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L'

ORDONNANCE DE 

V

ILLERS

-C

OTTERETS

,

 

 

CADRE JURIDIQUE DE LA POLITIQUE LINGUISTIQUE DES ROIS DE 

F

RANCE 

?

 

 
 

Les organisateurs de ce colloque souhaitaient commencer ces travaux par l'évocation 

de la politique linguistique de la monarchie française et ce à comp ter de l'ordonnance de 
Villers-Cotterêts. Exceptionnelle destinée, en effet, que celle de cette ordonnance de François 
Ier ! En août 1539, elle impose (art. 111) la rédaction des actes de justice « en langage 
maternel français »

1

. 450 ans plus tard, elle est encore visée par la Cour de cassation pour 

décider qu'un mémoire en défense doit être rédigé en français (1986) ou pour casser un arrêt 
qui avait repris une clause américaine sans la traduire (1989)

2

 ! Voici donc un texte d'Ancien 

Régime qui est une « rémanence du droit d'Ancien Régime dans la France contemporaine. » 
Voici une date (1539) qui représente pour les linguistes, les historiens et les juristes un 
moment fondateur de la langue française. Voici surtout trois mots qui semblent avoir 
officialisé la langue dans laquelle les communications de ce colloque seront présentées. Aussi 
les tenants de l'indivisibilité de la République saluent- ils encore aujourd'hui cette décision 
comme l'un des vecteurs de notre histoire nationale

3

, alors que les régionalistes voient parfois 

plutôt en François Ier l'un des fossoyeurs des cultures provinciales, avec l'abbé Grégoire et 
tant de ministres de la IIIe république

4

 

1539, moment fondateur ? Pour s'en convaincre, il convient de relever qu'au XVe 

siècle, le roi et ses proches semblent attacher une grande valeur à toutes les langues parlées 
dans le royaume : la langue du prince, ou langue de cour, mais aussi le latin et les langues 
provinciales. On n'aime pas l'Anglais parce que c'est une « langue dissonante et mêlée », une 
langue d'envahisseurs et d'ennemis du nom chrétien  — interrogée si sainte Marguerite ne 
parlait pas 

ydioma anglicum

, Jeanne d'Arc répondit : « comment parlerait-elle anglais, 

puisqu'elle n'est pas du parti des Anglais ! »

5

  —, mais pour le reste, assure Colette Beaune 

dans la 

Naissance de la nation France

, « le français est certes devenu une langue aimée, mais 

pas une langue unique, ni dans les faits ni dans les nécessités idéologiques. Il n'y a pas de 
victoire du français vers 1500 et il n'est pas sûr qu'on l'estimerait souhaitable. La langue n'est 

                                                 

1 C'est par nos propres soins que ces mots, rapportés parfois de manières diverses, figureront en italiques dans les travaux cités par la suite. 
2 « La Cour. — Vu l'ordonnance rendue à Villers-Cotterêts en août 1539 ; 
Vu l'art. 567-2 C. pr. pén. ; 
Attendu que Turkson s'est régulièrement pourvu le 10 décembre 1985 contre un arrêt rendu en matière de détention prvisoire ; 
Attendu que le document signé par le demandeur et produit à l'appui du pourvoi n'est pas rédigé en langue française ; qu'il ne saurait, dès 
lors, être considéré comme un mémoire au sens de l'art. 584 C. pr. pén. ; qu'il y a lieu, en  conséquence, de déclarer le demandeur déchu de 
son pourvoi en application des dispositions de l'alinéa 2 de l'art. 567-2 susvisé. 
Par ces motifs, — déclare le demandeur déchu de son pourvoi. » (Cour cass., ch. crim., 4 mars 1986, Turkson, 

Gaz. Pal.

 1986.2.598, note J.-

P. Doucet ; 

D. 

1987.

Somm.

78 ; Cour cass., 2ème ch. civ., 11 janvier 1989, Soc. Composants et Produits Électroniques C. Soc. TRW Inc, 

D. 

1989.

Somm.

181. Sur la pérennité des textes juridiques d'Ancien Régime, L. Boyer, "Sur quelques adages. Notes d'histoire et de 

jurisprudence", 

Rémanences du droit d'Ancien Régime dans la France contemporaine

Bibliothèque de l'École des chartes

, 1998, 

introduction, p. 13 et s. Sur le juge et l'art. 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, D. Latournerie, "Le droit de la langue", 

Études et 

documents du Conseil d'État

, 1984, p. 89 et s. 

3 « N'y avait-il pas déjà une volonté nationale chez Philippe le Bel quand il refusait de tolérer aucun État dans l'État et  chez le "petit roi de 
Bourges" quand il rejetait le traité de Troyes par lequel Isabeau de Bavière avait livré la France aux Anglais ? Et chez François Ier quand il 
signa à Villers-Cotterêts l'édit par lequel le français allait devenir la langue officielle de l'État ? » (Ph. Séguin, 

JO Débats

, Ass. nat., 5 mai 

1992, p. 868). 
4 Partons du plus simple et du plus connu, c'est-à-dire de ce que relatent les journalistes : « [...] seuls deux bretons sur dix sont à même de 
comprendre la langue (et moins d'un sur dix de la parler). Tout un symbole. Celui de l'héritage d'une politique menée depuis les derniers rois 
de France et par les républiques successives. C'est François Ier qui ouvre le bal, dès 1539. Par son ordonnance de Villers-Cotterêts, il prescrit 
l'usage du français à la place du latin dans tous les actes officiels. C'est le début d'une lente et inexorable unification de la France par la 
langue. » (Ph. Guedj et M. Boujnah, "Les langues se délient", 

France TGV

 ( revue distribuée aux usagers du TGV atlantique), octobre 2000, 

p. 26.  
5 En quelle langue parlaient ses voix ? « La voix est douce, belle, humble et parle 

Ydioma gallicum

 » (P. Tisset et Y. Lanhers, 

Procès de 

condamnation de Jeanne d'Arc

, Paris, 1970, t. I, p. 84, t. II, p. 85. 

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pas l'un des soucis majeurs du sentiment national français »

6

. Du côté des poètes et des 

grammairiens, on honore les langues d'Oc, des deux Bretagne, de Picardie et d'ailleurs comme 
autant de langues françaises

7

. Geneviève Clerico le souligne : « les parlers régionaux, pour 

une génération de savants du premier tiers du siècle (G. Tory [1529], J. Dubois [1531], Ch. 
Bovelles [1533]), ne sont pas des corruptions dégradées de la langue de la capitale. Ils ont un 
passé historique de valeur égale, sinon supérieure. » 
 

 

« Nostre langue, explique Tory en 1529, est aussi facile a reigler et mettre en bon ordre, que fut jadis la langue Grecque, en 

laquelle y a cinq diversités de langage, qui sont la langue Attique, la Dorique, la Aeolique, la Ionique, & la Comune [...]. Tout ainsi pourrions 
nous bien faire, de la langue de Court & Parrhisiene, de la langue Picarde, de la Lionnoise, de la Lymosine, & de la Prouvensalle. »

 

 
 

Ce n'est qu'au tournant du siècle, que les rois de la Renaissance, souhaitant clarifier et 

moderniser la langue du procès, envisagent de remplacer l'usage du latin par des langues 
intelligibles, celle de Paris ou d'ailleurs : en 1490, Charles VIII prescrit le « langage français 
ou maternel... » pour la rédaction des enquêtes criminelles réalisées en Languedoc

8

. En 1510, 

Louis XII dispose qu'en tous pays de droit écrit, les procès criminels seront rédigés en « 
vulgaire et langage du païs... »

9

. En 1533, François Ier, impose aux notaires du Languedoc la 

« langue vulgaire des contractants... »

10

 et exige, en 1535, qu'en Provence, les procès 

criminels soient faits « en français, ou à tout le moins en vulgaire du pays »

11

. La logique de 

tous ces textes est claire : le latin doit passer la main aux langages compréhensibles : le 
français comme les autres parlers provinciaux. En quoi l'ordonnance de Villers-Cotterêts 
innove-t-elle ? L'article 111, quoique non assorti de sanctions, interdit dans

 

tout

 

le royaume 

l'usage du latin et exige la rédaction de 

tous

 

les actes  de justice en « 

langage maternel 

français

 et non autrement »

12

. Ce sont ces trois mots (langage maternel français) qui suscitent 

un formidable débat entre historiens, juristes et linguistes depuis près d'un siècle

13

 ! D'un côté, 

on peut comprendre ces trois mots comme désignant la seule langue française, par conséquent 
comme une condamnation conjointe du latin et des langues provinciales

14

 — du moins celles 

                                                 

6 C. Beaune, 

Naissance de la nation France

, Paris, 1985, p. 299. On se souvient que Charles VII, le roi de Bourges, s'appuyait 

essentiellement sur le pays d'Oc — le pays où l'on dit : « oc » pour signifier : « oui », alors que les gens du nord du royaume disent : « oïl » 
—, Paris étant entre les mains des Anglais. 
7 G. Clerico, "Le français au XVIe siècle", dans 

Nouvelle histoire de la langue française

 (J. Chaurand dir.), Paris, 1999, p. 164. 

8 Ordonnance de décembre 1490, pour le règlement de la justice en Languedoc, art. 101 (

Les Ordonnances royaux ou les 5 livres, suivis du 

recueil des dernières ordonnances. Tout ce qui régissait la France de Charles IX

, Paris, 1567, p. 334.). 

9 Ordonnance de juin 1510 sur la réformation de la justice, les mandemens apostoliques, etc., rendue d'après le résultat de l'assemblée des 
nobles tenue à Lyon, art. 47 (Isambert et al., 

Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789

Paris, t. XI, p. 596). 
10 Lettres patentes du roi en réponse aux remontrances des États de Languedoc, cité par A. Brun, 

Recherches historiques sur l'introduction 

du Français dans les provinces du Midi

, Paris, 1923, p. 269. 

11 Ordonnance d'Is-sur-Tille d'octobre 1535 (Fontanon, 

Édits et ordonnances...

, 1611, p. 307, cité par J.-M. Carbasse, "Langue de la nation 

et « idiomes grossiers » : le pluralisme linguistique sous le niveau Jacobin", 

Libertés, pluralisme et droit. Une approche historique

 (actes du 

colloque d'Anvers, mai 1993), Bruxelles, 1995, p. 158). 
12 Ordonnance de Villers-Cotterêts sur le fait de la justice, août 1539 (Isambert et al., 

Recueil général...

, t. XII, p. 622-623 ; 

Ordonnances 

des rois de France. Règne de François Ier

, publ. de l'Académie des sciences morales et politiques, t. IX, 3ème partie, mai-août 1539, éd. 

CNRS, 1983). 

  art. 110. — « Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et 
écrits si clairement, qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. » 
  art. 111. — « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous 
voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et 
inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de 
justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement. » 

13 Sur les termes de ce débat, on lira en dernier lieu : G. Boulard, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts : le temps de la clarté et la stratégie du 
temps (1539-1992)", 

Revue historique

, 1999, p. 45 et s. qui estime que l'art. 111, découlant de l'art. 110, est dirigé contre le latin (clarté des 

procès, souveraineté par la langue contre le latin des parlementaires et des juridictions ecclésiastiques) mais doit être lu comme ne 
prescrivant que le français. 
14 F. Brunot, 

Histoire de la langue française des origines à nos jours

, Paris, t. II, 1906, p. 31, note 1 ; W. von Wartburg, 

Évolution et 

structure de la langue française

, 5e éd., 1958, p. 145 ; J.-P. Caput, "Naissance et évolution de la notion de norme en français", 

Langue 

française

, n°16, 1972, p. 63-73 ; du même auteur, 

La langue française — histoire d'une institution

, Paris, 1972, t. I, p. 163 ; J. Foyer, 

"L'ordonnance de Villers-Cotterêts", 

Comptes-rendus de l'académie des inscriptions

, 1989, p. 638 ; « désormais, le latin est exclu, mais les 

dialectes le sont aussi » (H. Walter, 

Le Français dans tous les sens

, Paris, 1988, p. 88) ; « Si l'on peut dire que quatre ans plus tard, en 1539, 

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des pays rattachés au royaume en 1539 : les langues d'Oc et le breton

15

. D'un autre côté, ils 

peuvent signifier : « en tout langage maternel du royaume de France », ce qui serait dans la 
lignée des textes antérieurs et confirmerait la place des langues provinciales à côté du 
français

16

. Ce à quoi certains auteurs rétorquent que l'important n'est pas tant le sens originel 

de l'art. 111 que l'interprétation qu'on en a fait dès le XVIe siècle pour étouffer les langues 
provinciales et faire le lit de la langue officielle et nationale

17

. Ils s'appuient sur une anecdote 

rapportée dans la 

Grammaire 

de Ramus (1587) : lorsque François Ier « commanda pour toute 

la France de plaider en langue française », il y eut des plaintes notamment des provençaux qui 
voulurent protester auprès du roi. Leur ambassade ayant été ajournée à plusieurs reprises, ils 
eurent le temps d'apprend re la langue française si bien qu'ils lui firent leur harangue... en 
français. Les orateurs provençaux, ajoute Ramus, furent la risée des auditeurs car ils étaient 
venus pour combattre la langue dans laquelle ils parlaient au roi ! L'anecdote est d'une valeur 
incertaine (G. Boulard), mais elle donne envie d'en savoir davantage. 
 

D'où la question suivante : l'article 111, du moins l'interprétation qui en a été faite par 

les jurisconsultes d'Ancien Régime, a t- il servi de cadre juridique à une politique visant à 
imposer la langue du prince ? A-t- il été vu comme un cheval de Troie dans la tour de Babel ? 
A t-il été conçu dans les recueils d'ordonnances (des sortes de compilations raisonnées de 
textes royaux souvent qualifiés de 

codes

), dans les recueils d'arrêts et les dictionnaires 

juridiques comme un principe fondamental, voire une loi fondamentale, permettant 
d'uniformiser la langue ? Les lois fondamentales du royaume, c'est-à-dire le cadre 
constitutionnel de la monarchie, forment un ensemble oral, souple, ouvert aux circonstances 
politiques. Certains auteurs d'Ancien Régime n'y voient plus forcément un 

donné

 — le statut 

intangible de la Couronne ; les caractères essentiels de la monarchie — mais un 

construit

 — 

des principes de gouvernement — et n'hésitent pas à y agréger les règles les plus diverses : la 
non- ingérence papale, la défense de lever une armée privée ou l'obligation de recourir aux 
États généraux pour lever l'impôt

18

 ; pourquoi pas l'obligation d'user de la langue du prince ? 

                                                                                                                                                         

François Ier proscrit tout retour à l'état ancien, c'est dans la mesure où il n'est plus question, alors de laisser un choix entre le français et le 
latin, ni entre le français et le dialecte local » (Cl. Agège, 

Le français — Histoire d'un combat

, Paris, 1996, p. 51-52. Le titre du chapitre 3, 

qui a servi de base pour l'émission du même titre, produite et diffusée par la cinquième chaîne (sept., oct. nov. 1996), ne laisse plus de place 
aux incertitudes : « En français et non autrement ») ; M. Perret, 

Introduction à l'histoire de la langue française

, Paris, 1998, p. 46-47. 

15 Et encore n'est -ce pas certain pour la Bretagne : l'ordonnance pouvait -elle s'y appliquer alors que l'édit de 1532 prescrivait que les actes 
royaux postérieurs devaient être enregistrés par le parlement de Bretagne pour être applicables dans cette province ? (R. Rouquette, note 

D.

 

1985.467 sous Trib. adm. Rennes, 21 nov. 1984). 
16 A partir de la thèse d'Henri Peyre, on se fonde sur les commentateurs du XVIe siècle qui ont estimé qu'il fallait comprendre l'article 111 
comme désignant les « langages maternels de France », notamment P. Rebuffe, 

Commentaria in constitutionnes seu ordinationes regias

Lyon, 1599, t. II, p. 574 ; H. Peyre, 

La royauté et les langues provinciales

, Paris, 1933 ; P. Fiorelli, "Pour l'interprétation de l'ordonnance de 

Villers-Cotterêts", 

Le Français moderne, t. XVIII

, 1950, p. 277 et s. ; J. Chaurand, 

Histoire de la langue française

, Paris, 1969, p. 60 ; D. 

Trudeau, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts et la langue française : histoire ou interprétation ?", 

Bibliothèque d'Humanisme et de 

Renaissance

, t. XLV, 1983, p. 461 et s. ; R. Rouquette, 

Le régime juridique des langues en France

, thèse droit, Nanterre, 1987, p. 210 et s. et 

360 ;

 

J.-M. Carbasse, "Langue de la nation et « idiomes grossiers » : le pluralisme linguistique sous le niveau Jacobin", 

Libertés, pluralisme 

et droit. Une approche historique

, Colloque d'Anvers (mai 1993), Bruxelles, 1995, p. 158 et s. ; C. Robin, 

La langue du procès

, Clermont-

Ferrand, 2000, spécialement p. 60-63. 
17 « Il est désormais acquis que la portée fut quasi démesurée. Il y a là un petit article, perdu au milieu de prescriptions multiples concernant 
les cours, tribunaux et offices de judicature, qui s'attaque expressément au latin et qui, par une répercussion indirecte, a jeté bas les parlers 
locaux... » (A. Brun, 

Recherches historiques sur l'introduction du français dans les provinces du midi : Languedoc, Guyenne, Limousin, 

Provence

, Paris, 1923, p. 141). Du même auteur voir également : 

Parlers régionaux, France dialectale et unité française

, Paris, 1946 ; id., 

Introduction de la langue française en Béarn et en Roussillon

, Paris, 1923 ; id. ,"La pénétration du français dans le midi" et "En langage 

maternel français", 

Le Français moderne

, 1935, p. 149 et s. et 1951, p. 81 et s. ; J.-P. Laurent, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et la 

conversion des notaires à l'usage exclusif du français en Pays d'Oc", 

Revue internationale du Notariat Le Gnomon

, 1982, p. 41 et s. « Malgré 

l'adjectif "maternel", elle est vite interprétée comme imposant le français du roi au détriment des idiomes régionaux » (J. Picoche et Ch. 
Marchello-Nizia, 

Histoire de la langue française

, Paris, 1994, p. 29-30) ; il est « peu probable qu'il ait visé les parlers régionaux mais son 

interprétation même à l'époque allait dans ce sens » (J.-M. Eloy, 

La constitution du picard : une approche de la notion de langue, 

Louvain-

la-Neuve, 1997, p. 67-68) ; « L'ordonnance visait essentiellement à unifier, par le français de Paris, les textes juridiques ou administratifs 
français [...] En apparence, seule la langue de la justice était visée ; peut -être faut -il chercher derrière cette façade des motivations plus 
vastes. La politique royale, dont le centralisme s'affirmait de plus en plus, avait-elle intérêt à unifier le pays par le biais de la langue ? On 
peut se poser la quest ion » (J.-L. Tritter, 

Histoire de la langue française

, Paris, 1999, p. 64-65). 

18 Ainsi, lors des États généraux de 1614, le Tiers état de Paris, derrière Richer et Servin, réclame que : 

  « Pour arrêter le cours de la pernicieuse doctrine qui s'introduit depuis quelques années contre les rois et puissances souveraines, 
établies de Dieu, par des esprits séditieux qui ne tendent qu'à les troubler et subvertir, le roi sera supplié de faire arrêter en 
l'assemblée de ses États, pour loi fondamentale du royaume qui soit inviolable et notoire à tous : que comme il est reconnu souverain 

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L'analyse des travaux des jurisconsultes invite plutôt à distinguer très nettement la 
francisation de la langue du droit, vis-à-vis de laquelle l'art. 111 a joué contre le latin, (I) de la 
francisation des parlers provinciaux (II). 
 
I. — Francisation et langue du droit 
 
 

1) Du XVIe au XVIIIe siècle, les jurisconsultes rappellent les termes de l'ordonnance 

de Villers-Cotterêts parce qu'il ne fait aucun doute pour eux qu'elle s'applique toujours. Et 
qu'elle s'applique précisent, au XVIIIème siècle, Néron, Girard ou Boucher d'Argis comme « 
une des principales Loix du Royaume » (1720) ou comme « une loi de l'État » (1786)

19

Principale loi du royaume ? Loi de l'État ? Le vocabulaire fait assez penser à des lois 
fondamentales. Peut-être faut- il se contenter d'y voir des lois royales devant servir de cadre 
contraignant aux textes postérieurs (édits, déclarations, arrêts) ; à propos des coutumes, 
Denisart n'estime-t-il pas que le roi peut y déroger parce qu'elles sont « devenues loix dans 
l'État, mais non pas loix de l'État »

20

, ce qui semble bien signifier, 

a contrario

, que le roi est 

lié par les lois de l'État. Une idée nette se dégage : l'ordonnance de Villers-Cotterêts a une 
valeur juridique supérieure. Ceci posé, que disent les juristes de l'art. 111 ? 
 

Le 

Code Charles IX

 (1567) indique  à la table des matières, au mot 

Arrest

, et cela — 

nous le verrons  — a son importance : « Tous Arrests, & autres procédures seront en toutes 
cours prononcez et delivrez aux parties en 

langage Français

 » et renvoie à la page 1166. Cette 

page traite (Livre IIII, titre XXXII du Code) de la matière suivante : « Comment les contracts, 
testamens, arrests, sentences, & autres actes doyvent estre expediez. » L'auteur rappelle les 
termes de l'art. 111 (« en langage maternel Français... ») mais place une note à la suite du mot 
« maternel » qui renvoie à l'art. 101 de l'Ordonnance de Charles VIII (décembre 1490) : les 
actes d'information ne seront plus rédigés en latin mais « mis & redigez par escrit en 

langage 

Français ou maternel

, tels que lesdits tesmoins puissent entendre leurs dépositions »

21

. Que 

faut- il en conclure ? L'auteur se soucie peu du débat : « langage français/langage maternel », 
l'essentiel étant de proscrire les actes rédigés en latin, une logique encore plus explicite dans 
le 

Code du Roy Henry III, augmenté des Édits du Roy Henri IIII

 (1605). L'ouvrage indique à 

la table, au mot 

Actes

 : « Actes de justice doivent estre conceuz en 

paroles françaises

 », mais 

le titre du chapitre auquel il renvoie est bien différent : « Que tous arrests, & autres actes de 
justice, seront faicts en 

langue vulgaire

... » Et Charondas d'ajouter : avant les actes étaient 

faits en français au parlement. Puis ceux qui ont « remplacé les gentilshommes, mieux 
adonnés au Latin ont tout fait en Latin. Toutefois l'expérience a montré qu'un mauvais latin 
n'engendrait que des procès... » Aussi faut- il croire que « le langage Français est le propre, 
originaire & naturel de la France : en icely donc convient faire tous actes tant de justice 
qu'autres, afin qu'ils soient mieux entendus de chacun, & pour illustrer la langue Française. » 
Mais il précise : les Romains firent de même avec le latin mais comme « l'Empire Romain 
s'estendait en plusieurs Provinces, où la langue Grecque estait en usage, les Empereurs 

                                                                                                                                                         

en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait 
aucun droit sur son royaume pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et 
obéissance qu'ils lui doivent pour quelque cause ou prétexte que ce soit. » 

Et La Barre, Dans le 

Formulaire des Esleuz

, publié à Lyon en 1631, estime que : 

  « N'y a que le souverain qui puisse faire levée des deniers sur ses sujets encore faut -il que ce soit en cas de nécessité urgente. Les 
Loix fondamentales du Royaume ne permettent point et n'autorisent personne à lever les armes, ny à lever deniers, non pas mesmes 
les Roys sans délibération du public et consentement d'Estats, les trois Ordres du royaume estans pour ce congrégez et assemblez... » 

Sur ces exemples, voir J.-M. Carbasse, G. Leyte et S. Soleil, 

La monarchie française du milieu du XVIe siècle à 1714

, Paris, à paraître. 

19 Néron et Girard, 

Recueil d'édits et d'ordonnances royaux, sur le fait de la justice et autres matières les plus importantes

, Paris, 1720, t. I, 

préface ; Boucher d'Argis, 

Ordonnance du roi François Ier, donnée à Villers-Cotterêts au mois d'août 1539

, Paris, 1786, préliminaire. 

20 Denisart, 

Collection de Décisions nouvelles...

, Paris, 1763-1764 (3ème éd.), t. 1, p. 224. 

21 

Les Ordonnances royaux ou les 5 livres, suivis du recueil des dernières ordonnances. Tout ce qui régissait la France de Charles IX

, Paris, 

1567. L'auteur rappelle l'ordonnance de janvier 1563 Charles IX (art. 35) : « les vérifications de nos cours de parlement seront faicts en 

langage Français & non en Latin

, comme ci-devant on avait accoustumé faire en nostre cour de Parlement à Paris. » 

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escrivans au Proconsul d'Asie, ils ont ordonné que les juges puissent donner & prononcer 
sentences tant en langue Latine que Grecque. Et ainsi se doivent entendre et concilier lesdites 
loix. »

22

 Le commentaire s'achève donc sur un doute : en langue française exclusivement ? ou 

plutôt en toutes langues parlées en France comme le grec dans les provinces de l'empire 
romain ? 
 

La 

Conférence des ordonnances royaux

 (1603) ne laisse en revanche aucune place au 

doute. L'art. 111 est repris de la matière suivante : « en 

langage maternel & Français

, & non 

autrement »

23

. A l'inverse, le 

Code Louis XIII

 (1628) rappelle les termes de l'art. 111 (« en 

langage maternel Français ») sous le titre suivant : « De prononcer & expédier tous actes en 
langue française »

24

. A partir du second XVIIe siècle, les notes des jurisconsultes 

s'enrichissent de l'anecdote du 

debotamus 

rapportée par Laurent Bouchel dans sa 

Bibliothèque 

ou trèsor du droit français

 (1671), qui semble leur avoir beaucoup plu et les avoir confiné 

dans une interprétation anti- latine du texte. Au mot 

Actes

25

 : l'art. 111 viendrait de ce que le 

roi François Ier se serait aperçu des déplaisirs de l'usage du latin au parlement. Un 
gentilhomme était monté par la poste à Paris pour entendre prononcer le jugement. Il était à 
peine arrivé qu'on lui signifia qu'il était débouté en ces termes : 

dicta curia dictum actorem 

debotavit & debotat

. Le plaideur malheureux alla trouver le roi et lui dit la grande joie que 

son parlement et lui- même, par l'intermédiaire de ses juges, venaient de lui faire en lui 
enlevant ses bottes (en le 

débottant

) sitôt son arrivée à Paris. L'anecdote, quoique peu 

vraisemblable, est reprise dans la plupart des ouvrages du XVIIIe siècle et l'art. 111 fait 
toujours l'objet de transcriptions diverses : J. Brillon dans le 

Dictionnaire des arrests 

(1711) 

au mot 

Actes

26

 : 

 

 

« Ce qui donna lieu à François I. d'ordonner que les Actes et procédures seraient prononcez & enregistrez en 

langage maternel

 & 

non autrement, fut qu'un Gentilhomme qui avait perdu un procès, vint trouver le Roy & le remercia de l'honneur qu'il luy avait fait. Le Roy 
l'ayant interrogé, il répondit qu'étant venu en poste pour assister au jugement de son procès, il n'était pas plutôt arrivé, que sa Cour de 
Parlement l'avait déboté ; il luy montra l'Arrêt qui portait ces termes : 

Dicta curia, dictum actorem debotavit & debotat.

 Le Roy indigné d'un 

langage si inepte dans le premier Parlement de son Royaume, fit l'Ordonnance dont l'on vient de parler. »

 

 
F. de Boutaric dans 

Les Institutes de Justinien conférés avec le droit français

 (1738), au mot 

Actes

27

 : 

  

 

« Aujourd'hui en France, & depuis l'Ordonnance de François premier, il n'est plus permis dans les actes & dans les procédures, de 

se servir d'autre langue que de la langue française ; s'il en faut croire à ce que rapporte Bouchel, en sa bibliotèque, sous le mot 

actes

, François 

I, rendit cette Ordonnance sur la lecture qu'il fit d'un Arrêt du Parlement de Paris conçu en ces termes : 

Dicta curia, dictum actorem, 

debotavit & debotat

 ; car le Roi (ajoute Bouchel) indigné d'un langage si inepte dans le premier Parlement de son Royaume, proscrivit dès 

lors, en tous actes judiciaires & autres, l'usage de la langue latine. »

 

 
Ferrière dans son 

Dictionnaire de droit et de pratique 

(1740) au mot 

Langage français

28

 : 

  

 

« [il] doit être usité dans toutes sortes de contrats, actes, procédures et prononciations. Anciennement en France, toutes ces choses 

s'expédiaient en Latin [...] par l'article 47 de l'ordonnance de Louis XII faite en 1512, il fut ordonné qu'à l'avenir toutes procédures 
criminelles & enquêtes seraient faites en langue Française, afin que les témoins eussent une entière intelligence de leurs dépositions, & les 
accusés des interrogatoires qui leur seraient faits. Ce qui fut confirmé par l'Ordonnance de Charles IX de l'an 1537 [sic] art. 35. Enfin par 
l'art. 3 [sic] de l'Ordonnance de François I de l'an 1539, il fut ordonné, que tous actes, contrats, testamens, sentences & arrêts seraient 
prononcés, rédigés & expédiés en langue Française, à l'exception des actes, qui concernent les matières bénéficiales [suit l'anecdote du 

debotamus

] Cette ordonnance a remédié à une infinité d'inconvéniens, qui provenaient des mots énigmatiques, des incongruités absurdes, & 

                                                 

22 Barnabé Brisson, 

Le Code du Roy Henry III, Roy de France et de Pologne

 

augmenté des Édits du Roy Henri IIII

, avec les commentaires 

de L. Charondas le Caron, Paris, 1605 (2ème éd.), p. 170-171. 
23 P. Guénois, 

Conférence des ordonnances royaux

, Paris, 1603, p. 62. Il est à noter que l'article 35 de l'ordonnance de janvier 1563 qui 

exige que les vérificatons faites en cours de parlements soient faites en « langage français » est transcrit ainsi : « en 

langages Français

, & 

non en Latin. » 
24 J. Corbin, 

Code Louis XIII

, Paris, 1628, t. 1, p. 642. 

25 L. Bouchel, 

La Bibliothèque ou trésor du droit français

, Paris, 1671, t. I, p. 32. 

26 J. Brillon, 

Dictionnaire des arrests ou jurisprudence universelle des Parlements de France

, Paris, 1711, t. 1, p. 44. 

27 F. de Boutaric, 

Les Institutes de Justinien conférés avec le droit français

, Paris, 1738, p. 437. 

28 Ferrière, 

Dictionnaire de droit et de pratique

, Paris, 1740 (2ème éd.), p. 149. 

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des barbarismes affreux, dont les notaires & les praticiens, peu versés dans la langue Latine, remplissaient leurs actes. Cela les rendait 
captieux, souvent même [in]intelligibles ; car ne sçachans pas la propriété des termes, ils en forgeaient, ou en tiraient d'un vieux jargon, qu'ils 
se donnaient la licence de latiniser. » 

 
 

L'obligation de rédiger les actes en français se retrouve de la même manière chez 

Claude Serres, Guyot, Denisart, Prévot de la Jannès, Boucher d'Argis, etc

29

 
 

2) Quelles conclusions peut-on tirer de ces interprétations ? Tout d'abord, elles 

n'apportent rien qua nt au débat sur le sens originel de l'ordonnance de Villers-Cotterêts : 
interdit-elle ou pas les langages provinciaux, langages maternels et vulgaires ? Les 
jurisconsultes ne transcrivent pas l'art. 111 de la même manière — les mots peuvent être très 
différents d'un ouvrage à l'autre — aussi ne permettent- ils pas à l'historien de trancher entre 
les deux interprétations puisqu'eux mêmes n'en donnent pas une interprétation unanime 
(quand on songe que cet article visait à clarifier la langue du droit...). 
 

Ensuite, les travaux, quoique rapportant des mots différents, convergent tous dans une 

même direction : les actes juridiques doivent ne pas être rédigés en latin

30

 ! Les auteurs ne 

visent jamais les langues locales et seul Denisart fait un lien entre l'ordonna nce et les édits 
imposant l'usage du français pour la rédaction des actes en Roussillon et en Flandre 
Occidentale. Il y a là un mystère : en effet, à compter de 1620, pour assurer l'unité politique, 
administrative et judiciaire du royaume, une série de textes vient progressivement imposer le 
français dans la rédaction des actes juridiques : le Béarn où l'on usait du basque, le 11 octobre 
1620 (13 ans après l'édit de réunion)

31

, la Lorraine, par des lettres patentes de juillet 1661 

confirmées par l'édit du 27 septembre 1748

32

, en Flandre, par ordre royal du 26 mai 1663 

suivi d'un édit en décembre 1684

33

, en Alsace, par un arrêt du conseil du 30 janvier 1685

34

, en 

Catalogne, par un édit de février 1700

35

. La logique de ces textes est claire : le français doit 

bel et bien être considéré désormais comme la seule langue du droit. Or, les jurisconsultes, 
excepté Denisart, n'ont pas établi le lien entre cette politique et l'ordonnance de Villers-

                                                 

29 Claude Serres, 

Les institutions du droit français, suivant l'ordre de celles de Justinien

, Paris, 1760 (2ème éd.), p. 460, au mot 

Langue, 

titre 

XVI : « 

De verborum obligationibus

, §. 1. 

Nihil interest utrum latinâ, an græcâ, vel qualibet aliâ linguâ, stipulatio concipiatur : 

Il faut 

observer qu'il n'est plus permis dans ce Royaume, depuis l'ordonnance du Roi François I. de 1539. art. 6. [sic] de se servir dans les actes & 
procédures, d'autre langue que de la langue française ; ce qui n'empêche pas que les actes passés dans les Pays étrangers, avec les formalités 
& dans la langue qui y ont lieu, ne puissent & ne doivent valoir en France, d'autant que chaque Souverain ayant autorisé la langue dont on se 
sert dans ses États, il paraît que la Loi doit être égale entr'eux [...] » 
 

Guyot, 

Répertoire universel et raisonné de jurisprudence...

, Paris, 1778, t. 17, p. 93, au mot 

Débouter

 : « Terme de palais, qui 

signifie déclarer par sentence o arrêt, que quelqu'un est déchu de la demande qu'il avait formée en justice. Les arrêts portent, 

la cour a 

débouté & déboute

 ; & lorsque les jugemens se rendaient en latin on disait en langage barbare, 

debotavit & debotat

 ; ce qui donna lieu à la 

plaisanterie d'un gentilhomme qui étant interrogé par François I, sur le succès d'un procès pour lequel il était venu en poste à Paris, répondit 
qu'immédiatement après son arrivée 

la cour l'avait débotté

, faisant allusion au 

debotat &

 

debotavit

 de l'arrêt : le roi, surpris d'une manière de 

s'exprimer si étrange, voulut que, dans la suite, les contrats, les testamens & les actes judiciaires se redigeassent en langue française. » 
 

Denisart, 

Collection de décisions nouvelles...

, Paris, 1768 (6ème éd.), t. 1, p. 42, au mot 

Actes 

: « Ils doivent être rédigés en langue 

française, excepté ceux qui doivent être envoyés à Rome, suivant l'ordonnance de 1539, article 111 ; de Charles IX, en 1563, article 35 ; & de 
1629, article 27. » ; t. 2, p. 333, au mot 

Nullité 

: « ... doivent être écrits en Langue Française à peine de nullité. » Denisart précise que Louis 

XIV a ordonné la même chose pour le Roussillon et aux avocats et procureurs de la Flandre occidentale ; Prévot de la Jannés, 

Les principes 

de la jurisprudence française

, Paris, 1780, p. 143-144, au mot 

Actes

 :

 

« Les Loix les assujettissent [les actes passés pardevant Notaires ou 

sous seing-privé] aux formalités suivantes sous peine de nullité : I°. Que l'acte soit rédigé en Français [...] » 
 

Boucher d'Argis, 

Ordonnance du roi François Ier, donnée à Villers-Cotterêts au mois d'août 1539

, Paris, 1786, p. 6 : « L'usage où 

l'on avait été jusqu'alors de rédiger les actes, les procédures et les Jugemens, en procurant à la mauvaise foi les moyens de tromper 
l'ignorance confiante, était une source intarissable de procès ; les Praticiens les plus honnêtes, mais peu instruits, ajoutaient souvent à la 
difficulté d'entendre leur actes, soit par l'ambiguïté de leurs expressions, soit par une application absolument impropre : pour remédier à tant 
d'inconvéniens, il fut ordonné qu'à l'avenir tous actes, procédures, Sentences et Arrêts, seraient rédigés, prononcés et expédiés en français. » 
30 G. Boulard a montré que la lutte contre l'usage du latin dans les actes juridique est bien une mesure politique : il s'agit certes de clarifier 
les actes, mais aussi d'organiser la langue du procès, langue d'autorité royale, et de contraindre les parlementaires  — ces irréductibles 
opposants ! — à user de la langue du prince (G. Boulard, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts : le temps de la clarté et la stratégie du temps 
(1539-1992)", 

Revue historique

, p. 62 et s.). 

31 F. Brunot, 

Histoire de la langue française des origines à nos jours

, Paris, 1906, t. VII, p. 234 et s. 

32 H. Peyre, 

La royauté et les langues provinciales

, Paris, 1933, p. 209. 

33 H. Van Goethem, "La politique des langues en France, 1620-1804", 

Revue du Nord

, 1989, p. 441. 

34 R. Ganghofer, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts et la législation linguistique en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles", 

Études à Pierre 

Jaubert, 

Bordeaux, 1992, p. 249 et s. 

35 Isambert et al., 

Recueil général...

, t. XX, p. 353. 

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Cotterêts. Pourquoi ? Parce qu'à leurs yeux elle ne lui a pas servi de cadre juridique et c'est 
ainsi que l'on peut comprendre le dialogue entre Pussort et Lamoignon, lors des 

conférences

 

de l'ordonnance criminelle de 1670, au sujet des interrogatoires criminels 

36

. L'avant-projet 

fixait que « si l'accusé est étranger, & n'entend pas la langue Française... » l'interprète 
traduirait. Lamoignon fit remarquer  
 

 

« que l'article ne comprend que les Etrangers : que cependant il y a des Français d'une Province du Royaume, qui n'entendent pas 

le langage d'une autre. Que par exemple, un bas Breton n'entendra pas le Français, tel qu'on le parle à Paris : qu'il semble nécessaire de 
l'expliquer. Que l'on pourrait demander aussi sur ce sujet, si un étranger qui n'entendrait point la Langue Française, pourrait être interrogé en 
Latin : qu'il en avait vu un exemple en la personne d'un Allemand, que défunt Monsieur le Président de Beilleul interrogea en Langue 
Latine. »

 

 
 

Pussort répondit qu'effectivement il fallait modifier l'article pour y comprendre aussi 

bien les sujets français que les étrangers mais « qu'à l'égard de la Langue Latine, il ne croyait 
pas que l'on en dût user dans les interrogatoires, non plus que dans les autres actes : 
l'ordonnance de 1539 ayant défendu de rédiger aucun acte en cette Langue ; parce qu'il n'y a 
que celle du Prince, dont on se puisse servir en Justice. » Qu'est-ce à dire ? Pussort, l'homme 
du roi, l'homme de Colbert  — c'était l'oncle du ministre  —, en reste à une interprétation 
traditionnelle de l'art. 111. Et lorsqu'il affirme que seule la langue du prince doit être la langue 
du procès, il n'est pas logique avec lui- même puisque d'un côté il proscrit le latin et, de l'autre, 
il accueille l'usage du breton et plus généralement de toute langue maternelle. La seule 
manière de résoudre cette contradiction est d'en reve nir aux jurisconsultes du temps qui, dans 
l'art. 111, lisent l'interdiction de rédiger les actes en latin et non celle de rédiger les actes en 
basque ou en provençal. 
 

Enfin  — et ceci explique cela  — ces derniers n'ont aucunement conscience d'une 

politique menée à l'encontre des parlers. Beaucoup d'entre eux ne mentionnent pas la question 
de la langue dans leurs travaux : rien dans quelques ouvrages dans lesquels on s'attendrait à 
trouver quelque référence à Villers-Cotterêts ; rien dans 

Les loix civiles dans leur ordre 

naturel

 de Domat (1689) ; rien dans les 

Règles du droit français 

de Claude Pocquet de 

Livonnière (1730) ; rien dans l'

Institution au droit français 

d'Argout

 

(1787). Et les 

jurisconsultes qui s'intéressent à la question la traitent — nous l'avons souligné — aux mots 

Actes

 ou 

Arrêts

. Ils traitent donc de la langue des actes juridiques, pas de la langue 

quotidienne. Seuls Claude Serres et Ferrière ont une entrée 

Langue

 ou 

Langage

, mais la 

lecture du contenu permet de lever toute équivoque ; il s'agit bien de la langue du droit et du 
procès. Est-ce à dire que la monarchie française n'a pas eu de politique à l'égard des parlers ? 
Assurément non, car l'annexion de territoires par le roi s'est naturellement accompagnée d'un 
processus de francisation — un terme que l'on relève chez la plupart de ceux qui ont traité des 
parlements de province, des conseils supérieur ou souverains ; seulement il est certain que 
l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne lui a pas servi de cadre juridique. Elle n'a pas été loi 
fondamentale de la francisation des actes, encore moins loi fondamentale de la francisation 
des parlers. 
 
 
II. — Francisation et parlers provinciaux 
 
 

1) Lorsqu'on regarde de près les mesures prises à Paris et Versailles vis-à-vis des 

parlers provinciaux, on s'aperçoit vite que deux siècles de monarchie ont peu touché à la 
diversité culturelle, ce que lui reprocheront les révolutionnaires : aucune disposition 
d'envergure nationale visant à imposer le français, peu de mesures pour introduire activement 

                                                 

36 

Code Louis

, t. II, 

Ordonnance criminelle, 1670

 (texte assorti des commentaires d'A. Laingui), Milan, 1996, p. 169 du procès verbal des 

conférences. 

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le français dans telle ou telle province non- francophone. En Basse-Bretagne, par exemple, la 
langue n'a pas été inquiétée. L'accès des accusés et des témoins aux interprètes lors des 
informations criminelles montre assez que l'encadrement du parler quotidien n'est pas l'affaire 
des magistrats

37

. Le breton ne présente ni enjeu politique — non seulement « la valorisation 

du breton comme celtique prétroyen à la fin du XVe siècle arriva trop tard pour pouvoir être 
utilisé par les ducs » (C. Beaune) mais les autonomistes bretons exprimaient leurs 
revendications en français (M. Jones)

38 

—, ni enjeu "administratif" : les actes juridiques sont 

logiquement rédigés en français car ils n'ont jamais été rédigés en breton

39

. Le parler breton, 

qui reste honoré jusque chez un zélateur de la langue française comme Ménage

40

, ne subit pas 

de pression de la part du gouvernement royal ; 
 

 

« avant la Révolution, note Henri Abalain, on ne saurait parler de répression linguistique, et les mesures prises pour protéger et 

diffuser la langue française eurent peu d'effet sur le breton. L'ordonnance de Villers-Cotterêts (15 août 1539), prise sept ans après l'union de 
la Bretagne à la France, qui imposait l'usage du "langage maternel françois" dans tous les actes officiels, ne devait point ternir le caractère 

véhiculaire du breton car le français était à l'époque langue étrangère (ou presque) en Basse-Bretagne »41.

 

 
 

En fait de langues parlées, trois provinces semblent avoir fait l'objet de l'attention du 

gouvernement : le Roussillon, l'Alsace et la  Corse

42

. Le traité des Pyrénées qui règle 

l'annexion du Roussillon et de la Flandre (1659), garantit « l'usage de la langue que bon leur 
semblera, soit française soit espagnolle, soit flamande ou autres, sans que pour ce sujet, ils 
puissent être inquiétéz et recherchez. » C'est le conseil souverain du Roussillon qui accélère le 
processus de francisation en proposant à l'intendant et au contrôleur général des finances la 
mise en place d'écoles bilingues

43

 : l'enseignement devait avoir lieu dans les deux langues et 

ce type d'écoles, qui fait assez penser aux écoles bilingues actuelles (écoles 

La Bressola

 en 

Catalogne, 

Diwan

 en Bretagne, 

Seaska

 en Pays-Basque, etc.

44

), devait être rendu obligatoire ; 

l'apprentissage du français permettrait aux catalans d'obtenir des charges de judicature. Le 9 
janvier 1672, Le Tellier indique que cette proposition « d'obliger les consuls de Perpignan à 
créer des petites écoles pour apprendre la langue française aux enfans a esté approuvée de Sa 
Maj. » Une dizaine d'années plus tard, le conseil voulut étendre la mesure qui fut un 
lamentable échec  — la plupart des professeurs catalans étaient incapables d'enseigner le 
français.  

                                                 

37 En Bretagne, voir Ch. Plessix-Buisset, 

Le criminel devant ses juges aux XVIe et XVIIe siècles

, Paris, 1988, p. 312 et 387 ; en Languedoc, 

voir Y. Castan, "Les Languedociens du XVIIIe siècle et l'obstacle de la langue écrite", 

Actes du 96e Congrès national des Sociétés savantes

 

(Toulouse, 1971), Section d'histoire moderne et contemporaine, t. 1, France du nord et France du midi, Paris, 1976, p. 73 et s. 
38 M. Jones, "Mon pays, ma nation, Breton identity in the fourteenth century", 

Mélanges G. W. Coopland

, Liverpool, 1976, p. 144 et s. cité 

par C. Beaune, 

Naissance de la nation France

, Paris, 1985, p. 299. 

39 Jusqu'au XIIIe siècle, les actes sont rédigés en latin. Notre collègue Hubert Guillotel n'a relevé qu'un seul passage rédigé en vieux breton 
parmi les textes anciens ; dans un acte du Cartulaire de Redon, les contractants fixent les clauses du contrat en latin — c'est un acte juridique 
— mais détaillent les limites du bien-fonds en breton. A compter du XIIIe siècle, le français concurrence le latin dans les actes de la 
chancellerie. 
40 « Pour reüssir en la recherche des Origines de nostre langue, il faudrait avoir une parfaite connaissance de la Langue Latine [de la 
grecque, l'Hébreux, le Chaldée, Basse-Bretagne, l'Allemand et tous ses dialectes, l'Italien, l'Espagnol, l'Arabe] Il faudrait sçavoir avec cela 
tous les divers idiomes de nos Provinces, & le langage des Paysans, parmy lesquels les Langues se conservent plus longuement. » (Gilles 
Ménage, 

Les origines de la langue française

, Paris, 1650, réed. Genève, 1972, Epistre). 

41 H. Abalain, 

Histoire des langues celtiques

, Luçon, 1998, p. 115. « Avec la Révolution, poursuit l'auteur, une nouvelle idéologie apparaît 

qui, pour cimenter l'unité nationale, entend supprimer les différences culturelles et linguistiques. La langue bretonne se voit affublée des 
qualificatifs les plus divers ("idiome barbare", "idiome grossier", "langue inintelligible"...). » 
42 Voir la bibliographie citée notes 14, 16 et 17 ; aj. H. Hattenhauer, "La politique linguistique de la France d'Ancien Régime et du saint 
empire romain germanique", 

L'unité des principaux États européens à la veille de la Révolution

 (P. Villard et J.-M. Carbasse dir.), Paris, 

1993, p. 140 et s. et H. van Dievoet, "Die Sprachpolitik in Frankreich zwischen 1630 und 1804", 

Sprach - Recht - Geschichte

 (J. Eckert et H. 

Hattenhauer dir.), p. 169 et s. Pour une synthèse, R. Rouquette, 

Le régime juridique des langues en France

, thèse droit, Nanterre, 1987, p. 

360 et s. 
43 A. Marcet -Juncosa, "Le conseil souverain de Perpignan au XVIIe siècle (jusqu'en 1716)", 

Les parlements de Province — pouvoirs, justice 

et société du XVe au XVIIIe siècle

 (J. Poumarède et J. Thomas dir.), Toulouse, 1996, p. 253-254. 

44 Sur les écoles en langues régionales, "L'école républicaine à l'épreuve des identités", 

La lettre de l'éducation

, 16 octobre 2000. 

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En Alsace

45

, ce sont les intendants qui relèvent combien il est délicat d'opérer auprès 

d'une population qui ignore le français. Colbert semble se préoccuper de la question. Le 12 
mars 1666, il écrit à son frère, intendant d'Alsace : 
 

 

« Comme il est de conséquence d'accoustumer les peuples des pays cédés au Roy par le traité de Munster à nos mœurs et à nos 

coustumes, il n'y a rien qui puisse y contribuer davantage qu'en faisant en sorte que les enfants apprennent la langue française afin qu'elle 
devienne aussy familière que l'allemande et que par suite du temps elle puisse mesme sinon abroger l'usage de cette dernière du moins avoir 
la préférence dans l'opinion des habitants du pays. » 

 

 
 

Quelle audace dans le ton ! Toutefois, on ne saurait ramener la politique linguistique 

menée en Alsace à cette déclaration

46

. Jusqu'à la Révolution, c'est la politique d'un successeur 

de Colbert, Chamillart, qui fut suivie : « il ne faut point touché aux usages d'Alsace. » Roland 
Ganghofer explique en effet que l'arrêt du 30 janvier 1685, qui prescrit l'usage du français 
dans les actes publics et interdit l'allemand, suscita aussitôt la réaction du Magistrat de 
Strasbourg qui brandit un droit à la langue : « Le roi, estimait- il, a promis par la Capitulation 
de la Ville [1681] de lui conserver tous ses privilèges, statuts et droits : l'usage de la langue 
est un droit. » Le préteur royal Obrecht, l'agent du roi, admit d'ailleurs ce droit mais — nous 
sommes déjà là au cœur du débat actuel — il rétorqua que « c'est un droit de souveraineté qui 
est réservé au roi. » De plus, en Alsace, la question linguistique se greffait sur une double  
problématique particulière : comment introduire le droit français dans un pays au 
particularisme juridique accentué ? Comment introduire le catholicisme dans un pays qui 
continue à bénéficier des privilèges de l'édit de Nantes, alors que le reste du royaume est 
soumis depuis 1685 à l'obligation juridique de catholicité ? La réponse va de soi : le clergé est 
invité par le gouvernement royal à dire le catholicisme en allemand pour contrer les 
luthériens, et les agents royaux à imprimer les directives en français et en allemand, à 
placarder des affiches bilingues, à faire les publications orales en dialecte alsacien. En 
définitive, le français ne devint ni langue courante, ni même langue administrative et le 
premier président du conseil souverain d'Alsace pouvait noter à propos de l'arrêt de 1685 qui 
impose la rédaction des actes en français : « Non exécuté généralement non plus qu'une 
ordonnance de M. de la Grange, Intendant, qui ordonnait aux Habitants d'Alsace de s'habiller 
à la française. »  
 

Le rattachement de la Corse au royaume, en 1768, s'accompagna de la même logique. 

Dans un premier temps, le roi insista sur le respect des usages et des libertés corses. Dans les 
lettres patentes du 5 août 1768, le roi en pose le principe : 

 
 

« La sérénissime république de Gênes ayant confié en nos mains, par une cession volontaire, les droits de souveraineté qu'elle 

possédait sur le royaume de Corse et ayant remis à nos troupes les places que les siennes occupaient dans cette île, nous nous sommes chargé 
du gouvernement et de la souveraineté indépendante du royaume de Corse d'autant plus volontiers que nous ne comptons l'exercer que dans 
le bien des peuples de cette île, nos nouveaux sujets. Notre intention est d'accorder à la nation Corse les avantages qu'elle pourra nous 
demander en se soumettant à nos droits souverains ; nous la préserverons de toute crainte ultérieure qu'elle pourrait avoir sur la continuation 
des troubles dont elle est déchirée depuis tant d'années ; nous veillerons avec les sentiments du cœur paternel que nous avons pour nos autres 
sujets, à la prospérité, la gloire et le bonheur de nos chers peuples de Corse en général et de chaque individu en particulier ; nous 
maintiendrons, sous notre parole de roi, les conditions que nous aurons promises pour la forme du gouvernement à la nation ou à ceux qui se 
montreront les plus zélés et les plus prompts à se soumettre à notre obéissance, et nous espérons que cette nation, jouissant des avantages de 
notre protection royale, par des liens si précieux ne nous mettra pas dans le cas de la traiter comme des sujets rebelles, et ne perpétuera pas 
dans l'île de Corse des troubles qui ne pourraient être que destructeurs pour un peuple que nous avons adopté avec complaisance au nombre 

de nos sujets : et pour que nos intentions, à cet égard, soient pleinement connues, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes »47.

 

                                                 

45 R. Ganghofer, "L'ordonnance de Villers-Cotterêts et la législation linguistique en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles", 

Études à Pierre 

Jaubert, 

Bordeaux, 1992, p. 249 et s. ; B. Jordan, "Le conseil souverain d'Alsace jusqu'en 1620", 

Les parlements de Province — pouvoirs, 

justice et société du XVe au XVIIIe siècle 

(J. Poumarède et J. Thomas dir.), Toulouse, 1996, p. 220. 

46 C'est l'optique de H. van Goethem ("La politique des langues en France, 1620-1804", 

Revue du Nord

, 1989, p. 437 et s.). L'auteur parle de 

« politique linguistique radicale » et, parce qu'il mélange la francisation de la langue du droit et celle des parlers, voit un souci d' « 
homogénéité linguistique » là où les ministres veulent l'homogénéité juridique. Pour H. van Goethem, la lettre de 1666 « montre où en étaient 
les idées. » Elle montre plutôt où en étaient les idées

 de Colbert

, ce qui est très différent. Ce centralisateur est loin d'incarner l'Ancien 

Régime à lui tout seul et aussi bien a t-on vu Louis XIV lui refuser la suppression des états provinciaux pyrénéens ou le projet d'un code de 
droit privé qui aurait uniformisé le droit  (voir 

J.-M. Carbasse, G. Leyte et S. Soleil, 

La monarchie française du milieu du XVIe siècle 

à 1714

, Paris, à paraître).

 

47 Isambert et al., 

Recueil général...

, Paris

t. XXII, p. 484-485. 

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Toutefois, là comme ailleurs, le conseil souverain (ou supérieur) de Bastia fut l'organe 

à la fois de la francisation et du respect des privilèges

48

 : on y trouve un secrétaire- interprète 

et dix conseillers ; six devaient être français et les autres devaient être d'origine corse — en 
pratique le nombre de ces derniers alla parfois jusqu'à sept. On interdit aux étudiants d'aller 
étudier en Italie. On projeta des écoles bilingues. On toléra l'italien dans les actes juridiques 
en expliquant qu'à terme, la langue française devait « devenir par la suite familière aux Corses 
et même leur langue naturelle comme elle est des autres sujets du Roi »

49

. Mais en définitive 

on respecta la langue locale. C'était assurément la seule méthode pour assurer l'unité politique 
et faire appliquer le droit : le code corse, « marqué par le droit continental », fit donc l'objet 
d'une publication en français et en italien. 
 
 
 

2) Pour les historiens, un constat s'impose : la politique linguistique a répondu à un 

double souci : garantir l'unité politique et respecter la diversité culturelle. D'un côté : un roi, 
une foi, une loi, une langue du droit ; de l'autre : des peuples, des coutumes, des corps, des 
parlers divers... A quoi devons-nous attribuer cette politique ? Tout d'abord, on ne 
comprendra jamais les politiques institutionnelles de la monarchie si l'on n'en revient pas à 
l'allégorie corporelle. Le royaume est un corps, dont le roi est la tête ou le cœur et dont les 
ordres, les peuples, les communautés, etc. sont les membres. On ne saurait traiter tous les 
membres suivant la même médecine ; chaque prescription doit être particulière — les images 
empruntées à la médecine pullulent  dans les traités des auteurs politiques d'Ancien Régime. 
D'où la complexité des situations et la multitude des décisions envisagées. Dans le domaine 
linguistique, on s'aperçoit que dans certaines provinces la francisation n'a pas eu lieu 
(Bretagne), qu'ailleurs elle est venue d'en bas (le conseil de Roussillon) ou d'en haut (Colbert 
et l'Alsace) ; on s'aperçoit aussi que dans une même province, l'introduction du français a été 
tantôt activée, tantôt interrompue (Colbert et Chamillart en Alsace) ; on s'aperçoit encore que 
les circonstances locales comptent pour beaucoup (ex. la recherche de l'unité religieuse en 
Alsace, la francisation du droit privé en Corse). Mais cette diversité, que les Jacobins ne 
pourront accepter (unité et indivisibilité de la République), est rendue possible parce que tous 
les membres reconnaissent le roi comme la seule tête du corps politique. Chaque peuple peut 
continuer à s'exprimer dans sa langue car l'allégeance est faite à un souverain incarné. Selon la 
juste remarque du professeur José Woehrling, lors de ce colloque, la diversité linguistique est 
sans doute plus aisée dans un régime monarchique — on doit, en même temps qu'on reconnaît 
un ensemble de valeurs, être loyal envers une personne qui peut conjuguer la diversité — que 
dans un régime républicain surtout révolutionnaire, car, à l'inverse, on doit, avant tout, 
reconnaître un ensemble de valeurs. Le cas belge, exposé par le professeur Francis Delpérée, 
est éclairant à cet égard : la partition territoriale actuelle, fondée sur  les langues, pourrait 
briser l'unité du royaume ; mais tous les Belges reconnaissent un même roi qui assure l'unité. 
Un exemple : il prête serment et se marie dans les trois langues. En 1685, le magistrat de 
Strasbourg l'expliquait à sa manière à propos de l'obligation de rédiger les actes en français : 
 

 

L'usage de la langue allemande n'infirme en rien « l'affection des sujets [qui] ne consiste pas seulement dans la langue du prince, 

mais dans la fidélité et l'obéissance. Toutefois, comme toutes deux subsistent fort bien ensemble, les bourgeois de Strasbourg apprennent 
autant qu'il leur est possible la langue de leur souverain. » 
 

 

Ensuite, il faut comprendre que la thématique langue/territoire/nation n'apparaît 

                                                 

48 J.-Y. Coppolani, "Le conseil souverain de Bastia", 

Les parlements de Province — pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIIe siècle 

(J. 

Poumarède et J. Thomas dir.), Toulouse, 1996, p. 264-265. 
49 Lettre du 15 septembre 1770, citée par H. Peyre, 

La royauté et les langues provinciales

, Paris, 1933, p. 238. 

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clairement qu'au XIXe siècle

50

. D. Nordman a posé la question : y a t- il une politique 

territoriale fondée sur les langues aux XVIe-XVIIIe siècles ? Il relève quelques exemples 
exceptionnels au XVIe siècle, tels Henri IV qui se serait exclamé à l'adresse des gens du nord 
— mais l'origine du texte est  discutée : « Il estait raisonnable que, puisque vous parlez 
naturellement français, vous fussiez subjects à un roi de France. Je veux bien que la langue 
espagnole demeure à l'Espagne, l'allemande à l'Allemand, mais toute la française doit être à 
moi. » Il  est toutefois certain que « l'argument linguistique déserte la scène internationale » 
aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi la politique des réunions menée par Louis XIV vers le 
nord et l'est s'étend largement au-delà des pays francophones pour viser la front ière du Rhin et 
l'on use d'arguments géographiques et historiques, jamais d'arguments linguistiques. Aussi la 
francisation linguistique des régions non- francophones n'a t-elle jamais revêtu un caractère 
d'urgence politique. Ce sont les historiens du XIXe siècle (Barante, Guizot, Kervyn de 
Lettenhove, Albert Sorel) qui donneront une densité politique et nationale aux langues, une 
densité que la monarchie ne leur attribuait pas. 
 

Enfin et surtout, il faut souligner que la position respective du français et des langues 

provinciales est très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. La « langue de la république » 
apparaît actuellement sur la défensive, d'un côté menacée par l'expansion de l'anglais, de 
l'autre mise à l'épreuve par les revendications identitaires. A compter du premier XVIIe siècle, 
le français, qui avait dû résister à l'hégémonie culturelle espagnole et italienne, fait l'objet d'un 
véritable culte au sein du royaume. A la fin du Grand siècle, il devient la langue parlée dans 
toutes les cours européennes, la langue appelée par les savants à concurrencer le grec et le 
latin

51

 ! Le français n'a donc aucun mal à s'imposer en dehors de toute politique linguistique. 

Son prestige et son intérêt social suffisent

52

. Deux exemples tirées de situations, de dates et 

d'auteurs très différents : le poète occitan Marot, monté à Paris au tout début du XVIe siècle 
pour rejoindre son père rapporte que 
 

  « N'ayant dix ans, en France fus meiné 
Là où depuis me suis tant pourmeiné 
Que j'oubliay ma langue maternelle, 
Et grossement apprins la paternelle, 
Langue Françoyse es grands Courts estimée 
[...] 
C'est le seul bien que j'ay acquis en France, 

Depuis vingt ans, en labeur & souffrance. »53

 

 
 

Durant les deux siècles qui suivent, une partie des élites locales adopte 

progressivement le français — c'est, au-delà de l'attirance, un signe de bonne éducation et une 
promesse de reconnaissance

54

 — et l'on notera avec intérêt les préoccupations de la noblesse 

                                                 

50 D. Nordman, "Langues et territoire en France aux XVIIe et XVIIIe siècles", 

Le sentiment national dans l'Europe moderne

, Actes du 

colloque de l'association des historiens modernistes (Paris, 1990), Paris, 1991, p. 9 et s. 
51 Sur ce point voir J.-P. Seguin, "La langue française aux XVIIe et XVIIIe siècles", 

Nouvelle histoire de la langue française

 (J. Chaurand 

dir.), Paris, 1999, p. 225 et s. et, pour une courte et belle synthèse, J.-M. Goulemot, "Quand toute l'Europe parlait français", 

L'Histoire

novembre 2000, p. 46 et s. 
52 On a montré que le français, langue du droit, progressait à mesure que l'idée du droit français, droit commun du royaume, s'imposait (X. 
Martin, "Langue française et droit coutumier en France à l'époque moderne", 

Langage et droit à travers l'histoire, Réalités et fictions

 (G. van 

Dievoet et Ph. Godding dir.), Leeven-Paris, 1989, p. 135 et s. ; J. Dubu, "De l'ordonnance de Villers-Cotterêts à la 

Deffense et illustration de 

la langue française

 : affirmation politique et revendication littéraire", 

Langues et nations au temps de la Renaissance 

(M. T. Jones-Davies 

dir.), Paris, 1991, p. 139 et s.). 
53 Cité par G. Clerico, "Le français au XVIe siècle", 

Nouvelle histoire de la langue française

 (J. Chaurand dir.), Paris, 1999, p. 162 et J. 

Picoche et Ch. Marchello -Nizia, 

Histoire de la langue française

, Paris, 1994, p. 29-30. 

54 « Au XVIe siècle, la noblesse des pays d'oïl adopte peu à peu le bon français, mais c'est surtout à partir de Malherbe que le langage de 
Paris devient le signe de bonne éducation. Le cas de Louis XIV harangué en picard par un échevin de la région était assez exceptionnel pour 
mériter d'être signalé par les contemporains » (A. Dauzat, 

Histoire de la langue française

, Paris, 1930, p. 545) ; Alain Croix rapporte qu'entre 

1599 et 1610, dans une paroisse, les registres montrent l'apparition d'actes rédigés en français, à côté des actes rédigés en latin, avec des 
signatures comme noble homme Jean du Quelennec ou noble homme Charles Glezan (A. Croix, 

La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La 

vie, la mort, la foi, 

Paris, 1981, t. I, p. 29, rapporté par G. Clerico, "Le français au XVIe siècle", 

Nouvelle histoire de la langue française

 (J. 

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provençale en matière culturelle. En 1684, Philippe de Meyronnet rédige une note pour son 
fils qu'il envoie faire ses études supérieures à Paris en ces termes : 
 

  « On doit éviter les phrases provençales que des novices tournent seulement en français, et il faut prendre garde aux expressions 
ordinaires des gens de Cour et de Paris, et surtout s'appliquer à perdre l'accent du pays et ne parler jamais le patois, et pour y 
parvenir avec plus de facilité fréquenter le moins qu'on peut les gens du pays sans pourtant faire connaître qu'on les évite. » 

 
 

L'exemple est intéressant : il montre la séduction qu'exerce le français de cour et de 

Paris. Mais il témoigne aussi que l'élite provençale parle toujours le provençal

55

 
 

Concluons : 1) l'ordonnance de Villers-Cotterêts a servi de cadre juridique contre les 

actes rédigés en latin ; 2) une série de textes a francisé la langue du droit à compter de 1620, 
sans référence à François Ier

56

 ; 3) les mesures à l'égard des parlers provinciaux ont recherché, 

au coup par coup, l'unité politique en respectant la diversité culturelle. De tout cela les 
révolutionnaires ont rendu témoignage à leur façon. Ainsi Barrère dans le 

Rapport du comité 

de salut public sur les idiomes 

 

  « Dans la monarchie même chaque maison, chaque commune, chaque province, était en quelque sorte un empire séparé de 
mœurs, d'usages, de lois, de coutumes et de langage. Le despote avait besoin d'isoler les peuples, de séparer les pays, de diviser les 
intérêts, d'empêcher les communications, d'arrêter la simultanéité des pensées et l'identité des mouvements. Le despotisme 

maintenait la variété des idiomes... »57

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

                                                                                                                                                         

Chaurand dir.), Paris, 1999, p. 152) ; après les annexions, certaines bourgeoisies alsacienne et perpignanaise ont accepté de jouer, par 
ambition et par admiration, la carte de la francisation. 
55 Ce constat est valable ailleurs : les juristes du XVIIIe siècle continuent à cultiver leur bilinguisme et à s'intéresser de près au droit aux 
anciens droits locaux (J.-M. Carbasse, "Langue de la nation et « idiomes grossiers » : le pluralisme linguistique sous le niveau Jacobin", 

Libertés, pluralisme et droit. Une approche historique

, Colloque d'Anvers (mai 1993), Bruxelles, 1995, p. 158 et s.) 

56 C'est en ce sens que certains peuvent parler du mythe de l'ordonnance de Villers-Cotterêts : l'interprétation faite aux XIXe et XXe siècles 
par les tribunaux n'est plus celle des jurisconsultes des siècles précédents (R. Rouquette, 

Le régime juridique des langues en France

, Thèse 

droit, Nanterre, 1987, p. 210 et s. et C. Robin, 

La langue du procès

, Clermont-Ferrand, 2000, spécialement p. 60-63 ; Cour cass., 2ème ch. 

civ., 11 janvier 1989, Soc. Composants et Produits Électroniques C. Soc. TRW Inc, 

D. 

1989.

Somm.

181). 

57 Barrère, 

Rapport du comité de salut public sur les idiomes

, rapporté par M. de Certeau, D. Julia et J. Revel, 

Une politique de la langue. La 

Révolution française et les patois

, Paris, 1975, p. 296. 

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Mélanges Paul Couzinet

, Toulouse, Univ. des Sc. Sociales, 1974 

G. Héraud, L’arrêt du tribunal fédéral suisse du 31 mars 1965 et la protection des aires 
linguistiques,