vote électronique | 3 mai 2007 | Nicolas Barcet ( 9 commentaires )
1969 : le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin, dans le but de réduire les fraudes dans les bureaux de vote en Corse et dans les banlieues parisiennes, se dit que la machine à écrire ayant été inventée depuis fort longtemps, il serait peut être temps de contrôler les votes à l’aide d’un machine à voter. L’objet, presque entièrement mécanique, sous le coup de pannes répétées et de fraudes non diminuées, tombe rapidement en désuétude, mais la modification faite au code électoral reste. Il est utilisé de temps en temps pour tests dans une ville ou une autre, mais les tests étant peu satisfaisant, le principe n’est pas repris. Le lecteur assoiffé de détail sur cette période se rendra sur cette page dont le contenu ne semble pas toujours avoir été vérifié.
2003 : Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, redécouvre dans le code électoral cette possibilité qui lui est donné d’agréer des machines à voter. Sans que nous puissions déterminer la motivation de son geste, il demande à ses services de rédiger une nouvelle procédure d’agrément permettant d’utiliser les belles machines qu’il a vu en fonction en Floride et qui ont généré tant de publicité dans le monde entier.
Énorme avantage de ces nouvelles machines : elles sont informatiques. Adieux les pannes mécaniques, le processeur est roi. Les spécifications sont drastiques : la machine doit pouvoir résister à une chute de plusieurs mètres de haut, survivre à une étuve impitoyable, rebondir sous les doigts les plus lourds !
Et le logiciel vous demandez vous ? C’est pourtant l’élément au centre d’un ordinateur sans lequel aucun processeur ne saurait fonctionner, n’est-ce pas ? Et bien non, rien n’est prévu dans cet agrément pour détecter les failles de sécurité et il n’impose même pas d’examiner les programmes, comme le souligne Chantal Enguehard, chercheuse en informatique de l’université de Nantes, dans ses travaux publiés le 6 avril 2006
2004-2005 : TemPS réels et le VOV (Virtueller Ortsverein), les sections Internet du PS français et du SPD allemand, avaient, en 2004, adressé au PSE une contribution, également signée par deux eurodéputés belges et le directeur de la FIPR (Foundation for information policy research). Cette contribution, européenne dans son contenu mais aussi dans son mode d’élaboration, attire l’attention sur la nécessité pour les socialistes de mettre en place un moratoire sur le vote électronique dans son chapitre 7.
Contribution : vers une maîtrise sociale des technologies de l’information
Protection de la vie privée, équilibre entre droit d’auteur et droits du public, liberté d’expression, interopérabilité, utilisation d’Internet par les syndicats, Europe du logiciel : voici les principaux enjeux en matière de technologies de l’information dont la gauche européenne doit se saisir.
Souscrivant au diagnostic et aux orientations formulés dans ce document, nous soumettons cette contribution « 100% européenne » à la réflexion des socialistes français.
Juin 2005 : élections de l’Assemblée des Français de l’Étranger, deux associations représenatives des Français à l’étranger commandent à deux personnalités réputées, Bernard Lang et Francois Pelegrini, un rapport contradictoire sur l’utilisation du vote électronique. Il s’agit là, non pas de l’utilisation de machines à voter, mais tout bonnement de vote
par internet. Le rapport des deux experts arrive aux mêmes conclusions : ce vote électronique est un danger pour la démocratie.
Le rapport de Francois Pelegrini
Le rapport de Bernard Lang
Big Brother Award
2005 : Pierre Muller, un Informaticien, découvre le problème et décide de fonder l’association Recul Démocratique, depuis renommé Ordinateurs de Vote. Pourquoi n’est-cequ’en 2005 que l’on commenceà soulever le problème ? Aucune publicité n’est faite de la procédure d’agrément et le sujet n’apparaît enfin que lors du vote des Français à l’étranger cité plus haut. Il faut donc attendre 2005 pour que quelques personnes commencent à s’émouvoir des risques que pourraient engendrer ces machines à voter, devenues entre-temps ordinateurs.
Le site de l’association Ordinateurs de Vote
Septembre 2006 : Patrick Bloche, Député PS, pose une série de questions au gouvernement en séance :
s’il envisage d’associer la représentation nationale à l’évaluation des expérimentations en cours et d’ouvrir un débat public sur le vote électronique,
si l’exigence de vérification rétrospective est aujourd’hui prise en compte dans les systèmes agréés par le ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, - s’il dispose d’études économiques permettant de mieux cerner le bilan coûts/avantages de l’introduction du vote électronique ainsi que d’estimations relatives au budget d’investissement requis pour généraliser de tels systèmes,
et, enfin, comment cet investissement sera partagé entre l’État et les collectivités locales ?
Le gouvernement répond sans ambages que tout va bien, mais c’est peut-être ce qui commence à ouvrir le débat.
Questions de Patrick Bloche au gouvernement
Février 2007 : l’association Ordinateurs de Vote lance une pétition pour le maintient duvote papier qui a dépassé aujourd’hui les 80 000 signataires. C’est la diffusion par internet de cette pétition qui commence à ameuter les foules.
Février 2007 : André Santini, député et maire d’Issy-les-Moulineaux, décide de faire voter
l’achat de 60 machines à voter pour sa commune, malgré les protestations de LaurentPieuchot, conseiller municipal PS, soutenu par l’ensemble des partis d’opposition de la commune, y compris certains membres de l’UMP et UDF, qui se sont renseignés. La mairie valide tout de même l’achat des machines. Dans un certain nombre d’autres communes, les maires décident de procéder à l’achat de ces machines sans même soumettre la question au conseil municipal, comme c’est le cas à Colombes d’après Michèle Etcheberry, présidente des élus socialistes de Colombes.
Blog de Laurent Pieuchot
Lettre ouverte de Michèle Etcheberry
Mars 2007 : le bureau national du PS demande un moratoire sur les machines à voter, tout comme l’ont fait les Verts, le PC de José Bové et l’UDF. Le Conseil Constitutionnel réplique en publiant un communiqué de presse signalant que tout va bien, les machines sont agrées. C’est sur ce communiqué, qui n’a aucune valeur juridique, que s’appuieront ensuite Mairies, Juges et Préfectures pour répéter que tout va bien.
Le communiqué du PS
Le communiqué de presse du conseil constitutionnel
2 avril 2007 : le site Betapolitique décide de réagir en publiant un article invitant les électeurs à faire porter un certain nombre de remarques sur le procès verbal des bureaux de vote utilisant une machine à voter. Cet article est rapidement repéré par Gilles Guglielmi, professeur de droit Constitutionnel et d’autres avocats ou juristes qui proposent, par commentaires interposés, d’utiliser la procédure de référé-liberté auprès des Tribunaux Administratifs pour leur demander de se prononcer sur l’illégalité des machines à voter au regard des remarques proposées sur l’article.
4 au 10 avril 2007 : Publication d’un premier référé type, avec un formulaire de remplissage automatique, puis rapidement après un second, plus spécifique aux machines à voter de type iVotronic, utilisé notamment à Issy-Les-Moulineaux.
Formulaire de dépôt de plainte
De nombreux électeurs de toute la France, indignés, s’emparent des formulaires et dans de nombreuses villes, des plaintes sont déposées. C’est notamment le cas d’Issy-les- Moulineaux ou des électeurs décident d’organiser une journée d’information publique sur la place de la mairie où ils collectent de nombreuses signatures pour la pétition d’Ordinateur de Vote et de nombreuses plaintes qui seront déposées collectivement.
17 Avril : Dépot collectif de plaintes au Tribunal de Versailles, accompagnées par de nombreux médias. C’est le début d’une reprise générale du problème par l’ensemble de la presse, des radios et de la plupart des télévision. Le premier objectif est atteint, le public est informé. Coïncidence ? C’est ce même jour qu’Issy-les-moulineaux change de machines en catastrophe, le modèle acheté n’ayant pas été agréé, contrairement aux affirmations précédentes du maire.
Appel au dépôt de plaintes
18 au 20 avril : Les mairies et les préfectures multiplient les communiqués se voulant rassurant. André Santini va même jusqu’à attaquer deux détracteurs pour avoir diffusé un tract invitant à faire porter des remarques sur les procès verbaux. La justice lui donne pour l’instant raison...
Les tribunaux, rejettent les plaintes, allant jusqu’à condamner les plaignants à payer les frais de justices (ce ne fut heureusement le cas qu’une seule fois à Courdimanche). Apparemment, l’illégalité présentée des machines à voter ne constituerait pas une raison suffisante pour constituer une entrave à la liberté de vote. Pourvois en cassation, appels,
nouvelles plaintes, à l’heure ou ces lignes sont rédigées, la bataille juridique continue, et elle risque d’être longue.
Considérations de Gilles Gugliemi sur le rejet de la plainte
22 avril : Le premier tour des élections présidentielles a lieu.
Dans la plupart des villes dans lesquelles des machines à voter sont utilisées, des incidents sont à déplorer : décompte de voix incorrects, queues interminables, personnes en difficulté pour voter.
Les ordinateurs de votes sont pris en défaut là où ils peuvent l’être, c’est à dire là où ils ont été mal conçu de façon visible. Vendus pour simplifier le processus de vote, ils l’alourdissent en fait, poussant de nombreuses mairies à suspendre leur utilisation en réponse auplainte reçues de leur électorat. Mais leur principal vice de conception réside en fait dansl’absence totale de traçabilité et de transparence qu’ils offrent. Un isoloir, une urne transparente, un bulletin et une enveloppe, voilà qui peut être compris par n’importe qui. Un processeur, une mémoire, un logiciel : qui peut vérifier que ce que l’on vote est bien ce qui est retranscrit ?
Synthèse du premier tour
25 avril : Le Conseil Constitutionnel publie un nouveau communiqué : oui les machines à voter ont posé des problèmes de délais et autres, mais en fait, non ces machines ne sont pas la source des problèmes. Peu de réclamations on été reçues : on dirait que cela ne reflète pas les forums. En fait, personne ne sait ce que le Conseil constitutionnel a reçu comme protestations
La suite de l’histoire reste à venir, mais espérons que le gouvernement décidera bientôt d’un moratoire.