Etudes anglaises 2001/4
Etudes anglaises
2001/4 (Tome 54)
128 pages
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Vous consultezL’idée de réconciliation dans les sociétés multiculturelles du Commonwealth : une question d’actualité ?

AuteurJean-Claude Redonnet du même auteur

Université de Paris IV – Sorbonne

L’un des objectifs de cette question est de nous aider à comprendre dans quel sens ont évolué quatre sociétés (Afrique du Sud, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) dans le dernier quart du XXe siècle, et comment la réconciliation apparaît, dans le contexte post-colonial, comme l’un des vecteurs les plus récents et les plus forts de cette évolution. Liée aux divisions et aux ruptures d’un passé colonial, la réconciliation entre dans le champ des études « post-coloniales » dans la mesure où elle propose une résolution des tensions ou des conflits inter-ethniques. Les sociétés qui la mettent en œuvre tentent ainsi, grâce à des moyens et des méthodes qui leur sont propres, d’en finir avec les effets de colonisations « interne » et « externe » (suivant l’expression du politologue James Tully. Ivison 37) qui appartiennent à un moment plus ou moins ancien de leur histoire.

2 Aujourd’hui objet d’analyse politique et philosophique, la réconciliation correspond, sur le terrain, à une réalité et à des pratiques. Elle se présente comme la formulation d’une idée, voire d’une idéologie, par des politiques et des programmes. Elle est également l’expression d’un enjeu de société par lequel elle se rattache au processus de reformulation d’identités nationales fondées sur le recours à la mémoire et sur la réparation d’injustices passées. La réconciliation peut ainsi se comprendre comme le retour d’une société post-coloniale, sous l’effet d’une lente évolution de nature catharthique (ou d’une rupture à l’issue d’une lutte de libération comme en Afrique du Sud où l’on parle néanmoins de « transition »), vers un état d’équilibre démocratique, caractérisé par la recherche d’un nouveau consensus social. À ce titre, la réconciliation s’inscrit dans un moment, parfois marqué par l’urgence, où l’État s’applique à moderniser la société en l’aidant à évacuer ses traumatismes coloniaux et en répondant à ses interrogations sur l’intégration des différences culturelles. Dans les quatre pays de référence, la réconciliation fait partie des modifications que s’impose un État de droit qui emprunte, à travers son héritage colonial, à un système de gouvernement de type britannique, avec ses valeurs libérales préservées et modulées en fonction de l’histoire de la société locale. La réconciliation illustre la poursuite d’un débat démocratique dans des sociétés « diverses ». Elle sous-tend, par une démarche originale, la recherche par une société donnée d’une identité nationale au sein de laquelle la citoyenneté est repensée en fonction de « différences » qui font l’objet d’une « reconnaissance » collective. C’est pourquoi la réconciliation apparaîtra en fin d’analyse comme un processus et comme des politiques mis en œuvre dans le cadre d’un « multiculturalisme libéral » (Kymlicka) qui semble propre à ces quatre pays.

3 Posons d’emblée comme hypothèse de travail que la question de la réconciliation se rattache à celle du multiculturalisme et au débat qu’il a suscité depuis ses premières formulations dans les années 1970 au Canada, en Australie, et sous forme de bi-culturalisme en Nouvelle-Zélande dans le sillage du Tribunal de Waitangi, et enfin, plus récemment en Afrique du Sud, où le multiculturalisme est présenté comme la pierre angulaire de la reconstruction de la « Nation Arc-en-Ciel ». Elle s’apparente aux réponses que le débat sur le multiculturalisme a fournies dans les quatre pays de référence pendant les deux décennies suivantes. Comme le multiculturalisme, la réconciliation participe du débat sur la modernité des démocraties post-coloniales. C’est bien le sens du message que le Premier ministre Paul Keating adressait à l’Australie, à Redfern le 10 décembre 1992 :

4

À l’instar des Australiens qui, vivant dans l’Australie insulaire et plutôt étroite des années 1960, avaient imaginé une Australie diverse par ses cultures et ouverte sur le monde, et qui en l’espace d’une génération ont transformé l’idée en réalité, nous pouvons, nous aussi, donner une réalité aux objectifs de réconciliation.[1] [1] Just as Australians living in the relatively narrow and...
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5 La réconciliation procède, dans son esprit et dans sa continuité historique, d’un mouvement de prise de conscience de la « différence », qui n’est certes pas propre aux sociétés des pays du Commonwealth, mais qui en offre dans cet espace, une expression « avancée », notamment dans les registres politiques et constitutionnels. À ce titre, la réconciliation pourrait ne pas être un simple avatar du multiculturalisme, mais plutôt l’une des composantes du « multiculturalisme intégré » que définit Michel Wieviorka (84). La réconciliation éclaire le multiculturalisme, le prolonge et le confirme.

6 L’étude de la réconciliation s’inscrit philosophiquement et politiquement dans le débat libéral sur la conquête des droits minoritaires et sur le renouveau des théories libérales de l’État. La réconciliation est en effet l’expression d’un débat de fond sur le « pluralisme culturel » ; celui qui entoure la promotion des droits des minorités dans le contexte d’un multiculturalisme qui s’affirme, s’institutionnalise (Kymlicka, « Les Identités culturelles » 141), et se comprend dans le cadre d’un cheminement démocratique vers une « citoyenneté multiculturelle » (Wieviorka d’après Stephen Castles, 86). La critique qui s’exprime sur le multiculturalisme, ainsi que la réflexion théorique qui l’entoure, notamment dans le domaine de la philosophie politique, et qui porte sur les droits des « peuples indigènes » (Havemann, Ivison et al.), fournira le point de départ épistémologique de cette question. Sa réalité s’exprime avec force dans une multitude de références primaires, en Nouvelle-Zélande, notamment depuis l’adoption du New Zealand Bill of Rights Act (1990), au Canada depuis la mise en place d’une Commission Royale sur les Peuples Aborigènes (Royal Commission on Aboriginal Peoples), en Australie depuis la promulgation du Council for Aboriginal Reconciliation Act (1991) et, en Afrique du Sud, depuis le Promotion of National Unity and Reconciliation Act (1995).

7 La réconciliation concerne en premier lieu la réconciliation des peuples « indigènes » avec les peuples « non-indigènes ». Elle touche ensuite l’intégration de « l’indigénéité » à la nation, suivant des termes et dans des cadres nouveaux, définis et négociés par les parties concernées, groupes minoritaires et État. Elle est rendue possible par le retour des minorités « ethnoculturelles » (pour reprendre l’adjectif de Kymlicka) dans leurs droits. Ce retour revêt des formes diverses et montre des variations, pays par pays, qui sont d’ailleurs beaucoup plus des variations de degré que de nature. Il s’apparente, y compris en Afrique du Sud où il prend sa source dans une démocratie restaurée, comme le précise Gardiner-Garden dans cette « voie qui conduit de la période de la dépossession et de la politique d’assimilation, à la politique d’auto-détermination (et au processus actuel de réconciliation) »[2] [2] … road which has led from the period of dispossession...
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. La réconciliation suppose, en effet, un processus ouvert dans lequel on passera de la reconnaissance de la dépossession matérielle, morale ou culturelle, de la suppression et de l’assimiliation, à une situation où l’État et la communauté nationale légitimeront ce qui a été nié, s’engageront à réparer ce qui a été brisé et à restituer ce qui a été dérobé. L’aboutissement escompté sera, dans certains cas, le partage par dévolution d’une souveraineté spatiale et culturelle, à laquelle accéderont par le dialogue et la négociation des groupes minoritaires assurés de justice et d’équité. Au total, se réconcilier signifiera apprendre, grâce à la mise en œuvre d’un nouveau dialogue démocratique, à reformuler « souveraineté, identité, justice » (Ivison 11). Touchant essentiellement à la réconciliation « aborigène », la réconciliation s’inscrit dans un mouvement de réconciliation « nationale ».

8 Certes, si la réconciliation peut-être définie avec Jeremy Webber comme « un processus d’adaptation et d’accommodement intellectuels » (a process of intellectual adjustment and accommodation, Ivison 77), on peut se demander à l’issue des années 1990, s’il existe une « pensée réconciliatoire », qui serait à l’œuvre dans ces quatre sociétés, comme l’on parlerait, à leur sujet, de l’affirmation d’une idéologie « multiculturaliste » ? Une philosophie de l’action politique a-t-elle vu le jour au cours de cette « décennie de la réconciliation », pour éclairer choix politiques et choix de société ?

9 La réconciliation exige de ceux qui la prônent un état d’esprit qui leur permettra de faire face au défi lancé par les peuples aborigènes et par les minorités culturelles. Défi, décrit par J. Gardiner-Garden, dont Bill Jarvic, ministre canadien, disait en 1979 qu’il obligerait les Canadiens à : « accepter nos perceptions, nouvelles pour beaucoup d’entre nous, de l’histoire, de la société, du droit même… »[3] [3] (The challenge for all of us is that here) … we may have...
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. Or, tous les pays concernés n’emprunteront pas avec la même détermination, ni le même bonheur, cette voie de la paix intérieure des nations. Car le débat sur la réconciliation, à peine ouvert, est bien loin d’être clos. L’idée et les politiques sont souvent dénoncées tout à la fois par des minorités qui ne se reconnaissent pas en elles, et par les tenants de conceptions de l’État et de la nation plus traditionalistes. Le temps est toujours à la question : « veut-on se réconcilier ? » mais aussi à celle de « la réconciliation a-t-elle atteint ses objectifs ? » L’exercice proposé par les gouvernements en vaut-il la peine ? Citoyens et groupes, intérêts individuels et collectifs, ont-ils finalement gagné à s’engager dans un processus qui paraît nécessaire, mais qui n’a produit à ce stade que des résultats partiels ?

Définitions, concepts et cadres

10 L’idée de réconciliation s’inscrit aux origines dans la tradition judéo-chrétienne, avec le sens premier de « réconciliation divine », celle, pour les Chrétiens, de « l’Acte par lequel un pécheur se réconcilie avec Dieu, avec l’Église » (Trésor de la Langue Française). Celle confirmée par la Bulle d’Indiction du Grand Jubilé de l’An 2000 « Incarnationis mysterium ». La Bible, dans l’Évangile selon saint Matthieu (5, 24), appelle aussi à un « va d’abord te réconcilier avec ton frère » (be reconciled to thy brother), invitant à se rapprocher des hommes séparés par la discorde, prônant « un retour à la concorde, entente, paix ». Se réconcilier, au sens politique et collectif moderne, confirme le sens de « reprendre des relations normales après un différend », de « se mettre en paix avec les autres et avec soi-même » (Le Robert). La religion donne à la réconciliation son substrat moral et individuel, même si le politique n’en adoptera pas toujours tous les corolloraires, comme celui de l’expiation propre à l’idée d’Atonement très présente, par exemple, chez les Calvinistes.

11 Les définitions ne sont cependant que le point de départ « d’un but et d’un processus » (a goal and a process), comme l’indiquera le Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Elles en montrent également les limites et soulignent

12

la confusion potentiellement dangereuse qui existerait entre une acception de la réconciliation de nature religieuse et en fait chrétienne, qui s’applique de façon typique aux relations interpersonnelles, et une notion plus politique et plus restreinte qui peut être mise en œuvre dans une société démocratique.(I, 9)[4] [4] … the potentially dangerous confusion between a religious,...
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13 De même, les implications morales de « contrition, confession, pardon et retour en grâce » qui s’attachent à la réconciliation dans la conception religieuse, apparaîtront comme la meilleure et la pire des choses, à la fois dans des pays tels que la jeune Afrique du Sud, « société diverse et divisée qui cherche à consolider une démocratie fragile »[5] [5] a diverse and divided society attempting to consolidate...
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au moment de sa phase de « transition » démocratique, mais aussi dans les démocraties soucieuses d’une « dignité commune de l’homme et d’une citoyenneté partagée » (… common human dignity and shared citizenship). Il est vrai, par ailleurs, qu’une réconciliation sans « excuse ni pardon » perdrait de sa véracité et de sa crédibilité, comme le redoutaient certains membres de la Commission sud-africaine, et comme semblera le confirmer le Gouvernement fédéral australien en refusant de présenter des « excuses » et en leur préférant des « regrets », là où la voie d’une véritable contrition publique avait été ouverte :

14

D’autres (membres) mirent en garde contre une acception trop restreinte de la notion de réconciliation. […] La Commission ne devrait pas sous-estimer l’importance capitale des excuses — par les personnes, les représentants des institutions et les leaders politiques — doublées du pardon des victimes.[6] [6] Others cautioned against accepting too limited a notion...
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15 Dans la tradition sud-africaine, la réconciliation s’exprime à travers l’ubuntu ou humanisme, valeur de compassion et de partage qui guidera la Commission Vérité et Réconciliation, et qui servira de référence à l’objectif national de Reconstruction et de Réconciliation. J.Y. Mokgoro, juge de la Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud a montré par ailleurs, allant en cela bien au-delà du principe philosophique fondamental, que l’ubuntu a marqué de façon déterminante le droit constitutionnel depuis la Constitution de 1993, et a permis la prise en compte du droit aborigène dans le nouveau cadre constitutionnel. À la base même de la réconciliation, l’ubuntu procède de l’esprit des lois. La loi fondamentale n° 34 de 1995 sur la Promotion de l’Unité Nationale et de la Réconciliation en est le vivant témoignage :

16

[…] La Constitution stipule que la poursuite de l’unité nationale, le bien-être de tous les citoyens sud-africains et la paix exigent la réconciliation entre les habitants d’Afrique du Sud et la reconstruction de la société.[7] [7] the Constitution states that the pursuit of national unity,...
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17 Ici, mais plus qu’ailleurs peut-être, la réconciliation est synomyme de reconstruction. Dans tous les cas, un processus de réconciliation implique compromis et négociation qui le rendent difficile à mettre en œuvre. Il implique acceptation de toutes les parties concernées, ce qui le rend difficile à accepter. On remarquera, à cet égard, que le mot-même de réconciliation n’est pas toujours utilisé pour décrire le processus que nous supposons commun à toutes ces sociétés. En Nouvelle-Zélande, par exemple, il sera rarement mentionné pour couvrir le dialogue Pakéha-Maori, tant il est vrai que les conditions d’une véritable réconciliation entre les communautés pourraient encore ne pas être réunies. Les revendications maories, fortement dirigées vers une autonomisation indigène (rangatiratanga), sembleraient en effet à ce stade du processus, plus importantes que l’objectif d’harmonie nationale. La réconciliation, qui prend pourtant en compte les revendications indigènes, ne serait-elle pas une simple préoccupation politique et « une affaire de Blancs » ?

18 On pourra également remarquer que le mot est utilisé couramment dans les cas où un gouvernement décide de chapeauter de ce vocable une politique dont il a l’initiative. Ainsi apparaît-il très officiellement pour la première fois au Canada en janvier 1998, lorsque Jane Stewart, ministre des Affaires Indiennes et du Développement du Nord, lance la Déclaration de Réconciliation (Statement of Reconciliation). Le sens du mot est tout défini par le contenu de la « déclaration » dont il fait l’objet. La réconciliation est aboutissement, celui de la « quête » préconisée et guidée par le gouvernement fédéral :

19

Dans cette quête d’un renouveau entreprise ensemble par les Canadiens autochtones et non autochtones, il est essentiel de guérir les séquelles que le passé a laissées aux peuples autochtones du Canada, y compris les Premières nations, les Inuits et les Métis. Notre but n’est pas de réinventer l’histoire, mais plutôt d’apprendre de nos expériences antérieures et de trouver des façons d’éliminer les influences négatives que certaines décisions historiques continuent d’avoir sur notre société contemporaine…

20 La réconciliation ne prend tout son sens que lorsqu’elle s’entend comme la représentation officielle d’une politique gouvernementale. Or, dans ce cas, elle trahit ses propres limites, dans un monde fait d’incompréhensions, de dialogues tronqués ou différés, de propositions unilatérales. Bref, elle est alors en danger de « déficit démocratique ». D’autant qu’une offre de réconciliation trop « institutionnalisée » court toujours le risque d’être mal interprétée par ceux qu’elle prétend servir, et ignorée des groupes et des communautés qui n’auraient pas participé à ce dialogue « du haut vers le bas » (top-down) avec l’État. On pense ici aux difficultés à se faire reconnaître, rencontrées par les Métis du Canada ou les Griqua d’Afrique du Sud pour participer au renouveau constitutionnel, au Canada et en Afrique du Sud.

21 La réconciliation commence avec l’énoncé de principes et par l’affirmation d’intentions généreuses et sincères. Mais elle ne trouve sa pleine valeur que dans l’action. D’où la nécessité de la définir en contexte dans les quatre pays couverts par notre étude, de voir si les voies de la réconciliation sont compatibles avec ce « language of potential » dont parlait Alex Boraine, vice-président le la Commission Vérité et Réconciliation qui notait (James 73-81) que ce qui était fait en Afrique du Sud ne visait pas à « reconcilier la nation, mais à promouvoir la reconciliation »[8] [8] not to reconcile the nation but to promote reconciliation. ...
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.

Voies et moyens de la réconciliation : processus et pratiques

22 Il est vrai que l’analyse de la situation récente au Canada, en Australie, en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande, semble indiquer une réconciliation qui s’accomplirait plus « par la loi » que par « la foi ». C’est, dans tous les cas, un processus de reconnaissance et de réparation ; la première trouvant sa justification dans une recherche de la vérité, la deuxième accompagnée de repentance et couverte par le pardon.

23 La « reconnaissance » s’entend au sens que lui accorde Charles Taylor, celui qui anime les « politics of recognition » dont la réconciliation fait partie :

24

Certains domaines de la politique contemporaine font appel au besoin, parfois même à l’exigence, de reconnaissance. Le besoin, comme on peut le démontrer, fait partie des forces qui meuvent les mouvements nationalistes dans le domaine politique. Quant à l’exigence, elle émerge de multiples façons dans la politique contemporaine ; elle est le fait de minorités ou de groupes « subalternes », est exprimée par certaines formes de féminisme et par ce que l’on nomme aujourd’hui la politique du « multiculturalisme ».[9] [9] A number of strands in contemporary politics turn on the...
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25 Il s’agit, en effet, pour les démocraties constitutionnelles d’accepter le « pluralisme ethnique et culturel » qui leur faisait défaut et que, d’après Jürgen Habermas, celles-ci devraient apprendre à ne plus redouter. La reconnaissance est avant tout celle de droits précédemment niés ou bafoués. Elle entraînera une réparation matérielle et morale qui, à son tour, mettra en exergue une véritable reconnaissance de devoirs. Le premier d’entre eux est le devoir de mémoire par lequel la communauté nationale établira la « vérité ». Une vérité sur laquelle on pourra s’entendre pour proposer une compréhension commune du passé. Qu’est-ce qui a été réellement acquis et cédé par le Traité de Waitangi ? Pourquoi l’identité des Métis du Canada a-t-elle été si longuement niée ? Se reconcilier ne sera possible que lorsque l’on pourra s’entendre sur l’étendue et la reconnaissance des « quatre vérités » : « factuelle et matérielle, personnelle et narrative, sociale ou participant du “dialogue” social, curatif et de restauration » (TRC, I. 29), ce qui sera aussi une façon de lier individus et groupes, subcultures et culture dominante.

26 Reconnaître une vérité n’est pas chose aisée ; approcher la vérité est un cheminement souvent douloureux, surtout s’il invite une victime à revenir sur des faits que commençait à recouvrir le voile de l’oubli, et presque toujours lorsqu’il remet en cause des dogmes ou des pratiques établies. Renoncer à la White Australia Policy, comme les autorités australiennes ont commencé à le faire avant l’adoption du multiculturalisme des années 1970, c’était accepter de reconnaître un passé raciste et xénophobe. Renoncer à la conception de la Terra Nullius, base du droit à l’annexion, pour établir la validité d’un droit des Aborigènes au sol de leurs ancêtres, c’était reconnaître comme Paul Keating à Redfern que la bonne conscience et le droit des Blancs installés sur le continent austral s’étaient nourris, jusqu’au jugement Mabo, d’une « bizarre suffisance » (conceit)[10] [10] The Mabo judgment should be seen as one of these. By doing...
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. Comme le remarque encore James Tully (Ivison 41), la réconciliation qui est « accommodement » (accommodation) et non plus « assimilation » (incorporation), porte la marque d’une reconnaissance qui a des implications juridiques fortes[11] [11] In the latter case, commonly called reconciliation, the...
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. Mais comme le souligne Wayne Rumbles de l’Université de Waikato, la reconnaissance du passé et sa reconstruction au nom de la vérité doivent être honnêtes et sans arrière-pensées. La reconstruction d’un passé colonial au nom de la vérité peut être l’occasion pour un État de garder toutes les cartes en main et de ne pas s’engager sur la voie du renouveau. C’est bien ce qu’il reproche à l’État néo-zélandais dans le cas des « Règlements du Traité », car sa maîtrise du passé influe sur le présent, radicalise l’esprit des lois et laisse en fin de compte peu de place à une rénovation. Car, à ses yeux, « la Couronne se légitime comme “faiseur de vérité” à l’abri de l’écran du droit »[12] [12] the Crown legitimises itself as the “truth-maker” behind...
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.

27 Néanmoins, dans l’essentiel des cas, la restitution de la vérité permet non seulement une reconnaissance des torts, mais en accélère la prise en compte, puis la réparation. En effet, la reconnaissance du passé et de la vérité sont parfois intimement liées à la repentance et au pardon comme le laissait envisager Frederik de Klerk devant la Commission sud-africaine (Gardiner-Garden) :

28

la réconciliation signifie que nous devons pardonner et espérer le pardon. Mais nous devons reconnaître nos dettes. Examinons les comptes du passé et cherchons un équilibre. Équilibrons les comptes et refermons-en le livre.

29 Aucune réconciliation n’est possible sans reconnaissance par les États de nouveaux cadres et de nouveaux droits constitutionnels en faveur des « oubliés » d’hier. Pour tenter d’atteindre ce but, la réconciliation fait l’objet dans les quatre sociétés concernées, de politiques et de stratégies dont les principaux vecteurs ont pour nom « commissions », « conseils » et « tribunaux ».

30 Créé en 1975 par le Treaty of Waitangi Act, le Tribunal de Waitangi fut la première instance annonçant une perspective de réconciliation nationale. Il n’a de tribunal que le nom. Loin d’être une cour de justice, il agit comme une chambre d’enregistrement, une commission permanente d’écoute et d’enquête sur les plaintes et les demandes de réparation formulées par les communautés maories. Chargée de « juger » de la validité des revendications elle se donne pour mission d’établir la vérité d’une situation indigène et, à travers ses réponses, de proposer que, ayant résolu leurs antagonismes historiques, Maoris et Pakéhas se réconcilient en une seule nation. À l’autre bout du spectre historique, la Commission Vérité et Réconciliation, créée par la loi en 1995 est, elle aussi, un tribunal un peu particulier dans la mesure où, chargée d’établir la vérité sur les crimes perpétrés avant le 8 octobre 1990, elle aura mandat de décréter l’amnistie politique de ceux qui reconnaîtront leurs torts, afin d’assurer à la nation les moyens d’une véritable réconciliation. En donnant naissance en 1991 au Council for Aboriginal Reconciliation, l’Australie est celui des quatre pays qui a le plus clairement tenté d’institutionnaliser le processus de réconciliation nationale et qui, après la date du 31 décembre 2000, où la mission dévolue au Conseil a été reprise par Reconciliation Australia, a continué, malgré des résultats incertains, à « reconnaître le passé et à édifier le cadre d’un avenir partagé » (acknowledge the past and build a framework for a shared future). La décennie australienne de la réconciliation est marquée par des repères d’une grande visibilité. Ils témoignent d’une recherche de la vérité, de la justice et de l’équité dans les relations entre Australiens « indigènes » et « non-indigènes » : l’adoption du Native Title Act (1993), la publication du rapport Bringing Them Home (1996), la tenue de l’Australian Reconciliation Convention (1997), la Motion de Réconciliation (1999), le projet de Déclaration australienne pour la Réconciliation (2000). Au Canada, le travail de la Commission royale sur les peuples autochtones, réunie en 1991, annonce le passage dans la pratique de l’idée de réconciliation nationale, une idée qui est exprimée par le Mot des Commissaires :

31

Le Canada est le terrain d’essai d’une noble idée — l’idée selon laquelle des peuples différents peuvent partager des terres, des ressources, des pouvoirs et des rêves tout en respectant leurs différences. L’histoire du Canada est celle de beaucoup de ces peuples qui, après bien des tentatives et des échecs, s’efforcent encore de vivre côte à côte dans la paix et l’harmonie.

32 Le gouvernement fédéral répondra en 1998 aux recommandations du rapport de la Commisssion par la mise en place du plan de grande envergure appelé : « Rassembler nos forces » (Gathering Strength). Il annonce la reprise de relations fondées sur la paix et l’équité entre les communautés et les peuples, en précise les modalités et les cadres. Consacré aux mesures pratiques qui doivent accompagner une réconciliation avec les peuples autochtones, le plan canadien décrit ici par Bobb Watts devant les Nations Unies, à Genève en juillet 1998, évoque parfaitement les aspects les plus urgents des stratégies et plans de réconciliation mis en place dans les trois autres pays de référence :

33 Le plan d’action « Rassembler nos forces » s’articule autour de quatre grands objectifs :

34

* premièrement, renouveler le partenariat en apportant des changements fondamentaux dans les rapports entre le Canada et les Autochtones, changements fondés sur les principes du respect et de la reconnaissance réciproques, de la responsabilité et du partage ;
* deuxièmement, renforcer l’exercice des pouvoirs par les Autochtones de manière que les collectivités disposent des outils nécessaires pour mettre en œuvre l’autonomie gouvernementale ;
* troisièmement, concevoir une nouvelle relation financière qui assure un financement stable à l’appui du développement de collectivités transparentes et responsables ;
* quatrièmement, appuyer des collectivités autochtones fortes et saines, énergisées par le développement économique et appuyées par une infrastructure solide d’institutions et de services.

35 La réconciliation passe ici par des gestes très précis de réparation et de reconstruction :

36

La Déclaration de réconciliation a été accompagnée de l’annonce de l’engagement de 350 millions de dollars pour l’élaboration d’une stratégie de guérison communautaire de nature à aider les Autochtones — Inuits, Métis et Premières nations, vivant dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci — qui sont affectés par les séquelles des sévices physiques et sexuels subis dans les pensionnats. La réconciliation a été notre première priorité, parce que nous ne pouvons pas nous tourner vers l’avenir sans regarder en arrière et rectifier les effets de nos attitudes et de nos actions passées.

37 Elle passe ensuite par le « règlement des revendications en suspens »[13] [13] Renforcer le partenariat entre les Autochtones et les non-Autochtones...
suite
par la puissance publique. Ce règlement entraînera à son tour de profondes modifications de nature politique, sociale, constitutionnelle, permettant aux groupes ethnoculturels de « reprendre le contrôle de leur avenir », notamment en atteignant à l’auto-suffisance économique et à l’autonomie de gouvernement (dont la création du Territoire du Nunavut en 1999 a été l’exemple le plus visible). L’exemple canadien montre enfin que la réconciliation préférera les voies de la négociation à « la voie judiciaire ». Car, ajouterons-nous, on voit qu’à l’inverse, la résolution de tous les contentieux qui ont, ailleurs, conduit à des modifications de la Loi (Jugement Mabo et Native Title Act sur la reconnaissance des droits ancestraux et coutumiers du sol) n’ont pas garanti les conditions d’une véritable réconciliation. Elle en a, au mieux, constitué les prémices.

Le débat : « An unfinished business » ?

38 À bien des égards, le débat sur la réconciliation laisse presque partout un goût d’imperfection. La situation est parfois décrite comme une « tâche inachevée ». Ce débat s’articule autour de quatre raisons principales.

39 En premier lieu, la réconciliation paraît ne pas devoir aboutir si elle n’est pas acceptée de tous. Certains aspects, certaines implications échappent à l’entendement. Wole Soyinka (Amadiume 25) par exemple reste perplexe devant une réconciliation fondée sur les limites extrêmes de la mémoire, parmi lesquelles le pardon qu’il qualifie, dans le cas de l’Afrique du Sud, de « principe surhumain et quasi-transcendantal » (the superhuman, indeed transcendental, principle of forgiveness). Il est vrai que nombreux sont ceux qui, en Afrique du Sud, s’accommodent mal du raccourci par lequel le pays lutte contre l’amnésie collective tout en proposant une amnistie des coupables. De même, la diversité des interprétations peut être source de confusion. Antjie Krog cite (14, 144) la différence de conception qui s’exprime entre Desmond Tutu, pour qui la « réconciliation marque le début d’un processus de transformation » (la disparition d’un système fondé sur la discrimination raciale), alors que pour Thabo Mbeki, la réconciliation est « l’étape qui suit une transformation totale » (parce qu’elle réconciliera les intérêts des différents groupes ethnoculturels).

40 En deuxième lieu les résultats de la réconciliation demeurent incertains dans la mesure où il s’agit d’un projet qui ne fait pas toujours l’objet d’un consensus. Même si elle est pour l’essentiel comprise, admise et partagée, la réconciliation ne parvient pas toujours à faire l’unanimité dans l’opinion publique et dans la classe politique. À l’ouverture de l’Australian Reconciliation Convention en 1997, John Howard avait prévenu que : « le processus de réconciliation n’aboutira que s’il concerne et inspire tous les Australiens »[14] [14] The reconciliation process will only work effectively if...
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. De trop nombreux aspects de l’idée ou de sa mise en place font l’objet de points de vue divergents, lorsqu’il ne s’agit pas de franche hostilité, comme dans le cas du mouvement One Nation conduit par Pauline Hanson. Et le Premier ministre de décrire l’attitude qui, selon lui, nuit à la réconciliation : un accent trop grand sur les « gestes symboliques » (symbolic gestures) et sur « les promesses exagérées « (overblown promises), sur les mots et non sur les actes.

41 Troisièmement, on peut observer que la route qui même à la réconciliation est toujours longue et que les conditions d’un succès sont extrêment nombreuses à remplir. La réconciliation peut-elle aboutir, même si elle est présentée par les gouvernements comme un projet majoritaire ? C’est la question qu’en mai 1998, Thabo Mbeki, alors vice-président, posait à la nation sud-africaine dans une intervention à l’Assemblée nationale. Pour savoir si le pays avait réussi dans son entreprise de progrès et de renouveau, il devrait être capable, selon lui, de répondre en toute honnêteté à toutes les questions suivantes[15] [15]to create a non-racial...
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 :

42

(Avons-nous ?)…

  • créé une société non-raciale,
  • construit un pays non-sexiste,
  • réparé les divisions du passé,
  • réussi à faire co-exister tous les Sud-Africains en paix,
  • créé les conditions du développement pour tous les Sud-Africains sans distinction de couleur, de race, de classe, de croyance ou de sexe,
  • amélioré la qualité de vie de tous les citoyens,

43 les Sud-Africains devraient aussi se demander si :

44

  • toutes nos actions ont été et continuent à être fondées sur la reconnaissance des injustices du passé,
  • toutes nos actions ont veritablement cherché à promouvoir les objectifs constitutionnels intégrés menant à l’unité nationale, au bien être de tous les Sud-Africains, à la paix, à la réconciliation de tous les Sud-Africains et à la reconstruction de la société.

45 Or, comprise à l’aune de cet examen de conscience, la réconciliation apparaîtra à beaucoup comme un mouvement qui s’est arrêté en route. En Australie, certains observateurs estiment qu’elle ne sera achevée que lorsqu’elle aura fait l’objet d’accords écrits, consignés dans un traité. La notion de traité (l’Australie est le seul pays a ne pas avoir, dans son histoire, signé de « traité » avec ses peuples aborigènes) est apparue de façon officielle en 1988 lorsque des communautés aborigènes du centre du pays présentèrent au Premier ministre Bob Hawke le Barunga Statement. Ce projet de traité (« treaty » ou « compact ») était destiné à répondre aux revendications aborigènes apparues depuis, y compris celle d’une large autonomie et d’une reconnaissance des droits ancestraux. Le débat australien sur ce point est loin d’être clos. En juin 2001, Bryan Keon-Cohen, conseiller juridique des nations Mirimbiak se posait toujours la question de savoir quel devrait être le contenu et l’étendue d’un traité (The Age). Or, un tel document ne constituerait jamais au mieux que l’un des points du processus de réconciliation. Patrick Dodson, l’ancien président du Council for Aboriginal Reconciliation, énumère pour sa part la longue liste des points qui, s’ils étaient adoptés, donneraient enfin un sens à la « reconnaissance-réconciliation » australienne. Il écrit à leur propos que « tous ont, à des degrés divers, à voir avec la façon dont le processus de réconciliation peut fonctionner, et avec le défi complexe que représente sa totalité » (Grattan 270-273)[16] [16] All of these matters have to do with the various levels...
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. On notera qu’il s’agit des objectifs que se sont assignés les pays de notre étude dans leur tentative pour faire converger réconciliation aborigène et réconciliation nationale : l’égalité des droits fondamentaux, garantis par le droit international, la préservation des droits et des identités ethnoculturelles, la promotion des cultures et des langues, le développement économique et social, la participation aux décisions politiques et juridiques qui touchent au devenir des minorités, enfin le pouvoir d’auto-détermination et l’autonomie du gouvernement.

46 Enfin, la quatrième des raisons qui animent le débat et font conclure à l’échec partiel ou total de la réconciliation, est l’absence de gestes et de signes symboliques forts, donnés à ceux que l’on entend « réconcilier », comme par exemple le vide ouvert par le Gouvernement australien de John Howard en refusant de présenter des excuses pour les erreurs du passé. Le point est crucial dans la mesure où, quoi qu’en dise précisément le Premier ministre australien, la part du symbolique est très présente dans le processus. La réconciliation aura d’autant plus de chance d’aboutir qu’elle engagera la nation dans sa continuité historique et humaine. Mais on connaît l’argument de John Howard, partagé d’ailleurs par une partie de l’opinion publique australienne, repris devant le Parlement fédéral le 29 août 1999 : « J’ai souvent déclaré, et je le redirai aujourd’hui, que les générations actuelles d’Australiens ne peuvent pas être tenues pour responsables, et nous ne devons pas chercher à les tenir pour responsables des erreurs et des actes des générations qui les ont précédées. »[17] [17] I have frequently said, and I will say it again today, that...
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47 La réconciliation restera illusoire ou précaire si les minorités qu’elle entend réintégrer dans le giron national demeurent « vulnérables » devant la justice et la loi, ainsi que dans leur quotidien. Or, pour éviter qu’elles ne se fragilisent encore plus, il faut aller vite dans la traduction des paroles en actes et dans la mise en place de tout plan d’action. C’est ce que réclamait du Canada le Chef de la Nation Attikamek, Ernest Ottawa, en montrant que les politiques de réconciliation devraient toucher les générations actuelles et qu’il se refusait à attendre vingt ans pour en voir les effets[18] [18] Second, twenty years to implement new strategies and achieve...
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. La réconciliation débouche pour tous, groupes minoritaires, gouvernements, société civile, sur une reconquête de la responsabilité face aux réalités de la nouvelle société. Une réconciliation qui prône l’exercice de la responsabilité déjouera les critiques et dissuadera quiconque tenterait de s’opposer aux revendications et aux réparations. Les gouvernements, en particulier, ne sauraient y trouver un refuge à l’action, y voir une sorte « d’apaisement » vis-à-vis des groupes minoritaires qui, en outre, favoriserait, à terme, sa reprise en main du pouvoir.

48 La réconciliation est une véritable question d’actualité, car elle exprime cette part « d’humanité commune » que veulent défendre l’Association du Commonwealth ainsi que les pays qui la composent. C’est, dans les sociétés de notre étude, un véritable fait culturel. La démarche qui la sous-tend a aussi, à bien des égards, une valeur d’exemple pour le monde de demain. S’exprimant à la croisée d’une universalité qui repose sur des valeurs occidentales et des particularismes culturels, la réconciliation accompagne la redécouverte, voire la refondation de l’État libéral. L’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada, l’Afrique du Sud ont adopté la réconciliation plus parce qu’elle se présentait comme un gage d’avenir, que dans le seul espoir de régler les drames du passé. Quels que soient les résultats des politiques et des programmes mis en place pour lui donner corps, ces sociétés voient aujourd’hui dans la réconciliation un vecteur possible des transformations démocratiques qu’elles s’imposent, et l’un des moteurs de la reformulation du contrat social. Avant de porter ses fruits, comme tous les grands enjeux de société, la réconciliation connaîtra tous les stades de l’aventure humaine et du débat politique, avec leurs aspects moraux, intellectuels, culturels et sociaux. C’est, des « défis de notre temps », comme l’écrit Michelle Grattan (5) à propos de l’Australie,

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[…] peut-être le plus ambitieux et le plus insaisissable. La nature des réponses qui seront apportées en dira long sur les Australiens en tant que peuple. Pourtant, qui pourrait dire, à quel stade, s’il est jamais atteint, la réconciliation aura réussi et ce qui doit être accompli pour que l’on puisse conclure à une évolution positive. Ce n’est pas quelque chose qui peut être mesuré en comptant le nombre exact de maisons construites, le pourcentage d’enfants aborigènes qui finissent leurs études, la baisse du taux de mortalité infantile. Il s’agit de façon cruciale de progrès matériel et de façon tout aussi fondamentale d’une question d’esprit. Il s’agit d’attitudes, chez les Blancs comme chez les Noirs, tout autant que de résultats concrets. Les cyniques, chez les non-Aborigènes, jettent le trouble sur les espoirs, en disant que plus les indigènes obtiendront, et plus ils exigeront. Chez les Noirs, les sceptiques sont partisans du tout ou rien. Entre les deux extrêmes, les pragmatiques et les idéalistes aborigènes et non-aborigènes sont d’accord sur le fait qu’il s’agit bien d’une aventure d’une durée presque infinie.[19] [19] … (Of these, reconciliation) is perhaps the most ambitious...
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Notes

[ 1] Just as Australians living in the relatively narrow and insular Australia of the 1960s imagined a culturally diverse, worldly and open Australia, and in a generation turned the idea into reality, so we can turn the goals of reconciliation into reality.Retour

[ 2] … road which has led from the period of dispossession and the policy of assimilation to the later policy of self-determination and the present process of reconciliation.Retour

[ 3] (The challenge for all of us is that here) … we may have to come to terms with perceptions of history, society, even law, (which are new to many of us).Retour

[ 4] the potentially dangerous confusion between a religious, indeed Christian, understanding of reconciliation, more typically applied to interpersonal relationships, and the more limited, political notion of reconciliation applicable to a democratic society.Retour

[ 5] a diverse and divided society attempting to consolidate a fragile democracy.Retour

[ 6] Others cautioned against accepting too limited a notion of reconciliation. … the Commission should not underestimate the vital importance of apologies—by individuals, representatives of institutions and political leaders—coupled with forgiveness by those who had been violated.Retour

[ 7] the Constitution states that the pursuit of national unity, the well-being of all South African citizens and peace require reconciliation between the people of South Africa and the reconstruction of society.Retour

[ 8] not to reconcile the nation but to promote reconciliation.Retour

[ 9] A number of strands in contemporary politics turn on the need, sometimes the demand, for recognition. The need, it can be argued, is one of the driving forces behind nationalist movements in politics. And the demand comes to the fore in a number of ways in today’s politics, on behalf of minority or “subaltern” groups, in some forms of feminism and in what is today called the politics of “multiculturalism.”Retour

[ 10] The Mabo judgment should be seen as one of these. By doing away with the bizarre conceit that this continent had no owners prior to the settlement of Europeans, Mabo establishes a fundamental truth and lays the basis for justice. It will.Retour

[ 11] In the latter case, commonly called reconciliation, the prevailing system of incorporation is transformed to a legitimate system of group recognition and rights (in the canadian Constitution with the agreement of the indigenous peoples themselves).Retour

[ 12] the Crown legitimises itself as the “truth-maker” behind the screen of law…Retour

[ 13] Renforcer le partenariat entre les Autochtones et les non-Autochtones signifie aussi régler les revendications particulières en suspens. Le gouvernement du Canada est heureux de signaler que nous travaillons conjointement avec les Premières nations pour faire des recommandations au sujet de la création d’un organisme indépendant d’examen des revendications. Cet organisme remplacerait la Commission sur les revendications particulières des Indiens, qui a été établie à titre provisoire en 1991. Il offrirait un point de vue impartial sur le processus de revendications particulières afin de régler le conflit d’intérêt, réel ou perçu, auquel le Canada fait face quand il agit en qualité de défenseur et de juge des revendications dont il est l’objet.Retour

[ 14] The reconciliation process will only work effectively if it involves and inspires all Australians.Retour

[ 15] to create a non-racial society;to build a non-sexist country;to heal the divisions of the past;to achieve the peaceful coexistence of all our people;to create development opportunities for all South Africans, irrespective of colour, race, class, belief or sex; andto improve the quality of life of all citizens.
whether our actions have been and are based on the recognition of the injustices of the past, and,whether our actions have genuinely sought to promote the integrated Constitutional objectives of:national unity;the well being of all South Africans;peacereconciliation between the people of South Africa; andthe reconstruction of society.
Retour

[ 16] All of these matters have to do with the various levels of the way the reconciliation process is capable of operating and the complexity of the challenge of its totality.Retour

[ 17] I have frequently said, and I will say it again today, that present generations of Australians cannot be held accountable, and we should not seek to hold them accountable, for the errors and misdeeds of earlier generations.Retour

[ 18] Second, twenty years to implement new strategies and achieve reconciliation are too long, I feel. We are asked to sacrifice two more generations before seeing a glimmer of hope regarding our fundamental claims. I am no longer able to watch our present and future generations being sacrificed on the altar and subject to the snail’s pace of the Canadian and Quebec governments.Retour

[ 19] (Of these, reconciliation) is perhaps the most ambitious and elusive. The degree to which it is attained will declare much about Australians as a people. Yet who’s to say at what point—if ever—substantial reconciliation will have been achieved or how much must be done before progress can be claimed ? This is not something that can be precisely measured by the number of houses built, the proportion of Aboriginal children finishing school, or improvements in infant mortality rates. It vitally involves material progress, but also intrinsically matters of the spirit. It is about attitudes, white and black, as well as the tangibles. Non-Aboriginal cynics tarnish hopes by saying gestures will always be followed by indigenous demands for more. Black sceptics incline to an all-or-nothing approach. Between the extremes, Aboriginal and non-Aboriginal pragmatists and idealists accept this is a journey of nearly endless length.Retour

Résumé

Objet d’analyse politique et philosophique, la réconciliation correspond, sur le terrain, à une réalité et à des pratiques. La réconciliation, fondée sur le recours à la mémoire et sur la réparation d’injustices passées, nourrit la poursuite d’un débat démocratique dans des sociétés « diverses ». Or, le débat sur la réconciliation est bien loin d’être clos. L’idée et les politiques sont souvent dénoncées tout à la fois par des minorités qui ne se reconnaissent pas en elles, et par les tenants de conceptions de l’État et de la nation plus traditionalistes. Quels que soient les résultats des politiques et des programmes mis en place pour lui donner corps, ces sociétés voient aujourd’hui dans la réconciliation un vecteur possible des transformations démocratiques qu’elles s’imposent, et l’un des moteurs de la reformulation du contrat social. Avant de porter ses fruits, comme tous les grands enjeux de société, la réconciliation connaîtra tous les stades de l’aventure humaine et du débat politique, avec leurs aspects moraux, intellectuels, culturels et sociaux.



Reconciliation is a contemporary concept that multicultural societies such as Australia, Canada, New Zealand, South Africa have been endeavouring to implement during the last decade of the 20th century. The political process, very similar to and undoubtedly connected with that of multiculturalism, encompasses both “Aboriginal” and “national” reconciliations, reformulates the notion of citizenship and proposes a new definition of the social contract. Reconciliation is an on-going process with symbolic and practical implications concerning the fundamental three “Rs”: recognition, rights and reform (Burney. Grattan, 68). It offers “not just a challenge, (but) an opportunity” that many are not yet entirely ready to confront and seize. In order to bring forth expected and tangible results, reconciliation must foster from all sections of national communities, including of course “ethnocultural minorities” and governing states a sense of shared responsibility.

PLAN DE L'ARTICLE


POUR CITER CET ARTICLE

Jean-Claude Redonnet « L'idée de réconciliation dans les sociétés multiculturelles du Commonwealth : une question d'actualité ? », Etudes anglaises 4/2001 (Tome 54), p. 479-496.
URL :
www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2001-4-page-479.htm.