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Animateur(s)/auteur(s) du sujet : Nicolas Bauche
Numéro du document: 641
Date de publication: 15 mai 2005
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Cinéma
Cannes ou le génie du lieu du cinéma
« Rien ne peut faire de l’ombre au Festival de Cannes. Sauf les nuages... »
James Ivory

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Des stars, le septième art à son comble et une émotion qui ne se dément pas avec les années. Le 58e Festival de Cannes s’est ouvert mercredi 11 mai 2005. Tous les regards se dirigent vers cette ville du sud de la France que le destin n’avait pas élue comme Lyon où fut inventé le cinéma. Et pourtant, plus que tout autre ville, Cannes devient le centre de la France le temps d’une quinzaine. Elle relaie le monde entier dont elle offre les images comme une invitation au voyage. Ici, les cinématographies du monde impriment sur nos rétines des films peut-être voués à la « palme ». Les nationalités se rencontrent au sein du jury. Les sélection font côtoyer en vrac le Mexique avec le Japon, les Etats-Unis avec l’Italie ou Israël. C’est à ce concentré de géographie que l’on vous convie pendant toute la durée du Festival : celle d’une ville-événement devenue une projection du monde.

Pourquoi Cannes ?

L’idée du Festival de Cannes germe dans la tête de deux hommes en colère en 1938 où le Festival de Venise règne en maître sur l’Europe. Un peu trop, d’ailleurs, au goût de Philippe Erlanger, qui œuvre au ministère de la Culture et du critique René Jeanne. Assis dans un train de nuit qui file vers Paris, les deux hommes refont la dernière édition de la Mostra : Les Dieux du Stade de Leni Riefenstahl et Luciano Serra, pilote d’Alessandrini ont reçu la récompense suprême, les coupes « Mussolini » des meilleurs films étrangers et italiens. Goebbels a fait pression sur le jury et Goffredo Alessandrini a réalisé son film dans l’ombre du Duce. Exaspérés que la compétition soit phagocytée par le fascisme, ils sont décidés à créer un Festival de cinéma en France. L’idée d’un festival est née... Mais l’idée de Cannes ?

Où et quand aura lieu cette nouvelle course aux prix ? La naissance anti-vénitienne du Festival de Cannes en est la principale explication. Comment concurrencer la Mostra, le seul Festival de cinéma au monde, lui prendre sa place ? Le soleil et la mer sont les éléments attractifs nécessaires à la réussite de cette entreprise ? Faudrait-il un déterminant climatique ? N’y aurait-il de bons festivals qu’au bord de la mer ? Et peurt-on concurrencer Venise en choisissant une ville au Nord de l’Europe ? Un temps, on hésite : ce sera le plus loin possible du pôle vénitien, soit au plus près. Biarritz ou Cannes ? Deux villes de villégiature sans passé historique marquant mais qui ont des palais et un beau théâtre maritime. Cannes finit par l’emporter, pour l’hôtellerie, les infrastructures, le pied de nez géographique à l’Italie qui regarde vers l’Est de la plaine du Pô. Cannes sera l’anti-Venise. Cannes sans palais aussi prestigieux que le Danieli, mais qui a reçu la reine Victoria, tout ce que la Russie connut d’impératrices, tous les princes et ducs qu’a compté l’Europe au temps de sa splendeur. Officiellement, c’est l’« ensoleillement » et le « cadre enchanteur » qui sont invoqués. Il suffit pourtant de jeter un coup d’œil sur les dates dévolues à la première édition de Cannes pour se rendre compte que c’est la stratégie du « rapprochement » non seulement spatial mais temporel qui l’a emporté : la compétition aura lieu en septembre, du 1er au 20, en... même temps que Venise !

1939 : l’orage gronde en Europe dès le premier jour de septembre, mais tout s’annonce sous les meilleurs auspices pour les stars. Gary Cooper, Tyrone Power et d’autres étoiles américaines arrivent dès le mois d’août sur la Croisette. Les fascismes n’ont pourtant pas fini d’énerver Erlanger et Jeanne : la Pologne est envahie par les troupes d’Hitler. Le festival de Cannes s’arrête net, la deuxième guerre mondiale commence...

La deuxième naissance de Cannes, après la guerre, sera la bonne. Erlanger relance son idée. Le Festival arrive enfin, pour de bon, sur la baie en 1946. C’est un tel succès qu’Erlanger accorde une année sur deux aux Italiens pour ne pas faire dépérir la Mostra. Et deux événements valent mieux qu’un : le Festival de Cannes devient annuel et printanier à partir de 1951.

La gloire sur la ville

Le festival de Cannes d’aujourd’hui est sans doute encore plus star que celui d’hier. Il symbolise pour beaucoup le prototype du festival de cinéma, le seul capable d’attirer stars et professionnels dans une petite ville de 70 000 habitants - Nice dépasse le demi-million... En période de festival, Cannes voit sa population tripler et la pagaille enfiévrer la ville. Comment mesurer cet épuisement urbain dont le Festival est responsable ? Dans le mélange des deux trafics, celui de la ville et celui des « étrangers » du fait de la position centrale du palais des Festivals sur la Croisette ? Certaines rues sont interdites du fait de la thrombose, mais aussi de l’excitation... Du Majestic, les stars vont à pied au Palais et prennent un bain de foule et de photos. Le Carlton, dont le nom sonne la grande époque du tourisme, est une institution un peu vieillotte prisée par les producteurs américains qui aiment ses tourelles. Le Martinez est devenu le haut lieu des potins qu’attrapent et moulinent les journalistes. Sur cet amphithéâtre littoral ourlé par les plages et les palmiers plantés sous le Second Empire, aux époques fastes de Lord Brougham & Vaux, la fête s’ouvre au grand large de la Méditerranée où fut inventé le théâtre et la tragédie.

Le Palais devient ce qu’Emmanuel Ethis nomme une « région sensible » pendant cet événement saisonnier. Le Festival ne livre pas la ville qu’aux stars, mais aussi aux touristes, aux curieux, aux professionnels du cinéma (plus de trois mille journalistes au début des années 2000). Les Cannois se fâchent-ils, dépossédés et envahis qu’ils sont ? Non car on parle de leur ville, oui car le festival est élitiste, fermé sauf pour la Quinzaine des réalisateurs. Mais sitôt balayées les paillettes, les Cannois se réapproprient le Festival et son palais : tous ceux qui peuvent prouver qu’ils résident à Cannes gravissent les marches pour une séance où la Palme leur est projetée... pour eux seuls.

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Et le génie du lieu sur le tapis rouge ?

Eh bien, non, les « marches de Cannes », ce défilé que les télévisions du monde entier retransmettent comme le chemin sacré de cette religion du cinéma, n’existent pas depuis la création du Festival. Trop à l’étroit dans son Palais, le Festival déménage en 1983 dans un gros parallélépipède orné de drapeaux peu esthétique vite surnommé le « bunker ». Une architecture en miroir mais, surtout, un escalier ! Vingt-quatre marches (magie du chiffre des heures ?) autour desquelles les badauds se regroupent, fascinés par le passage des étoiles du septième art. L’ancien n’en comptait que vingt...

Comment le rituel se met en place ? Les premières années, les belles actrices trouvent la pente est raide et les escaliers étroits. Elles regardent à deux fois avant de s’y aventurer et risquer une chute qui serait non seulement dangereuse physiquement, mais ridicule du fait du film... Le tapis de feutre rouge qu’aiment les élites politiques, les cardinaux, les mariés s’impose alors à partir du 40e festival. On y flanque une rangée de gardes républicains pour honorer les vedettes. Avant l’ascension vers le grand auditorium et la salle Debussy, une première station a lieu sur le tapis pour les photographes et les admirateurs. Puis c’est l’ascension, les marches. Les acteurs, les réalisateurs sont accueillis, en bout de course, par le président du Festival de Cannes, l’inusable Gilles Jacob et le délégué artistique, Thierry Frémaux.

Cannes, ses stars et ses lieux starisés, entrent alors dans la légende.

Nicolas Bauche


Le palmarès du Festival de Cannes 2005

Le palmarès de Cannes à peine annoncé, les commentaires vont bon train. C’est aussi ça le plaisir d’un grand Festival : faire savoir sa joie ou sa déception une fois les prix remis. Quitte à être un brin désagréable...

Soyons clairs : on est un peu déçu. La sélection était excellente et il était impossible de couronner tous les bons films en compétition. Les Frères Dardenne emportent, pour la seconde fois, la Palme tant convoitée avec L’enfant. Les cinéastes belges poursuivent leur parcours atypique en explorant la réalité sociale. On pense évidemment au réalisme poétique du duo Carné-Prévert, au cinéma vérité ... Le talent des Dardenne est évident et explose dans chacun de leurs merveilleux films. Mais à force d’explorer le thème de la famille, on se demande un peu où la litanie généalogique va s’arrêter : à quand La mère ou Le père ? On finit par se demander si on va au cinéma où si on est invité à un repas de famille. Kusturica et son éminent jury (une prix Nobel et des réalisateurs dont les noms sont déjà gravés dans le marbre) n’ont pas eu peur d’adouber un nouveau double palmé.... Comme Kusturica d’ailleurs ! Les Dardenne sont aujourd’hui aux côtés des plus grands : Coppola, Bille August ou le président du jury 2005.

Deux habitués du Festival, les cinéastes Jim Jarmush et Michaël Haneke repartent avec un Grand Prix du Jury et un Prix de la mise en scène. Broken flowers (du premier) en a séduit plus d’un avec son florilège de belles actrices et son humour décalé. Depuis Night on earth, l’Américain revisite le film à sketchs. Un genre mineur où les saynètes se suivent pour faire parfois oublier la vacuité du projet. Cannes est passé nombre de fois à côté d’œuvres majeures de Jarmush : Dead man avait eu droit à une mise à mort en règle avant de trouver grâce aux yeux des critiques. Le jury n’a pas voulu ajouter un énième oubli à son histoire et récompense, comme il se doit, un grand réalisateur.

Caché était donné gagnant par la rumeur. Juliette Binoche s’impose comme l’un des fils directeurs de son œuvre. L’excellence de leur dernière rencontre, Code inconnu, laisse présager le meilleur.

L’Asie (pour les géographes, cela a-t-il un sens ?) a reçu le prix du Jury pour Shanghai dreams de Wang Xiaoshuai. Il est aujourd’hui impossible de ne pas récompenser cette aire géographique tant elle est porteuse de l’avenir du cinéma. Mais Hou Hsiao Hsien aurait probablement été un choix plus innovant.

Remettre des prix à des réalisateurs majeurs n’est pas d’une grande audace. Mettre en lumière un premier film comme Les trois enterrements de Melquiades Estrada l’est d’avantage. Son réalisateur, Tommy Lee Jones, est le vrai leader de ce palmarès. Il repart avec un prix pour son interprétation et un autre pour le scénario. Le prix d’interprétation féminine est allé à Hanna Laslo pour le très controversé Free zone d’Amos Gitaï.

Cannes, une quinzaine durant, qui met en avant les voix éparses de cinéastes pour nous laisser entendre le chant du monde.

Nicolas Bauche


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