Numérisation et cinéma :
Bilan et perspectives
Gilles Le Blanc
Séminaire d’économie et d’histoire de la numérisation
EHESS-CERNA
9 février 2005
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
2
• Les ventes de DVD dépassent les recettes des salles de cinéma
• Comment placer la VoD dans la chronologie des médias ?
•
Un long dimanche de fiançailles
a sauvé Duboi de la faillite
• Téléchargement massif des films sur les réseaux P2P
• Dépenses croissantes d’équipements audiovisuels domestiques
• Perennité du dispositif français de financement du cinéma ?
Quelques questions d’actualité
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
3
Problématique
• La numérisation, ie l’adoption et la diffusion des technologies
numériques dans un secteur d’activité économique, est un processus…
• Empruntant des trajectoires multiples et parallèles…
• En cours, engagé depuis longtemps (avant l’explosion d’internet) et
encore à ses débuts (prolifération, sélection des trajectoires),
• Confrontant deux logiques économiques distinctes, celle des
« contenus » et celle des « réseaux »,
• Soulevant au fur et à mesure du déploiement de nouveaux problèmes de
politique publique
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
4
Approche
•
Le film, un contenu
•
Les voies de la numérisation dans le cinéma
2.1. La production et la multiplication des versions
2.2 La distribution et le nouveaux canaux numériques
2.3 Le cas de la projection numérique
•
Le rôle de l’industrie des équipements
•
Que nous apprend le cinéma sur la numérisation ?
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
5
1. Le film, un « contenu »
•
Bien informationnel : l’utilité dérive d’un arrangement particulier de
symboles
•
Bien d’expérience : il faut consommer pour savoir ce que cela
« vaut » pour vous (rôle des mécanismes de révélation qualité)
•
Taux d’échec élevé (peu de « stars », concentration des entrées)
•
Rendements d’échelle (coûts de productions élevés mais faible coût
de reproduction)
•
Caractère unique (pas un produit homogène), substituabilité ?
•
Vendu, acheté, stocké sur un support « medium », exprimant les
symboles sous une forme matérielle
•
Et, dans le cas du cinéma, une densité d’information exceptionnelle
(12 Térabits pour un long métrage 35 mm)
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
6
1. Modèle économique du film
• Importance des coûts échoués dans le cinéma (casting, trucages, effets
spéciaux, marketing)
• Plus caractéristiques précédentes de la demande
Ã
• Une économie de star / casino : faible probabilité de succès mais
importants gains potentiels (pour
Titanic,
box office mondial de 1,8
milliards $ pour un coût de production de 200 m$)
• Une exploitation par plusieurs versions (salle, DVD, télé) pour
capturer les différents segments de la demande (sensibilité à l’attente,
la qualité, l’expérience collective…)
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
7
2. La numérisation dans le cinéma
• Les technologies numériques
– Ajoutent ou retirent de l’information au film
– Augmentent le nombre de versions et leurs qualités respectives
– Permettent la distribution des versions à travers des réseaux
numériques (diffusion, cryptage…)
• Son (Dolby, Dolby SRD, DTS)
• Trucages, effets spéciaux
• Montage, mixage…
• Versions : Télé, vidéo, DVD, HD-DVD, DivX, streaming
• Diffusion numérique : satellite, câble, Internet, DSL, TNT
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
8
2.1 De nouveaux équilibres économiques
+ 31%
16.3
Video (VHS, DVD)
+ 3%
3.3
Pay TV
+ 8%
11
Television
+ 18%
6.7
Cinema theaters
Growth
Revenues (bn $)
Version
2002 Studios Revenues (MPAA data)
In the US, between 1980 and 2000, the share of cinema theatres in film revenues
dropped from 75% to 34%, while video sales (VHS, DVD) - still marginal in the early
80s – now amount to 40%.
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
9
2.1 Concurrence entre versions
• Années 1960, la version “35 mm†en concurrence avec les versions
“
broadcastâ€
télédiffusées. La salle a l’exclusivité temporelle, la couleur,
la diversité.
• Années 1970. Couleur et diversité à la télévision. VHS. Multisalles.
• Années 1980, la télédiffusion cryptée - nouveau réseau, nouvelles utilités
- fragilise l’exclusivité temporelle de la salle, mais apporte de nouveaux
marchés, des financements, des films.
• Années 1990, la salle réagit : le multiplexe accroît l’utilité pour le
spectateur de la projection en salle. Ce surcroît est quasi-gratuit.
• Le but est d’accroître la consommation directe (fréquentation) et indirecte
(confiserie, services) dans la salle.
• Le multiplexe est capital-intensif. Investissement et concentration.
• Années 2000, nouvelle concurrence du DVD (dit
home cinema
).
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
10
2.1 Relations verticales dans l’industrie américaine
du cinéma
•1950-1960 Studios’ Golden Age
Coûts échoués : tournage (décors, caméras, édition). Organisation verticale intégrée
(employés salariés)
•1960-1970 « Nouvelle Vague » et l’innovation des films d’auteurs
Coûts échoués dans les marques personnelles /signatures (scripts, réalisateurs, directeur
photo). Entrée de nouveaux studios (Coppola, Lucas, Spielberg, Bogadanovitch). Dés-
intégration producteurs/réalisateur/distributeurs remplacé par des relations contractuelles.
Forte croissance du budget de production des films.
•1980-2000 L’ère du Marketing
Crise financière des studios indépendants. L’investissement se concentre sur le marketing
et la publicité du film (principal coût échoué). Les studios retrouvent un contrôle sur la
chaîne verticale et négocient directement avec les réseaux restructurés de salles de cinéma.
Nouvelles synergies entre Télévision et Cinéma.
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
11
2.2 La distribution numérique
• Piratage numérique massif dans l’industrie du film estimé aux US à 800
millions $ (3,5 milliards sous forme de copies de DVD)
• Année 2004 : progression parallèle des ventes de DVD (marché vidéo +
17% en valeur, 1,2 milliards euros pour les films), des entrées salles
(196 millions, + 12 % par rapport à 2003) et du téléchargement
« gratuit »
• Equilibre stable ou calme avant la tempête ?
• Position de la VoD par abonnement dans la chronologie des médias :
modèle de la télé payante (ARP, Blic, chaînes) disponibilité entre 9
mois (moins 1 M entrées) et 12 mois (gros succès après la sortie en
salle) vs modèle de la location vidéo (FAI) 6 mois
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
12
2.3 Chronologie de la projection numérique
• Intense lobbying pro-numérique des majors américaines
• 1999 :
Star Wars Episode I
en numérique dans 4 salles aux USA
• 2001: Alliance Technicolor-Qualcomm. Sortie numérique d’
Ocean 11
par Warner dans 19 salles.
• 2002 :
Star Wars Episode II
sort en numérique dans 94 salles.
• Cannes 2002, la Commission Européenne soutient la numérisation
afin d’ “accroître l’efficacité, améliorer la qualité des contenus,
réaliser de plus grandes économies…â€
• Débat confus en 2002/2003 : amélioration technique, exception
culturelle, diversité, domination américaine
• 200 salles équipées en 2004 dans le monde : Etats-Unis, Chine, Inde,
Brésil (
leapfrog
), 5 salles en France. Moins de 50 films tout
numérique.
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
13
2.3 Le problème de la projection numérique
• Ni technique, ni comptable :
– élévation de la qualité de projection discutable,
– le partage de l’investissement entre distributeurs et exploitants
n’est pas la clé du blocage,
• Mais économique et industriel…
– Le fond de l’affaire est le
versionnage
et la différenciation de la
salle par rapport aux autres réseaux,
– Seules les innovations numériques qui ajoutent de la qualité à la
version salle (son numérique, effets spéciaux) sont compatibles
avec le modèle économique du multiplexe,
– Les innovations profitant aux seuls distributeurs, ou aux réseaux
concurrents (micro-salles,
home cinema
), changent l’équilibre
économique de la filière.
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
14
2.3 Un conflit réseaux/versions
• La projection numérique réduit l’écart entre les versions
cinéma
et
résidentielles. Avec elle, la salle labellise un équipement destiné aux
ménages.
• Intensification de la concurrence du
home cinema
(véritable marché
de masse visé par les fabricants d'équipements de projection
numérique)
• Les incertitudes techniques (absence de standards) combinées aux
effets de réseau créent une situation de “poule et l’œufâ€. Plus le
déploiement est lent, moins il est crédible.
• Ce conflit oppose deux types d’acteurs et d’actifs : les distributeurs -
gestionnaires mondiaux de droits multiversions - et les exploitants -
développeurs d’infrastructures locales spécialisée sur la version salle -
fidélisant une clientèle par le relèvement de l’utilité de la version 35
mm.
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
15
3. La vague d’équipements domestiques
• Croissance générale du marché EGP en France : 8%
– Enregistreurs DVD + 116% 1,25 millions vendus en 2004
– TV LCD + 114%, 0,9 million ; Plasma + 39%, 0,2 million
– Lecteurs DVD + 14%, 6,4 millions
• Formats médias (DVD, VHS, HD-DVD) vs formats numériques (WMV,
MPEG4, DivX)
• 6 millions PCs vendus en 2004 et 4,5 millions téléviseurs
• Conséquences :
– Le pouvoir de définition des standards et des normes techniques
bascule des studios aux équipementiers
– Concurrence frontale EGP/informatique (verrouillage du système
d’exploitation des terminaux numériques domestiques)
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
16
3. L’industrie des équipements numériques
Gilles Le Blanc - SHEN 2005
17
4. Que nous apprend le cas du cinéma sur la
numérisation ?
• La numérisation fait du film un BI
versionnable
, un contenu.
• L’économie des contenus est indissociable de celle des réseaux. Les
contenus sont mondiaux et les réseaux locaux.
• La numérisation accroît le nombre des versions et crée de nouveaux
réseaux.
• Un nouveau
versionnage
apporte de nouvelles utilités et de recettes
valorisant le contenu (TV, radios libres, Canal +, DVD…).
• Risque : ce
versionnage
concurrence un réseau en place, critique dans
l’exploitation et le financement des contenus. (Concurrence Canal+ /
chaînes thématiques / DVD…)
• Objectif politique : l’utilité d’un nouveau versionnage doit créer un
marché sans détruire les réseaux existants. (DVD et VHS, TNT et TV,
Projection numérique et multiplexes). Id. P2P.