(Payot, Paris, 1975. Les numéros de pages se réfèrent à l'édition Payot & Rivages, 1999)
A la source de ce qui s'offre aujourd'hui, plantureusement, sous le nom d'éducation sexuelle, il y a une forte et vivace revendication de libération sexuelle ; et à nommer, nourrir, stimuler, donner formes, voix et figures à ce besoin de libération — Reich. Mais de ce dernier à la prétention moderniste d'enseigner le sexe, quelle distance!
Les coups portés par Reich et quelques autres contre la répression sexuelle assidûment et férocement exercée
dans une société d'exploitation économique et d'aliénation socio-culturelle sont parvenus, s'ajoutant à d'autres
facteurs, à lézarder les barrages monolithiques des idéologies répressives et à ouvrir ici et là quelques brèches.
Les chairs sexueuses étalées sur des hectares d'affiches et de photos dans les petites et grandes villes
contemporaines témoignent, pour paraphraser un titre de Reich, de l'irruption d'une « dé-morale » sexuelle, dont
l'effet le plus sûr est de rentabiliser, de commercialiser, de prendre au piège d'un circuit économique
clôturant, un désir de libération contraint de s'exercer comme voyeurisme honteux. Parallèle, et complémentaire,
sur un autre registre, nous apparaît le mécanisme producteur des projets d'éducation sexuelle, qui cherchent
à orienter, canaliser et « gratifier » la curiosité sexuelle fondamentale, fer de lance du désir, en la
« distribuant » dans un réseau serré de matériaux informatifs et de leurres — contrefaçon, grossière ou habile,
de la plate-forme reichienne de révolution sexuelle.
Largement déployé, l'éventail politique et idéologique des propositions d'enseignement sexuel répond maintenant
aux demandes les plus variées des consommateurs du croustillant savoir. Tel ouvrage, recommandé par des corps
enseignants, « fait » sur le mode scientifique, le plus apte à ce jour à clore les becs trop pointés : ce sont
schémas, statistiques, graphiques, impersonnalité des silhouettes raidies et style impersonnel et catégorique ;
mais percent toujours, stridents, les gros aveux d'une idéologie réactionnaire — lorsque par exemple l'avortement,
qualifié « criminel », est surtout déploré pour représenter « pour l'État une très grosse dépense et une perte
d'environ trois millions de journées de travail ».
Le mode floral et animalier, appuyé sur les chastes sciences naturelles, jouit des faveurs d'un public
à l'âme rustique et horticole, à la sexualité jardinière : débauche d'étamines et de pistils et de papillons,
fleurs volantes, pour qu'enfin « le papa dépose avec son sexe la graine dans le sexe de la maman » — et
« c'est un merveilleux acte d'amour ». « Première responsabilité » reconnue aux adolescents : celle de se garder
vierges — « la chasteté n'a jamais été un obstacle au futur bonheur physique d'un couple ». Et qui l'eût cru,
depuis l'époque où Reich dénonçait dans La lutte sexuelle des jeunes les rationalisations médicales et hygiéniques
de la répression sexuelle : derrière ces floralies aux tons pastels, rôde toujours la Bête immonde (tréponème
un peu vieilli, ou fringant gonocoque ?) : « Maladies Vénériennes » guettent le sexe qui se laisse aller à des
unions inconsidérées — animal incapable de résister à l'appel de la nature...
Sur le mode libéral friand de sciences humaines, relevé même de quelques freudiennes épices, des ouvrages
encyclopédiques joliment fabriqués offriront les jeux intelligents de la concertation sexuelle parents-enfants
et les savoureuses figurations du plaisir enfin admis à part entière. Admis intégré : dans une hiérarchie
sexuelle culminant dans l'hétérosexualité reproductrice, dans un couple harmonieux comme une composition de
magazine, dans une famille heureuse, dans une société bonne ; la puissance-désir, tout doux, tout doux, est
apprivoisée, et la sexualité, innommable dramaturgie universelle s'épelle, se dédramatise en gentils accouplements
normalisés.
Les proliférants discours de l'éducation sexuelle se répartissent aisément sur les deux pôles distingués par
Reich : le mystique et le mécaniste. Mécanistes, les discours bourrés de « scientificité », monopolisés par
les « spécialistes » rarement peu pédants proposant, avec gants, pincettes et asepsie garantie, ce qui n'est bien
souvent qu'infantiles robinetteries sexuelles. Mystiques, les discours du lyrisme versificateur, des imageries
romanesques, des candeurs nuptiales, forçant vers le haut, vers le cœur, vers l'âme, vers le vague-à-l'âme une
sexualité enfoncée piétinée dans sa bassesse essentielle ; c'est la main sur le « cœur » que l'on parle, par
contrainte, du sexe.
Quelques-uns, plus agiles, tentent une combinaison cœur sur sexe, habillant d'atours sexy le vertigo sentimental.
Mystiques et mécanistes, dans leurs variantes autoritaire ou libérale ou même
gauchiste, se partagent solidairement le terrain éducatif. Quiconque tente une
percée dans une direction non-conforme, allant voir par exemple du côté de Reich,
est immédiatement sanctionné. L'école, moins que toute autre institution, ne
peut être un lieu sexuellement neutre — sa fonction étant précisément d'accomplir
une profonde désexualisation amorcée, mais de manière parfois ambiguë,
dans le milieu familial. De la maternelle au lycée et même l'université, l'absence
d'éducation sexuelle est une forme sournoise et forte d'éducation à l'absence
de la sexualité, une façon active de vivre la sexualité comme absence, comme
un ailleurs inaccessible et innommé, comme la chose autre figée dans une permanente
altérité. « Le sexe entre à l'école », titrait un livre récent : il y est toujours
entré, il n'en est jamais sorti, ancré en creux, vécu à perte, semi-définitive
latence.
Qu'une présence aujourd'hui s'y esquisse, elle a beau être illusoire et leurre,
jeu joué d'avance de réponses et questions concoctées par d'adultes maturités,
elle n'en exprime pas moins, faible écho, la pression efficace d'une exigence
vitale. Tout donne certes à penser qu'une éducation sexuelle scolaire sera à
la sexualité ce qu'une instruction civique officiellement programmée fut à la
réalité historique et concrète de la lutte des classes et des épouvantables
violences institutionnelles et politiques. Mais peut-être vaut-il la peine d'accélérer
le mouvement, de le pousser à fond pour que s'exposent les inévitables barrages
politiques et idéologiques, pour que se débusquent les terreurs avouées ou secrètes
de la sexualité — en faisant prévaloir sur la mécanique des réponses stéréotypées
la dynamique subversive d'un questionnement insatiable ; sur les échappatoires
et détournements du verbalisme savant ou séducteur les problèmes précis et toujours
affleurants d'une pratique sexuelle libre et autorégulée des enfants et des
adolescents — bref, sur une éducation sexuelle tranchée, unilatérale, parcellaire
et clôturante, les ruptures hardies et articulations saisissantes, les éclats
et ouvertures, les intensités et débordements rationnellement réglés de l'économie
sexuelle de Reich — vivace ressourcement.
Reich, La lutte sexuelle des jeunes, Maspero, 1972. Manuel d'éducation sexuelle, S. U. D. E. L., 1972. M.-C. Mondiaux, La vérité sur les bébés, La vérité sur l'amour, Magnard, 1970-1971. H. Portnoy et J.-P. Bigeault, Le sexe entre à l'école, Magnard, 1973. Cohen, Kahn-Nathan, Masse, Tordjman et Verdoux, Encyclopédie de la vie sexuelle, 5 vol., Hachette, 1973. Tony Duvert, Le bon sexe illustré, Minuit, 1974. Dominique Wolton, Le nouvel ordre sexuel, Seuil, 1974.
« Je peux vous affirmer qu'après vingt-cinq années d'une pratique
psychiatrique large et intensive, c'est vraiment comme un tout jeune débutant en
psychiatrie que je découvre pour la première fois la véritable nature du
nouveau-né. Comment ne pas être à la fois confondu et effrayé de constater à
quel point notre psychiatrie fanfaronne ignore les toutes premières choses de la vie humaine... En vérité, je n'aurais jamais pensé qu'on savait si peu de chose sur les nouveau-nés... Il m'a fallu plusieurs semaines pour comprendre ce que le
bébé voulait quand il se mettait à pleurer. »
Par ces quelques lignes adressées à son ami A. S. Neill, et extraites de la
lettre qu'il lui écrit quelque temps après la naissance, en 1942, de son troisième
enfant, Peter, mis au monde par Ilse, Reich n'exprime pas seulement sa légitime
stupéfaction devant une des carences les plus massives et les plus significatives
de la science, de la médecine et de la psychologie contemporaines — il révèle
un intérêt très vif pour le nouveau-né, qui va aller croissant et occuper une
place centrale dans ses préoccupations.
Rien de plus rationnel, et de plus nécessaire, que celle position fondamentale attribuée au nouveau-né dans le système de l'économie sexuelle. C'est que la société n'attend pas pour mettre le grappin sur le protoplasme vivant
et entreprendre son intense travail de modelage ; déjà la femme enceinte est préparée et conditionnée à accoucher, à percevoir et à traiter l'enfant selon des modèles culturels bien
précis
; d'une extrême rigueur ; le travail d'accouchement s'effectue
ans des conditions psychologiques et médicales bien déterminées ; et dès les premières secondes de son existence, le
nouveau-né est entre les mains des prestigieux et despotiques représentants du corps social. Si l'on veut donc contrer
ou au moins atténuer les effets néfastes d'une culture morbide
meurtrière, si l'on veut préparer les conditions de l'indispensable restructuration caractérielle de l'être humain, c'est
dès la naissance — et dans les mois qui la précèdent — que l'économie sexuelle doit entrer en action, pour empêcher le
gâchis des interventions répressives, pour permettre à la
nature biologique du nouveau-né, à ses rythmes vitaux, à ses
actions émotionnelles, organiques, sexuelles, de s'exercer
pleinement et librement.
Après de longues et studieuses consultations, entreprises 1940, avec des médecins, pédiatres, éducateurs, puéricultrices et travailleurs sociaux passionnés des problèmes de petite enfance, Reich fonde en 1949 l'Orgonomic Infant
Research Center (Centre ergonomique de recherches sur la petite enfance), dont l'ambitieux programme, au départ, ne
vise à rien moins qu'à couvrir la totalité de la réalité enfantine au sens large, depuis la période pré-natale jusqu'à l'adolescence. Le Centre se fixait notamment comme tâches : la prise
en charge des femmes enceintes, placées dans les meilleures conditions d'autonomie, de liberté et de conscience, et instruites tout particulièrement des relations émotionnelles
profondes entre la femme et le fœtus ; un usage de l'accumulateur d'orgone était prévu ; la surveillance de l'accouchement,
de la naissance et des premiers moments de l'existence infantile ; ici aussi venaient au premier plan les aspects émotionnels et leur intrication avec les tâches physiques ; une attention
très spécifique était accordée aux manipulations diverses du nouveau-né, aux multiples et parfois insaisissables interventions effectuées sur le bébé, l'objectif primordial étant d'éviter
dans toute la mesure du possible la formation de rigidités caractérielles, l'apparition d'une cuirasse émotionnelle dans
les premiers mois et les premières années de la vie ; la pression sociale s'exerçant de façon constante et constamment
menaçante, l'enfant devait être suivi par le Centre jusqu'à l'adolescence. En raison des attaques de plus en plus violentes
lancées contre Reich à partir de 1950, seule une action auprès des femmes enceintes put être entreprise, notamment par les Drs. Chester Raphaël et Michael Silvert.
D'emblée la violence sociale et institutionnelle s'exerce sur le nouveau-né, elle brise et meurtrit sa nature biologique pour en faire un sujet social conforme ; elle s'empare de lui dès son premier souffle — le forçant même à crier — pour ne plus le lâcher. Pour exprimer cette agression fondamentale, montrer le geste destructeur frappant à la source même de la vie, il ne fallait rien moins que la grande figure mythique du
Meurtre du Christ mise en scène par Reich, il fallait qu'on en vienne à lire dans toute manipulation répressive du nouveau-né « un des aspects du meurtre permanent du Christ ».
Pourrait-on, dès maintenant, envisager une naissance sans violence ? C'est l'opération entreprise par les collaborateurs directs de Reich au Centre
orgonomique de recherches sur la petite enfance — et c'est surtout, pour nous, le projet, typiquement reichien sans le vouloir, de Frederick Leboyer, exposé dans son livre
Pour une naissance sans violence. Riche d'une longue expérience de la naissance — quelque dix mille accouchements assistés — Leboyer décrit en termes saisissants ce qu'est une naissance dans la violence institutionnelle, entre les mains d'un pouvoir médical omnipotent — « ce supplice, ce calvaire, ce massacre d'un innocent », « cette abominable odyssée », il nous demande de voir ou d'entendre « ce masque d'angoisse, d'horreur », « ce hurlement d'agonie »...
La « naissance sans violence » qu'il propose a la lumineuse simplicité d'une pensée reichienne — elle ne réclame rien d'autre qu'un strict
respect de la personne totale de l'enfant : de ses sens, qu'il faut éviter de heurter, de brutaliser, d'agresser par des bruits, des lumières, des attouchements violents ; de sa
peau, qu'il convient de caresser, de masser tendrement, de son dos qu'il faut soutenir, de son
équilibre et de son bien-être qu'il faut restaurer par des bains légers et pacifiants, de sa
respiration, force vitale qu'il faut ménager... Et entre la mère et le nouveau-né doit être préservé, à l'abri des interventions et des contraintes extérieures quelles qu'elles soient,
ce que Reich nommerait la libre circulation des flux orgonotiques complémentaires.
« Nous avons vu à l'Orgonomic Infant Research Center, écrit Reich dans Le meurtre du Christ, de ces traits « divins » dans de jeunes enfants, traits qui ont été considérés jusqu'ici comme l'objectif idéalisé et inaccessible de toute religion et de toute morale. » Ces traits « divins », Leboyer les montre,
photographiés, éblouissants d'évidence, visages de nouveau-né où affleure le sourire de Bouddha. Et, reichiennement christique, Leboyer évoque « cette grâce surabondante » qui « rayonne en silence », « qui auréole chaque enfant qui arrive parmi nous. »
Rien n'est plus redoutable que d'inciter les « gens raides » à bouger et se pencher, pour voir ce qui est là et qui crève les yeux. La cuirasse, la mécanique, aussitôt grince — et surgit toujours quelque mégère à la Brady qui appelle au lynchage, qui hurle à la mort, qui réclame le bûcher. Boycotté et interdit par l'institution médicale, Leboyer se voit interpellé par une journaliste vulgairement oublieuse de l'histoire récente et qui Ordonne : « Faites un autodafé de vos livres. Et l'on vous oubliera vite, Monsieur Leboyer. »
Parvenir à extirper radicalement de la naissance la violence institutionnelle serait un acte d'économie sexuelle à la portée considérable. Mais il ne pourrait demeurer isolé ; comme tout acte essentiel, il faut qu'il soit
suivi, prolongé, consolidé. Une formation infantile et une éducation selon les principes de l'économie sexuelle est une longue patience, une voie jalonnée des pires embûches — mais éclairée aussi de quelques expériences admirables, simplement citées ici.
Reich présente dans La révolution sexuelle le jardin d'enfants fondé à Moscou en 1921 par la psychanalyste Véra Schmidt. « Son travail, dit-il, était entièrement orienté dans le sens d'une affirmation de la sexualité infantile. » Étaient écartés : punitions, blâmes ou louanges, démonstrations affectives exagérées, principes autoritaires, jugements de valeur éthiques ou autres, etc. Liberté et autonomie étaient laissées au développement des fonctions organiques : excrétion, activités
motrices, masturbation, curiosité sexuelle. Les éducateurs répondaient, dans toute la mesure de leurs connaissances, aux questions des enfants ; ordres, refus irrationnels, secrets, étaient également évités. Environnement et matériel étaient adaptés aux besoins des enfants. Ces méthodes exigeaient des éducateurs un intense et perpétuel retour sur eux-mêmes.
L'expérience de Véra Schmidt ne pouvait manquer de susciter l'hostilité des éducateurs et psychologues réactionnaires et des bureaucrates ; après des rumeurs faisant état, comme d'habitude, de louches pratiques sexuelles, après diverses enquêtes, le soutien officiel, accordé par l'Institut de neuro-psychologie, fut retiré. Le
home put survivre grâce à l'appui donné in extremis par les syndicats de mineurs allemands et russes ; puis les pressions officielles et la stalinisation croissante le contraignirent à fermer ses portes. Mais le jardin d'enfants de Véra Schmidt est demeuré un exemple prestigieux, reconnu en ces termes par Reich :
« Le travail de Véra Schmidt était la première tentative dans l'histoire de la pédagogie pour donner un contenu pratique à la théorie de la sexualité infantile. A ce titre, elle revêt une importance historique, comparable, quoique sur une tout autre échelle, à la Commune de Paris. »
Prestigieuse expérience, aussi, que celle d'A. S. Neill et de l'École, aujourd'hui célèbre dans le monde entier, qu'il fonda à Summerhill, sur des bases très proches des principes reichiens de la démocratie du travail et de l'économie sexuelle. Depuis l'année 1935 où Neill, séduit par les thèses de Reich et ébloui entre autres par les analyses de
La psychologie de masse du fascisme, lui rendit visite à Oslo pour s'initier à la végétothérapie, Reich entretint avec le grand pédagogue des relations amicales profondes et franches, qui ne l'empêchaient pas de percevoir les limites socio-politiques de l'expérience de Summerhill, « îlot gestionnaire » dans un monde hostile.
Divers collaborateurs de Reich se sont efforcés d'appliquer les théories reichiennes dans le domaine de la pédiatrie, de la pédagogie, de la psychiatrie infantile : Tage Philipson, psychanalyste danois, a proposé dans « Sex-economic Upbringing » des méthodes précises et concrètes pour élever le nouveau-né en respectant ses rythmes biologiques et son autonomie ;
Lucille Bellamy Dennison a tenté de renouveler aux États-Unis, dans un jardin d'enfants placé sous sa direction, l'expérience de Véra Schmidt
; Nic (Hoel) Waal, psychanalyste norvégienne, qui soutint Reich au moment de
l'affaire de Lucerne, a créé à Oslo un centre spécialisé dans le traitement
des enfants atteints de troubles mentaux, connu aujourd'hui
sous le nom d'Institut Nic Waal. Et des expériences et tentatives analogues n'ont cessé de se multiplier en divers pays,
attestant la vigoureuse influence et la vitalité de la pensée
reichienne.
Peu d'écrivains ont osé approcher vraiment cette si banale réalité abyssale de la naissance. Encore plus rares ceux qui
l'ont perçue dans la vaste et frémissante perspective reichienne.
Place donc à nouveau ici pour Romain Rolland, déjà porté
aux côtés de Reich pour ses développements sur le « sentiment
océanique » et l'énergie cosmique, et qui, dans son grand cycle
romanesque de L'Ame enchantée, inscrit un tableau quasi
orgastique de la naissance. Annette, l'héroïne, attend un bébé ;
elle se met à l'écoute de l'être vivant qui palpite et se développe
en elle, elle entretient un long dialogue émotionnel, un dialogue d'inquiétude et de jouissance, et sa jouissance rayonne
sur le monde : « elle jouissait des odeurs, des saveurs ; quand
on ne pouvait la voir, elle mangeait un peu de neige, sur le
chemin... Délicieux!... Elle suçait aussi des tiges de roseau,
humides et gelées : elle en avait, tout le long du gosier, un
frisson de gourmandise pâmée ; comme l'étoile de neige sur
la langue, elle fondait de volupté... » Un peu plus loin : « le
calme saint était en elle. Elle rêvait pour l'enfant d'une vie
enveloppée de douceur, de silence — et de ses bras d'amour. »
Le nouveau-né, déjà personne pleine et entière, est le
pôle d'un puissant échange énergétique : « Chose étrange que,
dans ce nouveau couple formé par la segmentation d'un être,
le grand s'appuie sur le petit, plus encore que le petit sur
le grand... Annette aux seins durcis, que suçait avidement le
petit animal, avidement versait dans le corps de son fils le
flot de lait et d'espérance dont sa poitrine était gonflée. » Le
petit est décrit à la manière de l'enfant plein de vitalité
rayonnante que dessine Reich dans Le meurtre du christ ; « Dans ses yeux de saphir — ces violettes foncées —,
Annette se mirait, tant ils étaient brillants. Que voyait-il, ce regard imprécis et sans bornes, comme le grand œil du ciel, dont on ne peut savoir s'il est vide ou profond ; mais dans la clarté bleue de son cercle, tient le monde. » Et sa voix : «
Annette s'en grisait. Cette petite voix de ruisseau lui faisait fondre le cœur. Même les cris suraigus où montait l'instrument lui perçaient le tympan d'une exquise volupté : « Crie bien
fort, mon chéri! Oui, affirme ta vie! »
Dans son testament, rédigé le 8 mars 1957, quelques mois avant sa mort, Reich
demandait que tous ses biens soient rassemblés dans un fonds « géré et administré
sous le nom du « Wilhelm Reich Infant Trust Fund » — Fondation Wilhelm
Reich pour l'Enfance, et que 80 % de tous les revenus et bénéfices sur les droits
provenant de ses découvertes soient « consacrés à la protection de l'enfance
partout dans le monde ».
Reich, La révolution sexuelle. Le meurtre du christ. Écoute,
petit homme (notamment, dessins de William Steig). Frederick Leboyer, Pour
une naissance sans violence, Seuil 1974. Bernard This, Naître,
Aubier Montaigne 1972. Journal ELLE, n° 1469, 1974. Use Ollendorff
Reich, op. cit. David Boadella, op. cit., ch. VIII, Free Growth.
Romain Rolland, L'Ame enchantée, t. I, Livre de poche 1963.
A. S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Maspero 1970. Jacob H. Schmid,
Le maître-camarade dans la pédagogie libertaire, Maspero 1973. Robert
Skidelsky, Le mouvement des écoles nouvelles anglaises. Maspero 1972.
K. Sadoun, V. Schmidt, E. Schultz, Les « boutiques d'enfants » de Berlin,
Maspero 1972. Jacques Fresco, Les bagnes d'enfants, dieu merci, ça n'existe
plus, Maspero 1974. Collectif, Pour ou contre Summerhill, Petite
bibliothèque Payot, n° 194. Véra Schmidt, Éducation non répressive,
in Partisans, n° 46, fév.-mars 1969, et Petite collection Maspero,
n° 145, 1975.
Cf., cités par Boadella, ces textes très précieux :
Paul et Jean Ritter, The Free Family, Gollancz, London 1959. Felicia
Saxe, « Armoured human being versus the healthy child », Annals of the Orgone
Institute, I, 1947. Nic Waal, « A spécial technique of psychotherapy with
an autistic child », Energy and Character, vol. I, n° 3, sept. 1970.
Chester Raphaël, « Orgone treatment during labour ». Orgone Energy Bulletin,
vol. 3, n° 2, 1951. Michael Silvert, « Orgonomic practice in obstetrics », Orgonomic
Medicine, vol. I, n° 1, 1955. Tage Philipson, « Sex-economic 'upbringing'
», International Journal of Sex-economy and Orgone Research, I, 1942.
Lucille B. Dennison, « The child and his struggle », Int. J. of Sex-ec.
and Org. Research, vol. 4, 1945. Elsworth Baker, « Genital Anxiety in nursing
mothers », Orgone Energy Bulletin, vol. 4, n° 1, 1952.
© Payot.
Lire aussi deux autres extraits : Démocratie du travail et Peste émotionnelle. Ainsi que la préface de la réédition : Qui a peur de Wilhelm Reich ?