VERSION PROVISOIRE – PRIERE DE NE PAS CITER (30 avril 2007)
La « laïcité française » face aux principes
communs des relations Eglises-Etat en
Europe
par
Emmanuel Tawil
Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Docteur en Droit public et Docteur en Droit canonique
Diplômé post-doctoral de l’EPHE (Sciences religieuses)
Centre d’Etudes Constitutionnelles et Politiques
La très grande divergence entre ce que l’on appelle souvent la « laïcité française » et les
systèmes européens de relations Eglises-Etat fait partie de ces idées largement reçues, tout à la
fois parmi les auteurs français, et parmi les auteurs étrangers. Cette idée repose avant tout sur
les présentations erronées et simplistes de la laïcité constitutionnelle française et du droit des
cultes, qui ont longtemps circulées et continuent de circuler. Or, comme le rappelle Francis
Messner, « le droit général qui s’applique sur la plus grand partie du territoire est loin de
correspondre aux représentations dont on l’a affublé
ad intra
et qui ont été reprises à titre
d’épouvantail ou de contre-exemple par des spécialistes étrangers du droit des religions »
.
Non seulement ces représentations sont erronées, mais nombre d’hommes politiques, de
praticiens et d’auteurs s’appuient sur celles-ci, qu’ils considèrent comme constituant un
modèle français, pour analyser des situations concrètes. Prenant appui sur des premisses
erronées, quelle que soit la qualité de leurs analyses, celles-ci débouchent en général des
erreurs… Le mérite revient à quelques universitaires, autour de Francis Messner, d’avoir tenté
1
Francis Messner poursuit : « Ainsi, en matière de subventionnements publics, de nombreuses dispositions
légales dérogent à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, qui pose le principe d’interdiction de
subventionnement et de rémunération des cultes. Les collectivités territoriales peuvent entretenir les édifices
affectés aux cultes dont certaines institutions bénéficient d’importantes exonérations fiscales. Les aumôniers des
établissements hospitaliers et pénitentiaires ainsi que les aumôniers des armées sont rémunérés sur des fonds
publics. D’autres exemples puisés dans le droit de l’éducation et le droit du travail montrent à l’évidence qu’il
existe une législation des cultes en France et que le principe constitutionnel de laïcité, qui est également le garant
de la liberté de religion, n’implique pas une indifférence totale des pouvoirs publics en matière religieuse »
(Francis M
ESSNER
, « Le droit des religions en Europe »,
Cahiers de la Maison des sciences de l’homme de
Strasbourg 1979-2000
, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2000, p. 82).
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
d’aborder les relations Eglises-Etat en s’en tenant au droit positif
, tandis qu’autour du doyen
Jean-Paul Durand on recueillait et publiait les textes législatifs et règlementaires, les
circulaires et la jurisprudence
. Ce type d’approches, confirmé et complété par d’autres
auteurs, a été également également celle du rapport de la Commission présidée par le doyen
Jean-Pierre Machelon, remis au Ministre de l’Intérieur en septembre 2006
et celle du rapport
remis par Emile Poulat au Premier ministre en 2005
. S’est ainsi opérée une petite
révolution : la prise de conscience de l’état réel du droit français des cultes et de la
signification du principe de laïcité.
L’article 1
er
de la Constitution de 1958, reprenant le texte de l’article 1
er
de la Constitution
de 1946, prévoit le caractère laïque de la République. Cette notion de laïcité n’a pas été
définie de manière claire lors des travaux préparatoires à la Constitution de 1946 et la
signification du principe constitutionnel de laïcité n’a pas vraiment été précisée par
l’interprète ordinaire de la Constitution qu’est le juge constitutionnel. Il a seulement admis
que le principe de laïcité n’exclut pas le financement public de l’enseignement privé
et
affirmé que le principe de laïcité fait obstacle à ce que l’on puisse « se prévaloir de ses
croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les rapports entre
collectivités publiques et particuliers »
. De son côté, le Conseil d’Etat a apporté de très
nombreuses précisions.
Le Conseil d’Etat a très nettement rejeté une conception négative de la laïcité. Le principe
de laïcité n’implique ni le refus par l’Etat de toutes les religions, ni l’obligation de recruter un
personnel laïc dans l’Éducation nationale
, ni l’interdiction du financement des cultes
. Dans
les Considérations générales de son
Rapport public 2004
, le Conseil d’Etat a synthétisé sa
2
2
Œuvre de 10 ans et d’une quarantaine d’auteurs : Francis M
ESSNER
,
Pierre-Henri P
RELOT
et Jean-Marie
W
OEHRLING
(sous la direction de),
Traité de droit français des religions,
Paris, Litec, 2003, 1317 pages. Voir
également, refusant une approche en terme de droit des religions, pour privilégier la notion juridique de culte,
Xavier D
ELSOL
, Alain G
ARAY
et Emmanuel T
AWIL
,
Droit des cultes
, Paris, Dalloz-Juris association, 2005,
640 pages.
3
Janine D
UFAUX
, Philippe D
UPUY
, Jean-Paul D
URAND
, Cyrille D
UTHEIL DE LA
R
OCHERE
, Félicité G
ASZTOWTT
,
Michel G
UILLAUME
, Anne-Violaine H
ARDEL
, Bernard J
EUFFROY
,
Liberté religieuse et régimes des cultes en
droit français, textes, pratique administrative, jurisprudence
, Paris, Cerf, 2
ème
éd., 1996, 1840 pages.
4
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000727/0000.pdf
5
Emile P
OULAT
,
Les Diocésaines
, Paris, La documentation française, 2007, IV-577 pages.
6
Décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977, Rec. CC, p. 42.
7
Décision n°2004-505 DC du 19 novembre 2004, Rec. CC, p. 173.
8
CE avis 21 septembre 1972, in Yves
G
AUDEMET
,
Bernard
S
TIRN
,
Thierry
D
AL
F
ARRA
,
Frédéric
R
OLIN
,
Les
grands avis du Conseil d’Etat
, Paris, Dalloz, 2
nd
éd., 2001, n°6.
9
CE 16 mars 2005,
Ministre de l’Outre-mer
, AJDA 2005, p. 1463-1465, note Claude D
URAND
-P
RIMBORGNE
.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
jurisprudence quant à la signification juridique du principe de laïcité. Il a souligné que, pour
lui, le principe de laïcité implique la neutralité de l’Etat, la liberté religieuse et le pluralisme
En droit français, plusieurs autres règles constitutionnelles assurent des droits et libertés en
matière religieuse. Tel est le cas de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de
1789, de la laïcité de l’enseignement public garanti par le Préambule de la Constitution de
1946, des nombreuses affirmations de l’interdiction de toute discrimination, ainsi que du
principe fondamental reconnu par les lois de la République de liberté de conscience
. Mais
ces droits et libertés en matière religieuse sont considérés par le Conseil d’Etat comme assurés
également sur le fondement du principe constitutionnel de laïcité
. En revanche, deux droits
fondamentaux sont autonomes par rapport au principe de laïcité : la liberté d’enseignement
et la liberté d’association
.
En même temps que la prise de conscience de l’état réel du droit français, s’est opérée une
seconde évolution. Les principaux spécialistes européens des relations Eglises-Etat, réunis
dans le Consortium européen pour l’étude des relations Eglises-Etat
, ont pris l’habitude à
partir de 1990 de se réunir tous les ans à l’occasion d’un colloque thématique : ils ont ainsi pu
mettre en évidence des convergences certaines. Des efforts de systématisation ont été faits,
notamment par Silvio Ferrari et Ivan Iban
ainsi que par Francis Messner
. On a ainsi mis
en avant l’existence d’un modèle européen des relations Eglises-Etat comprenant deux
niveaux. Le premier niveau est celui de la liberté individuelle et collective de religion
(croyance, expression, pratique). Le second niveau est celui de l’organisation et du soutien
des groupements religieux, qui se décline en plusieurs éléments : autonomie des collectivités
religieuses et statut étatique de ces groupements; coopération entre l’Etat et les religions ;
3
10
C
ONSEIL D
’E
TAT
,
Rapport public 2004,
EDCE n°55, 2004, p. 272-277.
11
Décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977,
préc.
.
12
CE avis 27 novembre 1989, in Yves
G
AUDEMET
,
Bernard
S
TIRN
,
Thierry
D
AL
F
ARRA
,
Frédéric
R
OLIN
,
Les
grands avis du Conseil d’Etat
,
Op. cit.,
n°22.
13
Décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977,
préc.
.
14
Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Rec. CC, p. 29.
15
http://www.church-state-europe.eu
Le Consortium publie une
Revue européenne des relations Eglises-Etat
[ci-après REREE] depuis 1993.
16
Silvio F
ERRARI
et Ivan I
BAN
,
Diritto e Religione in Europa
, Bologna, Il Mulino, 1997, 208 pages.
17
Francis M
ESSNER
in Francis M
ESSNER
,
Pierre-Henri P
RELOT
et Jean-Marie W
OEHRLING
(sous la direction de),
Traité de droit français des religions,
Op. cit
, p. 58-76 ;
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
financement publics des religions. Pour ce second niveau, la marge d’intervention de l’Etat
est plus grande et celui-ci opère des distinctions selon le poids des religions dans la société
.
Sur la base de l’apport de ces auteurs, il convient de confronter le système français,
qu’Emile Poulat a appelé « Notre Laïcité Publique »
, aux
principes
communs aux relations
Eglises-Etat en Europe.
La formule
principes communs aux relations Eglises-Etat en Europe
ne doit pas faire
illusion. Il s’agit seulement de convergences entre les droits nationaux, et non de règles supra-
nationales. En effet, ces matières ne relèvent pas du droit communautaire, comme l’a rappelé
la Déclaration n°11 annexée au Traité d’Amsterdam et à l’article I-52 de la Constitution
;
par ailleurs, même si certains aspects peuvent être rattachés au droit de la Convention
européenne des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laisse aux Etats
la liberté d’ organiser comme ils l’entendent leurs relations avec les cultes représentés sur leur
territoire : sont également légitimes des régimes de séparation, de concordat ou des régimes
des cultes reconnus
.
Confronté aux autres systèmes européens, le système français présente d’importantes
convergences avec ceux-ci, notamment parce que tous assurent la liberté religieuse des
individus et l’autonomie des collectivités religieuses (1
ère
partie) et qu’ils admettent la
possibilité d’opérer un traitement différencié des collectivités religieuses (2
ème
partie). En
revanche, la France présente des régimes des cultes nombreux et très différents les uns des
autres, ce qui n’est pas la situation la plus fréquente en Europe (3
ème
partie).
4
18
Voir, par exemple, Francis M
ESSNER
, « La reconnaissance des religions en Europe. Des exemples des
mécanismes d’accès aux statuts et aux régimes des cultes »,
Revue de droit canonique
, 2004, p. 15-47.
19
Emile P
OULAT
,
Notre laïcité publique
, Paris, Berg, 2003, 416 pages.
20
Mais rien n’interdit, comme le fait le professeur Ivan C. Iban, d’envisager qu’à plus ou moins long terme
l’Union européenne optera pour un système unique (Ivan C. I
BAN
, « La pertinence des cultes reconnus dans les
systèmes de relations Etats/Religions dans l’Union européenne »,
Revue de droit canonique
, 2004, p. 67-75).
21
Voir l’étude très précieuse de la jurisprudence sur cette question de Gérard G
ONZALEZ
, « Convention
européenne des droits de l’homme, cultes reconnus et liberté de religion »,
Revue de droit canonique
, 2004,
p. 49-65.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
I. La liberté religieuse des individus et l’autonomie des collectivités religieuses
Comme tous les sytèmes constitutionnels européens, le droit français garantit la liberté
religieuse (A.) et l’autonomie des collectivités religieuses (B.).
A. La liberté religieuse des individus et ses limites
La protection de la liberté religieuse des individus est assurée universellement en Europe
Toutes les Constitutions assurent la liberté de conscience, c’est-à-dire la liberté de croire et de
ne pas croire, ainsi que la liberté de manifester ses croyances. Est, bien sûr, garantie la liberté
de pratiquer sa religion. L’interdiction de toute discrimination à l’égard des individus qui
serait fondée sur la religion est également présente partout dans l’Union européenne
Quelques très rares limites à ces principes demeurent, mais leur portée est des plus relatives.
On cite parfois l’
Act of Settelment
(1701), qui écarte du trône du Royaume-Uni toute
personne de religion catholique ou mariée à un « papiste »
Les systèmes constitutionnels européens garantissent l’effectivité de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui est parfois insérée dans la Constitution (en Autriche
par exemple). Tous les Etats membres de l’Union européenne sont en effet membres du
Conseil de l’Europe, et donc liés par la Convention européenne des droits de l’homme. Son
article 9 stipule : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;
ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en
privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». La
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme accorde à la liberté religieuse une
5
22
Francis M
ESSNER
, « Le Statut des confessions religieuses dans les Pays du sud de l’Europe », in Blandine
C
HELINI
-P
ONT
(sous la direction de),
Etats, Religions et Liberté religieuse en Méditerranée
, Aix-en-Provence,
PUAM, 2002, p. 137-146.
23
Dans une littérature immense, voir Gerhard R
OBBERS
(sous la direction de),
Etat et Églises dans l'Union
européenne
, Baden-Baden: Nomos 1997, 370 pages ; Catherine H
AGUENAU
-M
OIZARD
,
Etats et religions en
Europe
, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2000, 150 pages ; Jean B
AUBEROT
(sous la direction de),
Religions et laïcité dans l'Europe des Douze
, Paris, Syros, 1994, 307 pages
;
C
OLLECTIF
,
Le statut
constitutionnel des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of Churches in the
European countries
, Actes du colloque de l’Université Paris XI, 18-19 novembre 1994, Milano-Paris, Giuffrè-
Litec, 1995, 370 pages. Compléter, pour les Pays de l’Est de l’Europe, par les travaux plus récents du
Consortium européen pour l’Etude des relations Eglises-Etat, notamment : Francis M
ESSNER
(sous la direction
de),
Le Statut des confessions religieuses des Etats candidats à l’Union Européenne – The Status of Religious
Confessions of the States Applying for Membership to the European Union
, Actes du colloque de Strasbourg des
17-18 septembre 2000, Milano, Giuffrè, 2002, 276 pages.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
place essentielle. Elle voit dans la liberté religieuse l’une « des assises d’une société
démocratique »
. La Cour souligne que cette liberté « figure, dans sa dimension religieuse,
parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leurs conceptions de la
vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les
indifférents »
. La liberté religieuse suppose le pluralisme, qui est « consubstantiel »
à une
société démocratique. La Cour européenne des droits de l’homme refuse de considérer
n’importe quel acte motivé par la religion comme protégé par l’article 9
. Néanmoins, cette
liberté a un champ très vaste. La liberté religieuse implique d’abord la liberté de croire
et de
ne pas croire
. La liberté de manifestation des croyances religieuses, qui présente aussi un
aspect négatif
, implique la liberté d’ « enseignement »
. Cet enseignement peut également
être externe (liberté de prosélytisme)
. Sont également protégés « le culte, […] les pratiques
et l’accomplissement des rites »
, ainsi que le port de vêtements religieux
. Dans le cadre
communautaire, la liberté religieuse a été intégrée en tant que droit fondamental sur la base
des principes généraux du droit»
. La Cour a ainsi reconnu la liberté religieuse, en s’inspirant
6
24
Francis L
YALL
and David M
AC
C
LEAN
, « The Constitutional Status of Churches in Great-Britain », in
Le statut
constitutionnel des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of Churches in the
European countries
,
Op. cit.
, p. 139-152
25
CEDH 25 mai 1993,
Kokkinakis c. Grèce
, série A n° 260-A, § 31.
26
Ibid
.
27
Ibid.
28
CEDH 1
er
juillet 1997,
Kalaç
, RUDH 1998, p. 109, §27.
29
CEDH 25 mai 1993,
Kokkinakis c. Grèce
, série A n° 260-A, § 31.
30
CEDH 18 février 1999,
Buscarini
, RTDE 2000, p. 261, §34.
31
« Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas
la pratiquer. » (CEDH 18 février 1999,
Buscarini
, RTDE 2000, p. 261, §34). Les faits de l’espèce étaient les
suivants : la loi de la République de Saint-Marin prévoyait un serment des parlementaires sur les Saints-
Evangiles. La Cour a condamné cette pratique comme contraire à l’article 9. Elle relevait : « En l’espèce,
l’obligation de prêter serment sur les Evangiles imposée à MM. Buscarini et Della Balda constitue bel et bien
une restriction au sens du second paragraphe de l’article 9, les deux requérants ayant dû faire allégeance à une
religion donnée sous peine de déchéance de leur mandat de parlementaires. » (§34) ; « En l’occurrence, le fait
d’avoir imposé aux requérants le serment sur les Evangiles équivaut toutefois à l’obligation pour deux élus du
peuple de faire allégeance à une religion donnée, ce qui n’est pas compatible avec l’article 9 de la Convention »
(§39).
32
CEDH 25 mai 1993,
Kokkinakis c. Grèce
, série A n°260-A, § 31.
33
« Aux termes de l’article 9, la liberté de manifester sa religion ne s’exerce pas uniquement de manière
collective, ‘en public’ et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: on peut aussi s’en prévaloir
‘individuellement’ et ‘en privé’; en outre, elle comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son
prochain, par exemple au moyen d’un ‘enseignement’, sans quoi du reste ‘la liberté de changer de religion ou de
conviction’, consacrée par l’article 9, risquerait de demeurer lettre morte » (CEDH 25 mai 1993,
Kokkinakis c.
Grèce
, série A n°260-A, § 31).
34
CEDH 1
er
juillet 1997,
Kalaç
, RUDH. 1998, p. 109, §27.
35
CEDH 14 décembre 1999,
Serif
, Rec. CEDH, IX, p. 91, §39.
36
« le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de
justice assure le respect ; que la sauvegarde de ces droits, tout en s’inspirant des traditions constitutionnelles
communes aux Etats membres, doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt
Prais c.
Conseil
du 27 octobre 1976
. Par ailleurs, le principe de non-discrimination pour motif
religieux (que l’on peut considérer comme
lex speciala
du principe de liberté religieuse) est
expressément entrée dans le Traité sur la Communauté européenne avec l’adoption du Traité
d’Amsterdam
. Dans le projet de Constitution pour l’Europe, la liberté religieuse est
expressément garantie par l’article II-70, dont les stipulations correspondent en substance à
l’article 9 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le droit constitutionnel français n’est pas très éloigné. La liberté de conscience est garantie
par un principe fondamental reconnu par les lois de la République
, tandis que l’article 10 de
la Déclaration de 1789 prévoit que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses ». De manière plus générale, le Conseil d’Etat a considéré que le principe de laïcité
implique la neutralité de l’Etat, le pluralisme et la liberté religieuse
.
Le régime constitutionnel des limites aux libertés fondamentales en France n’est guère
différent de celui existant dans les pays voisins. Pour qu’une mesure restrictive de liberté soit
légitime, il faut qu’elle soit motivée par l’intérêt général ou la collision des droits
fondamentaux. La mesure restrictive de liberté doit être proportionnée au motif qui la justifie,
elle doit être posée par la loi et ne pas dénaturer le droit limité
. Il n’y a rien là qui s’éloigne
de ce qui peut exister dans les pays voisins
et ces principes s’appliquent à la liberté
religieuse
.
Si du point de vue des principes, la France ne diffère pas des autres Etats européens, en
pratique, il y a quelques différences. Ainsi, alors que la plupart des Etats européens
n’envisagent pas l’interdiction des signes religieux dans les écoles publiques
, c’est le cas en
7
Communauté » (CJCE 17 décembre 1970,
Internationale Handelgesellschaft c. Einfuhr und Vorrattstelle für
Getreide und Futtermittel
, Rec., p. 1125).
37
CJCE 27 octobre 1976,
Prais c. Conseil
, Rec. p. 1589.
38
Article 13 du Traité sur la Communauté européenne, dans la version consolidée issue du Traité d’Amsterdam.
39
Décision n°77-87 DC du 23 novembre 1977,
préc.
.
40
C
ONSEIL D
’E
TAT
,
Rapport public 2004, Op. cit.
, p. 272-277.
41
Par exemple, Louis F
AVOREU
et al.,
Droit constitutionnel
, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 9
ème
éd., 2007,
p. 811-813.
42
Louis F
AVOREU
(sous la direction de),
Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux
, Actes du
2
ème
Colloque d’Aix-en-Provence 19, 20 et 21 février 1981, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM., 1982,
540 pages.
43
Comparer le rapport français (p. 785-838) aux autres rapports européens au Colloque de Budapest de
décembre 2003 sur les limitations à la liberté religieuse, publiés in
Emory International Law Review
, vol. 19, n°
2, Summer 2005, p. 465-1320.
44
Sur cette question, voir les rapports aux colloques de Budapest des 2-4 juin 2005 et de Strasbourg des 28-30
juillet 2005 : http://
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
France. La réaction originelle du Conseil d’Etat, dans son avis du 27 novembre 1989, était
plus proches des solutions retenues dans les Etats voisins. Le Conseil d’Etat la fondait
directement sur le principe constitutionnel de laïcité et sur les accords internationaux liant la
France, notamment la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’Etat
considérait que le port, par un élève, d’un signe visible manifestant son appartenance
religieuse n’était pas, en lui-même, contraire au principe de laïcité. Pour le Conseil d’Etat, le
droit constitutionnel français (principe de laïcité ; liberté de conscience), ainsi que d’autres
textes de rang normatif moindre dans la hiérarchie des normes internes (traités ; lois)
fondaient, au bénéfice des élèves, « le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances
religieuses à l’intérieur des établissements scolaires ». L’exercice de ce droit pouvait
impliquer « le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur
appartenance religieuse ». Cette liberté, de rang constitutionnel, trouvait sa limite dans les
exigences du respect de l’ordre public et des droits fondamentaux d’autrui. Il appartenait aux
chefs d’établissement d’assurer le respect de ces principes, notamment dans le cadre de
l’adoption du règlement intérieur. La solution retenue par l’avis de 1989 était consacrée au
contentieux. Selon cette jurisprudence, seules les exigences d’ordre public et de respect des
libertés étaient susceptibles de justifier une mesure d’interdiction du voile islamique. C'est-à-
dire que c’étaient les effets produits par le port du signe religieux sur l’ordre public ou les
libertés d’autrui qui justifiaient la mesure d’interdiction. Si le Conseil d’Etat admettait que le
« caractère ostentatoire » d’un signe était susceptible de produire de tels effets, c’étaient ces
effets qui justifiaient l’éventuelle l’interdiction et non le caractère ostentatoire en lui-même
.
Le Gouvernement et le Parlement ont considéré que, compte tenu de la situation provoquée
par la multiplication des signes religieux dans les écoles, pour assurer l’ordre dans les
établissement, il fallait adopté la loi du 15 mars 2004, qui a introduit un nouvel article dans le
Code de l’éducation. Ce texte ajoute un article L. 141-5-1 qui prévoit que « Dans les écoles,
les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves
manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Une circulaire du 18
mai 2004 a donné la kippa, le voile islamique et une croix de dimension excessive comme
exemple de signes dont le port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse. Pour le
8
45
Sur la jurisprudence antérieure à la loi du 15 mars 2004, voir Alain G
ARAY
et Emmanuel T
AWIL
, « Tumulte
autour de la laïcité », D. 2004, chron., p. 227.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
Conseil d’Etat, la liste en question découle implicitement de la loi, dont la circulaire s’est
« bornée à rappeler et à expliciter les termes »
.
B. L’autonomie des collectivités religieuses
Les Etats européens reconnaissent le principe d’autonomie des collectivités religieuses. Ce
principe est très étudiée en droit comparé
. Il constitue en général un droit subjectif qui peut
être revendiqué contre les pouvoirs publics
. Ce principe existe dans tous les systèmes
européens
. Par exemple, en Espagne, l’autonomie des confessions religieuses découle de
l’article 16 alinéa 1
er
de la Constitution qui garantit la « liberté idéologique, religieuse et des
cultes des confessions religieuses », l’article 6 de la Loi organique sur la liberté religieuse de
1980 précisant que « les églises enregistrées, confessions et communautés religieuses ont une
autonomie complète et sont habilitées à établir leur propres règles d’organisation, leurs
normes internes et la réglementation de leur personnel »
. Au Portugal, l’article 41 alinéa 4
de la Constitution garantit l’autonomie des collectivités religieuses
en prévoyant que « les
églises et les communautés religieuses sont séparées de l’Etat et peuvent librement
s’organiser, exercer leurs fonctions et célébrer leur culte ». En Allemagne, l’article 137 alinéa
3 de la Constitution de Weimar, qui a valeur constitutionnelle du fait du renvoi de l’article
140 de la Loi fondamentale, dispose : « Chaque société religieuse règle et administre ses
affaires de façon autonome, dans les limites de la loi applicable à tous. Elle confère ses
fonctions sans intervention de l’Etat ni des collectivités communales civiles ». L’autonomie
implique la faculté de gérer ses affaires propres, notamment en adoptant des règles internes,
qui parfois produiront des effets civils
. Le principe d’autonomie est également consacré par
la jurisprudence d’application de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, la Cour
9
46
CE 8 octobre 2004,
Union française pour la cohésion nationale
, JCPA 2004, n°1711, note Emmanuel T
AWIL
.
47
Hildegard W
ARNINK
(sous la direction de),
Legal Position of Churches and Church Autonomy
, Leuven,
Peeters, 2001, XIV-269 pages ; Gerhard R
OBBERS
(sous la direction de),
Church Autonomy
, Frankfurt-am-Main,
Peter Lang, 2001, 716 pages.
48
Ulrich S
PELLENBERG
, « Les droits religieux devant les tribunaux allemands », in
La religion en droit comparé
à l’aube du 21
ème
siècle
,
Op. cit.
, p. 388.
49
Francis M
ESSNER
, « La reconnaissance des religions en Europe. Des exemples des mécanismes d’accès aux
statuts et aux régimes des cultes »,
Revue de droit canonique
, 2004, p. 17 et s.
50
Sur le principe d’autonomie des collectivités religieuses en droit espagnol, José Maria G
ONZALEZ DEL
V
ALLE
,
« Constitutional status of religious confessions in Spain
», in
Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de
l’Union européenne, The constitutional status of churches in the european countries
,
Op. cit.
, p. 110-118.
51
José D
E
S
OUSA
E.
B
RITTO
, « Le régime constitutionnel des cultes au Portugal », in
Le statut constitutionnel
des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of churches in the european countries
,
Op. cit.
, p. 228-231.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
a reconnu, dans son arrêt 26 octobre 2000,
Hassan et Tchaouch
, que « le droit des fidèles à la
liberté de religion suppose que la communauté [religieuse] puisse fonctionner paisiblement,
sans ingérence arbitraire de l’Etat »
.
La libre autonomie des collectivités religieuses est également assurée en droit français
.
Mais, à la différence de ce qui existe dans nombre d’Etat voisin, elle n’est pas mentionnée
expressément dans la Constitution. On peut néanmoins la rattacher au principe de liberté de
culte, qui est lui-même un élément de la laïcité constitutionnelle
. Par ailleurs, elle résulte de
l’économie général de la loi de 1905 : en effet, sur la base de la loi de séparation, dans un avis
des 25 et 31 octobre 1906, le Conseil d’Etat a affirmé que « le principe de liberté de culte
s’applique aussi bien aux individus qu’aux collectivités »
. En principe, cette liberté ne
devait initialement concerner que les collectivités religieuses qui avait accepté de se constituer
en associations cultuelles. Il était clair, d’une part, que les cultes n’avaient pas la possibilité de
se constituer en association de la loi de 1901 pour bénéficier d’une institutionnalisation, et,
d’autre part, que les cultes ne pouvaient revendiquer la liberté de cultes que s’ils s’étaient
constitués en associations cultuelles. Cette double limitation a été abandonnée dès la loi du 2
janvier 1907. En effet, celle-ci a admis expressément la possibilité pour les cultes de recourir,
non pas à une association cultuelle, mais à une association de la loi de 1901. Cette possibilité
résulte des articles 4 et 5 de la loi du 2 janvier 1907. Malgré ces dispositions, l’association
cultuelle reste la modalité ordinaire d’institutionnalisation d’un culte.
L’accès au statut d’association cultuelle est subordonné aux respects des régles relatives à
la constitution d’association (nombre minimum de membres ; déclaration ; publication ; etc.).
Par ailleurs, les statuts doivent prévoir un objet exclusivement cultuel (article 19) et les
associations « ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet »
. Depuis l’avis
du 24 octobre 1997, le Conseil d’Etat a posé un critère supplémentaire : si un groupement est
10
52
Sur les effets des normes religieuses en droit étatique, Emmanuel T
AWIL
,
Normes religieuses et droit français
,
Aix-en-Provence, PUAM, 2005, 318 pages.
53
CEDH 26 octobre 2000,
Hassan et Tchaouch
, RTDE 2001, p. 185, §62. Voir également le paragraphe 118 de
CEDH 13 décembre 2001,
Eglise métropolitaine de Bessarabie
,
Conscience et liberté
, n°63, 2002, p. 68-75, note
Claudia A
DEOUSSI
.
54
Francis M
ESSNER
,
« The Autonomy of Religious Confessions in France »,
in
Legal Position of Churches and
Church Autonomy
(sous la direction de Hildegard W
ARNINK
),
Op. cit.
, p. 111-119
55
C
ONSEIL D
’E
TAT
,
Rapport public 2004,
EDCE n°55, 2004, p. 272-277.
56
CE avis 25 et 31 octobre 1906, EDCE n°55, 2004, p. 417
57
CE avis 24 octobre 1997,
Association pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom
,
Droit fiscal
, 1997,
n°1365 ; CE 23 juin 2000,
Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Clamecy
, D. 2000, p. 204.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
susceptible de porter atteinte à l’ordre public, il ne peut pas bénéficier du statut d’association
cultuelle
.
II. La possibilité pour l’Etat d’opérer un traitement différencié des collectivités
religieuses
La diversité religieuse est admise et garantie dans tous les systèmes constitutionnels
européens
, même si certaines réticences ont pu exister, notamment en Grèce
. Le principe
de pluralisme est ainsi garanti dans tous les pays européens. La Cour européenne des droits de
l’homme a considéré que le pluralisme avait une place centrale, en le qualifiant de
« consubstantiel »
à une société démocratique. Le projet de traité constitutionnel pour
l’Union européenne prévoit également, en son article II-82, que « l'Union respecte la
diversité culturelle, religieuse et linguistique »
.
En droit français, le pluralisme est garanti au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
Il constitue d’abord un objectif de valeur constitutionnelle
. Mais la doctrine rattachait
également le pluralisme à la neutralité
, et donc à la laïcité. Le Conseil d’Etat a expressément
confirmé un tel rattachement, notamment dans son avis du 27 novembre 1989
et, de manière
11
58
CE avis 24 octobre 1997,
préc.
59
C
OLLECTIF
,
New Religious Movements and the law in the European Union, Acte du colloque de Lisbonne des
8-9 novembre 1997
, Bruylant-Giuffrè editore-Nomos, Bruxelles-Milano-Baden Baden, 1999, 390 pages.
60
Charalambos P
APASTATHIS
, « Le régime constitutionnel des cultes en Grèce », in
Le statut constitutionnel des
cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of Churches in the European countries
,
Op. cit.
, p. 153-168.
61
CEDH 25 mai 1993,
Kokkinakis c. Grèce
, série A n° 260-A, § 31.
62
Ces dernières stipulations sont très importantes car, comme le souligne le professeur Louis-Léon Christians,
elles créent « une garantie proprement européenne en faveur du respect de la diversité du fait religieux. Le
respect de cette garantie est à la fois direct et spécifique. Il est direct dans la mesure où il ne vise plus ici à se
retrancher derrière le principe de subsidiarité. Il envisage une compétence immédiatement européenne de prise
en compte de la diversité par delà les frontières nationales. Ce respect est spécifique dans la mesure où l’article
[…] reconnaît la légitimité d’isoler le fait religieux de l’ensemble plus vaste des réalités culturelles », (Louis-
Léon Christians, « Construction européenne et politique religieuse », in Blandine Chélini-Pont (sous la direction
de),
Quelle politique religieuse en Europe et en Méditerranée ?,
Aix-en-Provence, PUAM, coll. « Droit et
Religions », 2004, p. 127).
63
« Considérant que le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur
constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions essentielles de la démocratie » (décision
n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, R.J.C. I-283, § 11).
64
« Le principe de la neutralité de l’Etat à l’égard des religions exclut que le droit de l’Etat institue des
catégories de religion, les unes supposées honorables, les autres non » (Jean-Marie W
OERHRLING
, « Une
définition juridique des sectes », in
Les ‘sectes’ et le droit en
France, sous la direction de Francis M
ESSNER
,
Paris, PUF, 1999, p. 66).
65
« Le principe de laïcité implique nécessairement le respect de toutes les croyances, déjà reconnu par l’article
10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel ‘Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi
par la loi’ » (CE avis 27 novembre 1989,
préc.
).
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
particulièrement nette, dans son
Rapport public 2004
. Le pluralisme en matière religieuse
implique une attitude positive de l’Etat : comme l’a relevé le Conseil d’Etat, le pluralisme
« implique nécessairement le respect de toutes les croyances »
Mais la reconnaissance du pluralisme n’implique pas l’obligation de traiter toutes les
religions de manière uniforme. Au contraire, tous les systèmes européens prévoient des
distinctions en fonction des religions, notamment en n’ouvrant le statut juridique le plus
favorable, qui prévoient des avantages en termes fiscaux et en terme de financement public,
qu’à celles d’entre elles qui sont socialement acceptées et dont la présence est suffisamment
révélatrice
. La Convention européenne des droits de l’homme ne semble pas faire obstacle à
un système différencié. Du moment qu’est assuré à tous les cultes un minimum de liberté, la
Cour de Strasbourg considère qu’il faut laisser une marge d’appréciation aux Etats « pour ce
qui est de l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les religions »
Le système français prévoit un traitement différencié des religions. L’arrêt
Vajra
Triomphant
du Conseil d’Etat du 27 avril 2004 est à cet égard révélateur. Parce que
l’association en question est susceptible de porter atteinte à l’ordre public, compte tenu des
liens qu’elle a avec des personnes ayant fait l’objet de condamnations pénales, il est possible
de lui refuser le bénéfice du statut d’association cultuelle, ce qui entraine de très lourdes
conséquences fiscales. Un tel système revient donc à opérer une distinction entre les cultes,
seuls certains se voyant permettre l’accès au statut d’association cultuelle
Cette possibilité de traiter différemment les confessions religieuses permet à l’Etat de
coopérer avec celles de confessions socialement intégrées à la société et de les financer.
A. Le principe de coopération
La coopération entre l’Etat et les confessions religieuses est le modèle largement dominant
dans les Etats européens, où elle se concrétise souvent par l’adoption de conventions entre
l’Etat et les religions, conventions qui ont généralement un caractère de conventions
internationales lorsqu’elles sont signées avec le Saint-Siège, et de conventions de droit public
12
66
C
ONSEIL D
’E
TAT
,
Rapport public 2004, Op. cit.
, p. 277-278.
67
CE avis 27 novembre 1989,
préc
.
68
Voir Francis M
ESSNER
(sous la direction de),
Etat et Religion en Europe, les systèmes de reconnaissance
,
RDC 2004, 314 pages.
69
CEDH 27 juin 2000,
Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France,
REDH, 2001, p. 185
.
70
CE 28 avril 2004,
Association du Vajra Triomphant,
JCPA 2004, n°1402, note Emmanuel T
AWIL
.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
interne dans les autre cas
. C’est le cas notamment en Italie
, en Espagne
, au Portugal
,
en Allemagne
, au Luxembourg
, en Pologne
etc. Ce principe de coopération est
également repris par l’article I-51 du projet de Constitution pour l’Europe qui prévoit que
« reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue
ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations ».
Il est généralement affirmé que le droit des cultes en France est exclusivement d’origine
étatique : l’Etat exercerait son pouvoir normatif dans le domaine des cultes, par voie de loi ou
de règlements, sans être soumis à une exigence de coopération avec les cultes. Cette
impression est renforcée par le fait que les textes constitutionnels français ne prévoient aucune
exigence de coopération avec les cultes, contrairement aux Constitutions allemande,
espagnole ou italienne.
En France, le poids de l’Etat est incontestablement plus fort, mais il serait erroné de croire
que l’unilatéralisme étatique est absolu
. Il y a toujours eu une certaine consultation et une
volonté de coordination entre l’Etat et les cultes. Par exemple, si la loi de 1905 a été adoptée
sans concertation avec Rome, il y a eu néanmoins des contacts avec des personnalités
importantes au sein des cultes reconnus, qui ont influencé la rédaction de l’article 4. Par
ailleurs, ces dernières années, la coopération avec les cultes a eu tendance à devenir plus
institutionnalisée, comme le manifeste la décision prise le 12 février 2001 d’organiser des
réunions régulières entre le Premier Ministre, les ministres concernés et les représentants de
l’Eglise catholique. L’engagement de l’Etat dans la constitution du Conseil français du culte
13
71
Francesco M
ARGIOTTA
-B
ROGLIO
, « Il sistema giuridico dell’Unione europea », in Francesco M
ARGIOTTA
-
B
ROGLIO
, Cesare M
IRABELLI
et Francesco O
NIDA
,
Religioni e sistemi giuridici, Introduzione al diritto
ecclesiastico comparato
, Bologna, Il Mulino, 1997, en particulier p. 204-218
72
En langue française, voir Emmanuel T
AWIL
, « Les relations conventionnelles entre l’Etat et les religions en
Italie », Cahiers de la recherche sur les Droits fondamentaux, n°4/2005, p. 139-156.
73
José M
ARIA
G
ONZALEZ DEL
V
ALLE
, « Constitutional status of religious confessions in Spain
», in
Le statut
constitutionnel des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of churches in the
european countries
,
Op. cit.
, p. 110-118.
74
José D
E
S
OUSA
E.
B
RITTO
, « Le régime constitutionnel des cultes au Portugal », in
Le statut constitutionnel
des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of churches in the european countries
,
Op. cit.
, p. 228-231
75
Francis M
ESSNER
, « Le droit conventionnel entre les églises et les Etats en RFA »,
Praxis Juridique et
Religion
, 1989, p. 61-91.
76
Alexis P
AULY
, « Eglises et Etat au Grand-duché de Luxembourg en 1997 », REREE 1998, p. 93-98 et
« Eglises et Etat au Grand-duché de Luxembourg en 1998 », REREE 1998, p. 145-147.
77
Hanna S
UCHOCKA
, « A propos du Concordat de 1993 avec la Pologne »,
Le supplément
, n°199, 1996, p. 11-
31.
78
Emmanuel T
AWIL
, « Les modalités de formation de la législation des cultes », in
Droit des cultes, Op. cit.
,
p. 89-98.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
musulman est également fondé sur la volonté de trouver un interlocuteur en vue d’une
coopération un peu plus suivie.
C’est avec l’Eglise catholique que la coopération est la plus institutionnalisée, notamment
parce que la France a rétabli ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège en 1920, qu’elle
reconnaît sa personnalité juridique internationale et la capacité de celui-ci de conclure des
conventions internationales. De nombreuses conventions, dont la plupart concernent
directement les catholiques français, ont été conclues. Ces conventions s’imposent à l’Eglise
catholique en France, bien que l’Etat français ne reconnaisse pas la personnalité juridique en
droit interne à l’Eglise universelle ou aux églises locales. Seule l’Eglise catholique bénéficie
de telles conventions, faute pour les autres cultes d’être placés sous l’autorité d’une institution
à laquelle la personnalité internationale est reconnue.
C. Le Financement public
Il n’existe pas d’approche uniforme de la question du financement public en Europe
.
Quelques Etats n’en prévoient aucun. Par exemple, aux Pays-Bas, il n’y a rien de tel
. Mais
les travaux de Francis Messner ont montré que le modèle dominant est l’existence d’un
financement public direct ou indirect des religions les plus intégrées à la société
La France adhère à ce modèle dominant. En effet, le principe de l’interdiction des
subventions aux cultes ne découle pas du principe constitutionnel de laïcité et.n’a pas une
valeur constitutionnelle
. Certains régimes locaux prévoient la possibilité de financement. En
Alsace-Moselle, les ministres des cultes reconnus sont rémunérés par l’Etat et en Guyane, où
est toujours applicable l’ordonnance royale du 27 août 1828, les ministres du culte sont
rétribués par le budget départemental.
On pourrait penser que le principe de l’article 2 alinéa 1
er
de la loi du 9 décembre 1905, qui
interdit toute subvention au culte, éloigne le régime de séparation du modèle dominant en
14
79
Francis M
ESSNER
, « in
Traité de droit français des religions
(sous la direction de Francis M
ESSNER
,
Pierre-
Henri P
RELOT
et Jean-Marie W
OEHRLING
)
,
Op. cit.
, p. 61.
80
Sophie C. V
AN
B
IJSTERVELD
, « The constitutional status of religions in the Kingdom of the Netherlands », in
Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l’Union européenne, The constitutional status of Churches
in the European countries, Op. cit
, p. 203-216.
81
Entre autres travaux : Francis M
ESSNER
,
Le financement des églises : Le système des cultes reconnus (1801-
1983)
, Strasbourg, Cerdic-publications, coll. «
Recherches institutionnelles
», 1984, 259 pages et
Le
Financement des églises en Allemagne
, Strasbourg, fasc. cours I.D.C., 1994, 40 pages.
82
CE 16 mars 2005,
Ministre de l’Outre-mer
,
préc.
Confirmant CAA Paris 31 décembre 2004,
Territoire de la
Polynésie française
, JCPA n°1404, note Emmanuel T
AWIL
.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
Europe. Il n’en est rien car, en réalité, les possibilités de financement public sont
nombreuses
. Par exemple, sont autorisés l’organisation et le financement d’aumôneries des
services publics
. De même, la plupart des édifices du culte en France appartiennent au
domaine public des collectivités publiques, ce qui implique un financement public de ceux-
ci
.
III. La différenciation territoriale du droit des relations Etat-Religions
Il est un trait du droit français des cultes qui n’est pas universellement partagé en Europe :
la différenciation territoriale. En France, il y a six régimes des cultes très différents les uns des
autres.
A. L’absence d’unité du droit des relations Etat-Religions en France
La diversité territoriale en matière de législation des cultes est très marquée. Le régime
général est, bien sûr, celui issu de la loi de séparation du 9 décembre 1905, qui est applicable
sur le territoire métropolitain, à l’exception de l’Alsace et de la Moselle. Mais il existe cinq
autres régimes des cultes, dont quatre dans l’Outre-mer.
En Alsace-Moselle, le régime des cultes applicables est basé sur le droit français du début
du 19
ème
siècle : loi de germinal an X pour les cultes catholiques et protestants ; décret de
1808 pour le culte israélite. Ce système repose sur la distinction entre les cultes reconnus (le
culte catholique, les deux cultes protestants et le culte israélite) et les cultes non reconnus. Ces
quatre cultes reconnus sont organisés, dans un cadre de droit public, en service public du
culte. L’Etat participe à la désignation de leurs ministres du culte et à la détermination de
leurs circonscriptions religieuses, tandis que le temporel du culte est géré par les
établissements publics du culte. L’essentiel du financement des cultes reconnus provient de
l’Etat, dans la mesure où celui-ci prend en charge le traitement des ministres du culte des
quatre cultes reconnus.
Ce régime s’explique par des circonstances historiques. Après l’annexion en 1871 par
l’Empire allemand du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, et jusqu’en 1918, le droit
15
83
Emmanuel T
AWIL
, « L’étendue de l’interdiction de financement public », in
Droit des cultes, Op. cit.
, p. 441-
446 .
84
Emmanuel T
AWIL
,
« Une spécificité : les aumôniers des services publics », in
Droit des cultes, Op. cit.
,
p. 335-350.
85
Emmanuel T
AWIL
, « Les édifices du culte appartenant au domaine public », in
Droit des cultes, Op.
cit.
, p. 225-245.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
français des cultes fut un droit provincial allemand. Globalement, la législation religieuse
(culte, congrégation, enseignement religieux) demeura en l’état, même si quelques
modifications de ces lois françaises devenues lois allemandes eurent lieu. Par exemple, une
loi locale du 15 novembre 1909 a modifié partiellement le statut des ministres du culte,
revalorisant notablement les traitements. Le droit de l’enseignement religieux a été aussi
partiellement modifié, et fut créée une faculté de Théologie catholique dans l’Université
d’Etat de Strasbourg en 1902. Avec la victoire de 1918, le Gouvernement français et le Saint-
Siège ayant décidé du maintien en vigueur du Concordat pour l’Alsace et la Moselle, l’article
7 de la loi du 1
er
juin 1924 vint prévoir en son article 7 que « continuent à être appliquées,
telles qu’elles sont encore en vigueur dans les trois départements, à la date fixée à l’article 1
er
,
même en tant qu’elles contiennent des règles de droit civil, les lois locales suivantes : […] 13°
La législation locale sur les cultes et les congrégations religieuses ». Ces textes ont fait l’objet
de quelques modifications, qui n’ont concerné pour le moment que des détails.
En Outre-mer, la situation est plus complexe
. L’article 43 alinéa 2 de la loi du 9
décembre 1905 prévoyait que « des règlements d’administration publique détermineront les
conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies ». Sur ce
fondement, un décret du 6 février 1911 a soumis au régime de la loi de 1905 la Guadeloupe,
la Martinique et la Réunion. Puis un décret du 11 mars 1913 a étendu l’application de la loi de
1905 à Madagascar, tout en réservant explicitement le cas de Mayotte et des Comores pour
lesquels le texte prévoyait qu’il soit « statué ultérieurement ». Pour le reste de l’Outre-Mer, le
vide juridique a été partiellement comblé par les décrets Mandel de 1939. Le premier décret,
daté du 16 janvier 1939, prévoit la constitution de missions religieuses. En vertu de l’article 2
du décret, le choix du président et des membres des conseils d’administration des missions est
soumis à agrément du représentant de l’Etat. Le second décret Mandel, du 6 décembre 1939, a
précisé que lorsque, pour le culte catholique, il s’agit « du chef même de la circonscription
missionnaire », il suffit que sa nomination comme président soit notifiée au chef de la
Colonie. Les régimes des cultes en France d’Outre-Mer sont donc variés. Outre la
Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, qui sont soumises à la loi de 1905, il existe quatre
configurations :
16
86
Emmanuel T
AWIL
,
note sous CAA Paris 31 décembre 2004,
Territoire de la Polynésie française
, JCPA 2004,
n°1404 ; I
D
, « Les modalités de formation de la législation des cultes », in
Droit des cultes, Op. cit.
, p. 98-100.
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
1) En Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les
Terres australes et antarctiques françaises, les deux décrets Mandel sont applicables.
2) A Mayotte, le culte musulman, majoritaire, est toujours lié à l’Etat, notamment par ce
qui reste de droit musulman (justice cadiale et statut personnel), tandis que les autres religions
sont régies par le premier décret Mandel, le second n’ayant jamais été introduit.
3) En Guyane, pour le culte catholique, est toujours applicable l’ordonnance royale du 27
août 1828. Ce texte organise un régime de reconnaissance du seul culte catholique, dont les
ministres du culte sont nommés, mutés et révoqués par l’évêque après agrément préfectoral et
sont rétribués par le budget départemental.
4) En Polynésie française, les Eglises protestantes sont, en principe, régies par un décret du
5 juillet 1927, tandis que les autres cultes relèvent des deux décrets Mandel.
B. Les différences territoriales dans les autres Etats européens
La différenciation territoriale existe dans plusieurs pays d’Europe. Mais il ne s’agit pas
d’un trait général.
Il n’y a guère que le Royaume-Uni dans lequel les différences de droit applicable soient
aussi importantes qu’en France : Ecosse, Angleterre, Pays de Galles et Irlande du Nord
connaissent des régimes très différents. En Angleterre (hors Pays de Galles) et en Ecosse, il
existe un régime d’Eglise établie, c’est-à-dire organisée par la Reine en son Parlement,
lesquels sont, selon la tradition britannique, garants de la Foi : l’Eglise d’Angleterre est Eglise
établie en angleterre et l’Eglise d’Ecosse en Ecosse. Au Pays de Galles, l’Eglise d’Angleterre
a été désétablie. En Irlande du Nord, il n’y a jamais eu d’Eglise établie
. Les différences
entre les régimes sont donc profondes.
Dans les autres Etats, quand il existe des différences juridiques en fonction du territoire,
ces différences sont sans grande importance. Par exemple, en Italie, il n’y a qu’à Rome que le
29 juin (fête des Apôtres Pierre et Paul) soit férié (Convention avec le Saint Siège du 18
février 1985). De même, en Allemagne, bien que le traitement juridique des religions relève
en principe de la compétence des Länder, cette compétence doit s’exercer dans le respect de la
17
87
Voir : Norman D
OE
,
The Legal Framework of the Church of England
, Oxford, Clarendon Press, 1996,
LXXIV-543 pages ; Francis L
YALL
,
Of Presbyters and Kings, Church and State in the Law of Scotland
,
Aberdeen, Aberdeen University Press, 1980, 208 pages ; Francis L
YALL
and David M
AC
C
LEAN
, « The
Constitutional Status of Churches in Great-Britain », in
Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de
l’Union européenne, The constitutional status of Churches in the European countries
,
Op. cit.
, p. 139-152).
VERSION PROVISOIRE – NE PAS CITER
Constitution fédérale, laquelle détaille les règles fondamentales, y compris en matière de
financement. Cela contribue à rendre le droit applicable relativement uniforme
.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, la laïcité française implique la liberté religieuse des fidèles. Elle
assure l’autonomie des cultes et permet la coopération de l’Etat avec les cultes, ainsi que leur
financement public, et elle autorise un traitement différencié des confessions religieuses.
Enfin, elle se décline en une multitude de régimes locaux spécifiques et très différents.
Liberté de croyance, autonomie des cultes, possibilité de coopération de l’Etat avec les
cultes, possibilité de financement public et de différence de traitement entre les cultes : ces
cinq traits caractérisent donc le français et les systèmes des Etats qui nous entourent. Ils
semblent la marque de l’existence d’un modèle européen des relations Etat-Religions, modèle
qui s’opposerait à un modèle américain fondé sur la liberté des personnes, l’autonomie des
confessions religieuses, l’absence de financement public et l’absence de différence de
traitements entre les confessions religieuses
.
18
88
Voir Thierry R
AMBAUD
,
Le principe de séparation des cultes et de l’Etat en droit comparé
, Paris, LGDJ, coll.
« Bibliothèque de droit constitutionnel et de science politique », 2004, XII-464 pages.
89
Sur les Etats-Unis, voir :
Le Façonnage juridique du marché des religions aux Etats-Unis,
sous la direction
de Laurent M
AYALI
, Paris, Mille et une nuits, 2002, 176 pages ; Blandine C
HELINI
-P
ONT
et Jeremy G
UNN
,
Dieu
en France et aux Etats-Unis
, Paris, Berg, 2005, 92 pages ; Blandine C
HELINI
-P
ONT
, « Singularité juridique de
l’Europe en matière religieuse », in
Europe et Mondialisation
, colloque Aix-Tübingen, novembre 2004, Aix-en-
Provence, PUAM, 2006, à paraître ; I
D
., « Laïcités française et américaine en miroir »,
Cahiers de la Recherche
sur les Droits Fondamentaux
, 4/2005, p. 107-118.