background image

53

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

LA CRISE FINIGLACIAIRE À GIBRALTAR

 ET L'ATLANTIDE :

 TRADITION ORALE ET GÉOLOGIE

Jacques COLLINA-GIRARD

ESEP - UMR 6636 – Aix-en-Provence

Résumé

 : Une Ăźle faisant face au DĂ©troit de Gibraltar et une gĂ©ographie proche de celle Ă©voquĂ©e par Platon dans le

Timée

 ont disparu,

engloutis 9000 ans avant notre Úre par une accélération de la transgression finiglaciaire (Collina-Girard 2001). Dans un temps
gĂ©ologiquement trĂšs bref et humainement perceptible, l’humanitĂ© a dĂ» subir l’un des derniers cataclysmes majeurs Ă  l’aube de son
histoire : rĂ©duction des territoires, rĂ©chauffement climatique et redistribution des espĂšces animales. L’ethnographie, la prĂ©histoire et les
textes antiques tĂ©moignent que la tradition orale peut transmettre sur des millĂ©naires le souvenir d’évĂ©nements majeurs. Le mythe de
l’Atlantide, construit sur une tradition orale enregistrĂ©e par les premiers scribes Ă©gyptiens est certainement un cas particulier et rĂ©gional
des mythes de dĂ©luges universels. Il faut relier ces traditions Ă  la derniĂšre transgression finiglaciaire et au basculement du monde des
chasseurs paléolithiques vers celui des producteurs néolithiques.

Abstract

: An archipelago , facing  Gibraltar  Strait was submerged 9000 years BC. This history fits exactly with the egyptian tradition,

basis of the history of Atlantis in the text of Plato : 

Timaeus

  (Collina-Girard 2001). During late glacial period prehistoric hunter-

gatherers were constraint to  adapt rapidly to a main reduction of their territories, to an important global warming and to compose with
the redistribution of hunted animal species. Ethnography, Prehistory, and classical texts prooves that verbal traditions could keep in
memory such exceptional events during a long period of time. Plato myth of «Atlantis» is quite certainly builded on a local prehistoric
tradition of flooding transmitted during 5000 years to the first egyptian scribes around 3000-4000 BC.

LE DÉTROIT DE GIBRALTAR DU DERNIER

MAXIMUM GLACIAIRE

au grand large (fig. 1.5, 6, 7).  Au total le palĂ©o-dĂ©troit du
dernier maximum glaciaire (fig. 1) se prolongeait par une
mer intĂ©rieure. Ce sas vers l’ocĂ©an Atlantique s’étendait
sur 77 km d’ouest en est et de 20 à 10 km du nord au sud.

Entre les deux continents, les échanges et les déplace-

ments Ă©taient faciles. Le passage d’üle en Ăźle Ă©tait Ă©vident
pour passer d’un continent Ă  l’autre : en pĂ©riode de bas
niveau marin, mĂȘme avec des moyens de navigation trĂšs
limitĂ©s, toute dĂ©rive accidentelle se terminait inĂ©luctable-
ment sur une cĂŽte. Ces techniques de navigation, peut-
ĂȘtre plus Ă©laborĂ©es que ce que l’on pense habituellement,
sont archéologiquement démontrées dans les ßles grecques
Ă  11 Ka BP (Straus 2001). Elles sont vraisemblablement
plus anciennes puisqu’on a Ă©voquĂ© pour l’ExtrĂȘme-Orient
des traversées maritimes dÚs le Paléolithique inférieur
(Straus 2001).  Des arguments archĂ©ologiques suggĂšrent,
dans la zone qui nous concerne directement ici, la pratique
de la navigation au PalĂ©olithique supĂ©rieur entre l’Europe
et l’Afrique (pĂȘche aux poissons du large) et sans doute des
contacts (harpons identiques) de part et d’autre de la mer
d’Alboran et du DĂ©troit de Gibraltar, au moins, entre
12 Ka et 10 Ka (Straus 2001, p. 92).

La paléogéographie révélée par la derniÚre baisse du

niveau marin Ă©tait trĂšs favorable Ă  un apprentissage du
cabotage : mer intĂ©rieure et chapelet d’üles entre deux con-
tinents permettaient des déplacements toujours à vue. On

Les cÎtes du Détroit de Gibraltar, en légÚre surrection à

la fin de l’Eemien, peuvent ĂȘtres considĂ©rĂ©es comme sta-
bles au cours des derniers 20 000 ans (Zazzo 

et al

. 1999). Le

facteur eustatique est donc la seule cause des changements
de paysages dans cette zone archéologiquement impor-
tante, passage obligĂ© entre l’Afrique et l’Europe.

Le littoral du dernier maximum glaciaire (21-19 ka BP,

1 Ka=1000 ans calendaires) se trouvait Ă  -130/135m (Yo-
kohama 

et al

. 2000). A l’ouest du DĂ©troit, un horst NE-SW

dans les flyschs crĂ©tacĂ©s (Acosta 

et al

. 1983 ; Acosta 

et al

.

1983 ; Herranz 

et al

. 1983) formait alors une Ăźle (14 km de

long sur 5 km de large) actuellement engloutie Ă  -56m
(fig. 1.1). Cette Ăźle, situĂ©e Ă  8-10 km des cĂŽtes, Ă©tait certai-
nement occupée par les populations paléolithiques dont la
présence est abondamment attestée sur les cÎtes marocai-
nes, espagnoles et portugaises (Debenath 

et al

. 1986 ;

Strauss 2001). Trois petits Ăźlots constituaient autant de
relais vers le continent ibérique (fig. 1.2, 3, 4). La passe
entre Méditerranée et Atlantique, trÚs rétrécie, était con-
sidĂ©rablement prolongĂ©e vers l’ouest par l’émersion des
plateaux continentaux europĂ©en et africain. L’üle du Cap
Spartel faisait face Ă  ce goulet Ă©largi Ă  l’ouest en un havre
protĂ©gĂ© de la houle de l’OcĂ©an par trois Ăźles barrant l’accĂšs

background image

54

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

peut imaginer le dĂ©veloppement d’une culture spĂ©cifique
que seule l’analyse des sites cîtiers, actuellement submer-
gĂ©s pourrait nous rĂ©vĂ©ler : peut-ĂȘtre faut-il chercher lĂ 
l’origine de la culture ibĂ©romaurusienne qui envahit bruta-
lement les cĂŽtes nord africaines vers 20 000 ans BP ?

LA SUBMERSION DU PALÉODÉTROIT ENTRE

19 000 ET 11 400 BP

LES DONNÉES DE L’ARCHÉOLOGIE ENTRE

19 000 BP ET 11 400 BP

L’émersion de l’Archipel

 

du Cap Spartel (entre 19 Ka

BP et 11 Ka BP) coĂŻncide avec des remplacements majeurs
de populations (DebĂ©nath 

et al

. 1986).

En Afrique du Nord, le maximum glaciaire voit l’élimi-

nation des 

homo sapiens

  archaĂŻques (culture AtĂ©rienne)

par les hommes modernes du Paléolithique supérieur (cul-
ture Ibéromaurusienne). Sur le continent ibérique le Mous-
térien terminal tardif du sud de la péninsule est remplacé
par des industries peu connues, Aurignacien final ou Gra-
vettien (Straus 2001, p. 96) qui tĂ©moignent de l’arrivĂ©e
des hommes modernes sur les cÎtes européennes.

Sur les littoraux du Maroc et de l’AlgĂ©rie,

l’IbĂ©romaurusien s’étend rapidement Ă  partir de 22 Ka BP.
L’origine de cette culture prĂ©historique (industrie lamel-
laire Ă  retouche abrupte et sĂ©pultures d’hommes modernes)
est toujours discutée (Ferembach 1985

;

  DebĂ©nath 

et al

.

1986 ; Straus 2001). En gĂ©nĂ©ral on lui suppose une origine
orientale. Elle se serait dĂ©veloppĂ©e Ă  partir d’un
Épigravettien italien via le dĂ©troit Siculo-Tunisien
(DebĂ©nath 

et al

. 1986) ou à partir de la Cyrénaïque (Camps

1974 ; Otte, communication verbale)  rĂ©gion encore peu
connue oĂč on a mis en Ă©vidence des cultures pratiquant la
retouche abrupte typique de l’IbĂ©romaurusien. Contradic-
toirement à ces hypothÚses les sites ibéromaurusiens, tou-
jours littoraux, sont plus abondants au Maroc et en Algérie
occidentale qu’en Tunisie oĂč ils sont rarissimes. Les rĂ©cen-
tes prospections sur les rives marocaines du DĂ©troit de
Gibraltar ont confirmé dans cette zone la présence de
nombreux sites ibéromaurusiens (communication verbale
A. Bouzouggar). Au-delĂ , on retrouve cette industrie sur
toute la cĂŽte atlantique marocaine, ce que prouvent les
sites reconnus dans la région de Rabat-Casablanca
(DebĂ©nath 

et al

. 1986 ; Souville 1974) mais aussi la prĂ©-

sence de ce matériel en surface sur toute la cÎte atlantique
marocaine (observations personnelles). L’origine autoch-
tone de cette industrie est à exclure car il n’y a aucune
parentĂ© anthropologique ni parentĂ© d’industries avec
l’AtĂ©rien sous-jacent dans les sites archĂ©ologiques. Pour-
quoi ne pas envisager de faire provenir cette culture des
zones actuellement ennoyĂ©es du dĂ©troit ? ou des industries
ibĂ©riques ? Il est vrai que, pour l’instant, aucun argument
archĂ©ologique effectif n’existe en faveur d’un peuplement
des rives du Maghreb dans le sens nord-sud au Paléolithi-
que supérieur (Zilhao, communication verbale) mais nos
connaissances de la préhistoire de ces régions est totale-
ment amputée des sites cÎtiers actuellement immergés 


La transgression finiglaciaire est maintenant assez bien

connue (Pirazzoli 1996). Ses étapes ont été précisées par
trois forages sur les récifs coralliens de la Barbade, de
Tahiti et de Nouvelle-GuinĂ©e (Bard 

et al

. 1996) (fig. 2).

Au maximum glaciaire (21-19 Ka BP) la mer, Ă  -130/-
135 m laisse totalement Ă©mergĂ© l’archipel

 

du Cap Spartel

(fig. 1). La transgression s’amorce ensuite (fig. 2) pour
atteindre le niveau des - 100 m Ă  14 Ka BP, pĂ©riode oĂč elle
s’accĂ©lĂšre brutalement (Melt Water Pulse 1A) (Bard 

et al

.

1990,

 

1996). La mer remonte ensuite plus lentement jus-

qu’à la cote -55 m à 11,3 Ka BP date d’une nouvelle
accĂ©lĂ©ration (Melt Water Pulse 1B) (Bard 

et al

. 1990, 1996

et fig 2). Cette transgression accélérée submerge définiti-
vement l’üle du Cap Spartel (-56 m) et l’üle nord de la passe
ouest (fig. 1.5) seuls tĂ©moins rĂ©siduels d’un archipel dont
les autres Ăźles (entre -80 m et -130 m) ont disparu lors de
l’accĂ©lĂ©ration de 14 Ka BP (fig. 2).

PLATON ET L’ATLANTIDE

Quand la géologie évoque une ßle submergée à 11 Ka

BP au large des «Colonnes d’Hercule», il devient difficile
de ne pas Ă©voquer Platon et le mythe de l’Atlantide (IVe
siĂšcle avant notre Ăšre), origine depuis deux mille ans,
d’inĂ©puisables spĂ©culations pseudoscientifiques ou franche-
ment délirantes. On trouvera une liste actualisée de ces
spĂ©culations dans l’ouvrage de Deloux et Guillaud (2001).

  Platon prĂ©sente l’origine de son propos comme une

tradition orale recueillie par Solon dans la ville de SaĂŻs en
Egypte. Il retranscrit dans le 

Timée

 les propos de son infor-

mateur :

«C’est donc de vos concitoyens d’il y a neuf mille ans que
je vais vous découvrir briÚvement les lois, et parmi leurs
hauts faits, je vous dirai le plus beau qu’ils aient accompli»
(Rivaud 1956, 23e).

«En effet, nos écrits rapportent comment votre cité anéan-
tit jadis une puissance insolente qui envahissait Ă  la fois
toute l’Europe et toute l’Asie et se jetait sur elles du fond
de la mer Atlantique.» (Rivaud 1956, 24e).

«En effet, en ce temps-là, on pouvait traverser cette mer.
Elle avait une Ăźle, devant ce passage que vous appelez,
dites-vous, les colonnes d’Hercule. Cette Ăźle Ă©tait plus
grande que la Libye et l’Asie rĂ©unies. Et les voyageurs de ce
temps-lĂ  pouvaient passer de cette Ăźle sur les autres Ăźles, et
de ces Ăźles, ils pouvaient gagner tout le continent, sur le
rivage opposé de cette mer qui méritait vraiment son nom.
Car d’un cĂŽtĂ©, en dedans de ce dĂ©troit dont nous parlons, il
semble qu’il n’y ait qu’un havre au goulet resserrĂ© et, de
l’autre, au-dehors, il y a cette mer vĂ©ritable et la terre qui
l’entoure et que l’on peut appeler vĂ©ritablement, au sens
propre du terme, un continent.» (Rivaud 1956, 25b).

background image

55

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

1 - Paléogéographie du Détroit de Gibraltar à 19-21Ka BP (zones émergées en hachures). 1 à 7 : ßles et ßlots.

1 : ßle du Cap Spartel ; 7 : ßle submergée à 19

000 BP ; 2 , 3, 4, 6 : ßles submergées à 14

000 BP ; 1 et 5 : ßles submergées à 1

1

000 BP (Collina-Girard 2001).

36° 15' N

6° 

W

5° 30' 

W

6° W

5° 

30' W

36° N

36° N

34° 30' N

30'

51

0

1

5

2

0

km

N

EUROPE

AFRIQUE

MER MÉDITERRANÉE

ILE DU CAP

 SP

AR

TEL

OCEAN A

TLANTIQUE

TRAF

ALGAR

TA

RIF

A

 

GIBRAL

T

AR 

ALGECIRAS

CEUT

A

TA

NGER

ASILAH

- 1

30

m

- 130m

-91m

51m

- 130m

- 130m

- 16m

- 7,9m

- 5m

- 1,2m

- 50m

- 13

0m

- 13

0m

- 13

0m

- 10

0

m

- 56m

- 500m

- 400m

- 50m

- 50m

- 87m

- 150m

- 13

0m

- 80m

- 400m

- 500m

1

2

4

6

5

3

7

background image

56

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

«Mais, dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements
de terre effroyables et des cataclysmes. Dans l’espace d’un
seul jour et d’une nuit terribles, toute votre armĂ©e fut
engloutie d’un seul coup sous la terre, et de mĂȘme l’üle
Atlantide s’abüma dans la mer et disparut. Voilà pourquoi,
aujourd’hui encore, cet ocĂ©an de lĂ -bas est difficile et
inexplorable, par l’obstacle des fonds vaseux et trùs bas que
l’üle, en s’engloutissant, a dĂ©posĂ©s» (Rivaud 1956, 25d).

Sur cette tradition présentée comme authentique, Pla-

ton, Ă  la maniĂšre d’un romancier, dĂ©veloppe une fiction,
celle d’une RĂ©publique IdĂ©ale, opposĂ©e victorieusement Ă 
l’envahisseur en avertissant explicitement son lecteur du
caractÚre imaginaire de cette utopie : «Les citoyens et la
citĂ© qu’hier vous nous avez reprĂ©sentĂ©s comme une fiction,
nous les transposerons maintenant dans l’ordre du rĂ©el :
nous supposerons qu’il s’agit de la citĂ© que voici : les
citoyens que vous aviez imaginés, nous dirons que ce sont
ceux-ci, les vrais, nos ancĂȘtres, ceux dont avait parlĂ© le
prĂȘtre. Il y aura concordance complĂšte, et nous n’errerons
point si nous affirmons qu’ils sont bien ceux qui existùrent
en ce temps-là.» (Rivaud 1956, 26d).

La complexe sociĂ©tĂ© atlantidienne du 

Critias

 est donc,

de l’aveu mĂȘme de son auteur, imaginaire. Le but de ce
texte est d’illustrer un «modĂšle» philosophique de sociĂ©tĂ©
«idĂ©ale» Ă  travers un conte moral. C’est l’avis des spĂ©cialis-
tes, familiers des textes grecs, qui y retrouvent, transposées
et idĂ©alisĂ©es,  les citĂ©s Ă©tats contemporaines de Platon. La
tendance actuelle chez ces spécialistes est encore plus radi-
cale (Vidal-Naquet 2000) puisqu’elle gĂ©nĂ©ralise

 

cette opi-

nion Ă  l’ensemble du rĂ©cit de Platon avec pour consĂ©-
quence de refuser tout net la seule Ă©vocation d’un noyau de
rĂ©el Ă  la source de l’histoire de l’Atlantide. Un autre hellĂ©-
niste, Luc Brisson, remarque prudemment, que cette posi-
tion tranchĂ©e est difficilement dĂ©fendable puisqu’elle ne
tient pas compte de l’insistance de Platon à rappeler qu’il
raconte «une histoire vraie» (Brisson 1999). Les tenants
de l’hypothĂšse opposĂ©e interprĂštent 

a contrario

, cette in-

sistance comme un artifice littéraire du narrateur.

Cette conviction, tirĂ©e de l’étude des textes, n’envisage

jamais les faits géologiques et culturels de la période
antĂ©historique et mĂ©connaĂźt l’efficacitĂ© de la transmission
orale à long terme des sociétés sans écriture, efficacité
maintes fois relevĂ©e (MahĂ© & Sourdat 1972 ; Blong 1982 ;
Capart 1986 ; Podlewski 1993 ; Cauvin 1994 ; Harris
1997 ; Wiessner 1998 ; Ballard 1998 ; etc.). Il est vrai que
la plupart des interprĂ©tations avancĂ©es jusqu’ici sont
pseudo scientifiques (Donnely 1882) ou franchement déli-
rantes (Deloux & Guillaud 2001). Ces Ă©lucubrations sou-
vent ésotériques ont eu pour effet de totalement déconsi-
dĂ©rer la recherche d’une Atlantide rĂ©elle. Les auteurs des
quelques tentatives Ă  volontĂ© scientifique (Termier 1913 ;
Moreux 1924 ; Gidon 1949 ; Poisson 1954) ne disposaient
pas des acquis récents de la Géologie et de la Préhistoire.
Théorie des «ponts continentaux», préhistoire non datée
et courbes de remontées de la mer mal cernées rendaient
en effet impossible, jusqu’à une Ă©poque rĂ©cente, toute ap-

proche scientifiquement fondée. Contrairement à ces hy-
pothĂšses antĂ©rieures on peut affirmer qu’une «Atlantide
réelle» scientifiquement fondée a bien existé dans le De-
troit de Gibraltar. La relation de cause Ă  effet entre la
disparition de cette «Atlantide réelle» avec celle
de l’Atlantide imaginaire ou partiellement imaginaire Ă©vo-
quée par Platon est une hypothÚse que nous soumettons à
l’apprĂ©ciation de chacun.

LA GÉOLOGIE DU DÉTROIT DE GIBRALTAR  :

SOURCE DU MYTHE OU COÏNCIDENCE ?

Le texte de Platon a fait rechercher cette Atlantide

«abßmée dans la mer» en Amérique, aux Açores, aux Ca-
naries, Ă  MadĂšre, en Islande, en CrĂšte, en Tunisie, en
SuĂšde, en Afrique occidentale, au Sahara, etc. (Besmertny
1949). Curieusement, personne ne semble avoir tenu
compte de l’indication la plus claire de Platon : celle d’une
Ăźle situĂ©e immĂ©diatement devant les colonnes d’Hercule

L’histoire reconstituĂ©e par la gĂ©ologie de l’archipel du Cap
Spartel entre 19 ka BP et 11,4 Ka BP a-t-elle quelque
chose Ă  voir avec l’histoire racontĂ©e par Platon ?

Timée

  : «En effet, en ce temps-lĂ , on pouvait traverser

cette mer. Elle avait une Ăźle, devant ce passage que vous
appelez, dites-vous, les colonnes d’Hercule.» (Rivaud 26b).

GĂ©ologie : A l’ouest du DĂ©troit de Gibraltar une mer
intĂ©rieure prĂ©cĂ©dait l’OcĂ©an Atlantique. On pouvait faci-
lement traverser cette mer pour atteindre les continents
africains et européens Une ßle, actuellement immergée
faisait face aux «colonnes d’Hercule» (fig.1).

Timée

 : «Car d’un cĂŽtĂ©, en dedans de ce dĂ©troit dont nous

parlons, il semble qu’il n’y ait qu’un havre au goulet res-
serrĂ© et, de l’autre, au-dehors, il y a cette mer vĂ©ritable et la
terre qui l’entoure et que l’on peut appeler vĂ©ritablement,
au sens propre du terme, un continent.» (Rivaud 1956,
25b).

GĂ©ologie : La description de Platon pourrait s’appliquer
sans modifications Ă  la conformation du DĂ©troit lors du
dernier plĂ©niglaciaire (fig. 1).  La passe est (en dedans par
rapport à la Méditerranée) se présente comme un couloir
trĂšs Ă©troit («un havre au goulet resserré»).  La partie ouest
est une véritable mer intérieure (77 km de long pour une
largeur de 10 km à 20 km). Cette Méditerranée en minia-
ture, était entourée par les continents africains et euro-
pĂ©ens Ă©largis par l’émersion de leurs plateaux continentaux
respectifs.

Timée

 : «Et les voyageurs de ce temps-lĂ  pouvaient passer

de cette Ăźle sur les autres Ăźles, et de ces Ăźles, ils pouvaient
gagner tout le continent, sur le rivage opposé de cette mer
qui méritait vraiment son nom.» (Rivaud 1956, 25b).

GĂ©ologie : A partir de cette Ăźle, on pouvait passer sur les
autres (fig. 1.5, 6, 7) et gagner ensuite le continent au nord
ou au sud aprÚs avoir traversé une mer quasi fermée (à
l’ouest par une barriùre d’üles) de 77 km sur 20 km (mer

background image

57

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

-5

-10

-15

-20

-25

-30

-35

-40

-45

-50

-55

-60

-65

-70

-75

-80

-85

-90

-95

-100

-105

-110

-115

-125

3000 BP

4000 BP

5000 BP

6000 BP

7000 BP

8000 BP

9000 BP

10000 BP

1

1000 BP

12000 BP

13000 BP

14000 BP

15000 BP

16000 BP

17000 BP

18000 BP

-120

A

C

B

M W P   -   1 B   :   1 1 3 0 0   B P

M W P   -   1 A   :   1 4   0 0 0   B P

V = 0,9 m/s

V = 2,5 m/s

V = 0,8 m/s

V = 3,7 m/s

V = 0,5 m/s

m

m

2 - Courbes de remontée du niveau marin depuis 19 Ka BP. Dates

calendaires d'aprÚs trois forages en récifs coralliens (A : Tahiti ; B :

Barbades ; C : Nouvelle GuinĂ©e ; MWP-1A et B  : phases de dĂ©bĂącles

glaciaires (Meltwater pulse 1A et B) ; V : vitesses de remontée par siÚcle

(Bard 

et al.

, 1990-1996).

«qui mérite vraiment son nom»). Une confirmation pour-
rait venir d’un philosophe nĂ©o-platonicien nommĂ© Proclus
(Ve siĂšcle de notre Ăšre) qui fait Ă©tat d’un gĂ©ographe nommĂ©
Marcellus. Ce dernier fait mention d’une dizaine d’üles
disparues devant le DĂ©troit de Gibraltar (Proclus, com-
mentaires sur le 

Timée

, tome premier, livre 1, traduction

FestugiĂšre, 1966, p. 233).

Timée

 :

 Â«

Cette Ăźle Ă©tait plus grande que la Libye et l’Asie

réunies» (Rivaud 1956, 25b).

GĂ©ologie :

 

A premiùre vue, il s’agit du seul point dissonant

dans la correspondance entre le texte de Platon et la réalité
reconstituée par la Géologie. La dimension donnée par Pla-
ton est sans commune mesure avec les dimensions de l’üle du
Cap Spartel et des autres üles de l’Archipel. On peut invo-
quer ici le territoire total et effectif des Ibéromaurusiens qui
de fait avaient envahi trĂšs rapidement les cĂŽtes du Maghreb
des Colonnes d’Hercule à la Tunisie.

Sur ce point on peut relever dans le 

Critias

 une indica-

tion contradictoire au 

Timée

  puisque ce n’est plus la di-

mension de l’üle Atlantide qui est indiquĂ©e mais celle du
territoire des atlantes Ă©tendu de la Libye jusqu’à la
ThyrĂ©nnie : « â€Šnon seulement Ă©taient-ils maĂźtres de plu-
sieurs autres ßles dans la mer mais encore, comme il a été
dit antĂ©rieurement, leur pouvoir s’étendait sur les rĂ©gions
qui se trouvent en deçà des colonnes d’HĂ©raclĂšs, jusqu’en
Egypte et à la Tyrrhénie» (Brisson 1999, p. 364).

On peut aussi Ă©voquer le fait que les navigateurs et

historiens antiques ne disposent d’aucun moyen sĂ»r de

mesure et de relevé de positions et surestiment
toujours distances et surfaces : la mer Noire d’HĂ©-
rodote est trois fois trop grande, NĂ©arque exagĂšre
considĂ©rablement son itinĂ©raire dans l’ocĂ©an In-
dien, Pythéas les dimensions de la Grande Breta-
gne (Foex 1964). Peut-ĂȘtre faut-il, plus simple-
ment, supposer une certaine dérive magnifiante,
au cours de 9000 ans de transmission orale ? L’a
priori de Platon voulant magnifier la puissance
qu’il oppose aux anciens grecs dans sa fiction n’est
peut-ĂȘtre pas Ă©trangĂšre Ă  cette exagĂ©ration (Vidal-
Naquet 2000).

Les commentateurs antiques eux-mĂȘmes ne

semblaient pas prendre au sérieux les dimensions
que Platon attribuait à l’üle Atlantide. Proclus en
particulier (Ve siĂšcle) nous indique explicitement
le point suivant : «il faut ici se rappeler les princi-
pes fondamentaux de Platon sur la terre, Ă  savoir
qu’il n’en mesure pas la grandeur de la mĂȘme ma-
niĂšre que les mathĂ©maticiens, mais a estimĂ© qu’elle
a plus grande Ă©tendue, comme le dit Socrate dans
le PhĂ©don, et pose qu’il y a bien d’autres lieux de
sĂ©jour Ă  peu prĂšs Ă©gaux Ă  notre terre habitĂ©e. C’est
pourquoi il rapporte l’existence dans la mer extĂ©-
rieure, d’une üle et d’un continent d’une telle am-
pleur» (Proclus, commentaires sur le 

Timée

, tome

premier, livre 1, traduction FestugiĂšre, 1966,
p. 236-237).

Timée

 : «C’est donc de vos concitoyens d’il y a neuf mille

ans que je vais vous découvrir briÚvement les lois» (Rivaud
1956, 23e).

GĂ©ologie : Cette date (11 Ka BP) coĂŻncide exactement
avec celle de la submersion des deux Ăźles majeures

 La mer

atteint la cote -55 m vers 11 Ka BP (fig. 2) : c’est, curieuse-
ment, la date exacte indiquĂ©e par Solon qui n’avait pour-
tant aucune connaissance des étapes de la remontée de la
mer fini glaciaire ! Cette exactitude troublante peut ĂȘtre
pure coïncidence mais il faut rappeler que, dans les sociétés
sans écriture, le décompte des généalogies est trÚs pratiqué
avec des exemples de lignĂ©es apprises par cƓur pendant
plus de mille ans dans des sociétés africaines (Podlewski
1993). Les Égyptiens enregistraient les Ă©vĂ©nements et les
dynasties depuis plus de 3000 ans. Ils pouvaient fort bien
avoir enregistré les listes généalogiques des sociétés anté-
rieures et une chronologie au moins approchée des événe-
ments.

Timée

 : « VoilĂ  pourquoi, aujourd’hui encore, cet ocĂ©an

de là-bas est difficile et inexplorable, par l’obstacle des
fonds vaseux et trùs bas que l’üle, en s’engloutissant, a
déposés» (Rivaud 1956, 25d).

GĂ©ologie : Au nord de l’üle engloutie du Cap Spartel s’étend
actuellement une zone peu profonde (ouest de Tarifa, sud
et sud-est de Trafalgar) avec des Ă©cueils entre -6 et -9 m
(fig. 1). En Provence occidentale et en Corse, le niveau de
la mer Ă  l’époque de Platon (2,4 Ka BP) se trouvait Ă  un
mĂštre  sous le zĂ©ro actuel (Laborel 

et al

. 1994). L’étude du

background image

58

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

port antique de Marseille a confirmé ces valeurs (Mo-
rhange 

et al

. 1996).  Peu avant le dĂ©but de notre Ăšre ces

récifs affleurants rendaient encore la navigation périlleuse.
Les navigateurs antiques méditerranéens, naviguant en gé-
néral à vue des cÎtes (Pomey 1997) étaient trÚs exposés à
ces piĂšges sous-marins. Le sentiment de danger devait ĂȘtre
encore accentuĂ© par l’amplitude incomprĂ©hensible des ma-
rées atlantiques rendant ces récifs imprévisibles.

Au total, on constate une troublante similitude entre

l’histoire gĂ©ologique du DĂ©troit de Gibraltar et  l’histoire
racontée par Platon 9000 ans aprÚs


Un océanographe, André Capart nous rapporte, que

lors d’une campagne limnologique sur le lac Tanganyika
un pĂȘcheur indigĂšne lui avait confiĂ© une lĂ©gende locale.  A
une Ă©poque trĂšs ancienne, il y aurait eu trois lacs Ă  la place
du lac actuel
. Les études géologiques et géophysiques
confirmĂšrent par la suite que le lac Tanganyika, Ă  une
Ă©poque trĂšs ancienne, comportait bien trois cuvettes dis-
tinctes reliĂ©es par des dĂ©troits aujourd’hui noyĂ©s. Le souve-
nir trÚs précis de cette paléogéographie avait donc traversé
sans faiblir plus de trois millĂ©naires ! (Capart 1986, p. 10).

Au Canada les histoires racontées par les indiens

Gitksans renvoient à la fin du PléistocÚne et au début de
l’HolocĂšne. Les Ă©vĂ©nements rapportĂ©s ont pu, en effet,
ĂȘtre datĂ©s et corrĂ©lĂ©s avec des faits gĂ©ologiques attestĂ©s :
glissements de terrains, Ă©ruptions volcaniques, assĂšche-
ments de lacs. Ces événements ont été vérifiés et datés
entre 6000 BP et 10 000 BP. Les Indiens renvoient  cou-
ramment dans ces mythes Ă  un temps avant ou aprĂšs le
déluge («Before the flood» ou «Soon after the flood»)
(Harris 1997). La déglaciation a été dans leur histoire une
pĂ©riode charniĂšre puisqu’elle a marquĂ© le moment oĂč le
peuplement de leur territoire, enfin libre de glace, a pu ĂȘtre
possible.

AVANT L’ÉCRITURE : LA TRADITION ORALE ?

Le paysage du dernier maximum glaciaire disparaßt dé-

finitivement avec l’engloutissement de l’üle du Cap Spartel.

Une élévation de la mer de deux mÚtres dans une vie

humaine est assez spectaculaire pour marquer les mythes
de peuplades confrontées simultanément à des crises cultu-
relles majeures. Ces événements constituent certainement
un vĂ©ritable «traumatisme culturel» dans l’histoire de l’hu-
manitĂ©, traumatisme qui l’a faite basculer du monde des
chasseurs-cueilleurs en Ă©quilibre avec une nature suffisam-
ment nourriciÚre vers le monde des producteurs néolithi-
ques (Cauvin 1994). Il n'est donc pas inenvisageable de
penser que ce véritable traumatisme culturel se retrouve
dans les traditions orales transcrites au seuil de l’histoire
vers 500-400 ans avant notre Úre. Ces traditions héritées
des 10 000 ans précédents sont certainement le fond des
textes de l’AntiquitĂ© classique, Ă©gyptiens, grecs ou moyen-
orientaux. On y retrouve toujours, comme dans le reste du
monde (Labeyrie 1985) les thĂšmes de dĂ©luges ou d’huma-
nitĂ© «antĂ©diluvienne»  (Cauvin 1994 ; Capart 1986).

LA TRADITION ORALE ACTUELLE

La mĂ©moire d’évĂ©nements trĂšs anciens traverse les gĂ©-

nérations chez les peuples sans écriture : en Papouasie-
Nouvelle-Guinée les ethnologues ont relevé la précision
des gĂ©nĂ©alogies remontant parfois jusqu’à 14 gĂ©nĂ©rations
(Wiessner 

et al

. 1998, p. 28). Dans le nord de l’üle, le mythe

du «temps d’obscurité» renvoie Ă  une Ă©ruption volcanique
précisément datée du début du XVIIe siÚcle (Brisson 1999,
p. 193 ; Ballard 1998, p. 32).

Les Antandroy (sud-ouest de Madagascar) ont gardé,

sur un millénaire, le souvenir des vertébrés disparus
(

Aepyornis

 et lĂ©muriens gĂ©ants) qui vivaient encore lors de

la premiĂšre occupation de Madagascar vers 1000 ans BP.
C’est probablement cette occupation qui a accĂ©lĂ©rĂ© la dis-
parition totale de ces espÚces dont le déclin était déjà
effectif entre 2300 et 2000 années BP (Mahé & Sourdat
1972).

Au Cameroun, on a relevé des listes généalogiques qui

s’étendent sur plus d’un millĂ©naire (Podlewski 1993).

 LES TRADITIONS ORALES DE L’ANTIQUITÉ

La Bible a enregistrĂ© des Ă©vĂ©nements d’il y a 7000 ans

dont on a, peut-ĂȘtre, trouvĂ© rĂ©cemment la trace en Mer
Noire (Fortney 2000). Ces mythes du DĂ©luge existent
aussi chez les peuples sans écriture de Micronésie (Labeyrie
1985) : ils renvoient certainement à des événements mon-
diaux et synchrones.

Jacques Cauvin, spécialiste de la néolithisation au

Moyen-Orient, retrouve dans le livre de la GenĂšse les
principaux Ă©vĂ©nements objectifs du passage de l’économie
de cueillette Ă  l’économie de subsistance (agriculture et
élevage). Pour cet auteur, il est «difficile de ne pas envisa-
ger que c’est d’elle (la rĂ©volution nĂ©olithique) qu’il puisse
s’agir. Si c’est bien le cas, cela impliquerait une transmis-
sion orale de plus de 6000 ans dans des textes compilés
900 ans avant J.-C, pour la Bible (Capart 1986 : «Peut-on
solliciter les mythes»,  p. 264-265).

LA PRÉHISTOIRE DES CHASSEURS-CUEILLEURS

La préhistoire des chasseurs-cueilleurs met en évidence

des conservatismes culturels qui impliquent la transmis-
sion de traditions quasi immuables pendant des millénai-
res. L’art prĂ©historique europĂ©en en est un excellent exem-
ple puisque transmis (avec la vision du monde qu’il vĂ©hi-
culait) sans changements majeurs pendant plus de 20 000
ans. Dans la grotte du Parpallo, prĂšs de Valence (Espagne),
Jean Clottes (communication verbale) a relevé la perma-
nence de rites identiques (offrandes de plaquettes gravées
ou peintes) pendant 10 000 ans (4500 plaquettes dans des
couches allant du Gravettien au Magdalénien final in-
clus). Comme le constate ce spĂ©cialiste de l’art pariĂ©tal :

background image

59

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

«ces comportements témoignent de façon indiscutable de
la persistance de la mĂȘme tradition religieuse sur dix millĂ©-
naires» (Clottes, communication verbale).

Si l’ethnographie et la prĂ©histoire nous montrent l’effi-

cacité de la tradition orale chez les peuples sans écriture et
l’aptitude Ă  transmettre sur des millĂ©naires le souvenir
d’évĂ©nements naturels catastrophiques, pourquoi refuser
cette possibilitĂ© aux peuples antiques ? Les Egyptiens, au
dĂ©but de l’invention de l’écriture, ont transcrit pour la
premiÚre fois les traditions antérieures à l'apparition de
l'Ă©criture. Pourquoi une tradition de ce type n’aurait-elle
pas pu parvenir Ă  Solon pour ĂȘtre ensuite transmise Ă 
Platon ?

LA FIN DE LA GLACIATION :

 UN TRAUMATISME CULTUREL MAJEUR

DANS L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ ?

Dans le DĂ©troit de Gibraltar, l’histoire gĂ©ologique de

l’üle du Cap Spartel et de son archipel s’ajuste à la tradition
rapportĂ©e 9000 ans aprĂšs par Platon dans le 

Timée

 : lieu,

date de submersion et géographie coïncident. La transcrip-
tion par les scribes Ă©gyptiens, aprĂšs 5000 ans de transmis-
sion orale, a pu ĂȘtre possible dĂšs 4236 BC. Cette date est
celle du premier calendrier basé sur le levé héliaque de
Sirius (astronomiquement datĂ©) et celle du dĂ©but de l’écri-
ture hiĂ©roglyphique (Lefort 1998).

Le «mythe» de l’Atlantide pourrait donc renvoyer en

partie  Ă  des traditions orales, seuls tĂ©moins vers 9000 BC
de l’écroulement d’un monde en pleine apogĂ©e : celui des
chasseurs de la fin du Paléolithique et de leur univers
glaciaire.

BIBLIOGRAPHIE

Acosta

  et al.

  1983, 

ACOSTA J., SANZ J.L., PALOMO C.,

DIAZ DEL RIO V., JEBLI H., HERRANZ P., REY J., SAN GIL
C., Informe preliminar sobre la campana de Geologia Marina
Hercules-80 en el Estrecho de Gibraltar, 

Trabajos del Instituto

Español de Oceanografia

, 43, 1983, p. 27-35.

Acosta 

et al.

  1983, 

ACOSTA J., HERRANZ P., PALOMO

SANZ J.L., SAN GIL C., Caracteristicas estructurales y
tectonicas de la parte occidental del estrecho de Gibraltar :
Informe preliminar sobre la campaña de Geologia Marina Hercu-
les-80 en el Estrecho de Gibraltar, 

Trabajos del Instituto Español de

Oceanografia

, 43, 1983, p. 76-103.

Ballard 1998, 

BALLARD C., The Sun by Night : Huli Moral

Topography and Myths of a Time of Darkness, 

in

Fluid ontolo-

gies : myth, ritual, and philosophy in the highlands of Papua New
Guinea

, Goldman L.R., Ballard C. Eds., Westport, Connecticut,

Bergin & Garvey, 1998, p. 67-85.

Bard

  et al.

 1990, 

BARD E., HAMELIN B., FAIRBANKS R.,

ZINDLER A., Calibration of the 

14

C timescale over the past

30 000 years using mass spectrometric U-Th ages from Barbados
corals, 

Nature

, 345, 1990, p. 405-410.

Bard

 et al.

 1990, 

BARD E., HAMELIN B., FAIRBANKS G.,

U-Th ages obtained by mass spectrometry in corals from
Barbados : sea level during the past 130 .000 years, 

Nature

, 346,

1990, p. 456-458.

Bard

  et al.

  1996, 

BARD E., HAMELIN B., ARNOLD M.,

MONTAGGIONI L., CABIOCH G., FAURE G., ROUGERIE
E., Deglacial sea-level record from Tahiti corals and the timing of
global meltwater discharge., 

Nature

, 382, 1996, p. 241-244.

Bessmertny 1949, 

BESSMERTNY A. Ed., 

L’Atlantide, exposĂ©

des hypothĂšse relatives Ă  l’énigme de l’Atlantide

, Paris, Payot, 1949,

268 p. (BibliothĂšque historique)

Blong Ed. 1982, 

BLONG R.J.,

 The time of darkness : local legends

and volcanic reality in Papua New Guinea

, Canberra, Australian

National University Press, 1982, 257 p.

Brisson 1999, 

BRISSON L., Introduction au Critias, 

Traduction

de Platon, Timée, Critias

, Garnier/ Flammarion, 1999, p. 313-349.

Camps 1974, 

CAMPS G., 

Les civilisations prĂ©historiques de l’Afri-

que du Nord et du Sahara

, Paris, Doin, 1974, 366 p.

Capart & Capart 1986, 

CAPART A., CAPART D., 

L’Homme

et les déluges

, Bruxelles, Hayez, 1986, 338 p.

Cauvin 1994, 

CAUVIN J., 

Naissance des divinités, naissance de

l’agriculture : la rĂ©volution des symboles au NĂ©olithique

, Paris, CNRS,

1994, 304 p. (Empreintes).

Collina-Girard 2001, 

COLLINA-GIRARD J., L’Atlantide de-

vant le dĂ©troit de Gibraltar ? Mythe et gĂ©ologie, 

Comptes Rendus

de l’AcadĂ©mie des Sciences, Paris (2a)

, 333, 4, 2001, p. 233-240.

Debénath

  et al.

  1986, 

DEBÉNATH A., RAYNAL J.-P., RO-

CHE J., TEXIER J.-P., FEREMBACH D., Stratigraphie, habitat,
typologie et devenir de l’AtĂ©rien marocain : donnĂ©es rĂ©centes,

L’Anthropologie (Paris)

, 90, 2, 1986, p. 233-246.

Deloux & Guillaud 2001, 

DELOUX J.-P., GUILLAUD L.,

L’Atlantide de A à Z

, Paris, E-Dite, 2001, 380 p. (Histoire).

Donnelly 2001, 

DONNELLY I., 

L’Atlantide : Continent antĂ©dilu-

vien

. Ré-édition de «

Donnelly I., 

1882, 

Atlantis : the antediluvian

world

,  New York, Harper, x + 490 p.» Paris, E-dite, 2001, 130 p.

(Essai).

FĂ©rembach 1985, 

FÉREMBACH D., On the origin of the

iberomaurusians. A new hypothesis, 

Journal of human Evolution

,

14, 1985, p. 393-397.

FestugiĂšre 1966, 

FESTUGIÈRE A.-J., Trad., 

Commentaire sur le

Timée. 1, Livre I / Proclus

, Paris, Vrin, 1966, 264 p. (BibliothĂšque

des textes philosophiques).

FoĂ«x 1964, 

FOËX J.A., 

Histoire sous-marine des hommes : dix mille

ans sous les mers

, Paris, Laffont, 1964, 205 p.

Fortney 2000, 

FORTNEY R., La mer noire fille du DĂ©luge ?, 

La

Recherche

, 327, 2000, p. 54-57.

Gidon 1949, 

GIDON F., Les submersions irlando-armoricaines

de l’ñge du Bronze et la tradition atlantidienne, 

in 

L’Atlantide,

exposĂ© des hypothĂšse relatives Ă  l’énigme de l’Atlantide

,

BESSMERTNY A. Ed., Paris, Payot, 1949, p. 204-218 (Biblio-
thĂšque historique).

Harris 1997, 

HARRIS H., Remembering 10 000 years of

history : the origins and migrations of the Giksan., 

in 

At a

crossroads : archaeology and the first peoples in Canada

, Nicholas

Georges P., D.Andrews Thomas Eds., Burnaby, Archaeology
Press / Dpt of Archaeology - Simon Fraser University, 1997,
p. 190-196.

Herranz

  et al.

  1983, 

HERRANZ P., ACOSTA J., PALOMO

C., SANZ J.L., SAN GIL C., Caracteristicas batimétricas de la
parte occidental del estrecho de Gibraltar, 

Trabajos del Instituto

Español de Oceanografia

, 1983, p. 37-49.

Labeyrie 1985, 

LABEYRIE J., 

L’Homme et le Climat

, Paris,

Denoël, 1985, 281 p. (Présence de la science).

Laborel

 et al.

 1994, 

LABOREL J., MORHANGE C., LAFON

R., LECAMPION J., LABOREL-DEGUEN F., SARTORETTO
S., Biological evidence of sea-level rise during the last 4500 years
on the rocky coasts of continental southwestern France and
Corsica, 

Marine Geology

, 120, 1994, p. 203-223.

Lefort 1998, 

LEFORT J., 

La saga des calendriers ou Le frisson

millénariste

, Paris, Belin, 1998, 191 p. (Bibliothùque “Pour la

science”).

background image

60

P

RÉHISTOIRE

 A

NTHROPOLOGIE

 M

ÉDITERRANÉENNES

 2001-2002, 

T

. 10-11, 

P

. 53-60

J. C

OLLINA

-G

IRARD

L

A

 

CRISE

 

FINIGLACIAIRE

 

À

 G

IBRALTAR

 

ET

 

L

'A

TLANTIDE

 : 

TRADITION

 

ET

 

GÉOLOGIE

(J.C.G.) -  UMR 6636 -ESEP, 5 rue du ChĂąteau de l'Horloge, BP 647, F-13094 AIX-EN-PROVENCE Cedex 2
(collina@mmsh.univ-aix.fr).

MahĂ© & Sourdat 1972, 

MAHE J., SOURDAT M., Sur l’extinc-

tion des VertĂ©brĂ©s subfossiles et l’aridification du climat dans le
Sud-Ouest de Madagascar, description des gisements, Datations
absolues, 

Bulletin de la Société géologique de France

, 14, 1-5, 1972,

p. 295-309.

Moreux 1924, 

MOREUX T., 

L’Atlantide a-t-elle existĂ© ?

, Paris,

Doin, 1924, 93 p.

Morhange

  et al.

  1996, 

MORHANGE C., LABOREL J.,

HESNARD A., PRONE A., Variation of Relative Mean Sea
Level During the Last 4000 Years on the Northern Shores of
Lacydon, the Ancient Harbour of Marseilles (Chantier J.Verne).

Journal of Coastal Research

, 12, 4, 1996, p. 841-849.

Palomo

 et al.

 1983, 

PALOMO C., ACOSTA J., HERRANZ P.,

SANZ J.L., SAN GIL C., CaracterĂ­sticas geomorfolĂłgicas de la
parte occidental del estrecho de Gibraltar, 

Trabajos del Instituto

Español de Oceanografia

, 43, 1983, p. 51-73.

Pirazzoli 1996, 

PIRAZZOLI P.A., 

Sea-level changes : the last

20,000 years

, Chichester / New York, Wiley, 1996, 211 p.

(Coastal morphology and research).

Podlewski 1993, 

PODLEWSKI A.M., PrĂ©sentation d’une liste

généalogique et chronologique de la chefferie Mboum de Nganha,

in 

Datation et chronologie dans le bassin du lac Tchad

, Barreteau

Daniel, Graffenried (von) Charlotte Eds., Bondy, Orstom, 1993,
p. 229-254 (Colloques et séminaires).

Poisson 1953, 

POISSON G., 

L’Atlantide devant la science : Ă©tude

de préhistoire

, Paris, Payot, 1953, 253 p. (BibliothĂšque scientifi-

que).

Pomey Ed. 1997, 

POMEY P. Ed., 

La navigation dans l’antiquitĂ©

,

Aix-en-Provence, Edisud, 1997, 206 p. (Méditerranée)

Rivaud 1956, 

RIVAUD A., Trad., 

Oeuvres complĂštes. Tome X,

Timée. Critias / Platon ; texte établi et traduit par Albert Rivaud

,

Paris, Les Belles-Lettres, 1956, p. 135-274 et 138-139 (Collec-
tion des universités de France).

Sanz

  et al. 

  1983, 

SANZ J.L., ACOSTA J., HERRANZ P.,

PALOMO C., SAN GIL C., Sintesis de las caracteristicas
geologicas y geofisicas de la parte occidental del estrecho de
Gibraltar, 

Trabajos del Instituto Español de Oceanografia

, 43, 1983,

p. 116-131.

Souville 1973, 

SOUVILLE G., 

Atlas prĂ©historique du Maroc :  1 -

le Maroc Atlantique

, Paris, CNRS, 1973, 368 p., 7 cartes dépl.

(Études d’antiquitĂ©s africaines).

Straus 2001, 

STRAUS L.G., Africa and Iberia in the

Pleistocene, 

Quaternary International

, 75, 2001, p. 91-102.

Termier 1913, 

TERMIER P., L’Atlantide, 

Bulletin de l’Institut

Océanographique de Monaco

, 256, 1913.

Vidal-Naquet 2000, 

VIDAL-NAQUET P.,

 Les Grecs, les histo-

riens, la démocratie : le grand écart

, Paris, La DĂ©couverte, 2000,

284 p. (Textes à l’appui. Histoire classique).

Wiessner & Tumu 1998, 

WIESSNER P., TUMU A., 

Historical

vines : Enga networks of exchange, ritual, and warfare in Papua New
Guinea

, Washington, D.C., Smithsonian Institution Press, 1998,

494 p. (Smithsonian series in ethnographic inquiry).

Yokoyama

  et al.

  2000, 

YOKOYAMA Y., LAMBECK K., DE

DECKKER P., JOHNSTON P., FIEFIELD K., Timing of the Last
Glacial Maximum from observed sea-level minima, 

Nature

, 406,

2000, p. 713-716.

Zazo

 et al.

 1998, 

ZAZO C., SILVA P.G., GOY J.L., HILLAIRE-

MARCEL C., GHALEB B., LARIO J., BARDAJI T.,
GONZALEZ A., Coastal uplift in continental collision plate
boundaries : data from the Last Interglacial marine terraces of the
Gibraltar Strait area (south Spain), 

Tectonophysics

, 301, 1998,

p. 95-109.