Il était petit, un peu rondelet.
Il avait l'air à la ville d'un petit fonctionnaire bourgeois qui venait
de quitter son ministère et qui était sur le point de prendre le métro
pour se rendre chez lui où, dans son quartier, il n'allait pas s'arrêter au café du coin parce qu'aucun aucun copain ne l'y attendait. -
Quant il allait au café, d'ailleurs, c'était pour un prendre un verre
d'anisette, le dimanche, en famille. - Son revendeur de journaux lui
disait quand même bonjour, de même que sa concierge et il
serrait la main à son épicier et son boucher. - Ses conversations se
limitaient à la température et à la montée des prix. - À la maison, il
était pantouflard, s'attendait à ce que sa femme lui prépare des repas
selon les règles et, de ses enfants, il exigeait d'abord et avant tout
une obéissance aveugle. Des êtres sans histoires, comme lui, il y en a eu et
il y en a toujours des millions sauf que lui, à
l'âge de dix-sept ans, il a décidé de monter sur scène.
Au début, il fait dans le genre
Dranem
et se fait huer. - Il devient chanteur de charme et se fait huer. - Il adopte
différents styles comiques et se fait huer. - Quelques fois, dans une salle
pas trop difficile, il obtient un certain succès, ce qui l'encourage. - Car
notre bonhomme est travailleur et courageux.
Remarqué par
Maurice Chevalier, qui le surnomme
Bouboule, il se fait peu à peu une certaine réputation de chanteur
léger : en 1920 il est au Casino de la Porte Saint-Martin ; en 1922 il tourne
un film avec
Maurice Chevalier,
Gonzague (Henri Diamant-Berger) aux
côtés de
Florelle, Marguerite Moreno et
Albert
Préjean
( il a alors 34 ans mais presque dix-huit ans de métier !)
puis, petit à petit, il se tourne vers l'opérette et c'est le miracle :
C'est que cet homme, aux allures conventionnelles, a
besoin d'une mise en scène pour être «lui-même» :
Dranem
n'avait que se montrer en scène pour que le rire éclate,
Polin
jouait les naïfs,
Mayol et
Fragson jouaient dans la fantaisie,
Delmet poussaient la romance,
Georgius gambinait,
Chevalier,
Mistinguett
dansaient, menaient des revues. d'autres avaient de grands physiques, de belles
gueules, mais Bouboule ?
Bouboule, avec son costard trois pièces, sa petite
taille, sa rondeur, n'avait rien de tout cela sauf que derrière son allure
banale, il était débrouillard, entreprenant, énergique, enthousiaste, impulsif
et lorsque le public a finalement pu saisir ce personnage, il est devenu
«national» : tous les Français finirent pas se reconnaître en lui.
En 1927, dans une opérette sans conséquence,
Le
Comte Obligado (A. Barde, R. Moertti), il crée une chanson, drôle,
sans plus, mais au refrain incontournable : La fille du Bédouin. - En
1925 et 1926, il avait bien enregistré La trompette en bois (Scotto),
J'aime pas ça (Fred Pearly) et même deux autres demi-succès de deux
autres opérettes (Quand on veut être heureux de M. Yvain et Pourquoi
qu'les p'tits oiseaux n'jouent pas de la mandoline de Veber, Pares et
Van
Parys) mais rien de comparable à ce qui devait arriver à cette scie que devint
La fille du Bédouin qui,
depuis sa création, n'a jamais été retirée du catalogue. - Et ce n'était qu'un
début. - Suivirent :
C'est pour mon papa
Paroles : René Pujol, Ch.L.Potier - Musique :
C.Oberfeld 1930 :
L'habit qui n'va pas, c'est pour mon papa
Les plus beaux vêtements, c'est pour ma maman !
Le livreur c'est tout le temps pour ma mère
Les factures, c'est tout l'temps pour mon père
Les vieux pyjamas, c'est pour mon papa
Les dessous troublants, c'est pour ma maman
Ses chaussures sont coquettes mais les plus sales chaussettes
Aux trous grands comme ça, c'est pour mon papa !
Si tous les cocus
Paroles : Léo Lelièvre fils, Henri Varna - Musique : Jean Boyer 1930 :
Si tous les cocus
Avaient des clochettes
Des clochettes au dessus
Au dessus d'la tête
Ça f'rait tant d'chahut
Qu'on n's'entendrait plus.
Emilienne
Paroles :
Albert Willemetz, C.L.Pothier. Musique : C.Oberfeld 1931 :
C'est--y-toi qui s'appelle Émilienne ?
C'est--y-toi, c'est-y-toi ou c'est-y pas toi ?
Totor t'as tort
Paroles: Jean Boyer. Musique: René Mercier 1932
Dans l'quartier d'la gare du Nord
Tout le monde connaît Victor
Ce garçon fait un métier
Très particulier !
Il passe les rails de chemin d'fer
Chaque jour au papier d'verre
Et comme il n'est pas feignant
Chacun s'écrie en le plaignant :
{Refrain:}
Totor t'as tort tu t'uses et tu te tues
Pourquoi t'entêtes-tu ?
Vas-y doucement
Presse pas l'mouvement
C'est pas normal
Tu t'feras du mal
Totor t'as tort tu t'uses et tu te tues
Pourquoi t'entêtes-tu ?
Sois moins pressé
Rien n'est cassé
Fais ton boulot
Piano Piano !
Avec les pompiers
Paroles: Charlys, Couvé. Musique: Henry Himmel 1934
Avec les pom-poms
Avec les pom-poms
Avec les pompiers...
(Sans oublier Pouet ! Pouet !,
J'ai ma combine, T'en fais pas Bouboule, C'est papa, c'est parisien, Les
artichauts, etc.)
Tout au long des années trente, il est
incontournable. Il tourne au moins un film par an et il est sur toutes les
scènes.
Cet homme qui ressemblait à tout le monde ne pouvait
plus aller nulle part sans qu'on le reconnaisse, sans qu'on lui tape dans le
dos, sans qu'on lui offre un verre.
Sous l'occupation, ses talents sont mis à
contribution. - Il chante un refrain au sens ambigu :
Nous les Français
Nous n'aimons pas sans raison
Recevoir des coups de bâtons
Pourtant nous trouvons normal
Le bâton d'un Maréchal...
Il remonte sur scène en 1946, tourne deux autres films
puis, à soixante ans, il décide qu'il est temps de prendre sa retraite.
Georges Désiré Michaud, alias Georges Milton, alias
Bouboule, né le 20 septembre 1888, se retire dans sa villa d'Antibes d'où il
ne sortira que pour quelques émissions de télévision en 1964 et où il mourra
le 19 août 1970.