CONTEXTE / Context
ETYMOLOGIE / etymology
ETUDE SEMANTIQUE / Definitions
COMMENTAIRE / Analysis
En critique littéraire comme en linguistique, le terme
contexte est doté de deux sens, l’un restreint, l’autre large, bien qu’il convienne de distinguer la linguistique des autres types
d’analyse du discours, s’agissant du sens large.
Au sens restreint, le terme désigne l’entourage verbal d’un élément linguistique. En linguistique, il s’agit de l’environnement
strictement linguistique d’un élément (phonème, monème, phrase), dans la chaîne du discours. En critique littéraire, il s’agit,
parallèlement, de l’environnement strictement textuel d’un élément (mot, syntagme, phrase), c’est-à-dire soit celui qui entoure
immédiatement l’élément (une phrase ou d’autres phrases, avant ou après), soit une partie du texte (strophe, paragraphe, chapitre,
etc.), soit le texte dans son intégralité (poème, roman, texte dramatique, etc.).
Au sens large, le terme recouvre des sens différents selon son emploi en linguistique et en critique littéraire, encore que
des recoupements soient possibles.
En linguistique, le terme peut d’abord être interprété dans un sens très large, en français comme en anglais, comme l’environnement
extra-linguistique, c’est-à-dire le cadre socio-physique dans lequel une langue peut être utilisée. Un peu plus précisément,
le terme peut désigner d’abord l’ensemble des circonstances dans lesquelles se déroule un acte d’énonciation. Ce sont par
exemple le cadre matériel et social où s’insère l’acte, l’identité des interlocuteurs, la situation de cet acte par rapport
à ce qui précède, le ton, les gestes, la mimique. L’interprétation sémantique de chaque mot ou phrase, en particulier des
déictiques (pronoms, adverbes, déterminants comme les adjectifs démonstratifs) est liée à cette situation de production, à
cette situation énonciative. Dans cette optique, le terme
contexte peut aussi s’appliquer de façon complémentaire à l’ensemble des circonstances dans lesquelles l’acte d’énonciation devient
acte de communication. L’accent est mis alors sur les allocutaires dans leur cadre, dans leur identité. Plus encore, le contexte
est conçu comme une situation d’interaction de la parole qui peut être décrite selon la théorie des « actes », proposée par
John L.Austin (voir article : « Acte »).On appelle « pragmatique » l’étude des énoncés dans leur contexte de communication.
Mais certains linguistes, comme James de Finney, préfèrent le mot
situation au mot
contexte pour renvoyer à une « expérience non linguistique vécue » (in : Georges Mounin (éd.).–
Dictionnaire de la linguistique.– Paris : P.U.F., 1974, p. 83), et utiliser le mot
contexte au sens strict. Cela ne signifie pas, comme le montre également James de Finney, que le contexte au sens strict n’entretient
aucune relation avec une situation dont il peut actualiser les éléments pertinents par des moyens linguistiques. Ce linguiste
relie et distingue à la fois très clairement ce qu’il considère comme une « situation » et ce qu’il considère comme un « contexte » :« En
situation, on montrera un crayon sur la table en disant :
Donnez-le moi ; on écrira par contre :
Donnez-moi le crayon qui est sur le table, restituant ainsi la situation absente par le contexte linguistique » (p. 83).
On peut comme le fait Jean-René Ladmiral, philosophe, traducteur et traductologue français, dans son ouvrage
Traduire : théorèmes pour la traduction (Paris : Gallimard, 1994), expliquer la méfiance des linguistes envers le sens large de la notion de « contexte », dans la
mesure où il répond à une attitude « qui tend de proche en proche à donner la totalité de l’univers et du temps pour ‘contexte’
au moindre énoncé » (p. 187). Où arrêter en effet le « contexte » d’un mot ou d’un énoncé plus vaste ?
Toutefois, en sémiotique, depuis les travaux du Danois Hjelmslev (voir les
Prolégomènes à une théorie du langage , trad . française par Una Canger, Paris : Édition de minuit, 1968-1971 ; éd. orig., København : Akademisk Forlag, 1966),
les deux sens linguistiques du mot
contexte, discursif et référentiel, peuvent être référés l’un à l’autre, par le biais de la notion de culture, le champ culturel faisant
irruption dans la langue.
En critique littéraire, toute analyse prend bien évidemment d’abord en compte le contexte au sens strict (voir articles :
« Analyse de texte », « Analyse textuelle »). Ainsi, il est difficilement envisageable d’expliquer le mot
mer dans un poème en vers indépendamment du vers, avec toutes ses marques prosodiques, de la strophe, et, de proche en proche,
de l’ensemble du poème. De même, une séquence de roman est d’abord à situer dans l’histoire racontée (ou narré ou fiction)
de celui-ci, comme une scène de théâtre par rapport à la fable et à la structure dramatique d’une pièce. Toutes les œuvres
littéraires sont relevables de cette procédure indiscutable. Est-ce à dire que le contexte au sens strict suffise à l’interprétation,
à l’herméneutique d’un élément de ce texte et au texte lui-même ? C’est ce que prônait par exemple, précisément la « contextual
criticism », ou « contextualism », méthode caractéristique de la « New criticism », préconisée par Murray Krieger, dans
The New Apologists for Poetry (1956) et
Theory of Criticism,
A Tradition and its Systems (Baltimore-London : John Hopkins University Press, 1976), ainsi que par Eliseo Vivas. Selon cette méthode, le texte est abordé
en tant qu’œuvre fermée, autonome, qui se suffit à elle-même, sans qu’il soit nécessaire de la relier à des référents extérieurs.
Contre, d’une part, la paraphrase et contre, d’autre part, les critiques de type génétique, biographique ou historique, la
« New criticism » prône la « close reading » (par analogie avec le « close combat ». En France, des critiques comme Jacques
Derrida ont suivi ce mouvement. Toutefois, dans son ouvrage de 1976, Krieger, s’il se moque toujours du « naIve biographer
or historian »(p. 7), comprend le désarroi de l’étudiant qui se trouve écartelé entre deux types de théories pour aborder
un texte, dont la théorie « contextualiste » : « Let me urge him not to be impatient. Let him rather allow the poem to work
as only it can, after all, find a relevance to our living that is indispensable to us – indispensable because it shows and
tells what nothing else can, and what it shows and tells is a world that cannot exiqt for us if this poem does not create
it » (p. 36). Plus loin, il tempère également les « tentations de la « New criticism » : « There is always this temptation,
overindulged by the New Criticism, to treat the poem in the way a scientist would, as an object of analysis, deadening it
into Eliot’s patient etherized upon a table ; so that we lose all senses of subject-to-subject human confrontation within
the continuum of experience. So I agree that one must deal with that paradoxical ‘object’ only as he acknowledge its temporal
and dynamic character that dissolves its contours » (p. 37).D’où, au chapitre VIII, intitulé « Poetics reconstructed : The
Presence of the Poem (pp. 207-245), l’idée d’une « deconstruction of metaphysics » dans le texte , déconstruction qui « can
be made to serve the reconstruction of poetics » (p. 245). Ces idées convergeaient bien avec celles de Jacques Derrida.
Toutefois, en critique littéraire, on peut aussi considérer que la connaissance des contextes, historique et biographique
notamment, des œuvres, d’une part, permet d’éviter des erreurs de fait et de poser ce que Umberto Eco appelle « les limites
de l’interprétation », dans l’ouvrage qui porte ce titre (
I Limiti dell’interpretazione, voir trad. française par Myriam Bouzaher, Paris : Grasset, 1992), et, d’autre part, permet d’éclairer des phénomènes textuels
eux-mêmes. Certes, on peut renoncer au XXIe siècle, à des mises en relation lourdes, systématiques, déterministes entre une
œuvre et l’Histoire, telles que le structuralisme génétique, ou d’autres types de critiques se réclamant du marxisme-léninisme
du XXe siècle. C’est d’autant plus souhaitable que l’histoire, malgré des faits indéniables, est elle-même forcément une reconstruction
du réel, nécessitant un choix et ce que Paul Ricœur, dans
Temps et récit (Paris : Seuil, 1983-1985, 3 vol.), appelle une « mise en intrigue ». Mais aucun écrivain, même adepte de l’ « art pour l’art »,
n’a pu produire une œuvre dans un isolement total : il l’a fait « en situation », pour reprendre la célèbre expression de
Jean-Paul Sartre dans
Qu’est-ce que la littérature ? (Paris : Gallimard, 1964).
Déjà l’œuvre se situe par rapport à la mémoire littéraire, esthétique, culturelle de son auteur. Même un sonnet des
Amours de Ronsard est au moins à situer dans le contexte d’une curiosité pour Pétrarque et de recherches sur la langue. Autre exemple,
mais toutes les littératures du monde pourraient en fournir, les romanciers du XIXe et du XXe siècles en Europe et dans d’autres
continents qui ont adopté le genre, ont composé leurs œuvres d’abord en fonction d’un contexte littéraire. Ils héritent de
scénarios, modelés ou remodelés par la tradition, le terme
contexte rejoignant alors celui d’
intertextualité (voir article « Intertextualité »). Leurs œuvres peuvent répondre également à des mouvements ou à des courants esthétiques.
Elles peuvent aussi être tributaires de conditions de réception que le théoricien allemand Hans-Robert Jauss a appelé
Erwartungshorizont (« Horizon d’attente » et qu’il définit d’abord comme lié à des traditions et à des goûts littéraires dans le public : « Le
système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de
trois facteurs principaux : l’expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d’œuvres
antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire
et réalité quotidienne » ( Voir
Pour une esthétique de la réception.– Paris : Gallimard, 1978, p.49).On peut discuter l’expression « objectivement formulable » qui méconnaît notre statut d’êtres
relatifs et subjectifs, mais elle a le mérite de rappeler qu’un écrivain ne s’adresse pas à des tables rases.
Mais ni l’écrivain ni ses lecteurs ne vivent en dehors d’un contexte au sens devenu courant de cadre historique, composé de
réalités sociales, d’événements politiques, nationaux ou internationaux, de conflits ou de progrès sociaux, économiques, idéologiques,
de découvertes scientifiques ou techniques, de doctrines, d’évolution ou de régression des mœurs et des mentalités.
Il est bien évident qu’un éclairage de l’œuvre par son contexte (sans pour autant étouffer l’analyse interne ni la sacrifier)
s’impose pour les textes des auteurs qui ont revendiqué eux-mêmes leur relation avec ce contexte : à travers un projet politique,
social, idéologique, ou une vocation de « réalisme » voire de « naturalisme ». Cela peut aller de la
Commedia (Divine comédie) de Dante, où sont fustigés des adversaires politiques de la Florence du XIVe siècle à côté de démons et de monstres mythologiques,
à des œuvres de la fin du XXe siècle et du XXIe siècles de poètes, de romanciers, de dramaturges pris par l’urgence de dire,
tels des écrivains martiniquais comme Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, ou marocains comme Tahar Ben Jelloun, en vue
de l’émancipation de leur île ou du progrès de leur pays vers l’État de droit, en passant par Balzac, avec son désir bien
connu de faire concurrence à l’État civil, Dickens, Nievo, Tolstoï, Dostoïevski, au XIXe siècle, Brecht, Dario Fo, Goytisolo,
Octavio Paz, Garcia Marquez, au XXe siècle, et beaucoup d’autres dans de nombreux pays ! Dans un ouvrage intitulé
Littérature et politique (Paris : Armand Colin, 2000), Yves Guchet, spécialiste de droit et de sciences politiques, s’est donné pour but, en tant
que tel, d’éclairer des œuvres littéraires nourries de réflexions politiques, mais où « le sens et la portée de ces réflexions
peuvent se dérober au lecteur, même attentif, contraint alors de recourir à l’hypothèse difficile à vérifier » (p. 4). D’où,
pour des œuvres comme, par exemple, celles de Corneille, de Montesquieu ou d’Aragon, des mises au point précieuses sur les
rapports de leurs auteurs avec l’État, les institutions et les doctrines politiques. Mais, même certaines œuvres dont l’intérêt
premier paraît étranger à leur contexte social et politique, ne s’en réclament pas moins d’une réflexion politique. Yves Guchet
déclare encore avec raison : « Pour ne citer que deux exemples connus de tous, si l’intérêt principal des
Caractères de La Bruyère et des
Fables de La Fontaine ne réside pas dans les considérations politiques directes ou sous-jacentes que l’on peut y trouver, il demeure
que la politique y est présente. Identifier celle-ci dans ce type d’œuvres est l’objet de ce travail » (
Ibid). D’où l’étude, par exemple chez La Fontaine, de l’image du roi, des magistrats et des édiles. On pourrait trouver de nombreux
autres exemples sur toute la planète, également parmi des œuvres en apparence autobiographiques ou intimistes, telles des
récits comme ceux de Virginia Woolf, non sans rapports avec le contexte de la première guerre mondiale.
Marcel De Grève
Rijksuniversiteit Gent
Claude De Grève
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