Langues et cité
Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques
DĂ©cembre 2007
Numéro 10
Langues
L’occitan
Il y a une singularité de l’occitan. La manière de le nommer, déjà :
cette difficulté à faire reconnaitre l’existence même d’une langue
à travers une appellation stable et assurée. Depuis l’époque clas-
sique, ce qu’on appelle ici l’occitan est donné comme non-
langue, dialecte, patois, autre chose que lui-même, néant. À com-
mencer par ceux qui le parlent. D’où son intérêt emblématique
du point de vue de la sociolinguistique, c’est-à -dire d’une science
de la langue indissociable du politique, de l’éthique et de l’esthé-
tique, car on ne peut penser une langue en elle-mĂŞme, en dehors
de ses pratiques sociales.
L’étude technique, descriptive, de l’occitan a sa légitimité. Elle
produit régulièrement les outils de savoir indispensables que sont
grammaires, dictionnaires et méthodes d’apprentissage. Mais ce
qui importe avant tout à l’observateur des pratiques linguistiques,
c’est de cerner le rôle que jouent les langues dans la société
française d’aujourd’hui. Or, il apparait qu’à travers la production
littéraire et les inventions de pensée qui, depuis mille ans, se di-
sent en occitan, celui-ci assume une fonction critique vis-Ă -vis de
l’ordre culturel établi, en s’opposant, par son existence même, au
centralisme réducteur et unidimensionnel. Par son importance
historique, la langue-culture occitane dévoile les contradictions
d’un modèle insuffisamment attentif aux sources intérieures de
créativité et de renouvellement que sont les langues de France ;
elle en appelle au principe républicain d’une France politique-
ment une et culturellement plurielle.
On n’a pas toujours l’habitude dans le débat intellectuel, en
France, de réfléchir à la fonction des langues dans les processus
politiques et le changement social. Mais ce bulletin n’a pas d’au-
tre vocation ; avec ce numéro sur la langue de Siéyès, de Vallès
et de Jaurès, il poursuit son programme, et répond aux promes-
ses de son beau nom de Langues et Cité.
Qu’es aquò ?
p. 2
Qui parle
p. 3
Données macro-
sociolinguistiques
p. 4
EnquĂŞte famille
p. 5
Question du nom
p. 6
Littérature
contemporaine
p. 8
La création
p. 9
Système scolaire
p. 10
Thésoc-Parutions
p. 11
Bibliographie
p. 12
et cité
2
L’occitan : qu’es aquò ?
Jean S
IBILLE
,
MoDyCo, UMR 7114
O
n appelle
langue d’oc,
ou
occitan,
une langue romane parlée dans le
Sud de la France (Roussillon et
Pays basque non compris) jusqu’à une
ligne passant quelques kilomètres au
nord de Libourne, Confolens, Guéret,
Montluçon, Thain-l’Hermitage, Briançon.
Il est également parlé dans douze vallées
alpines d’Italie et, sous sa forme gas-
conne, dans le Val d’Aran en Espagne.
Une des premières attestations du terme
langue d’oc
se rencontre chez Dante qui,
dans le
De Vulgari eloquentia,
classe les
langues romanes d’après la façon de dire
oui
dans chacune d’entre elles (
oĂŻl, oc, si
).
Le terme de
provençal
a longtemps été
utilisé,
lato sensu,
comme synonyme de
langue d’oc ;
aujourd’hui il désigne plus
particulièrement l’occitan parlé en
Provence. Dans les textes officiels on
trouve :
langue occitane
(loi Deixonne de
1951), et
occitan-langue d’oc
(intitulé du
CAPES).
Contrairement au français, l’occitan ne se
présente pas comme une langue unifiée
et standardisée, mais sous différentes
modalités régionales ou locales. Une tra-
dition récente classe, sur des bases empi-
riques, les parlers occitans en six variétés
ou
dialectes :
gascon, languedocien, pro-
vençal, vivaro-alpin (ou « provençal
alpin
»
), auvergnat, limousin ; mais il est
difficile de tracer des limites précises
entre ces différents « dialectes », car on a
affaire Ă un
continuum
. Le gascon, toute-
fois constitue une entité fortement typée
et assez nettement caractérisable
1
; le
niçois est proche du provençal côtier,
mais est plus archaïsant et présente
quelques influences italiennes et ligurien-
nes.
Parmi les caractéristiques distinguant
l’occitan du français on peut retenir, Ă
titre d’exemple, les traits suivants :
1.
Absence des voyelles : /
a
/, /o/,
/ø/, /œ/ (fr. pâte, pot, feu, beurre).
2.
Pas de diphtongaison des voyelles lati-
nes
e
et
o
brefs,
e
et
o
longs,
i
et
u
brefs :
còr
,
mèl
,
cèl
,
tres
,
dever
,
fe
,
dolor
[dulur],
flor
[flur] (fr. cœur, miel, ciel, trois, devoir,
foi, douleur, fleur).
3.
Maintien de
a
accentué latin :
prat
,
cabra
/
chabra
(fr. pré, chèvre).
4.
Les verbes se conjuguent sans pro-
nom :
parli, parlas, parla,
(fr. je parle, tu
parles, il parle), sauf à l’extrême nord du
domaine.
5.
Système verbal original, caractérisé
notamment par une 1
re
personne en -
i
ou
en -
e
, et par un passé simple en -
èr
-
:
parli, parlèri, parlères,
(fr. je parle, je par-
lai, tu parlas).
6.
Les consonnes latines
p, t, k,
entre
deux voyelles, se sonorisent en occitan
(alors qu’elles disparaissent en français) :
amiga, seda, loba,
(fr. amie, soie, louve ;
italien :
amica, seta, lupa
).
La langue d’oc possède une littérature
ancienne et prestigieuse. Les premières
Ĺ“uvres connues remontent Ă la fin du
X
e
siècle. Au XII
e
siècle la poésie des
Troubadours rayonne dans tout l’Occident
et est à l’origine de la lyrique européenne.
La littérature occitane médiévale compte
Ă©galement des textes de toute nature :
romans en vers ou en prose, chroniques,
biographies des troubadours (les
vidas
),
vies de saints, textes Ă©piques (la
Chanson
de la Croisade
notamment), grammaires
et arts poétiques (
Las razos de trobar
,
Las
leys d’amor
…), théâtre, traités de méde-
cine, de chirurgie, d’arithmétique…).
Depuis, l’occitan n’a jamais cessé, avec
des fortunes diverses, d’être écrit et
de produire une littérature. Après une
période de déclin, caractérisée par
la perte des usages orthographiques
médiévaux et la prédominance de genres
littéraires considérés comme mineurs,
une véritable renaissance littéraire se
produit dans la seconde moitié du
XIX
e
siècle autour du Félibrige fondé
en 1854 par Frédéric Mistral qui reçoit
le prix Nobel de littérature en 1904. Cet
essor se poursuit au XX
e
siècle avec
l’émergence d’une prose moderne qui
connaitra son plein Ă©panouissement
après la 2
nde
Guerre mondiale.
Au XX
e
siècle la langue d’oc a été dotée
d’une orthographe unifiée, inspirée des
usages médiévaux. Cette graphie, dite
classique
ou
occitane
, atténue à l’écrit les
différences dialectales, tout en respec-
tant les particularités de chaque dialecte.
En Provence, une autre graphie, dite
mis-
tralienne
, codifiée au XIX
e
siècle, reste
d’usage courant à côté de la graphie clas-
sique. C’est en graphie mistralienne et en
provençal rhodanien, qu’ont été écrites
bon nombre des Ĺ“uvres majeures de la
renaissance littéraire du XIX
e
et du début
du XX
e
siècles.
Au Moyen Âge l’occitan a également été
utilisé, concurremment au latin, comme
langue de la cité, pour la rédaction de
documents juridiques, administratifs ou
privés. Dans la 2
e
moitié du XV
e
siècle
2
,
au moment même où l’occitan est sur le
point de supplanter définitivement le latin
comme langue Ă©crite usuelle, apparais-
sent les premiers documents en français
dont l’usage se généralise au cours du
XVI
e
siècle. Dès le XVII
e
siècle les élites
sociales sont bilingues, mais le peuple
reste très largement occitanophone et le
français ne s’impose définitivement
comme langue de l’oralité quotidienne
qu’au début du XX
e
siècle dans les villes,
après la 2
nde
Guerre mondiale dans les
campagnes.
Dans l’esprit du public, la notion de
lan-
gue régionale
est souvent associée à une
rĂ©gion bien identifiĂ©e : le breton Ă
la Bretagne, le basque au Pays basque,
l’alsacien à l’Alsace, le corse à la Corse…
Par l’étendue de son territoire historique
(un tiers du territoire national peuplé par
un quart de la population), par l’ancien-
neté de sa tradition écrite, par la richesse
de sa littérature, la langue d’oc n’est pas
tout Ă fait une langue
régionale
comme
les autres, c’est la face cachée de l’héri-
tage latin en France, c’est le « masque de
fer » de la langue française
.
1 Du point de vue de sa genèse, on tend aujourd’hui à admettre que le gascon s’est constitué comme un ensemble distinct de l’occitan proprement dit (cf. Chambon 2002).
2 Un siècle plus tôt dans le nord de l’Auvergne.
3
QUI PARLE OCCITAN ?
Ă€ propos d'une enquĂŞte
Philippe M
ARTEL
,
CNRS-IIAC/ Univ. Montpellier III
P
endant longtemps, il a
fallu Ă ce propos se
contenter soit d’estima-
tions subjectives (proposant
de deux Ă dix millions de locu-
teurs…) soit de sondages
concernant une seule région
( L a n g u e d o c - R o u s s i l l o n ,
Aquitaine ou Auvergne). On
attendait donc beaucoup de
l’enquête « Familles » réalisée
en 1999 par l’INED et l’INSEE,
portant sur 380 000 person-
nes, et qui, pour la première
fois, posait ces trois ques-
tions : quelle(s) langue(s) par-
laient les personnes interro-
gées quand elles avaient cinq
ans ? Que parlaient-elles Ă
leurs enfants quand ils avaient
cinq ans ? Leur arrive-t-il de
parler une autre langue que le
français ? Au total, on espérait
tirer de cette enquĂŞte une
photographie assez précise de
la pratique des langues en
France. En fait, si elle fournit
des renseignements intéres-
sants, elle a aussi quelques
limites.
L’échelle retenue pour la
construction d’un échantillon
représentatif n’est pas dépar-
tementale, mais nationale,ou,
au mieux, régionale. L’INED
s’intéressant davantage sans
doute aux langues des popula-
tions immigrées qu’aux lan-
gues « régionales », on com-
prend ce choix. Mais pour des
langues parlées essentielle-
ment sur un territoire particu-
lier, l’échelle départementale
(voire celle de l’arrondisse-
ment) aurait été plus perti-
nente. De plus l’enquête
exclut quatre départements
de l’aire historique de la lan-
gue d’oc (Ariège, Aude, Haute-
Loire, Hautes-Pyrénées), ce
qui revient d’emblée à mutiler
le tableau qui sera donné de
sa pratique.
Second point, lié au précé-
dent, on n’a pas enquêté,
dans chaque département,
sur tous les types d’agglomé-
ration. Ainsi dans le Lot, n’ont
été pris en compte que des
villages de moins de
2 000 habitants, ce qui abou-
tit Ă amplifier la proportion
des occitanophones. En
revanche, en Ardèche, l’en-
quête a négligé les zones rura-
les et n’a concerné qu’une
seule ville, Annonay, oĂą il
apparait que les langues les
plus parlées (après le fran-
çais) sont l’arabe et le turc,
l’occitan (1,9 % de locuteurs)
ne dépassant l’anglais que
d’extrême justesse. Et d’un
autre côté il n’est pas possible
d’appréhender globalement la
pratique de l’occitan dans la
région Rhône-Alpes, car les
Ă©chantillons sont construits
au niveau régional, alors que
la région ne comprend que
deux départements occitano-
phones sur sept… On pourrait
multiplier de tels exemples.
Concernant la transmission,
la question posée induit l’idée
simple que la langue passe
des parents aux enfants,
négligeant le fait que depuis
longtemps dans plus d’une
région ce n’est justement plus
si simple : l’occitan peut être
acquis Ă travers les grands-
parents, ou dans le milieu
professionnel, après l’adoles-
cence, voire, pour une part
d’ailleurs infinitésimale des
générations les plus jeunes,
à l’école. L’enquête ne permet
donc pas d’identifier ces di-
verses sortes de néolocuteurs
dont on voit bien qu’elles ne
se confondent pas, et pas
davantage ceux, nombreux,
qui comprennent l’occitan
sans l’avoir reçu de leurs
parents et sans pouvoir le par-
ler.
Une dernière variable, enfin :
une question portant sur le
département d’origine des
parents de la personne inter-
rogée permet de cerner la
part prise dans l’échantillon
par le produit des brassages
récents de populations. On
constate alors que si globale-
ment seuls 9 % de l’échan-
tillon des Alpes-Maritimes ont
hérité de l’occitan, rapportée
au chiffre de ceux dont les
parents étaient déjà natifs du
Midi, la proportion des héri-
tiers monte Ă 30 % : sans effet
sur la place réelle tenue par
l’occitan dans le paysage lin-
guistique local, cette correc-
tion permet cependant de
relativiser l’effondrement de
la transmission au XX
e
siècle.
Bref, du point de vue quantita-
tif, il y a peu à attendre d’une
telle enquĂŞte. De fait, le nom-
bre des locuteurs de l’occitan
a pu être estimé par l’INED
dans un premier temps
Ă 526 000 personnes, puis
Ă 789 000
1
. Dans notre
équipe montpelliéraine,
Étienne Hammel trouve, lui,
583 000 personnes. Disons-
le : nous ne savons pas com-
bien il y a d’occitanophones
dans ce pays.
N’y a-t-il donc rien à tirer de
tout ceci ? Si, bien sĂ»r, Ă
condition de ne demander
que la confirmation qualitative
de tendances déjà repérées
empiriquement. Ainsi, sans
surprise, c’est dans les agglo-
mérations les plus petites, les
classes d’âge les plus élevées,
les catégories socioprofes-
sionnelles les moins diplĂ´-
mées, davantage chez les
hommes que chez les fem-
mes, et plus nettement dans
le Massif Central (Lozère,
Aveyron, Lot…) que l’héritage
linguistique survit le moins
mal. On voit aussi que pour
désigner ce qu’ils parlent, les
enquêtés utilisent le plus sou-
vent « patois ». « Provençal » a
sa place surtout au sud de la
région PACA. « Occitan » ren-
contre un certain succès dans
le centre du domaine d’oc.
Des dénominations plus loca-
les arrivent Ă percer, lĂ oĂą
existe une conscience parti-
culariste : « niçois » ou « béar-
nais », par exemple.
On retire donc de cette
enquête que l’occitan survit,
certes ; mais, nous Ă©chappe
encore la réalité du paysage,
entre ceux qui parlent « sou-
vent », ceux qui peuvent par-
ler, mais n’en ont pas ou plus
l’occasion, ceux enfin qui
comprennent sans parler, et
ceux qui savent, mais ne veu-
lent pas que ça se sache. Une
autre enquête, mieux pensée,
permettra-t-elle un jour de
résoudre ces énigmes ?
.
1 Sur une population d'environ 14 millions d'habitants. En 1920 le linguiste Jules Ronjat estimait le nombre d'occitanophones Ă plus de 10 millions.
4
L’enquête « Famille » de
l’INSEE-INED (1999)
S’agissant d’une probléma-
tique aussi complexe que les
usages (et dans une certaine
mesure les représentations et
attitudes) sociolinguistiques,
la démarche retenue par l’en-
quête « Famille » est parfaite-
ment légitime dans une per-
spective démographique
quantitative, reposant sur un
Ă©chantillonnage Ă©tabli sur la
base de paramètres tradition-
nels en la matière (catégorie
sociale, niveau d’étude,
niveau d’urbanisation, âge…),
mais nous semble insuffisante
dans la perspective d’un trai-
tement sociolinguistique autre
que strictement
macro
.
Néanmoins, malgré ces limi-
tes, les résultats sont loin
d’être inintéressants pour le
sociolinguiste.
Occitan, patois, provençal, gas-
con…
: représentations et
dénominations de la langue
d’oc
On sait que l’utilisation d’un
glossonyme
n’est pas un acte
anodin. En ce qui concerne
« occitan », ce glossonyme est
historiquement en concur-
rence avec d’autres dénomi-
nations, « provençal » en par-
ticulier, mais surtout avec le
pseudo-désignant métalin-
guistique « patois », désignant
stigmatisant, vecteur privilé-
gié de l’
unilinguisme
français
(Boyer 2005).
Il nous a semblé important de
parvenir Ă une identification
maximale des enquêtés avec
la langue du lieu. Aussi avons-
nous fait une sélection de
départements et d’observa-
tions selon les critères sui-
vants : 1) nous n’avons retenu
que les départements dont le
territoire se situe totalement
ou presque totalement dans
l’espace originellement occi-
tanophone ; 2) nous avons
sélectionné les individus nés
dans l’espace concerné où le
père et la mère étaient égale-
ment nés ; 3) nous avons pris
en compte la langue trans-
mise occasionnellement et
par le père et par la mère et la
langue transmise par l’en-
quêté(e) à ses enfants. Le cor-
pus résultant est certes très
réduit (18 958 enquêtés),
mais la potentialité d’identifi-
cation avec la langue du lieu
est très élevée. Les résultats
que nous avons obtenus se
fondent sur les réponses
effectivement
données et non
sur des estimations faites Ă
partir de celles-ci (voir Boyer
et Alén Garabato, 2004). Deux
de ces résultats méritent
d’être détachés :
>
Dans quatre départements
de la région administra-
tive PACA (Alpes-de-Haute-
Provence, Bouches-du-RhĂ´ne,
Var, Vaucluse) la dénomina-
tion « provençal » est égale ou
supérieure à 48 %.
>
Dans la plupart des départe-
ments (14 sur les 25 départe-
ments occitans figurant dans
l’échantillon), la désignation
« patois » est supĂ©rieure Ă
70 %
On peut donc constater que la
domination Ă©crasante de
« patois » est à peu près régu-
lière sur tout l’espace occitan
à l’exception d’une partie de
la Provence, bien que le dési-
gnant « patois » y reste très
présent (entre 26 et 50 %
selon les départements)
1
. Par
ailleurs la présence de
« patois » est nettement moins
élevée (une moyenne de 28 %)
dans le département des
Pyrénées-Atlantiques où le
désignant est concurrencé
par les glossonymes « béar-
nais », « occitan » ou « gas-
con » (dans une moindre
mesure) et, bien entendu, par
« basque ».
Sur l’ensemble de l’espace
occitan ; « patois » dépasse
les 70 %, alors qu’« occitan »
et « langue d’oc » totalisent
moins de 20 % et que « pro-
vençal », « gascon », « auver-
gnat », « limousin » repré-
sentent plus de 10 % (dont
« provençal » un peu moins de
8 %). C’est d’autant plus
remarquable si l’on compare
ces chiffres avec ceux qui
concernent les autres langues
régionales de France citées
dans l’enquête « Famille » :
« catalan », « breton », « alsa-
cien », « basque » ou « corse »,
il s’agit de dénominations très
importantes, et sur leurs terri-
toires il n’y a pas la concur-
rence de « patois ». L’occitan
serait donc la langue régio-
nale la plus exposée, d’une
manière générale, à la dési-
gnation par « patois ».
L’enquête face à deux indi-
cateurs de vitalité sociolin-
guistique
Nous avons confronté deux
indicateurs de présence mili-
tante : l’existence de pério-
diques partiellement ou inté-
gralement en langue d’oc
2
et
l’implantation de Calandretas
(Ă©coles associatives occita-
nes : maternelle, primaire,
collège)
3
aux dénominations
épilinguistiques observées
lors de notre traitement de
l’enquête.
À l’évidence, la présence de
périodiques en langue d’oc
dans une aire régionale de
l’espace occitan est d’autant
plus importante qu’on y ob-
serve un usage Ă©galement
important de dénominations
autres que « patois » (mais qui
dépassent rarement les
50 %) : le recul de la désigna-
tion stigmatisante ne serait
donc pas sans rapport avec
une circulation (militante) de
l’imprimé occitan. De même,
pour ce qui concerne l’implan-
tation de Calandretas : les
trois aires régionales d’im-
plantation très faible (ou nulle)
sont aussi celles où l’emploi
du désignant « patois » est
proche ou dépasse les 90 %. Il
est vrai que les Ă©coles occita-
nes en question sont Ă©tablies
en milieu urbain et que les
zones à très forte domination
de « patois » sont essentielle-
ment rurales. Il conviendrait
évidemment d’affiner ces
repĂ©rages, en les Ă©largissant Ă
d’autres indicateurs
.
Usages, représentations et pratiques :
les données macro-sociolinguistiques face au terrain
1 Contrairement à ce que semblent observer Blanchet, Calvet , Hilléreau, Wilczyk 2005 .
2 Selon les premiers résultats d’une enquête en cours de C. Alén GarabSato (voir Alén Garabato, à paraître)
3 D’après les informations fournies lors de la rentrée 2005 par la Confédération des Calandretas
Carmen A
LÉN
G
ARABATO
et
Henri B
OYER
,
Université Montpellier III,
ARSER,
Laboratoire
DIPRALANG
-
EA
739)
5
Le v
olet linguistique de l’enquête «
F
amille
» de 1999
RĂ©sulta
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1
Louis-Jean C
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o
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Philippe B
L
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C
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,
U
niv
er
sit
Ă© de R
ennes 2
E
n Provence, 20 106 per-
sonnes ont rĂ©pondu Ă
l’enquête HEF lors du
recensement 1999 (soit
0,44 % de la population).
L’analyse statistique et socio-
linguistique des chiffres pro-
duits par cette enquĂŞte, ici
appliquée à la région
Provence permet de dégager
des résultats de deux ordres.
D’une part, des résultats
méta-méthodologiques qui
montrent les biais lourds
introduits dans l’enquête et
son dépouillement (ce qui
nous invite Ă penser que les
pratiques autres que celles du
français sont sous-déclarées
et que l’intérêt majeur de
cette enquĂŞte est de mettre
en scène des représentations
plutôt que des « données
objectives »). D’autre part, en
relativisant prudemment les
chiffres et leurs interpréta-
tions, on dégage des tendan-
ces de la situation provençale,
où, à côté de la place majori-
taire du français, le provençal,
l’italien (et variétés apparen-
tées), l’espagnol, l’arabe (plu-
tôt dialectal maghrébin) et
dans une moindre mesure le
corse, sont les langues dont la
pratique déclarée l’emporte,
mais avec des scores très
bas : l’italien (2,63 % des per-
sonnes interrogées déclarent
l’utiliser parfois pour discuter
avec des proches), l’espagnol
(2,38 %), l’arabe (2,22 %) et le
provençal (2,2 %). Les écarts
sont un peu plus marqués
dans l’agglomération mar-
seillaise, oĂą 1,64 % des habi-
tants utiliseraient parfois le
provençal (30 522 person-
nes), 2,96 % l’arabe (55 088),
2,59 % l’italien (48 202), 2,4 %
l’espagnol (44 666) et 1,52 %
le corse (28 288).
Globalement, les Provençaux
seraient moins de 100 000 Ă
utiliser le provençal pour dis-
cuter avec des proches. Cette
estimation est infĂ©rieure Ă
tous les résultats d’enquêtes
récentes. Autre point à noter :
les locuteurs de provençal
sont pour l’essentiel des
Français (95 %) nés de
parents eux-mêmes nés en
France (90 %). 5 % des locu-
teurs de provençal n’ont pas
la nationalité française et 10 %
sont issus de parents nĂ©s Ă
l’étranger.
Vous arrive-t-il de discuter avec des
proches (conjoint, parents, amis, col-
lègues, commerçants…) dans d’autres
langues que le français ?
Source : EHF 1 999 INED / Université de
Haute-Bretagne & Université de Provence
(2005).
La transmission parents-
enfants déclarée atteint des
proportions plus basses : le
provençal arrive en 2
e
position
(0,98 %, soit 45 000 person-
nes), après l’arabe (1,23 %) et
devant l’espagnol (0,81 %) et
l’italien (0,79 %). Mais l’écart
entre la langue reçue et la
transmission Ă ses propres
enfants est le plus marqué
pour le provençal et l’italien
(81 % de déperdition), contre
71 % pour l’espagnol et 59 %
pour l’arabe.
En quelles langues, dialectes, ou
« patois », vos parents vous parlaient-
ils d’habitude quand vous étiez enfant,
vers l’âge de cinq ans ?
Source : EHF 1999 INED / Université de
Haute-Bretagne & Université de Provence
(2005).
Provençal
déclaré
parlé
Par Le père
Par La mère
Aux enfants
Avec les
proches
% total
Provence
5,87 %
4,62 %
0,98 %
2,20 %
13,67 %
Htes-Alpes
2,72 %
1,54 %
0,12 %
0,12 %
4,50 %
Alpes de Hte
Provence
9,21 %
6,71 %
1,17 %
3,51 %
20,60 %
Bouches-du-
RhĂ´ne
4,84 %
3,98 %
0,67 %
1,79 %
11,28 %
Var
5,16 %
4,27 %
1,21 %
2,08 %
12,72 %
Vaucluse
10,19 %
7,47 %
1,99 %
3,40 %
23,05 %
Langues
Proportion Population
Toutes
langues
14,30 %
644 380
Anglais
4,39 %
197 820
Italien
2,63 %
118 512
Espagnol
2,38 %
107 247
Arabe
2,22 %
100 037
Provençal
2,20 %
99 136
Corse
0,58 %
26 135
1 L’analyse détaillée est publiée dans le numéro 10 de
Marges linguistiques
(www.marges-linguistiques.com).
2 NDLR. Les auteurs désignent par
langues d’oc
(au pluriel) ce que d’autres désignent par
variétés
ou
dialectes
, ou
modalités
, de l’
occitan
ou de la
langue d’oc
(au singulier) ; voir pp. 6-7.
Une plus forte promotion
d’hommes que de femmes
déclare faire usage du proven-
çal, seule langue autre que le
français qui concerne l’en-
semble de la population de la
région, tous lieux et milieux
confondus, mĂŞme si les agri-
culteurs, ouvriers et employés
des zones rurales et semi-
urbaines se sont davantage
déclarés que d’autres catégo-
ries. L’enquête a également
montré que plus de 85 % des
déclarants nomment cette
langue « provençal » et moins
de 10 % « patois ».
En France, le provençal est
proportionnellement beau-
coup moins déclaré que le
corse (45 %), l’alsacien (39 %),
le breton (15 %), ou le basque.
Ă€ cĂ´tĂ© d’une extrapolation Ă
hauteur de 526 000 locuteurs
supposés de l’ensemble des
langues d’oc
2
, la Provence
fournit Ă elle seule un cin-
quième des effectifs. La
Provence est une région ayant
connu depuis les années 1960
une véritable explosion démo-
graphique (les locuteurs
potentiels, « héritiers » du pro-
vençal, y représentent moins
de la moitié de la population
actuelle), ce qui n’est pas le
cas de la plupart des autres
régions françaises
.
La question du nom : Points de vue
Une ou plusieurs langue(s) d’oc ?
Dès les premières classifications philolo-
giques des variétés romanes du sud de la
France, au XIX
e
siècle, leurs regroupe-
ments ont fait l’objet de débats scienti-
fiques et glottopolitiques. Majoritai-
rement intégrés à cet ensemble, les par-
lers
catalans
en ont été détachés au
cours de la deuxième moitié du XIX
e
siè-
cle, en lien avec l’affirmation sociopoli-
tique catalane. Les parlers de Gascogne
et du Béarn ont toujours fait l’objet de
contestations quant à leur intégration
dans une seule et mĂŞme
langue d’oc
ou
occitan
(ainsi que, moins fortement, pour
l’intégration d’un
béarnais
dans un
ensemble
gascon
). Les parlers de
Provence et du pays niçois ont été consi-
dérés de façon ambigüe jusqu’à l’affirma-
tion progressive au cours du XX
e
siècle
d’identités linguistiques provençale
et niçoise spécifiques par un débat public
remarqué. Des discussions portent égale-
ment sur les parlers d’Auvergne. On re-
trouve des débats similaires pour de nom-
breuses variétés linguistiques du monde,
dont les découpages et les noms sont
évolutifs et relèvent de deux séries de
motivations et d’objectifs.
Une première question consiste à établir
des critères de catégorisation de variétés
linguistiques comme constituant soit une
langue distincte, soit un « dialecte » d’une
langue englobante. L’hégémonie d’une
théorie linguistique « classique » fondée
sur des traits « internes » a pu laisser
croire que la question relève strictement
d’éléments techniques de typologie lin-
guistique positiviste. Mais un examen
serré des textes des théoriciens montre
que, selon la plupart d’entre eux, les
lan-
gues
distinctes les unes des autres sont
des constructions sociopolitiques fon-
dées sur les représentations sociales, les
institutionnalisations, et sur des projets
glottopolitiques qui relèvent d’analyses
« externes » de type sociolinguistique.
Philippe B
LANCHET
,
Université européenne de Bretagne
Rennes 2
CREDILIF EA
3207
Dès lors, les enquêtes sociolinguistiques
donnent Ă voir pour le sud de la France
des zones oĂą des langues distinctes sont
clairement affirmées et dénommées :
BĂ©arn /
BĂ©arnais
, Gascogne /
patois
,
Provence /
provençal
, Nice /
niçois
, ainsi
que l’ensemble languedocien de
Montpellier Ă Toulouse avec les items
patois
(majoritaire) et
occitan
. D’autres
zones restent floues.
La seconde question consiste, notam-
ment pour les militants, à définir une stra-
tégie de promotion glottopolitique effi-
cace. On peut, d’une part, proposer une
imitation des langues dominantes : cons-
truire une langue la plus « grosse » possi-
ble (en nombre de locuteurs, en superfi-
cie couverte, en potentiel de pratiques et
donc en justification d’un statut amé-
lioré), visant une concurrence d’institu-
tionnalisation et de fonctions avec la lan-
gue dominante (refus de la diglossie, voire
du bilinguisme), d’où l’élaboration d’une
norme standardisée et imposée à des
populations perçues comme « endoctri-
nées » au profit de la langue dominante.
C’est, en schématisant, ce qui fonde le
projet d’un
occitan
unique ou unifié (dont
on tire le projet d’une
Occitanie
habitée
par des
Occitans
). On peut, d’autre part,
proposer de cultiver la spécificité complé-
mentaire d’une langue locale minoritaire :
focaliser qualitativement sur une langue
de connivence, sur des espaces de proxi-
mité, pour stabiliser une diglossie accep-
tée, d’où une approche
polynomique
oĂą
les variétés locales surtout orales sont
promues comme marqueurs d’une
« authenticité » symbolique. C’est ce qui
fonde le projet de langues béarnaise, pro-
vençale, niçoise, etc., distinctes.
L’avis de la majorité des linguistes et des
organismes scientifiques et/ou officiels
est que cette situation sociolinguistique
est plutĂ´t celle de langues distinctes (que
l’on peut regrouper par commodité dans
une famille dite « d’oc » en employant une
dénomination littéraire). Dans le contexte
français d’aujourd’hui, la stratégie glotto-
politique la plus adaptée doit viser la pro-
motion de variétés locales, dont l’exten-
sion maximale est celle d’une région his-
torique fondant un sentiment d’apparte-
nance, et dont la fonction symbolique est
prioritaire. Toutes les enquêtes suggèrent
que, massivement, les populations ne
partagent ni dénomination, ni conscience
ni projet à dimension et à caractéristiques
« occitanes ». Le projet « occitan » est
néanmoins promu par ses partisans avec
un enthousiasme parfois dogmatique qui
aboutit Ă des revirements retentissants
.
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B
LANCHET
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occitan
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les
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B
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M
ARCELLESI
(J.-B) 2003,
Sociolinguistique
(épistémologie, langues régionales, polynomie)
,
Paris, L'Harmattan.
6
O
n peut distinguer deux sens du
mot
langue :
fonctionnellement,
une langue est un système de
communication constitué de signes
vocaux, qui obéit à un certain nombre de
règles ; dans ce sens toute variété linguis-
tique (locale, sociale, individuelle…) est
en soi une langue et peut être décrite
comme telle. D’un point de vue typolo-
gique une langue est un
Mundartbund,
une « fédération de parlers » ; ce terme,
récemment apparu dans le champ des
sciences du langage
1
désigne la langue
envisagée comme un réseau dialectal,
c’est-à -dire comme un groupe de parlers
étroitement apparentés et facilement
intercompréhensibles ou « inter-apprena-
bles ». Les différentes variétés ou dialec-
tes constituant un
Mundartbund
Ă©voluent
de façon interdépendante. Lorsqu’un dia-
lecte appartenant Ă un
Mundartbund
se
met à évoluer de façon indépendante du
Mundartbund
dont il fait partie, il devient
– ou tend à devenir – une langue diffé-
rente ; c’est le cas du catalan par rapport
à l’occitan.
Le terme de
langues d’oc
(au pluriel)
apparait pour la première fois à l’extrême
fin des années 1970 dans un contexte de
rapprochement entre deux courants mili-
tants antagonistes : d’une part le courant
dit « occitaniste », issu du militantisme
culturel d’après 1945 et bien implanté en
Languedoc, d’autre part un courant dit
« mistralien » ou « provençaliste », issu de
la renaissance culturelle du XIX
e
siècle,
qui se réclame du Félibrige et de son fon-
dateur Frédéric Mistral, et dont le bas-
tion traditionnel est la Provence. Les pro-
vençalistes les plus radicaux, refusant ce
rapprochement, créent alors, et s’effor-
cent de promouvoir, le concept de
lan-
gues d’oc
(au pluriel), entrant ainsi en
contradiction avec la conception mĂŞme
de Mistral. Jusqu’à cette date, en effet, la
tradition littéraire et scientifique ne
connait que le singulier :
langue d’oc, lan-
gue occitane, occitanien, occitan, proven-
çal
(au sens large)…
En typologie des langues, une langue ne
La langue d’oc : une et plurielle
Georg K
REMNITZ
,
Université de Vienne (Autriche),
ancien président de l’AIEO
peut être définie que par des critères lin-
guistiques, c’est-à -dire par des critères
internes Ă la langue : phonologie, mor-
phologie, syntaxe, lexique… Étudier les
représentations de la langue (c’est-à -dire
l’idée que s’en font les gens) est d’un
grand intérêt pour la sociolinguistique ;
mais cela n’a d’intérêt que si l’on peut
confronter ces représentations à une
réalité qui leur est extérieure. Définir la
langue par les seules représentations
(comme le fait un courant récent et mar-
ginal de la sociolinguistique), revient Ă
nier toute possibilité d’un savoir objectif
sur la langue, car l’idée que se font les
gens de la langue est subjective et, de
plus, ne peut être appréhendée qu’à tra-
vers la subjectivité du sociolinguiste (si
honnĂŞte soit-il). En outre, la conscience
linguistique des gens peut ĂŞtre manipu-
lée, voire « fabriquée ».
La plupart des spécialistes des langues
romanes considèrent que le provençal, le
languedocien, le limousin, l’auvergnat, le
vivaro-alpin, sont des modalités d’une
même langue (ces différentes modalités
sont d’ailleurs difficiles à délimiter, car il
s’agit en réalité d’un
continuum
) ; seule la
question de l’occitanité du gascon est
légitimement discutée. Un consensus se
dessine pour considérer que, tout en
Ă©tant proche parent, le gascon constitue,
du point de vue de sa genèse, un ensem-
ble distinct de l’occitan proprement dit
(Chambon, 2002). Mais depuis des siè-
cles, le gascon évolue au contact de l’oc-
citan et en symbiose avec ce dernier ;
d’un point de vue synchronique (c’est-à -
dire du point de vue de la langue
actuelle), le gascon est donc générale-
ment considéré comme une variété d’oc-
citan.
Au XX
e
siècle, le mouvement culturel
occitaniste a privilégié le languedocien
comme dialecte de référence, car c’est le
plus central (à la fois géographiquement
et linguistiquement) et le plus archaĂŻsant
(donc le plus proche de la langue des tex-
tes médiévaux), mais cette référence
reste abstraite et nul ne souhaite imposer
un standard unique et univoque qui serait
rejeté par les locuteurs. Les pratiques lit-
téraires et d’enseignement reposent plu-
tôt sur des standards régionaux : l’ensei-
gnement de l’occitan en Provence ne
peut se concevoir autrement que sur la
base du provençal, en Limousin sur la
base du limousin, en Languedoc du lan-
guedocien, etc., tout en Ă©tant ouvert aux
autres variétés.
Enfin l’Association internationale d’étu-
des occitanes (AIEO) qui rassemble
quelque 450 universitaires (dont les 2/3
à l’étranger) part du principe de l’unité
foncière des variétés d’oc et ne s’associe
pas à l’éclatement de cet espace langa-
gier, qui, de plus, contribuerait Ă diminuer
la valeur communicative de cette
langue
.
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L
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pluricentrique de l’occitan
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(Belgique).
1Il a été formé par imitation de
Schprachbund,
terme créé par le linguiste Roman Jakobson pour désigner un réseau de convergences structurales entre des langues qui ne sont pas généti-
quement apparentées (cf. Léonard et Gaillard-Corvaglia, à paraitre)
7
8
S
elon une formule que
Robert Lafont, un de
ces Ă©crivains contem-
porains parmi les plus repré-
sentatifs, se plait à répéter, la
langue occitane est une lan-
gue de littérature : c’est sur
toute une tradition d’écriture
ininterrompue depuis le
Moyen Âge que cette littéra-
ture s’appuie encore de nos
jours, comme elle a pu le faire
au cours des siècles anté-
rieurs. Et c’est en rĂ©fĂ©rence Ă
cette tradition que l’on peut
tenter de décrire, de façon
interne, la production littéraire
occitane actuelle, sans pour
autant la détacher des multi-
ples influences et, pour com-
mencer, des modèles exter-
nes qui ont pu la marquer.
Un des faits majeurs qui
caractérise l’écrit d’oc au long
du XX
e
siècle est le passage
d’une littérature d’abord poé-
tique, en vers, Ă un usage de
plus en plus développé de la
prose. Nouvelles et romans se
sont multipliés jusqu’à aujour-
d’hui. La poésie ou l’écriture
théâtrale, abondantes dans la
première moitié siècle, n’ont
certes pas disparu, mais elles
occupent une place moins
visible. Ce volontarisme de la
prose, théorisé par certains
dès la fin du XIX
e
, s’est égale-
ment traduit par un désir
d’élargir le choix des sujets,
des thèmes, des styles ou des
registres : du récit autobiogra-
phique, du roman historique
ou à résonances fantastiques,
on est peu à peu passé à des
textes plus actuels et plus en
phase avec la littérature fran-
çaise, qui est restée, avec la
littérature sud-américaine des
L
A LITTÉRATURE OCCITANE
CONTEMPORAINE
Philippe G
ARDY
,
CNRS-IIAC (UMR 8177)
années 1950-1970, un mo-
dèle. Il semble bien que la
raréfaction des usages de la
langue parlée, liée à l’efface-
ment des sociétés paysannes
traditionnelles ou, dans une
moindre mesure, Ă celui des
sociabilités urbaines (solidari-
tés de quartiers, milieux arti-
sans, ouvriers parfois), ait for-
tement contribué à l’émer-
gence d’une prose se voulant
plus « moderne ». Mais les
courants que l’on peut distin-
guer dans la littérature fran-
çaise n’ont eu sur la produc-
tion occitane des années
1950-2000 que des effets
modestes : en cherchant Ă se
normaliser, la prose d’oc s’est
trouvée écartelée entre une
volonté d’enracinement dans
le présent, une quête d’origi-
nalitĂ©, et une propension Ă
revenir aux formes antérieu-
res.
Si des genres tels que le
roman policier, la nouvelle
urbaine, le récit d’aventures
ou de voyage, ont fait progres-
sivement leur apparition et
ont pu donner lieu Ă des tex-
tes originaux ; si des prosa-
teurs de générations plus
anciennes (Lafont, Bernard
Manciet, Max Rouquette, Jean
Boudou notamment, tous nés
dans les années 1920 ; plus
récemment Florian Vernet,
Jean Ganyaire, Jean-Claude
ForĂŞt, Jean-Marie Pieyre,
Roland PĂ©cout ou Michel
Miniussi) ont su, au fil des
années, développer une
Ĺ“uvre narrative Ă la fois com-
plexe et personnelle, l’essen-
tiel de ce qui se publie (entre
dix et vingt titres par an) appa-
rait comme autant de tentati-
ves pour trouver, entre modè-
les externes et filiations inter-
nes, un ou des styles narratifs
dont les usages résiduels ou
reconquis de la langue ren-
dent l’émergence malaisée.
Cette difficulté à tracer des
trajectoires romanesques
renouvelées et durables est
révélatrice d’un éparpillement
où l’on devine l’emprise pro-
fonde des forces de disloca-
tion agissant sur la langue.
Tout au long du XX
e
siècle, et
ce depuis Mistral sans doute
et de ses grandes fresques
poétiques en forme d’épo-
pées (de
Mireille
, en 1859, au
Poème du Rhône
en 1906),
l’écriture poétique en occitan
semblait avoir pressenti la
force de ce mouvement. La
tentation Ă©pique mistralienne,
en célébrant la fondation
d’une langue et d’un pays,
puis en en parcourant de
façon pathétique l’effondre-
ment futur, et comme Ă©crit
dans le temps historique, avait
initié un mouvement que plu-
sieurs trajectoires poétiques
significatives ont par la suite
conduit presque jusqu’à son
terme : la langue d’oc, dans la
seconde moitié du siècle, a
produit, à côté d’autres for-
mellement moins ambitieux,
des textes amples, construits
sur le sentiment d’une fin
inéluctable que seul l’espoir
d’une résurrection improbable
serait susceptible de ralentir.
Les
Psaumes
de Marcelle
Delpastre, tels une coulée
quasi ininterrompue, les com-
positions Ă©piques de Manciet
(
L’Enterrement à Sabres
;
La
Blanche Nef
), le
Tourment de
la licorne
de Max Rouquette,
Le Guetteur Ă la citerne
de
Robert Lafont, les somptueux
Poèmes
de Max-Philippe
Delavouët, tous explorent ce
sentiment, tandis que, dans
les générations suivantes, se
fait jour une poésie de l’aban-
don et de la solitude (Yves
Rouquette, Jean Larzac, Serge
Bec, Jean-Marie Petit, Jean-
Yves Casanova, Jean-Yves
Royer…), ou de la présence
matérielle, silencieuse et
dépeuplée, d’un monde
ramené à l’immanence de ses
origines élémentaires (Jean-
Pierre Tardif, Jaumes Privat).
L’évolution des quelques
revues littéraires occitanes
(
Oc
,
Reclams
,
Gai Saber
,
Leberaubre
), comme celle des
quelques éditeurs spécialisés
(IEO, Jorn, Reclams, Letras
d’oc, Chamin de Sent Jaume,
L’Astrado…), rend bien
compte, entre disparitions et
renouvellements, de cette
logique de la raréfaction
contre laquelle lutte l’écriture
littéraire d’oc
.
9
La création
en langue occitane
Q
uel que soit le nom qu'on lui
donne, et loin des querelles de
linguistes, la réalité de l'occitan
c'est d'abord des œuvres, des créations
poétiques, romanesques, scéniques,
théoriques. Depuis le XIX
e
siècle la vitalité
de la langue se manifeste principalement
à travers l’écrit, qu'il s'agisse d'œuvres
littéraires ou de publications périodiques
1
de statuts divers, le plus souvent animées
par des bénévoles : de la revue littéraire
au bulletin associatif, en passant par le
magazine d’information culturelle ou l’or-
gane militant. Cet investissement dans la
chose écrite au moment où régresse l'u-
sage oral de la langue n'a rien de para-
doxal : c'est l'affirmation d'une légitimité,
la recherche d'un dialogue avec les Ă©cri-
vains de langue française pour la recon-
naissance d'une autre identité culturelle
en France.
La chanson tient Ă©galement une place
importante. Dans les années 1960 et 70,
la revendication linguistique s’est surtout
exprimée à travers un militantisme à fort
contenu social et politique, et on a assisté
au développement d’une chanson contes-
tataire avec des chanteurs tels que Marti,
Daumas, Patric, J.-P. Verdier, Mans de
Breish… qui ont eu un impact dépassant
largement le milieu des militants cultu-
rels. Pendant la même période on assiste
aussi Ă un renouveau de la musique tradi-
tionnelle, notamment de sa composante
vocale. C’est aussi dans les années
soixante-dix qu’on assiste à la création du
mouvement
Calandretas
(Ă©coles bilingues
pratiquant la méthode de l’immersion lin-
guistique), qui compte aujourd’hui
35 écoles primaires et un collège.
Ă€ partir de 1982, le militantisme linguis-
tique se réoriente vers la recherche d’une
action pragmatique valorisant les conte-
nus proprement culturels, et d’un dialo-
gue avec les collectivitĂ©s publiques, Ă
commencer par l'État (création de la
DGLFLF, des DRAC). Cette situation va
avoir pour conséquence la prise en
compte de la question linguistique par les
municipalités et les régions : création de
postes de chargĂ©s de mission, soutien Ă
des organismes culturels ou patrimoniaux
tels que le Centre inter-régional de docu-
mentation occitane (CIRDOC, Ă BĂ©ziers)
ou l’Institut Occitan (à Pau), soutien aux
associations, soutien à l’édition et à la
création. Aquitaine, Midi-Pyrénées,
Languedoc-Roussillon se dotent de vérita-
bles politiques linguistiques et travaillent
dans une optique nécessairement inter-
régionale : le cadre de l'action est immé-
diatement celui du pays dans son entier.
La création théâtrale d’expression occi-
tane, bien qu’elle reste encore trop confi-
dentielle, fait preuve, elle aussi, d’une
incontestable vitalité, avec entre autres le
théâtre de la Rampe en Languedoc et le
Centre dramatique occitan Ă Toulon.
Dans le domaine lyrique, le Théâtre natio-
nal de Bordeaux-Aquitaine a récemment
créé l'
Orphée
de Bernard Manciet, sur
une musique de Jean-Claude Audouin.
Pour ce qui concerne l’audiovisuel, la pré-
sence de l’occitan sur les chaines de
radio et de télévision publique reste mar-
ginale, mais il existe quelques radios pri-
vées associatives :
Radio Pays
en BĂ©arn,
Radio Occitania
Ă Montpellier. Compte
tenu des contraintes et de la concurrence
existant dans le secteur, les projets nou-
veaux en gestation peinent Ă Ă©merger.
Enfin, l’occitan est présent sur internet,
oĂą de nombreux sites en rapport avec la
langue et la culture des pays d’oc sont
rédigés en occitan ou proposent une ver-
sion dans cette langue.
Sans avoir un caractère massif, l'ensem-
ble de ces actions renforce l'impact posi-
tif sur l’image de la langue auquel, de nou-
veau, la chanson contribue puissamment
aujourd'hui. On assiste en effet Ă un
grand élan de créativité, à une diversifica-
tion et à un mélange des genres : actuali-
sation et réinterprétation du répertoire
traditionnel avec le chanteur Joan-Maria
Carlotti ou des ensembles tels que
Lo cor
de la Plana
Ă Marseille,
Lo Corrou de Berra
Ă Nice,
Perlinpinpin folk
en Gascogne ;
mélange de musiques « ethniques » et de
musiques actuelles (rap, rock, ragga muf-
fin…) avec les groupes comme
Massilia
sound system, Les Fabulous Troubadours,
Nux Vomica, Les Bombes 2 bal
… Plusieurs
festivals, comme l’
Estivada
de Rodez, pro-
posent une programmation occitane
conséquente, et quelques scènes natio-
nales comme l’Estive, à Foix, intègrent
des spectacles d’expression occitane Ă
leur programmation.
Des artistes jouent, chantent, Ă©crivent
dans une langue dont le choix ne répond
à aucune nécessité pratique. Pour se faire
comprendre, tous disposent du français
et d'autres langues qui remplissent bien
mieux ce rĂ´le dans le monde d'aujour-
d'hui : la création occitane est ainsi la
meilleure illustration de ce qu'une langue
est bien plus qu'un outil de communica-
tion. Sa fonction est ailleurs. En témoi-
gnant pour le plurilinguisme et contre
l'uniformisation qui Ă©touffe, elle pose un
problème structural à notre pays. Celui de
la démocratie culturelle
2
.
1 Surtout mensuelles et trimestrielles. Depuis une douzaine d'années existe un hebdomadaire rédigé en occitan :
la Setmana
. La tradition des almanachs annuels héritée du XIXe siècle reste
vivace.
2 C'est ce que le chansonnier sans-culotte Lavabre avait compris à sa manière, puisque c'est en occitan qu'il a créé la figure emblématique de Marianne :
Mai una onça d'Egalitat
Mais une once d'Égalité
E doas dracmas de Libertat
Et deux drachmes de Liberté
I an plan degatjat lo palmon.
Lui ont dégagé le poumon.
Marianna se troba melhor.
Marianne s'en trouve mieux.
(
La Garison de Marianna
, octobre 1792, première occurrence du personnage comme personnification de la République).
10
L'occi-
tan
dans
le sys-
tème
scolaire
public
Philippe M
ARTEL
1
Marie-Jeanne V
ERNY
2
On peut enseigner l'occitan, et, quand on
est élève, on peut donc l'apprendre, dans
les écoles publiques françaises
3
. Cette
possibilité n'est pas ouverte depuis si
longtemps : si elle fait l'objet de revendi-
cations récurrentes depuis le dernier
quart du XIX
e
siècle, c'est le mois de jan-
vier 1951 qu'il faut considérer comme la
date de naissance du droit Ă enseigner et
Ă apprendre l'occitan (comme le basque,
le breton et le catalan - pas encore l'alsa-
cien pour des raisons faciles Ă compren-
dre). C'est un soir de ce mois qu'est
votée, assez subrepticement d'ailleurs,
une loi connue sous le nom de son rap-
porteur, Deixonne.
Cela dit, ne surestimons pas ce texte,
même si malgré le dépôt de près de cin-
quante propositions de loi depuis, il est
resté, jusqu'à son intégration au Code de
l'Éducation, le seul texte législatif traitant
du problème. Il autorise l'enseignement
des langues régionales, mais sous forme
facultative, avec des maitres et des élè-
ves volontaires ; ces langues ne font donc
pas partie des matières obligatoires et les
débats acharnés auxquels le texte de
Deixonne a donné lieu avant même d'être
adopté expliquent peut-être qu'il soit fort
peu exigeant. Pour le primaire, l'enseigne-
ment de la langue était relégué dans des
« activités dirigées » (le samedi après-
midi, disparues depuis de toute façon…)
réservées d'ailleurs aux plus hautes clas-
ses. Pour le secondaire, s'il Ă©tait possible
de choisir l'occitan comme langue facul-
tative au bac, les points alors gagnés ne
servaient pas Ă l'admission (comme pour
les autres langues facultatives), mais seu-
lement pour l'obtention d'une mention
(jusqu'en 1971). C'est miracle qu'il y ait
eu alors des élèves pour suivre un tel
enseignement et des maitres pour le
dispenser alors que la plupart du temps
nulle formation spécifique ne leur était
offerte.
La situation est pourtant progressivement
devenue un peu moins problématique :
quelques circulaires, en 1976, en 1982,
en 1995, en 2001 ont peu à peu amélioré
la place des langues régionales dans les
cursus. Aujourd'hui, il est possible, avec
les limites que l'on verra, de suivre de la
maternelle à l'université des cours d'occi-
tan dispensés par des enseignants for-
més à cet effet.
Dans le primaire, l'occitan, comme les
autres langues régionales, peut faire l'ob-
jet soit d'un enseignement d'initiation -
quelques heures par semaine -, soit, mais
bien plus rarement, d'un véritable ensei-
gnement bilingue à parité horaire, davan-
tage adapté à la formation de locuteurs,
qui touche quelques milliers d'élèves
essentiellement dans l'académie de
Toulouse, à un moindre degré dans celles
de Bordeaux et de Montpellier. Les ensei-
gnants affectés à ces classes sont en
principe formés et recrutés par un
concours spécifique (dont tous les lau-
réats, d'ailleurs, faute de postes adaptés,
ne peuvent pas enseigner ce pour quoi ils
ont été formés).
Dans le secondaire, un enseignement
léger est possible au collège ; il peut être
renforcé dans quelques rares établisse-
ments où une matière autre que la lan-
gue, l'histoire-géographie souvent, peut
être dispensée en occitan. Au Lycée, l'oc-
citan peut ĂŞtre choisi soit comme ensei-
gnement facultatif, ouvrant sur l'Ă©preuve
existant depuis 1951, soit comme langue
vivante II ou III. L'enseignement dans le
secondaire, longtemps assuré de façon
assez précaire par des enseignants d'aut-
res matières, mais compétents en occi-
tan, commence depuis 1992 Ă pouvoir
être confié à des certifiés ayant passé un
CAPES bivalent associant l'occitan aux
lettres, à l'histoire géographie, à l'espa-
gnol, ou Ă l'anglais.
Dans le supérieur, on peut suivre un cur-
sus d'occitan, plus ou moins complet,
dans quelques universités : Bordeaux,
Toulouse, Montpellier, Aix, Nice,
Clermont, Limoges, et Paris (Paris IV et
Paris VIII). Dans certains IUFM, peu nom-
breux, il est possible de compléter cette
formation.
Tel est le cadre. Dans ce cadre Ă©voluent
quelques dizaines de milliers d'élèves
(entre 70 000 et 90 000 selon les
années), quelques centaines d'ensei-
gnants du secondaire, certifiés ou non,
quelques centaines aussi d'instituteurs et
de professeurs des Ă©coles. Au total, on le
devine, il s'en faut de beaucoup que l'of-
fre d'occitan soit prĂ©sente partout. Et lĂ
oĂą elle l'est, c'est souvent au prix de l'af-
fectation d'un enseignant sur plusieurs
établissements. Et, alors que l'expérience
montre que dès qu'il est possible de pro-
poser cette offre, la demande se mani-
feste, dans beaucoup d'endroits les élè-
ves et leurs parents ne peuvent que
demander en vain un cours d'occitan, Ă
condition bien sûr de savoir qu'ils peuvent
le demander.
Au total, la situation de l'enseignement de
l'occitan, aggravée depuis quelques
années par la baisse des postes mis au
concours du CAPES, n'est pas brillante. À
l'insuffisance des moyens s'ajoute par-
fois, sur le terrain, la réticence de cer-
tains décideurs locaux. Malgré d'incon-
testables progrès au fil des années, il y a
encore du chemin Ă faire
.
1 CNRS-IAAC, président de la FELCO (Fédération des enseignants de langue et la culture d'oc).
2 Université de Montpellier III, secrétaire de la FELCO.
3 Il existe également des écoles privées associatives bilingues pratiquant l'enseignement par immersion : les Calandretas, qui comptent actuellement 35 écoles primaires et un collège, et
qui scolarisent environ 2 000 élèves.
11
THESOC (Thesaurus occitan :
http://thesaurus.unice.fr) est
une base de données linguis-
tiques multimédia ayant pour
objet la langue occitane. Mise
en Ĺ“uvre par une Ă©quipe diri-
gée par Jean-Philippe Dalbera
au sein de l’UMR 60391, cette
base rassemble des données
de divers ordres : données lin-
guistiques Ă©crites et orales,
données sonores, données
images. Sa structure est lar-
gement tributaire de la princi-
pale source d'information
qu'elle utilise, Ă savoir les
résultats (publiés et inédits)
de l'ensemble des enquĂŞtes
réalisées par les dialectolo-
gues sur ce terrain au cours
du XX
e
siècle.
Les matériaux et leur traite-
ment
L’intégration dans THESOC
des données des Atlas linguis-
tiques de la France par
régions touche à sa fin. À ce
jour, le nombre de fiches sai-
sies approche du million. Ces
fiches sont lourdes d'informa-
tion car elles contiennent :
une transcription phonétique
(API), deux niveaux de trans-
cription graphique, des propo-
sitions de lemmatisation, des
indications morphologiques et
Ă©tymologiques (avec renvois
au REW2 et au FEW3), des
références bibliographiques,
des compléments d'ordre eth-
nographique.
La navigation
Ce trésor linguistique est
consultable Ă partir d'un
tableau de bord qui ménage
plusieurs voies d'accès aux
données : par thème (ex. la
famille), par entrée alphabé-
tique, tant en français qu'en
occitan, par localité. Les faits
sont livrés sous forme de lis-
tes ou projetés sur des car-
tes ; pour visualiser celles-ci,
on dispose d'un zoom (affi-
chage de l'aire complète de
langue d'oc ou d'un départe-
ment). Des outils sont fournis
qui permettent de paramétrer
Ă la demande la cartographie.
Des cartes sonorisées sont
proposées.
Les modules spécifiques
Outre les lexiques, accompa-
gnés de données morpholo-
giques (genre et nombre,
temps et mode, préfixes, suf-
fixes…) avec dans certains
cas des tableaux de synthèse,
la base comporte un module
morpho-syntaxique, corpus
de textes oraux étiquetés et
analysés, et doté d'outils pour
permettre les Ă©tudes morpho-
logiques et syntaxiques. THE-
SOC contient Ă©galement un
module toponymique, essen-
tiellement consacré à la
microtoponymie.
L'exploitation
Plusieurs types d’utilisations
sont en cours de mise en
place Ă tous les niveaux :
Ă©clairer le grand public sur la
diversité des usages linguis-
tiques en France, valoriser
l'aspect patrimonial, donner
une assise aux démarches
pédagogiques en matière de
langue occitane, et, sur le
plan scientifique, faire de ce
trésor dialectal désormais
commode d'accès et formaté
en vue d'investigations futures
un instrument de recherche
puissant.
D'ores et déjà , les possibilités
de traitement de la variation
géographique du lexique sont
en passe d'infléchir notable-
ment la démarche étymolo-
gique et d'ouvrir des voies
nouvelles à l'analyse séman-
tique ; d'autre part le traite-
ment de la microvariation dia-
lectale en morphologie et en
syntaxe, qui s'inscrit dans un
courant dynamique en
Europe, ne peut manquer d'a-
voir des effets sur les modéli-
sations Ă venir
.
V
ERNET
(Florian),
Que dalle !
Quand l’argot parle occitan
, I.E.O.
edicions, 2007, 96 p.
Que dalle !
: rien <
que d’ala,
litté-
ralement « que de l’aile » (il n’y a
rien, ou pas grand-chose, Ă man-
ger dans l’aile d’une volaille).
Arpions, bidasse, bataclan, bou-
siller, fada, fayot, empaffer, pèze,
fringues, frusques, fourguer, grol-
les, racaille, tabasser
… Sous l’ar-
got français, nombreux sont les
emprunts à l’occitan. Ils témoi-
gnent que les Ă©changes lexicaux
entre les deux langues sont bien
plus équilibrés que ne le laissent
penser les dictionnaires qui,
devant un mot Ă consonance
romane, lui attribuent volontiers
une origine italienne, espagnole
ou « inconnue », sans regarder du
côté de la langue voisine… Ce
petit livre entreprend d’étudier
l’influence que les truands méri-
dionaux installés en région pari-
sienne ont exercée sur la forma-
tion de la langue du « milieu » (ou
mitan
ou
pègre
…)
C
ARRERA
(Aitor) 2007.
Gramatica
aranesa
. Pagès Editor, Lleida,
228 p.
L’aranais (le gascon parlé dans le
Val d’Aran) était jusqu’à présent
le seul idiome jouissant d’un sta-
tut officiel en Espagne, qui n’ait
pas été codifié. Cette grammaire
est la première grammaire entiè-
rement rédigée en aranais. Elle
utilise les conventions de l’ortho-
graphe occitane et a une voca-
tion Ă la fois descriptive et norma-
tive.
Q
UINT
(Nicolas) 2007.
Le langue-
docien de poche (occitan central)
.
Coll. Assimil Ă©vasion, Assimil,
Paris, 196 p.
Une excellente initiation à l’occi-
tan languedocien.
I
NSTITUT D
’É
TUDES
O
CCITANES
2007.
L’Occitan… Qu’es aquò ?
IEO,
Toulouse.
16 pages en format 29 x 41 pour
en savoir plus sur l’occitan. On
peut se procurer cette publica-
tion gratuite en s’adressant à :
Institut d’études occitanes, 11
rue Malcousinat, 31000 Toulouse,
TĂ©l. : 05 34 44 97 11, courriel :
ieonacionau@hotmail.com.
R
EY
(Alain), D
UVAL
(Frédéric),
S
IOUFFI
(Gilles) 2007.
Mille ans de
langue française. Histoire d’une
passion
. Perrin, Paris, 1 450 p.
Cet Ă©norme ouvrage, impossible
à résumer, mais à lire obstiné-
ment, jette un regard nouveau sur
la langue française, les réalités,
les mythes, les rencontres, les
contacts et les Ă©changes avec
d’autres langues (de France et
d’ailleurs), la variété des usages
sociaux, le français dans le
monde… Il se compose de trois
parties :
Le Moyen Ă‚ge
(Fr.
Duval),
De la Renaissance Ă la
RĂ©volution
(G. Siouffi),
Du premier
empire au XXI
e
siècle
(A. Rey). À
noter – ce qui n’est pas si fré-
quent dans les ouvrages traitant
de la langue française – que les
questions concernant les langues
régionales sont traitées de façon
pertinente et bien informée.
C
ERQUIGLINI
(Bernard) 2007.
Une
langue orpheline
. Les Éditions de
Minuit, Paris, 240 p.
On a longtemps cherché pour la
langue française les origines les
plus nobles. DĂ©couvrir qu'elle
provenait d'un latin populaire
mêlé de gaulois et de germa-
nique, qu'elle Ă©tait la moins latine
des langues romanes fut un cha-
grin. On sut toutefois compenser
ce manque initial en Ă©difiant un
idiome comparable à la latinité
enfuie : orthographe savante,
lexique refait, grammaire réglée,
fonction sociale Ă©minente. On sut
enfin donner Ă la langue nationale
une origine, autochtone, enfin
gratifiante. L'Ă©rudition du
XIX
e
siècle a construit le tableau
flatteur du parler de l'Ile-de-
France, dialecte orphelin devenu
l'exemple d'une perfection primi-
tive et comme constitutive, Ă tra-
vers une histoire cohérente et
linéaire. Une belle légende propre
à congédier les doutes et à révo-
quer la bâtardise originelle ; mais
c'est une légende.
La base THESOC
Parutions
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ISSN en ligne : 1955-2440
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