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Ce cinéma de la marge, mai 2000
— par Colas Ricard —


“Imaginons un œil qui ne sait rien des lois de la perspective inventée par l’homme, un œil qui ignore la recomposition logique, un œil qui ne correspond à rien de bien défini, mais qui doit découvrir chaque objet rencontré dans la vie à travers une aventure perceptive.”
Stan Brakhage



Introduction
Définition
Bref historique
Marginalisation
Conclusion
Bibliographie

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Note préliminaire (2002) :
J'ai écrit ce texte en 2000. Je ne suis ni historien, ni critique de cinéma, et non plus universitaire.
Ce texte peut donc présenter des erreurs ou des lacunes, des oublis. En outre ce texte n'a pas été écrit pour internet.
J'ai choisis de le présenter tel quel, sans le retravailler. À chacun de faire la part des choses, de rester indulgent ou curieux selon sa connaissance de ce cinéma.
CR






Introduction

“Inventer une alternative au capitalisme pour sauvegarder une totale indépendance esthétique”
Jean-Michel Bouhours

Dans les années 60, le cinéma underground américain donne à la fois un statut et une reconnaissance à un cinéma de la marge jusque là peu organisé. Il acquière son indépendance grâce à la création de réseaux de distribution et de diffusions autonomes : des coopératives qui reversent la majorité des recettes aux cinéastes. Se plaçant de lui même en dehors de l’industrie du cinéma et du même coup hors du système capitaliste de la société de marché, le cinéma underground échappe à la notion de profit, de rentabilité, et accède à une liberté de création totale.

Mais le cinéma expérimental, le cinéma de la marge n’a pas attendu les années 60 pour exister. Depuis les débuts du cinéma et jusqu’à aujourd'hui, il a pris différentes formes, s’est constitué en différents mouvements, plus ou moins important, plus ou moins influents, mais a toujours existé de façon ininterrompue.






Définition

"On peut faire des films de toutes les manières possibles. Il n'y a pas une pratique (dominante) qui dicterait et imposerait la juste manière de faire un film…"
Yann Beauvais

Le cinéma de la marge est généralement défini par la négative, il faut dire que le cinéma traditionnel est tellement réducteur qu’il devient difficile de définir le cinéma expérimental en rapport à ce cinéma, autrement qu’en considérant le cinéma classique comme un cas particulier du cinéma au sens large, ce qui n’est pas la coutume.

Il est possible de repérer des caractéristiques qui sans être ni exhaustives, ni systématiques, réunissent beaucoup de ces films marginaux :

Pour le définir autrement que par la négative on peut dire que c’est un cinéma qui est à la recherche d’un langage cinématographique propre, un art inséparable de son moyen d’expression ; et qui se donne les moyens de son ambition.


Les moyens esthétiques :

- Élargissement des normes du cinéma commercial, trop arbitraires et trop restrictives (genre, durée, peliculle…), à tous les champs possibles du cinématographique. Chaque film s’organise selon une logique qui lui est propre.
- Narration fragmentaire, déconstruite, ou inexistante.
- La conception se fait généralement au cours du film : expérimentations et reflexions, tournage et écriture vont de pair.


Les moyens de production :

- Le film est avant tout personnel : le cinéaste maîtrise l’ensemble des tâches de l'élaboration du film et souvent les effectue lui-même (prises d’image et de son, développement, montage…) C’est un cinéma de cinéaste (par opposition au cinéma d’auteur ou de réalisateur).
- Autoproduction et budget réduit.
- La distribution et la diffusion par le biais de structures parallèles (coopératives…)

Le cinéma dit “d’auteur” ou “d’arts et essais” est déjà un cinéma qui prends des distances avec les critères normatifs du cinéma traditionnel, mais s’inscrivant dans un système de production-distribution-diffusion commercial, il lui est souvent difficile de trop s’écarter de la norme.






Bref historique

"Nous nous appelons les kinoks pour nous différencier des 'cinéastes', troupeau de chiffonniers qui fourguent assez bien leurs vieilleries... NOUS déclarons que les vieux films romancés, théâtralisés et autres ont la lèpre... NOUS affirmons que l'avenir de l'art cinématographique est la négation de son présent... NOUS épurons le cinéma… des intrus : musique littérature et théâtre..."
Dziga Vertov


Les débuts

Les précurseurs de ce qu’il est convenu d’appeller le «pré-cinéma» (Eadweard Muybridge, Étiennes-Jules Marey, Émile Cohl…) par leur expérimentations se situent dans une logique de «cinéma élargi», tel le Cinéorama à dix projecteurs de Raoul Grimoin-Sanson. Ils se rattachent en cela au cinéma expérimental à travers l’histoire.
De même les débuts du cinéma, au sens du dispositif dominant actuel, on été un vaste champ d’expériences tout azimut. On peut y trouver aussi bien les sources du cinéma le plus conventionnel que celui d’un cinéma de recherche. Le cinéma amateur des frères lumières, ou le cinéma d’expérimentations de Méliès, pour ne citer qu’eux, contiennent déjà des ingrédients du futur cinéma expérimental.


Années 10, 20, 30

Il faut remonter au Manifeste de la cinématographie futuriste (1916) pour trouver véritablement les prémices de ce que va devenir au cours des temps le cinéma expérimental : un cinéma autonome, qui vaut pour lui même.
Les films futuristes sont aujourd’hui considérés comme perdus.
Les premiers films abstraits datent des années 20 avec Walter Ruttmann, Hans Richter, Viking Eggeling. Oskar Fischinger continuera dans cette voie.
À la même époque le Dadaïsme inaugure le cinéma des Avant-Gardes à venir. Le cinéma expérimental s’inscrit dans l'histoire de l'art, en même temps qu’il acquière sa propre histoire.
Un certain nombres d'artistes venus d’autres pratiques (Man Ray, Làzlò Moholy-Nagy, Fernand Léger, Marcel Duchamp…) on vu dans le cinématographe des possibilités nouvelles, un moyen nouveau de s'exprimer, un matériau nouveau à travailler.
Des cinéastes (René Clair, Henri Chomette, Dziga Vertov, Joris Ivens…) à travers leur médium spécifique s’inscrivent à leur tour dans le champ artistique de ces Avants-Gardes.
Le surréalisme à son tour (Jean Cocteau, Germaine Dulac, Luis Buñuel…) devient moteur d’un cinéma expérimental.


Années 40, 50

Len Lye, Mac Laren, Peter Kubelka, Robert Breer réalisent des films dans la lignée des films abstraits.
Le Lettrisme (Isidore Isou, Maurice Lemaître, Gil J Wolman…) puis le Situationnisme (Debord…) prolonge le travail des Avants-Gardes.
Maya Deren, Kenneth Anger ou Marie Menken aux États-Unis annonce déjà le cinéma Underground.


Années 60

Le cinéma underground américain intimement lié aux mouvements sociaux de l’époque, se démarque de l’industrie professionnelle entre autre par l’emploi de la pellicule 16 mm et la créations de coopératives qui lui donne une grande liberté et lui permet de contourner la censure. (Jonas Mekas, Stan Brakhage, Andy Warhol, Carole Schneemann, Jack Smith…)
Parallèlement des cinéastes, rejetant le lyrisme du cinéma underground, réalisent des films structurels : Michael Snow, Paul Sharits, Werner Nekes…
En France, des films apparaissent quelque peu en marge de la Nouvelle Vague (Marcel Hanoun, Jean-Daniel Pollet, Philippe Garrel, Chris Marker…)


Années 70

En France le cinéma différent grâce au festival d’Hyères connaît un essor important. Les films développent un cinéma corporel (Jean-Paul Dupuis, Stéphane Marti, Lionel Soukas…) ou un cinéma centré autour de la littérature (Duras, Robbe-Grillet…)
Par ailleurs d’autres continuent dans une ligne structurelle : Peter Gidal, Malcom LeGrice, Gordon Matta-Clark, Paolo Gioli….


Années 80, 90

Le cinéma contemporain.
De nouveaux cinéastes apparaissent, dans des pratiques plus que jamais plurielles :
yann beauvais, Rose Lowder, Patrick Bokanowski, Matthias Müller, Jürgen Reble, le groupe Métamkine…






Marginalisation


Pourtant ces films ne sont pour ainsi dire pas reconnu par les instances officielles du cinéma (CNC…). Ce cinéma est considéré comme amateur, périmé ou inexistant.
Il n’est soutenu que par certaines instances muséales institutionnelles. (Ce qui participe peut-être à cette image de films «d’une autre époque»)

Ce cinéma, qui pourtant trouve un public, reste étrangement absent de l'histoire du cinéma, de l’histoire officielle, telle qu’elle est énoncée par les critiques dans les livres, revues, encyclopédies ou documentaires.
Il y a certes des exceptions (Jacques Aumont, Alain et Odette Virmaux, Nicole Brenez, Dominique Noguez… mais ils restent rares) pour qui le cinéma est cette globalité dans son entier.

L’orsqu’on étudie l’histoire du cinéma, il semble que les expérimentations n'étaient propres qu'au début du siècle (Méliès, Vertov…) et que celles-ci aient disparues par la suite, le cinéma ayant atteint après Abel Gance et avec l’arrivée du parlant, une forme quasiment définitive. Des gens comme Vertov ou Pelechian semblent des exceptions, des ovnis dans l’histoire du cinéma.
Vertov d'ailleurs possède cette rare faculté d'être accepté tant par le cinéma traditionnel que par le cinéma expérimental. Il est une sorte de liaison entre ces deux mondes pourtant si proches.

À cette pratique alternative du cinéma expérimental répond donc une marginalisation culturelle et historique.

Peut-être parce que ce cinéma se plaçant hors de l’industrie du cinéma, se voit du même coup placé en dehors de la sphère culturelle qui répond au nom de cinéma, sphère organisée par cette même industrie, l’industrie des loisirs et de la culture officielle.

L’idée d’un cinéma que tout le monde peut faire, à l'opposé de la sacralisation du cinéma (de la pellicule, des acteurs…), de son élitisme capitaliste qui veut que seules les grosses sociétés de production soient en mesure de faire des films… est un cinéma qui nie la société de marché, le libéralisme économique, c’est un cinéma qui dérange.
Et il dérange d’autant plus qu’il est inclassable et incontrôlable.
Ce n’est pas pour rien si l’histoire de ce cinéma et des mouvements marginaux (homosexuels, squateurs…) se superposent régulièrement.






Conclusion, mai 2000


Les pratiques parallèles de cinéma sont avant tout un phénomène socio-culturel. Ce sont des artistes, des cinéastes, qui pour acquérir une indépendance esthétique se placent en marge d’un système commercial du cinéma.
Ils appartiennent à cette culture alternative qui trouve son expression tant dans le cinéma que la musique, la danse ou le théâtre, qui trouve son milieu dans certaines revues indépendantes, et dans un système de réseaux.

Les mouvements sociaux d’aujourd’hui semblent aller vers un modèle de société qui ne serait pas systématiquement sous la coupole des marchés financiers.
C’est ceci qui est mis en pratique dans ce cinéma de la marge depuis les années 60. Peut-être n’est-ce pas pour rien alors que ce cinéma semble aujourd’hui bénéficier d’un accueil croissant auprès du public.

Ce qui compte en définitive dans le cinéma, ce n’est pas de répondre à des critères de fabrication précis, selon les principes d’une société de consommation ; mais de faire exploser ces normes, afin d’accéder à une indépendance d’expression et ainsi à une certaine sincérité.






Bibliographie, mai 2000

note 2002 : cette bibliographie indique uniquement les ouvrages consultés pour ce travail et privilégie les ouvrages généraux.(Jeune, Dure et Pure ! non édité n'avait pu être consulté qu'à travers son dossier de presse).


L’Art du mouvement - Collection cinématographique du Musée National d’Art Moderne 1916-1996 - Éd. du Centre Pompidou 1996 - sous la direction de Jean-Michel Bouhours
> Conçu comme un dictionnaire par auteur, il constitue une anthologie du cinéma expérimental. Il contient une bibliographie importante.

Poétique de la couleur, une histoire du cinéma expérimental - Ouvrage collectif sous la direction de N. Brenez et M. Mc Kane - Auditorium du Louvre / Institut de l'Image 1995.

Le Cinéma autrement - Dominique Noguez - Cerf 1987, collection 7ème Art
> Du cinéma “d’art et essai” vers le cinéma expérimental

Éloge du cinéma expérimental - Dominique Noguez - Centre Pompidou 1979 ; réed. Paris Expérimental  1999.

Jeune, Dure et Pure ! Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France - sous la direction de Nicole Brenez et Cristian Lebrat - Cinémathèque Française / Mazzotta - Épuisé
> Anthologie suite à la rétrospective organisée par la Cinémathèque Française du 3 mai au 2 juillet 2000
> note 2002 : paru en 2001 à 1 200 exemplaires, épuisé en quelques mois. Aucune réédition n'est prévue par l'éditeur.

Dictionnaire du cinéma mondial - sous la direction de Alain et Odette Virmaux - Éd du Rocher 1994 - Épuisé
> Dictionnaire par entrées thématiques (mouvements, écoles, courants, tendances et genres). Approche globale du cinéma.

Une histoire du cinéma - Peter Kubelka - Centre Pompidou 1976 - Épuisé
> Catalogue de l’exposition du même nom.

L’Avant-Garde cinématographique en France dans les années vingts : idées, conceptions, théories - Noureddine Ghali - Paris Expérimental 1995 - Postface de Dominique Noguez

La Couleur en cinéma - sous la direction de Jacques Aumont - Cinémathèque Française / Mazzotta 1995

Pour un cinéma comparé, influences et répétitions - sous la direction de Jacques Aumont - Cinémathèque Française 1996.

Le Film est déjà commencé ? - Maurice Lemaître - André Bonne 1952 - Épuisé.
> Contient notamment la description détaillée du film en 3 colonnes : son, image, salle.



Colas Ricard, mai 2000.





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Ce texte est également disponible sur le site de Colas Ricard : http://colasricard.cineastes.net/t/marge.html


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