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CRISE
FINIGLACIAIRE
Ă
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IBRALTAR
ET
L
'A
TLANTIDE
:
TRADITION
ET
GĂOLOGIE
LA CRISE FINIGLACIAIRE Ă GIBRALTAR
ET L'ATLANTIDE :
TRADITION ORALE ET GĂOLOGIE
Jacques COLLINA-GIRARD
ESEP - UMR 6636 â Aix-en-Provence
Résumé
: Une ßle faisant face au Détroit de Gibraltar et une géographie proche de celle évoquée par Platon dans le
Timée
ont disparu,
engloutis 9000 ans avant notre Úre par une accélération de la transgression finiglaciaire (Collina-Girard 2001). Dans un temps
gĂ©ologiquement trĂšs bref et humainement perceptible, lâhumanitĂ© a dĂ» subir lâun des derniers cataclysmes majeurs Ă lâaube de son
histoire : rĂ©duction des territoires, rĂ©chauffement climatique et redistribution des espĂšces animales. Lâethnographie, la prĂ©histoire et les
textes antiques tĂ©moignent que la tradition orale peut transmettre sur des millĂ©naires le souvenir dâĂ©vĂ©nements majeurs. Le mythe de
lâAtlantide, construit sur une tradition orale enregistrĂ©e par les premiers scribes Ă©gyptiens est certainement un cas particulier et rĂ©gional
des mythes de déluges universels. Il faut relier ces traditions à la derniÚre transgression finiglaciaire et au basculement du monde des
chasseurs paléolithiques vers celui des producteurs néolithiques.
Abstract
: An archipelago , facing Gibraltar Strait was submerged 9000 years BC. This history fits exactly with the egyptian tradition,
basis of the history of Atlantis in the text of Plato :
Timaeus
(Collina-Girard 2001). During late glacial period prehistoric hunter-
gatherers were constraint to adapt rapidly to a main reduction of their territories, to an important global warming and to compose with
the redistribution of hunted animal species. Ethnography, Prehistory, and classical texts prooves that verbal traditions could keep in
memory such exceptional events during a long period of time. Plato myth of «Atlantis» is quite certainly builded on a local prehistoric
tradition of flooding transmitted during 5000 years to the first egyptian scribes around 3000-4000 BC.
LE DĂTROIT DE GIBRALTAR DU DERNIER
MAXIMUM GLACIAIRE
au grand large (fig. 1.5, 6, 7). Au total le paléo-détroit du
dernier maximum glaciaire (fig. 1) se prolongeait par une
mer intĂ©rieure. Ce sas vers lâocĂ©an Atlantique sâĂ©tendait
sur 77 km dâouest en est et de 20 Ă 10 km du nord au sud.
Entre les deux continents, les échanges et les déplace-
ments Ă©taient faciles. Le passage dâĂźle en Ăźle Ă©tait Ă©vident
pour passer dâun continent Ă lâautre : en pĂ©riode de bas
niveau marin, mĂȘme avec des moyens de navigation trĂšs
limités, toute dérive accidentelle se terminait inéluctable-
ment sur une cĂŽte. Ces techniques de navigation, peut-
ĂȘtre plus Ă©laborĂ©es que ce que lâon pense habituellement,
sont archéologiquement démontrées dans les ßles grecques
Ă 11 Ka BP (Straus 2001). Elles sont vraisemblablement
plus anciennes puisquâon a Ă©voquĂ© pour lâExtrĂȘme-Orient
des traversées maritimes dÚs le Paléolithique inférieur
(Straus 2001). Des arguments archéologiques suggÚrent,
dans la zone qui nous concerne directement ici, la pratique
de la navigation au PalĂ©olithique supĂ©rieur entre lâEurope
et lâAfrique (pĂȘche aux poissons du large) et sans doute des
contacts (harpons identiques) de part et dâautre de la mer
dâAlboran et du DĂ©troit de Gibraltar, au moins, entre
12 Ka et 10 Ka (Straus 2001, p. 92).
La paléogéographie révélée par la derniÚre baisse du
niveau marin Ă©tait trĂšs favorable Ă un apprentissage du
cabotage : mer intĂ©rieure et chapelet dâĂźles entre deux con-
tinents permettaient des déplacements toujours à vue. On
Les cĂŽtes du DĂ©troit de Gibraltar, en lĂ©gĂšre surrection Ă
la fin de lâEemien, peuvent ĂȘtres considĂ©rĂ©es comme sta-
bles au cours des derniers 20 000 ans (Zazzo
et al
. 1999). Le
facteur eustatique est donc la seule cause des changements
de paysages dans cette zone archéologiquement impor-
tante, passage obligĂ© entre lâAfrique et lâEurope.
Le littoral du dernier maximum glaciaire (21-19 ka BP,
1 Ka=1000 ans calendaires) se trouvait Ă -130/135m (Yo-
kohama
et al
. 2000). A lâouest du DĂ©troit, un horst NE-SW
dans les flyschs crétacés (Acosta
et al
. 1983 ; Acosta
et al
.
1983 ; Herranz
et al
. 1983) formait alors une Ăźle (14 km de
long sur 5 km de large) actuellement engloutie Ă -56m
(fig. 1.1). Cette ßle, située à 8-10 km des cÎtes, était certai-
nement occupée par les populations paléolithiques dont la
présence est abondamment attestée sur les cÎtes marocai-
nes, espagnoles et portugaises (Debenath
et al
. 1986 ;
Strauss 2001). Trois petits Ăźlots constituaient autant de
relais vers le continent ibérique (fig. 1.2, 3, 4). La passe
entre Méditerranée et Atlantique, trÚs rétrécie, était con-
sidĂ©rablement prolongĂ©e vers lâouest par lâĂ©mersion des
plateaux continentaux europĂ©en et africain. LâĂźle du Cap
Spartel faisait face Ă ce goulet Ă©largi Ă lâouest en un havre
protĂ©gĂ© de la houle de lâOcĂ©an par trois Ăźles barrant lâaccĂšs
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:
TRADITION
ET
GĂOLOGIE
peut imaginer le dĂ©veloppement dâune culture spĂ©cifique
que seule lâanalyse des sites cĂŽtiers, actuellement submer-
gĂ©s pourrait nous rĂ©vĂ©ler : peut-ĂȘtre faut-il chercher lĂ
lâorigine de la culture ibĂ©romaurusienne qui envahit bruta-
lement les cĂŽtes nord africaines vers 20 000 ans BP ?
LA SUBMERSION DU PALĂODĂTROIT ENTRE
19 000 ET 11 400 BP
LES DONNĂES DE LâARCHĂOLOGIE ENTRE
19 000 BP ET 11 400 BP
LâĂ©mersion de lâArchipel
du Cap Spartel (entre 19 Ka
BP et 11 Ka BP) coĂŻncide avec des remplacements majeurs
de populations (Debénath
et al
. 1986).
En Afrique du Nord, le maximum glaciaire voit lâĂ©limi-
nation des
homo sapiens
archaïques (culture Atérienne)
par les hommes modernes du Paléolithique supérieur (cul-
ture Ibéromaurusienne). Sur le continent ibérique le Mous-
térien terminal tardif du sud de la péninsule est remplacé
par des industries peu connues, Aurignacien final ou Gra-
vettien (Straus 2001, p. 96) qui tĂ©moignent de lâarrivĂ©e
des hommes modernes sur les cÎtes européennes.
Sur les littoraux du Maroc et de lâAlgĂ©rie,
lâIbĂ©romaurusien sâĂ©tend rapidement Ă partir de 22 Ka BP.
Lâorigine de cette culture prĂ©historique (industrie lamel-
laire Ă retouche abrupte et sĂ©pultures dâhommes modernes)
est toujours discutée (Ferembach 1985
;
Debénath
et al
.
1986 ; Straus 2001). En général on lui suppose une origine
orientale. Elle se serait dĂ©veloppĂ©e Ă partir dâun
Ăpigravettien italien via le dĂ©troit Siculo-Tunisien
(Debénath
et al
. 1986) ou à partir de la Cyrénaïque (Camps
1974 ; Otte, communication verbale) région encore peu
connue oĂč on a mis en Ă©vidence des cultures pratiquant la
retouche abrupte typique de lâIbĂ©romaurusien. Contradic-
toirement à ces hypothÚses les sites ibéromaurusiens, tou-
jours littoraux, sont plus abondants au Maroc et en Algérie
occidentale quâen Tunisie oĂč ils sont rarissimes. Les rĂ©cen-
tes prospections sur les rives marocaines du DĂ©troit de
Gibraltar ont confirmé dans cette zone la présence de
nombreux sites ibéromaurusiens (communication verbale
A. Bouzouggar). Au-delĂ , on retrouve cette industrie sur
toute la cĂŽte atlantique marocaine, ce que prouvent les
sites reconnus dans la région de Rabat-Casablanca
(Debénath
et al
. 1986 ; Souville 1974) mais aussi la pré-
sence de ce matériel en surface sur toute la cÎte atlantique
marocaine (observations personnelles). Lâorigine autoch-
tone de cette industrie est Ă exclure car il nây a aucune
parentĂ© anthropologique ni parentĂ© dâindustries avec
lâAtĂ©rien sous-jacent dans les sites archĂ©ologiques. Pour-
quoi ne pas envisager de faire provenir cette culture des
zones actuellement ennoyées du détroit ? ou des industries
ibĂ©riques ? Il est vrai que, pour lâinstant, aucun argument
archĂ©ologique effectif nâexiste en faveur dâun peuplement
des rives du Maghreb dans le sens nord-sud au Paléolithi-
que supérieur (Zilhao, communication verbale) mais nos
connaissances de la préhistoire de ces régions est totale-
ment amputĂ©e des sites cĂŽtiers actuellement immergĂ©s âŠ
La transgression finiglaciaire est maintenant assez bien
connue (Pirazzoli 1996). Ses étapes ont été précisées par
trois forages sur les récifs coralliens de la Barbade, de
Tahiti et de Nouvelle-Guinée (Bard
et al
. 1996) (fig. 2).
Au maximum glaciaire (21-19 Ka BP) la mer, Ă -130/-
135 m laisse totalement Ă©mergĂ© lâarchipel
du Cap Spartel
(fig. 1). La transgression sâamorce ensuite (fig. 2) pour
atteindre le niveau des - 100 m Ă 14 Ka BP, pĂ©riode oĂč elle
sâaccĂ©lĂšre brutalement (Melt Water Pulse 1A) (Bard
et al
.
1990,
1996). La mer remonte ensuite plus lentement jus-
quâĂ la cote -55 m Ă 11,3 Ka BP date dâune nouvelle
accélération (Melt Water Pulse 1B) (Bard
et al
. 1990, 1996
et fig 2). Cette transgression accélérée submerge définiti-
vement lâĂźle du Cap Spartel (-56 m) et lâĂźle nord de la passe
ouest (fig. 1.5) seuls tĂ©moins rĂ©siduels dâun archipel dont
les autres Ăźles (entre -80 m et -130 m) ont disparu lors de
lâaccĂ©lĂ©ration de 14 Ka BP (fig. 2).
PLATON ET LâATLANTIDE
Quand la géologie évoque une ßle submergée à 11 Ka
BP au large des «Colonnes dâHercule», il devient difficile
de ne pas Ă©voquer Platon et le mythe de lâAtlantide (IVe
siĂšcle avant notre Ăšre), origine depuis deux mille ans,
dâinĂ©puisables spĂ©culations pseudoscientifiques ou franche-
ment délirantes. On trouvera une liste actualisée de ces
spĂ©culations dans lâouvrage de Deloux et Guillaud (2001).
Platon prĂ©sente lâorigine de son propos comme une
tradition orale recueillie par Solon dans la ville de SaĂŻs en
Egypte. Il retranscrit dans le
Timée
les propos de son infor-
mateur :
«Câest donc de vos concitoyens dâil y a neuf mille ans que
je vais vous découvrir briÚvement les lois, et parmi leurs
hauts faits, je vous dirai le plus beau quâils aient accompli»
(Rivaud 1956, 23e).
«En effet, nos écrits rapportent comment votre cité anéan-
tit jadis une puissance insolente qui envahissait Ă la fois
toute lâEurope et toute lâAsie et se jetait sur elles du fond
de la mer Atlantique.» (Rivaud 1956, 24e).
«En effet, en ce temps-là , on pouvait traverser cette mer.
Elle avait une Ăźle, devant ce passage que vous appelez,
dites-vous, les colonnes dâHercule. Cette Ăźle Ă©tait plus
grande que la Libye et lâAsie rĂ©unies. Et les voyageurs de ce
temps-lĂ pouvaient passer de cette Ăźle sur les autres Ăźles, et
de ces Ăźles, ils pouvaient gagner tout le continent, sur le
rivage opposé de cette mer qui méritait vraiment son nom.
Car dâun cĂŽtĂ©, en dedans de ce dĂ©troit dont nous parlons, il
semble quâil nây ait quâun havre au goulet resserrĂ© et, de
lâautre, au-dehors, il y a cette mer vĂ©ritable et la terre qui
lâentoure et que lâon peut appeler vĂ©ritablement, au sens
propre du terme, un continent.» (Rivaud 1956, 25b).
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TRADITION
ET
GĂOLOGIE
1 - Paléogéographie du Détroit de Gibraltar à 19-21Ka BP (zones émergées en hachures). 1 à 7 : ßles et ßlots.
1 : ßle du Cap Spartel ; 7 : ßle submergée à 19
000 BP ; 2 , 3, 4, 6 : ßles submergées à 14
000 BP ; 1 et 5 : ßles submergées à 1
1
000 BP (Collina-Girard 2001).
36° 15' N
6°
W
5° 30'
W
6° W
5°
30' W
36° N
36° N
34° 30' N
30'
51
0
1
5
2
0
km
N
EUROPE
AFRIQUE
MER MĂDITERRANĂE
ILE DU CAP
SP
AR
TEL
OCEAN A
TLANTIQUE
TRAF
ALGAR
TA
RIF
A
GIBRAL
T
AR
ALGECIRAS
CEUT
A
TA
NGER
ASILAH
- 1
30
m
- 130m
-91m
51m
- 130m
- 130m
- 16m
- 7,9m
- 5m
- 1,2m
- 50m
- 13
0m
- 13
0m
- 13
0m
- 10
0
m
- 56m
- 500m
- 400m
- 50m
- 50m
- 87m
- 150m
- 13
0m
- 80m
- 400m
- 500m
1
2
4
6
5
3
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:
TRADITION
ET
GĂOLOGIE
«Mais, dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements
de terre effroyables et des cataclysmes. Dans lâespace dâun
seul jour et dâune nuit terribles, toute votre armĂ©e fut
engloutie dâun seul coup sous la terre, et de mĂȘme lâĂźle
Atlantide sâabĂźma dans la mer et disparut. VoilĂ pourquoi,
aujourdâhui encore, cet ocĂ©an de lĂ -bas est difficile et
inexplorable, par lâobstacle des fonds vaseux et trĂšs bas que
lâĂźle, en sâengloutissant, a dĂ©posĂ©s» (Rivaud 1956, 25d).
Sur cette tradition présentée comme authentique, Pla-
ton, Ă la maniĂšre dâun romancier, dĂ©veloppe une fiction,
celle dâune RĂ©publique IdĂ©ale, opposĂ©e victorieusement Ă
lâenvahisseur en avertissant explicitement son lecteur du
caractÚre imaginaire de cette utopie : «Les citoyens et la
citĂ© quâhier vous nous avez reprĂ©sentĂ©s comme une fiction,
nous les transposerons maintenant dans lâordre du rĂ©el :
nous supposerons quâil sâagit de la citĂ© que voici : les
citoyens que vous aviez imaginés, nous dirons que ce sont
ceux-ci, les vrais, nos ancĂȘtres, ceux dont avait parlĂ© le
prĂȘtre. Il y aura concordance complĂšte, et nous nâerrerons
point si nous affirmons quâils sont bien ceux qui existĂšrent
en ce temps-là .» (Rivaud 1956, 26d).
La complexe société atlantidienne du
Critias
est donc,
de lâaveu mĂȘme de son auteur, imaginaire. Le but de ce
texte est dâillustrer un «modĂšle» philosophique de sociĂ©tĂ©
«idĂ©ale» Ă travers un conte moral. Câest lâavis des spĂ©cialis-
tes, familiers des textes grecs, qui y retrouvent, transposées
et idéalisées, les cités états contemporaines de Platon. La
tendance actuelle chez ces spécialistes est encore plus radi-
cale (Vidal-Naquet 2000) puisquâelle gĂ©nĂ©ralise
cette opi-
nion Ă lâensemble du rĂ©cit de Platon avec pour consĂ©-
quence de refuser tout net la seule Ă©vocation dâun noyau de
rĂ©el Ă la source de lâhistoire de lâAtlantide. Un autre hellĂ©-
niste, Luc Brisson, remarque prudemment, que cette posi-
tion tranchĂ©e est difficilement dĂ©fendable puisquâelle ne
tient pas compte de lâinsistance de Platon Ă rappeler quâil
raconte «une histoire vraie» (Brisson 1999). Les tenants
de lâhypothĂšse opposĂ©e interprĂštent
a contrario
, cette in-
sistance comme un artifice littéraire du narrateur.
Cette conviction, tirĂ©e de lâĂ©tude des textes, nâenvisage
jamais les faits géologiques et culturels de la période
antĂ©historique et mĂ©connaĂźt lâefficacitĂ© de la transmission
orale à long terme des sociétés sans écriture, efficacité
maintes fois relevée (Mahé & Sourdat 1972 ; Blong 1982 ;
Capart 1986 ; Podlewski 1993 ; Cauvin 1994 ; Harris
1997 ; Wiessner 1998 ; Ballard 1998 ; etc.). Il est vrai que
la plupart des interprĂ©tations avancĂ©es jusquâici sont
pseudo scientifiques (Donnely 1882) ou franchement déli-
rantes (Deloux & Guillaud 2001). Ces Ă©lucubrations sou-
vent ésotériques ont eu pour effet de totalement déconsi-
dĂ©rer la recherche dâune Atlantide rĂ©elle. Les auteurs des
quelques tentatives à volonté scientifique (Termier 1913 ;
Moreux 1924 ; Gidon 1949 ; Poisson 1954) ne disposaient
pas des acquis récents de la Géologie et de la Préhistoire.
Théorie des «ponts continentaux», préhistoire non datée
et courbes de remontées de la mer mal cernées rendaient
en effet impossible, jusquâĂ une Ă©poque rĂ©cente, toute ap-
proche scientifiquement fondée. Contrairement à ces hy-
pothĂšses antĂ©rieures on peut affirmer quâune «Atlantide
réelle» scientifiquement fondée a bien existé dans le De-
troit de Gibraltar. La relation de cause Ă effet entre la
disparition de cette «Atlantide réelle» avec celle
de lâAtlantide imaginaire ou partiellement imaginaire Ă©vo-
quĂ©e par Platon est une hypothĂšse que nous soumettons Ă
lâapprĂ©ciation de chacun.
LA GĂOLOGIE DU DĂTROIT DE GIBRALTAR :
SOURCE DU MYTHE OU COĂNCIDENCE ?
Le texte de Platon a fait rechercher cette Atlantide
«abßmée dans la mer» en Amérique, aux Açores, aux Ca-
naries, Ă MadĂšre, en Islande, en CrĂšte, en Tunisie, en
SuĂšde, en Afrique occidentale, au Sahara, etc. (Besmertny
1949). Curieusement, personne ne semble avoir tenu
compte de lâindication la plus claire de Platon : celle dâune
Ăźle situĂ©e immĂ©diatement devant les colonnes dâHerculeâŠ
Lâhistoire reconstituĂ©e par la gĂ©ologie de lâarchipel du Cap
Spartel entre 19 ka BP et 11,4 Ka BP a-t-elle quelque
chose Ă voir avec lâhistoire racontĂ©e par Platon ?
Timée
: «En effet, en ce temps-là , on pouvait traverser
cette mer. Elle avait une Ăźle, devant ce passage que vous
appelez, dites-vous, les colonnes dâHercule.» (Rivaud 26b).
GĂ©ologie : A lâouest du DĂ©troit de Gibraltar une mer
intĂ©rieure prĂ©cĂ©dait lâOcĂ©an Atlantique. On pouvait faci-
lement traverser cette mer pour atteindre les continents
africains et européens Une ßle, actuellement immergée
faisait face aux «colonnes dâHercule» (fig.1).
Timée
: «Car dâun cĂŽtĂ©, en dedans de ce dĂ©troit dont nous
parlons, il semble quâil nây ait quâun havre au goulet res-
serrĂ© et, de lâautre, au-dehors, il y a cette mer vĂ©ritable et la
terre qui lâentoure et que lâon peut appeler vĂ©ritablement,
au sens propre du terme, un continent.» (Rivaud 1956,
25b).
GĂ©ologie : La description de Platon pourrait sâappliquer
sans modifications Ă la conformation du DĂ©troit lors du
dernier pléniglaciaire (fig. 1). La passe est (en dedans par
rapport à la Méditerranée) se présente comme un couloir
trÚs étroit («un havre au goulet resserré»). La partie ouest
est une véritable mer intérieure (77 km de long pour une
largeur de 10 km à 20 km). Cette Méditerranée en minia-
ture, était entourée par les continents africains et euro-
pĂ©ens Ă©largis par lâĂ©mersion de leurs plateaux continentaux
respectifs.
Timée
: «Et les voyageurs de ce temps-là pouvaient passer
de cette Ăźle sur les autres Ăźles, et de ces Ăźles, ils pouvaient
gagner tout le continent, sur le rivage opposé de cette mer
qui méritait vraiment son nom.» (Rivaud 1956, 25b).
GĂ©ologie : A partir de cette Ăźle, on pouvait passer sur les
autres (fig. 1.5, 6, 7) et gagner ensuite le continent au nord
ou au sud aprĂšs avoir traversĂ© une mer quasi fermĂ©e (Ă
lâouest par une barriĂšre dâĂźles) de 77 km sur 20 km (mer
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-15
-20
-25
-30
-35
-40
-45
-50
-55
-60
-65
-70
-75
-80
-85
-90
-95
-100
-105
-110
-115
-125
3000 BP
4000 BP
5000 BP
6000 BP
7000 BP
8000 BP
9000 BP
10000 BP
1
1000 BP
12000 BP
13000 BP
14000 BP
15000 BP
16000 BP
17000 BP
18000 BP
-120
A
C
B
M W P - 1 B : 1 1 3 0 0 B P
M W P - 1 A : 1 4 0 0 0 B P
V = 0,9 m/s
V = 2,5 m/s
V = 0,8 m/s
V = 3,7 m/s
V = 0,5 m/s
m
m
2 - Courbes de remontée du niveau marin depuis 19 Ka BP. Dates
calendaires d'aprÚs trois forages en récifs coralliens (A : Tahiti ; B :
Barbades ; C : Nouvelle Guinée ; MWP-1A et B : phases de débùcles
glaciaires (Meltwater pulse 1A et B) ; V : vitesses de remontée par siÚcle
(Bard
et al.
, 1990-1996).
«qui mérite vraiment son nom»). Une confirmation pour-
rait venir dâun philosophe nĂ©o-platonicien nommĂ© Proclus
(Ve siĂšcle de notre Ăšre) qui fait Ă©tat dâun gĂ©ographe nommĂ©
Marcellus. Ce dernier fait mention dâune dizaine dâĂźles
disparues devant le DĂ©troit de Gibraltar (Proclus, com-
mentaires sur le
Timée
, tome premier, livre 1, traduction
FestugiĂšre, 1966, p. 233).
Timée
:
«
Cette Ăźle Ă©tait plus grande que la Libye et lâAsie
réunies» (Rivaud 1956, 25b).
GĂ©ologie :
A premiĂšre vue, il sâagit du seul point dissonant
dans la correspondance entre le texte de Platon et la réalité
reconstituée par la Géologie. La dimension donnée par Pla-
ton est sans commune mesure avec les dimensions de lâĂźle du
Cap Spartel et des autres Ăźles de lâArchipel. On peut invo-
quer ici le territoire total et effectif des Ibéromaurusiens qui
de fait avaient envahi trĂšs rapidement les cĂŽtes du Maghreb
des Colonnes dâHercule Ă la Tunisie.
Sur ce point on peut relever dans le
Critias
une indica-
tion contradictoire au
Timée
puisque ce nâest plus la di-
mension de lâĂźle Atlantide qui est indiquĂ©e mais celle du
territoire des atlantes Ă©tendu de la Libye jusquâĂ la
ThyrĂ©nnie : « âŠnon seulement Ă©taient-ils maĂźtres de plu-
sieurs autres ßles dans la mer mais encore, comme il a été
dit antĂ©rieurement, leur pouvoir sâĂ©tendait sur les rĂ©gions
qui se trouvent en deçà des colonnes dâHĂ©raclĂšs, jusquâen
Egypte et à la Tyrrhénie» (Brisson 1999, p. 364).
On peut aussi Ă©voquer le fait que les navigateurs et
historiens antiques ne disposent dâaucun moyen sĂ»r de
mesure et de relevé de positions et surestiment
toujours distances et surfaces : la mer Noire dâHĂ©-
rodote est trois fois trop grande, NĂ©arque exagĂšre
considĂ©rablement son itinĂ©raire dans lâocĂ©an In-
dien, Pythéas les dimensions de la Grande Breta-
gne (Foex 1964). Peut-ĂȘtre faut-il, plus simple-
ment, supposer une certaine dérive magnifiante,
au cours de 9000 ans de transmission orale ? Lâa
priori de Platon voulant magnifier la puissance
quâil oppose aux anciens grecs dans sa fiction nâest
peut-ĂȘtre pas Ă©trangĂšre Ă cette exagĂ©ration (Vidal-
Naquet 2000).
Les commentateurs antiques eux-mĂȘmes ne
semblaient pas prendre au sérieux les dimensions
que Platon attribuait Ă lâĂźle Atlantide. Proclus en
particulier (Ve siĂšcle) nous indique explicitement
le point suivant : «il faut ici se rappeler les princi-
pes fondamentaux de Platon sur la terre, Ă savoir
quâil nâen mesure pas la grandeur de la mĂȘme ma-
niĂšre que les mathĂ©maticiens, mais a estimĂ© quâelle
a plus grande Ă©tendue, comme le dit Socrate dans
le PhĂ©don, et pose quâil y a bien dâautres lieux de
sĂ©jour Ă peu prĂšs Ă©gaux Ă notre terre habitĂ©e. Câest
pourquoi il rapporte lâexistence dans la mer extĂ©-
rieure, dâune Ăźle et dâun continent dâune telle am-
pleur» (Proclus, commentaires sur le
Timée
, tome
premier, livre 1, traduction FestugiĂšre, 1966,
p. 236-237).
Timée
: «Câest donc de vos concitoyens dâil y a neuf mille
ans que je vais vous découvrir briÚvement les lois» (Rivaud
1956, 23e).
GĂ©ologie : Cette date (11 Ka BP) coĂŻncide exactement
avec celle de la submersion des deux Ăźles majeures
.
La mer
atteint la cote -55 m vers 11 Ka BP (fig. 2) : câest, curieuse-
ment, la date exacte indiquĂ©e par Solon qui nâavait pour-
tant aucune connaissance des étapes de la remontée de la
mer fini glaciaire ! Cette exactitude troublante peut ĂȘtre
pure coïncidence mais il faut rappeler que, dans les sociétés
sans écriture, le décompte des généalogies est trÚs pratiqué
avec des exemples de lignĂ©es apprises par cĆur pendant
plus de mille ans dans des sociétés africaines (Podlewski
1993). Les Ăgyptiens enregistraient les Ă©vĂ©nements et les
dynasties depuis plus de 3000 ans. Ils pouvaient fort bien
avoir enregistré les listes généalogiques des sociétés anté-
rieures et une chronologie au moins approchée des événe-
ments.
Timée
: «âŠVoilĂ pourquoi, aujourdâhui encore, cet ocĂ©an
de lĂ -bas est difficile et inexplorable, par lâobstacle des
fonds vaseux et trĂšs bas que lâĂźle, en sâengloutissant, a
déposés» (Rivaud 1956, 25d).
GĂ©ologie : Au nord de lâĂźle engloutie du Cap Spartel sâĂ©tend
actuellement une zone peu profonde (ouest de Tarifa, sud
et sud-est de Trafalgar) avec des Ă©cueils entre -6 et -9 m
(fig. 1). En Provence occidentale et en Corse, le niveau de
la mer Ă lâĂ©poque de Platon (2,4 Ka BP) se trouvait Ă un
mÚtre sous le zéro actuel (Laborel
et al
. 1994). LâĂ©tude du
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port antique de Marseille a confirmé ces valeurs (Mo-
rhange
et al
. 1996). Peu avant le début de notre Úre ces
récifs affleurants rendaient encore la navigation périlleuse.
Les navigateurs antiques méditerranéens, naviguant en gé-
nĂ©ral Ă vue des cĂŽtes (Pomey 1997) Ă©taient trĂšs exposĂ©s Ă
ces piĂšges sous-marins. Le sentiment de danger devait ĂȘtre
encore accentuĂ© par lâamplitude incomprĂ©hensible des ma-
rées atlantiques rendant ces récifs imprévisibles.
Au total, on constate une troublante similitude entre
lâhistoire gĂ©ologique du DĂ©troit de Gibraltar et lâhistoire
racontĂ©e par Platon 9000 ans aprĂšsâŠ
Un océanographe, André Capart nous rapporte, que
lors dâune campagne limnologique sur le lac Tanganyika
un pĂȘcheur indigĂšne lui avait confiĂ© une lĂ©gende locale. A
une Ă©poque trĂšs ancienne, il y aurait eu trois lacs Ă la place
du lac actuelâŠ. Les Ă©tudes gĂ©ologiques et gĂ©ophysiques
confirmĂšrent par la suite que le lac Tanganyika, Ă une
Ă©poque trĂšs ancienne, comportait bien trois cuvettes dis-
tinctes reliĂ©es par des dĂ©troits aujourdâhui noyĂ©s. Le souve-
nir trÚs précis de cette paléogéographie avait donc traversé
sans faiblir plus de trois millénaires ! (Capart 1986, p. 10).
Au Canada les histoires racontées par les indiens
Gitksans renvoient à la fin du PléistocÚne et au début de
lâHolocĂšne. Les Ă©vĂ©nements rapportĂ©s ont pu, en effet,
ĂȘtre datĂ©s et corrĂ©lĂ©s avec des faits gĂ©ologiques attestĂ©s :
glissements de terrains, Ă©ruptions volcaniques, assĂšche-
ments de lacs. Ces événements ont été vérifiés et datés
entre 6000 BP et 10 000 BP. Les Indiens renvoient cou-
ramment dans ces mythes Ă un temps avant ou aprĂšs le
déluge («Before the flood» ou «Soon after the flood»)
(Harris 1997). La déglaciation a été dans leur histoire une
pĂ©riode charniĂšre puisquâelle a marquĂ© le moment oĂč le
peuplement de leur territoire, enfin libre de glace, a pu ĂȘtre
possible.
AVANT LâĂCRITURE : LA TRADITION ORALE ?
Le paysage du dernier maximum glaciaire disparaßt dé-
finitivement avec lâengloutissement de lâĂźle du Cap Spartel.
Une élévation de la mer de deux mÚtres dans une vie
humaine est assez spectaculaire pour marquer les mythes
de peuplades confrontées simultanément à des crises cultu-
relles majeures. Ces événements constituent certainement
un vĂ©ritable «traumatisme culturel» dans lâhistoire de lâhu-
manitĂ©, traumatisme qui lâa faite basculer du monde des
chasseurs-cueilleurs en Ă©quilibre avec une nature suffisam-
ment nourriciÚre vers le monde des producteurs néolithi-
ques (Cauvin 1994). Il n'est donc pas inenvisageable de
penser que ce véritable traumatisme culturel se retrouve
dans les traditions orales transcrites au seuil de lâhistoire
vers 500-400 ans avant notre Úre. Ces traditions héritées
des 10 000 ans précédents sont certainement le fond des
textes de lâAntiquitĂ© classique, Ă©gyptiens, grecs ou moyen-
orientaux. On y retrouve toujours, comme dans le reste du
monde (Labeyrie 1985) les thĂšmes de dĂ©luges ou dâhuma-
nité «antédiluvienne» (Cauvin 1994 ; Capart 1986).
LA TRADITION ORALE ACTUELLE
La mĂ©moire dâĂ©vĂ©nements trĂšs anciens traverse les gĂ©-
nérations chez les peuples sans écriture : en Papouasie-
Nouvelle-Guinée les ethnologues ont relevé la précision
des gĂ©nĂ©alogies remontant parfois jusquâĂ 14 gĂ©nĂ©rations
(Wiessner
et al
. 1998, p. 28). Dans le nord de lâĂźle, le mythe
du «temps dâobscurité» renvoie Ă une Ă©ruption volcanique
précisément datée du début du XVIIe siÚcle (Brisson 1999,
p. 193 ; Ballard 1998, p. 32).
Les Antandroy (sud-ouest de Madagascar) ont gardé,
sur un millénaire, le souvenir des vertébrés disparus
(
Aepyornis
et lémuriens géants) qui vivaient encore lors de
la premiĂšre occupation de Madagascar vers 1000 ans BP.
Câest probablement cette occupation qui a accĂ©lĂ©rĂ© la dis-
parition totale de ces espĂšces dont le dĂ©clin Ă©tait dĂ©jĂ
effectif entre 2300 et 2000 années BP (Mahé & Sourdat
1972).
Au Cameroun, on a relevé des listes généalogiques qui
sâĂ©tendent sur plus dâun millĂ©naire (Podlewski 1993).
LES TRADITIONS ORALES DE LâANTIQUITĂ
La Bible a enregistrĂ© des Ă©vĂ©nements dâil y a 7000 ans
dont on a, peut-ĂȘtre, trouvĂ© rĂ©cemment la trace en Mer
Noire (Fortney 2000). Ces mythes du DĂ©luge existent
aussi chez les peuples sans écriture de Micronésie (Labeyrie
1985) : ils renvoient certainement à des événements mon-
diaux et synchrones.
Jacques Cauvin, spécialiste de la néolithisation au
Moyen-Orient, retrouve dans le livre de la GenĂšse les
principaux Ă©vĂ©nements objectifs du passage de lâĂ©conomie
de cueillette Ă lâĂ©conomie de subsistance (agriculture et
élevage). Pour cet auteur, il est «difficile de ne pas envisa-
ger que câest dâelle (la rĂ©volution nĂ©olithique) quâil puisse
sâagir. Si câest bien le cas, cela impliquerait une transmis-
sion orale de plus de 6000 ans dans des textes compilés
900 ans avant J.-C, pour la Bible (Capart 1986 : «Peut-on
solliciter les mythes», p. 264-265).
LA PRĂHISTOIRE DES CHASSEURS-CUEILLEURS
La préhistoire des chasseurs-cueilleurs met en évidence
des conservatismes culturels qui impliquent la transmis-
sion de traditions quasi immuables pendant des millénai-
res. Lâart prĂ©historique europĂ©en en est un excellent exem-
ple puisque transmis (avec la vision du monde quâil vĂ©hi-
culait) sans changements majeurs pendant plus de 20 000
ans. Dans la grotte du Parpallo, prĂšs de Valence (Espagne),
Jean Clottes (communication verbale) a relevé la perma-
nence de rites identiques (offrandes de plaquettes gravées
ou peintes) pendant 10 000 ans (4500 plaquettes dans des
couches allant du Gravettien au Magdalénien final in-
clus). Comme le constate ce spĂ©cialiste de lâart pariĂ©tal :
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«ces comportements témoignent de façon indiscutable de
la persistance de la mĂȘme tradition religieuse sur dix millĂ©-
naires» (Clottes, communication verbale).
Si lâethnographie et la prĂ©histoire nous montrent lâeffi-
cacité de la tradition orale chez les peuples sans écriture et
lâaptitude Ă transmettre sur des millĂ©naires le souvenir
dâĂ©vĂ©nements naturels catastrophiques, pourquoi refuser
cette possibilité aux peuples antiques ? Les Egyptiens, au
dĂ©but de lâinvention de lâĂ©criture, ont transcrit pour la
premiÚre fois les traditions antérieures à l'apparition de
l'Ă©criture. Pourquoi une tradition de ce type nâaurait-elle
pas pu parvenir Ă Solon pour ĂȘtre ensuite transmise Ă
Platon ?
LA FIN DE LA GLACIATION :
UN TRAUMATISME CULTUREL MAJEUR
DANS LâHISTOIRE DE LâHUMANITĂ ?
Dans le DĂ©troit de Gibraltar, lâhistoire gĂ©ologique de
lâĂźle du Cap Spartel et de son archipel sâajuste Ă la tradition
rapportée 9000 ans aprÚs par Platon dans le
Timée
: lieu,
date de submersion et géographie coïncident. La transcrip-
tion par les scribes Ă©gyptiens, aprĂšs 5000 ans de transmis-
sion orale, a pu ĂȘtre possible dĂšs 4236 BC. Cette date est
celle du premier calendrier basé sur le levé héliaque de
Sirius (astronomiquement datĂ©) et celle du dĂ©but de lâĂ©cri-
ture hiéroglyphique (Lefort 1998).
Le «mythe» de lâAtlantide pourrait donc renvoyer en
partie à des traditions orales, seuls témoins vers 9000 BC
de lâĂ©croulement dâun monde en pleine apogĂ©e : celui des
chasseurs de la fin du Paléolithique et de leur univers
glaciaire.
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