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France-Mail-Forum 22 (Mai 2001)


Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard

Que reste-t-il de la révolution sexuelle de mai 68 ?

Le Monde, 28.02.01

La controverse sur les écrits contestables publiés par Daniel Cohn-Bendit en 1975 illustre certaines dérives de la libération des moeurs lancée au début des années 70. Des médecins et des militants témoignent des confrontations sur la pédophilie et défendent les acquis de cette époque.

FAUT-IL BRÛLER Mai 68 et les années 70 parce que, sous couvert de libération sexuelle, cette période aurait été celle de l'apologie de la pédophilie? Dans son numéro du 22 février, L'Express exhume les écrits de Daniel Cohn-Bendit publiés en 1975 dans Le Grand Bazar, à propos de son expérience d'éducateur dans un jardin d'enfants autogéré à Francfort: "Il m'était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m'avez choisi, moi, et pas les autres gosses ?” Mais s'ils insistaient, je les caressais quand même." Au-delà du cas Cohn-Bendit, se trouve revisitée une période historique qui a entraîné un bouleversement en profondeur de la société française. "Trente ans après, il existe une incapacité à poser le regard de l'historien sur ces transformations et les resituer dans leur contexte", regrette Hervé Hamon, qui, avec Patrick Rotman, a dressé, dans Génération (Le Seuil, 1988), le portrait des soixante-huitards. " Ce n'est pas parce que des anars ont écrit sur les murs: “Il est interdit d'interdire” que l'on peut réduire Mai 68 et les années qui l'ont suivi à “Tout est permis”, insiste Hervé Hamon. C'est aussi de là qu'est parti le mouvement, initié par les féministes, visant à la criminalisation du viol. Nous avons été confrontés à des dérives, mais il ne faut pas s'étonner que ce bouleversement ne se soit pas fait de manière parfaitement ordonnée. "
La découverte de la sexualité infantile n'est pas une invention de Mai68, mais une notion centenaire que nous devons à Freud. Et présenter les soixante-huitards comme une génération globalement porteuse d'une morale considérant la pédophilie comme admissible, c'est confondre le fait que le débat sur l'ensemble des aspects de la sexualité –les rapports hommes-femmes, le mariage, l'homosexualité...– soit venu sur la place publique avec la revendication, par quelques-uns, d'une pédophilie consentie. C'est aussi oublier que ces positions étaient massivement récusée au sein de ceux qui réclamaient une émancipation, et passer à la trappe l'ordre moral, bousculé par la vague de Mai 68, qui faisait peser un silence de plomb sur tout ce qui touchait à la sexualité, celle des jeunes en particulier.
Ancienne secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs (Snuipp-FSU), tendance Ecole émancipée, militante féministe dans les années70, Danielle Czalczynski se souvient " des discussions souvent vives qui opposaient les hommes et les femmes sur le fait de “jouir sans entrave” même avec les enfants ". 

Elle a vécu cette période à travers un double prisme : celui de femme et d'enseignante. " En tant qu'enseignante, j'ai été beaucoup marquée par la découverte des désirs enfantins mais j'étais opposée, en tant que femme, à ceux qui dérivaient sur les rapports entre adultes et enfants, en faisant abstraction du rapport de pouvoir. " Au sein de l'extrême gauche, le combat au sujet des thèses favorables à la pédophilie a en effet été vif. Hervé Hamon rappelle que c'est en partie sur cette question que le groupe Vive la révolution, dirigé à l'époque par Roland Castro et son journal Tout, s'est auto-dissous en 1971. " J'étais rédacteur en chef adjoint de Politique Hebdo et nous avons refusé de passer un entretien avec René Schérer, professeur à Paris-VIII, en raison de ses positions pro-pédophiles", raconte Hervé Hamon. Le docteur Jean Carpentier, auteur en 1971 du tract "Apprenons à faire l'amour", diffusé dans les lycées et qui lui a valu un an d'interdiction d'exercice, évoque de la même manière l'arrêt du périodique Tankonalasanté, revue critique de l'institution médicale face aux tentatives d'un courant favorable à la pédophilie de s'en servir comme vecteur de ses idées.
Au nom des libertés, certains ont défendu la clémence dans certaines affaires de pédophilie. Le psychiatre Gérard Vallès a été signataire, en janvier1977, aux côtés de Louis Aragon, André Glucksmann, Félix Guattari, Bernard Kouchner, Jack Lang ou Jean-Paul Sartre, d'une pétition demandant la remise en liberté, après trois ans de détention préventive, de trois hommes comparaissant devant les assises des Yvelines pour " attentat à la pudeur sans violence sur mineurs de quinze ans ". Il se souvient qu'" à l'époque, les lois en vigueur étaient très obsolètes et la façon dont les tribunaux les appliquaient l'était encore plus ", mais rappelle qu'au cours des années 70, " des gens comme Gabriel Matzneff avaient transformé la pédophilie en art littéraire et leurs propos n'étaient pas alors condamnés comme ils le sont aujourd'hui ".
Dans sa formation d'institutrice, Danielle Czalczynski souligne à quel point " le fait de découvrir que les enfants avaient des désirs sexuels l'a beaucoup interrogée. Le regard des psy nous aidait à mieux comprendre les enfants. Je l'ai vécu comme une ouverture comme un débat intellectuel, on entrait dans la compréhension des individus. Il s'agissait de voir l'enfant derrière l'élève. ". Selon Danielle Czalczynski, ce débat dans les années soixante-dix a permis d'avoir " un regard beaucoup moins unilatéral sur les difficultés de l'enfant, de mieux connaître son histoire et d'être plus attentif aux signes de maltraitance ".
Le bilan de cette période oblige aussi à évaluer, à distance, les effets des passages à l'acte sexuel entre adultes et enfants: "Ils ont eu des effets désastreux, parfois, moins par eux-mêmes que par la réaction de l'entourage ", constate Lysia Edelstein, psychologue à la Protection judiciaire de la jeunesse, qui accueille les délinquants mineurs. Très investi dans la prise en charge des toxicomanes, le docteur Jean Carpentier, évoque ces " secrets de famille, pas très jolis, ces histoires d'attouchements sexuels dans l'enfance par le père ou un oncle retrouvées chez beaucoup de toxicomanes, en particulier les femmes ".
La reconnaissance de l'enfant comme une personne et de la nécessité de le protéger contre la pédophilie a aussi eu pour effet que " des éducateurs aujourd'hui ont très peur de ce qui apparaîtrait comme une attitude ambiguë vis-à-vis d'un enfant ou d'un adolescent, surtout si ce dernier est “sollicitant”, confie Lysia Edelstein, ce qui souligne l'importance de la formation dans ce domaine. "
Craignant que l'on revienne, à l'occasion du débat en cours, sur des libertés acquises, la psychanalyste Elisabeth Roudinesco insiste sur un ensemble de points indissociables : " Il faut admettre que les enfants ont une sexualité et jouent entre eux à “touche-pipi”; qu'ils peuvent même avoir des désirs sexuels pour des adultes. Mais il faut aussi expliquer aux enfants qu'ils ne doivent pas se laisser toucher par des adultes. C'est en parlant précocement de sexualité aux enfants, avant même cinq ans, qu'on leur permettra d'être mieux protégés des tentatives d'attouchement et d'abus sexuel. "
 
 
 

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