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  DIRECTEURS

      

Albert LEGAULT

      Stéphane ROUSSEL

     

    

BULLETIN No 87

février 2008

Compagnies internationales de pétrole : 

Illusion de puissance ?

nergie essentielle au développement et à la croissance des économies industrielles contemporaines, le pétrole 

est une ressource stratégique fondamentale, mais toutefois épuisable à terme, et donc, non renouvelable. Le 19 

février 2008, pour la première fois de l'histoire, le baril de pétrole a dépassé à New York, le seuil symbolique 

des 100 dollars américains, ce qui représente un record absolu. La tension est forte sur l'offre de l'or noir qui 

ne semble plus suffire à la demande, d'autant plus que pour certains spécialistes, la perspective prochaine de 

voir se tarir les gisements de cette ressource stratégique, renforce encore plus la probabilité d'un pétrole 

moins abondant et durablement cher. Les propos de Didier Houssin de l'Agence internationale de l'énergie 

(AIE)  confirment  par  ailleurs  cette  vision  pessimiste.  Selon-lui,  les  stocks  de  pétrole  diminuent 

continuellement, pour ne plus représenter « que 51 jours de la demande future, le plus bas niveau depuis cinq 

ans ». Entre  1996 et 2006, l'augmentation des réserves de barils de pétrole représentait 159,2 milliards, alors 
qu'elle se situait à 171,6 milliards de barils la décennie précédente.

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 Forum sur

  la  sécurité 

  et la défense

La croissance de la demande énergétique dans le monde, qui est principalement due à l'essor économique fulgurant des 

économies en transition (principalement la Chine, dont l'augmentation de la consommation énergétique est de 8,4 % en 

2006), combinée à la saturation des capacités de production des pays producteurs, en plus de l'insuffisance des industries 

de raffinage dans les pays consommateurs, constituent différents facteurs qui, pris dans leur ensemble, expliquent en 

partie la tension sur l'offre des hydrocarbures qui prévaut actuellement. Pour d'autres, comme Daniel Yergin, président du 

Cambridge Energy Research Associates (CERA), la situation actuelle correspond à un « retour vers le futur », puisque les 

tensions géopolitiques sont « au centre des inquiétudes sur l'offre pétrolière » (Jean-Michel Bezat, 

Le Monde

, 4 janvier 

2008).

Il ne fait aucun doute que la forte fluctuation du marché des cours du pétrole peut être subséquente à des incertitudes à 

la fois géopolitiques, financières, techniques et environnementales, mais en ce qui nous concerne, c'est la lutte de plus en 

plus acerbe qui se joue entre les différents acteurs de la scène pétrolière pour un accès sûr aux derniers gisements de 

l'or noir, qui nous intéresse plus particulièrement. 

Les compagnies internationales de pétrole (International Oil Company - IOC), bien connues sous le nom de majors, sont 

des compagnies privées que l'on distingue généralement des compagnies nationales de pétrole (National Oil Company - 

NOC), dont le capital est détenu à plus de 50 % par leur État d'origine. Parmi les NOC, certaines sont la propriété 

intégrale de leur État d'origine, comme la Saudi Aramco (Arabie saoudite), PDVSA (Venezuela) ou Pemex (Mexique), alors 

que d'autres sont partiellement ouvertes aux capitaux privés, comme la compagnie Petrobras, dont seulement 32,2 % du 

capital est détenu par Brasilia, mais la majorité des droits de vote (55,7 %) est contrôlée par l'État brésilien. Quant à la 

société  Gazprom,  elle  est  détenue  à  51  %  par  l'État  russe.  Les  structures  et  les  stratégies  de  chaque  NOC  sont 

extrêmement diversifiées, et ce, principalement en fonction des intérêts des État qui les contrôlent (pour une analyse 

plus détaillée de la typologie des NOC, voir 

Oil and Gas Journal

, vol. 105, n

o

 12, 26 mars 2007).

Maîtresses de la production mondiale, les NOC le sont aussi des réserves de pétrole. Les compagnies nationales dont les 

pays d'origine sont membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), possèdent près des trois quart 

des principaux gisements de pétrole au monde, dont plus de 61 % proviennent du Moyen-Orient. Pour leur part, les 

grandes majors (Exxon Mobil, Royal Dutch Shell, BP, Total et Chevron Texaco), ne contrôlent qu'environ 3 % des réserves 

mondiales de barils équivalent pétrole (Ernst & Young Global Oil and Gas Center, 18 janvier 2008). La production de 

pétrole de l'OPEP équivaut en 2006, à 41,7 % de la production mondiale, alors que celle de l'OCDE qui regroupe les cinq 

majors, est de 23,3 % (

BP Statistical Review of World Energy 2007

).  

Le tableau de la page suivante démontre que, fait nouveau depuis des années, les IOC sont désormais majoritaires dans 

les 10 premières compagnies pétrolières mondiales en termes de production. Mais ce constat ne doit toutefois pas nous 

faire oublier que dans ce classement global des différentes sociétés pétrolières, au nombre des 25 premières, 14 sont 

intégralement ou quasi-intégralement détenues par leur État d'origine, tandis que 4 autres sont contrôlées par l'État, mais 

ouvertes aux capitaux privés.

Les IOC occupent toujours un rôle déterminant dans le secteur de l'énergie, mais elles ne peuvent cependant plus être 

considérées comme les seuls acteurs décisifs. Depuis quelques années, en comparaison avec les NOC, les grandes majors 

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2

ont un résultat net élevé (20 milliards $US de résultat net pour le 3e trimestre de 2007), elles font en plus des efforts importants en matière d'investissement 
et engrangent des bénéfices records. Mais, à l'inverse des NOC, elles sont limitées par les volontés de rentabilité financière imposées par leurs actionnaires, 
ont une position relativement modeste en termes de production et un faible niveau de réserves. Actuellement, la grande majorité des IOC pompe « chaque 
jour plus d'hydrocarbures qu'elles n'en acquièrent par leurs découvertes ou des rachats de gisements à d'autres compagnies (Jean-Pierre Séréni, 

Le Monde 

diplomatique

, mars 2007).  

Compagnie

1. Saudi Aramco
2. NIOC
3. Exxon Mobil
4. BP
5. PDVSA
6. Royal Dutch Shell
7. CNPC
8. ConocoPhillips
9. Chevron
10. Total
11. Pemex
12. Gazprom
13. Sonatrach
14. KPC
15. Petrobras
16. Adnoc
17. Lukoil
18. Petronas
19. ENI
20. NNPC
21. QP
22. INOC
23. Lybia NOC
24. Roseneft
25. Repsol YPF

Pays

Arabie Saoudite

Iran 

États-Unis 

Royaume-Uni

Venezuela

Royaume-Uni / Pays-Bas

Chine

États-Unis
États-Unis

France

Mexique

Russie

Algérie

Koweït

Brésil

Émirats Arabes Unis

Russie

Malaisie

Italie

Nigéria

Qatar

Irak

Lybie

Russie

Espagne

Parts de l'État (%)

100
100

100

100

100

50,002

100
100

32,2

100

100

30

100
100
100
100

75,16

100

Les 25 compagnies pétrolières les plus importantes au monde

Source 

« PIW's Top 50: How The Firms Stack Up », 2008, disponible en ligne à l'adresse suivante :

www.energyintel.com/documentdetail.asp?document_id=218175

Lors  de  la  dernière  réunion  extraordinaire  de 
l'OPEP,  tenue  le  1er  février  2008,  les  pays 
membres  de  l'organisation  ont  décidé  de 
maintenir les quotas de production (hors Irak) 
à leur niveau actuel (29,67 millions de barils de 
pétrole par jour - bpj) puisque, « rien n'indique, 
selon  le  ministre  saoudien  de  l'énergie, Ali  al-
Naïmi,  que  les  conditions  du  marché  aient 
changé,  que  l'économie  ait  besoin  de  plus  de 
pétrole » (Jean-Michel Bezat, 

op.cit.

). L'AIE croit 

cependant  qu'en  2008,  la  croissance  de  la 
demande  mondiale  de  pétrole  sera  de  2,1 
millions  bpj,  alors  que  pour  l'OPEP,  cette 
dernière sera de 1,3 million bpj. 

Dans  une  certaine  mesure,  ces  prévisions  se 
contredisent et laissent planer un doute sur le 
climat  futur  du  marché  pétrolier  :  les  États 
producteurs affirment que la demande ne sera 
pas  significativement  plus  importante  pour 
l'année  à  venir  et,  conséquemment,  ne  veulent 
pas produire plus, alors que l'AIE, représentant 
principalement  les  États  demandeurs,  croit 
plutôt le contraire. 

Grâce  à  la  propriété  d'immenses  réserves  de 
ressources  énergétiques  en  plus  de  l'élévation 
de  leur  puissance  financière  suite  à  la  hausse 
des  prix  du  pétrole  et  du  gaz  en  2003,  les 
NOC  ont  dorénavant  une  influence 
incontestée  dans  le  monde  énergétique. 
Beaucoup  de  pays  producteurs  de  pétrole 
répondent à la forte préoccupation des pays de 
la  communauté  internationale  pour  s'assurer 
une  sécurité  des  approvisionnements  en  se 
réappropriant leurs ressources énergétiques. Ils 
tendent  ainsi  à  se  réserver  l'amont  de  la 
production  avec  un  accès  unique  de  leurs 
NOC à l'exploration-production. 

Mais, si les compagnies nationales ont désormais une puissance absolue en termes de réserves énergétiques, quel est donc le rôle que peuvent jouer 
les IOC dans une stratégie de sécurité des approvisionnements ? Pour reprendre les propos de Jean-Michel Bezat, est-ce que ces anciens titans de 
l'industrie  énergétique  connaîtront  le  même  sort  que  celui  des  «  dinosaures  »,  il  y  a  65  millions  d'années?  Certains  voudraient  le  croire,  alors  que 
d'autres démontrent tout à fait le contraire. Qu'en est-il réellement ?

Les volontés d'intégration des pays sud-américains pourraient constituer un blocage important pour le développement futur des IOC dans la région. 
Les  différentes  rencontres  articulées  pour  le  développement  de  mécanismes  d'intégration  régionale  (Union  des  Nations  Sud-Américaines, 
Communauté andine ou Mercosur), notamment en ce qui a trait à la question de l'énergie, ne semblent cependant représenter jusqu'à présent que des 
forums politiques où aucun programme d'action concret n'est adopté (voir Eduardo Gudynas, Ircamérica, 6 août 2007). Les questions d'intégration sud-
américaines ne sont donc pas encore un facteur pouvant contribuer à amplifier le problème d'accès aux ressources en hydrocarbures auquel les IOC 
sont confrontées.

LA DIPLOMATIE ROSE SUD-AMÉRICAINE

La volonté des États de mieux asseoir leur contrôle tant sur les matières premières que sur l'énergie est largement due à l'augmentation massive du 
prix de l'or noir qui se répercute sur tous les niveaux de la production économique. Les États espèrent ainsi élargir leur assiette fiscale et profiter de la 
manne pétrolière pour mieux répartir la richesse intérieure, celle-ci débordant souvent sur des projets socio-économiques.

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3

En Amérique latine, le phénomène n'est pas nouveau. Des vagues de nationalisation successive ont souvent laissé les majors dans l'embarras lorsque 

leurs biens n'ont pas été carrément expropriés, souvent sans compensation. L'exemple bolivien remonte à 1937 lorsque le gouvernement de David 

Toro Ruilova s'en prit à la Standard Oil Corporation. Les investissements reprirent au milieu de la décennie des années 50, mais les sociétés furent 

nationalisées  à  nouveau  en  1969  pour  finalement  reprendre  leurs  activités  quelques  années  plus  tard.  Dans  les  années  40,  ce  fut  au  tour  du 

Vénézuélien Peres Alfonso d'instituer la règle du partage 50/50. Durant les années 70, ce pourcentage fut porté au-delà de 50 % par Carlos Andres 

Perez avant que ce dernier ne décide tout simplement de nationaliser les sociétés pétrolières étrangères. L'Équateur n'a pas échappé non  plus à la 

tentation d'accroître ses redevances sur l'exploitation de ses ressources naturelles.

Les principaux instruments de contrôle institués par certains pays latino-américains

Venezuela

Promulgation de 49 décrets-lois, parmi 

lesquels la loi des terres (réforme agraire), la 

loi de la pêche, et la loi sur les 

hydrocarbures, 11 novembre 2001.

Bolivie

La loi 3058 sur les hydrocarbures 

(17 mai 2005)

Décret Suprême (DS) n

°

 28701, 1er  mai 

2006. Il s'agit de la troisième nationalisation 

des hydrocarbures après celles de 1937 et 

de 1969.

Équateur

Loi sur les hydrocarbures réclamant le 

versement à l'État de 99 % des profits 

pétroliers, 19 avril 2006.

La « diplomatie pétrolière » conduite par Hugo Chavez, élu président du Venezuela en 1998, a tout de même des répercussions importantes dans le 

domaine  des  hydrocarbures  (création  d'une  entreprise  pétrolière  régionale,  Petroamérica,  indépendante  des  grands  monopoles  transnationaux, 

création de l'organisation Petrocaribe afin d'assurer la coordination et la gestion de la production, du transport et de la fourniture de pétrole dans 

l'arc  caribéen,  signature  en  2005  d'un  accord  de  coopération  économique  et  technique  avec  l'Iran,  établissement  d'accords  bilatéraux  avec,  entre 

autres, l'Argentine, la Bolivie et le Brésil). Chavez a, de plus, révisé à la hausse la fiscalité pour l'exploitation du pétrole et a imposé aux 31 des 32 

majors présentes dans le cinquième pays producteur de brut au monde, de se transformer en sociétés mixtes, où l'État est majoritaire (au moins 60 

% du capital). En décembre 2005, plusieurs IOC se sont vues accuser de fraudes fiscales et ont dû s'acquitter d'une forte amende (224 millions $US 

pour les compagnies Total, Repsol YPF et Teikoku Oil).

Ces  nouvelles  conditions  contractuelles  ont  eu  des  incidences  négatives  sur  les  taux  d'investissements  dans  la  région,  mais  n'ont  toutefois  pas 

complètement fermé l'aval des ressources pétrolières vénézuéliennes aux IOC. À titre d'exemple, après le décret de création de l'Entreprise Mixte 

PetroCedeño en novembre 2007, Total et la PDVSA ont conclu que la compagnie française, qui détenait une participation de 47 % dans Sincor, devient 

actionnaire de PetroCedeño à 30 %, aux côtés de la PDVSA (60 %) et de Statoil (9 %). Total recevra une compensation payée en pétrole pour le 

transfert de 16 % de sa participation à la PDVSA (

www.total.com

, 8 février 2008).

En Bolivie, les autorités ont emprunté en 2006 une voie similaire à celle d'Hugo Chavez en renationalisant les industries de gaz et de pétrole. Le 

président Morales avait par ailleurs donné 180 jours aux compagnies étrangères (incluant des NOC comme Petrobras) présentes en Bolivie pour 

trouver un accord avec le gouvernement sur la nouvelle répartition des revenus. À défaut, les compagnies devaient quitter le pays. Les 10 compagnies 

ont  finalement  signé  un  accord  avec  le  gouvernement  bolivien,  ce  qui  représente  un  succès  incontestable  pour  Evo  Morales.  Pour  la  compagnie 

espagnole Repsol, la modification du régime fiscal des IOC qui porte à 50 % les impôts et royalties sur la production d'hydrocarbures, signifie qu'elle 

doit réduire d'un quart ses réserves mondiales estimées à 1,25 milliard de bep (52 % de ses réserves de gaz naturel, soit 659 millions de bep se 

trouvent en Bolivie) (

L'Expansion.com

, 26 janvier 2006). Dans ces nouvelles conditions de rentabilité beaucoup moins favorables qu'auparavant pour 

les compagnies étrangères, les investissements dans le secteur des hydrocarbures en Bolivie notent des replis très importants.

Dans l'ensemble, la ferveur du nationalisme économique énergétique ne s'est jamais démentie, tant au Venezuela, qu'en Bolivie et en Équateur, mais 

aussi dans d'autres pays de la région, comme l'Argentine ou le Pérou. La nouveauté tient au fait que celle-ci intervient au moment où les tensions sur 

la demande d'or noir sont fortes et son prix très élevé.  Faut-il s'attendre à un retour du pendule si les conditions économiques changent ou qu'une 

récession mondiale s'installe durablement ? En attendant, Exxon s'est adressé aux tribunaux américain, anglais et hollandais pour obtenir un gel de 12 

milliards des avoirs vénézuéliens. Ce montant pourrait servir à dédommager Exxon pour le cas où la procédure d'arbitration souhaitée aboutirait à 

une décision favorable à son égard. Entre-temps, le Venezuela considère la procédure comme du « terrorisme judiciaire », tandis que la tension monte 

de part et d'autre, ce qui est une façon  d'amener les deux parties à la table des négociations. Chose certaine, les autres sociétés pétrolières suivent 

de  près  l'évolution  de  ce  dossier  qui  ne  connaîtra  aucun  dénouement  avant  plusieurs  années.  Pour  Caracas,  la  menace  de  couper  ses 

approvisionnements  pétroliers  aux  États-Unis  est  d'autant  moins  crédible  que  ses  exportations  globales  de  pétrole  comptent  pour  30  %  dans  la 

constitution de son PIB et pour 50 % de son assiette de revenus. Il s'agit donc là d'une arme à double tranchant.

LE NATIONALISME RUSSE

En ce qui concerne la Russie, la situation reste paradoxale. L'année 2005 consacre une reprise en mains par l'État de ses ressources énergétiques : il 

redevient actionnaire majoritaire de Gazprom (51 %), fusionne Gazprom avec Sibneft, et Yungansknefetgaz est rachetée par Rosneft (qui appartient à 

100  %  à  l'État). Vladimir  Poutine  exige  aussi  le  remboursement  d'arriérés  en  taxes  aux  IOC  présentes  dans  le  pays,  en  plus  de  limiter  leur 

participation dans les plus grands projets d'exploitation gaziers et pétroliers annoncés. Les cas de contrats conjoints de production (PSA-Production 

Sharing Agreements) sont de plus en plus rares, même s'ils subsistent quelques pétrolières, comme Total et Statoil, qui sont associées à l'exploitation 

de gisements dans des endroits inhospitaliers (Chtokman) et qui

 

devront de plus, céder leur participation à Gazprom à la fin de la première période 

d'exploitation. 

Shell et BP se sont aussi vues obliger de se retirer de l'exploitation de certains champs de pétrole et de gaz russes, dont les bénéfices seront plutôt 

octroyés à des compagnies près du pouvoir central, comme Lukoil et Gazprom. Cette dernière est par ailleurs aujourd'hui le plus grand producteur, 

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Le bulletin  

Le Maintien de la paix

 est  publié sous la direction de MM. Albert Legault, Stéphane Roussel et André Laliberté dans le cadre du programme

Forum sur la sécurité et la défense (FSD) du ministère de la Défense nationale. Les numéros récents peuvent être consultés à l"adresse suivante 

:

http://www.er.uqam.ca/nobel/cepes/  sous la rubrique « 

Bulletin 

» .

        

(ISSN 1192-909X)

4

Marilou 

GRÉGOIRE-BLAIS

Professionnelle de recherche

Chaire de recherche du Canada en relations internationales

Département de science politique, UQAM

propriétaire et exportateur de gaz au monde. La capacité verticale de production de Gazprom - en aval, comme en amont - lui confère un statut 

extrêmement compétitif dans le marché énergétique mondial.

La  Russie  épouse  les  lignes  directrices  des  grandes  sociétés  multinationales  en  voulant  intégrer  les  activités  de  ses  sociétés  depuis  l'aval  jusqu'à 

l'amont, rachetant des pipelines, des installations portuaires et d'autres infrastructures de raffinage. Son contrôle sur ses ressources en amont reste 

cependant entier et il existe peu d'exemples où pour des raisons fiscales et environnementales les majors n'ont pas été évincées, avec, il est vrai,  

compensation pour les investissements déjà consentis. Il s'agit donc d'un nationalisme économique pur dans le cadre du respect des lois du libre-

échange.

L'INSÉCURITÉ CHINOISE 

Dans un autre ordre d'idées, étant confrontées à une croissance importante de la demande intérieure et à une production domestique en baisse, les 

compagnies nationales de la Chine (notamment PetroChina, SINOPEC, China National Offshore Oil Corp. - CNOOC et China National Petroleum 

Corp. - CNPC) et de l'Inde (Oil and Natural Gas Corp. - ONGC) poursuivent pour leur part des stratégies proches de celles développées par les 

majors  :  elles  doivent  engager  une  politique  active  d'acquisition  à  l'étranger.  Elles  se  sont  donc  progressivement  internationalisées  pour  être  en 

mesure de fournir du pétrole et du gaz à leur marché national. Mais, à l'inverse des IOC, ces dernières peuvent réaliser des acquisitions en fonction 

de critères plus souples d'investissements, ce qui leur procure un avantage comparé net. Elles acceptent désormais de former des alliances ou des 

joint ventures

 avec des IOC ou d'autres NOC lorsqu'elles ont besoin de technologies de pointe et l'expertise des majors pour le développement de 

nouveaux gisements. À telle enseigne, des investissements chinois de l'ordre de 4 à 6 milliards de dollars au Venezuela, ce qui lui permettra d'être 

associée au développement des sables bitumineux de la région d'Orinoco. D'autres partenariats sont réalisés avec des compagnies spécialisées dans 

l'exploitation 

offshore

  voire  avec  d'autres  pays  détenteurs  de  matières  premières  en  échange  de  projets  de  développement  à  caractère  socio-

économique. La stratégie chinoise associe donc les lois du libre marché à l'ouverture à des partenariats avec l'ouest, tout en restant fort compétitive 

sur le plan des ressources. Malheureusement pour Beijing, ses réserves de pétrole sont faibles par rapport à ses besoins, ce qui explique en grande 

partie son insécurité croissante en matière d'approvisionnement.

Selon ce qui vient d'être avancé, certaines NOC rivalisent désormais avec les majors pour prendre position sur tous les marchés pétroliers (incluant 

aussi Petrobras du Brésil et Statoil de la Norvège), alors que d'autres sont plutôt au service de la politique de leurs États propriétaires, comme c'est 

le cas au Venezuela ou en Bolivie, ou encore, utilisées comme levier dans les négociations pour asseoir leur puissance sur la scène internationale, 

comme  c'est  le  cas  pour  la  Russie.  Les  compagnies  privées  deviennent  de  leur  côté  des  contractuels  pour  le  développement  des  ressources  en 

hydrocarbures, un rôle auparavant tenu par les compagnies de service.

Au contraire du Moyen-Orient, dont les États producteurs d'hydrocarbures membres de l'OPEP, n'ouvrent que partiellement aux majors l'accès à 

leurs ressources stratégiques et cherchent avant tout à maximiser la rentabilité financière de leurs ressources stratégiques. Le golfe de Guinée fait 

pleinement  partie  du  segment  concurrentiel  de  l'industrie  pétrolière  internationale,  où  les  IOC  peuvent  librement  se  livrer  bataille.  Les 

gouvernements africains, du fait des difficultés financières auxquelles ils sont confrontés, sont très favorables aux investissements étrangers et ont, de 

ce fait, assoupli les législations et les régimes fiscaux applicables aux IOC. Toutefois, l'exploitation 

offshore

 des ressources de la région exige la maîtrise 

d'une technologie de pointe dont l'ampleur des investissements nécessaires oblige les opérateurs à monter de vastes consortiums afin de partager 

les coûts et les risques des opérations. La Chine et, dans une moindre mesure l'Inde, y sont d'ailleurs en compétition féroce avec les majors dans la 

recherche de nouveaux gisements à exploiter.

Bien souvent, et ce, dans l'ensemble des différentes régions où se trouvent les pays producteurs, même si les compagnies nationales veulent ouvrir 

leur amont, elles ne le peuvent pas toujours, faute de maîtrise technologique et de capacités de financement suffisantes. La situation de la compagnie 

nationale mexicaine Pemex est à ce titre, révélatrice. La compagnie finance environ le tiers du budget fédéral et ne peut investir que la moitié de ce 

qui serait nécessaire au renouvellement de ses réserves qui se situent pour la majorité dans l'

offshore

. Les zones de production qui restent à explorer 

deviennent de plus en plus difficiles d'accès, ce qui entraîne des défis technologiques plus grands et les coûts des projets d'exploitation de gisements 

peuvent devenir astronomiques, comme le démontre la facture du grand projet de Sakhaline 2, dans l'extrême-Orient russe, qui est passée de 10 à 22 

milliards $US, et celle de Kashagan au Kazakhstan, qui est passée de 30 à 140 milliards $US (

Le Monde

, 4 janvier 2008).

En fin de compte, il est certain que les décisions commerciales et les stratégies des NOC vont avoir une incidence notoire sur les marchés gazier et 

pétrolier dans les années à venir. Les buts et les priorités des compagnies nationales diffèrent généralement de ceux des IOC, mais cela ne signifie pas 

pour autant que des alliances ou des consortiums ne seraient pas bénéfiques pour l'un et l'autre des camps. De fait, les IOC travaillent de plus en plus 

avec  les  NOC  comme  premier  contractant  sur  des  projets  en  fournissant  une  assistance  technique,  une  expertise  en  matière  de  gestion  de 

l'exploitation des champs pétroliers, en plus d'apporter le financement nécessaire à l'exploitation. 

À l'avenir, les IOC et les NOC vont collaborer et se rivaliser sur deux fronts : le premier sera celui du marché international, alors que les compagnies 
nationales peuvent être concurrentes et à d'autres moments partenaires avec les IOC et le second, celui des marchés spécifiques à chaque nation, où 
les NOC représentent l'État et où les majors sont pour leur part plus que jamais des contractants et des partenaires et de moins en moins des 
entrepreneurs dans le développement des ressources du pays hôte.