Grand écart pour Griffith entre un film de propagande raciste et une œuvre humaniste touchante. Dans les deux cas, le cinéma en a été profondément bouleversé.
L’argument : A travers le destin de deux familles divisées par la guerre, Naissance d’une nation chronique la guerre civile américaine et ses conséquences, de l’assassinat de Lincoln à la naissance du Ku Klux Klan. Tandis que dans le second film, Griffith retrace en quatre histoires réelles ou imaginaires l’Intolérance à travers les âges : de la chute de Babylone à l’Amérique puritaine du début du XXe siècle, en passant par l’histoire du Christ et la Saint-Barthélemy.
Notre avis : Il est intéressant d’avoir réuni dans un même coffret deux œuvres aussi dissemblables sur le plan thématique que Naissance d’une nation (1915) et Intolérance (1916). Certes, les deux films peuvent être considérés comme fondateurs du cinéma américain en général puisque ce sont les deux premières mégaproductions de l’histoire. Influencé par les grands péplums italiens, Griffith a fait entrer le cinéma dans l’ère du gigantisme avec ses deux fresques historiques impressionnantes, ses décors grandioses et ses milliers de figurants. Formellement, le metteur en scène invente une grande partie de la grammaire cinématographique en tournant les premiers gros plans de l’histoire, en utilisant des chariots pour déplacer la caméra ou encore en créant le montage alterné. En cela, les deux œuvres se complètent parfaitement et montrent un cinéaste au sommet de sa créativité, entouré des meilleurs collaborateurs possibles, dont un certain Erich von Stroheim.
Pourtant, les deux films peuvent aussi bien être considérés comme deux facettes totalement opposées de D.W. Griffith. Ainsi, Naissance d’une nation (1915) est un film inégal et très largement surestimé de nos jours. Si la première partie sur la guerre de Sécession est assez efficace, grâce à des séquences de batailles époustouflantes, on ne peut pas en dire autant de la deuxième qui relève du mélodrame le plus ridicule. Il est d’ailleurs choquant de constater la gentillesse des critiques actuels envers une œuvre profondément raciste et qui serait sans doute interdite si elle avait été signée par un cinéaste allemand à la solde du IIIe Reich. Véritable œuvre de propagande pour le Ku Klux Klan, Naissance d’une nation présente la population noire américaine comme juste bonne à servir les blancs. Visiblement à peine descendue de son arbre, elle est systématiquement décrite comme une bande d’animaux, incapables de s’exprimer normalement, buvant, violant, tuant et ne cherchant qu’à nuire à la race blanche, forcément supérieure.
Il suffit de citer les intertitres pour comprendre à quel point Naissance d’une nation est une œuvre honteusement réactionnaire : "Le Ku Klux Klan, l’organisation qui sauva le Sud de l’anarchie imposée par le règne noir" ou encore "Les anciens ennemis, Nordistes et Sudistes, à nouveau réunis pour défendre leurs droits naturels d’Aryens". Le film a légitimement déclenché à l’époque une vague de contestation de la part de la population noire et il est d’ailleurs assez dérangeant de constater le retour au premier plan du Ku Klux Klan la même année que la sortie du métrage.
Afin de s’amender, Griffith met en chantier un autre projet titanesque sur l’intolérance à travers les âges. Cette nouvelle fresque est une réponse aux attaques justifiées lancées contre son précédent film. Avec un luxe de moyens ébouriffant, Griffith tourne ici un chef-d’œuvre incontestable, qui justifie à lui tout seul l’achat de ce coffret. Probablement un des plus beaux films du monde, Intolérance critique toutes les guerres partisanes, le puritanisme et le manque de dialogue entre les êtres pour mettre en avant la notion d’amour universel. L’auteur passe harmonieusement d’une époque à l’autre et signe une œuvre bien plus mature, idéologiquement à l’opposé de la précédente. Le spectateur contemporain sera encore émerveillé devant la splendeur des décors de l’épisode babylonien, de loin le plus réussi. D’une puissance hors norme, la mise en scène de Griffith a tout simplement inspiré tous les grands noms du cinéma mondial, de Stroheim jusqu’à Eisenstein.
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Chaque film est précédé d’une préface de Serge Bromberg, intéressante et dense sur Naissance d’une nation, mais bien trop courte sur Intolérance. Les compléments sont regroupés sur un troisième DVD qui nous présente cinq courts métrages de Griffith réalisés entre 1909 et 1912. D’une piètre valeur artistique, ils ne sont disponibles qu’en version commentée, ce qui sera source de frustration pour ceux qui voulaient les découvrir vierges de toute information. Il est donc clair que l’intérêt de ce coffret ne réside pas dans les bonus.
Image & son : Les deux films sont présentés dans les versions les plus longues disponibles à ce jour et bénéficient d’une bien belle restauration. Evidemment, vu l’âge très ancien du matériel, ne vous attendez pas à une image parfaite, mais l’ensemble est de haute tenue. Les pistes sonores disponibles sont efficaces, même si les musiques utilisées ne sont pas des plus jolies.