Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2003/2
Vingtième Siècle. Revue d'histoire
2003/2 (no 78)
208 pages
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I.S.B.N. 2724629469
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Vous consultez1944-1951 : Les deux corps de Notre-Dame de Paris

AuteurFrédéric Le Moigne[*] [*] Frédéric Le Moigne est l’auteur d’une thèse dirigée...
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du même auteur



À l’époque contemporaine, Notre-Dame de Paris est restée un lieu privilégié de la sacralité d’État, surtout quand elle fut investie par deux gouvernants aussi catholiques que Pétain et de Gaulle. En 1944, à quatre mois exactement d’intervalle, ces derniers s’y succédèrent. Le 26 août, le Général chercha à effacer toute la liturgie maréchaliste accumulée depuis 1940 et tapie dans les cathédrales du pays. C’était sans compter sur la hiérarchie catholique. Violemment expulsée de la libération de Paris avec le cardinal Suhard privé de Te Deum à Notre-Dame, elle parvint en 1951, par l’intermédiaire du cardinal Feltin, à réimposer dans le sanctuaire national la figure du Maréchal-martyr.

○ 26 août 1944 : Notre-Dame libérée

2 Au soir du 26 août 1944, journée apothéose de la libération de la capitale française, l’archevêque de Paris confiait à ses carnets intimes, dans le silence de ses appartements de la rue Barbet-de-Jouy que les bruits de la fête populaire ne parvenaient pas à troubler : « Cette journée fut l’une des plus pénibles de ma vie. Fiat voluntas tua ! » Comment ne pas associer cette phrase de solitude, écrite par celui qui connaissait alors sa nuit du Jardin des oliviers, à l’évocation radieuse des Mémoires de guerre, encore éblouie par la descente tricolore des Champs-Élysées ? « Il se passe, en ce moment, un de ces miracles de la conscience nationale, un de ces gestes de la France qui parfois, au long des siècles, viennent illuminer notre Histoire[1] [1] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, L’unité, Paris,...
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. » En se voyant refuser de célébrer le Te Deum libératoire à Notre-Dame, Mgr Suhard avait été très clairement désigné comme le – seul ? – perdant de l’histoire en cette journée de victoire nationale. Corps étranger à sa propre cité en liesse, l’archevêque de Paris restait une nouvelle fois coupé de la respiration révolutionnaire qui faisait les grandes heures du pays. À ce titre, la « mort symbolique » du prélat succédait à la mort réelle de Mgr Affre sur une barricade de juin 1848. Le cardinal pouvait encore moins prétendre incarner la figure médiévale du defensor civitatis attendue par un de Gaulle toujours soucieux de se référer au cardinal belge Désiré Joseph Mercier. Surtout, l’absence de l’archevêque lors de ce rite de passage patriotique dans le sanctuaire national rompait la chaîne établie par l’Église avec la nation depuis l’intercession de saint Rémi après Tolbiac.

3 Le destin d’Emmanuel Suhard n’était pas sans paradoxe puisque c’était lui qui, alors archevêque de Reims, avait présidé la célébration de l’été 1938 marquant la fin de la restauration de la cathédrale des sacres. La présence du président Albert Lebrun et du ministre du Front populaire, Jean Zay, renouvelait le pacte sacré que la République avait signé entre 1914 et 1918 avec cet édifice de la France monarchique. Quelle autre cérémonie pouvait mieux signifier la reconnaissance nationale pour le ciment catholique, gage de pérennité ? L’Église de France, faisant fructifier les dividendes de l’Union sacrée, était incontestablement en position de force dans cette société du souvenir de l’après-guerre. Comme souvent, l’État lui laissait ses morts en reconnaissant officiellement son rôle d’intercesseur (exemple probant de l’ossuaire de Douaumont créé par Mgr Ginisty et récupéré par la République).

4 La nouvelle mobilisation de 1939-1940 fortifia encore cette reconnaissance. La République en guerre se rendit à Notre-Dame pour obtenir le salut de la nation (Paul Reynaud et son gouvernement, le 19 mai 1940). Le geste, longtemps espéré, fut abondamment salué par la plupart des évêques, se référant à la place faite à Dieu par l’Angleterre officielle[2] [2] Cf. parmi d’autres l’archevêque de Besançon, au patriotisme...
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. La religion n’était cependant déjà plus convoquée pour aider à la victoire, mais bien pour accompagner l’expiation et le dolorisme de la défaite. La République agonisante entra alors davantage dans les églises que lors du premier conflit mondial (cérémonie au Sacré-Cœur de Montmartre du 31 mai 1940, comme dans de nombreuses cathédrales de province). Pétrie de doutes sur elle-même, elle y cherchait certainement la sécurité d’une institution éternelle. À ce titre, le Te Deum à l’envers, selon l’expression d’Édouard Herriot, conduit en la primatiale Saint-André de Bordeaux, le 25 juin, par Mgr Feltin devant le président Lebrun, et réunissant l’ancien et le nouveau présidents du Conseil (Reynaud et Pétain), offrait le faux décor de la continuité et de l’unité au vrai théâtre de l’exacerbation des haines et des divisions. Le casino municipal de Vichy accueillit la scène suivante.

5 Le maréchal Pétain, pour asseoir son pouvoir charismatique sur une sacralité qui n’était pas d’opérette, devait absolument quitter le pauvre décor symbolique de sa capitale thermale. Cette rencontre avec le pays fut une des marques importantes de la rupture avec la République tant elle parut ressusciter la pratique ancestrale de l’entrée du roi dans ses « bonnes villes ». Le savoir-faire cérémoniel de l’Église fut grandement mis à contribution et les cathédrales apparurent à nouveau comme les sanctuaires privilégiés de la sacralité d’État. La scène de l’accueil du maréchal Pétain par l’évêque sur le perron de son église, abondamment filmée et photographiée, reste un topique de la représentation du régime de Vichy. Tout fut établi dès la cérémonie fondatrice du 11 novembre 1940 à Clermont-Ferrand, lors de l’ascension vers Notre-Dame-de-l’Assomption : « Le maréchal […] en uniforme kaki, décoré de la simple Médaille Militaire, monte comme un jeune les marches. Mgr Piguet, en cappa magna, portant Médaille Militaire et Croix de Guerre[3] [3] « Église cathédrale. Le Maréchal Pétain à la messe...
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 », l’accueille. Le prélat – protecteur et intercesseur recherché par le chef de l’État français – était le principal ordonnateur de son élévation, dans un rituel sécurisant. Une vaste scénographie de la hauteur se mit en effet en place, épousant naturellement le relief de la zone sud (Notre-Dame-de-la-Garde, le rocher protecteur de Notre-Dame du Puy, sanctuaire attitré du Maréchal qui s’y présenta en février 1941 en pèlerin selon l’usage monarchique pour en devenir le chanoine d’honneur[4] [4] « Le Pèlerinage national de M. le Maréchal Pétain...
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). Les voyages de Pétain, habile quadrillage – horizontal – de l’espace « libre », cherchaient au maximum la verticalité pour compenser le territoire perdu. Ce n’est donc pas un hasard si ce fut un prélat – le primat des Gaules, Mgr Gerlier – qui donna sa plus juste définition à cet enracinement géographique – « Pétain c’est la France, et la France, aujourd’hui, c’est Pétain » (19 novembre 1940).

6 L’épiscopat de la zone occupée mit un point d’honneur à se rattacher à cette construction territoriale en prenant résolument le chemin pèlerin de Vichy (du moins pour ses plus hauts représentants – NNSS Liénart, Dubourg, Roques). Le cardinal Suhard s’y montra le plus assidu, lui qui confiait trouver, lors de ces séjours dans l’Allier, la meilleure cure pour oublier l’air vicié de la capitale. Il songea même à y rester plus longtemps en acceptant le siège de Conseiller national, avant de le laisser plus sagement à son évêque auxiliaire, Mgr Beaussart. Car Emmanuel Suhard était l’évêque que Pétain aimait. L’ascendant de ce prélat traditionnel était d’ordre spirituel, mais le chef de l’État français appréciait tout autant sa malléabilité politique (l’« avocat » Gerlier était un peu moins souple). Peu préparé à tenir ce rôle « diplomatique » exigé par sa fonction (surtout lorsqu’on évoque son prédécesseur, Mgr Verdier), Mgr Suhard qui, sous la République, s’était montré un sourcilleux évêque de la Séparation, devint sous Vichy un parfait prélat concordataire grisé par les contacts avec le plus haut pouvoir. Sa naïveté le fit même apprécier des moins sympathiques à l’Église (Laval, Pucheu), ce qui lui valut ce jugement définitif de De Gaulle : « […] Chez le cardinal la piété et la charité sont à ce point éminentes qu’elles laissent peu de place dans son âme à l’appréciation de ce qui est temporel[5] [5] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre…, op. cit., p. 576....
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. »

7 Le 26 août 1944 sanctionna cette compromission temporelle. Il n’est cependant pas facile de démêler l’écheveau des responsabilités dans l’assignation à résidence du cardinal Suhard. Dans ses Mémoires, le général de Gaulle se déchargea en effet de toute implication en cette affaire sur son entourage démocrate-chrétien en affirmant que, s’il n’en avait tenu qu’à lui, il eût permis à l’archevêque de se rendre à Notre-Dame. Le chef de la France libre n’ayant cependant pas l’habitude de se laisser mener par les autres – surtout en ces journées –, on peut discuter de cette relation livrée a posteriori dans un souci de ménagement de l’institution ecclésiale. En 1944, de Gaulle suivait incontestablement les catholiques de la Résistance intérieure qui ne pardonnaient pas les actes d’allégeance de l’archevêque de Paris au dernier Vichy (participation aux obsèques nationales de Philippe Henriot, le 1er juillet 1944, malgré l’intervention personnelle de Georges Bidault à l’archevêché appuyée par le secrétaire particulier du cardinal, l’abbé Le Sourd). Comment, en outre, le nouveau chef de la France eût-il pu être accueilli par l’évêque qui avait introduit le maréchal Pétain à Notre-Dame, exactement quatre mois auparavant ?

8 On peut penser que la cérémonie du 26 août fut le parfait effacement de celle du 26 avril. À la scène filmée et photographiée de l’accueil de Pétain par le cardinal Suhard à l’entrée de la cathédrale (le serrement de mains qui répondait aux nombreuses prises de vues de l’Hôtel du Parc) ne correspondit nulle représentation de De Gaulle avec les membres de l’Église hiérarchique (l’archiprêtre Brot et a fortiori Mgr Beaussart). Antithèse encore que cette entrée en avance du Général, rompant avec la lenteur ritualisée de l’accueil d’avril (marquant le temps long des relations entre l’épiscopat et le Maréchal). La sortie d’août captée par l’objectif confirmait encore davantage la rupture : de Gaulle n’était suivi par nul grave et lent prélat en cappa magna, mais par ce dominicain-aventurier, qui s’était auto-institué aumônier général des Forces françaises de l’Intérieur, le RP Bruckberger op. Shakespeare se serait certainement laissé guider par ce dernier personnage s’il avait dû décrire ce Te Deum fou. Il en eût fait un de ses bouffons, grand ordonnateur du désordre mais conduisant à la Vérité… Au final, plus que les discours de soutien – pourtant sans nuance – à Vichy, restait au passif de l’épiscopat de l’Occupation cette enveloppe cérémonielle. La hiérarchie catholique ne pouvait être protégée par son intemporalité tant elle s’était associée à la liturgie du régime passé. Alors que de Gaulle faisait de ce 26 août son sacre (il repéra cette journée dans ces Mémoires comme étant celle du lendemain de la fête de saint Louis), il n’eût pu être oint par celui qui avait été l’intercesseur de son ennemi. Aussi, à la suite de Napoléon le 2 décembre 1804, se couronna-t-il tout seul…

9 Loin de la descente des Champs-Élysées ou du discours de l’Hôtel de Ville, la cérémonie pressée de Notre-Dame ne fut peut-être pas à la hauteur de cette onction nationale espérée. Sans archevêque et sans orgues, le Te Deum ne pouvait être imposant. Aussi se transforma-t-il en Magnificat, mené pour ainsi dire par de Gaulle à la fois célébrant et célébré, chanté au pas de course entre deux rafales de mitraillettes. Alors que ces tirs (rappelant que l’île de la Cité avait été au cœur des combats des jours précédents) furent dédaigneusement qualifiés de « tartarinades-pétarades » par le Général, excédé à l’idée que la nervosité – anticléricale ? – de certains résistants contre des ennemis fantomatiques soit venue briser la solennité du moment, ils servirent incontestablement à l’édification de la geste gaullienne. Les rafales anarchiques de Notre-Dame, entendues par les auditeurs à la radio, qui n’empêchèrent pas de Gaulle de continuer à s’avancer dans la nef, pendant qu’une partie de l’assistance se couchait ou cherchait le refuge des piliers (et que les chanoines n’osaient sortir de la sacristie), renvoyaient l’image vivante du « roi de guerre[6] [6] Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté...
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 » de la même façon que les plus parfaits Te Deum du Grand Siècle (après la procession rituelle populaire des Champs-Élysées).

10 La cérémonie avait duré quinze minutes ; elle resta durant de longues semaines à l’esprit de l’épiscopat français. Le cloisonnement propre à cette période favorisait pleinement un tel traumatisme puisque, sevrés d’informations nationales et anxieux devant l’avenir, les prélats trouvaient dans cet événement aux contours nets un point de ralliement collectif. En décrétant que l’Église hiérarchique était désormais un corps étranger au patriotisme national, la désacralisation de Notre-Dame, acte initial des rapports entre le nouveau pouvoir et l’épiscopat, fortifia l’esprit de corps de ce dernier.

11 Cette défense immunitaire prit immédiatement la forme d’une solidarité sans faille exprimée dans le courrier massif adressé à l’archevêque de Paris. On y trouve peu de convenances, mais bien une identification individuelle, comme si chaque évêque s’était vu refuser la porte de sa propre cathédrale, à l’image de l’archevêque de Sens, Mgr Lamy : « Il m’est arrivé depuis – le Bon Dieu me le pardonnera – de sortir de moi en parlant de ces faits. Une pauvre dame s’en souviendra. Je lui ai déclaré que vos sentiments étaient les miens, que vous toucher c’était nous atteindre tous[7] [7] « Courrier reçu et expédié 1942-1949 », lettre du...
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. » C’était donc au moment où sa position extérieure était la plus affaiblie que Mgr Suhard était clairement reconnu par ses pairs – et particulièrement par Mgr Liénart qui, plus ancien cardinal, pouvait prétendre à cette position – comme « chef de l’Église de France[8] [8] Lettre de l’évêque de Lille à Mgr Suhard, en date...
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 ». Cette confiance interdisait toute idée de démission.

12 Le corps épiscopal, plutôt que de se reconnaître dans la minorité des prélats du Sud-Ouest plébiscités de l’extérieur par la Résistance (NNSS Saliège, Théas, Rodié, Moussaron), s’identifia davantage dans l’anti-héros de l’institution, le personnage « souffrant[9] [9] Qualificatif choisi par Mgr Feltin pour qualifier le Suhard...
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 » qui incarnait l’état général. C’est assurément dans cette projection que l’expression d’« émigrés de l’intérieur » (c’est-à-dire une élite immémoriale et monarchique se sentant menacée par la République), pouvant définir la hiérarchie catholique des premières semaines de la Libération, trouva sa meilleure illustration. Le 26 août était perçu dans de nombreux évêchés comme la nuit du 4 août de l’épiscopat français. Cette identification à l’Ancien Régime n’est pas trop forte, comme le prouvent les mots de « coup d’État politique » dans la correspondance hiérarchique, ou cette lettre de Mgr Liénart associant l’archevêque de Paris à la charrette des notables de Vichy : « Tous ceux qui se sont dévoués, sous l’occupation allemande et malgré elle, au service de leurs compatriotes sont considérés comme des traîtres. Le préfet régional, le préfet délégué, le maire, l’intendant de police ont été arrêtés[10] [10] Lettre du 14 septembre 1944, ibid., 1D XIV 10....
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. »

13 L’onde de choc de Notre-Dame, accompagnant les séismes locaux d’Arras, Mende, Aix, Saint-Brieuc (les évêques chassés de leurs villes diocésaines) et annonçant le tremblement de terre de l’épuration massive promis par Georges Bidault, déstabilisait les certitudes du corps épiscopal au point de le faire douter de son identité intemporelle. Puisqu’elle était perçue comme une élite de Vichy, c’est-à-dire d’une certaine façon désacralisée par le pouvoir politique pour ses choix temporels, elle acceptait cette identité et même la revendiquait pour mieux résister au basculement de l’histoire. C’est ainsi que plusieurs évêques – en butte à la méfiance du pouvoir résistant – refusèrent de célébrer les Te Deum de la Libération (NNSS Gaudron à Évreux, Jacquin à Moulins, Mesguen à Poitiers, ce dernier préférant continuer sa tournée de confirmation…). À ces absences, il convient de rattacher quelques évêques ostensiblement boudés par les nouvelles élites lors de ces cérémonies (Mgr Feltin à Bordeaux) ou empêchés par elles de célébrer (Mgr Delay à Marseille). En dépit de leur importance symbolique, cette dizaine de cas n’était donc pas majoritaire. Le maréchalisme de la plupart des prélats ne les a pas empêchés de participer tranquillement aux fêtes de la délivrance. Ce rôle était attendu car les évêques restaient pour la cité les intercesseurs naturels du rite de passage. L’office à la cathédrale soulignait le lien entre les périodes en associant la nouvelle élite issue de la Résistance à la communauté « moyenne » de la cité qui pouvait se reconnaître dans cet évêque ayant vécu l’Occupation avec eux…

14 La déstabilisation de l’Église hiérarchique eût été tout autre si une majorité de cathédrales lui avait alors été interdite. De Gaulle fut le premier à respecter cette légitimation locale, lors de ses grands voyages en province de septembre-octobre 1944. Le 4 septembre à l’Hôtel de Ville de Lyon, comme le 17 septembre à la préfecture de Bordeaux, NNSS Gerlier et Feltin furent en tête des délégations de notables saluées par lui[11] [11] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 601....
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. La scène se répéta à Marseille, Lille, Chambéry, confortant des figures contestées par Bidault (Delay, Liénart, Durieux). Si de Gaulle ne fut chaleureux qu’avec Saliège à Toulouse, il a été loin d’humilier les autres… La journée du 15 septembre à Marseille le prouve. Alors que cette visite fut vécue très négativement par le pouvoir local résistant, acceptant mal les rappels à l’ordre du Général, Mgr Delay, précédemment interrogé par le Comité départemental de Libération, pouvait écrire à Mgr Suhard : « J’ai été reçu très aimablement par le général de Gaulle[12] [12] Lettre du 3 octobre 1944, AHAP 1D XIV 10. ...
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. » Pour ce dernier, le 26 août avait été un acte de clôture, soldant violemment les mauvais comptes de l’Occupation. L’épuration symbolique accomplie, l’Église hiérarchique retrouvait toute sa place dans le rétablissement des élites, nécessaire à l’équilibre du retour de l’autorité. Comment la liste de Bidault pouvait-elle aboutir après une telle légitimation ?

15 Est-il dès lors possible de lire du point de vue catholique ces déplacements de De Gaulle comme constituant une « antithèse » de ceux de Pétain[13] [13] Dominique Veillon et Laurent Douzou, « Les déplacements...
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 ? Les voyages gaulliens concentrés sur le rétablissement de l’autorité dans l’espace républicain (hôtels de ville, préfectures) rompaient assurément avec la mise en scène précédente dans les cathédrales. La rapidité des déplacements, le maintien d’une foi privée qui ne cherchait pas à être toujours ostentatoire (il alla prier au petit matin à l’église Saint-Michel, lors du deuxième jour de son séjour lillois) expliquaient plus sûrement des absences qu’un regard plus long dans le temps vient d’ailleurs corriger (exemple de Chambéry en octobre 1944 ; fréquentation des cathédrales au moment du RPF[14] [14] Il ne s’agit ici bien entendu que de l’enveloppe. Pour...
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). En ce sens, la véritable « antithèse » des voyages de Pétain apparaissait dans l’accueil de l’Église hiérarchique. À la profusion des commentaires et des discours dans ces Semaines religieuses, n’omettant aucun détail du parcours du Maréchal, succédait en effet la loi du silence. Le lecteur de L’Aquitaine ne savait pas que Mgr Feltin avait ainsi rencontré le nouveau chef de la France ; celui de L’Écho de Notre-Dame de la Garde ne connaissait pas la satisfaction de son Ordinaire. Les maréchalistes de l’épiscopat n’étaient pas près de devenir gaullistes et de tourner la page de Notre-Dame.

16 La disparition du cardinal Suhard en mai 1949 était cependant tout opportune pour parvenir à effacer le traumatisme du 26 août. L’épaisseur missionnaire du personnage, reconnue par l’opinion, offrait suffisamment de surface à l’épiscopat pour réussir l’opération amnésique, d’autant que la Libération était bien éloignée des esprits. Les hommages hiérarchiques refusèrent l’apaisement et l’oubli du deuil, à l’image de l’allocution funèbre du cardinal Liénart à Notre-Dame, réimposant le « crime » sur le lieu même où il avait été commis : « Hélas ! il fut pendant quelque temps en butte aux plus violentes critiques, aux accusations les plus injustes[15] [15] « Après les funérailles de S.E. le cardinal Suhard »,...
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. » Il en est de même pour le cardinal Gerlier peu désireux, malgré son discours, de vouloir gommer l’événement : « On voudrait pouvoir effacer de nos annales certains procédés inqualifiables dont il fut victime, de la façon la plus inique, au lendemain de la Libération, et qui ont jeté comme une ombre dans la splendeur de ces journées exaltantes et héroïques[16] [16] « Son Éminence le Cardinal Suhard », Semaine religieuse...
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. »

17 En 1949, le pays ne pensait plus vraiment à ce passé. Étienne Fouilloux a parfaitement montré combien la nomination du très maréchaliste archevêque de Bordeaux, Mgr Feltin, sur le siège de Paris marquait la fin des velléités réformatrices de la Libération concernant l’épuration et le renouvellement de l’épiscopat[17] [17] « Les forces religieuses » in Les pouvoirs en France...
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. Plus encore que l’indifférence de la gauche (à peine rompue par un article vengeur de L’Humanité[18] [18] « Quand Mgr Feltin le nouvel archevêque de Paris encensait...
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), il convient d’insister sur le silence des démocrates-chrétiens. Celui-là même – Georges Bidault – qui, durant l’été 1944, avait placé Mgr Feltin en tête de sa liste des prélats qui méritaient d’être destitués[19] [19] Encore plus symboliquement, Mgr Feltin accueillit Bidault,...
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, n’avait-il pas engagé en mars 1949 le MRP dans le combat, partagé par la hiérarchie catholique, de l’amnistie[20] [20] Henry Rousso, « La Seconde Guerre mondiale dans la mémoire...
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 ? Sur le siège politique de Paris, le gouvernement ne s’opposait plus au choix de Roncalli qui consacrait par là même la victoire de sa stratégie de sauvetage[21] [21] Cf. Étienne Fouilloux, « Extraordinaire ambassadeur ?...
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.

○ 25 février 1951 : Notre-Dame reconquisé

18 Le dimanche 25 février 1951, Mgr Feltin faisait applaudir le nom du maréchal Pétain à Notre-Dame de Paris. L’archevêque avait voulu donner à cette messe du Souvenir pour le 35e anniversaire de la bataille de Verdun une dimension particulière. Alors que, la veille, le ministre des anciens combattants Jacquinot avait fait silence à Douaumont sur le vieux Maréchal, le prélat appela l’assistance à prier pour tous les chefs de la guerre – « aucun d’eux ne doit être exclu[22] [22] « Allocution prononcée par Son Excellence Mgr l’Archevêque...
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 ». En chaire, Maurice Feltin, ce « Joffre sans sourcils ni moustaches » selon l’expression de Jacques Isorni[23] [23] Jacques Isorni, Mémoires 1946-1958, Paris, Robert Laffont,...
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, avait d’une certaine façon remis la tenue de brancardier qu’il portait à Verdun pour secourir le prisonnier de l’île d’Yeu : « Nous n’avons pas, ici à faire de politique. Nous n’avons à discuter ni sur les faits, ni sur les jugements portés par les hommes. Nous n’avons qu’à regarder Verdun et celui qui nous a commandés là-bas en des heures tragiques. Nous savons qu’il souffre [longs applaudissements]. Notre charité chrétienne, comme notre titre de soldats combattants sous ses ordres, nous invitent à adresser à Dieu, pour lui, une prière fervente [nouveaux applaudissements] ».

19 Il s’agit moins de comparer ce discours à d’autres témoignages de compassion pour le Maréchal[24] [24] Que l’on songe au de Gaulle des premiers temps du RPF,...
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que de tenter d’analyser la cérémonie pour elle-même dans le cadre ecclésial qui nous intéresse. Si Mgr Feltin n’avait pas improvisé son allocution, il avait hésité à la donner. Une lettre contemporaine de Jean Ybarnégaray le confirme : « Jeudi soir, en des minutes que je ne saurais oublier, Votre Excellence avait daigné m’admettre au débat profond, et sans doute douloureux qui se livrait en son âme entre l’archevêque de Paris, tenu, pour tant de raisons, à la prudence et le prêtre ancien combattant porté par la fidélité et la ferveur de ses souvenirs[25] [25] Chemise « Verdun 35e anniversaire », lettre...
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. »

20 Révolté par le silence officiel du samedi, conforté par la nuée des drapeaux des associations fidèles d’anciens poilus, l’archevêque oublia aussi bien la Légion d’honneur décernée par le gouvernement en janvier que la présence des officiels. Le maréchalisme indélébile de l’épiscopat français avait trouvé une nouvelle occasion de s’exprimer dans l’espace même où il avait été expulsé et stigmatisé en août 1944. Le 25 février 1951 sonnait incontestablement l’heure de la revanche. La mémoire longue de la première guerre mondiale qui avait donné sa légitimité héroïque à l’épiscopat ancien combattant dans les années 1930 et sous Vichy était censée recouvrir l’opprobre de la Libération. Cette relégitimation n’ayant pu commencer lors du trentième anniversaire de Verdun en 1946, il était logique qu’elle le fût cinq ans plus tard. Notre-Dame investie par les poilus de 1914-1918 perdit son visage résistant de 1944. En changeant de temporalité, elle changeait de chef et récupérait son intercesseur épiscopal légitime.

21 Cette réappropriation de l’espace fut marquée par l’onction populaire de l’archevêque. Les applaudissements réinstallaient le prélat dans une fraternité populaire, étrangère à la mise en demeure élitaire de Mgr Suhard. Bien loin de rappeler cette dernière figure de paria, le courrier reçu à l’archevêché après l’événement célébrait le « camarade », l’« homme » qui avait eu du cran. Mais cette proximité horizontale cachait une onction verticale : le courrier n’hésitait pas à comparer Mgr Feltin à saint Rémi, « dans la chaîne des pontifes de l’Église de France ». De fait, cette cérémonie du 25 février devenait la véritable intronisation parisienne de l’archevêque. Elle rappelait exactement les circonstances de son sacre, à Besançon, en 1928, lorsqu’il avait été consacré par trois prélats anciens combattants (NNSS Rémond, Rodié, Binet).

22 Notre-Dame était bien reconquise puisque les élites de la Libération et de la Quatrième République quittèrent ostensiblement la cérémonie (le préfet de la Seine, Paul Haag ; les deux conseillers de Paris RPF et anciens résistants Jean-Louis Vigier et Jean Marin ; le représentant du ministre des Anciens combattants, Vinel). Réaction commune mais qui fut toutefois justifiée a posteriori différemment en fonction du respect témoigné à l’archevêque, selon que l’on était parti en raison des applaudissements (Vigier) ; ou directement à cause du ton de l’allocution relevant plus de la « polémique que de celui du pasteur[26] [26] « Incidents à Notre-Dame », Le Figaro, 26 février...
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 », selon le préfet Haag. Les métaphores peu charitables d’un prêtre de Nancy aident à analyser ce départ politique du point de vue de l’Église : « L’air pur que l’on respire maintenant a, pour beaucoup, infiniment plus de prix qu’un carreau brisé ». Mgr Suhard et Notre-Dame, victimes de la chaleur des passions de l’été 1944, étaient pour certains lavés. C’est très net dans le courrier épiscopal reçu à l’archevêché de Paris, après le 25 février : « Il fallait que de telles paroles fussent dites à Notre-Dame », écrivit par exemple l’évêque de La Rochelle, Mgr Liagre (3 mars 1951). Il n’est pas jusqu’au petit groupe d’anciens combattants (quelques dizaines) rassemblés devant l’Arc de Triomphe à 18 h 30 le même jour aux cris de « Libérez Pétain » qui ne rappelle à l’envers l’imposant cortège du 26 août.

23 Le nombre comptait assurément moins que le symbole de cet investissement de l’espace parisien, et donc national, par les maréchalistes. Cette visibilité inédite servit de révélateur à une passion enfouie au plus profond du pays et qui ne demandait qu’à sortir de son emprisonnement. Mgr Feltin reçut ainsi, des quatre coins de la France et de l’Empire (Lorraine, Gironde, Haut-Rhin, Morbihan, Congo…), bien des témoignages de correspondants s’exprimant au nom de « centaines de milliers d’anonymes » et félicitant celui qui enfin osait s’exprimer. Ce maréchalisme populaire[27] [27] Tel assureur de Saint-Ouen écrivit sa satisfaction à Mgr Feltin...
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se greffait sur la reconnaissance exprimée par les vieux zélés du Comité d’honneur pour la libération du maréchal Pétain (Henry Bordeaux, Gaëtan Bernoville, Pierre Mauriac) et les nouveaux boutefeux de la cause (Jacques Isorni, colonel Rémy) qui trouvaient là un remplaçant de luxe au fidèle Mgr Beaussart. L’archevêque de Paris eut droit en outre aux honneurs de la presse d’extrême droite renaissante, avec portrait en pied[28] [28] Ce n’est pas un hasard si le fétichisme iconographique...
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Réalisme et L’indépendance française (mars 1951) – et hommage personnel de Maurice Pujo dans Aspects de la France[29] [29] Les temps ont bien changé depuis le début des années...
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. Il convient, cependant, de s’extraire de ces franges marquées, où antisémite et préfet de Vichy avaient leur place, pour découvrir dans la correspondance, le soutien de tout un personnel politique bien en activité.

24 Les réactions impliquaient naturellement en premier lieu cette droite pétainiste qui tentait de renaître de ses cendres, en cette année phare pour elle de 1951[30] [30] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours,...
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. Le candidat « d’Action nationale contre le communisme » pour les législatives de juin, Marcel Darrigade, n’hésita d’ailleurs pas à envoyer sa profession de foi à l’archevêque de Paris. Plus intéressants étaient toutefois les témoignages de soutien émanant de la droite libérale dont le poids, lui aussi en progression, surpassait nettement le précédent courant. Le député de Paris, R. Bertolaud, n’eut ainsi aucun scrupule à écrire au ministre de l’Intérieur, Henri Queuille, le 27 février 1951, pour demander la démission du préfet Haag. Jean Chamant, député de l’Yonne, félicita Mgr Feltin en l’assurant que de nombreux parlementaires eussent applaudi la déclaration de Notre-Dame si les souvenirs de la « Nouvelle Terreur » (l’épuration) s’étaient effacés. Signalons encore le soutien d’un familier de l’archevêque, Édouard Frédéric-Dupont (lettre du 27 février). Au RPF également, Feltin avait été entendu par ceux qui avaient fait de la réconciliation Pétain-de Gaulle leur cheval de bataille. Le maire de Bourges critiqua l’attitude scandaleuse du préfet à Notre-Dame, rappelant que l’homme du 18 juin avait tenu des paroles similaires à celles de Mgr Feltin dans sa propre ville. Ces propos avaient été confiés dans le Cher à Mgr Lefebvre, qui s’était empressé de les transmettre à l’intéressé (lettre du 26 février).

25 Aux soixante-dix lettres et cartes de soutien adressées à Mgr Feltin ne s’opposaient que cinq messages critiques. La vigilance immédiate du comité exécutif de l’Union nationale des FFI, s’appuyant sur la figure du cardinal Mercier pour mieux regretter les silences de l’épiscopat sous l’Occupation, se distinguait de la réaction, tardive (16 mai), et individuelle, de cette mère ne pouvant plus retenir l’évocation douloureuse de son fils fusillé, après avoir été dénoncé par des miliciens. Le pacifisme de l’ancien combattant, rappelant que Verdun, ce n’était pas Pétain, mais les pauvres types des tranchées que l’on fusillait au besoin lorsqu’ils avaient des faiblesses, contrastait avec le photomontage violent de l’architecte savoyard qui avait placé la figure de Pétain au centre d’une cible de tir.

26 La presse résistante s’adressa publiquement à l’archevêque de Paris pour critiquer son discours de Notre-Dame. Les communistes de l’hebdomadaire France nouvelle (3 mars) attaquaient l’ensemble de la hiérarchie catholique pour son comportement sous l’Occupation, tandis que Voix de la Résistance[31] [31] « Réflexions sur un anniversaire », numéro du 27 février...
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, au nom du Comité d’Action de la Résistance, s’appuyant sur l’attitude de NNSS Piguet, Théas et Saliège, isolaient les fidélités de Feltin depuis Vichy – « Vous obéissez aujourd’hui comme hier à une passion partisane proprement insensée », écrivait le général Cochet dans sa lettre ouverte à l’archevêque de Paris. L’intéressé se garda bien de s’immiscer dans la polémique. Il laissa certes le rédacteur en chef de La Croix, Émile Gabel, tenter de noyer le poisson en critiquant les applaudissements (ceux-ci, parfaitement incongrus dans la cathédrale, auraient été arrêtés par le prélat et les officiels auraient dû s’en tenir au discours plutôt qu’aux manifestations de la foule). Mais pouvait-on absoudre le pyromane de l’incendie qu’il avait volontairement allumé ?

○ Juillet 1951 : la mise au tombeau

27 La mort du maréchal Pétain, le 23 juillet 1951 sur l’île d’Yeu, six ans jour pour jour après le commencement de son procès, et cinq mois après la cérémonie de Notre-Dame, consacra la captation complète du personnage par l’Église. La grave alerte du mois d’avril (double congestion pulmonaire) avait déjà montré l’empressement catholique, avec cette croix en bois d’olivier de Jérusalem, apportée de Paris par Mgr Rhodain qui statufiait définitivement le Maréchal dans sa représentation christique[32] [32] La Croix s’est arrêté longuement sur ce voyage....
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. Il était bien évident que seuls des hommes d’Église pouvaient « bonifier » une si longue agonie. Dans le morne enfouissement de la forteresse de Pierre-Levée, contrastant avec les énergies de l’île d’Elbe ou même de Sainte-Hélène, dépourvue de tout Céline comme à Sigmaringen, l’ultime mobilisation des prélats et des évêques avait du poids. Impossible de ne pas associer cet investissement à celui, contraire, d’un Martin du Gard cherchant à préserver la mort de Gide de tout signe religieux, quelques mois auparavant. Pour Pétain, les médecins de l’âme étaient formels : le Maréchal avait eu une fin éminemment chrétienne.

28 Ses obsèques furent à la fois catholiques et combattantes. Le manque de solennité de l’endroit, à une heure de bateau de la côte, n’empêcha le 24 juillet ni la présence de deux évêques (NNSS Cazaux, Ordinaire du lieu depuis 1942 mais aussi fer de lance de la lutte pour l’École privée et Chappoulie, évêque d’Angers et ancien délégué de l’épiscopat à Vichy), ni la venue de deux personnalités ecclésiastiques parisiennes (Rhodain et Potevin). Cette dernière présence rattachait symboliquement la cérémonie à la capitale du pays qui eût dû accueillir les obsèques nationales d’un maréchal de France. Loin de ce cœur, l’île atlantique excentrée (antithèse de l’héroïsme de Sein et point occidental le plus éloigné de la terre de 1914-1918) maintenait cependant la continuité provinciale avec Vichy, dans ce coin vendéen qui, sous l’Occupation, avait pu apparaître comme un espace d’expérimentation de la Révolution nationale. Yeu offrait certes le cadre souriant d’une journée de juillet, mais le soleil ne pouvait cacher sa rudesse insulaire. L’évêque de Vendée, qui fit l’éloge funèbre du Maréchal, n’était-il pas venu, en novembre 1949, dans cette même église, pour évoquer le souvenir de dix naufragés en mer ?

29 La dimension christique du « plus vieux prisonnier du monde » fut imposée par les hommages épiscopaux, à l’instar de l’évêque de Moulins (et donc de Vichy), Mgr Jacquin, se rapprochant incontestablement, par le style, des Écritures : « Il a connu d’immenses joies et les gloires du triomphe. Aux jours sombres de la vieillesse, il a bu […] au calice d’humiliantes épreuves[33] [33] « Paroles prononcées par SE Mgr l’Évêque au service...
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. » Par son humble acceptation de la souffrance, Pétain prenait une amplitude chrétienne considérable. Comme le Christ injustement condamné à mort, le Maréchal allait vers Dieu purifié et miséricordieux. Ne confiait-il pas dans sa cellule, selon Mgr Cazaux : « Je sais bien qu’il y a des gens qui me haïssent. Tant pis pour eux : pour moi, je ne leur en veux pas ! » L’association avec Louis XVI sur l’échafaud est obligée – « Peuple […] Je pardonne aux auteurs de ma mort ! » – pour servir d’exemplum aux chrétiens.

30 Il convenait à Mgr Jacquin de parachever la construction en promettant : « La tombe du Maréchal n’est pas close à tout jamais ». Promesse de résurrection comme pour tout baptisé, la formule s’adressait aux disciples maréchalistes « dans le deuil et les pleurs »[34] [34] Mc 16,10. ...
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. Elle posait certainement la question de la translation des cendres de Pétain à Douaumont en montrant que l’Église jouerait toujours son rôle dans l’entretien du souvenir. Celui-ci n’était pas peu précieux à l’heure de la chape de plomb officielle. Durant cet été 1951, ce sont bien des messes épiscopales sur tout le territoire (de Lourdes à Verdun) qui ont maintenu la visibilité du culte. Cela s’était cependant fait dans une certaine confidentialité (voire normalité), celle du cadre ancien combattant, bien différente par exemple de la visibilité des grandes émotions du deuil de Staline en 1953[35] [35] Mort périphérique, non commémorée par le gouvernement...
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. Mais la phrase de Mgr Jacquin sur la tombe non close voulait bien dire que le cadavre du Maréchal restait dans le placard de la Nation. Ce corps n’avait pas été jeté dans l’Atlantique, il appartiendrait toujours à la terre de France (la tombe de Pétain est la seule du cimetière de Port-Joinville à être tournée vers le continent).

31 Le perfectionnement christique du maréchal Pétain à sa fin n’était que l’accomplissement d’une longue montée au calvaire commencée dès 1940, comme le rappelait Mgr Cazaux : « Je ne crois pas que nous ayons le droit de suspecter […] la sincérité de l’homme, qui au moment le plus tragique de notre histoire, faisait don, avec tant de simplicité, de sa personne à la France ». Aussi bien n’appelait-on pas à prier pour le chrétien mais directement pour le grand homme qui avait sauvé la France en 1916, assoupli le sort des prisonniers de 1940 et poursuivi durant toute son existence le rêve de « l’union des Français et de la grandeur de la patrie ». Si la justice des hommes était relativisée par rapport au « tribunal incorruptible de Dieu » (Mgr Jacquin), c’était pour mieux en appeler à la sagesse de l’histoire sur le court emportement de la rupture de l’épuration. Les cinq cardinaux se voulaient ainsi historiographes avec leur prompte déclaration du 24 juillet[36] [36] Publiée par La Croix et reprise par la plupart des Semaines...
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. La biographie dressée n’avait cependant que l’apparence de la clarté, car les étapes de 1916, 1940, 1945 et 1951 étaient données à rebours avec la même complaisance pour le héros éternel. Loin de l’histoire, les cardinaux étaient des Bossuet occupés à ranimer la dernière flamme du mythe.

32 L’investissement géographique de la hiérarchie catholique, aussi précis et complet fût-il (à Douaumont, à Moulins/Vichy et à l’île d’Yeu), restait incomplet sans une cérémonie nationale à Paris. Celle-ci, bien qu’annoncée dans La Croix du 26 juillet, fut cependant différée en raison des vacances de l’archevêque. La torpeur estivale eût cependant permis aux passions de ne pas s’éveiller comme elles le firent à l’automne lorsque Mgr Feltin promit une messe d’anniversaire pour le maréchal Pétain à Notre-Dame, le samedi 27 octobre.

○ 27 octobre 1951 : Pétain vaut bien une dernière messe

33 Le défi lancé à la République était cette fois-ci trop grand pour passer inaperçu. Prévenu par l’exemple de février, conscient que la cérémonie funèbre pouvait prendre la dimension d’un hommage national pour le chef de l’État du régime déchu, le président de la République, Vincent Auriol, réagit publiquement en prévenant : « Qu’on n’essaye pas de réhabiliter la trahison[37] [37] « Le président Auriol réplique à Mgr Feltin », Franc-Tireur,...
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 ! » En régime de Séparation, le gardien de l’autorité républicaine ne pouvait interdire la messe. Il se devait cependant de fixer les limites d’une cérémonie privée qui, même si elle apparaissait comme une transgression majeure de l’espace patriotique républicain, ne pouvait prétendre à la légitimité nationale que lui seul pouvait accorder[38] [38] Comme les obsèques nationales qu’il décréta pour Leclerc...
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. Cette confrontation entre l’Église et la République, incarnée par deux anciens combattants, Auriol et Feltin qui, lorsqu’ils se rencontraient à l’Élysée, évoquaient leur souvenir des tranchées, gardait certainement le souvenir de l’immense foule parisienne, présente lors des obsèques républicaines et religieuses, en 1929 et 1931, des maréchaux de 14-18, Foch et Joffre[39] [39] Cf. Sylvie Cohen, Paris dans l’imaginaire national de...
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.

34 La semaine qui précéda la cérémonie cristallisa les oppositions déclarées contre l’archevêque de Paris. Les critiques furent particulièrement vives dans le camp catholique. Les démocrates-chrétiens retrouvèrent la mémoire de l’Occupation pour rappeler les hommages épiscopaux à Philippe Henriot. Comme en 1944, ils firent d’ailleurs directement pression sur l’archevêque – lettre des conseillers généraux de la Seine et municipaux de Paris du 24 octobre – pour qu’il annule la messe : « Certains tiennent Pétain pour responsable de la déportation ou de la mort de leurs enfants. […] L’apaisement actuel est-il suffisant pour penser qu’une cérémonie solennelle célébrée à Notre-Dame de Paris par la plus haute autorité religieuse de France ne suscitera pas une grande émotion […][40] [40] AHAP 1D XV 19 op. cit., sous-chemise « maréchal Pétain »....
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 ? »

35 Le courant personnaliste, à travers les responsables de sa revue Esprit, se mobilisa tout autant. Certes, on peut établir des nuances d’action entre un Jean-Marie Domenach lançant « en intellectuel » une pétition contre Feltin, et un Albert Béguin, plus respectueux à l’égard de la hiérarchie, écrivant à l’archevêque de Paris sa « douleur » et son dégoût devant une « campagne de réhabilitation » qui usait « de tous les moyens, jusqu’aux plus sacrés » (lettre du 22 octobre). Le directeur d’Esprit[41] [41] Après la messe du 27 octobre, Albert Béguin contesta...
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n’avait pas oublié dans sa démonstration la réaction négative des milieux ouvriers. Il rejoignait par là les préoccupations exprimées à Mgr Feltin par un prêtre missionnaire inquiet de voir annihiler par de tels gestes les efforts entrepris vers les masses. L’archevêque reçut quelques lettres personnelles, en moins grand nombre que le courrier maréchaliste de février, mais tout aussi symboliques : une médaillée de la Résistance recommandait à ses prières le RP de Montcheuil sj[42] [42] Sur le théologien martyr du Vercors, lire É. Fouilloux,...
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, un étudiant juif protestait contre la messe, un militant d’Action catholique se disait ébranlé dans sa relation à l’Église depuis le comportement de l’épiscopat sous Vichy, une femme indiquait que son beau-frère avait été fusillé un 27 octobre… Cette mémoire blessée et intime renvoyait sans détour l’archevêque de Paris à son propre passé – « J’avais appris […] votre attitude pendant la guerre qui avait choqué des amis bordelais ». Elle gardait le souvenir précis du statut de l’intéressé à la Libération : « N’oubliez jamais ce que vous devez à la clémence nationale et ne prostituez pas Notre-Dame. »

36 Les journaux de gauche s’inscrivaient quant à eux (par manque de mémoire ?) résolument dans le présent lorsqu’ils associaient hommage à Pétain et soutien à Franco[43] [43] « À la République, l’archevêque de Paris préfère...
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. Le procédé était même assez contestable lorsqu’il tentait d’impliquer le MRP – pourtant bien innocent dans cette affaire – en raison de l’actualité des lois scolaires : la messe « laissera supposer que c’est le traître qu’on glorifie alors que c’est le père des subventions qu’on remercie. En toute logique, au premier rang de l’assistance devrait se trouver M. Barangé et derrière lui les 370 députés qui parachèvent l’œuvre de Saint Philippe, patron des écoles libres[44] [44] Franc-Tireur, 27-28 octobre 1951. Le journal avait tout...
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 ». Le journal associait en fait le député du Maine-et-Loire à son évêque Mgr Chappoulie présent aux obsèques de l’île d’Yeu. Cette forte campagne n’ébranla pas l’archevêque de Paris, conforté en privé et publiquement (une tribune dans Le Figaro du 27 octobre) par le seul colonel Rémy.

37 Quelle fut donc la couleur de ce samedi parisien ? La journée mit incontestablement ses pas dans ceux du samedi 26 août 1944, lorsqu’une délégation de catholiques de la Résistance prit à 10 heures le chemin de l’archevêché, rue Barbet-de-Jouy, pour la remise d’une ultime lettre à Mgr Feltin – « Prions Dieu afin qu’il éclaire notre Archevêque ». Une nouvelle fois, on voulait interdire Notre-Dame à l’archevêque de Paris en le maintenant dans ses appartements privés et discrets du 7e arrondissement. Une seconde barrière symbolique fut dressée sur l’île de la Cité au moment même où se déroulait la messe. Le Comité d’action de la Résistance du toujours vigilant général Cochet réunit, place Dauphine, 1 500 manifestants essentiellement issus de la gauche résistante (le communiste Tillon, le progressiste Farge, le radical René Mayer). Dans cet espace à risque peu coutumier des déploiements, un important cordon policier les séparait du parvis Notre-Dame. Le Palais de Justice faisait bien frontière entre résistants et maréchalistes, avec, d’un côté la salle d’audience de la Haute Cour où le maréchal Pétain avait été condamné à mort en 1945, et de l’autre, le sanctuaire où l’on implorait la justice de Dieu pour l’illustre défunt[45] [45] Dès les Rameaux 1945, Notre-Dame s’était érigée comme...
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. Le 27 octobre 1951, Notre-Dame ressemblait à Saint-Louis de Vichy (présence des piliers de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain créée dix jours plus tard – Weygand, Flandin, Marquet, Borotra, Caziot, amiral Fernet). Devant Isorni et Rémy mais sans la Maréchale, le confesseur de Pétain – le chanoine Potevin – célébra une courte messe de trente minutes pour « obtenir les pardons des fautes[46] [46] « Messe pour le Maréchal Pétain », Semaine religieuse...
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 » du disparu. Mgr Feltin présida ces prières liturgiques, sans prendre la parole. Il n’y eut donc pas de manifestation. Trois ans plus tard, en août 1954, ce même archevêque créait encore la polémique en refusant, cette fois-ci, la présence de l’Église aux obsèques nationales organisées par la République pour la « scandaleuse » Colette, deux fois divorcée.

○ 12 novembre 1970 : la cathédrale apaisée

38 Avec toute cette « nuit[47] [47] Julien Green, Paris, Paris, Champ Vallon, 1983, p. 56....
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 » de l’histoire qu’elle portait en elle, Notre-Dame parvenait à rendre présents les absents. À ce jeu, le général de Gaulle eut le dernier mot, lui qui refusa à la basilique métropolitaine les obsèques nationales en lui préférant les funérailles privées de Colombey. Il semblait ainsi montrer au sanctuaire national, habité par le cardinal Suhard (inhumé dans le caveau des archevêques avant qu’il n’accueille également le cardinal Feltin en 1975), qu’il réussissait à se délivrer de son sortilège. Le président défunt paraissait punir ce lieu qui avait bien été celui de son sacre, mais qui ensuite avait été souillé par des rites de réparation maréchalistes. S’agit-il dès lors de le rapprocher de Pétain, inhumé lui aussi dans un village de France ? L’inspiré mausolée monarchique créé à Colombey-les-Deux-Églises[48] [48] Cf. Maurice Agulhon, De Gaulle histoire, symbole, mythe,...
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ne souffre pas la comparaison avec le symbolisme artificieux et imposé de l’île d’Yeu. Le granit de la Haute-Marne tranche avec le corps en transit (certainement éternel) vers Douaumont et dont les mânes continuent de perturber le pays. À ce titre, les initiatives de l’archevêque de Paris en 1951 ressemblaient fort à celles qui, en février 1973, conduisirent quelques extrémistes à soustraire la dépouille de Pétain pour la ramener sur le continent. Ces pâles tentatives ne pouvaient rivaliser avec la sacralisation maîtrisée par de Gaulle parvenant lors de son enterrement à réactiver la représentation fondamentale des « deux corps du Roi[49] [49] La fameuse distinction d’Ernst Kantorowicz n’a pas cessé...
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 ». À Colombey, correspondait la première phase du deuil, celle de la séparation physique grâce à la visibilité du cercueil. À Notre-Dame privée de catafalque, l’absent était pour la France et même le monde celui qui était le plus présent. Il avait ainsi fait accepter et imposer durablement sa disparition. Mgr Feltin, invalide de 92 ans chez les religieuses des Annonciades à Thiais, avait certainement regardé à la télévision, ce 12 novembre 1970, la messe de Requiem. Il avait entendu son successeur, Mgr Marty, lire des phrases de de Gaulle sur la mort[50] [50] Jean Lacouture, De Gaulle, tome 3, Le souverain, Paris,...
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. L’épiscopat avait enfin changé : il ne citait plus le Maréchal.

39

Notes

[ 1] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, L’unité, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, p. 573 [1re édition 1956 chez Plon].Retour

[ 2] Cf. parmi d’autres l’archevêque de Besançon, au patriotisme sans faille, Mgr Dubourg : « Mise en garde », Semaine religieuse du diocèse de Besançon, 6 juin 1940, n° 23.Retour

[ 3] « Église cathédrale. Le Maréchal Pétain à la messe du 11 novembre », Semaine religieuse du diocèse de Clermont, 16 novembre 1940, n° 46.Retour

[ 4] « Le Pèlerinage national de M. le Maréchal Pétain à N.-D. du Puy », Semaine religieuse du Puy-en-Velay, 7 mars 1941 et 14 mars 1941, nos 23 et 24.Retour

[ 5] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre…, op. cit., p. 576.Retour

[ 6] Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2000 [1re édition 1993], 489 p.Retour

[ 7] « Courrier reçu et expédié 1942-1949 », lettre du 7 septembre 1944, Archives historiques de l’archevêché de Paris 1D XIV 10.Retour

[ 8] Lettre de l’évêque de Lille à Mgr Suhard, en date du 20 octobre 1944, ibid., 1D XIV 1.Retour

[ 9] Qualificatif choisi par Mgr Feltin pour qualifier le Suhard de la Libération, au moment de sa mort [« Post-mortem… », lettre du 1er juin 1949, ibid., 1D XIV 27].Retour

[ 10] Lettre du 14 septembre 1944, ibid., 1D XIV 10.Retour

[ 11] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 601.Retour

[ 12] Lettre du 3 octobre 1944, AHAP 1D XIV 10.Retour

[ 13] Dominique Veillon et Laurent Douzou, « Les déplacements du général de Gaulle à travers la France », Actes du colloque d’octobre 1994, Le rétablissement de la légalité républicaine 1944, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996, p. 661.Retour

[ 14] Il ne s’agit ici bien entendu que de l’enveloppe. Pour mesurer l’influence du catholicisme sur la philosophie politique du personnage, lire Philippe Portier, « Le général de Gaulle et le catholicisme. Pour une autre interprétation de la pensée gaullienne », Revue historique, avril-juin 1997, n° 602, p. 533-562.Retour

[ 15] « Après les funérailles de S.E. le cardinal Suhard », Semaine religieuse du diocèse de Lille, 19 juin 1949, n° 23.Retour

[ 16] « Son Éminence le Cardinal Suhard », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 3 juin 1949, n° 28.Retour

[ 17] « Les forces religieuses » in Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994, p. 126.Retour

[ 18] « Quand Mgr Feltin le nouvel archevêque de Paris encensait Pétain et son ordre », numéro du mercredi 17 août 1949.Retour

[ 19] Encore plus symboliquement, Mgr Feltin accueillit Bidault, alors président du Conseil, pour la cérémonie qu’il avait créée : la messe de rentrée des Assemblées.Retour

[ 20] Henry Rousso, « La Seconde Guerre mondiale dans la mémoire des droites », in Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France. 2 Cultures, Paris, Fayard, 1984, p. 566-567.Retour

[ 21] Cf. Étienne Fouilloux, « Extraordinaire ambassadeur ? Paris 1944-1953 », in Jean XXIII devant l’histoire, Paris, Le Seuil, 1989, p. 49-83.Retour

[ 22] « Allocution prononcée par Son Excellence Mgr l’Archevêque à la Messe pour le 35e anniversaire de la Bataille de Verdun », Semaine religieuse du diocèse de Paris, 3 mars 1951. Le Monde du 27 février rapporta également l’intervention.Retour

[ 23] Jacques Isorni, Mémoires 1946-1958, Paris, Robert Laffont, 1986, p. 318.Retour

[ 24] Que l’on songe au de Gaulle des premiers temps du RPF, jusqu’à l’affaire Rémy de 1950.Retour

[ 25] Chemise « Verdun 35e anniversaire », lettre du 26 février 1951, AHAP 1D XV 19.Retour

[ 26] « Incidents à Notre-Dame », Le Figaro, 26 février 1951, n° 2012.Retour

[ 27] Tel assureur de Saint-Ouen écrivit sa satisfaction à Mgr Feltin sur une feuille de correspondance commerciale, avec au-dessus des adresses et téléphones professionnels, l’objet du courrier – « Verdun »Retour

[ 28] Ce n’est pas un hasard si le fétichisme iconographique reconnu aux maréchalistes s’ouvrait au portrait d’évêque en majesté.Retour

[ 29] Les temps ont bien changé depuis le début des années 1930, lorsque les chroniqueurs de L’Action française tiraient à boulets rouges sur la nouvelle génération d’évêques nommés par Pie XI et le nonce Maglione dont Mgr Feltin était un des plus jeunes représentants.Retour

[ 30] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1987, p. 55.Retour

[ 31] « Réflexions sur un anniversaire », numéro du 27 février 1951.Retour

[ 32] La Croix s’est arrêté longuement sur ce voyage.Retour

[ 33] « Paroles prononcées par SE Mgr l’Évêque au service funèbre du Maréchal Pétain, le dimanche 30 juillet », Vie diocésaine de Moulins, 12 août 1951, n° 219.Retour

[ 34] Mc 16,10.Retour

[ 35] Mort périphérique, non commémorée par le gouvernement de la Quatrième, d’un autre Père…Retour

[ 36] Publiée par La Croix et reprise par la plupart des Semaines religieuses, cette intervention, qui avait eu le temps d’être préparée à l’avance, eut peu d’écho dans la grande presse. Elle montrait l’unanimité de l’épiscopat puisque le nom du cardinal Saliège était s’associé à cette déclaration très maréchaliste.Retour

[ 37] « Le président Auriol réplique à Mgr Feltin », Franc-Tireur, 22 octobre 1951.Retour

[ 38] Comme les obsèques nationales qu’il décréta pour Leclerc en 1947, et bientôt pour de Lattre en janvier 1952, avant de leur donner le titre de maréchaux.Retour

[ 39] Cf. Sylvie Cohen, Paris dans l’imaginaire national de l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 38-44.Retour

[ 40] AHAP 1D XV 19 op. cit., sous-chemise « maréchal Pétain ».Retour

[ 41] Après la messe du 27 octobre, Albert Béguin contesta publiquement cette initiative de la hiérarchie catholique « Communion des pécheurs ou rassemblement des bonnes consciences », Esprit, décembre 1951, n° 12, p. 813-814. Son intervention clôturait une année de mobilisation contre Pétain dans la revue [cf. les articles de Jean Lacroix et Joseph Vialatoux sur le « mythe Pétain » dans les numéros de septembre et novembre].Retour

[ 42] Sur le théologien martyr du Vercors, lire É. Fouilloux, Yves de Montcheuil : philosophe et théologien jésuite, 1900-1944, Paris, Media Sèvres, 1995, 103 p.Retour

[ 43] « À la République, l’archevêque de Paris préfère “l’ordre moral de Vichy” », Le Populaire de Paris, 25 octobre 1951.Retour

[ 44] Franc-Tireur, 27-28 octobre 1951. Le journal avait tout de même l’audace de publier un long extrait d’un « austère écrivain de droite » – Bernanos – après un titre digne du Canard enchaîné : « Mgr Feltin, de l’ordre des Francisquains ».Retour

[ 45] Dès les Rameaux 1945, Notre-Dame s’était érigée comme espace de contestation de la justice française. Le jour de la lecture de la Passion du Christ, le prédicateur des Conférences de carême Panici sj fustigea la « culture de la haine » entretenue par l’épuration. À la suite de ce discours, de Menthon et Teitgen obtinrent sa démission.Retour

[ 46] « Messe pour le Maréchal Pétain », Semaine religieuse du diocèse de Paris, 3 novembre 1951, n° 5086.Retour

[ 47] Julien Green, Paris, Paris, Champ Vallon, 1983, p. 56.Retour

[ 48] Cf. Maurice Agulhon, De Gaulle histoire, symbole, mythe, Paris, Plon, 2000, 163 p.Retour

[ 49] La fameuse distinction d’Ernst Kantorowicz n’a pas cessé d’inspirer les historiens cérémonialistes. Cf. en particulier pour l’époque contemporaine Jacques Julliard et Danièle Hervieu-Léger, La mort du roi. Essai d’ethnographie politique comparée, Paris, Gallimard, 2000, 362 p.Retour

[ 50] Jean Lacouture, De Gaulle, tome 3, Le souverain, Paris, Le Seuil, 1986, p. 782-797.Retour

[ *] Frédéric Le Moigne est l’auteur d’une thèse dirigée par Michel Lagrée à l’université de Rennes-2, soutenue en novembre 2000 et intitulée Groupes et individus dans l’épiscopat français (1930-1960). Enseignant à l’université catholique de l’Ouest-Bretagne Sud (Vannes), il travaille actuellement sur la génération « ancien combattant » et sur la hiérarchie catholique française sous Pie XI et Pie XII.Retour

Résumé

La cathédrale de Paris fut investie d’enjeux politiques sous le régime de Vichy et après la deuxième guerre mondiale. Le 26 août 1944, le général de Gaulle y entra en vainqueur, et en l’absence du cardinal Suhard. La mise à l’écart du prélat qui, quatre mois plus tôt, y avait accueilli Pétain et fait allégeance au régime, représentait une humiliation pour la hiérarchie catholique. Celle-ci s’était volontiers prêtée au souhait de l’État français de recevoir sa bénédiction. Quand les voyages du maréchal à travers la France avaient pour étapes les cathédrales, elles étaient apparues comme les lieux privilégiés de la sacralité d’État. À la libération, le corps épiscopal, bien que l’épuration soit très limitée en son sein, ne pouvait tolérer l’affront fait au cardinal Suhard. Le cardinal Feltin fut le bras de sa revanche. À Notre-Dame de Paris, le 25 février 1951, alors que l’on célébrait le 35e anniversaire de la bataille de Verdun, il faisait applaudir le nom du maréchal et, le 27 octobre 1951, il y célébrait une messe anniversaire en son honneur. Ces cérémonies déclenchèrent de vives protestations des associations de résistants. En 1970, les obsèques du général de Gaulle eurent lieu dans l’intimité de Colombey-les-Deux Églises. À Notre-Dame de Paris le successeur de Feltin, Mgr Marty, lut quelques phrases du général disparu. L’épiscopat, désormais, ne citait plus le maréchal.



The Paris cathedral was invested with political stakes under the Vichy regime and after the Second World War. On August 26, 1944, General de Gaulle made a triumphant entry without Cardinal Suhard. The dismissal of the primate who had welcomed Pétain and sworn allegiance to the regime four months earlier was a humiliation for the Catholic hierarchy. It had willingly agreed to the desire of the French government to receive its blessing. The cathedrals that the marshal stopped at during his trips through France took on the appearance of holy State places.
At Liberation, even though the episcopal body had not gone through much of a cleaning out, it couldn’t accept the insult to Cardinal Suhard. Cardinal Feltin was the arm of his retaliation. On February 25, 1951 at Notre Dame of Paris, while the 35th anniversary of the Verdun battle was being celebrated, he had the name of the marshal applauded, and on October 27, 1951, he celebrated an anniversary mass in his honor. These ceremonies triggered strong protests from resistance associations. In 1970, General de Gaulle’s funeral took place in the privacy of Colombey-les-Deux Eglises. At Notre Dame of Paris, Feltin’s successor, Monsignor Marty, read several sentences from the deceased general. From then on, the hierarchy no longer mentioned the name of the marshal.

PLAN DE L'ARTICLE


POUR CITER CET ARTICLE

Frédéric Le Moigne « 1944-1951 : Les deux corps de Notre-Dame de Paris », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2/2003 (no 78), p. 75-88.