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« Cebenna fĂȘte ses 10 printemps » - 6 juin 2004
..................................... ACTE IV .....................................
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LA FERMETURE DE LA MĂDITERRANĂE
par
J
EAN
-C
LAUDE
BOUSQUET
Docteur Ăšs-Sciences
Maßtre de conférences honoraire - Université de Montpellier
Dans le monde antique, la Méditerranée était considérée
comme la « mer au milieu des terres». Si notre vision du monde
a bien changĂ© depuis, il nâen reste pas moins que la MĂ©diterranĂ©e
occupe une position bien particuliĂšre, puisquâelle est comprise
entre deux grands continents, lâEurope et lâAfrique. Ă lâheure
actuelle, lâorigine des ocĂ©ans a Ă©tĂ© Ă©tablie et leur naissance ou leur
disparition sâexplique par les mĂ©canismes gĂ©nĂ©raux dont lâensemble
constitue la « tectonique des plaques ». En Méditerranée, ces
nouveaux concepts ont permis de réinterpréter les nombreuses
données accumulées par plusieurs générations de géologues et
dâinciter Ă de nouvelles recherches dans les sciences de la Terre. Des
études océanographiques, des forages profonds et des campagnes
de sismologie, gravimétrie et paléomagnétisme ont permis de mieux
comprendre la véritable nature des fonds marins de la Méditerranée.
Cette connaissance plus approfondie de la situation actuelle permet
de mieux comprendre le passé géologique de la Méditerranée et
mĂȘme dâanticiper sur son futur.
Maintenant, tous les grands traits de la géologie méditer-
ranĂ©enne (ïŹg.1) apparaissent comme les rĂ©sultats dâune succession
logique dâĂ©tapes gouvernĂ©es par les mouvements relatifs de lâAfrique
et de lâEurope. Câest en fonction de cette histoire gĂ©ologique que la
répartition des différents espaces marins, séparés par des péninsules
et des Ăźles, la place des chaĂźnes de montagnes alpines par rapport
aux massifs de roches anciennes peuvent ĂȘtre expliquĂ©s. De mĂȘme
la localisation des volcans, comme celle des séismes majeurs, est
ïŹxĂ©e par les mĂ©canismes gĂ©nĂ©raux qui gouvernent Ă lâheure actuelle
le déplacement des plaques en Méditerranée.
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UNE HISTOIRE DE 200 MILLIONS DâANNĂES
Auparavant !es continents étaient tous soudés, aprÚs la
formation dâune chaĂźne de montagnes considĂ©rable, la « chaĂźne
palĂ©ozoĂŻque », dont les roches des environs dâOlargues font partie.
Le supercontinent ainsi formé, appelé Pangée, était échancré vers
lâest par le trĂšs grand golfe de la PalĂ©othĂ©thys (ïŹg.2a). LâĂ©clatement
de la Pangée débute entre les futurs continents nord-américain et
africain avec la naissance de la partie centrale de lâocĂ©an Atlantique
(ïŹg.2b). Dans le mĂȘme temps, Ă partir de -200 millions dâannĂ©es,
un espace ocĂ©anique sâouvre entre lâEurope et lâAfrique, la TĂ©thys,
appelée aussi Téthys ligure, puis, un autre plus méridional, la
MĂ©sogĂ©e. Lâhistoire de ces prĂ©curseurs de la MĂ©diterranĂ©e sera
ensuite gouvernée par les mouvements des plaques eurasiatique et
africaine, dont les déplacements sont continus à partir des différentes
Ă©tapes de la formation de lâocĂ©an Atlantique (ïŹg.3). Tout dâabord
seul, lâAtlantique central sâouvre peu Ă peu. Le continent africain se
dĂ©place relativement Ă lâEurope de 1200 kilomĂštres vers lâest-sud
est. Puis la naissance de lâAtlantique sud provoque un changement
majeur au niveau de la future Méditerranée : à partir de -80 millions
dâannĂ©es, lâAfrique et lâEurope commence Ă converger. Cela entraĂźne
la disparition de la Téthys par « subduction » (enfoncement oblique
dâune plaque au sein du manteau) et le dĂ©but de la formation
des chaßnes de montagnes qui bordent la Méditerranée actuelle.
Appelées au sens large « chaßnes alpines », ces régions plissées ont
une structure complexe : en leur sein (Alpes, Apennin, Dinarides,
Chypre,...) des roches (« ophiolites ») du plancher océanique de la
Téthys sont alors coincées entre les blocs continentaux, en cours de
collision.
Quant Ă la PalĂ©othĂ©thys, elle sâenfonce plus prĂ©cocement,
elle aussi par subduction, et, Ă lâest du domaine mĂ©diterranĂ©en, elle a
disparu vers -40 millions dâannĂ©es, non sans provoquer la naissance de
la mer Noire et de la Caspienne. En effet, malgré le rapprochement des
plaques, de nouveaux fonds océaniques sont créés car les subductions
peuvent ĂȘtre accompagnĂ©es par un Ă©tirement de la plaque qui les
surmonte. Seule la MĂ©diterranĂ©e orientale (Ă lâest de la Sicile : mer
ionienne et mer du Levant) est considérée comme un vestige de la
Mésogée, alors que les autres parties profondes de la Méditerranée
sont bien plus jeunes. Câest tout dâabord le bassin algĂ©ro-provençal,
du golfe du Lion Ă la mer dâAlboran et les cĂŽtes du Maghreb, qui va
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naĂźtre entre -25 et -15 millions dâannĂ©es. Sa formation entraĂźne la
séparation de la marge continentale provençale et languedocienne
dâun bloc continental qui aprĂšs migration correspond Ă celui de la
Corse et la Sardaigne. Plus jeune, la mer Tyrrhénienne possÚde dans
ses parties les plus profondes une croĂ»te ocĂ©anique datĂ©e de -7 Ă
-6 millions dâannĂ©es et de seulement un ou deux millions dâannĂ©es
vers les Ăźles Eoliennes. Responsable de la formation de cet espace
océanique, la subduction de la Mésogée sous la péninsule italienne
est encore active au niveau de la Calabre. De mĂȘme, vers lâest, le
plancher océanique de la mer ionienne disparaßt progressivement
sous la CrĂȘte. En retour, depuis quelques millions dâannĂ©es, la croĂ»te
continentale est Ă©tirĂ©e et amincie en mer ĂgĂ©e. Pendant que ces
subductions provoquent donc lâapparition de nouveaux espaces
ocĂ©aniques qui ne compensent quâen partie la disparition des
océans anciens, les convergences Europe Afrique se manifestent
par le plissement de nouveaux secteurs en bordure des chaĂźnes de
montagnes précédentes.
LA DYNAMIQUE ACTUELLE
Comme en témoigne volcans et tremblements de terre, les
forces engendrĂ©es par le rapprochement des plaques sâexercent
sur le domaine mĂ©diterranĂ©en. La convergence serait de lâordre du
centimĂštre par an vers Gibraltar et de 2,5 centimĂštres par an vers
le Moyen-Orient (ïŹg.4). LĂ , depuis lâouverture de la mer Rouge qui a
sĂ©parĂ© lâArabie de lâAfrique, une nouvelle plaque intervient : la plaque
arabique. Elle est entrée en collision depuis de nombreux millions
dâannĂ©es avec la plaque eurasiatique, alors quâĂ lâautre extrĂ©mitĂ©
de la mĂ©diterranĂ©e, câest la plaque africaine qui se heurte avec
cette derniÚre. Les croûtes continentales en contact à Gibraltar
se déforment solidairement, de grandes failles de direction NE-SW
passant du Rif marocain au Levant espagnol, en traversant la mer
dâAlboran. Plus Ă lâest, un lĂ©ger approfondissement des fonds marins
le long de la cÎte algérienne, marquerait selon certaines hypothÚses
le début de la subduction du bassin algéro-provençal sous la
plaque africaine. Par contre, de la Calabre Ă Chypre, câest cette
derniĂšre qui au contraire passe encore sous la plaque eurasiatique
LE FUTUR DE LA MĂDITERRANĂE
La connaissance de la dynamique actuelle et passée du
domaine mĂ©diterranĂ©en permet dâextrapoler et de chercher Ă
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prĂ©ciser le futur de la MĂ©diterranĂ©e dans vingt millions dâannĂ©es.
Si la convergence des plaques sây maintient au rythme de 1 Ă 2 cm
par an câest au total un rapprochement de 200 Ă 400 kilomĂštres
qui doit ĂȘtre envisagĂ©. Plusieurs mĂ©canismes dĂ©jĂ en cours vont
permettre de « lâabsorber » (ïŹg.5). Les secteurs de montagne en
cours de plissement continueront à croßtre au détriment de leurs
piémonts. Le développement face à face des chaßnes des Apennins
et des Dinarides aboutira à une seule zone plissée, dont fera partie
lâespace occupĂ© par la mer Adriatique. De mĂȘme les montagnes du
Rif et celles des CordillĂšres BĂ©tiques ne seront plus quâune seule et
mĂȘme chaĂźne de montagnes y compris Ă lâemplacement de la mer
dâAlboran. TrĂšs tĂŽt, la disparition du dĂ©troit de Gibraltar fermera
les communications avec lâAtlantique, avec les mĂȘmes consĂ©quences
que la « crise » du Messinien, il y a 6 millions dâannĂ©es, responsable
alors de lâassĂšchement de la MĂ©diterranĂ©e.
Coincés entre les secteurs à croûte continentale, les espaces
à croûte océanique connaßtront des fortunes diverses. Ceux de la
mer du Levant et de la mer Ionnienne vont continuer Ă disparaĂźtre
par subduction. En consĂ©quence, lâaffrontement direct de la Libye et
de la CrĂšte, appartenant respectivement Ă la plaque africaine et Ă
la plaque europĂ©enne entraĂźne lâapparition de montagnes formĂ©es
en grande partie de lâactuelle « ride mĂ©diterranĂ©enne », pour le
moment accumulation sous marin de sédiments déformés (prisme
dâaccrĂ©tion) dans les subductions calabraise et Ă©gĂ©enne. Au-dessus
de cette derniÚre, la croûte continentale amincie de la mer Egée sera
associée à un nouveau secteur océanique. Quand au bassin algéro-
provençal, sa subduction naissante sous la partie centrale du Maghreb
sera limitée entre les collisions entre les croûtes continentales des
plaques europĂ©ennes et africaines Ă lâouest, comme Ă lâest. Cet
affrontement, commencĂ© entre la Tunisie et la Sicile dâune part et le
bloc corso-sarde, augmentera le rÎle de « poinçon » de ce dernier
au niveau de lâApennin ligure et des Alpes franco-italiennes. Vers
lâouest, il aura pour consĂ©quence lâĂ©jection vers lâAtlantique dâune
grande partie de lâIbĂ©rie, placĂ©e entre les grandes failles de Sud-est
de lâEspagne et la faille nord pyrĂ©nĂ©enne, trĂšs grande discontinuitĂ©
des PyrĂ©nĂ©es. La poussĂ©e de ce bloc continental vers lâAtlantique
déclenchera à ce niveau sa subduction. Elle serait déjà amorcée
dâailleurs, dâaprĂšs certains gĂ©ologues portugais.
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« Cebenna fĂȘte ses 10 printemps » - 6 juin 2004
Fig.1. : GĂ©ologie de la MĂ©diterranĂ©e actuelle (dâaprĂšs J.C. Bousquet et H. Philip).
Fig.2. : a-La Pangée ; b-La naissance de la
ThĂ©thys (dâaprĂšs M. Lemoine, 1984).
Fig.3. : Les mouvements relatifs de lâAfrique, de lâEspagne et de lâEurope
(dâaprĂšs OLIVET et al. 1981, dessins simpliïŹĂ©s).
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Fig.5. : «La fermeture de la Méditerranée».
Fig.4. : Les limites de plaques en MĂ©diterranĂ©e (dâaprĂšs J.C. Bousquet et H. Philip).