A travers les baies vitrées, la vue est imprenable sur le fameux piton rocheux du Puy-en-Velay et sa chapelle Saint-Michel pointée vers le ciel. Du bois de châtaigner au mur, des dalles de lave au sol…: nous sommes dans le superbe hôtel du département de la Haute-Loire, signé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Secrétaire d’Etat à l’Emploi et maire du Puy-en-Velay, Laurent Wauquiez n’est pas peu fier, lundi 24 novembre, d’avoir fait venir sur ses terres des ministres de l’autre bout de l’Europe pour un colloque de l’Union européenne sur l’emploi des seniors.

Ce ne fut pas chose aisé pour tous: le ministre de l’Emploi suédois a bravé la tempête de neige pour prendre l’avion, le ministre du Travail et de l’Emploi luxembourgeois, handicapé par son bras enrubanné suite à une chute au judo, a craint de se trouver bloqué par les grèves à la SNCF, le ministre du Travail portugais José Antonio Vieira da Silva sort tout juste de l’hôpital du coin suite à quelques soucis de santé… Mais ils sont tous là.

Dans la matinée, ministres et députés interrompent le colloque pour suivre un petit programme à la Sarkozy: la visite sur le terrain. Ça tombe bien, l’usine Michelin du Puy-en-Velay, juste à côté, est un bon élève en matière d’emploi des seniors. Avec la mise en place de transmission des savoirs systématique entre les jeunes embauchés et les plus âgés -le "tutorat"-, l’amélioration de l’ergonomie des postes, la suppression des 3x8 pour les plus vieux, la direction a réussi à maintenir les seniors dans l’emploi: sur 655 personnes, 40% ont plus de 50 ans. C’est du moins ce qu’affirme le directeur devant l’usine, car les journalistes ont été interdits de visite. Michelin reste toujours aussi secret.

Un projet de loi sur le tutorat dès le premier trimestre 2009

Parfait exemple pour introduire les propos de Laurent Wauquiez. "Il faut faire bouger les choses et sortir du raisonnement absurde qui veut que mettre un senior dehors fait de la place à un jeune. Les seniors ne doivent pas faire les frais de la crise. La bataille de l’emploi ne se gagne pas en opposant les générations entre elles mais en organisant le transfert de savoir". C’est la principale annonce du secrétaire d’Etat à l’Emploi lors de ce colloque: miser sur le tutorat pour maintenir les seniors dans l’emploi. Il souhaite inscrire la mesure sur le tutorat dans le projet de loi sur la formation professionnelle, dès le premier trimestre 2009. Et évoque même l’idée de "valoriser de façon pécuniaire les salariés qui forment les plus jeunes" par les fonds de la formation. Petit souci: pour l’instant, la réforme de la formation professionnelle en est au stade de la négociation entre partenaires sociaux. Reste à voir s’ils apprécieront la suggestion. "On relève les copies fin décembre", avertit le secrétaire d’Etat.

La mesure sera-t-elle plus efficace que les maintes propositions précédentes, destinées à maintenir les seniors dans l’emploi? On se souvient du bide du CDD seniors, créé en 2006. Mais Laurent Wauquiez veut y croire. Selon lui, une accumulation de petites mesures peut transformer les mentalités sur la question de l’emploi des seniors: "Je crois au tutorat, à cette idée de bons sens. Sous prétexte que c’est une petite idée, on se dit que ce n’est pas la peine qu’un ministre s’en occupe. Je ne suis pas d’accord".

Jacques l’ancien et le petit Laurent

Ceux qui doutent de l’efficacité du tutorat dans l’entreprise, se rassureront peut-être en observant la magie du tutorat dans la politique. Car ce lundi, le bon exemple n’était pas que chez Michelin, mais aussi… dans la salle du Conseil général. Car, pendant toute la journée, chacun a eu le plaisir d’avoir sous les yeux un des plus beaux modèles de tutorat: Jacques Barrot, 71 ans, et Laurent Wauquiez, 33 ans.

Ancien maire d’Yssingeaux, ancien député de la Haute-Loire, ancien président du Conseil général de la Haute-Loire, c’est Jacques l’ancien qui a mis le petit Laurent sur les rails de la politique. Après son agrégation d’histoire à Normale Sup, Laurent Wauquiez a fait un stage aux côté de Jacques Barrot dans sa mairie. Certes, il a surtout participé à la préparation de l’émission Intervilles, mais côtoyer Jacques Barrot lui a donné envie de se lancer dans la politique.

Il s’est ensuite présenté comme son suppléant aux législatives de 2002, avant d’être élu plus jeune député en 2004, lors de législatives partielles. Ce n’est pas beau le tutorat ? Pendant tout le colloque, Jacques Barrot, aujourd’hui vice-président de la commission européenne, s’est évertué à conclure les propos du secrétaire d’Etat, comme pour bien rappeler son statut d’ancien tuteur. Pendant toute la journée, Laurent Wauquiez multipliait les « n’est-ce pas Jacques ? », pour bien montrer son éternelle reconnaissance au vieux sage. Le duo était parfait.

par Dominique Perrin, journaliste à Challenges, mardi 25 novembre.