Le Journal des arts, mars 1997, p. 1, p. 34 et pp. 38-39

Temps de crachin sur les musées

Accusée de manquer de diligence pour retrouver les propriétaires des oeuvres récupérées en Allemagne après la guerre, la Direction des musées de France (DMF) va exposer 900 "MNR" dès le mois prochain. Par ailleurs, sa gestion des collections nationales est critiquée dans le dernier rapport de la Cour des comptes.
Du virtuel au réel. La préparation d'un catalogue et une présentation sur Internet n'ont visiblement pas suffit au ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, qui a voulu une exposition réelle en espérant qu'elle calmera le jeu dans la polémique sur les biens spoliés. [...] 2 058 MNR sont actuellement conservés par la DMF. Leur dernière exposition au château de Compiègne, qui avait abouti à une trentaine de restitutions, remonte à plus de quarante ans.


La Cour des comptes accuse les musées

La contreverse sur le sort des biens juifs, durant et après la Seconde Guerre mondiale, a rebondi avec le rapport provisoire d'une enquête menée par la Cour des comptes. [...]
Françoise Cachin, directeur des musées de France, a été révoltée par l'inteprétation "proprement scandaleuse" de certains journaux qui ont tiré profit de ce document pour "laisser soupçonner les musées d'avoir voulu à leur tour spolier les familles juives". [...] Dans sa réponse à la Cour des comptes [...] la DMF précise "s'être toujours interdit de se considérer comme propriétaire de ces oeuvres". Elle estime avoir "scrupuleusement respecté le décret" de 1949 qui "ne prévoyait nullement la publication de ces inventaires, ni un travail de recherche sur l'origine et l'identification des propriétaires". "L'exposition de Compiègne, poursuit-elle, avait été accompagnée de toute l'information nécessaire, notamment par voie de presse". "Toutefois la qualité inégale de ces oeuvres et l'espace considérable qu'une telle exposition exigeait ne nous a pas permis de la pérenniser". [...]


Dations, exportations, droit de suite, loto, "MNR"... Philippe Douste-Blazy s'explique

[...] Au sujet des MNR, êtes-vous satisfait des explications fournies par la Direction des musées de France ou comptez-vous prendre des initiatives pour aller plus loin ? La Cour des comptes a rédigé un relevé de conclusions provisoires sévère.
Je ne laisserai pas sous-entendre que l'Etat a spolié des oeuvres. C'est faux. Aujourd'hui, il reste, dans les musées, exactement 2 058 oeuvres provenant de la récupération artistique, sur plus de 60 000 récupérées en 1945. Ces oeuvres sont inscrites sur des inventaires spéciaux. Elles sont détenues par les musées de manière temporaire et n'appartiennent en aucun cas à l'Etat ! Lorsqu'elles sont exposées, le sigle "MNR" figure en toutes lettres. J'ai demandé qu'elles soient en permanence accessible sur Internet pour que les ayants droit éventuels puissent les retrouver et les réclamer, et cela a été fait l'année dernière. Nous sommes en train de réaliser un catalogue scientifique des MNR, qui mettra notamment en lumière ce que nous pouvons savoir des propriétaires originels de ces oeuvres et qui facilitera les recherches des ayants droit. Le groupe de travail sur les biens juifs spoliés pendant l'Occupation que le Premier Ministre a décidé de constituer va d'ailleurs nous aider à achever ce travail considérable.
La situation juridique des MNR n'est pas claire. Envisagez-vous un texte pour leur donner une base juridique ? Ne faudrait-il pas supprimer par voie législative toute prescription civile pour les actions en revendication portant sur les biens spoliés pendant la guerre ?
C'est le groupe de travail sur les biens juifs spoliés qui pourra le dire. Mais pour ce qui est des MNR, je ne crois pas que ce soit nécessaire car la loi est parfaitement claire : il n'y a aucune prescription. l'Etat n'est pas propriétaire de ces oeuvres et reste perpétuellement leur détenteur précaire. Les ayants drooit peuvent et pourront toujours les revendiquer s'ils s'y estiment fondés, sans qu'aucun délai de prescription ne leur soit opposable. [...]

Propos recueillis par Emmanuel Fessy




Le Figaro, 1 mars 1997

La fin d'un loud secret
900 pièces seront exposées dès avril au Louvre, à Orsay et au Centre Pompidou

Le sujet est toujours sensible. Mais la Direction des musées de France (DMF), souvent critiquée pour son peu d'empressement à restituer les oeuvres d'art dites MNR (Musées nationaux récupération) a décidé d'agir "dans un souci de transparence". Philippe Douste-Blazy a récemment annoncé l'exposition de 900 "oeuvres récupérées" en Allemagne après la guerre par les Musées nationaux [...]. Aujourd'hui 45 000 MNR ont été rendues à leurs propriétaires. Il en reste 1 944 dans les musées de France.
"Beaucoup de pièces sont en province, et il faut du temps pour les rassembler" signale la DMF, chargée d'organiser cette présentation exceptionnelle. [...]
Depuis quelques semaines, les conservateurs des musées nationaux ont les moyens de compléter les historiques des objets d'art. Ils ont accès à l'ensemble des archives de la résistante Rose Valland en dépôt au ministère des Affaires étrangères depuis 1991 : ces Archives de la récupération artistique comprennent 800 cartons. [...] Philippe Douste-Blazy souhaite qu'un projet de loi pour une ouverture plus rapide des archives soit présenté "pour le printemps". La loi actuellement en vigueur ne permet leur ouverture qu'au bout de soixante ans.
C'est au Louvre, dès le 9 avril, que seront rassemblés la majorité des oeuvres : environ 550 tableaux, dessins, sculptures, antiquités et objets d'art. [...] A la même date, le Musée national de céramique de Sèvres proposera quelque 150 pièces [...]. Le 8 avril, Orsay aura réuni environ 70 oeuvres.
Le Centre Georges Pompidou présentera 39 MNR du 9 au 21 avril. Elles sont conservées sur place pour la plupart. [...]

Nathalie Simon




Daily News Bulletin, 3 mars 1997

French museums to exhibit 900 works taken during WWII

Four French museums have announced special exhibits of some 900 works of art that the Nazis took from France during Worl War II. Some of the works might have been looted from Jews, and organizers of the exhibits said they hoped that such of pieces would be claimed by their rightful owners. The exhibits, wich include works by Picasso, Cezanne and Matisse, will open April 9 at the Louvre, the Musee d'Orsay, the Pompidou Centre and the Musee National de la Ceramique.
The event comes in the wake of a report by France's state spending watchdog accusing the national museum network of having made little or no effort to return some 1,995 works of art were entrusted to them shortly after the end of the war. The museums were required by law to try to locate the owners or heirs of the art.
In addition, the French government recently announced that it would conduct a probe into the Jewish property seized during the World War II.
Jewish leaders welcomed the decision to hold the exhibits. "The fact that the state museums are exhibiting theses paintings, whose origins remain unknown, and even shady, can be considered as a necessary step forward", said Marcel Goldstein, vice president of CRIF, France's umbrella group of secular Jewish organizations. French Jewish leaders had been astonished at recent revelations that French national museums had failed to seek the rightful owners of the precious works.
The 900 works will be displayed with a record of historical back-ground that might help in locating their rightful owners.
Some of the works are believed to have been seized from Jews who were deported to concentration camps or fleeing persecution. Others might have been sold to German officers by art dealers who collaborated with the wartime regime.

Lee Yanowitch




Gießener Allgemeine, 3 mars 1997

Frankreich stellt einst beschlagnahmte Bilder aus

In Franckreichs staatlichen Museen sollen 900 Werke französischer Sammler ausgestellt werden, die in Zweiten Weltkrieg von Deutschen aufgekauft oder beschlagnahmt wurden. Auf diesem Weg hofft man, die ursprünglichen Besitzer der Kunstwerke wiederzufinden, wie Sprecher Robert Fohr am Freitag sagte.
Dir Bilder, darunter Werke von Henri Matisse, Pablo Picasso und Edouard Manet, wurden den Angaben zufolge während des Krieges an die deutschen Besatzer unter Bedingungen varkauft, die die Alliierten als illegal werteten.
1943 unterzeichneten Frankreich, die USA und ihre Verbündeten einen Vertrag, mit dem die "unter dem Zwang der Besatzungsmacht getätigten" Bilderverkäufe für ungültig erklärt wurden. Rund 75 Prozent der Werken wurde laut Fohr "von Nazis gekauft, die Geld hatten wir heu", die übrigen beschlagnahmten die Deutschen von deportierten Juden.
Von den 45 000 Werken aus ehemaligem französischen Besitz, die nach dem Krieg in Deutschland gefunden wurden, gingen 1 944 bis heute nicht an ihre ursprünglichen Besittzer oder deren Erben züruck. Seit 1949 sind sie im Besitz der staatlichen französischen Museen. Ab April soll nun ein Teil der Werke zunächst im Louvre, im Museum Orsay und im Centre Georges Pompidou in Paris zu sehen sein.


Schwarawälder Bote, 3 mars 1997

Beschlagnahmte Bilder in Frankreich zu sehen


Die Rheinpfalz, 3 mars 1997

Noch eine Ausstellung zum Thema "Beutekunst"




International Herald Tribune, 6 mars 1997

France to Exhibit Art Taken by Nazis


Jewish World, 6 mars 1997

French Museums slate exhibit of art stolen by Nazis during WWII


Jewish Exponent, 6 mars 1997

Delayed Response
Museums will exhibit art looted during WWII

The artworks will be displayed with records of historical background that might help in locating their rightful owners


Washington Jewish Week, 6 mars 1997

Exhibit stolen art
Rightful owners cam make claims
by Lee Yanowitch




Observer, 14 mars 1997

French Museums to Exhibit Works Taken in War
by Lee Yanowitch




Boston Sunday Globe, 16 mars 1997, p. 1 et p. 22

The "Lost" Masterpieces
In France, an uneasy look inward
by Walter V. Robinson




Valeurs de l'art, mars-avril 1997

Le Musée disparu

Les années 1939-1945 furent très peu prospères sous l'angle de la tranquillité, comme chacun ne l'ignore pas. Par contre, le marché de l'art fut florissant et jouit d'une très grande prospérité. Il faut dire qu'il y avait afflux d'oeuvres à acheter, vendre, à revendre et à exporter. [...] Il se trouve aussi que le grand führer de l'Allemagne était un amateur d'art [...]. Il se trouve que Goering, le numéro deux du régime, était aussi un grand amateur d'art. Pas moins, d'ailleurs, qu'Otto Abetz, l'Ambassadeur du Reich, ou Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères. les grands du régime travaillaient aussi pour leur propre compte, sous couvert de faire plaisir à leur Führer en lui ramenant des oeuvres pour son projet de grand musée à Linz. Si le projet ne vit jamais le jour, le pillage officiel des collections d'art appartenant à des Français juifs, lui, fut systématiquement et radicalement mis en acte.
C'est ce que nous raconte Hector Feliciano dans Le Musée disparu. [...]
Les grandes collections, ce sont celles de Paul Rosenberg, des familles Rothschild, celle de Bernheim-Jeune, de David-Weil et celle d'Alphonse Schloss. [...] Le Reich inventa un service particulier, l'ERR, service officiel de confiscations des biens juifs et francs-maçons, dirigé par Alfred Rosenberg dans l'Europe occupée. En France, il dépendait d'Otto Abetz. [...]
Lors donc, les collections citées plus haut furent pillées. La plupart des oeuvres étaient stockées au Jeu de paume. Une soixantaine de fonctionnaires de l'ERR classaient, inventoriaient et expédiaient en Allemagne par trains entiers [...].
On imagine que le stock du Jeu de paume attirait du monde. Du monde français, et dont le métier était de vendre et d'acheter des oeuvres d'art. De vendre et d'acheter à l'occupant. Les affaires sont les affaires ! Et les affaires étaient justement très bonnes. Car toutes les oeuvres pillées n'étaient pas destinées à l'Allemagne. Hitler et Goering, ainsi que les conservateurs des musées allemands n'appréciaient que les oeuvres allemandes ou celles des artistes du Nord ou antérieures à l'art moderne, selon les goûts du régime. Les artistes "dégénérés" devenaient donc valeurs d'échange. [...] Il fut donc bientôt aisé pour des acheteurs sans scrupules et qui savaient parfaitement que telle oeuvre provenait de telle collection spoliée, et très connue avant la guerre, d'échanger les maîtres anciens contre des peintures modernes, dans des conditions plus ou moins juteuses. [...]
N'oublions pas un autre secteur très actif. Le commissariat français aux affaires juives, dirigé par Darquier et Pellepoix qui, sous l'hypocrite raison de "sauver" le patrimoine français, était concurent de l'ERR pour le pillage des collections juives. Tout ce beau monde magouillait et piétinait dans l'abjection la plus officielle... et publique.
Mais la guerre prit fin. [...] Une commission alliée fut mise en place et grosso modo, 70 à 80 % des oeuvres des grandes collections furent rapatriées et rendues à leurs propriétaires [...]
Une autre catégorie d'oeuvres rapatriées en France par la Commission de récupération est constituée par ce qu'on nomme les MNR (Musées nationaux récupération). Ces oeuvres, bien qu'exposées, cataloguées après la guerre, n'ont jamais été réclamée par leurs anciens propriétaires. Certains sont morts sans doute et leurs héritiers ignorent qu'ils possédaient telle oeuvre repertoriée MNR. D'autres peut-être, ne veulent pas se faire connaître pour des raisons moins claires. [...] Parmi ces MNR figurent quelques chefs-d'oeuvre, dont des Courbet.
Hector Feliciano, dans un récent colloque au Louvre, le 17 novembre 1996, s'est inquiété du peu de pugnacité des musées dans la recherche des éventuels propriétaires de ces oeuvres au statut précaire [...]. Ce livre ajoute des éléments à un dossier dont la plus grosse partie est encore immergée. Les oeuvres d'art pillées par les nazis pendant la guerre dérangent. [...]

A. Calonne