici Principa-
tus (sicut oportere cognoscitis) vcUc reverti et diu subtractam ab invasorî-
12
178 CHAPITRE X. § 6.
Vers la fin de cette année le Pape Grégoire VII envoya en Corse
Landolphe, évêque dePise,avec ordre de pressentir les évêques,
les seigneurs et les citoyens de toutes les classes, pour faire pré-
valoir les droits de suzeraineté du Saint-Siège. Aucune nation,
aucune famille, écrivait le Pape aux Corses, ne possède un droit
quelconque sur votre île qui est et demeure le domaine de Saint-
Pierre. En vous soumettant par la force, vos maîtres actuels ont
commis un sacrilège et gravement compromis le salut de leur
àme ; vous ne leur devez ni fidélité, ni obéissance. Ce langage
s'adressantàdes hommes qui ont lutté pour la délivrance du pays,
peut paraître un peu dur dans la bouche d'un Pape. Mais c'est
Grégoire VII qui parle et nous savons avec quelle indomptable
énergie ce pontife tint tête aux Empereurs et aux rois, pour
nous étonner de la liberté grande qu'il prend avec les seigneurs
de la Corse. Du reste, et il ne manque pas de récrire, l'Eglise
dispose, en Toscane, de comtes et de marquis capables de
défendre les insulaires l.
L'importance de ce document ne peut nous échapper. Il
démontre le peu de cas que l'on doit faire de cette suite de
marquis que quelques historiens considèrent comme les sei-
gneurs de l'île à partir du ix** siècle. C'est là une erreur qu'il
importe de détruire : Pépin et Charlemagne ont donné la Corse
au Saint-Siège, qui en a conservé la suzeraineté jusqu'au jour où
il lui a plu d'en disposer.
Nous savons maintenant qu'en 1077 des seigneurs chrétiens
s'étaient rendus maîtres d'une partie de l'île et y exerçaient leur
puissance, sans l'autorisation papale. L'expulsion des Sarrasins
remontait certainement à plusieurs années puisque, déjà, des
évêques avaient eu le temps de s'installer dans leurs diocèses et
bus jusUtiam B. Petro, vestris temporibus, vestrisque studiis redhiberi,
valdè gavisi sumus, scientes vobis hoc non solum ad praesentera, sed etiam
ad futurum provenire utilitatem et gloriam. Nec dissidere quidem, aut quid-
quam in hac causa vos dubitare oportet : quoniam si modo vestra voluntas
firma, et erga B. Petrum fides immota permanserit, habemus per misericor-
diam Dei in Thuscia multas Comitum et Nobilium viroruiii copias ad vestrum
adjutorium, si necesse fuerit, defensionemque paratas. Quapropter quod in
hac re opportunissimum vobis visum est, inisimus ad vos fratrem nostrum
Landulphum Pisanae Ëcclesise Episcopum. l*"^ Octobre 1077. Gregorii VH,
Epistolœ, I. V. Epist. 4.
1, Les libérateurs de la Corse n'étaient donc pas des seigneurs toscans ?
INVASIONS DES SARRASINS. 179
des seigneurs chrétiens, peu nous importe leur nationalité,
faisaient lourdement peser sur les populations le joug de leur
domination sans contrôle.
En fixant à 1030 la date de la grande délivrance de la Corse
nous devons nous rapprocher de la vérité. Il n'en doit pas mohis
rester acquis que, jusque dans la seconde moitié du xii« siècle,
des colonies de Sarrasins réussirent à se maintenir dans
divers points de Hle, continuant à entretenir des relations avec
les émirs d'Espagne. Un document trouvé par Mollard dans les
archives des Atti Pablicl de Pise proclame hautement cette
occupation « qui rend fort problématique la domination pisane l ».
Où doit-on placer ces derniers repaires de la puissance musul-
mane ? Sans hésitation nous répondons dans l'arrondissement
de Sartène et dans la partie méridionale de l'arrondissement
d'Ajaccio. Essayons de justifier cette affirmation. Au xii® siècle,
nous le savons, la Corse, placée par le Saint-Siège sous la suze-
raineté de l'Eglise pisane, renaît de ses cendres. Les débris des
populations indigènes, converties par la force au mahométisme,
reviennent à leur antique foi dont les souvenirs ne s'étaient
jamais perdus ; les couvents déserts sont repeuplés et les autels
abattus relevés 2.
A cette date remonte la construction des églises de la Canonica,
de San Perteo, de Saint-Jeau-Baptiste et de San Quilico de
Carbini, de Saint-Jean de Paomia, de la cathédrale de Nebbio,
de Saint-Nicolas et de Saint-Césaire de Murato, décrites par
Mérimée 3 ; à cette liste nous pouvons ajouter les églises de
Sainte-Marie de Corte 4 et de Rescamone.
1. Promesse de paix (Atti Publici, tome XXIII, 2 rosso ; stanza 2* tavola 1»)
faite par le roi de Valence à la commune de Pise, pour la durée de dix ans,
pendant lesquels il s'oblige à admettre librement et sans exiger aucun droit les
bâtiments pisans dans tous les ports de ses Etats et particulièrement en Sar-
daigne et en Corse. 27 janvier, sans date d'année, 1150 environ. Mollard, p. 186.
« En 1150, Valence était encore au pouvoir des musulmans. Ce document
« semblerait donc prouver que la Corse, ou tout au moins une partie de ce
«c pays, était au pouvoir des Sarrasins. Tout cela rend problématique la
« domination pisane ». (Note de Mollard, p. 186).
2. Mollard, p. 260.
3. Mérimée, Voyage en Corse, p. 96-157.
4. « La plupart des églises de la Corse datent de la domination pisane ;
<r il est probable que Santa Marione doit aussi leur être attribuée. » Lafaye,
^otes d'un voyage en Corse, p. 5.
180 CHAPITRE X. § 6.
C'est donc, au Sud de la ligne brisée Carbini-Paomia et
Carbini-Aleria, que Ton doit chercher les points occupés par les
Sarrasins pressés de plus en plus par les populations chré-
tiennes, que tenaient en haleine les évêques d'Ajaccio et d'Aleria,
qui peu à peu étendaient leur juridiction sur les cantons méri-
dionaux, définitivement conquis.
Il me reste encore un argument que j'emprunte à César Cantu.
Les Sarrasins de Sicile, pressés de toutes parts par les chrétiens,
furent obligés d*élever, pour leur sûreté, de nombreuses forti-
fications, désignées encore aujourd'hui par le nom de Cala ou
de Calata l. Consultons la carte de TEtat-major, ou celle de 1824 ;
après un examen rapide, nous pouvons constater que, sur les
côtes situées au Nord d*Ajaccio et de Solenzara, le nom Cala
ne figure que deux fois, comme synonyme de port ou baie. Il est
au contraire mentionné quatre fois sur la feuille de Porto-Pollo
et cinq fois sur celle de Sartène, trois fois dans File de Lavezzi
et trois fois dans Tîle du Cavallo. C'est donc dans ces cale que
nous devons chercher les derniers vestiges de la puissance
arabe en Corse. Il est aussi probable que des colonies sarra-
sines de Corte ou de la Balagne harcelées par les patriotes
chrétiens, ont été refoulées dans le Niolo, où nous trouvons les
noms significatifs de Calaguccia et de Calasima appliqués à
deux villages.
Il reste maintenant à examiner quels enseignements scienti-
fiques nous pouvons tirer de ces documents épars et de valeur
inégale. Sans prétendre jeter une lumière éclatante sur une
époque aussi troublée que tnal connue, j'espère donner une idée
assez exacte des événements qui ont accompagné l'expulsion
des Sarrasins de la Corse.
Au commencement du xi® siècle, probablement après la
bataille de Luni (1016), des seigneurs toscans ou génois,
sans mandat du Saint-Siège, passent en Corse et, aidés par
les populations chrétiennes, chassent les musulmans du Ncbbio,
de la Balagne, de Mariana et d'Aleria 2.
1. César Cantu. Histoire Univ. t. IX, p. 56. — Cala, d'après W^enrich,
p. 310, est un mot arabe signifiant baie, port abrité, station navale sûre,
« sinus maritimus, locus a ventis tutus, tuta navium statio. »
2. Pietro Cirneo, p. 96. — Par un traité conclu, au mois d'Avril 1020, entre
l'Empereur Henri II et le Pape BenoH VIII, la Corse est reconnue au Saint
INVASIONS DES SARRASINS. 181
En 1077, le Saint-Siège revendique ses droits de suzeraineté et,
quelque temps après, envoie des seigneurs pisans achever la
conquête de Tîle i. Des combats acharnés sont livrés chaque jour;
les Sarrasins évacuent les vallées du Golo et du Tavignano, cher-
chant un refuge dans les montagnes les plus abruptes et les
plus inaccessibles ; des colonies clairsemées se maintiennent
au centre de l'île, d'autres plus nombreuses affluent vers le Sud,
où elles se fortifient et se maintiennent, grâce aux points d'appui
qu'elles trouvent dans les îles du détroit de Bonifacio 2.
En 1091, sur les instances de la comtesse Mathilde, la Corse
est donnée en fief par Urbain II à Daïberl, évêque de Pise,
moyennant un cens annuel et sous la condition qu'il resterait
fidèle à l'Église Romaine. L'année suivante, le même pontife
élevait Pise au rang d'archevêché, en lui donnant comme sufTra-
gants les évêchés de la Corse 3.
En 1114, les chrétiens avaient réalisé de grands progrès et
n'avaient plus à redouter les attaques d'un ennemi affaibli et
réduit à la défensive ; ils étaient à même de fournir leur contingent
au corps expéditionnaire, que les Génois et les Pisans, à la
demande du pape Pascal II, envoyèrent contre les Baléares 4.
Siège. (Mon. Germanise historica, Constitiitiones et acia publica Imperatorum
et regum, t. I, p. 07). Soit par négligence, soit par impuissance, les Papes
paraissent ne pas s'être occupés de la Corse avant 1077.
1. Urbain II, en confiant la Corse à l'Église pisane, rappelle les succès des
Pisans sur les Sarrasins (Bulle Cum universiSt 1092).
2. Cette conjecture résulte des noms de lieu d'origine arabe et de la tradi>
tion d'après laquelle des combats acharnés se seraient livrés dans les envi-
rons de Corte.
3. Trois bulles adressées par le Pape Urbain II à Daibert, évêque de Pise,
par lesquelles, sur la demande de la comtesse Mathilde et pour remédier aux
nombreux abus qui se sont introduits dans les églises de la Corse, il lui
confère le titre d'archevêque et le droit de porter le pallium. La première
de ces bulles, du 28 juin 1091, indiction XV (style romain) ; les deux autres,
qui ne forment qu'un seul et même acte, du 21 avril 1092. (Moliard, p. 184).
4. Tune demum Pisse tanto insonuere dolore.
Ut nec magna quidem sentire tonitrua posses
Quicquid tune habuit nemorosi Corsica ligni
Âut picis, innumeros ratium defertur ad usus,
Lunenscsque suo privantur robore silvœ.
Laurentii Veronensis, De Bello Balearico, dans Italia Sacrai t. IIÏ, p. 898.
Si nous en croyons un texte de Boson, Epistolarum fragmenta variarum,
dans cette guerre les Corses se battirent comme des lions : Corsi tamquam
182 CHAPITRE X. § 6.
Pendant que Tarchcvêque de Pise faisait relever les églises
démolies i, des seigneurs continuaient à lutter contre les popu-
lations musulmanes du Midi.
En 1146, les Arabes d'Espagne reparaissaient sur les côtes
d'Italie ; huit ans, après ils jetaient la terreur dans la mer de
Sardaigne et obligeaient les Génois et les Pisansàfaire des arme-
ments considérables 2. La lutte restait indécise, car, en 1150,
la commune de Pise faisait avec le roi de Valence une trêve de
dix ans, pendant lesquels les musulmans s'engageaient à admettre
librement les bâtiments pisans dans tous les ports de leurs États
et particulièrement en Sardaigne et en Corse 3.
Mais les Sarrasins perdaient chaque jour du terrain ; refoulés
dans les environs de Porto Vecchio et de Bonifacio, ils réussis-
saient difficilement à s'y maintenir. Enfin, en 1185, la Corse était
définitivement débarrassée de leur odieuse présence ; à son tour
le roi de Majorque signait avec la commune de Pise un traité de
paix, par lequel il convenait de s'abstenir de toute hostilité contre
les îles de la Sardaigne et de la Corse 4.
§ 7. Influence des invasions sarrasines sur la Corse,
Il ne faudrait pas croire à la prise de possession de la Corse
entière par les Arabes : aucun texte ne nous y autorise. Installés
à demeure sur les côtes, ces barbares devaient se borner à faire
occuper par des postes militaires quelques points importants,
d'où périodiquement ils tombaient sur les populations chré-
tiennes.
Il n'y a pas grand chose à dire de cette conquête militaire.
leones contra Barbaros pugnavere. J'emprunte ce renseignement à VHistoire
de la Corse du comte Colonna de Cesari Kocca, Paris, 1890, p. 27.
1. La Canonica est consacrée par l'archevêque Pierre en 1119.
2. Wenrich, p. 215, 216 et 217.
3. Historiée Patries Monumenta, t. II, p. 269. CCXXVIII, 1150. Promessa
di pacc del re di Valeuza Aboabdel-Melsemet-Ab-elsalt al communi di Pisa
per anni dieci avanti quali s'obliga a far si che i bastimeuti di Pisani siano
ricevuti Uberamente e senza pagare diritto o gabelle, in tutti i suoi stati e
specialmente nelle isole di Corsica, di Sardegna, di Capraia, d'Elba, di Pia-
nosa e di Montechristo. (D'alV Archivio I. R. délia Riformagioni di Firenze).
4. Mollard, p. 187. L'original du traité est aux archives de Pise. Atti publici,
tome XXIII, 7 rosso, Dipl. ar. pis. Version latine publiée par Amari.
INVASIONS DES SARRASINS. 183
La moindre résistance était suivie de véritables razzias, entraî-
nant la vente des bestiaux et des habitants. Le sort de ces mal-
heureux, réduits à l'esclavage, fait frémir nos cœurs dliommcs
civilisés.
Il est vrai que les musulmans qui tombaient entre les mains
des chrétiens étaient traités avec autant de barbarie et de
cruauté. Il est même permis de supposer qu'au xii* siècle c'est
des sarrasins insulaires que provenaient ces serfs que les Pisans
vendaient comme une vile marchandise i. Il serait extraordi-
naire qu'à cette époque on ait encore pu jeter des chrétiens sur le
marché aux esclaves. Giovanni délia Grossa nous a conservé
le souvenir de ces trafics honteux dont il rend le Pape respon-
sable 2.
Sans doute il y eut en Corse beaucoup de chrétiens qui em-
brassèrent l'islamisme. Les avantages que les apostats rencon-
traient au point de vue des taxes fiscales, la facilité avec laquelle
les Arabes accueillaient les convertis ne pouvaient manquer à
1. 7 avril 1152, vente d'une esclave se nommant Nera, originaire de l'île de
Corse. 12 septembre 1156, vente d'une esclave corse du nom de Bonissuola.
l" mai 1158, vente d'une esclave du nom de Jaunello, originaire de l'île de
Corse. 5 août 1156, vente d'une esclave de l'île de Corse du nom de Sizula.
Le prix de chaque esclave varie entre vingt-deux et soixante-sept sous de
Pise. MoUard, p. 174, 183, 239, 251.
2. « Le Pape, pour punir les Mores de leur rébellion, du moins ceux qui
« s'étaient soumis précédemment, ordonna que, outre le cinquième des
« récoltes qu'ils payaient déjà au temporel, ils paieraient encore chaque
« année la dîme au spirituel, tant des hommes que des fruits de la terre. Ces
« hommes devenaient les esclaves de la Cour romaine. Le Pape voulut que
« si l'un de ceux que se trouvaient esclaves, en vertu de cette dîme, venait
« à mourir, le frère cadet le remplaçât ; et ainsi la dîme était presque tou-
« jour exactement payée... De son temps (le comte Arrigo) on payait ordi-
« nairement tous les cinq ans à la Cour romaine la dîme des hommes, établie
«f autrefois ; mais comme cette exigence était contraire à tous les usages,
« l'évêque d'Aleria, à la demande du comte Arrigo et des autres évêqucs de
« l'île, passa à Rome et obtint du Pape qu'il supprimât ce cruel impôt. »
Hist, de la Corse, trad. Letteron, p. 117, 118. 120.
Il y a dans la chronique de Giovanni della Grossa des erreurs grossières,
des fautes de chronologie évidentes, des interversions dans l'ordre des événe-
ments, mais cela n'implique pas qu'il faille mépriser les renseignements
d'ordre général qu'il nous fournit. Il serait à désirer que la Société des
sciences historiques de Bastia, fit imprimer les œuvres de Giovanni ëans leur
texte original, avec les variantes des divers manuscrits.
184 CHAPITRE X. § 7.
la longue d'impressionner une population privée de ses pas-
teurs. Le départ des Sarrasins laissa TÉglise corse dans le plus
grand désarroi ; dissolue et dissipée, sans hiérarchie et sans
discipline, ses mœurs se ressentaient du passage de Tinfidèle et
il était temps de remédier au mal qui la rongeait l ; c'est à quoi
devait s'employer l'archevêque de Pise, institué primat de Tîle
par le Pape Urbain II (1091).
1. Vrbanus Episcopus Fratri Daiberto Pisanorum episcopo.
.... Quia igitur in tanta tamqiie diuturna schismaticorum tempestate Pisa-
norum gloriosa civitas multis jamdudum laboribus et obsequiis sanctam
Romanam Ecclcsiam Apostolicam sibi fccit obnoxiam.... Divinee siquidem
Majestatis dispositio, Pisanœ Urbis Gloriam nostris temporibus, ^t Saraceno-
rum triumphis illustrare, et Ssecularium rerum provectibus promovere, et
prce Comprovincialibus exaltare dignata est. Ea propter, et nos Divinse pieta-
tis prosecutores, et cooperatores eam in spiritualibus quoquc glorificare
decrevimus, sicut prsedecessores nostros multis civitatibus olim fecisse scrip-
torum Ecclesiasticorum testimoniis comprobatur ; consilio itaque fratrum
nostrorum episcoporum, Carissimae quoque Beati Pétri filiœ Matildis Comi-
tissœ, quae se extremis quibusque pro causa Apostolicœ sedis exposait.
Obnixis postulationibus inclinati ad honorem Sanctissimse Dominœ nostrae Dei
Genitricis Marise Sanctorumque Apostolorum Principum Pétri et Pauli,
Corsicœ Insulie Episcopatos regendos, ac disponendos Sanctse Pisanœ Eccle-
siae, oui auctore Deo, carissime frater Daiberte, Praesides, prsesentis décret!
auctoritate committimus, atque subicimus, teque frater venerabilis» in
Archiepiscopum ejusdem Insulœ promovcmus, idem juris et idem honoris
tuis quoque successoribus perpetuo indulgentes ; qui Cleri ac Populi electione
légitima per Romani Pontificis manus intraverint, quemadmodum, Landul-
phum, Gerardum et te ipsum ordinatos esse cognoscitur, Corsicana etenim
insula tam prolixitate Spatiorum quam negligentia Pastorum, tam inso-
lentia Dominorum quam nostrorum desuetudine Legatorum, multis interve-
nientibus impedimentis ab Apostolicse sedis obcdientia ac dcvotione, defer-
buit et dissolutioni ac dissipationi dedita Ecclesiastici ordinis pêne deseruit
disciplinam, quam profecto tua, tuorumque successorum vigilantia, quia es
illis vicinior, et sedi Apostolicse familiarior es in justitise regulam et chris-
tianitatis vigorem, annucnte Domino, reformari optamus atque prsecipimus.
Anno MXCII.
Le Pape confère, en outre, à l'archevêque Daibert le droit de revêtir le
pallium. Gregori (Statuti, p. CXXVI, note 2), tient pour suspect ce document,
dont l'authenticité me paraît démontrée par les bulles postérieures des papes
Honoré II (1126), Eugène III (1146), Adrien IV (1157) confirmant successive-
ment les dignités accordées par leurs prédécesseurs aux archevêques de Pise,
savoir : la légation de Sardaigne, la primatie de Corse et de l'Église Turritane
et le droit de monter dans les processions un cheval carapaçonné, de faire
porter la croix devant eux et de revêtir le pallium. (Mollard, p. 184-186).
INVASIONS DES SARRASINS. 185
Examinons maintenant quel fut le système d'administration
adopté par les Sarrasins pour la Corse ; nous pourrons nous
faire une opinion raisonnée à l'aide de déductions tirées des
procédés qu'ils employèrent ailleurs.
Les émirs d'Espagne et d'Afrique durent se faire représenter
par des valis que Giovanni qualifie de rois. Ces officiers jouis-
saient d'un pouvoir absolu. La justice était rendue, en leur
nom, d'après les lois musulmanes ou d'après les lois romaines,
selon que les justiciables étaient chrétiens ou musulmans i.
Leur principale occupation était la rentrée des impôts. Les
biens des musulmans étaient taxés au dixième du produit ;
ceux des chrétiens payaient le cinquième, c'est-à-dire le double.
« Dans les commencements, pour attirer les chrétiens, il fut
« décidé que ceux qui se soumettaient volontairement seraient
« traités comme les musulmans eux-mêmes ; mais cette faveur
« ne fut pas maintenue 2. »
La civilisation arabe si florissante en Sicile et en Espagne n'a
laissé aucune trace ni en Corse, ni en Sardaigne. Il est possible
que les vainqueurs aient acclimaté dans les îles quelques plantes
africaines, telles que le palmier et le figuier de Barbarie, et
qu'ils aient tenté la culture de la canne à sucre 3 ; c'est fort peu
de chose en comparaison du mal qu'ils ont fait à l'a^griculture
insulaire, en ravageant les plaines d'Aleria et de Mariana.
Nous chercherions vainement en Corse, un témoin de leur
architecture et, dans le domaine des arts, c'est à peine si nous
pouvons faire remonter à leur domination l'habitude de ne
point lire les vers, mais bien de les chanter sur un ton monotone,
de sorte que chaque lecteur s'improvise musicien. C'est grâce à
eux aussi que nos pères ont eu des tambours dont l'usage n'a
jamais dû se généraliser 4. Us nous ont aussi transmis quelques
1. « Cum probabile admodum sit, alios Mohammedis, alios Christi placitis
« inhaesisse, sequitur, illos juris Mohammedano, hos vero patriis legibus
« obnoxios fuisse », dit Wenrich, en parlant des habitants de la Corse et de la
Sardaigne. P. 280.
2. Reynaud, p. 279.
3. Neque satis habebant (Arabes), cas tantum arbores plantasque, quas
jam in Siciliâ, Sardiuiâ Corsicâque offenderunt, coluisse ; verum etiam nova
arboium plantarumque gênera ex Africâ Asiâque insulis iliis inferebant.
Wenrich, p. 290.
4. Fort peu de textes font mention du tambour qui, pour un appel aux
186 CHAPITRE X. § 7.
mots de leur langue, mais, comme la plupart d*entre eux se
retrouvent dans le dialecte génois ou toscan, il serait difficile
aujourd'hui de déterminer ceux que nous tenons directement
des Arabes i. Un seal me paraît avoir eu en Corse un succès
particulier; c'est le verbe scialare synonyme de stare bene (ita-
lien), se porter bien (français), difficile à écrire tellement sa con-
jugaison est irrégulière.
Ce mot que Ton trouve dans les idiomes génois et napolitains,
avec la signification de se réjouir, pourrait dériver, d'après
Randaccio 2, de Texpression arabe In scia llhâ, signifiant littéra-
lement s'il plaît à Dieu ; d'Ambra 3, au contraire, opine pour
un dérivé du verbe scialach ; quoiqu'il en soit, le mot corse
dérive bien de l'arabe et, s'il est devenu si populaire, c'est sans
doute qu'il représente une de ces phrases qu'il convient de
savoir pour aborder convenablement une personne dont on
ignore la langue.
Quelques mots, voilà tout ce que les Sarrasins ont laissé en
Corse I Plût à Dieu que leur souvenir n'eût survécu que par
ce faible apport à une langue assez riche par elle-même !
Les invasions arabes ont eu malheureusement une influence
considérable sur les destinées de l'île ; elles ont arrêté la civili-
sation romaine dans son essor, elles ont paralysé les progrès
du christianisme et créé un état d'anarchie et de confusion tel
que la force brutale devint peu à peu l'unique instrument de
gouvernement ; elles ont rompu brutalement tous les liens
sociaux, par la séparation complète de la province avec l'Italie,
des administrés avec leurs administrateurs.
armes, n*était pas aussi praUque que la conque marine, le seul instrument
national. On lit néanmoins dans Giustiniano : « En Corse un roulement de
f tambour peut mettre sur pied quatre ou cinq mille fantassins. » Hist. de
la Corse, trad. Letteron, p. 81.
1. Voici une liste de mot arabes, qui paraissent plus près de l'idiome corse
que de l'idiome génois :
Arabe.
Damdjana (bouteille en verre).
Mindel (mouchoir).
Mizac (voile, manteau).
Giarrah (vase de terre).
2. Randaccio, DelVidioma Genovese, p. 215.
3. D'Ambra, Vocaboïario Napolitano-Toscano, Napoli, 1873.
GÉNOIS.
Corse.
Damixan-a.
Damijana.
Mandillu.
Mandile.
Meizau.
Mezzaru.
Giara
Giara.
INVASIONS DES SARRASINS. 187
Celle séparation néfaste est certainement le plus grand fléau,
qui ait pesé sur ce malheureux pays qui s'en ressent encore ;
comme un enfant sevré prématurément, il n'a pas pu se déve-
lopper normalement et vit toujours en proie h l'anémie, exposé
à de continuelles rechutes, attendant toujours le chirurgien qui
le débarrassera du cancer sarrasin qui le ronge. Pénétrés de
l'importance désastreuse de cet isolement, les habitants romo'
nisés s'expatrièrent et cherchèrent un refuge en Italie, privant la
patrie d'un élément essentiel à sa prospérité.
Au point de vue économique, les résultats furent aussi déplo-
rables. En chassant les habitants des villes côtières, en les
refoulant de la vallée pour les isoler sur les hauts plateaux, le
musulman supprima l'amour du travail, en rendant tout travail
impossible. La Méditerranée, le plus beau champ de la Corse,
fut interdit aux insulaires qui, de marins ou ouvriers agricoles,
devinrent pâtres. Plus de commerce, par conséquent nécessité
absolue de vivre des produits de la montagne. De là, l'habitude
fatale de se contenter de peu.
L'influence saritisine fut d'autant plus sensible qu'une partie
de la population, celle qui avait résisté avec le plus d'énergie à
la civilisation romaine, était d'origine libyenne, c'est-à-dire
toute préparée à succomber aux vices et aux défauts particuliers
à leur race. La femme ne joua plus qu'un rôle effacé dans la
famille ; l'homme redevint cruel et, pendant tout le moyen âge,
nous le trouverons continuellement occupé à épancher dans le
sang sa soif d'éternelle vengeance. La hideuse vendetta est une
tare libyenne et non génoise; le néfaste esprit de clan est un legs
sarrasin. Où donc est le chrétien qui nous en débarrassera ^ ?
»
§ 8. — Conclusion.
11 est facile de constater, par ce que nous venons de lire, com-
bien sont rares les documents sur la Corse ; nous avons dû faire
beaucoup d'hypothèses, avancer beaucoup de conjectures pour
1. Deux corses seulement, Paoli et Napoléon, ont compris ce qu'il fallait
à la Corse pour la rendre ce qu'elle devrait être, prospère et heureuse. La
justizia paoUna est restée légendaire et le proconsulat du général Morand fut
une nécessité. Malheureusement ni Paoli, ni Morand, n'exercèrent le pouvoir
assez longtemps poux produire des résultats durables.
188 CHAPITRE X. § 8.
essayer de donner au récit une allure ininterrompue. Tel qu'il
est, c'est-à-dire fatalement incomplet, ce court aperçu sur la
Corse ancienne permettra, nous l'espérons, de se faire une idée
exacte de nos origines, de nos premiers pas sur le chemin de la
civilisation et du progrès. Il nous sera désormais facile de
comprendre pourquoi, dans notre île, l'individu s'est développé
plus que dans n'importe quelle région de la France ou de l'Italie,
tandis que la collectivité continue à patauger sur place, dans la
boue des vieux errements et des traditions surannées. Ce con-
traste, qui a toutes les apparences d'un paradoxe, s'explique par
notre histoire. Privé pendant de longs siècles de toute direction,
l'individu a concentré et dirigé tous ses efforts, pour être à la
fois juge et justicier, administrateur et maître incontesté de son
entourage. Il a acquis ainsi une aptitude extraordinaire au
commandement et un esprit d'intrigue incomparable. Mais ces
qualités ne peuvent s'exercer dans un milieu composé d'indi-
vidus moralement identiques, qu'à condition d'avoir la force,
c'est-à-dire l'élément essentiel pour triompher brutalement de
la résistance de son voisin.
L'individu a donc cherché autour de lui, dans sa famille
d'abord, dans le clan ensuite, le gendarme dont il avait besoin,
pour imposer sa justice. Des siècles d'un pareil régime ont créé
un type social particulier i. Le bien public est resté une expres-
sion vide de sens ; ainsi s'explique pourquoi le Corse, si cha-
touilleux lorsqu'il s'agit de son intérêt ou de son honneur, reste
insensible devant les iniquités et les injustices qui affligent la
commune ou le département. Bien plus, sur cette pente, l'indi-
vidu devait glisser jusqu'au bout ; pour imposer sa volonté,
nous dirions volontiers sa suzeraineté, il ne lui suffira pas
d'être fort, il lui faudra étouffer dans son entourage tout germe
de force. De là nécessité de frapper sur quiconque essaj'e de
s'élever.
Heureusement cet individu a, par la force des choses, un
amour pour sa famille qui atteint le sublime ; il n'y a pas de
sacrifice qu'il ne soit prêt à s'imposer pour le triomphe des
siens. Il leur est dévoué de tout cœur, il est prêt à tout leur
sacrifier, même son honneur. Du reste, l'honneur est pour ainsi
1. Admirablement décrit par Demolins, Les Français d'aujourd'hui,
Chap. IV; Le Type Corse, p. 163 à 199.
INVASIONS DES SARRASINS. 189
dire familial ; tout acte est bon et digne de louange du moment
qu'il est agréable à la famille.
Ce type est le résultat de son histoire. Du vu® au xii® siècle il
n'a pas été gouverné. Le déclin de la puissance romaine Ta
laissé en proie à ses mauvais instincts ; l'Eglise malheureuse-
ment a vu ses généreux efforts arrêtés par les incursions des
Arabes. Comme nous l'avons vu, cette dernière période a blessé
mortellement la Corse. L'individu n'a eu qu'à compter sur ses
propres forces pour résister à l'envahisseur ; il a d'abord fui et,
de son nid d'aigle, il a continué à surveiller la vallée, ne se
faisant aucun scrupule de descendre la piller, quand il pouvait
le faire impunément.
Dans la montagne, il s'est formé ainsi un tas de clans, indé-
pendants les uns des autres, parfois même ennemis, par suite
de la nécessité de vivre sur les mêmes pâturages. Avec le temps,
cette vie de clan est devenue naturelle, nécessaire même. Pour
ramener ces clans à la vie normale il n'y avait qu'un remède : la
force. Ni Pise,ni Gênes ne l'ont jamais eue et la Corse a pu conti-
nuer à mener celte vie de grande tente. Il est réservé, espérons
le, à la France d'y mettre un terme, en mettant une force impla-
cable au service des justes lois de nos codes.
APPENDICES
APPENDICE I.
Liste des gouverneurs de la province Sardinia, d'après Klein
1. M. Valerius 528 an de Rome i.
2. C. Atilius M. F. M. N. Regulus 529
3. A. Cornélius Mammula 537
4. Q. Mucius P. F. Scaevola. 538
5. L. Cornélius Lentulus. v 543
6. P. Manlius Vulso. 544
7. C. Aurunculeius. 545
atque animi, adversus christianos profisciscuntur. Facile erat ex
promontoriis, et superioribus locis, orae maritimae prospicere
in mare, et cum classes inter se appropinquae vidèrent, omnes
superioribus aetatis homines, mulieres, pueri, virgines, atque
sacerdotes, ad coelum manus tendebant. Commisso praelio Sar-
raceni magno animo, ac virtute decertabant. . . . Et Sarraceni
conspicati triremem Bosonis (quae a signo facile cognosci po-
terat) ex omnibus partibus, sese in eam incitaverunt, sed rector
navis praevidit et celeritate enixus est. Duae quae alares erant,
incitâtes conflixerunt et vehementissime : sed navis Yuillermi
202 APPENDICE IV.
cum duabus alii» praesidio fuit, regiaque triremis in eas impedi-
tas impetum fecit et hac pugna duae deprimuntur ; sed Corsicae
a Pisanis pressae celeriter pugna excesserunt.. . Ex Bosonis
classes quatuor tantum modo depressae, paucae Pisanae ac
Genuense^ ; viginti captae ex Sarracenis, caeterae Sàrdiniam
atque Corsicam petiverunt, quas persequi Christiani propter
interventum noctis, non potuerunt Hoc prselium factum
fuisse anno supra notato tradidimus, autoritate Sabaudicarum
historiarum, quod an te bellum, ad Alpes Cotias ab Ardoino
factum, fuisse tradunt ; tamen annos harum rerum historise
Genuenses non habere ad liquidum exploratos certum est. Um-
bertus enim Folieta earum luculesitus scriptor, de his rébus
gestis in hune modum scripsit. « Manca et detruncaia omnia a
« rudibus illorum temporum scripioribus traduntur^ qui res verba
« uix aitingenies, neque exila bellorum produnt, ut omnia dens-
« sissima ignorantix caligine obruia vix cernaniur ». Porro nostrî
Historici scripserunt hoc prelium Bosonem Regem cum Gen-
nuensibus habuisse ; sed certum est Genuenses pro Sarracenis
accepisse. Nam Genuensium Historiae de bello sarracenico
mentionem quidem fecère ; sed Genuenses cura Bosone Rege
Arelatis bellum gessisse nullum verbum. Praepostere igitur
narraverunt, ut rudis aetas tune ferebat.
Hoc parta Victoria tota classis confœderatorum ad portum
Vinlimiliae se recepit, îbique summo mane consilio convocalo
statuitur, ut naves, captse et captivi prœdae nomine Bosoni,
Pisanis, Genuensibus distribuantur. Quâ re peracta, Pisani et
Genuenses et pars classis Régis Bosonis ad Corsicam et Sàrdiniam
occupandam profecti sunt, Boso autem suis navibus Carolum
Sesellium praefecit, dein de, propter vulnus acceptum.Massiliam
se recepit, ibique per aliquot dies est moratus, ut valetudini
consuleret. Sed cum incaute et intempérante viveret, febris con-
tinua eum arribuit, quo moro confectus interiit.
.... Eodem fere tempore Garolùs Seisselius cum navibus
Massiliam redit, quia Pisani et Genuenses, inceptam Corsicas
oppugnationem relinquerent, quod tempestates ejuscemodi
essent consequutae, ut se continere in mari non potuissent.
Delbène (Alph.). De regno Bargundiae Transjuranae et Arelatis,
libri III, in.4«, Lyon 1602, p. 148-158.
APPENDICE IV 203
Ce récit auquel j'ai d'ailleurs prêté une certaine importance t
est à rejeter. « Sur le point particulier du rôle des marquis
« provençaux dans l'expulsion des Sarrasins de Corse, m'a écrit
« M. René Poupardin, je ne suis pas du tout convaincu qu'il
« faille attacher la moindre importance au récit Delbène. Qu'il
« ne faille pas faire un crime à celui-ci de sea erreurs de
« chronologie, fort excusables en raison des instruments de
« travail dont il disposait, je suis de votre avis. Mais je le crois
« très capable d'avoir inventé de toutes pièces le récit de la
« bataille navale livrée aux Sarrasins. Delbène appartenait à
« l'école des écrivains pour lesquels l'histoire est surtout un
« genre littéraire. Il me parait bien douteux qu'il ait eu d'autre
« source, en bien des passages, que sa propre imagination. »
M. Poupardin m'a convaincu que les arguments que j'ai
invoqués, à l'appui de mon récit, dans la note 4, page 176, ne
résistent pas à une critique serrée.
1° Le texte du document émané de Charles d'Anjou, que j'ai
cité d'après le P. Anselme, ne serait probant, s'il a existé, que
pour la manière dont on se représentait les choses au xiii® siècle.
La Corse carolingienne dépendait de la marche de Toscane.
2° Les noms de Gui et de Rodolfe, si Giovanni délia Grossa
ne les attribue pas tout à fait arbitrairement aux comtes dont
il parle, ne sont pas provençaux (comme Guillaume, Boson,
Roubaud) mais bourguignons du Nord, de la Toscane ou de la
marche d'Ivrée.
3° Le nom de port provençal s'explique naturellement, à ce
qu'il semble, comme désignant le port où on fait le commerce
avec la Provence.
En un mot, il ne me reste qu'à remercier, une fois encore,
M. René Poupardin de m'avoir éclairé sur le rôle des marquis
de Provence dans l'expulsion des Sarrasins de Corse. Ce rôle se
réduit à une fable imaginée par Delbène dont le récit, sur ce
point particulier, est à rejeter.
1. Pages 175-176.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Introduction IX
Additions et Corrections XV
Chapitre 1er. Période préhistorique.
§ 1. L'Homme néolithique 1
§ 2. Monuments mégalithiques 3
Chapitre II. Période Proto- historique.
§ 1. Les Libyens en Corse sous le nom de Corsi ; les Shardana
et les Corsi appartiennent à la même race 12
§ 2. Les Ibères en Corse 18
§ 3. Les noms de lieu semblent prouver la parenté des Corses
et des Basques 21
§ 4. Date approximative de l'arrivée des Ibères en Corse . . 27
§ 5. Les Ligures en Corse. — Le nom Corsica n'est pas ligure . 28
§ 6. Parenté des Corses et des Ligures prouvée par les noms
de lieu 30
§ 7. Les Celtes n'ont pas occupé la Corse 35
§ 8. Des Celto-Ligures et des Cel libères ont dû passer en Corse. 40
§ 9. Importance des migrations ligures en Corse 41
§ 10. Les Ligures et les Corses actuels devant l'anthropologie . 41
§ 11. Les Phéniciens 44
§ 12. Les Étrusques ou Pélasges-Tursânes 46
Chapitre III. Période historique.
§ 1. Les Phocéens fondent la Colonie d'Aleria 50
§ 2. Les noms de lieu attestent la possession d'une partie de la
Corse par les Hellènes 53
§ 3. Domination des Étrusques. Les Syracusains maîtres des
côtes de la Corse. Les Carthaginois 54
Chapitre IV. État de la Corse romaine.
§ 1. Description géographique 59
§ 2. Divisions politiques 60
§ 3. Mœurs 63
§ 4. Langue 67
Chapitre V. La conquête.
§ 1. Expéditions en Corse 69
§ 2. Organisation de la conquête 84
206 TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Chapitre VI. La Corse sous les Empereurs Romains.
§ 1. Événements survenus en Corse sous le gouvernement
impérial 89
§ 2. Changements successifs dans le gouvernement de la
Sardinia 93
§ 3. Administration et organisation de la Corse avant Dioclétien. 97
§ 4. Le Christianisme en Corse 101
§ 5. Administration de la Corse après Dioclétien 105
§ 6. Situation de la Corse au iv^ siècle 105
Chapitre VIL La Corse d'après Ptolémée.
§ 1. L'Ile de Corse: Europe, table VI 108
§ 2. Méthode d'identification 111
§ 3. Noms de lieu mentionnés par Ptolémée dont l'emplace-
ment est indiqué par les cartes topographiques . . 115
§ 4. Noms de Ptolémée dont l'identification est possible par
les Indications données par le texte du géographe. . 119
§ 5. Noms de lieu dont l'identification n'est pas discutée. . 120
§ 6. Localités indiquées par Ptolémée dont l'identification est
possible par comparaison avec les textes d'autres
géographes 121
§ 7. Noms défigurés qu'il est possible de retrouver sur les
cartes 123
§ 8. Noms de lieu identifiés par recoupement .^ 125
§ 9. Identifications discutables 126
§ 10. Division de la Corse en Civitates 131
§ 11. Constitution de l'état territorial de la Corse ancienne. . 132
Chapitre VIIL Les Barbares.
§ 1. Les Vandales 134
§ 2. Les Grecs et les Goths 137
§ 3. Les Lombards 140
§ 4. Influence des Barbares sur la Corse 141
Chapitre IX. La Corse et le Saint-Siège.
§ 1. Organisation de l'Église Corse au vie siècle 142
§ 2. Monuments consacrés au culte 147
§ 3. Influence temporelle du Pape 151
§ 4. Donation de la Corse au Saint-Siège 154
Chapitre X. Invasion des Sarrasins.
§ 1. Premières incursions des Sarrasins en Corse ..... 156
§ 2. Expéditions des Généraux dé Charlemagne 158
§ 3. Expédition du Comte Boniface 162
§ 4. Émigration des Corses en Italie 165
TABLE DES MATIÈRES. 207
Pages.
§ 5. La Corse au pouvoir des Sarrasins 167
§ 6. Expulsion des Sarrasins 172
§ 7. Influence des invasions sarrasines sur la Corse .... 182
§ 8. Conclusion 187
Appendices :
\.
I. Liste des gouverneurs de la province Sardinia d'après
Klein. . 192
II. Numismatique. — Inscriptions 195
III. Bas-reliefs 198
IV. Les Comtes de Provence et l'expulsion des Sarrasins de
Corse 200
La6n. — împ. du Journal de VAisne, 22, rue Sérurier.
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ÂCKKR (Paul). — Petites Confessions (cour, par rAcadémie française.
1" et 2'' séries. Cliaque série 3 50
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édition revue et augmentée) 3 50
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Hkrton (Claude). — La Marciie à VÉioite^ roman 3 50
Hkhthkroy (Jean). — Les Dieux familiers, roman J^ 50
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en France et en Allemagne 1 »
HoRDKAiJX (Henri). — La Petite Mademoiselle, roman 3 50
Le Lac noir, roman 3 50
L'Amour en fuite (Une honnête femme ; le Paon blanc). . 3 50
La Peur de vivre, roman (couronne par l'Académie franc.) 3 50
La Voie sans retour, roman ....*. 3 50
Le Pays itatal, roman 3 50
Les Ecrivains et les Mœurs (!••-• et 2«-' séries). Chaque série. 3 50
Vies intimes , 3 50
La Savoie peinte par ses Ecrivains 1 »
Pélcrinatjes littéraires 3 50
HuACCO (Roberto). — Infidèle, comédie en trois actes (trad. de 1 italien). 2 »
Capuana (Luigi). — Le Marquis de Roccavcrdina, vom^aiivad, de V\isi\,) 3 50
Chuqukt (Arthur). mcnil>ie de l'Institut. — Eltudes d'histoire, *i séries à 3 50
CnoiSET (Àlaurice). — Aristophane et les partis à Athènes 3 50
Davu.non (Henri). — Molière à la Vie 3 50
DES Granges (Charles-Marc). — La Comédie et les Mœurs sous la Res-
tauration et la Monarchie de Juillet (lHlô-18^S). Prétace
de Jules Lemaître (de l'Académie française) .... 3 50
DouEL (Martial). — Au Temps de Pétrarque, roman .* 3 50
Flat (Paul). — L'Illusion sentimentale, roman 3 50
Le Ronutn de la Comédienne, roman. . 3 50
FoLEV (Charles). — Guilleri Guilloré, roman 3 50
Fleur d'Ombre, roman 3 50
Fontaine (André). — Matines, poésies 3 50
Confér. inédites de l'Acad. royale de Peinture et deScupiure. 4 »
Frank (HIdmond). — Le Crime de Clodomir Busiquet, roman .... 3 50
Finck-Hhkntano (l'rantz). — La Bastille des Comédiens (Le For-
t'Evcque), 11 gravures hors texte 3 50
et Sthyienski (Casimir). — L'Emigré de Séuac de
.Ue///ja/i, roman (nouvelle édition). 7 50
Gâchons (Jacques des). — La Maison des Dames Renoir, roman (cou-
ronné par l'Académie française) 3 50
HcE (Gustave) — Avocate, roman . . ! 3 50
L'i'tile Amie, roman 3 50
Lafenestue (Georges). — Bartolomca ou l'oratorio (nouvelle édition). 3 50
l.ECHAUTiKR ((ieorgcs). — Oii v(t la vie..., roman 3 50
IwE GoKKic ((Miark's). — Les Métiers jnltoresques 3 50
M viîURAS ((Charles). — Les Amants de Venise (avec port, de George
Sand et de Musset par David d'Angers) 3 50
L'Avenir de Vliitclliijence 3 50
Médine (Fcrnand). — La Messe de Onze heures et demie, roman ... 3 50
L'éternelle attente, roman 3 50
MicHAiJT (Gustave).— /.a Condcssc de /io/i/ïn^aZ (Lettres du xviii»-* siècle). 2 »
Etudes sur Sainte-Beuve • 3 50
Plessis (Frédéric). — Le Chemin moidant, rom. (cour, par l'Acad. franc.) 3 50
Poésies complètes * . (> »
Epitaphcs lutines en vers 4 »
PoMMEROL (Jean). — Islam saharien. Chez ceux qui guettent (cour, par
l'Académie française) 3 50
Hecolin (Charles).— Le Chen\in du Roi, rom. (cour, par l'Acad. franc.) 3 50
iiiAT (Cicorges). — Le Village endormi, roman * . 3 50
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