Cinéma français : le retour

Quel avenir pour le cinéma de création ?

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Le réalisateur français Rachid Bouchareb et l’acteur Sotigui Kouyate sur le tournage de Little Senegal (2001), un film franco-germano-algérien.

Entretiens avec deux professionnels engagés en faveur d’un cinéma indépendant, audacieux, créatif, d’ici et d’ailleurs. Ils répondent pour Label France à trois questions :

1. Comment assurer l’avenir d’un cinéma inventif et diversifié, qui se distingue de la production hollywoodienne standardisée ?

2. Comment y contribuez-vous à votre niveau ?

3. Que devraient entreprendre tant les professionnels que les pouvoirs publics et les organismes parapublics pour améliorer encore la situation du cinéma français ?

Entretien avec Pierre Chevalier

« Il faut affirmer la prévalence absolue
de la création sur l’économie »

A la tête de l’unité fiction de la chaîne culturelle franco-allemande Arte, Pierre Chevalier a ouvert depuis bientôt dix ans un espace de création et d’expérimentation à des cinéastes qui osent ce qu’ils se refuseraient sur grand écran : à partir de « collections » thématiques [1], des réalisateurs débutants ou confirmés signent des œuvres audacieuses que s’approprie souvent le cinéma par la suite. Comme quoi la télévision peut se révéler un formidable allié du septième art...

1. L’avenir du cinéma est déjà assuré, pas seulement en Europe ou aux Etats-Unis mais à l’échelle mondiale. Et d’ailleurs, il ne faudrait pas que cet avenir se réduise à un vain combat entre l’Europe et les Etats-Unis. Le cinéma doit pouvoir se développer partout, non seulement en Iran ou en Asie comme actuellement, mais sur des continents où la création peut redevenir effervescente, comme en Afrique et en Amérique latine. A nous de trouver des alliances, d’avoir de l’imagination et d’éviter de pratiquer la politique du cantonnement, en se repliant sur des notions plus nationalistes que nationales. C’est là que les créateurs peuvent trouver des solutions que les financiers sont incapables d’inventer.

2. Depuis bientôt dix ans, Arte a coproduit environ 300 titres, avec 240 réalisateurs différents, de France, d’Europe et d’autres continents, y compris des Etats-Unis. En matière de bilan, je dirai simplement que nous nous sommes attachés à affirmer la notion de diversité, voire de métissage, au niveau des approches artistiques et linguistiques. Le danger que représente le cinéma américain, c’est qu’il puisse être considéré comme la réponse unique à la demande de tous les publics. Ce que nous avons essayé de faire, c’est de proposer des solutions multiples à des publics différenciés, selon un principe de nomadisme plus que de mondialisation. L’une des réponses à la logique commerciale est sans doute de mettre en place, ou de préserver, d’autres logiques : celles de la sensibilité, de la différence, de la minorité.

3. Les institutions françaises, dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, me paraissent plutôt bonnes. Simplement, étant donné les bouleversements technologiques actuels, elles se trouvent contraintes à jouer essentiellement un rôle d’observation et de contrôle, et donc de réglementation, plutôt que d’incitation et d’action. Il faudrait peut-être que l’institutionnel devienne plus politique, moins sur la défensive, plus dans l’affirmation de la prévalence absolue de la création par rapport à l’économie et au marché, tout en captant de celui-ci l’énergie et l’élan. La voie est peut-être celle d’une nouvelle économie mixte entre public et privé.


Entretien avec Michel Reilhac

« Il s’agit de participer
à l’essor du cinéma d’expression »

Loin de ces institutions parfois poussiéreuses et repliées sur elles-mêmes, le Forum des images - ancienne Vidéothèque de Paris - est un espace créatif et ouvert sur le monde où se retrouvent les publics passionnés par l’image et les professionnels. C’est que le Forum n’a pas la seule vocation d’une cinémathèque : outre des projections thématiques, on y vient pour visionner un document audiovisuel introuvable, participer à des ateliers, assister à des conférences ou découvrir une œuvre cherchant un distributeur dans le cadre des Rencontres internationales du film. Directeur général du Forum des images depuis 1993, Michel Reilhac s’est considérablement investi pour faire de cette institution, financée par la Ville de Paris, le lieu vivant qu’elle est aujourd’hui.

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L’Age des possib, 16.5 ko, 200x132
L’Age des possibles,
de Pascale Ferran (1996).

1. La production hollywoodienne ne satisfait qu’un créneau du marché et du désir de cinéma. La surenchère des effets spéciaux s’essouffle, me semble-t-il. Il y a par conséquent actuellement un regain naturel d’intérêt pour des scénarios sophistiqués et pour un langage cinématographique original. Le besoin de cinéma repose sur l’envie que l’homme a depuis toujours de se raconter des histoires pour dépasser la réalité, la sublimer, la transformer. Il faut donc continuer à faire confiance à ce profond désir d’histoires et ne pas chercher à suivre les prétendus diktats d’un marché lui-même fluctuant par nature.

Le cinéma porteur d’avenir est celui qui traduira toujours la vision originale du monde d’hommes et de femmes animés par l’obsession de la partager ou simplement de la faire exister. Il ne faut pas avoir peur de continuer à prendre le risque de l’innovation en ne considérant pas le cinéma seulement comme une industrie, régie par des règles de marché, et encore moins comme un produit susceptible de se laisser formater par la globalisation.

2. En cherchant systématiquement les points de vue originaux et novateurs. En offrant les références aux jeunes générations pour connaître les bases de la culture cinématographique, pour s’inspirer des maîtres. En favorisant l’échange des réflexions et des expériences des professionnels qui voient le cinéma comme un art et non comme un marché. En se laissant toujours guider par le souci d’intégrité artistique et morale. En s’efforçant de ne jamais oublier que derrière le cinéma, il y a des histoires d’hommes et de femmes, de l’émotion, du savoir, de l’empathie. Le cinéma n’est qu’un moyen d’être mieux humain.

Il ne s’agit pas de se démarquer du cinéma américain, mais de participer à l’essor du cinéma d’expression, et non à celui des mauvais films de divertissement avilissants qui sévissent autant en France, en Europe qu’en Amérique. Il ne faut plus penser le cinéma en termes d’expression nationale, mais en termes d’expression d’un individu vers des milliers - voire des millions d’autres. La France doit continuer de développer son effort exemplaire de soutien vers les cinématographies du Sud (voir l’article "Un ministère au service de tous les cinémas") autant que vers les cinéastes français.

3. Il y a deux formes de cinéma : celui qui vise à séduire par le biais du plus petit dénominateur commun de la culture internationale ne m’intéresse pas, parce qu’il est obligé de se plier aux règles de l’entertainment mondial, dont les origines reposent sur les clichés de la culture populaire américaine. Même si certains de ces films sont excellents dans leur genre et donnent beaucoup de plaisir immédiat, comme un tour de manège.

Et il y a l’autre cinéma, qui continue de puiser sa force dans son individualité. Sa capacité à émouvoir universellement vient justement de sa spécificité locale. Pour améliorer notre situation il faut donner aux films européens, et non américains, la surface d’exposition et de marketing comparable à celle mise en œuvre pour les films à gros budget de promotion, en particulier en autorisant l’accès à la promotion télévisuelle aux seuls films indépendants - quelle que soit leur nationalité - pour contrebalancer le rouleau compresseur des campagnes de marketing des grosses machines, particulièrement américaines.

Entretiens réalisés par Franck Garbarz Journaliste à la revue Positif


Sur internet :

www.arte-tv.com • Forum des images : www.forumdesimages.com

[1] Comme « Les Années lycée » (Le Péril jeune, de Cédric Klapisch), « Petites Caméras » (La Chambre des magiciennes, de Claude Miller), « Tous les garçons et les filles de leur âge » (Les Roseaux sauvages, d’André Téchiné, Trop de bonheur, de Cédric Kahn) « Gauche-droite » (Le Petit Voleur, d’Eric Zonca), ou le cycle « Au travail » (Ressources humaines, de Laurent Cantet, Beau travail, de Claire Denis).


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