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Accueil > Jurisprudence > Assemblée plénière > Arrêts et travaux preparatoires > Rapport de M. Mazars Conseiller rapporteur

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Rapport de M. Mazars
Conseiller rapporteur

 



Comme l’écrivait jadis le doyen Carbonnier (R.T.D.C. 1952, p. 171), “le temps des juristes n’échappe pas plus que celui des physiciens au grand principe de la relativité”. Un délai, qu’il soit de fond ou de procédure, peut être trop court ou trop long. Le droit a fixé des durées diverses mais il a encore multiplié les obstacles à l’écoulement du temps, que ce soit par la suspension, “qui contient la fuite du temps”, ou par l’interruption, qui “efface la période antérieurement écoulée” (A. Viandier, Sem. Jur. 1978, I, n° 2885). Le jeu des différents délais, parfois combiné à celui des arrêts ou effacements du temps, aboutit alors à des situations complexes et quelquefois surprenantes. D’autant que dans certaines circonstances, les délais successivement applicables à un même événement ou litige après une pause peuvent ou non différer sans que l’on s’explique toujours clairement pourquoi ce sont tantôt les mêmes qui se suivent, tantôt pourquoi ils se substituent les uns aux autres - et donc sans que l’on sache précisément quel est le délai applicable dans une situation déterminée.

Tel est le cas de la présente affaire qui pose le problème de la nature de la prescription courant après qu’un jugement a arrêté la prescription initiale : le nouveau délai peut soit résulter d’une éventuelle “interversion des prescriptions”, c’est-à-dire de la substitution du délai de prescription de droit commun au délai spécial qui régissait la situation initiale, soit être la reprise du même délai initial - et cela dans un contentieux relatif à la demande en paiement d’une indemnité d’occupation d’un local après qu’une décision judiciaire a reconnu l’existence d’une pareille créance et en a déterminé le montant.

Rappel des faits et de la procédure

L’Office public d’habitation et de construction de Paris (OPAC) est propriétaire d’un immeuble situé 4 rue Maurice Bertaux à Paris 20e. Par acte sous seing privé du 21 novembre 1990, il a donné un appartement à bail à Mme Bernadette X.... Celle-ci n’a pas occupé les lieux mais elle les a mis à la disposition de M. et Mme Y....

Par acte d’huissier de justice du 3 février 1992, l’OPAC a assigné Mme X... devant le tribunal d’instance du 20e arrondissement de Paris en résiliation du bail, expulsion et fixation d’une indemnité d’occupation. Par jugement devenu irrévocable du 16 mars 1993, cette juridiction a prononcé la résiliation du bail, ordonné l’expulsion de Mme X... et des époux Y..., ordonné en tant que de besoin la séquestration des objets mobiliers trouvés dans les lieux et fixé l’indemnité d’occupation due jusqu’à la libération des locaux au montant du loyer antérieur, charges en sus. L’OPAC a alors entrepris la procédure d’expulsion.

Par déclaration au greffe du 7 juin 1994, M. et Mme Y... ont saisi le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 13 septembre 1994, leur a accordé un délai de six mois pour quitter les lieux. Leur expulsion a été réalisée le 24 juillet 1997. Le juge de l’exécution, par décision du 22 septembre 1997, a déclaré abandonnés les meubles de M. et Mme Y... laissés dans l’appartement.

L’OPAC, qui avait perdu la trace des intéressés, les a retrouvés et assignés le 25 juin 2001 devant le tribunal d’instance du 20e arrondissement de Paris afin d’obtenir le paiement des indemnités d’occupation pour la période comprise entre le 31 mars 1993 et le 31 juillet 1997. Par une décision du 12 novembre 2001, le tribunal s’est déclaré compétent pour statuer, a constaté que les époux Y... étaient occupants sans droit ni titre du chef de Mme X... de septembre 1991 à juillet 1997, les a déclarés redevables des indemnités d’occupation afférentes à cette période et égales au montant du loyer et des charges, et il a invité l’OPAC à justifier du montant réclamé. Au vu des décomptes produits, il a, par jugement rendu le 9 avril 2002, condamné M. et Mme Y... à payer à l’OPAC, au titre des indemnités d’occupation, la somme de 11 700,66 €, outre 350 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les époux Y... ayant interjeté appel de ce jugement, la cour d’appel de Paris, par arrêt du 26 juin 2003, a infirmé la décision déférée en ce qu’elle avait condamné M. et Mme Y... à payer à l’OPAC la somme de 11 700,66 € et, statuant à nouveau au visa de l’article 2277 du Code civil, les a condamnés à verser à l’Office la somme de 1 046,01 € au titre des indemnités mensuelles d’occupation de mai et juin 1997. Elle a également confirmé leur condamnation à régler la somme de 350 € au titre de l’article 700 précité. Elle a considéré qu’une indemnité d’occupation mensuelle avait déjà été judiciairement fixée, que l’action en paiement de cette indemnité était soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 2277 du Code civil pour ce type de créance, qu’aucune interruption de la prescription n’était ensuite intervenue et qu’en conséquence seules les indemnités relatives aux mois de mai et juin 1997 pouvaient être réclamées.

Le 30 septembre 2003, l’OPAC a formé un pourvoi régulier en cassation contre cet arrêt, signifié le 9 septembre précédent, et il a déposé un mémoire ampliatif (Me Foussard), signifié le 9 octobre 2003, contenant une demande d’indemnité de 2 500 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. M. et Mme Y... ayant sollicité l’aide juridictionnelle le 20 octobre 2003, une décision du 9 janvier 2004, notifiée le 21 janvier, leur a accordé l’aide juridictionnelle partielle. Ils ont déposé, le 19 avril 2004, un mémoire en réponse (Me Balat) en demandant l’allocation d’une somme de 2 000 € en application des dispositions combinées des articles 700 du nouveau Code de procédure civile et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.

Analyse succincte des moyens

L’OPAC fait grief à l’arrêt attaqué, après avoir condamné les époux Y... à lui payer la somme de1 046,01 € au titre des indemnités d’occupation dues pour les mois de mai et juin 1997, d’avoir rejeté sa demande visant à faire fixer à 10 654,65 € l’indemnité d’occupation due pour la période comprise entre le 31 mars 1993, date du premier jugement, et le 30 avril 1997. Il invoque un moyen unique de cassation en deux branches.

1ère branche : l’action visant à faire peser sur l’occupant une indemnité d’occupation mensuelle relève, à l’instar d’une action visant au paiement du loyer, de la prescription de cinq ans prévus par l’article 2277 du Code civil ; mais la prescription quinquennale n’a pas vocation à s’appliquer dans l’hypothèse où, par une précédente décision, le juge a condamné l’occupant à payer une indemnité d’occupation et arrêté le mode de détermination du montant de l’indemnité d’occupation ; en décidant le contraire, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 2277 du Code civil.

2nde branche : dès lors qu’une décision de justice a condamné l’occupant au paiement d’une indemnité d’occupation et fixé le mode de détermination du montant de l’indemnité d’occupation, l’action dirigée contre l’occupant, sur le fondement de la décision ainsi rendue, concerne l’exécution de la décision de justice et ne peut, dès lors, relever que de la prescription trentenaire de l’article 2262 du Code civil ; en décidant le contraire, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 2262 du Code civil.

L’OPAC, citant une abondante jurisprudence, reconnaît que, lorsque la demande porte sur l’existence même de la créance et son quantum, la prescription abrégée de l’article 2277 du Code civil doit recevoir effet. En revanche, il soutient que, si elle porte sur la mise à exécution ou le recouvrement d’une créance dont l’existence et le quantum ont déjà été fixés judiciairement, la jurisprudence admet que la prescription trentenaire de droit commun s’applique. Il relève en l’espèce que le tribunal d’instance du 20e arrondissement de Paris, dans son jugement du 16 mars 1993, avait condamné les époux Y... à payer une indemnité d’occupation et précisé que celle-ci serait égale au loyer majoré des charges. Dès lors, l’existence et le quantum de la créance étaient fixés, il ne s’agissait plus, dans l’instance ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, que de mettre à exécution cette décision, ce dont il résultait que seule la prescription de trente ans édictée par l’article 2262 du Code civil était applicable.

En défense, M. et Mme Y... font valoir que les motifs retenus dans l’arrêt attaqué suffisent à justifier la décision critiquée.

Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger

La demande en justice, introduite le 3 février 1992 pour obtenir la fixation d’une indemnité d’occupation a arrêté le délai de prescription du droit de réclamer une telle indemnité, délai qui était de cinq ans en application de l’article 2277 du Code civil, puisque la créance en cause était périodique, payable à des termes inférieurs à un année et assimilable à un loyer. Le jugement du 16 mars 1993 a, sinon chiffré le montant de la dette, du moins reconnu son existence et déterminé son montant par référence à des sommes connues (loyer et charges). La question qui nous est posée, sous des angles différents, par les deux branches du moyen est de savoir quelle est la prescription applicable à l’action tendant à l’exécution d’un jugement ayant condamné des débiteurs au paiement d’une créance périodique. Plus précisément, le délai de la prescription courant à la suite de ce jugement est-il celui de la prescription quinquennale prévu par l’article 2277 pour les créances périodiques payables à échéances inférieures ou égales à une année ou celui, trentenaire, édicté par l’article 2262 ?

On perçoit les conséquences de la réponse à cette question. Selon que nous admettrons que la prescription à prendre en considération est celle, trentenaire, de l’article 2262 du Code civil (comme nous y invite le pourvoi) ou celle quinquennale de l’article 2277 du même Code (comme l’a décidé l’arrêt attaqué), le créancier pourra réclamer le paiement de tous les arriérés des créances périodiquement échues pendant trente ans ou seulement ceux des créances échues durant les cinq dernières années. La situation financière du débiteur sera parallèlement aggravée ou soulagée.

 

Discussion

Le problème de l’interversion des prescriptions est “vieux comme le monde” (M. le président Meurisse, Sem. Jurid. 1961, I, n̊ 1665). Il n’en est pas pour autant clair et indiscuté. Pour tenter de le résoudre, il convient d’abord de prendre en compte les grands principes régissant les prescriptions (1 : brèves observations générales sur les prescriptions), puis d’examiner les différents éléments textuels, doctrinaux ou jurisprudentiels relatifs à l’interversion ou non de prescriptions (2 : l’article 2277 du Code civil et l’interversion de prescription) qui nous permettront d’étudier les orientations possibles dans cette affaire (3 : les pistes de solution), en prenant en considération une particularité de ce dossier qui tient à la teneur du jugement rendu en 1993 (4 : effet de la “fixation” de l’indemnité d’occupation dans le jugement du 16 mars 1993).

1 - Brèves observations générales sur les prescriptions

L’article 2219 du Code civil énonce les deux objets de la prescription en droit français : elle est “un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi”. Seul son aspect extinctif est en cause dans le présent dossier.

Une règle générale relative au «temps requis pour prescrire» est instituée par l’article 2262 du Code civil aux termes duquel «toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. “Une fois posé ce principe, le même Code énumère une série d’hypothèses dans lesquelles la durée de la prescription est inférieure à trente ans. De l’article 2271 à l’article 2277-1, il instaure des «prescriptions particulières” parmi lesquelles on distingue traditionnellement les courtes prescriptions des articles 2271, 2272 et 2273 dont la durée est inférieure ou égale à cinq ans et les prescriptions quinquennales prévues par l’article 2277.

Les premières concernent les créances des maîtres ou instituteurs, des hôteliers et traiteurs, des huissiers de justice, des maîtres de pension ou d’apprentissage, des marchands (pour les dettes des particuliers), des avoués ou avocats, des professionnels de santé - toutes créances en paiement du travail effectué ou du service rendu. Les sommes ainsi exigibles rémunèrent une activité professionnelle et sont destinées à faire vivre les créanciers ou à leur permettre de continuer à exercer leur activité. Elles doivent donc être rapidement réglées et leur brève prescription repose sur l’idée traditionnelle d’une présomption de paiement. Ces courtes prescriptions sont anciennes puisque, selon les auteurs, une ordonnance royale de 1512 avait déjà prévu qu’un certain nombre de professionnels «seraient tenus de demander leur paiement dans six mois pour ceux qui ont été livrés dans les six mois précédents». Le Code civil a maintenu ce genre de prescription qui, selon Bigot de Préameneu, est « établi sur les présomptions de paiement qui résultent du besoin que les créanciers de cette classe ont d’être promptement payés, de l’habitude dans laquelle on est d’acquitter ses dettes sans un long retard, et même sans exiger de quittance, et enfin sur les exemples trop souvent répétés de débiteurs, et surtout de leurs héritiers, contraints, en pareil cas, à payer plusieurs fois » (Travaux préparatoires du Code civil). D’autres prescriptions reposant sur une pareille présomption existent en dehors du Code civil, par exemple :
- en matière de recouvrement des frais dus au notaire pour les actes qu’ils ont accomplis (loi du 24 décembre 1897),
- en matière de lettre de change (article L. 511-78 du Code de commerce, ancien article 179) ou de billet à ordre (article L. 512-3 du Code de commerce) ; ces prescriptions sont également fondées sur une présomption de paiement (Com. 27 juin 1995, Bull. n° 94 ; Terré, Simler et Lequette, Droit civil, Dalloz, 2002 n° 1476).

Le régime juridique de ces prescriptions est spécifique ; nous n’en retiendrons que ce qui peut intéresser notre affaire : ce qui a trait à l’interversion de prescription.

Il résulte du second alinéa de l’article 2274 que ces courtes prescriptions ne cessent de courir qu’après « compte arrêté, cédule ou obligation, ou citation en justice non périmée ». La présomption de paiement est donc écartée dans ces seuls cas. Il s’ensuit qu’en cas de reconnaissance de dette, par exemple, la courte prescription n’est plus applicable et que s’applique par la suite la prescription de droit commun (par ex. : Civ. 1, 5 février 1991, Bull. n° 52). Il est ainsi admis que l’interversion de prescription ne peut jouer que dans les seuls cas prévus par le texte précité (cf. RTDC 1991, p. 744 et s., obs. Mestre).

Les prescriptions abrégées mentionnées à l’article 2277 sont entièrement différentes. Ce texte dispose : dans sa rédaction issue de la loi “de cohésion sociale” du 18 janvier 2005 :
« Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement :
Des salaires ;
Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;
Des loyers et fermages ;
Des intérêts des sommes prêtées,
et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts.
Se prescrivent également par cinq ans les actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives.»

Selon Colin et Capitant (Cours élémentaire de droit civil français, t. 2, Dalloz, 1932), l’origine de cet article remonte à une ordonnance de Louis XII de 1510 qui décidait que les acheteurs de rentes constituées ne pourraient demander que les arrérages de cinq ans, cela «pour le soulagement des débits rentiers», afin d’empêcher qu’ils ne fussent « mis à pauvreté et destruction pour les grands arrérages que les acheteurs laissent courir contre eux». Le même souci a inspiré une ordonnance de 1629 appliquant la même règle aux loyers et fermages, ainsi qu’à la demande en justice des intérêts d’une somme principale. Selon les mêmes auteurs, les rédacteurs du Code civil ont pareillement été inspirés par la volonté de protéger le débiteur : «En effet, si le créancier, surtout celui dont le droit est garanti par un privilège, comme le bailleur, ou par une hypothèque, cédait aux demandes de son débiteur et restait pendant de longues années sans réclamer les loyers ou les intérêts échus, ces annuités, qui normalement doivent se payer sur les revenus, se transformeraient en une dette de capital, laquelle, venant s’ajouter à la première, écraserait le débiteur et le conduirait à la ruine. Avec la courte prescription de l’article 2277, le créancier est mis dans l’obligation de ne pas laisser accumuler les intérêts». La plupart de la doctrine reprend la même idée, ajoutant qu’il est en ce cas important d’inciter le créancier à agir le plus rapidement possible et que son inaction doit être sanctionnée. MM. Malaurie et Aynés ajoutent dans leur traité qu’en empêchant l’accumulation des arrérages, on évite au débiteur de verser une trop grosse somme, c’est-à-dire de transformer en capital ce qui était à l’origine un revenu (Obligations, régime général, Cujas, 11ème éd. n° 143 et s.)

L’article 2277 applique une prescription raccourcie à des cas divers mais qui ont en commun d’être des sommes d’argent (ou des denrées en cas de fermage) payables périodiquement. On peut considérer avec M. Taisne (Prescription et possession– Prescriptions inférieures ou égales à dix ans, JCP, articles 2270 à 2278) que le Code civil a entendu faire de la prescription quinquennale un principe général pour l’ensemble des créances payables à intervalles périodiques, et cet auteur de citer Bigot de Préameneu : « La crainte de la ruine des débiteurs étant admise comme un motif d’abréger le temps ordinaire de la prescription, on ne doit excepter aucun des cas auxquels ce motif s’applique » (Travaux préparatoires au Code civil).

La généralité de l’article 2277 n’a toutefois pas empêché le législateur de confirmer les choix ainsi opérés par de très nombreux textes spéciaux, en retenant soit la même durée de prescription quinquennale (exemple : article L. 244-11 du Code de la sécurité sociale relatif aux cotisations dues par les employeurs aux caisses de sécurité sociale ; article L. 48 du Code du domaine de l’Etat concernant les redevances, droits et produits périodiques du domaine public ou privé de l’État recouvré par l’administration des domaines), soit des durées de prescription plus courtes (exemple : article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relatif à la prescription quadriennale des créances sur l’État ; article L. 114-1 du Code des assurances relatif à la prescription biennale des actions dérivant d’un contrat d’assurance).

La jurisprudence a reconnu que cette prescription n’était pas fondée sur une présomption de paiement (en ce sens, par exemple : Civ. 1, 20 novembre 2001, pourvoi n° 98-16.644 ; G. P. 31 octobre 2002, Jur. p. 1522, note Massip).

Pour que joue la prescription quinquennale de l’article 2277, un certain nombre de conditions doivent être réunies. Sans être exhaustif, nous pouvons retenir, d’une manière générale et synthétique, les conditions suivantes :
- la créance doit être périodique,
- il n’est pas besoin qu’elle soit toujours du même montant,
- mais elle doit être déterminée par avance
- et ne pas faire l’objet d’un litige entre les parties.

On sait qu’aux termes de l’article 2277 la prescription de cinq ans s’applique aux loyers. Notre affaire est relative aux indemnités d’occupation d’un local ; celles-ci entrent-elles dans les prévisions de l’article 2277 ? La Cour de cassation a retenu que lorsque ces indemnités sont prévues a priori par une clause du bail ou une convention d’occupation qui en fixe le montant, elles constituent des créances périodiques soumises à l’article 2277 (Civ. 1, 3 juillet 1979, Bull. n° 199 ; 5 mai 1998, Bull. n° 160 ; Civ. 3, 5 février 2003, Gaz. Pal. 364 octobre 2003, p. 22, note Rémy). La solution est la même lorsqu’elles résultent d’une décision de condamnation préalable au paiement d’une indemnité mensuelle (Civ. 3, 10 octobre 2001, pourvoi 00-14.406). Lorsque l’indemnité est réclamée a posteriori et en bloc, il était jugé qu’elle ne présente pas le caractère de périodicité requis et l’article 2277 était écarté (Civ. 3, 10 octobre 2001 précité ; 26 novembre 1997, Bull. n° 210), mais un arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation a décidé qu’une telle créance, relative à des arriérés de loyers, quoique exprimée en capital, était une dette de loyers (Ch. mixte, 12 avril 2002, Bull. n° 3). Rappelons enfin que l’article 2277 ne s’applique pas quand le montant de la créance (en l’espèce des loyers) est l’objet d’un litige entre les parties (Civ. 3, 5 janvier 1977, Bull. n° 9), à condition toutefois que la contestation du quantum soit sérieuse (Civ. 1, 14 mars 2000, Bull. n° 93, à propos des intérêts d’un prêt).

A partir du rappel de ces quelques notions de base, comment se pose la question de l’éventuelle interversion des prescriptions en cas de prescription quinquennale de l’article 2277 ?

2 . L’article 2277 et l’interversion de prescription

La matière de la prescription extinctive est réputée désordonnée, voire chaotique (cf. A. Bénabent : “Le chaos du droit de la prescription extinctive”, Mélanges L. Boyer, P. U. de Toulouse ; “Les désordres de la prescription extinctive”, P. U. de Rouen). A plus forte raison le domaine de la prescription des créances de l’article 2277 du Code civil, notamment s’agissant de la prescription applicable à l’obligation d’un débiteur après un jugement l’ayant condamné. En schématisant, pour ne pas dire en caricaturant, on pourrait soutenir que les textes sont muets, la doctrine peu explicite et la jurisprudence relativement floue.

2 . 1 . Les textes et la doctrine

2. 1. 1. Les textes

Comme l’observe M. Savaux (Defrénois 2002, article n° 37486), le Code civil ne dit rien sur la prescription applicable après un jugement ayant condamné un débiteur à payer une créance périodique. Il ne traite que l’hypothèse du rejet de la demande. L’article 2274 dispose en effet, nous l’avons vu, que la citation en justice non périmée interrompt le cours des prescriptions visées aux articles 2271 à 2273, ce qui signifie que le rejet de la demande est sans conséquence sur la prescription, mais sans dire quelle est celle qui court en cas d’acceptation de la demande. Et encore ce texte ne concerne-t-il que les situations qu’il indique et qui reposent, nous l’avons vu également, sur une présomption de paiement, ce qui n’est pas le cas pour celles de l’article 2277.

Seul l’article L. 511-78 du Code de commerce (ancien article 179) contient une disposition sur le sujet. Après avoir édicté des prescriptions abrégées pour certaines actions résultant de la lettre de change, il ajoute que, «en cas d’actions exercées en justice », les prescriptions ne s’appliquent pas s’il y a eu condamnation» (ou «si la dette a été reconnue par actes séparé»). On en déduit traditionnellement qu’il y a alors lieu d’appliquer la prescription de droit commun (Com., 21 juin 1976, D. 1976, IR, 260). Mais la spécificité du cas visé est telle que l’on peut à juste titre hésiter à se servir de ce texte pour retenir qu’il édicte une règle générale applicable dans toutes les hypothèses similaires.

2. 1. 2 . la doctrine

La doctrine classique n’est pas particulièrement prolixe en la matière. Elle est même assez confuse. La plupart des auteurs se bornent en effet, dans la situation considérée, à affirmer une solution sans s’expliquer clairement sur ses justifications.

Des études sur l’historique ont été réalisées par MM. Meurisse (La prescription d’une condamnation résultant d’un jugement, Sem. Jur. 1961, 1, n° 1665) et Savaux (Un aspect méconnu du droit de la prescription, Defrénois 2002, article 37486). Pour certains auteurs, tels Planiol et Ripert (2ème éd. par Esmein), c’est toujours la même prescription qui court après l’interruption ; si l’interruption est réalisée par un jugement de condamnation, elle est de trente ans. Pour d’autres (Mazeaud et Tunc, Traité de responsabilité civile, 5ème éd.), l’interversion de prescription ne s’applique qu’aux courtes prescriptions, les autres prescriptions abrégées «parce qu’elles ne reposent pas sur une présomption de paiement», ne sont pas remplacées par la prescription trentenaire. Une autre théorie se fonde sur la nature juridique du jugement : il y aurait effet interversif du jugement si celui-ci est constitutif de droit, effet seulement interruptif s’il est déclaratif ; mais remarquent ces auteurs, il n’est pas toujours facile de distinguer entre ces jugements. Une autre théorie (Aubry et Rau 6ème éd par Bartin ; Troplong, Droit civil, II) fait appel à l’actio judicati des Romains et adopte la prescription trentenaire. Pourtant nous sommes bien loin du droit romain... D’autres auteurs font appel à l’idée de novation (voir Aubry et Rau) : il s’agirait alors d’une novation ayant la particularité non d’éteindre la dette mais de la conforter ; ce fondement se recouperait avec celui tiré d’un changement du titre et se combinerait avec le principe de l’autorité de la chose jugée, le jugement de condamnation remplaçant le titre dont le créancier était jusque-là titulaire.

La doctrine moderne paraît avoir adopté plus ou moins la même attitude. Elle ne s’explique pas davantage. Remarquons que le fondement sur l’idée d’une novation a été plusieurs fois reprise (voir A. Viandier, “Les modes d’interversion des prescriptions libératoires“, Sem. Jur. 1978, I, n̊ 2885). Selon cet auteur, la doctrine est presque unanime à admettre l’interversion, mais elle est partagée sur sa justification, soit qu’elle rapproche le jugement et la citation en justice de l’article 2274, soit qu’elle invoque la novation, soit même qu’elle procède par simple affirmation (Perrot et Théry, Procédures civiles d’exécution, n° 397), se référant alors en général à la jurisprudence. C’est ainsi que dans son commentaire d’un arrêt de la première chambre civile, M. le professeur Perrot estime que la prescription (trentenaire) d’un jugement est indépendante de celle applicable au droit substantiel, ce qui s’expliquerait par le fait que « le jugement opère une sorte de novation, en ce sens que désormais, la partie gagnante tire ses droits de la décision de justice, sans être tributaire de la prescription qui pourrait affecter le droit substantiel lui-même» (R. Perrot, JCP Procédures, 1998, n° 217, obs sous Civ 1, 16 juin 1998, Bull. n° 214).

Il apparaît donc nécessaire de se pencher plus attentivement sur la jurisprudence.

2 . 2 . La jurisprudence

Au silence de la loi répond une jurisprudence abondante. Elle est majoritairement orientée dans le sens d’une substitution de la prescription de droit commun à la prescription abrégée quand celle-ci a été interrompue par un jugement ayant condamné le débiteur à payer des sommes périodiques déterminées. Elle n’est cependant pas toujours très claire sur tous les points, notamment sur le fondement des solutions adoptées.

2 . 2. 1 . Une interversion majoritaire

1) Traditionnellement, les auteurs font remonter l’adoption jurisprudentielle de l’interversion de prescription à un arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 1852 (Ch. civ., DP 1853, I, p. 50) qui, après qu’un jugement de 1792 eut ordonné le partage d’une succession et décidé que les fruits ne devaient pas être restitués depuis l’ouverture de la succession en 1748 jusqu’en 1771 au motif qu’à cette dernière date était intervenue une transaction sur les fruits échus jusqu’alors, retient que, si ce jugement n’ajoute pas que les fruits échus après 1771 seraient restitués, cette restitution a été formellement demandée et que nulle prescription ne saurait lui être opposée s’agissant d’exécuter le jugement de 1792.

Ultérieurement, un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que “le jugement de condamnation intervenu en première instance constitue, en raison de l’autorité qui s’y attache, un titre à l’abri des courtes prescriptions édictées par le Code civil ou par des lois spéciales” (23 juillet 1934, G. P. 1934, 2, p. 523).

2) La première chambre civile de la Cour de cassation a poursuivi sur cette voie. Elle a ainsi retenu que si la demande en paiement d’aliments est soumise à la prescription de l’article 2277 du Code civil, la poursuite de l’exécution de titres portant condamnation au paiement de la pension alimentaire est régie par la prescription de droit commun de 30 ans (Civ. 1, 16 juin 1998, Bull. n° 214 ; D. 1999, Jur., p. 386, note Massip). Jurisprudence confirmée par un arrêt du 14 janvier 2003 Bull. n̊ 8 ; R. T. D. C. 2003, p. 275, observations Hauser) selon lequel la poursuite de l’exécution de décisions portant condamnation au paiement de prestation compensatoire et de sommes dues au titre de la contribution à l’entretien des enfants est régie par la prescription de droit commun de trente ans. Voir dans le même sens : Civ 1, 2 février 2005, pourvoi n° 02-19.689, à paraître au bulletin civil.

3) La deuxième chambre civile a retenu la même solution :
- un arrêt du 19 octobre 2000 a approuvé une cour d’appel d’avoir déclaré que la prescription de l’article 2277 n’est pas applicable aux intérêts dus sur une somme objet d’une condamnation dès lors que le créancier qui agit en recouvrement de cette somme ne met pas en paiement des intérêts mais agit en vertu d’un titre exécutoire en usant d’une mesure d’exécution (Bull. n° 144) ;
- un arrêt non publié du 31 mai 2001 a énoncé, s’agissant du paiement d’une somme restant due au titre d’une prestation compensatoire, que le recouvrement de la créance ayant fait l’objet d’un jugement de condamnation se prescrivait par trente ans (pourvoi n° 99-16.689) ;
- dans un arrêt publié du 27 septembre 2001 (Bull. n° 214 ; Defrénois 2002, article n° 37486, obs. Savaux), elle a posé le principe que la poursuite de l’exécution d’un jugement portant condamnation à paiement des arrérages d’une rente est régie par la prescription trentenaire de droit commun, à la différence de la demande en paiement de ces arrérages soumise, elle, à la prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil ;
- un jugement du 13 avril 1970 a condamné un époux à payer une pension alimentaire à son conjoint ; ce dernier a demandé le 1er décembre 1999 la saisie des rémunérations du débiteur pour recouvrer les arrérages de cette pension qui n’avait jamais été réglée ; la cour d’appel a décidé que la créancière ne pouvait, par application de l’article 2277, recouvrer au-delà des cinq années précédant sa demande. Un arrêt de la deuxième chambre du 29 janvier 2004 (pourvoi n° 02-13.536) a cassé cette décision en retenant que la juridiction n’était pas saisie d’une demande de paiement d’arrérages, seule soumise à la prescription de l’article 2277, mais d’une action tendant à poursuivre l’exécution d’un jugement portant condamnation à paiement, à laquelle s’applique la prescription trentenaire de droit commun.

Dans ses différentes décisions, la deuxième chambre civile a ainsi fait application de l’interversion de prescription au motif qu’une action en exécution d’un jugement s’était substituée à une action en paiement de somme.

4) La chambre commerciale adopte le même point de vue. Par un arrêt de cassation du 16 avril 1996, elle a jugé, à propos d’une créance relative à un contrat de crédit-bail et admise au passif d’une liquidation des biens, « qu’à l’obligation contractuelle, soumise à la prescription quinquennale édictée par l’article 2277 du Code civil, s’est substituée celle découlant de l’ordonnance rendue par le juge commissaire portant admission de la créance [...] et que le bénéfice de cette ordonnance [...] se (prescrivait) selon le droit commun » (pourvoi n° 93-17.695; JCP, contrat - concurrence - consommation, juillet 1996, n° 120, obs. Leveneur).

5) Plusieurs arrêts de la chambre sociale ont aussi, depuis longtemps, appliqué l’interversion de prescription. Ainsi :
- un arrêt du 16 décembre 1969 (Bull. n° 695) a retenu, s’agissant du paiement de sommes dues à titre de cotisations et majorations de retard en vertu de jugements de police, que la prescription de cinq ans prévue par l’article 169 du Code de la sécurité sociale ne s’applique qu’à l’action en recouvrement et que celle ayant pour objet l’exécution des condamnations prononcées par un jugement se prescrit par trente ans même si la créance primitive était soumise à une prescription particulière ;
- cette solution a été reprise dans de nombreux arrêts postérieurs, en particulier : 18 février 1971 (pourvoi n° 69-12.793), 6 décembre 1973 (Bull. n° 641 ; D.-S. 1974, Jur., p. 619, note Yves Saint-Jours) ;
- elle a également été adoptée pour le recouvrement de cotisations d’assurance vieillesse et majorations de retard, mises à la charge d’un débiteur par des contraintes devenues définitives, la Cour de cassation ayant jugé que ces contraintes comportaient tous les effets d’un jugement et se trouvaient soumises à la prescription trentenaire et non à la prescription quinquennale (23 novembre 1989, Bull. n° 682 ; 5 février 1998, Bull. n° 68).

Toutefois, cette jurisprudence favorable à l’interversion de prescription, si elle apparaît très dominante, connaît cependant des exceptions.

2. 2. 2. Refus d’appliquer l’interversion des prescriptions

Certaines formations de la Cour de cassation n’appliquent pas toujours l’interversion de prescription, soit qu’elles la refusent, soit qu’elles en fassent une application évolutive.

1) Refus d’application

A - Loyers et indemnités d’occupation

Plusieurs arrêts de la troisième chambre civile sont révélateurs d’une réticence à appliquer l’interversion de prescription.

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la chambre du 16 décembre 1998, un propriétaire avait assigné, le 2 août 1994, un occupant sans droit ni titre de son immeuble en paiement d’une somme à titre d’indemnité d’occupation pour la période du 20 août 1984 au 25 avril 1990 ; la cour d’appel avait déclaré cette demande prescrite pour la période antérieure au 2 août 1989 aux motifs que le paiement réclamé constituait la contrepartie financière périodique à l’occupation des lieux et était soumis à la prescription de l’article 2277. La troisième chambre civile a cassé cette décision au visa de ce dernier texte en retenant que «la prescription quinquennale ne pouvait s’appliquer, en l’absence de condamnation préalable de (l’occupant) au paiement d’une indemnité mensuelle, à la demande globale d’indemnité d’occupation » formée par le propriétaire (Civ. 3, 16 décembre 1998, Bull. n° 251). Cette décision confirme une solution déjà retenue antérieurement. La chambre paraît donc admettre, a contrario, l’application de la prescription prévue par l’article 2277 en cas de condamnation préalable lorsque le juge a préalablement condamné l’occupant à payer dans l’avenir des indemnités périodiques, ce qui exclurait le recours à l’interversion de prescription.

À noter que cette chambre avait retenu que l’indemnité d’occupation revêtait un caractère mixte, compensatoire et indemnitaire, même si son montant correspondait à celui des loyers convenus, et qu’en conséquence, un OPAC ayant formé une demande d’indemnité globale, la prescription quinquennale ne pouvait s’appliquer au paiement d’une indemnité mensuelle en l’absence de condamnation préalable (26 novembre 1997, Bull. n° 210). Solution confirmée par un arrêt du 10 octobre 2001 (pourvoi n° 00-14.406).

Dans une autre affaire postérieure, un bail ayant été résilié le 14 avril 1992, le propriétaire a obtenu la condamnation de son locataire par une ordonnance de référé du 23 juin 1992 à lui verser le solde locatif arrêté au mois de juin 1992 ; le propriétaire a ensuite assigné la même personne, le 21 novembre 1997, en paiement des loyers et, jusqu’au mois de juillet 1992, d’indemnités d’occupation fixées conformément au bail, le preneur ayant été expulsé le 24 juillet 1992. La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir retenu que la créance du bailleur, arrêtée au jour de la libération des lieux, n’échappait pas à la prescription de cinq ans édictée par l’article 2277 dès lors qu’elle avait relevé que la demande du bailleur portait sur des sommes conventionnellement prévues et payables à termes périodiques (Civ. 3, 5 février 2003, Bull. n° 29).

Ces deux arrêts de 1998 et de 2003 paraissent aller dans le même sens, le premier implicitement, le second expressément : le refus de la substitution de prescription pour les indemnités d’occupation (ou les loyers).

B - En matière d’assurances

Exception également notable par sa constance, celle de la première chambre civile qui refuse de faire jouer l’interversion chaque fois que l’action dérive d’un contrat d’assurance.

Rappelons d’abord que le texte fondamental dans cette matière n’est pas l’article 2277, mais l’article L. 114-1 du Code des assurances qui prévoit, dans son premier alinéa, que « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui donne naissance ». Ce délai est porté à 10 ans dans certaines circonstances. Le même article fixe le point de départ du délai. Contrairement donc aux dispositions de l’article 2277, la prescription biennale ne concerne pas seulement des créances périodiques mais toutes créances.

Dans une affaire où les propriétaires d’un immeuble détruit par un incendie avaient obtenu le 6 mai 1987 la condamnation de leur assureur à les indemniser, la compagnie d’assurances a engagé une procédure de référé-expertise qui a donné lieu à une ordonnance du 6 novembre 1987 commettant un expert pour évaluer le dommage. Les propriétaires ont assigné leur assureur en paiement de l’indemnité en juin 1990. Un pourvoi en cassation ayant été formé contre l’arrêt rendu par la cour d’appel, la première chambre a rendu, le 3 février 1998 (Bull. n° 9 ; D. 1999, Som., p. 223, obs. Berr), un arrêt de rejet. La Cour de cassation a retenu «que les dispositions de l’article L. 114-1 du Code des assurances sont exclusives de toute interversion de prescription, alors même qu’une décision judiciaire a prononcé une condamnation à garantie de l’assureur ; que s’il est exact que l’exécution d’un jugement ou arrêt de condamnation ne relève pas, en raison de l’autorité qui s’y attache, d’un régime de courte prescription, la prescription biennale s’applique aux actions engagées par la suite dès lors qu’elles dérivent du contrat d’assurance ; que l’ordonnance de référé du 6 novembre 1987 commettant un expert pour évaluer les dommages causés par l’incendie et permettre ainsi de déterminer, dans les limites du contrat, le montant de l’indemnité d’assurance, a fait courir un délai de deux ans ». La chambre a en conséquence approuvé la cour d’appel d’avoir accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale et invoquée par la compagnie d’assurances.

Cet arrêt confirme une précédente décision de la même chambre qui avait adopté la même solution aux motifs « qu’il résulte des articles L. 111 - 2, L. 114 - 1 et L. 114-2 du Code des assurances que le délai de prescription biennale pour les actions dérivant du contrat d’assurance a un caractère d’ordre public exclusif de toute interversion de prescription » (Civ. 1, 9 mai 1994, Bull. n° 166).

Si cette référence au caractère d’ordre public du délai biennal n’est pas reprise dans l’arrêt de 1998, cette raison n’en est cependant pas absente puisqu’elle explique seule pourquoi la prescription trentenaire, implicitement reconnue à un jugement ou arrêt de condamnation, a été écartée au profit de la prescription biennale.

La décision de 1998 a cependant donné lieu à un commentaire critique de M. le professeur Berr (référence précitée). Après avoir relevé que la première chambre avait déjà jugé à plusieurs reprises que l’action intentée par un assuré pour faire exécuter une transaction n’était plus recevable lorsque deux années s’étaient écoulées depuis sa conclusion (Civ. 1, 3 octobre 1995 Bull. n° 331), ce qui s’expliquait en l’absence d’effet novatoire de la transaction lié à son caractère déclaratif et non récognitif, cet auteur estime discutable l’identité des solutions en cas de jugement et de transaction, reprochant à la Cour d’avoir fait abstraction de la spécificité du jugement de condamnation qui aurait pour seul effet d’interrompre la prescription biennale, celle-ci recommençant à courir dès qu’il a été rendu, « exactement comme le fait une simple lettre recommandée ». Il considère davantage justifiée la jurisprudence qui soumet à la prescription trentenaire l’action en exécution d’un jugement.

C - La chambre mixte

Deux arrêts de Chambre mixte ont eu l’occasion de prendre position sur un aspect particulier de la question.

1°) Dans une première décision du 12 avril 2002 (Bull. n° 2), la Chambre mixte a jugé que « si l’action en paiement de charges locatives, accessoires aux loyers, se prescrit par cinq ans, l’action en répétition des sommes indûment versées au titre de ces charges, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n’est pas soumise à la prescription abrégée de l’article 2277 du Code civil ». Il en ressort certes que l’action en répétition de l’indu obéit à la prescription trentenaire, mais aussi que l’action en paiement des charges locatives (ou les loyers) est soumise à la prescription quinquennale. Il est vrai que ce point n’a pas été examiné sous l’angle qui nous occupe aujourd’hui : la nature de la prescription après jugement de condamnation.

2°) Dans un second arrêt du même jour (Bull. n° 3), la Chambre mixte a décidé que la prescription de l’article 2277 était applicable à une créance qui, quoique exprimée en capital, constituait une dette de loyers. Dans cette affaire, un propriétaire avait donné à bail à une société un immeuble lui appartenant ; le 21 mars 1988, à la demande de la locataire, le bailleur avait consenti à celle-ci une réduction de 50 % du montant du loyer à compter du 1er octobre 1987 et aussi longtemps que le bilan d’exploitation de la société serait négatif, sous réserve d’un rectificatif du montant du loyer si le bilan redevenait positif. La locataire a signé le 2 avril 1992 une reconnaissance de dette exprimée “en capital” représentant l’addition des diminutions successives des loyers du 1er octobre 1987 au 30 septembre 1990, ces sommes portant intérêt. La société locataire ayant refusé de régler cette somme, le bailleur l’a assignée en paiement par acte du 11 décembre 1997. La Chambre mixte a jugé que la créance résultant de l’acte du 2 avril 1992, bien qu’exprimée en capital, était une dette de loyers et que la prescription applicable était de ce fait celle prévue par l’article 2277. Il peut s’induire de cet arrêt que pour apprécier si une créance est soumise à la prescription abrégée ou à celle de droit commun, il faut se référer à la nature des sommes qu’elle représente. C’est la nature des créances qui commande l’application de l’article 2277, pourvu bien sûr que les conditions en soient remplies, en particulier leur caractère périodique.

Ces deux décisions, approuvées par la doctrine (respectivement : Sem. Jur. 2002, II, n° 10100, obs. M. Billiau, pour la première ; et, pour la seconde, d’une part : Defrénois 2002, Jur. , article 37599, obs. Y. Dagorne-Labbe, d’autre part : D. 2002, Jur., p. 2905, obs. F. Perret-Richard), correspondent à une “interprétation souple” de l’article 2277 (Y. Dagorne-Labbe). En particulier, le second arrêt révèle la volonté de la Cour de sanctionner la négligence du créancier peut-être davantage que celle de protéger le débiteur : il n’y avait en effet plus de risques d’accumulation des arrérages puisque la reconnaissance de dette avait fixé le montant des loyers arriérés (F. Perret-Richard).

2) Application évolutive

A côté de ces refus plus ou moins catégoriques, il faut relever la jurisprudence évolutive sur certains points des première et deuxième chambres civiles et de la chambre commerciale.

A - La deuxième chambre civile

Deux séries de décisions en sens contraire auraient, selon certains, marqué une évolution hésitante de la deuxième chambre.

a) S’agissant du recouvrement des dépens par les avoués, il a été relevé un arrêt de cassation récent (Civ. 2, 17 mai 2001, Bull. n° 97) qui a décidé que «l’action des avoués en recouvrement des dépens se prescrit par deux ans à compter du jugement sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que l’action est exercée par l’avoué à l’encontre de son mandant ou, en application de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile, à l’encontre de l’adversaire de celui-ci ».

Cette décision a été critiquée (D. Chatteleyn et Ph. Boyer : “Distraction à nos dépens”, D. 2002, Jur., p. 128) On peut cependant se demander si elle se situe exactement dans le même contexte juridique que celles ayant donné lieu à une interversion de prescription. En effet, l’arrêt a été rendu au visa de l’article 2273 du Code civil, c’est-à-dire à propos des courtes prescriptions qui, nous le savons, sont soumises à un régime spécial, notamment pour ce qui est tant des conditions de la prescription que de leur fondement. Par ailleurs, il met surtout l’accent sur l’unité de l’action de l’avoué, qu’elle soit dirigée contre son client ou contre un tiers.

 

b) S’agissant des intérêts moratoires qui nous concernent plus directement :
- dans une affaire ayant donné lieu à un jugement du 11 décembre 1963 qui avait condamné un débiteur à rembourser une somme en principal avec les intérêts, puis à un commandement de payer signifié le 8 août 1983 portant sur le capital et les intérêts échus depuis le 1er octobre 1963, la deuxième chambre a approuvé la cour d’appel d’avoir limité la condamnation aux intérêts des cinq dernières années ayant précédé le commandement en retenant que « la prescription de l’article 2277 est applicable à l’action en paiement des intérêts annuellement dus sur les condamnations prononcées par jugement » (Civ. 2, 1er juin 1988, Bull. n° 134) ;
- dans une affaire plus récente, une banque a obtenu, par jugement du 18 mars 1980, la condamnation de ses débiteurs à lui payer le principal de sa créance ainsi que les intérêts ; munie du titre exécutoire, la banque a fait pratiquer le 1er mars 1994 une saisie attribution pour obtenir le paiement du principal et des intérêts ; les débiteurs ont alors saisi le juge de l’exécution en soutenant que le décompte de la banque était erroné parce qu’il comprenait des intérêts atteints par la prescription quinquennale. Saisie d’un pourvoi en cassation formé par les débiteurs, la deuxième chambre a jugé « que la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la prescription n’est pas applicable dès lors que (la banque) n’a pas formé d’action en paiement des intérêts, mais a seulement mis en oeuvre le recouvrement des créances qu’elle détient sur les époux D... en vertu de titres exécutoires » (Civ. 2, 19 octobre 2000, Bull. n° 144).

Ce dernier arrêt marque ainsi, dans cette matière, un ralliement de la chambre à la thèse de l’interversion de prescription. Ce revirement de jurisprudence repose sur la même considération que nous avons déjà rencontrée, à savoir que la prescription succédant à un jugement de condamnation est la prescription trentenaire car il s’agit par la suite d’actions en exécution de cette décision, et non la prescription abrégée applicable lorsqu’il s’agit d’obtenir la condamnation d’un débiteur.

Il faut cependant noter, comme cela a été relevé par certains, que des auteurs avaient estimé que « les intérêts moratoires, alloués par jugement, sont soumis à la prescription de cinq ans, lors même qu’ils ont été adjugés à titre de dommages-intérêts » (Aubry et Rau, Traité de droit civil français, sixième édition, par P. Esmein, § 774, p. 447).

B - La première chambre civile et la chambre commerciale

La première chambre civile, par un arrêt du 11 février 2003 (Civ. 1, Bull. n° 43), a cassé, au visa de l’article 189 bis du Code de commerce, devenu l’article L. 110-4, dans une affaire où une banque, qui avait accordé des crédits par acte notarié, avait assigné l’emprunteur en paiement, l’arrêt de la cour d’appel qui, après avoir relevé que la créance avait été constatée par acte authentique revêtu de la formule éxécutoire, avait déclaré applicable la prescription prévue par l’article 2262 du Code civil, même si la créance autrement constatée eût été soumise à la prescription prévue par l’article 189 bis précité. Elle a jugé “qu’il s’agissait d’une action en justice pour avoir paiement, peu important que l’acte litigieux fût un titre exécutoire et alors que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans sans distinguer selon la forme en laquelle elles ont été constatées”.

Une affaire du même genre a été soumise à la chambre commerciale. Une banque sollicitait le paiement de sa créance découlant d’un acte notarié du 23 mars 1984. La cour d’appel, confirmant le jugement du juge de l’exécution, a constaté l’extinction de cette créance par application de la prescription aux motifs que si un acte notarié, qui est un titre exécutoire, n’opère aucune novation quant à la nature de l’obligation qu’il authentifie, l’action ayant pour objet l’exécution de cette obligation se prescrit par trente ans même si la créance primitive était soumise à une prescription particulière comme en l’espèce celles de l’article 189 bis du Code de commerce. Le pourvoi soutenait que la prescription de dix ans prévue par ce dernier article, qui n’édicte aucune exception liée à la forme de l’acte ayant constaté l’obligation souscrite, supplantait la prescription trentenaire de droit commun, et il reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir violé, par refus d’application, l’article 189 bis du Code de commerce et, par fausse application, l’article 2262 du Code civil. Dans un arrêt du 8 octobre 2003 (pourvoi n° 00-18.309), la chambre commerciale a déclaré ce pourvoi non-admis. Il en résulte que, pour cette chambre, l’action née de l’acte authentique est manifestement soumise à la prescription trentenaire. Il est ainsi fait application de l’interversion de prescription, ce qu’avait refusé de faire la première chambre civile dans l’arrêt mentionné ci-dessus.

Tel est l’état actuel, pour le moins un peu confus, du droit applicable à la prescription après qu’un jugement ou un autre acte exécutoire a déclaré une personne débitrice de créances périodiques. Quelles voies s’offrent-elles alors à nous pour tenter de résoudre le litige qui nous est soumis de la manière la plus harmonieuse possible ?

3 - Des pistes de solution

Le considérant principal de l’arrêt attaqué est le suivant : «Considérant qu’une indemnité d’occupation mensuelle ayant été préalablement et judiciairement fixée, l’action en paiement de cette indemnité d’occupation est soumise à la prescription quinquennale ». Il s’en déduit que la cour d’appel a estimé que, dans l’instance qui lui était soumise, l’OPAC n’a fait que poursuivre sa demande en paiement initiale et que la même prescription était applicable avant comme après le jugement du 16 mars 1993.

A l’évidence, deux réponses à la critique faite à ce motif par le pourvoi solutions sont envisageables : soit admettre la reprise de la prescription initiale, soit retenir l’interversion de prescription. Mais on peut aussi se demander si une troisième voie ne serait pas envisageable.

3. 1. Reprise de la prescription initiale

La première piste serait de considérer, comme l’a fait la cour d’appel dans l’arrêt qui nous est déféré, que la prescription postérieure au jugement reste celle prévue initialement, en l’espèce la prescription quinquennale de l’article 2277.

Cette solution repose sur deux idées :
- d’abord sur l’idée d’interruption. La demande en paiement initiale a, conformément à la doctrine la plus classique, interrompu la prescription en cours dont il n’est pas contestable qu’elle est ici celle de cinq ans prévue par l’article 2277. Dans la logique de l’interruption, c’est la même nature de prescription qui recommence à courir une fois le jugement définitivement intervenu. Il est donc logique que le créancier ne puisse réclamer, après comme avant le jugement, que les créances des cinq dernières années ;
- ensuite sur l’idée que la nature de la créance n’est pas modifiée par le jugement qui la consacre et que les règles qui lui sont applicables continuent à la régir après l’intervention d’un acte exécutoire. Malgré le jugement qui les prévoit, les créances périodiques gardent les caractères qui leur sont intrinséquement liés. Le jugement n’a pu avoir d’effet novatoire, il n’a pas remplacé une obligation (ici de payer périodiquement une indemnité d’occupation) par une autre : en fin de compte, ce sont toujours des indemnités d’occupation que doit le débiteur, avant comme après le jugement qui l’a condamné à en verser, que les termes du paiement soient antérieurs à la décision ou postérieurs. L’obligation primitive demeure avec ses caractères, ses effets et les sûretés qui lui sont attachées. De plus le jugement, par sa seule nature contraignante, est impropre à transformer la dette, à la nover puisque la novation suppose la volonté des parties de modifier l’obligation primitive en une nouvelle.

Certaines décisions juridictionnelles ont en conséquence appliqué aux actions postérieures à un premier jugement la prescription particulière qui était celle applicable aux actions en reconnaissance d’un droit de créance, aux demandes ou actions “en paiement” de créances périodiques. C’est ce qu’a fait l’arrêt qui nous est soumis.

C’est aussi le cas, comme nous l’avons signalé, de plusieurs arrêts de la première chambre, notamment en matière d’assurances, mais il est exact que la motivation est alors étrangère aux fondements traditionnellement invoqués pour écarter l’inversion de prescription. C’est encore le cas de la troisième chambre en matière de loyers et d’indemnités d’occupation (cf. Civ. 3, 5 février 2003, Bull. n° 29). Pour justifier sa solution, la chambre s’est fondée sur la nature des créances (prévues par contrat et payables à terme périodique) bien qu’il existât en l’espèce déjà une décision (de référé il est vrai) qui avait, selon l’arrêt, condamné le locataire au paiement du seul solde locatif arrêté avant que le l’occupant ait quitté les lieux. C’est surtout le cas des arrêts de la Chambre mixte du 16 avril 2002.

Cette solution ne serait donc pas totalement contraire à la jurisprudence de notre Cour mais seulement à un de ses courants. Mais elle suppose de revenir sur des jurisprudences récentes, parfois acquises au terme de bien des hésitations.

Elle peut aussi se discuter théoriquement. En effet, se borner à retenir la même prescription que celle existant avant le jugement conduirait à ignorer que celui-ci a tranché un litige, reconnu un droit à une partie et mis une obligation à la charge d’une autre. L’affaire a été jugée. L’idée pourrait conduire, si on la poussait à l’extrême, à limiter à la durée du droit substantiel la durée d’exécution de la décision judiciaire, contrairement à tout ce qui a été jugé et pensé jusqu’à présent. Ce serait enfin, dans une grande mesure, limiter les effets du jugement et, partant, son intérêt ; la décision juridictionnelle serait en fin de compte dépourvue de toute autorité spéciale.

Mais cette solution accomplirait pleinement le voeu des rédacteurs du Code civil de ne pas accumuler les arriérés sur la tête d’un débiteur dont la situation se trouve souvent déjà fortement compromise. Elle constituerait une vive incitation des créanciers à agir rapidement, ce qui serait aussi favorable à la sécurité juridique, sociale et économique en évitant de laisser perdurer des situations incertaines, source souvent de troubles graves, toujours de risques importants. Elle peut donc apparaître comme un facteur d’équité rassurant.

Cette orientation aurait l’avantage supplémentaire de réaliser une certaine unification du droit de la prescription en fonction non des circonstances procédurales mais selon la nature des créances en cause. Tous les débiteurs ou les créanciers de pensions alimentaires, de loyers, de salaires... seraient toujours en présence de la même durée de prescription, à tout moment, ce qui, en outre, simplifierait considérablement la connaissance et l’application du droit en la matière.

3 . 2. L’interversion de prescription

Cette seconde piste conduirait à censurer l’arrêt attaqué comme nous y invite le pourvoi.

La jurisprudence la plus récente - à l’importante exception des décisions de la chambre mixte - apparaît, dans sa majorité, s’être ralliée à l’idée de l’interversion de prescription. Mais le fondement de cette évolution, comme nous l’avons noté, n’est pas toujours clairement identifié.

Les décisions elles-mêmes sont souvent muettes sur la raison pour laquelle elles adoptent en définitive cette solution. Certains arrêts prennent cependant le soin de l’indiquer.
- C’est le cas de la chambre commerciale qui a expressément retenu qu’à l’obligation contractuelle s’était substituée celle découlant du jugement (16 avril 1996, précité) ; elle paraît avoir ce faisant opté pour la théorie de la novation.
- La deuxième chambre civile semble préférer l’idée qu’une action en exécution du jugement de condamnation s’est substituée à l’action en paiement initiale. Plusieurs de ses arrêts retiennent en effet que le créancier a poursuivi une « action en recouvrement de créances détenues en vertu de titres exécutoires» (Civ. 2, 19 octobre 2000, Bull. n° 144), une « action en recouvrement d’une créance ayant fait l’objet d’un jugement de condamnation » (Civ. 2, 31 mai 2001, pourvoi n° 99-16.689) ou encore une « action tendant à poursuivre l’exécution d’un jugement portant condamnation à paiement » (29 janvier 2004, pourvoi n° 02-13.536). A l’interversion d’action correspond ainsi une interversion de prescription.
- La première chambre semble également avoir adopté cette même conception. Elle a en effet retenu « qu’est seule soumise à l’article 2277 du Code civil la demande en paiement d’aliments et non la poursuite de l’exécution de titres portant condamnation à paiement de la pension alimentaire, laquelle est régie par la prescription de droit commun de trente ans » (Civ. 1,16 juin 1998, Bull. n° 214) - fondement repris par la suite, par exemple : Civ. 1, 14 janvier 2003, Bull. n° 8.

De son côté, dans son commentaire de l’arrêt de la Chambre mixte du 12 avril 2002 (arrêt publié au Bulletin sous le n° 3), Mme Perret-Richard note que certes “l’idée même de transformation (de la nature de la dette) évoque la novation” mais pour l’écarter, qu’il s’agisse d’une novation résultant de la reconnaissance de dette ou du jugement, en se demandant si le mécanisme d’interversion de la prescription n’est pas « plus simplement une des manifestations de cette transformation d’une situation de droit initiale par la décision de justice, de “cette transformation de l’objet même de l’exécution, de ce passage de l’accomplissement d’une obligation envers son créancier à l’obéissance à l’ordre du juge” ? » (citation de P. Ancel). Et de conclure comme nous l’avons relevé précédemment que la véritable justification de la solution retenue par la Chambre mixte, qui n’a pas appliqué l’interversion, est la volonté de sanctionner la négligence du créancier.

Quoi qu’il en soit du fondement théorique de l’interversion, une telle orientation aurait plusieurs conséquences.

1°) Elle unifierait le droit en l’alignant sur ce qui constitue aujourd’hui la position majoritaire de la jurisprudence et de la doctrine. En particulier, elle s’inscrirait dans la suite de l’évolution des première et deuxième chambres civiles de la Cour de cassation, de la chambre commerciale et de la chambre sociale, au moins dans ce qui constituait sa section “sécurité sociale”. Pourrait-elle couvrir tous les cas dans lesquels la jurisprudence récente a appliqué cette solution ? Rien ne permet d’en douter. Couvrirait-elle ceux dans lesquels la jurisprudence a refusé d’appliquer l’interversion ? Tout dépend du motif de ce refus. Lorsque celui-ci ne repose que sur une analyse différente de la situation (par exemple pour ce qui concerne la prescription des actions relatives aux indemnités d’occupation), la nouvelle solution serait substituable. En revanche, si le refus procède d’une analyse qui fait intervenir d’autres considérations légales (par exemple le caractère d’ordre public de la prescription biennale des actions dérivant d’un contrat d’assurance), l’adoption de l’interversion supposerait une approche nouvelle du fondement du refus - approche nouvelle que notre arrêt pourrait peut-être favoriser.

2°) Elle aurait pour avantage de poser un critère (relativement) simple pour savoir quelle prescription est applicable. Dès lors qu’un jugement a condamné un débiteur à payer des sommes dues périodiquement, la prescription succédant à cette décision est la prescription de droit commun. Au jugement, pourraient être assimilés l’acte notarié revêtu de la formule exécutoire, ainsi que les autres titres exécutoires mentionnés par l’article 3 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des voies d’exécution - mais cet ajout entre-t-il dans le cadre de notre affaire ?

3°) Cette solution renforcerait la valeur du titre exécutoire qui imposerait la durée de sa prescription à toutes les situations. Un tel renforcement va dans le sens de l’intention du législateur qui en a fait un des pivots de la réforme des voies d’exécution en 1991. Elle participe aussi à la crédibilité accrue de ce titre, en particulier lorsqu’il émane de l’autorité judiciaire. Son titulaire verrait sa position améliorée. La reconnaissance effective des droits du créancier serait davantage garantie.

4°) En revanche, elle ouvrirait une nouvelle hypothèse d’application de la prescription trentenaire au moment où la très longue durée de ce délai est souvent et parfois sévèrement critiquée (cf. l’article de Mme Valérie Lasserre-Kiesow : “La prescription, les lois et la faux du temps, JCP-Sem. Jur. Notariale et Immobilière 2004, n° 1225, p. 772 et s.). Rappelons à ce sujet que, selon ce que rapporte cet auteur, une réforme législative a ramené la durée de la prescription de droit commun en Allemagne de trente ans à trois ans à compter du 1er janvier 2002, ce qui correspond au délai de droit commun dans les principes du droit européen des contrats. A noter cependant que le BGB allemand (article 197) conserve la prescription trentenaire pour l’exécution des jugements, laquelle est en revanche de six ans en droit anglais (article 24 du “limitation act 1980").

5°) En outre, l’interversion de prescription, si elle peut satisfaire des créanciers qui éprouvent des difficultés pour faire valoir leurs droits, aurait des inconvénients majeurs au regard des motifs fondamentaux qui ont présidé à l’instauration des prescriptions abrégées :
- en premier lieu, elle n’est pas de nature à inciter les créanciers à agir vite et pourrait dans certains cas constituer un encouragement à leur négligence, voire favoriser une position attentiste mais enrichissante (s’agissant des intérêts moratoires par exemple) ;
- inversement, en deuxième lieu, elle conduit à ignorer l’autre motif des prescriptions abrégées : la crainte de l’appauvrissement excessif des débiteurs, voire de leur ruine, de leur détresse économique (et sociale par conséquent) qui est pourtant à l’origine de l’article 2277 comme nous l’avons vu. Pareil risque est lié à l’accumulation de la dette restée impayée, sans réclamation, pendant un temps plus ou moins long. Or le risque d’accumulation d’arriérés existe après comme avant le jugement. De plus, le débiteur, face à une accumulation d’arriérés, peut ne plus avoir les moyens de s’en acquitter avec ses revenus. Il est sans doute certain, comme le note M. le Professeur Hauser, « qu’une fois condamné, le débiteur sait ce à quoi il peut s’attendre et que l’accumulation est alors clairement de son fait » (R. T. D. C. 2001, p. 275, obs. J. Hauser), mais, d’une part, même en ce cas, l’accumulation est au moins autant celle de la négligence du créancier et, d’autre part, peut-on se satisfaire de cette considération purement morale qui ne résoud pas le problème concret de l’accumulation de la dette ?
- en troisième lieu, cette mesure n’est-elle pas susceptible de nuire à certains créanciers qui ne pourront plus récupérer leurs créances devenues insupportables pour le patrimoine de leur débiteur ?

En présence des avantages et des inconvénients de ces deux solutions, qui sont comme les reflets inversés les uns des autres, n’existe-t-il pas une autre voie susceptible de résoudre, au moins pour partie, ces contradictions ?

3. 3. Une troisième voie

On peut aussi se demander si les analyses précédentes ne pêchent pas par simplification. La théorie liée à l’effet purement interruptif du jugement semble partir de l’idée que l’action initiale en paiement se poursuit, qu’elle n’a changé ni d’objet ni de nature ; celle qui conclut à l’interversion de prescription repose sur l’idée d’exécution du jugement initial. Mais n’aurait-on pas affaire à deux notions différentes mais coexistantes ? Ne serait-on pas en présence de deux demandes à objet différent incluses dans une action hybride - ou mixte ?

Dans un premier temps, un jugement a créé une obligation à la charge d’un débiteur, éventuellement après avoir tenu compte de la prescription affectant le droit à créance, et limitée aux seules périodes comprises dans le délai de prescription. S’agissant, dans un second temps, d’exécuter cette décision, c’est-à-dire d’obtenir le paiement des seules sommes prévues, le créancier peut agir tant que le jugement n’est pas prescrit, soit, à défaut d’une autre, pendant la durée de la prescription de droit commun, ainsi que doctrine et jurisprudence s’accordent.

Mais l’accumulation des créances périodiques, qui a été prise en considération avant le jugement, peut aussi se produire après celui-ci. Dans certains cas, il se produit même nécessairement après, comme en matière de pension alimentaire quand c’est le jugement qui fixe le principe et le montant qui sera dû périodiquement par la suite. Or l’application de la prescription abrégée de l’article 2277 se fonde sur un élément déterminant sans lequel elle n’existe pas : le caractère périodique de la créance. C’est ce caractère qui conditionne l’application de la prescription abrégée, non l’origine de la créance qui peut être contractuelle, légale ou juridictionnelle (cf. Aubry et Rau, Droit civil français, 6ème éd. par P. Esmein, $ 774). Pourquoi exclure alors la prescription de 2279 quand les créances périodiques sont nées, périodiquement, après la décision, c’est-à-dire au seul motif que le temps écoulé l’a été postérieurement à un jugement (ou un acte exécutoire), donc finalement au seul motif de l’origine des créances périodiques ?

Nous sommes en réalité en présence de deux prescriptions (celle du jugement, celle des créances) qu’à défaut d’autre disposition légale il convient autant que possible de tenter de faire coexister car elles sont également justifiées. Dès lors, ne pourrait-on considérer chacune selon son domaine d’application ? L’exécution du jugement pourrait être poursuivie pendant la durée de sa prescription (trente ans), mais elle ne pourrait jouer, pour les créances périodiques visées à l’article 2277, que si celles-ci ont moins de cinq ans. Ainsi, si un jugement du 1er janvier 2000 a condamné un débiteur à payer des rentes périodiques ou des loyers, le créancier aurait (sauf interruption ou suspension) jusqu’au 1er janvier 2030 pour poursuivre son exécution, mais, s’agissant des créances échues après le jugement, s’il demande le paiement le 1er janvier 2010, il ne pourrait exiger que les arrérages des cinq dernières années à la date de la demande effective de paiement, soit à partir du 1er janvier 2005.

Cette solution, préconisée par M. Massip (voir son commentaire sous l’arrêt de la première chambre civile du 16 juin 1998, D. 1999, Jur., p. 386) et que M. le professeur Hauser ne semble pas écarter (cf. ses observations à la R. T. D. C. 2003, Chron. , p. 275), aurait le mérite d’éviter le piège terrible de l’accumulation de dettes pour le débiteur, d’inciter le créancier à agir avec diligence, tout en préservant largement les droits de ce dernier. Elle répondrait ainsi au voeu des rédacteurs de l’article 2277.

Par ailleurs, elle ne s’exposerait pas au reproche d’ignorer l’intervention d’un jugement initial puisque celui-ci conserverait sa pleine efficacité pendant trente ans.

Si elle paraît de prime abord étrangère à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, elle n’en est pas tellement éloignée puisqu’elle reconnaît l’existence de deux types de demande, l’une en exécution du jugement, l’autre en cantonnement de la dette exigible. Dans une certaine mesure, elle constituerait même une sorte de synthèse des deux orientations principales de la jurisprudence.

Bien plus, elle se situerait dans le droit fil de l’arrêt de la chambre mixte du 12 avril 2002, publié au Bulletin civil des arrêts de notre Cour 2002 sous le n̊ 3 : cette décision n’a-t-elle pas, en effet, fondé l’application de la prescription édictée par l’article 2277 sur la nature de la créance et non sur son origine en retenant que ce texte s’appliquait à une créance qui, bien qu’exprimée en capital, représentant l’addition des diminutions successives du loyer consenties sur une certaine période par le bailleur, constituait une dette de loyers.?

Résoudrait-elle la difficulté inhérente à la distinction entre les actions en paiement et les actions en exécution d’un jugement antérieur ? Sans doute non : elle consacre même cette différence sans introduire de critère nouveau déterminant. Mais, outre qu’elle ne fait pas obstacle à une réflexion plus approfondie sur le sujet, elle réduit très sensiblement les inconvénients qui en résultent puisqu’elle permet de lever toute incertitude sur la prescription applicable.

La difficulté de caractériser précisément chacun de ces deux types d’action est d’ailleurs à l’origine d’un problème particulier posé par l’arrêt déféré.

 

4 . Particularité du jugement du 16 mars 1993

Par le jugement rendu le 16 mars 1993 par le tribunal d’instance du 20ème arrondissement de Paris, l’OPAC a obtenu, outre l’expulsion de sa locataire Mme X... et de M. et Mme Y..., ainsi que la séquestration éventuelle du mobilier abandonné sur place, une indemnité d’occupation. Les termes du dispositif de la décision sont importants : le tribunal «fixe l’indemnité d’occupation qui sera due jusqu’à la libération des lieux au montant du loyer antérieur charges en plus ».

Nulle mention de condamnation de quiconque dans ce chef du dispositif. Ne pourrait-on en déduire que le jugement n’a pas prononcé de condamnation à paiement mais a seulement prévu le principe d’une indemnité d’occupation dont il a indiqué le montant ? Autrement dit, il pourrait être soutenu que le jugement n’a pas prononcé de condamnation et que l’assignation délivrée le 25 juin 2001 par l’OPAC à M. et Mme Y... constitue en réalité la première et unique demande en condamnation des défendeurs à payer des indemnités d’occupation. Ce point de vue pourrait se trouver conforter par le fait que le jugement du tribunal d’instance du 9 avril 2002 (qui a ensuite donné lieu à l’arrêt attaqué) fait référence à une précédente décision du même tribunal, rendue le 12 novembre 2001, qu’il qualifie de “mixte in limine litis au fond et avant-dire droit”, a déclaré les époux Y... redevables d’indemnités d’occupation égales au montant du loyer contractuel et des charges.

Telle ne paraît cependant pas avoir été l’analyse faite par l’arrêt attaqué du 26 juin 2003. En effet, s’il relève que, par le jugement du 16 mars 1993, «une indemnité d’occupation égale au montant du loyer a été fixée» et que sur l’assignation du 25 juin 2001 les époux Y... ont été condamnés au paiement d’une somme représentant les indemnités d’occupation dues de septembre 1991 à juillet 1997, il indique plus loin que « le 16 mars 1993 le juge avait mis à la charge des époux Y... une indemnité d’occupation égale au loyer ». Dès lors, quand la cour d’appel retient ensuite «qu’une indemnité d’occupation mensuelle ayant été préalablement et judiciairement fixée, l’action en paiement de cette indemnité d’occupation est soumise à la prescription quinquennale », cette affirmation ne repose pas sur l’absence de condamnation résultant de l’énoncé du jugement du 16 mars 1993, mais sur l’analyse qu’elle fait de la prescription à appliquer.

Au demeurant, une semblable interprétation du jugement se heurterait à quelques difficultés. On peut d’abord observer que de nombreuses décisions décident le principe du versement de créances périodiques déterminées sans cependant prononcer formellement de condamnation. C’est fréquemment le cas non seulement en matière d’indemnité d’occupation, mais encore de pension alimentaire ou de contribution à la charge et à l’entretien d’enfant dans les procédures de divorce. De plus, le jugement de 1993 mentionne, dans son dispositif, que les occupants sans droit ni titre sont les époux Y... dont il ordonne l’expulsion, ce dont il se déduit sans difficulté que ceux-ci doivent l’indemnité “fixée” pour le temps durant lequel ils ont occupé les lieux, sauf éventuellement aux intéressés de contester la durée de l’occupation et de justifier qu’ils avaient quitté les locaux avant la date prétendue par le bailleur et que l’occupation ultérieure serait donc le fait d’autres personnes.

Surtout une telle analyse serait contestable. Elle est en effet contraire à la jurisprudence classique qui retient généralement que la “fixation” d’une créance vaut titre exécutoire même en l’absence d’une condamnation plus formelle (en ce sens : Paris, 10 décembre 1997, G. P. 5-6 février 1999, Jur., p. 24, note T. Moussa). Comme le remarque cet auteur à propos de cette dernière décision relative à une difficulté d’exécution d’un jugement ayant “fixé” le montant d’un loyer commercial, «la “fixation” judiciaire d’un loyer détermine la somme mise à la charge du locataire et comporte donc nécessairement, bien qu’implicitement, condamnation de ce dernier au paiement de cette somme à chaque échéance ». Il en déduit qu’il n’est nul besoin en ce cas d’engager une procédure pour obtenir une condamnation à paiement car le créancier «dispose déjà d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible à chaque échéance contractuelle ». Comparant cette situation à l’ordonnance de non conciliation qui se limite souvent à “fixer” le montant de la pension mise à la charge de la personne qu’elle désigne sans pour autant la condamner formellement à payer, il ajoute : « on n’a jamais prétendu qu’une telle décision ne constituerait pas un titre exécutoire au seul motif qu’elle ne comporterait aucune condamnation. Il n’en va autrement que lorsque la loi interdit le prononcé d’une condamnation et autorise le juge à seulement constater la créance et en “fixer” le montant», comme c’est le cas en matière de redressement judiciaire lorsque les instances en cours à la date du jugement d’ouverture sont reprises.

Si nous suivons ce raisonnement, nous pouvons constater que le jugement du 16 mars 1993 contenait tous les éléments permettant l’évaluation future de la créance et l’identification du débiteur.

 

Dans ces conditions, l’assemblée plénière aura à examiner trois possibilités :

- rejeter le pourvoi en reconnaissant que, nonobstant l’existence d’un jugement, il s’agit toujours d’une action en paiement et que la prescription postérieure à celui-ci reste celle de l’article 2277 ;

- rejeter le pourvoi en distinguant la prescription trentenaire régissant l’exécution du jugement et la prescription quinquennale applicable aux créances périodiques dont il est demandé paiement ;

- casser l’arrêt en appliquant l’interversion de prescription.

 

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