Joséphine
Baker
au
service de la France Libre
Septembre
1939, la guerre éclate. Joséphine Baker est alors au sommet
de sa gloire. Revenue d'une tournée en Amérique du Sud, elle
a déjà en projet une revue avec Maurice Chevalier au Casino
de Paris. Pour elle, qui est devenue citoyenne française par son
mariage avec Jean Lion en 1937, il n'est pas question de trahir son pays
d'adoption et de se réfugier aux États-Unis. Elle est très
rapidement sollicitée par un jeune officier au service des renseignements,
Jacques Abtey, et accepte immédiatement :
« C'est la France
qui m'a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle.
[...] Ne suis-je pas devenu l'enfant chéri des Parisiens. Ils m'ont
tout donné, en particulier leur c¦ur. Je leur ai donné le
mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd'hui
ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l'entendez » (1).
Sa première
mission est de fréquenter les réceptions des ambassades et
des consulats où elle est invitée afin de recueillir les
renseignements les plus utiles. Mais elle offre également son temps
aux réfugiés hollandais et belges qui vivent alors leur exode
:
« Je prends une
nouvelle activité. Dans un ancien asile de clochards, rue du Chevaleret,
on recueille ces malheureux. En blouse blanche, je fais partie des I.P.S.A.
(Infirmières Pilotes des Services Sanitaires). La détresse
est là, partout, dans ces corps rompus, ces c¦urs brisés
par la défaite, ces visages décomposés par l'exode.
Il faut leur donner des soins, du réconfort, un peu de chaleur humaine.
Il faut panser les plaies physiques et morales. "Mais c'est Joséphine
!" Cela ramène un sourire sur leurs lèvres. Il y a des vieillards,
des enfants, tous innocents. Quand je vois des hommes jeunes je me méfie
: je sais que parmi ces Belges éprouvés fuyant l'ennemi,
il peut se glisser un Allemand nazi. Et je continue d'ouvrir mes oreilles
» (2).
La revue
du Casino de Paris à l'affiche est joyeusement intitulée
« Paris London », mais elle ne tarde pas à cesser, en
mai 1940. Joséphine Baker décide alors de partir pour la
Dordogne, où elle loue un château, les Milandes. C'est de
cette campagne éloignée que son destin de résistante
va s'écrire :
« C'est loin de
Paris, la Dordogne, mais pas assez loin pour ne pas capter Londres... et
l'appel du général de Gaulle. Sa voix nous bouleverse. Elle
est celle qu'on craignait ne jamais entendre. Elle nous atteint au plus
profond de nous-mêmes. Comme elle est vibrante cette voix. Vibrante
de toute son âme. L'âme même de la France qui, je le
savais, ne peut pas mourir. Désormais, tout nous parait possible
» (3).
Joséphine
Baker veut rallier Londres, tout comme Jacques Abtey, devenu « Monsieur
Sanders ». Ce dernier apprend que le service de renseignements s'est
réorganisé et se situe désormais à Marseille.
Parvenue dans la cité phocéenne, Joséphine couvre
Abtey, nommé désormais « le secrétaire artistique
monsieur Hébert ».
Janvier
1941, direction l'Afrique. Lorsqu'elle arrive à Alger, les services
secrets allemands contrôlent déjà très bien
cette région. Les Français restés fidèles au
régime de Vichy ont pour mission de contrer les actions du général
de Gaulle dans toute l'Afrique du Nord. De plus, le Service de Renseignement
Intercolonial a éclaté à la signature de l'armistice
et de vraies querelles de clans sont apparues au sein des services de renseignements
entre gaullistes et vichystes. Il faut donc beaucoup d'audace et un travail
acharné pour briser la mainmise allemande dans cette zone. C'est
ce que vont tâcher de faire Baker et ses amis. Ces derniers sont
des membres de la famille royale du Maroc, sympathisante de De Gaulle,
qui accueillent chaleureusement Joséphine Baker :
« J'ai trois amis
marocains merveilleux et profrançais. L'un est le Premier calife
et cousin germain du sultan, Moulay Larbi. L'autre est son riche beau-frère,
Mohammed Menebhi ; le troisième est Thami El Glaoui, le pacha de
Marrakech » (4)
Très
vite, Jacques Abtey a pour ordre de se rendre à Lisbonne afin de
recueillir des renseignements utiles à la France Libre. Joséphine
Baker réussissant à obtenir un visa mais pour elle seule,
elle prend la place d'Abtey au pied levé et quitte Casablanca dans
une folle excitation :
« "Monsieur Hébert"
va donc rester à Casa, espérant toujours son visa, tandis
que moi en possession du mien en bonne et due forme, je vais me rendre,
seule, à Lisbonne. Avec mes partitions musicales. Qui se douteraient
qu'elles contiennent les plans des installations allemandes dans le Sud-Ouest,
bref, la somme de renseignements rassemblés par le service du capitaine
Paillole ? Vraiment sympathique, cette encre. Je sens le capitaine Abtey
anxieux quand il me met au train de Tanger. C'est la première mission
que je vais faire, livrée à moi-même, sans sa protection
» (5).
En fait,
les informations que Joséphine doit communiquer au bureau de renseignements
du général de Gaulle à Londres sont dissimulées
à l'encre invisible sur les partitions musicales de ses chansons.
Elle en a épinglé d'autres dans son soutien-gorge. Belle,
élégante et populaire, Joséphine Baker attire le public
et passe tous les barrages sans peine. Pendant son voyage, elle ne rencontre
aucun problème majeur lors des passages aux frontières.
Mais,
de retour au Maroc, Joséphine tombe subitement malade et son état
de santé alarmant l'oblige à subir de nombreuses opérations
chirurgicales et à rester à l'hôpital plus de dix-neuf
mois. Très vite, des Américains, tels que les vice-consuls
Canfield, Read et Bartlett, lui rendent visite, auxquels elle fournit les
renseignements que Jacques Abtey lui fait parvenir. En avril 1942, Joséphine
Baker est toujours hospitalisée mais la chambre de l'artiste continue
d'être un centre de renseignements improvisé :
« Pendant son voyage
en France, "monsieur Hébert" a recruté un Alsacien, comme
lui, un grand gaillard, au regard clair, Zimmer. Lui aussi va faire de
constantes allées et venues entre Alger et Casa... Menebhi, de son
côté, va très souvent au Maroc espagnol. Enfin, un
autre gaulliste convaincu, René Guérin, se joint à
nous. Il va compléter les informations de Menebhi par les siennes
recueillies à Tanger... cependant que Moulay Larbi nous donne des
nouvelles fraîches du palais de son cousin, le sultan. Malheureusement,
le sultan n'est pas tout à fait du même bord ! Il renseigne
Amin al Husseini, le grand mufti de Jérusalem réfugié
en Allemagne et orchestrant la propagande » (6).
Les Allemands
sont bien au courant de l'action de Baker et des visites des officiers
et des diplomates à la malade. Malgré les mises en garde
de ses infirmières sur les longs moments passés avec ses
visiteurs, Joséphine Baker juge ces contacts indispensables. Pour
elle, la France doit être libérée au plus vite et si
elle peut y contribuer même en étant sur un lit d'hôpital,
elle ne s'en privera pas. Elle sait surtout que le général
de Gaulle ne bénéficie pas d'une opinion favorable auprès
des dirigeants américains. Elle s'emploie donc à convaincre
tous les officiels américains qu'elle peut rencontrer en Afrique
du Nord. Son avantage est qu'elle est aussi américaine et qu'elle
peut utiliser ses origines à bon escient pour persuader ses compatriotes
outre-Atlantique de soutenir de Gaulle et la France Libre. En dépit
de ses efforts excessifs, Joséphine Baker a l'impression de ne pas
en faire assez. Chaque événement pouvant entraîner
du retard dans la libération de la France lui est insupportable
et lui provoque des accès de colère. Pour l'apaiser, les
infirmières lui donnent sans arrêt des calmants.
Au théâtre des armées alliées
Dernière
étape à Buchenwald
Kevin Labiausse
(1) Abtey (Jacques), La
guerre secrète de Joséphine Baker, Éditions Siboney,
1948.
(2 à 7) Baker (Joséphine),
Joséphine, Éditions Robert Laffont, 1976.