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Érik Bullot

Nouveau territoire, parole fragile


Coordinateur du séminaire " Cinémas et arts contemporains ", États généraux du film documentaire de Lussas 2005

Depuis le temps qu'on dit que le cinéma est mort… La journée de réflexion " Sortir du cinéma ", proposée par l'écrivain et cinéaste Erik Bullot en introduction au séminaire " Cinémas et arts contemporains ", a pourtant été très vivement discutée par ses pairs présents aux États généraux du film documentaire de Lussas 2005. Simple polémique, ou tentative de définition de nouvelles catégories pour penser le travail conjoint des images et du son ? Entretien avec l'auteur du méfait.


Lire le compte-rendu des Etats généraux du film documentaire de Lussas 2005

Fluctuat.net : Pourquoi cette " sortie du cinéma " en guise d'entrée en matière de votre séminaire ?
Erik Bullot :
L'hypothèse d'une " sortie du cinéma " relève dans le cadre de ce séminaire, je vous l'accorde, d'un discours volontiers polémique. Je pense toutefois que l'histoire du cinéma est close ou, mieux encore, que le médium renouvelle régulièrement depuis ses origines les occasions de sa clôture. Chacun d'entre nous peine d'ailleurs à s'accorder sur la date définitive de ce glas. Est-ce l'apparition du parlant qui ruine à jamais, pour certains, l'art du cinéma ? La venue de la télévision dans les années cinquante qui engendre une désaffection du public ? L'émergence du numérique face à l'argentique à la fin des années quatre-vingt ? " Art sans avenir " d'emblée, rappelons-le, pour les frères Lumière. La fin est au commencement. Aussi l'évocation d'une nouvelle sortie ne doit pas susciter, me semble-t-il, de vaine réticence. Elle permet au contraire de revisiter les promesses non tenues et d'inventer le lexique d'une histoire virtuelle du cinéma, ce que le cinéaste Hollis Frampton nomme une " méta-histoire ". Nous sommes entrés dans l'âge méta-historique du cinéma. Et surtout, cette " sortie " présente l'intérêt théorique de rendre compte des relations entre le cinéma et l'art contemporain, objets d'un perpétuel désynchronisme. Sortir du cinéma renvoie en effet à la sortie de la salle et à l'exposition du film dans le musée ou les espaces nombreux et multiples de l'art contemporain. Question délicate, notamment en France, où la forte tradition bazinienne, toujours prégnante dans la critique, s'est construite sur une violente dénégation de l'avant-garde.

Ce troisième terme, l'avant-garde, peut-il se réduire à ce qu'on appelle le " cinéma expérimental " ?
Pas seulement. Il s'agit aussi de " sortir du cinéma (expérimental) ". La catégorie de l'expérimental, forgée sur une opposition au cinéma traditionnel, a perdu une grande part de sa pertinence. Parler aujourd'hui des rapports entre le cinéma et l'art contemporain nous aide à définir un territoire où naissent des formes nouvelles, entre film d'artiste, essai filmé, documentaire, etc., volontiers impures, de nature expérimentale certes, mais qui n'hésitent pas à jouer du récit, des genres, voire de la mise en scène. C'est un territoire fragile, discontinu, lacunaire. La relation entre cinéma et art contemporain en est l'un des seuils. Sortir du cinéma, encore une fois, n'évoque pour moi en rien un geste mélancolique. Cette sortie renvoie plutôt à un vœu de métamorphose, à l'aune des découvertes récentes de la génétique. Il n'est pas étonnant qu'un art mécanique, lié au dix-neuvième siècle, connaisse lui aussi de nouveaux avatars.

Vous parlez de métamorphose des catégories, mais également de rupture entre les générations. Vous dites par exemple appartenir " à une génération qui ne reconduit pas la séparation catégorique entre cinéma d'auteur et cinéma expérimental "…
Quand j'ai commencé à réaliser des films, à la toute fin des années quatre-vingt, j'ai pensé les inscrire a priori dans le champ expérimental. En vain. J'ai dû comprendre la raison de ce différend. Nous avons été quelques-uns, avec Christian Merlhiot et Vincent Dieutre, à créer la structure pointligneplan en vue de diffuser des œuvres à mi-chemin du cinéma et de l'art contemporain. On s'est rapidement aperçu que nous partagions un même intérêt pour des cinéastes comme Godard et Snow, Brakhage et Eustache, par exemple. La dichotomie entre cinéma d'auteur et cinéma expérimental n'était plus opérante. Elle a fonctionné longtemps, rappelons-le, sur un critère économique (un " auteur " suppose une relation forte avec l'industrie). Or l'apparition du numérique a modifié les conditions économiques de production. La question de l'auteur s'en est trouvée déplacée. Un auteur ne se définit plus par sa situation dans l'industrie ; il doit définir sa place, de proche en proche, au sein d'une solitude fragile. Je perçois un symptôme de ce déplacement dans le motif généalogique qui traverse l'œuvre de nombreux cinéastes aujourd'hui. Le très beau film de Naomi Kawase, Shadow (2004), invente un curieux stratagème, entre fiction et documentaire. Au delà de l'anecdote (un père inconnu se présente à sa fille), c'est la place de Naomi Kawase qui est posée, absente et présente à la fois. Le film dessine un foyer improbable occupé par la cinéaste qui, de fait, questionne sa propre " autorité " à travers sa recherche généalogique.

Justement. Dans votre réflexion sur la " sortie du cinéma ", vous parlez également de " disparition du point de vue "…
On peut noter un curieux hiatus temporel entre la " politique des auteurs " érigée par la Nouvelle vague et le motif de la disparition de l'auteur, qui lui est contemporain, dans le champ des sciences sociales et de l'art contemporain. Aujourd'hui, si nombre de cinéastes quittent les rivages du " cinéma d'auteur " et lorgnent vers l'art contemporain, c'est aussi pour renouveler les modalités de leur statut d'" auteur ". Une installation par exemple est un dispositif qui permet de faire circuler les places respectives de l'œuvre, de l'auteur et du spectateur, dans une radicalité accrue. A contrario, la " mise en scène ", foyer de la "politique des auteurs", s'est définie par l'économie d'un point de vue assujetti. C'est pourquoi j'ai inclus dans ma programmation des films comme In Order Not To Be Here (2003) de Deborah Stratman ou Lettre du dernier étage (2004) d'Olivier Ciechelski. Ce sont des films où le point de vue semble sur le point de disparaître, évanescent, au diapason des caméras de surveillance. Ils explorent un regard sans sujet.

Sortie du cinéma, fin du cinéma expérimental, disparition des auteurs, rupture entre les générations… Votre réflexion, c'est un manifeste ?
Sans doute. Mais le manifeste n'a plus la ferme conviction de l'avant-garde historique. Manifeste fragile, en somme. Mon vœu est de proposer des fictions théoriques dont les articulations logiques ne sont pas sans évoquer, je m'en aperçois, les enchaînements de rebuts entraînant leur chute, les uns à la suite des autres, dans le film de Peter Fischli et David Weiss, Le Cours des choses (1987).

Propos recueillis par Benjamin Bibas et Maël Le Mée

NB : Benjamin Bibas et Maël Le Mée ont apporté, chacun, une collaboration symbolique et non rémunérée aux Etats généraux du film documentaire de Lussas 2005.

[Illustrations : 1. Lettre du dernier étage (Olivier Ciechelski, 2004) ; 2. In Order Not To Be Here (Deborah Stratman, 2002) ; 3. Le Cours des choses (Peter Fischli et David Weiss, 1987)]

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