grips.gif (1552 octets) Réf. GRIP DATA:

G2044

Date d'insertion:

12/02/03

 

Rapport final du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République Démocratique du Congo

 

Lettre datée du 15 octobre 2002, adressée au Président
du Conseil de sécurité par le Secrétaire général

J’ai l’honneur de me référer à la déclaration présidentielle en date du 19 décembre 2001 (S/PRST/2001/39), par laquelle le Conseil de sécurité a prorogé pour une période de six mois le mandat du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo. Le Conseil a demandé au Groupe d’experts de lui présenter au bout de trois mois un rapport intérimaire suivi, à la fin de son mandat, d’un rapport final. Je me réfère également à la lettre du Président en date du 12 juillet dernier (S/2002/763), par laquelle le Conseil de sécurité a prorogé le mandat du Groupe jusqu’au 31 octobre 2002.

J’ai l’honneur de vous transmettre le rapport final du Groupe d’experts que m’a soumis son président, M. Mahmoud Kassem. Ce rapport indépendant comporte une évaluation de la situation sur le terrain ainsi que les observations du Groupe sur l’exploitation illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo. Je vous serais obligé de bien vouloir porter le rapport à l’attention des membres du Conseil de sécurité.

 

(Signé) Kofi A. Annan

Annexe

 

Lettre datée du 8 octobre 2002, adressée au Secrétaire général par le Président du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale
des ressources naturelles et autres formes de richesse
de la République démocratique du Congo

 

[Original : anglais]

Conformément à la déclaration du Président du Conseil de sécurité (S/PRST/2001/39) datée du 19 décembre 2001 et à la lettre du 12 juillet 2002 qui vous a été adressée par le Président du Conseil, le Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo a le plaisir de vous faire tenir son rapport pour que vous le transmettiez au Président du Conseil de sécurité.

 

Le Président du Groupe d’experts
sur l’exploitation illégale des ressources
naturelles et autres formes de richesse
de la République démocratique du Congo
(Signé) Mahmoud Kassem

 

Table des matières

 

 

Paragraphes

Page

I. Introduction

1–11

4

II. Changement de tactique avec les réseaux d’élite

12–21

5

III. Zone tenue par le Gouvernement

22–64

7

IV. Zone contrôlée par le Rwanda

65–96

15

V. Zone contrôlée par l’Ouganda

97–131

21

VI. Collaboration du Groupe d’experts avec la Commission Porter en Ouganda

132–138

27

VII. Commerce de transit et pays de destination

139–148

29

VIII. Observations

149–154

31

IX. Conclusions

155–160

32

X. Recommandations

161–188

33

Annexes

 

I. Companies on which the Panel recommends the placing of financial restrictions

 

II. Persons for whom the Panel recommends a travel ban and financial restrictions

 

III. Business enterprises considered by the Panel to be in violation of the OECD Guidelines for Multinational Enterprises

 

IV. Countries visited and representatives of Governments and organizations interviewed

 

V. Abbreviations

 

 

I. Introduction

Dans une déclaration de son président en date du 19 décembre 2001 (S/PRST/2001/39), le Conseil de sécurité a prié le Secrétaire général de proroger le mandat du Groupe d’experts pour une période de six mois, et demandé au Groupe de lui présenter un rapport intérimaire et un rapport final. Aux termes du nouveau mandat du Groupe d’experts, les rapports devaient comprendre les éléments ci-après :

a) Une mise à jour des données pertinentes et une analyse des autres informations provenant de tous les pays concernés, y compris en particulier de ceux qui n’ont pas encore communiqué au Groupe d’experts les renseignements demandés;

b) Une évaluation des mesures que pourrait prendre le Conseil, y compris celles recommandées par le Groupe d’experts dans son rapport (S/2001/357) et dans l’additif à ce rapport (S/2001/1072) afin d’aider à mettre un terme au pillage des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, compte tenu de l’impact qu’auraient ces mesures sur le financement du conflit et leurs répercussions éventuelles sur la situation humanitaire et économique en République démocratique du Congo;

c) Des recommandations concernant les mesures concrètes que la communauté internationale pourrait prendre pour soutenir le Gouvernement de la République démocratique du Congo, par le biais des organisations internationales, mécanismes et organes de l’ONU, et s’attaquer aux problèmes évoqués dans le rapport et son additif;

d) Des recommandations relatives aux mesures que pourraient prendre les pays de transit ainsi que les utilisateurs finals pour aider à mettre un terme à l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo.

Le Conseil de sécurité a également souligné qu’il importait que le Groupe d’experts maintienne une collaboration étroite avec tous les intervenants congolais, qu’ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux, sur l’ensemble du territoire national.

Le 22 mai 2002, le Groupe d’experts a présenté au Conseil de sécurité un rapport intérimaire (S/2002/565). À la demande du Conseil, les membres du Groupe ont répondu par écrit aux questions et observations que leur avaient adressées les membres du Conseil au sujet du rapport intérimaire et de leurs travaux en cours. Avant de soumettre son rapport intérimaire, et à la demande du chef de la mission du Conseil de sécurité envoyée dans la région des Grands Lacs, le Groupe s’est rendu à Pretoria le 28 avril pour informer les membres de la mission.

Afin d’orienter leurs travaux en fonction de la redéfinition de son mandat, le Groupe a élaboré deux plans d’action successifs, qui ont été communiqués au Conseil : les enquêtes ont été axées sur les diamants, l’or, le coltan (colombotantalite), le cuivre, le cobalt, le bois d’oeuvre, la faune et la flore sauvages, les ressources financières et les échanges commerciaux en général.

Le Groupe d’experts a estimé que l’une de ses principales tâches devait consister à recueillir des informations sur les puissants groupes politiques et économiques participant aux activités d’exploitation, qui agissaient très souvent au mépris total de la loi. Le Groupe a donc introduit la notion de réseau d’élite (définie au chapitre II).

Aux fins de l’organisation de ses travaux d’enquête, le Groupe d’experts a divisé la République démocratique du Congo en trois zones distinctes, délimitées en fonction de l’identité des intervenants des trois grands réseaux, à savoir : a) la zone tenue par le Gouvernement; b) la zone tenue par le Rwanda; et c) la zone tenue par l’Ouganda. Le Groupe est également parvenu à la conclusion que si ces trois zones sont bien conformes à ce qu’il entend par réseaux d’élite, elles n’en présentent pas moins des variantes importantes.

Le Groupe a recueilli des informations auprès de sources très diverses, dont les gouvernements – représentés par des civils et des militaires –, des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, des entreprises et des particuliers. En raison de la nature de son mandat, le Groupe a eu du mal à obtenir l’information. Il a néanmoins réussi à recueillir des éléments solidement documentés et corroborés par de multiples sources indépendantes. Ces sources bien informées ont présenté à l’appui de leurs dires des documents ou des observations directes, sur lesquels le Groupe s’est fondé pour établir son rapport.

Le Groupe a appliqué des normes raisonnables pour l’obtention des éléments de preuve sans recourir aux autorités judiciaires pour citer des témoins à comparaître ou ordonner la production de documents. Les éléments d’information lui ont été communiqués sur une base strictement volontaire. De plus, il a fait tout son possible pour évaluer en toute impartialité et objectivité les éléments qu’il avait rassemblés.

Tout au long de ses travaux, le Groupe a suivi de près l’évolution du processus de paix en République démocratique du Congo, ainsi que dans l’État voisin du Burundi. L’Accord de cessez-le-feu signé à Lusaka en 1999 et l’Accord de paix et de réconciliation conclu à Arusha en 2000 ont marqué des jalons importants dans les activités du Groupe. Les Accords de Sun City, de Pretoria et de Luanda ont également influé sur ses travaux.

Le Groupe d’experts était composé des membres suivants :

S. E. M. Mahmoud Kassem (Égypte), Président;
M. Jim Freedman (Canada);
M. Mel Holt (États-Unis d’Amérique);
M. Bruno Schiemsky (Belgique);
M. Moustapha Tall (Sénégal).

Le Groupe d’experts a bénéficié des services de deux conseillers techniques à temps partiel, M. Gilbert Barthe (Suisse) et M. Patrick Smith (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), de deux spécialistes des questions politiques, d’un administrateur et d’un secrétaire.

 

II. Changement de tactique
avec les réseaux d’élite

Le conflit régional qui a fait converger les armées de sept pays africains vers la République démocratique du Congo a perdu de son intensité, mais les microconflits étroitement imbriqués qui en ont découlé persistent. Ils sont alimentés par la convoitise des minerais, des produits agricoles, de la terre et même des recettes fiscales. Les groupes criminels associés aux armées rwandaise, ougandaise, zimbabwéenne et au Gouvernement de la République démocratique du Congo ont tiré avantage de ces microconflits et ne se démantèleront donc pas spontanément, même si les forces armées étrangères continuent de se retirer. Ils ont mis sur pied une « économie de guerre » qui s’autofinance et est axée sur l’exploitation des minéraux.

Les Accords de Pretoria et de Luanda, conclus avec l’aide de l’Afrique du Sud et de l’Angola, ont accéléré les récents retraits de troupes opérés dans l’est de la République démocratique du Congo. Bien qu’ils soient perçus comme un signe encourageant, ces retraits ont peu de chances d’entamer la volonté résolue d’individus zimbabwéens, rwandais et ougandais d’exercer un contrôle économique sur certaines régions de la République démocratique du Congo. Le départ de leurs forces ne réduira guère le contrôle économique qu’ils exercent ou les moyens dont ils disposent pour exercer ce contrôle, l’utilisation des armées nationales n’étant qu’un des multiples outils auxquels ils ont recours. Les trois pays ont pris les devants prévoyant le moment où, sous la pression de la communauté internationale, il leur serait impossible de maintenir d’importantes forces d’occupation en République démocratique du Congo. Les régimes rwandais et zimbabwéen et des particuliers ougandais influents ont adopté d’autres stratégies pour maintenir en place, après le départ de leurs troupes, des mécanismes générateurs de revenus, dont de multiples activités criminelles.

Les Forces de défense du peuple ougandais continuent, comme par le passé, d’alimenter les conflits ethniques, pleinement conscientes que l’agitation qui règne en Ituri justifiera la maintien de la présence d’un nombre minimum de leurs membres. Le Groupe d’experts a la preuve que des officiers de haut rang des Forces de défense du peuple ougandais ont pris des dispositions pour entraîner des milices locales et les constituer en force paramilitaire placée directement et discrètement sous le commandement des Forces de défense du peuple ougandais et capable d’assumer les mêmes fonctions qu’elles. Le contrôle exercé aujourd’hui par les Ougandais sur les échanges commerciaux et les ressources économiques demeurera sensiblement le même. Bien qu’elles procèdent avec plus de discrétion que par le passé, les Forces de défense du peuple ougandais continuent d’armer les groupes locaux, de sorte que le départ des forces armées ougandaises ne devrait avoir qu’une faible incidence sur les activités économiques poursuivies par les individus influents qui agissent dans le nord-est du pays.

À l’instar des Forces de défense du peuple ougandais et sous la pression de ses plus proches alliés, le Rwanda a commencé à se retirer de la République démocratique du Congo. En prévision de ce retrait, il a mis en place des mécanismes de contrôle économique qui ne nécessitent pas une présence clairement établie de l’Armée patriotique rwandaise. Des hommes d’affaires de Kigali sont venus prendre la place des directeurs congolais d’entreprises paraétatiques de façon à garantir des recettes régulières des usines d’approvisionnement en eau, des centrales électriques et des moyens de transport. La monnaie locale a été remplacée par la monnaie rwandaise. Des bataillons de l’Armée patriotique rwandaise spécialisés dans la pose de mines sont restés sur place même s’ils ont cessé de porter l’uniforme et ils poursuivront leurs activités sous couvert d’échanges commerciaux. Certaines sources ont signalé au Groupe d’experts que l’Armée patriotique rwandaise avait récemment lancé une opération pour obtenir un grand nombre de passeports congolais dans le but d’offrir à ses officiers une identité de complaisance les autorisant à rester en place sur les sites stratégiques de la République démocratique du Congo.

Le Groupe a eu connaissance d’autres tactiques employées pour masquer le maintien de la présence d’une force armée inféodée au Rwanda. Des sources dignes de foi lui ont signalé une initiative du chef d’état-major de l’Armée nationale congolaise, le major Sylvain Mbuki, visant à réorganiser les forces du RCD-Goma de façon à intégrer un plus grand nombre d’hommes de l’Armée patriotique rwandaise dans les unités de l’Armée nationale congolaise et les forces de défense locales composées d’éléments pro-rwandais. La plupart de ces unités ont été dirigées un temps par l’Armée patriotique rwandaise et, avec la restructuration en cours, de nombreux soldats de l’Armée patriotique rwandaise vont entrer dans les rangs de l’Armée nationale congolaise. Au lieu de rentrer au Rwanda, un grand nombre de Hutus rwandais qui servaient dans l’Armée patriotique rwandaise se sont vu remettre un uniforme et ont regagné des brigades de l’Armée nationale congolaise en tant que Hutus congolais. Le Rwanda a intentionnellement détourné l’attention du fait que des soldats restaient en République démocratique du Congo en accordant une importance particulière au départ de ceux qui quittaient le pays. Des cérémonies ont été organisées aux points de passage des soldats qui rentraient chez eux. En réalité, le nombre de soldats qui ont quitté la République démocratique du Congo ne représente jusqu’à présent qu’une infime partie de l’ensemble des troupes de l’Armée patriotique rwandaise stationnées dans l’est de la République démocratique du Congo, qui, selon diverses sources, comptent de 35 000 à 50 000 hommes. Parallèlement au retrait des troupes de l’Armée patriotique rwandaise, les responsables du Gouvernement rwandais ont rapatrié de force dans le Nord-Kivu des milliers de réfugiés tutsis congolais des camps situés à la périphérie des provinces de Byumba et Kibuye. Les écoles dans les camps rwandais sont restées fermées et certaines structures ont été rasées pour encourager de nouveaux rapatriements au Rwanda. Toutes les sources s’accordent à penser que ce pourrait être là une nouvelle tactique destinée à maintenir la présence du Rwanda dans l’est de la République démocratique du Congo.

Si les Forces de défense zimbabwéennes ont été les principaux garants de la sécurité du Gouvernement de la République démocratique du Congo contre ses rivaux de la région, les officiers supérieurs de ces forces se sont personnellement enrichis grâce à l’exploitation des ressources minières de la République démocratique du Congo sous couvert d’arrangements visant à rétribuer le Zimbabwe pour la prestation de services militaires. À l’heure actuelle, les Forces de défense zimbabwéennes créent de nouvelles entreprises et concluent de nouveaux contrats pour défendre leurs intérêts économiques à long terme, dans l’éventualité d’un retrait complet de leurs troupes. De nouveaux accords commerciaux et de services ont été conclus entre la République démocratique du Congo et le Zimbabwe juste avant l’annonce du retrait des troupes des Forces de défense zimbabwéennes du centre diamantifère de Mbuji Mayi, à la fin du mois d’août 2002.

Vers la fin de son mandat, le Groupe a reçu copie d’un mémorandum, daté d’août 2002, adressé au Président, M. Robert Mugabe, par le Ministre de la défense, M. Sidney Sekeramayi, dans lequel ce dernier proposait la création à Maurice d’une entreprise commune Zimbabwe/République démocratique du Congo destinée à dissimuler les intérêts économiques conservés en République démocratique du Congo par les Forces de défense zimbabwéennes. Il était écrit dans ce mémorandum : « Votre Excellence doit être au courant de la campagne négative et de critiques suscitées par l’existence des entreprises République démocratique du Congo/Zimbabwe, qui a eu pour effet d’amener les enquêteurs actuels du Groupe d’experts de l’ONU à s’intéresser de près à nos activités commerciales ». Ce mémorandum mentionne également un projet de création d’une entreprise de matériel militaire zimbabwéenne privée destinée à protéger les investissements économiques du Zimbabwe en République démocratique du Congo après le retrait des Forces de défense zimbabwéennes. Il y est précisé que cette entreprise a été créée en vue de fonctionner aux côtés d’une nouvelle entreprise militaire détenue par la République démocratique du Congo.

Par ailleurs, des milices et hommes politiques locaux se sont arrogé le rôle précédemment joué par les armées d’État pour accéder aux ressources précieuses et les contrôler et pour détourner les recettes publiques. Le pillage, qui était auparavant le fait des armées, a été remplacé par des systèmes organisés de détournement de fonds, de fraude fiscale, d’extorsion de fonds, d’octroi d’options d’achat d’actions comme dessous-de-table et de détournement de fonds publics sous la direction de groupes assimilables à des organisations criminelles.

Ces activités occupent une place de plus en plus importante dans les méthodes employées pour exploiter les richesses de la République démocratique du Congo. Le Groupe a identifié trois groupes distincts exerçant des activités dans trois zones différentes, groupes qu’il a qualifiés de « réseaux d’élite ». Ces réseaux ont la mainmise sur une série d’activités commerciales comprenant l’exploitation des ressources naturelles, le détournement de recettes fiscales et d’autres opérations productrices de revenus dans les trois zones distinctes, respectivement tenues par le Gouvernement de la République démocratique du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda.

Le Groupe a recensé un certain nombre d’éléments communs à tous les réseaux d’élite, qu’il convient d’étudier pour bien comprendre la nature de l’exploitation à laquelle se livrent ces réseaux en République démocratique du Congo :

• Les réseaux sont composés d’un petit noyau de dirigeants politiques et militaires et d’hommes d’affaires, et, dans les zones occupées, de certains chefs rebelles et administrateurs. Certains membres des réseaux d’élite occupent des postes clefs au sein de leur gouvernement ou de leur groupe rebelle respectif;

• Les membres de ces réseaux agissent en coopération pour produire des revenus et, dans le cas du Rwanda, des profits matériels institutionnels;

• Les réseaux d’élite assurent la viabilité de leurs activités économiques en exerçant un contrôle sur les forces armées et autres forces de sécurité auxquelles ils ont recours pour mener des opérations d’intimidation, menacer de recourir à la violence ou encore commettre des actes de violence;

• Ils monopolisent la production, le commerce et les fonctions fiscales;

• Ils se cachent derrière les administrations rebelles dans les régions occupées pour générer des recettes publiques qu’ils détournent ensuite à leur profit, vidant ainsi les caisses du trésor public;

• Ils détournent les bénéfices financiers en recourant à diverses activités criminelles telles que l’escroquerie et le détournement de fonds « publics », la sous-évaluation des produits, la contrebande, l’établissement de fausses factures, la fraude fiscale, le versement de pots-de-vin à de hauts fonctionnaires et la corruption;

• Ils créent des entreprises commerciales ou des coentreprises qui servent de prête-noms grâce auxquels leurs membres peuvent mener leurs activités commerciales respectives;

• Ils soutiennent leurs activités économiques par le biais de filières et « services » (transports aériens, trafic illicite d’armes, transactions portant sur les ressources naturelles de la République démocratique du Congo ) offerts par des groupes criminels organisés ou transnationaux.

 

III. Zone tenue par le Gouvernement

Le réseau d’élite congolais et zimbabwéen ayant des intérêts politiques, militaires et commerciaux cherche à garder la mainmise sur les principales ressources naturelles – les diamants, le cobalt, le cuivre et le germanium – se trouvant dans la zone tenue par le Gouvernement. Au cours des trois dernières années, ce réseau a transféré des actifs représentant au moins 5 milliards de dollars du secteur minier public à des entreprises privées qu’il contrôle, sans verser aucune indemnité ni prestation au Trésor public de la République démocratique du Congo.

Ce réseau tire profit de l’instabilité qui règne en République démocratique du Congo et que ses représentants au gouvernement de Kinshasa et dans les Forces de défense zimbabwéennes ont entretenue en soutenant des groupes armés opposés au Rwanda et au Burundi.

Même si les initiatives actuellement prises en vue de rétablir la paix aboutissent à un retrait complet des forces zimbabwéennes, ce réseau continuera d’avoir la mainmise sur les gisements les plus riches de la République démocratique du Congo et sur les activités commerciales liées à ces ressources. En août 2002, les représentants de la classe politico-militaire zimbabwéenne ont signé avec le Gouvernement congolais six gros contrats portant sur des opérations commerciales et la prestation de services. Des sources dignes de foi ont signalé au Groupe d’experts qu’il était prévu de créer de nouvelles sociétés de holding pour permettre la poursuite en sous-main de l’exploitation commerciale des ressources de la République démocratique du Congo par les Forces de défense zimbabwéennes et qu’une société militaire privée contrôlée par ces forces devait être détachée dans le pays pour assurer la garde de ces ressources.

Le réseau d’élite

Ce réseau qui opère dans la zone tenue par le Gouvernement compte trois types d’intervenants : des hauts fonctionnaires congolais et zimbabwéens et des hommes d’affaires. Les personnalités les plus en vue de la branche congolaise de ce réseau sont le Ministre de la sécurité nationale, Mwenze Kongolo, qui est également actionnaire et sert d’intermédiaire pour des entreprises d’exploitation de diamants et de cobalt; le Ministre de la présidence et du portefeuille, Augustin Katumba Mwanke, ancien employé de la société minière Bateman en Afrique du Sud et un intermédiaire très influent pour les transactions minières et diplomatiques; le Président de la société diamantifère d’État, Société minière de Bakwanga (MIBA), Jean-Charles Okoto; le Ministre du Plan et ancien Vice-Ministre de la défense, le général Denis Kalume Numbi, actionnaire au sein de la COSLEG et de la Sengamines qui s’adonne au commerce lucratif de diamants; le Directeur général de la Gécamines, Yumba Monga, qui a joué un rôle déterminant pour faciliter plusieurs opérations conjointes de pillage des ressources menées par la société minière d’État et des entreprises privées.

Même s’ils attirent moins l’attention, la branche congolaise compte également des membres actifs, tels que Frédéric Tshineu Kabasele, qui est directeur de trois entreprises créées en participation avec le Zimbabwe utilisant la plate-forme de la COSLEG : la société diamantifère Minerals Business Company, la société forestière SOCEBO et le groupe bancaire congolais First Banking Corporation-Congo; le Directeur de l’Agence nationale de renseignements, Didier Kazadi Nyembwe, qui contrôle un grand nombre d’opérations commerciales privées et qui a été associé par plusieurs sources au trafic d’armes destinées à des groupes d’opposition burundais et aux groupes Maï Maï dans les provinces du Maniema et du Sud-Kivu. La COSLEG, coentreprise contrôlée par le Congo et le Zimbabwe, continue de jouer un rôle important pour faciliter le commerce des diamants, du bois d’oeuvre et les opérations bancaires bénéficiant de l’appui des militaires dans les zones tenues par le Gouvernement. Le Directeur technique de la COSLEG, Mfuni Kazadi, s’est spécialisé dans la négociation de contrats de groupement d’entreprises destinés à servir les intérêts privés de ce réseau d’élite.

Le principal stratège de la branche zimbabwéenne de ce réseau est le Président du Parlement et ancien Ministre de la sécurité nationale, Emmerson Dambudzo Mnangagwa, dont la politique agressive en République démocratique du Congo lui a valu le ferme appui des cadres militaires et des agents des renseignements. Son principal allié, le général Vitalis Musunga Gava Zvinavashe, est commandant des Forces de défense zimbabwéennes et Président exécutif de la COSLEG. Le général et les membres de sa famille ont été impliqués dans le commerce de diamants et la négociation de contrats d’approvisionnement au Congo. Un allié de longue date du Président Mugabe, le général de corps aérien, Perence Shiri, a quant à lui été impliqué dans l’achat de matériel militaire et a participé à l’organisation d’un soutien aérien pour les groupes armés inféodés au pouvoir de Kinshasa, qui combattent dans l’est de la République démocratique du Congo. Il fait également partie du groupe restreint de diamantaires des Forces de défense zimbabwéennes, qui ont fait d’Harare un centre important du commerce illicite des diamants.

D’autres éminentes personnalités zimbabwéennes sont également membres de ce réseau, notamment, le général de brigade Sibusiso Busi Moyo, Directeur général de la COSLEG, ancien conseiller auprès des sociétés Tremalt et Oryx Natural Resources, qui représentaient en sous-main les intérêts financiers de l’armée zimbabwéenne dans les négociations avec les sociétés minières publiques de la République démocratique du Congo. Le général de brigade aérienne, Mike Tichafa Karakadzai, également Vice-Secrétaire de la COSLEG, où il est responsable de la politique générale de l’entreprise, a joué un rôle déterminant en facilitant la conclusion de contrats d’exploitation du cobalt et du cuivre avec la société Tremalt. Le colonel Simpson Sikhulile Nyathi est Directeur du programme de défense de la COSLEG et Sidney Sekeramayi, Ministre de la défense et ancien Ministre de la sécurité, assure la coordination avec les cadres militaires et est actionnaire à la COSLEG. Le Groupe d’experts a reçu copie d’une lettre émanant de M. Sekeramayi, dans laquelle il remerciait le Président-Directeur général de la société Oryx Natural Resources, Thamer Bin Said Ahmed Al-Shankari, du soutien matériel et moral qu’il lui avait apporté lors des élections parlementaires de 2000. Un tel soutien constitue une violation de la loi au Zimbabwe.

En juin 2002, le Groupe d’experts a été informé d’une nouvelle opération secrète d’exploitation de diamants au profit des Forces de défense zimbabwéennes menée à Kalobo dans le Kasaï occidental par la société Dube Associates qui, d’après des documents bancaires, serait liée, par l’intermédiaire du colonel Tshinga Dube, membre du complexe militaire zimbabwéen, à Leonid Minim, trafiquant d’armes et de diamants ukrainien, actuellement accusé de contrebande en Italie. Ces opérations ont été menées dans le plus grand secret.

Parmi les hommes d’affaires qui font partie de ce réseau d’élite, on compte notamment le ressortissant belge, George Forrest, qui est à l’origine des accords d’exploitation en association conclus entre des sociétés privées et la Gécamines. M. Forrest doit son ascension dans ce secteur à ses liens de longue date avec les autorités en place de la République démocratique du Congo. En outre, l’une de ses sociétés fabrique et vend du matériel militaire. Depuis 1994, il est actionnaire à 100 % du groupe New Lachaussée en Belgique, qui est le principal fabriquant de douilles, de grenades, d’armes légères et de lanceurs d’engins. La nomination de M. Forrest à la direction de la Gécamines de novembre 1999 à août 2001 alors que ses sociétés privées négociaient de nouveaux contrats manifestement dans l’intention d’utiliser les avoirs de la Gécamines pour son profit personnel, constituait un conflit d’intérêts flagrant. Durant cette période, il a constitué le portefeuille minier privé le plus diversifié en République démocratique du Congo. M. Forrest bénéficie du ferme soutien de certains milieux politiques en Belgique, où sont établies certaines de ses sociétés. Ces opérations ont suscité de vives critiques (on a évoqué dans un câble diplomatique belge la « stratégie d’usure » dans le secteur minier en République démocratique du Congo adoptée par M. Forrest) et ont récemment été examinées de près par le Sénat belge dans le cadre d’une enquête sur l’exploitation des ressources en République démocratique du Congo.

Les procédés utilisés par M. Forrest ont été repris par deux entrepreneurs soutenus par le Zimbabwe, M. John Arnold Bredenkamp et M. Al-Shanfari. M. Bredenkamp, qui possède une fortune personnelle dépassant 500 millions de dollars, a acquis une solide expérience dans la création de sociétés clandestines et le lancement d’opérations visant à contourner les sanctions. M. Al-Shankari a obtenu un accès privilégié au Gouvernement congolais et dans certaines concessions diamantifères en échange de fonds mobilisés auprès d’entrepreneurs influents de la région du Golfe, comme M. Issa Al Kawari, qui gère la fortune de l’Émir déposé du Qatar. Un criminel déjà condamné résidant en Afrique du Sud, M. Nico Shefer, qui a organisé la formation d’agents zimbabwéens dans le domaine de l’expertise des diamants à Johannesburg, a également collaboré avec les Forces de défense zimbabwéennes. La société Tandan Holdings, qui appartient à M. Shefer, détient une participation de 50 % dans Thorntree Industries, entreprise diamantifère créée en association avec les Forces de défense zimbabwéennes.

Le Zimbabwéen, Billy Rautenbach, a dirigé une coentreprise d’exploitation du cobalt et a été Directeur général de la Gécamines de novembre 1998 à mars 2000. Bien qu’il ait perdu ses concessions de cobalt au Katanga, M. Rautenbach a signalé au Groupe d’experts que le Gouvernement congolais avait offert les droits d’exploitation de sa société, Ridgepointe International, à la Gécamines qui détient des concessions dans le centre minier de Shinkolobwe où se trouvent d’importants gisements d’uranium, de cuivre et de cobalt. Ses représentants ont indiqué que tout nouveau contrat qui serait conclu devrait être conforme au nouveau code minier de la République démocratique du Congo et que l’Agence internationale de l’énergie atomique pourrait inspecter tous les sites d’extraction de l’uranium.

L’exploitation de minéraux à une telle échelle serait impossible sans la collusion de fonctionnaires haut placés qui délivrent des licences d’exploitation et des permis d’exportation en échange de profits personnels. Le Groupe d’experts a réuni un grand nombre de documents concernant ces pratiques. Ainsi, la société canadienne, First Quantum Minerals (FQM), qui souhaitait acquérir des droits sur les résidus des mines de Kolwezi, a offert à l’État un versement initial de 100 millions de dollars, ainsi que des paiements en espèces et des actions tenues en dépôt pour le compte de hauts fonctionnaires. D’après les documents dont disposait le Groupe d’experts, le Ministre de la sécurité nationale, Mwenze Kongolo, le Directeur de l’Agence nationale de renseignements, Didier Kazadi Nyembwe, le Directeur général de la Gécamines, le général Yumba Monga et l’ancien Ministre d’État à la présidence, Jean-Pierre Mpoyo, figuraient sur la liste des personnes ayant reçu ces faveurs. L’offre d’actions misait sur le fait que ces actions monteraient en flèche une fois qu’il serait annoncé que la société détenait quelques-unes des plus riches concessions minières de la République démocratique du Congo.

Le Groupe d’experts possède des documents indiquant que trois « clans » d’origine libanaise qui exploitaient des entreprises autorisées à faire le commerce de diamants à Anvers ont acheté, en 2001, des diamants en provenance de la République démocratique du Congo d’une valeur de 150 millions de dollars, en passant directement par Kinshasa ou par des comptoirs établis en République démocratique du Congo. Ces trois clans – Ahmad, Nassour et Khanafer – sont des organisations criminelles distinctes qui opèrent à l’échelle internationale. Leurs activités, qui comportent notamment la contrefaçon, le blanchiment d’argent et la contrebande de diamants, sont bien connues des services de renseignements et de police. Selon plusieurs sources crédibles, ces clans entretiennent également des liens avec le groupe Amal et le Hezbollah. Certaines sociétés qui leur sont associées sont Sierra Gem Diamonds, Asa Diam, Triple A Diamond et Echogen. Un groupe lié à ces clans fournit des faux dollars à d’anciens généraux de l’ère du Président Mobutu, qui tentent de renverser le Gouvernement de la République démocratique du Congo.

Stratégies et sources de revenus

Le Groupe d’experts a établi que le réseau d’élite recourait à cinq stratégies pour se procurer des revenus par l’intermédiaire des sociétés minières extrayant des diamants, du cuivre et du cobalt et coordonnait les opérations de ses branches politique, militaire et commerciale de manière à se procurer un maximum de revenus.

Spoliation des sociétés minières publiques

Les coentreprises créées par les sociétés privées du réseau d’élite s’accaparent actuellement des ressources minières les plus riches et les plus aisément exploitables de la République démocratique du Congo. Le détournement ainsi réalisé, qui s’effectue sous le couvert de contrats secrets et par l’intermédiaire de sociétés privées offshore, s’établit à plusieurs milliards de dollars, dont une trentaine d’hommes d’affaires, d’hommes politiques et d’officiers sont les principaux bénéficiaires. Le réseau d’élite tente de légitimer ces vols et de commercialiser les ressources détournées pour légitimer les sociétés minières internationales.

Le Groupe d’experts dispose désormais de documents prouvant que la société Oryx Natural Resources de M. Al-Shanfari sert de couverture aux ZDF et à leur société militaire, OSLEG. Sengamines prétend posséder, juste au sud de Mbuji Mayi, une concession de 800 kilomètres carrés qui faisait initialement partie de la concession d’une société publique, la Société minière publique de Bakwanga (MIBA). À en croire ses responsables, ses concessions contiendraient des réserves diamantifères qui, si elles étaient pleinement exploitées, rapporteraient au moins 2 milliards de dollars.

Sengamines a prétendu qu’elle avait modifié la composition de son capital après avoir échoué à se faire coter à la bourse de Londres en juin 2000 et que celui-ci était désormais détenu à hauteur de 49 % par la société Oryx Natural Resources, de 35 % par COMIEX-Congo et de 16 % par la MIBA. Comme le Groupe d’experts en a été informé, cette modification n’a jamais eu lieu. Ce n’était qu’un artifice destiné à occulter les liens étroits qui unissent Sengamines aux ZDF et abuser les investisseurs internationaux. Les 49 % du capital de Sengamines dont Oryx prétend officiellement être le détenteur sont en fait la propriété d’Osleg et donc des ZDF. C’est lors d’une réunion tenue le 1er août 2000 qu’OSLEG a décidé qu’Oryx serait le détenteur officiel de cette part de capital. Le capital restant est détenu à hauteur de 35 % par la société Comiex-Congo et de 16 % par la MIBA.

La société Tremalt Ltd., qui est représentée par M. Bredenkamp, est propriétaire, pour une période de 25 ans, des droits d’exploitation de six concessions de Gécamines, qui contiennent plus de 2,7 millions de tonnes de cuivre et 325 000 tonnes de cobalt. Elle n’a versé que 400 000 dollars au Gouvernement de la République démocratique du Congo pour acquérir ces droits, alors que la valeur estimative des six concessions est supérieure à 1 milliard de dollars. La gestion des concessions a été confiée à la société minière Kababankola, dont la Tremalt détient 80 % des parts et Gécamines 20 %. Le Groupe d’experts a été informé que Gécamines ne tirait aucun bénéfice financier direct de sa participation. Bien que les représentants de Tremalt aient déclaré au Groupe d’experts qu’ils avaient investi 15 millions de dollars à ce jour, rien ne prouve que d’importants investissements aient été faits dans les concessions ni que Gécamines se soit vu remettre un calendrier d’investissements sous la forme d’un plan d’opération.

À l’instar d’Oryx, la Tremalt maintient que ses opérations n’ont aucun lien avec ZDF ni avec le Gouvernement zimbabwéen mais le Groupe d’experts a obtenu un exemplaire d’un accord confidentiel d’intéressement en vertu duquel la Tremalt conserve 32 % des bénéfices nets, dont elle s’engage à verser 34 % à la République démocratique du Congo et 34 autres pour cent au Zimbabwe. Cet accord d’intéressement a fait l’objet d’un mémorandum confidentiel que le Ministre de la défense Sekeramayi a adressé au Président Mugabe en août 2002. Par ailleurs, la Tremalt fournit à la République démocratique du Congo et aux militaires congolais et zimbabwéens autant de véhicules motorisés, de camions, de cars et de liquidités que nécessaire, le coût en étant déduit de la part des bénéfices des deux pays. La Tremalt et les ZDF ont créé une instance qui est chargée de planifier leur stratégie en République démocratique du Congo et de « veiller aux intérêts des Zimbabwéens ». Les principaux membres de cette instance, qui se réunit tous les mois, sont le général Zvinavashe, le général de brigade Moyo, le général de brigade aérienne Karakadzai, M. Bredenkamp, le Directeur général de la KMC, Colin Blythe-Wood, et le Directeur de la KMC, Gary Webster.

Des responsables de Gécamines ont déclaré au Groupe d’experts que le Ministre de la sécurité nationale de la République démocratique du Congo, Mwenge Kongolo, avait fait pression sur leurs négociateurs pour qu’ils acceptent le contrat de coentreprise, en dépit des incidences négatives qu’il aurait sur les finances de la société. Les propriétaires et bénéficiaires véritables de Tremalt se cachent derrière un écran de sociétés d’investissement et de sociétés holding privées enregistrées aux îles Vierges britanniques et à l’île de Man, dont le Groupe d’experts n’a pas été autorisé à consulter directement le fichier.

Contrôle des marchés et de la comptabilité

Le contrôle de gestion joue un rôle essentiel dans la stratégie que le réseau d’élite met en oeuvre pour retirer le maximum de revenus des coentreprises qu’il a créées. Une bonne partie des revenus ne figure sur les bilans que sous forme de contrats de sous-traitance et d’arrangements en matière d’achat avec des sociétés et des personnes liées au réseau dont le montant est surévalué. Les deux plus grandes coentreprises créées par le Zimbabwe et la République démocratique du Congo, à savoir Sengamines et KMC, déclarent des pertes colossales.

L’entreprise générale Malta Forrest
et le Groupe George Forrest

Le Groupe George Forrest (GGF), qui est associé au Groupe OM installé aux États-Unis, gère actuellement l’une des opérations minières de la République démocratique du Congo les plus profitables, opération dont la société minière publique, Gécamines, ne retire qu’un bénéfice minime. Dans son cadre, les Scories du Terril de Lubumbashi (STL)
– société également connue sous le nom de Big Hill Project –, M. Forrest et le Groupe OM ont fait en sorte d’accéder à des stocks de cuivre et de cobalt contenant plus de 3 000 tonnes de germanium, métal rare que l’on utilise pour fabriquer des fibres optiques, des lentilles infrarouges et des satellites de télécommunication. Ces stocks, qui appartenaient auparavant à Gécamines, ont actuellement sur le marché une valeur de plus de 2 milliards de dollars. Bien que le capital des Scories du Terril de Lubumbashi se répartisse entre le Groupe OM (55 %), le Groupe George Forrest (25 %) et Gécamines (20 %), il est expressément prévu que celle-ci ne perçoive aucun des revenus tirés du traitement du germanium.

Les responsables de Gécamines se plaignent que le Groupe OM et le Groupe George Forrest aient délibérément ignoré le plan technique convenu pour STL, qui prévoyait la construction de deux raffineries électriques et d’un transformateur à proximité des stocks de cuivre et de cobalt et qui impliquait que la totalité du germanium soit extraite en République démocratique du Congo et que Gécamines perçoive une part des revenus. Au lieu de cela, le minerai est expédié à demi-traité à l’usine du Groupe OM en Finlande, où le germanium est extrait. L’ancien Président de Gécamines, M. Forrest, dont les entreprises de construction ont construit les installations de STL, a refusé d’intercéder en faveur de l’entreprise publique. Gécamines a rejeté une offre du Groupe OM tendant à ce qu’il lui reverse 5 % seulement des revenus tirés du traitement du germanium en Finlande.

Selon plusieurs sources fiables, M. Forrest s’est servi de sa position dans le réseau d’élite pour s’assurer le contrôle du secteur minier en République démocratique du Congo. À titre d’exemple, la société canadienne Kinross Gold a tenté d’investir jusqu’à 1 milliard de dollars dans des opérations d’extraction de cuivre et de cobalt mais en a été empêchée par des interventions de M. Forrest et de hauts fonctionnaires de la République démocratique du Congo. Cette société a mené à nouveau des activités en République démocratique du Congo à la fin 2001 mais en tant que filiale de la société Kinross-Forrest Ltd., qui est enregistrée dans les îles Vierges britanniques. De même, après qu’une petite société basée en Belgique, Madsa, eut obtenu de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel une subvention de 20 millions de dollars au titre du développement pour construire des installations permettant de traiter les minerais (à savoir un haut fourneau, une usine de fabrication d’acides et une cimenterie), M. Forrest et ses associés se sont opposés au projet, en partie, semble-t-il, parce que cela aurait réduit les profits qu’ils retirent de la passation de marchés surévalués.

Tremalt Ltd (John Bredenkamp)

Le fait que Tremalt détienne 80 % du capital de KMC lui permet de contrôler étroitement la gestion de cette société au jour le jour et d’influer de manière décisive sur ses stratégies d’exploitation à long terme. Par ailleurs, Tremalt achète pour le compte des ZDF et des Forces armées congolaises (FAC) du matériel dont il déduit le coût de la part des revenus de la KMC qui leur revient. Bien que la société Ridgepointe International, dirigée par M. Rautenbach, l’investisseur étranger qui a naguère financé les concessions de Kababankola, ait dû se servir d’installations de traitement particulièrement délabrées pour mener ses activités, elle a dégagé plus de 20 millions de dollars de bénéfices depuis qu’elle exploite la concession, c’est-à-dire 18 mois. Pour les analystes industriels, les pertes de plus de 13 millions de dollars que Tremalt prétend avoir essuyées de février 2001 à juillet 2002 ne sont pas vraisemblables.

Vols organisés

Des soldats des FAC et des ZDF qui sont chargés d’assurer la sécurité des principaux établissements des coentreprises sont impliqués dans des détournements importants de produits miniers et facilitent ces détournements. Le Groupe d’experts a été informé par des sources fiables que les directeurs de plusieurs établissements, qui bénéficient pour cela de l’appui de membres du réseau d’élite, sont complices de ces vols.

La Société minière de Bakwanga, entreprise publique d’extraction de diamants, est pillée par sa hiérarchie, qui ferme les yeux sur les très nombreux vols commis par des personnes ayant accès à ses installations. Trois réseaux de vols sont à l’oeuvre à l’intérieur des installations de la MIBA, qui sont connues sous le nom de « polygone ». Le premier de ces réseaux a été créé et est dirigé par 48 soldats zimbabwéens, qui sont en poste à cinq endroits différents du vaste site de la mine. Ces soldats autorisent certains groupes de personnes à entrer à l’intérieur du « polygone » pour y subtiliser des diamants, en échange d’argent et de diamants.

Le deuxième réseau de vol est dirigé par la brigade minière, qui est chargée de garder la mine. Son commandant, M. Mushitu, l’a réintégrée après en avoir été renvoyé pour vol. En échange de sa protection, il reçoit des sacs de gravier riche en diamants. Les mineurs sont d’ailleurs souvent exposés aux coups de feu que la Brigade minière et les Zimbabwéens échangent dans la lutte qu’ils se livrent pour avoir le monopole du vol des diamants.

Les pertes imputées à ces deux premiers réseaux sont probablement modestes si on les compare à celles que l’on impute au troisième, qui regroupe des cadres supérieurs de la MIBA et opère dans les installations de nettoyage, de tri et de classement. Les vols portent sur les gemmes et les produits miniers proches de l’état de gemme, dont 3 à 4 % sont à l’origine de 50 % des revenus. Le manque à gagner dû à ces vols a été estimé à environ 25 % du montant total des revenus, soit en gros 25 millions de dollars par an. Sous la pression de ses créanciers, la MIBA a été contrainte de faire appel aux services d’une société de sécurité privée, la société Overseas Security Services, qui a établi qu’un syndicat du crime opérait dans les locaux réservés au classement.

Sociétés écrans

Certains membres du réseau d’élite se trouvant à la tête de coentreprises sont impliqués dans la contrebande de métaux précieux et de gemmes, le trafic d’armes, les opérations illégales sur devises et le blanchiment d’argent. Le Groupe d’experts dispose de très nombreux documents et témoignages de première main expliquant la manière dont ils mènent leurs activités.

Sengamines complète ses revenus en blanchissant des diamants de contrebande en provenance d’Angola et de Sierra Leone. Elle sort aussi clandestinement ses propres diamants de la République démocratique du Congo et le Groupe d’experts a appris par certaines entités à quels moments et en quels lieux des opérations de contrebande ont été menées et qui y a été mêlé. Ainsi, en mars 2001, M. Al-Shanfari a donné pour instructions à son chef de la sécurité de faire parvenir clandestinement des diamants de la concession à Johannesburg (Afrique du Sud) et de les faire remettre au Président-Directeur général de la société Serengeti Diamonds, Ken Roberts.

Sengamines sert aussi à couvrir des opérations illégales sur devises, se servant de plusieurs itinéraires pour faire entrer les devises en République démocratique du Congo et les en faire sortir. Cela l’amène la plupart du temps, dans le deuxième cas, à enfreindre la législation nationale relative aux devises et à procéder à des arbitrages en vue de tirer un bénéfice de la différence entre les cours du dollar des États-Unis et du franc congolais à Kinshasa et dans l’est de la République démocratique du Congo. Ainsi, le 13 mars 2000, à Kinshasa, les responsables d’Oryx ont chargé à bord d’un avion appartenant à M. Bredenkamp huit caisses de billets en francs congolais qu’ils expédiaient à Harare. De même, le Groupe d’experts est en possession de documents confirmant les informations selon lesquelles un employé d’Oryx transportait régulièrement à l’insu des autorités congolaises, à Kinshasa dans un premier temps puis à Harare et dans l’est de la République démocratique du Congo une fois qu’ils avaient été convertis en francs congolais, des paquets de billets de dollars des États-Unis (500 000 dollars à la fois) dont le montant était débité sur le compte d’Oryx à la Hambros Bank de Londres. Les employés d’Oryx ont déclaré qu’il leur avait été demandé de verser à M. Mnangagwa une commission sur ces opérations, qui sont contraires à la législation zimbabwéenne. Bien que les représentants de M. Bredenkamp aient déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne faisaient pas affaire avec M. Al-Shanfari, le Groupe d’experts a reçu un document, daté de janvier 2001 et signé conjointement par M. Bredenkamp et M. Al-Shanfari, prouvant qu’un prêt de 1,5 million de dollars avait été consenti par la société Python Services Ltd à Oryx Natural Resources.

Les recettes tirées des activités minières et l’armée

La passation de contrats d’achat de matériel militaire et de services est une source majeure de revenus pour le réseau d’élite. Plusieurs coentreprises minières ont des liens étroits avec les fournisseurs de fournitures militaires, qui facilitent leurs opérations en République démocratique du Congo. Le Groupe d’experts dispose d’informations selon lesquelles des revenus tirés des diamants ont servi à régler les achats d’armes des FAC et servi indirectement à financer la contribution du Gouvernement de la République démocratique du Congo au traitement des ZDF. Il a reçu un document établissant que le général de brigade François Olenga avait demandé un transfert de fonds de la MIBA pour acheter des armes destinées aux FAC.

Oryx Natural Resources travaille en étroite collaboration avec Avient Air, une société militaire fournissant des services et du matériel aux ZDF et aux FAC. En avril 2002, Avient Air a fait office d’intermédiaire dans la vente de six hélicoptères de combat au Gouvernement de Kinshasa. Des relevés bancaires prouvent qu’elle a effectué plusieurs transactions avec Leonid Minim, qui est accusé de se livrer à des trafics. Sous la direction de Andrew Smith, un ancien capitaine de l’armée britannique, de Gerry O’Brien et de Lewis Kling, Avient Air a signé des contrats aux termes desquels elle a organisé des bombardements aériens dans l’est de la République démocratique du Congo en 1999 et en 2000. Elle a aussi organisé la logistique et le transport du matériel minier de Sengamines, son statut de fournisseur de matériel militaire travaillant avec les ZDF lui ayant permis d’obtenir le feu vert des services de sécurité. Le Groupe d’experts est en possession du relevé d’un versement de 35 000 dollars qu’Oryx a effectué en septembre 2001 en faveur d’Avient Ltd., société soeur d’Avient Air basée au Royaume-Uni, par prélèvement sur son compte auprès de la Banque belgolaise.

John Bredenkamp, qui est connu pour passer des marchés militaires clandestins, a investi des fonds dans la société Aviation Consultancy Services (ACS). Le Groupe d’experts est parvenu à savoir, indépendamment de M. Bredenkamp, que cette société représentait British Aerospace, la société française Dornier et la société italienne Agusta en Afrique. Loin d’investir passivement dans ACS comme le prétendent les représentants de Tremalt, M.Bredenkamp s’emploie activement à faire des affaires en se servant des relations qu’il a établies avec des hommes politiques de haut niveau. Lors d’entretiens avec de hauts fonctionnaires, il s’est proposé de servir d’intermédiaire dans la vente à la République démocratique du Congo de matériel militaire fabriqué par British Aerospace. Les représentants de M. Bredenkamp ont prétendu que les sociétés qu’il a créées observent les sanctions décrétées par l’Union européenne à l’encontre du Zimbabwe mais c’est en infraction à ces sanctions qu’elles ont livré aux ZDF au début de 2002 des pièces de rechange d’avions Hawk fabriquées par British Aerospace. M. Bredenkamp dirige également les entreprises Raceview, qui assurent la logistique des ZDF. Le Groupe d’experts a obtenu un exemplaire des factures datées du 6 juillet 2001 que les entreprises Raceview ont adressées aux ZDF après leur avoir livré pour 3,5 millions de dollars de toile de camouflage, de batteries, de carburant et de lubrifiants, de bottes et de rations. Il est également en possession d’exemplaires de factures d’un montant total de 3 millions de dollars, relatives à l’achat de pièces de rechange d’avion pour le compte de l’Armée de l’air zimbabwéenne.

Étude d’une filière de vente de diamants

La Minerals Business Company (MBC), qui a été créée conjointement par la République démocratique du Congo et le Zimbabwe, est la cheville ouvrière du Zimbabwe dans le lucratif commerce des diamants de la République démocratique du Congo. Elle achète et commercialise les produits de Sengamines, coentreprise du Zimbabwe et de la République démocratique du Congo, qui tente de dissimuler ses liens avec les ZDF. La MBC se sert de l’influence militaire et politique exercée par le Zimbabwe pour se soustraire aux lois de la République démocratique du Congo et éviter de s’acquitter de droits de licence onéreux. Le refus de la MBC d’honorer ses obligations envers le trésor public lui a valu de faire l’objet de plaintes officielles du Ministère des mines, qui exige qu’elle se conforme aux lois de la République démocratique du Congo. Les représentants de la MBC affirment que les entités zimbabwéennes ne sont pas tenues de respecter ces lois.

La MBC autorise un nombre limité d’autres compagnies exploitant des diamants à tirer profit du statut privilégié dont elle jouit à Kinshasa. La société Sandrian Mining, qui est basée dans cette ville, a des relations d’affaires avec la MBC. Thorntree Industries, coentreprise créée par le groupe Tandan de Nico Shefer, basé en Afrique du Sud, et par les ZDF, entretient aussi des relations d’affaires avec elle. Il en va de même pour la société Mixen Trading, qui a ouvert des bureaux au Zimbabwe. La MBC fait affaire avec la société Flashes of Color, basée aux États-Unis, la société suisse Ibryn & Associates et les sociétés belges Jewel Impex, Komal Gems et Diagem. L’un de ses partenaires commerciaux les plus importants est la société Abadiam, basée en Belgique, qui lui achète des diamants, comme elle en achète directement à la Sengamines. Le Groupe d’experts est en possession de relevés bancaires en date de septembre 2001 établissant qu’Oryx Natural Resources a fait virer plus d’un million de dollars sur le compte belge de la société Abadiam.

Effondrement du secteur public, conflit armé et ses conséquences humanitaires

Kasaï oriental et Kasaï occidental

Le détournement de fonds d’entreprises publiques et du trésor public, frauduleusement ou au nom de l’effort de guerre, a contribué à réduire à zéro les fonds disponibles pour les services publics. Le secteur public dans les deux provinces du Kasaï a effectivement disparu. Sur les cinq installations de production d’eau du Kasaï oriental, quatre ne fonctionnent plus et la cinquième, dans la ville de Mbuji Mayi, tourne à moins de 20 % de sa capacité. Dans le Kasaï occidental, cinq des six installations qui existaient ne fonctionnement plus, tandis que la sixième, à Kananga, tourne dans le meilleur des cas à 10 % de sa capacité.

Les responsables gouvernementaux imputent la baisse catastrophique des dépenses publiques à la guerre. La plupart des soldats ne sont pas payés et se transforment en prédateurs qui subviennent à leurs besoins par le vol et le pillage et vivent aux dépens de la population qu’ils sont censés protéger, tandis que les autorités provinciales ne font rien pour les décourager. Les impôts et les droits de licence ont cependant augmenté, de même que l’acquisition forcée des ressources d’entreprises publiques au nom de l’effort de guerre. Le Gouvernement a donc profité de l’état de guerre en s’en servant comme prétexte, non seulement pour justifier l’augmentation des taxes qu’il perçoit auprès de la population pour accroître les recettes de l’État, mais également pour justifier la diminution des dépenses publiques. L’insécurité dans la zone contrôlée par le Gouvernement n’est qu’une conséquence mineure du soutien apporté à l’armée en guerre. Elle est plutôt une conséquence de la volonté délibérée d’ignorer les soldats qui, de ce fait, tournent leurs armes contre la population.

Le prétexte de la guerre, l’augmentation des taxes perçues par le Gouvernement, le non-paiement des salaires et l’absence de services gouvernementaux se sont conjugués pour accélérer l’effondrement de l’économie urbaine à Mbuji Mayi, Kananga et, à un moindre degré, Lubumbashi. Les banques n’accordent plus de crédit dans les provinces du Kasaï. L’absence de crédit local et le déclin des transports par la route ont forcé la plupart des industries locales de Kananga à fermer.

Katanga

Lubumbashi, et de manière générale tout le sud du Katanga, sont touchés par la présence du Rwanda dans le nord. L’occupation par l’Armée patriotique rwandaise (APR) des riches plaines agricoles du nord du Katanga, aux alentours de Nyunzu et de Kongolo, a coupé le sud d’une région qui était dans le temps le grenier du Katanga.

Une étude effectuée récemment par Médecins sans frontières à Kilwa, ville représentative du sud du Katanga, située au sud de la ligne de front et comptant 350 000 habitants, a révélé que le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans s’établissait à 3,2 pour 10 000 par jour. Ceci signifie qu’au cours d’une année, 12 % des enfants de moins de 5 ans meurent, et qu’un enfant sur quatre meurt dans l’espace de deux ans. Il est intéressant de noter que le taux de mortalité imputable à  la violence est pratiquement nul (0,6 %). La mortalité est due à des maladies – paludisme et dysenterie – qui sont étroitement liées à la malnutrition et à l’absence de services sanitaires.

Le paludisme et la dysenterie peuvent être traités. Des organisations internationales – Organisation internationale de perspective mondiale et Médecins sans frontières, en l’occurrence – essaient d’intervenir là où les services gouvernementaux ne fonctionnent plus. Toutefois, l’augmentation des taux de mortalité dans les zones contrôlées par le Gouvernement autour d’Ankoro, de Kilwa, de Dubie et de Lwanza, en particulier là où il n’y a pas de services sanitaires et où le personnel médical de l’État n’est pas payé, atteste le peu d’intérêt que le Gouvernement accorde à la région. Les taux élevés de malnutrition et de mortalité sont une mesure de ce manque d’intérêt et la conséquence, en partie, du détournement des ressources de sociétés publiques comme Gécamines au profit de comptes privés appartenant à des Zimbabwéens, des Congolais et d’autres intérêts privés.

 

IV. Zone contrôlée par le Rwanda

Le Rwanda a justifié la présence continue de ses forces armées par des raisons de sécurité alors que leur objectif réel à long terme consiste, pour reprendre les termes employés par le Bureau Congo de l’APR, à « se procurer des biens ». Les dirigeants rwandais ont réussi à convaincre la communauté internationale que leur présence militaire dans l’est de la République démocratique du Congo a pour objet de protéger le pays contre des groupes hostiles qui se trouvent en République démocratique du Congo et qui, selon eux, se préparent activement à envahir le Rwanda.

Le Groupe d’experts a de nombreuses preuves du contraire. Il détient par exemple une lettre datée du 26 mai 2000, dans laquelle Jean-Pierre Ondekane, Premier Vice-Président et chef du Haut Commandement militaire pour le RCD-Goma, engage toutes les unités de l’armée à entretenir de bonnes relations « avec nos frères » les Interahamwe et Maï Maï, et « les laisser au besoin exploiter le sous-sol pour leur survie ».

Des membres importants d’un groupe congolais hutu, Benemugabohumwe, ont récemment commencé à encourager les Hutus qui vivent dans la République démocratique du Congo et dont certains font partie de groupes d’opposition, à oeuvrer plutôt pour la cause du Rwanda en République démocratique du Congo. Eugène Serufuli, Gouverneur de la province du Nord-Kivu appartenant au RCD-Goma et apparemment lui-même Hutu, a donné son appui à une ONG, Tous pour la paix et la démocratie (TPD), pour encourager les Hutus de tous bords à se rallier aux Rwandais. Leur objectif, tel qu’il était décrit dans une circulaire datée du 16 avril 2002, publiée dans le Nord Kivu Reveil, était de « prêter son allégeance au Rwanda en s’associant à ses efforts pour contrôler l’est de la République démocratique du Congo.

Un combattant interahamwe âgé de 30 ans vivant dans la région de Bukavu a décrit la situation comme suit lors d’une entrevue enregistrée avec un représentant de l’ONU au début de 2002.

« Nous ne nous sommes pas beaucoup battus avec l’APR au cours des deux dernières années. Nous pensons qu’ils sont fatigués de cette guerre, comme nous. De toute façon, ils ne sont pas au Congo pour nous chasser, comme ils le prétendent. Je les ai vu exploiter les mines d’or et de coltan ici; nous voyons comment ils volent la population. C’est pour cette raison qu’ils sont ici. Les soldats de l’APR viennent et tirent en l’air, et pillent les maisons des villageois, mais ils ne nous attaquent plus. Si vous avez de la chance et avez un grand frère dans l’APR, il arrivera peut-être à vous trouver quelques provisions et des munitions. »

Sur la base de son analyse de nombreux documents et témoignages oraux, le Groupe d’experts estime que la présence du Rwanda dans le République démocratique du Congo a pour but d’accroître le nombre de Rwandais qui se trouvent dans l’est du pays et d’encourager ceux qui y sont déjà installés à conjuguer leurs efforts pour aider le Rwanda à exercer son contrôle économique. Le départ récent des troupes rwandaises ne devrait pas être interprété comme un signe de la volonté du Rwanda de réduire sa participation considérable à l’opération d’évacuation de ressources précieuses, de réduire l’intensité du conflit armé ou de réduire la crise humanitaire dans la région. L’exploitation économique sous ses diverses formes continuera, mais en s’appuyant sur une force armée moins visible et en ayant recours à d’autres stratégies.

Le réseau d’élite

Les opérations du réseau d’élite dans l’est de la République démocratique du Congo sont gérées centralement par le Bureau Congo de l’APR, qui assure la liaison entre les activités commerciales et militaires de l’APR. Le Groupe a décrit cette fonction en détail dans ses rapports précédents. Il continue à recevoir des documents sur la façon dont la présence armée est financée par l’aile commerciale de l’APR. À titre d’exemple, il a récemment obtenu des documents faisant apparaître des ventes de coltan négociées par des responsables du Bureau Congo de l’APR. Le Groupe a des copies de fax envoyées par le bureau du major Dan Munyuza de l’APR pour le compte de la société minière de Maniema et d’un autre fax envoyé par le bureau du chef d’état-major de l’APR, le général James Kaberebe.

Si les recettes et les dépenses du Bureau Congo de l’APR sont considérables, elles sont inscrites à un compte strictement distinct du budget national du Rwanda. Selon une source fiable associée à ce bureau, les recettes de ce dernier ont servi à financer 80 % des dépenses totales de l’Armée patriotique rwandaise en 1999. Dans le budget officiel du Rwanda pour 1999, un montant de 80 millions de dollars était alloué à l’armée. Si cette allocation officielle budgétaire de 80 millions de dollars représente les 20 % des dépenses militaires qui, selon la source du Groupe d’experts, ne sont pas financées par le Bureau Congo, le budget militaire total, toutes sources de financement confondues, serait de l’ordre de 400 millions de dollars. Ce montant représente 20 % du PNB pour 1999 et environ 150 % des dépenses budgétaires courantes pour cette année. La contribution du Bureau Congo aux dépenses militaires du Rwanda aurait donc été de l’ordre de 320 millions de dollars. Les activités financées par les recettes provenant du Bureau Congo définissent dans une large mesure la politique étrangère du Rwanda et influent directement sur la prise des décisions nationales dans de nombreux domaines. Mais les transactions à l’origine de ces recettes sont toutefois opérées à l’abri du regard des organisations internationales.

Le réseau d’élite entretient d’étroites relations commerciales avec les réseaux criminels transnationaux, y compris ceux de Victor Bout, Sanjivan Ruprah et Richard Muamba Nozi. Les avions de Victor Bout sont utilisés à diverses fins, y compris le transport de coltan et de cassitérite, le transport de fournitures à destination de mines et le transport de soldats et de matériel militaire. Au cours de la dernière grande campagne militaire à Pweto, en République démocratique du Congo, des avions de Victor Bout ont été utilisés pour acheminer des membres de l’Armée patriotique rwandaise dans la région.

Sanjivan Ruprah collabore fréquemment avec l’organisation criminelle de Victor Bout, mais il est également associé indépendamment au Bureau Congo à Kigali. Le 7 février 2002, il a été arrêté en Belgique où il était soupçonné de se préparer à fournir 6 millions de billets de nouveaux zaïres –  qui sont toujours valides dans l’est de la République démocratique du Congo – au RCD-Goma, le financement de l’opération étant assuré par des trafiquants de diamant basés en Belgique. Le Président du RCD-Goma, Adolphe Onusumba, qui a des liens de famille et entretient des relations commerciales avec Sanjivan Ruprah, a joué un rôle clef dans cette opération de faux. Un autre groupe qui fabrique de la fausse monnaie, celui de Muamba Nozi, fournit également des faux francs congolais au RCD-Goma. Sa base d’opérations régionale se trouve à Nairobi, où les faux billets sont imprimés en vue d’être distribués en grandes quantités dans l’est de la République démocratique du Congo. Des responsables de la Banque centrale de Kinshasa ont déclaré au Groupe d’experts que les activités de faux de Muamba Nozi ont des motifs politiques et visent à délibérément déstabiliser le régime actuel en affaiblissant la monnaie.

Stratégies et sources de revenus

Colombotantalite (coltan)

Le monopole que la Société minière des Grands Lacs (SOMIGL) exerçait sur la colombotantalite a pris fin en avril 2001, non pas tant à cause de la chute du prix du coltan que du fait que le Rwanda était déterminé à s’emparer d’une part plus importante des recettes qui étaient prélevées sous la forme d’impôts par l’administration rebelle du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma). La fin du contrat avec la SOMIGL a permis à l’Armée patriotique rwandaise (APR) de déjouer les tentatives du RCD-Goma de prélever des impôts pour servir ses propres intérêts.

La plus grande partie de la colombotantalite exportée de l’est de la République démocratique du Congo (pas moins de 60 à 70 %), est extraite sous la surveillance directe des superviseurs de l’APR préposés aux activités minières et évacuée directement vers Kigali ou Cyangugu par avion, à partir des aérodromes proches des mines. Aucune taxe n’est versée. Des avions militaires rwandais, des avions de Victor Bout et de petites compagnies aériennes sont utilisés pour transporter le coltan. L’APR maintient son contrôle sur la plupart des mines de colombotantalite où les gisements sont importants, où la teneur en tantale est élevée et où les aérodromes locaux sont accessibles. Dans les sites d’extraction qui sont gérés par les superviseurs de l’APR, divers régimes de travail forcé coexistent, pour l’extraction, pour le transport et pour les tâches domestiques. Selon de nombreuses sources, il serait largement fait appel à des prisonniers importés du Rwanda, qui travaillent comme main-d’oeuvre sous contrat.

Une plus petite part – peut-être 15 à 25 % du volume total des exportations de colombotantalite – est achetée par les comptoirs qui appartiennent à des Rwandais auprès de « négociants » locaux dans des mines éloignées ou d’agents de groupes locaux de défense. Plus généralement, ces comptoirs, qui appartiennent à des officiers de l’Armée rwandaise ou aux proches du Gouvernement rwandais, comme le comptoir MHI, Eagle Wings ou Rwanda Metals SARL, ont leurs propres sites d’extraction et recrutent leurs propres travailleurs qu’ils soumettent à des conditions très difficiles.

La plus petite part de colombotantalite est achetée par les rares comptoirs congolais qui existent encore dans l’une des nombreuses mines situées dans des régions éloignées. La plupart des comptoirs congolais n’arrivent pas à concurrencer les comptoirs tenus par l’APR ou le Rwanda.

Les bénéfices que le Bureau Congo retire de l’exploitation minière ayant augmenté, la part du RCD-Goma a diminué. Le Bureau Congo prive continuellement son partenaire plus jeune, le RCD-Goma, de toute part substantielle des ressources et des avantages, et le RCD-Goma ne cesse de se plaindre. Les administrateurs du RCD-Goma ont souvent souligné le fait qu’ils n’étaient pas en mesure de gérer leur armée s’ils ne disposaient pas de ressources suffisantes. Faute d’assistance financière, les brigades de l’Armée nationale congolaise (ANC) se sont mises à piller les villages dans tout l’est de la République démocratique du Congo (République démocratique du Congo). La troisième brigade a volé un grand nombre de têtes de bétail aux alentours de Kalémié et la première brigade a pris des diamants à Opala. Le Groupe d’experts possède de nombreux documents sur ces activités. La plupart de ces forces rebelles sont sous le commandement des bureaux de l’APR. Quand l’ordre leur est donné de le faire, elles n’hésitent guère à attaquer des groupes locaux d’autodéfense qui font obstacle à leurs transactions, à éliminer certains ennemis, à assurer la sécurité des zones riches en or, colombotantalite et diamants, à fournir des services de police dans les zones urbaines et, parfois, à maintenir une force sur les lignes de front. Puisque leurs hommes ne sont ni payés ni soumis à une quelconque discipline, ils se servent de leurs armes pour s’attaquer à la population, souvent en brûlant des villages entiers pour obtenir des biens et de la nourriture.

Étude de cas d’une chaîne commerciale concernant la colombotantalite

Le comptoir de colombotantalite Eagle Wings Resources, qui opère à Bukavu, est une filiale de Trinitech International Inc., société ayant son siège dans l’Ohio (États-Unis). Eagle Wings a des bureaux au Rwanda, au Burundi et en République démocratique du Congo. Le directeur de Eagle Wings à Kigali entretient des liens étroits avec le régime rwandais. Aussi la société Eagle Wings opère-t-elle en République démocratique du Congo comme un comptoir contrôlé par les Rwandais, avec tous les avantages qui s’y attachent. Le comptoir Eagle Wings n’est pas tenu d’assumer toutes ses responsabilités vis-à-vis du Trésor public géré par l’administration du RCD-Goma. À l’instar des autres comptoirs de coltan contrôlés par les Rwandais, Eagle Wings collabore avec l’APR afin de jouir d’un accès privilégié aux mines de coltan et à une main-d’oeuvre captive.

Près de 25 % de la colombotantalite d’Eagle Wings est expédiée en bateau de Kigali à l’usine métallurgique de la société NAC Kazatomprom à Ulba, au Kazakhstan. Vingt-cinq pour cent sont vendus à la maison mère de Eagle Wings, Trinitech International Inc. (États-Unis), qui gère les ventes à la fois à Ulba et à l’usine de traitement chinoise de Ningxia Non-Ferrous Metals Smeltery (NNMS). H. C. Starck, société basée en Allemagne et filiale de la société transnationale Bayer AG, achète près de 15 % du coltan d’Eagle Wings. H. C. Starck a nié qu’il se procurait du coltan en Afrique centrale. Dans un communiqué de presse publié le 24 mai 2002, H. C. Starck a de nouveau affirmé que la société n’avait pas acheté de matières premières provenant d’Afrique centrale depuis août 2001. Le Groupe d’experts a des preuves du contraire. Dans le même communiqué de presse, H. C. Starck a affirmé qu’il obtenait sa colombotantalite auprès de cultivateurs et non de groupes rebelles. En fait, toutes les mines de coltan situées dans l’est de la République démocratique du Congo profitent soit à un groupe rebelle soit à des armées étrangères.

Le Groupe d’experts expose le cas suivant, sur la base des documents qu’il possède : la société Mozambique Gemstone a produit de faux documents certifiant que le Mozambique était le pays d’origine d’une cargaison de colombotantalite provenant du Rwanda et transitant par l’Afrique du Sud. Elle a ensuite vendu la cargaison à la société AMC African, Trading and Consulting Co. Ltd., basée en Afrique du Sud, qui l’a vendu à son tour à H. C. Starck Ltd à Rayong (Thaïlande) le 21 septembre 2001. Le 9 mai 2002, H. C. Starck a envoyé une lettre de crédit, pour cette cargaison à Chemie Pharmacie Holland, qui a supervisé la transaction, et qui est un partenaire commercial de Eagle Wings et lui rend des services logistiques et financiers. Eagle Wings est le seul fournisseur de colombotantalite de Chemie Pharmacie Holland. Eagle Wings n’opère pas au Mozambique.

Le Groupe d’experts a également eu des contacts directs avec l’usine de traitement chinoise NNMS, afin de déterminer si elle utilisait de la colombotantalite provenant de l’est de la République démocratique du Congo. NNMS a nié catégoriquement traiter avec « tout individu ou toute entité représentant une personne ou une entité en République démocratique du Congo ». En fait, un certain nombre d’intermédiaires qui font le commerce de coltan provenant de l’est de la République démocratique du Congo ont informé le Groupe d’experts de leurs ventes à NNMS. Dans une présentation publicitaire conçue par NNMS, il est indiqué que si cette société peut vendre sa production à des prix si bas, c’est parce qu’elle achète des quantités considérables de matière première bon marché en Afrique centrale. Il ressort d’un rapport de NNMS que 50 % du volume total de colombotantalite achetée à des fins de traitement proviennent d’Afrique centrale. NNMS n’a pas répondu aux nombreuses demandes de renseignements que le Groupe d’experts lui a présentées par la suite.

Diamants

C’est pour avoir son propre marché du diamant que le Rwanda s’est battu contre l’Ouganda. Après le dernier affrontement à Kisangani en juin 2000, l’APR a, par l’intermédiaire de l’administration du RCD-Goma, fait acheminer tous les diamants à Kisangani par le Bureau Congo. La technique consistait à obliger tous les diamantaires locaux à vendre à un comptoir principal, détenteur exclusif des droits d’exportation.

Le Bureau Congo a donné le premier monopole à Aziz Nassour. Ce dernier a cessé de plaire au Bureau Congo qui l’a remplacé par un diamantaire israélien, Philippe Surowicz. Les négociants de Kisangani se souviennent de la période Surowicz comme du « règne de la terreur ». Ils rapportent que souvent, à peine entrés dans le comptoir de « Monsieur Philippe », ils se trouvaient face aux militaires de l’APR qui fixaient un prix dérisoire et emportaient les diamants. En octobre 2001, le Bureau Congo a remplacé M. Surowicz par Hamad Khalil, un Libanais qui travaillait avec le comptoir Bakayoko à Kisangani.

À la mi-novembre 2001, le Département des terres, des mines et de l’énergie du RCD-Goma a mené une étude sur les résultats obtenus par M. Hamad Khalil pendant le mois qui a suivi son entrée en fonctions. Un minimum de 500 000 dollars par mois lui avait été fixé. M. Khalil l’a atteint en exportant un volume de diamants évalué à 576 380 dollars sur une période de 27 jours, mais ses résultats étaient bien en deçà du potentiel de ventes de Kisangani évalué à pas moins de deux millions de dollars par mois. La prestation médiocre de M. Khalil a fait naître la suspicion que le Bureau Congo l’utilisait pour détourner des recettes qui seraient autrement revenues à l’administration du RCD-Goma. Une inspection similaire de la production de diamants dans les régions de Sankuru et de Lodja dans le Kasaï oriental – menée la semaine précédente – avait également révélé que des officiers de l’APR acheminaient clandestinement de grandes quantités de diamants du Kasaï oriental directement vers le Bureau Congo à Kigali. Le RCD-Goma en a conclu que M. Khalil sous-évaluait le prix des diamants, ce qui avait pour conséquence de réduire les taxes à payer au trésor public du RCD-Goma et d’augmenter la marge bénéficiaire de M. Khalil et du Bureau Congo. La conclusion de l’étude était que « sans les pratiques frauduleuses en cours et la sous-évaluation des diamants, les recettes dégagées par le trésor public sur l’exploitation des diamants seraient quatre fois supérieures à ce qu’elles étaient ».

Importations, impôts et réquisition
par le secteur public

Les « diamants de la guerre » de Kisangani sont commercialisés par des réseaux de criminels. Le produit de ces ventes criminelles est blanchi par l’achat à Dubaï de grandes quantités de biens d’équipement ménager – sucre, savon, tissu et médicaments – qui sont ensuite importés en République démocratique du Congo et proposés aux vendeurs locaux à des prix intéressants. Les grossistes rwandais utilisent les bénéfices réalisés en francs congolais pour acheter des dollars et – pour boucler la boucle – acheter des diamants.

L’intérêt que la vente de produits de consommation à des prix intéressants présente pour la branche commerciale de l’APR n’est pas seulement de blanchir l’argent provenant des ventes criminelles de diamants, mais également de placer l’économie de Kisangani, jadis florissante, sous le contrôle du Rwanda. Les tissus, qui étaient autrefois fabriqués à l’usine Sotexki à Kisangani et renommés pour leur qualité, ne sont plus compétitifs par rapport aux tissus importés moins chers, si bien que Sotexki, qui comptait 2 000 employés, n’en a aujourd’hui plus que 100. L’huile de palme, qui était autrefois produite sur place dans l’usine appartenant à Unilever, n’est plus compétitive face à l’huile importée qui se vend à Kisangani à un tiers du prix de l’huile produite sur place. L’usine d’huile de palme de Kisangani qui appartient à Unilever ne produit pratiquement plus. Non seulement l’affaiblissement de la production locale compromet l’économie manufacturière locale et fait des habitants de Kisangani des consommateurs otages, mais il a également pour effet de déplacer l’activité manufacturière de Kisangani à Kigali.

Une autre stratégie adoptée pour dégager des recettes consiste à utiliser le secteur public du RCD-Goma comme façade pour réquisitionner des fonds auprès des entreprises publiques. Le 21 novembre 2001, le Secrétaire général du RCD-Goma a réquisitionné par décret toutes les recettes produites par les entreprises publiques et semi-publiques. Le lendemain, il a annulé toutes les conventions collectives qui régissaient les droits des travailleurs dans ces entreprises. Ces décrets s’appliquaient à toutes les entreprises du service public, notamment la compagnie de distribution d’eau, l’administration de l’aéroport, la compagnie de distribution d’électricité, l’administration des ponts et chaussées et des transports. Le RCD-Goma a déclaré que les réquisitions servaient l’intérêt public. En l’espace d’un mois, la compagnie de distribution d’eau n’avait plus suffisamment d’argent pour acheter des produits chimiques pour épurer l’eau à Kisangani et Bukavu et les centrales avaient cessé de fonctionner car les réparations nécessaires n’avaient pas été effectuées. Le Comité international de la Croix-Rouge est intervenu en fournissant 60 tonnes de produits chimiques destinés à l’épuration de l’eau et a financé des réparations coûteuses à la station de Tshopo, afin d’éviter une interruption de la distribution d’eau à Kisangani et de prévenir une épidémie de choléra. La compagnie de transport semi-publique a cessé de fonctionner et l’administration de l’aéroport a engagé le RCD-Goma à lui rendre une partie des fonds réquisitionnés, aucun salaire n’ayant été payé pendant les six mois écoulés.

En application d’un décret promulgué le 15 mars 2002, de nouveaux impôts ont été introduits et tous les taux d’imposition ont été relevés. Sur une période de 18 mois, depuis le décret fiscal précédent (septembre 2000), les taxes sur la consommation d’électricité ont augmenté de 200 %. La patente pour le commerce de produits agricoles a quadruplé. La plupart des frais de licence à acquitter pour gérer une affaire ont doublé ou triplé. Le nombre de types d’impôts levés dans la région sous l’administration du RCD-Goma a quadruplé depuis 1998. Aucune recette fiscale ne sert à assurer des services publics.

Conflit armé et conséquences

Les médecins, les employés cléricaux et les organisations non gouvernementales dans le nord du Katanga s’accordent tous à dire que Kalémié a très vite connu des troubles croissants et que des groupes très divers – dont certains sont affiliés au RCD-Goma et d’autres non – ont eu de plus en plus recours aux armes. Les combats entre l’APR et les Forces armées congolaises (FAC) se sont limités à la prise du nord du Katanga par le Rwanda en novembre 1998 et à une contre-offensive du gouvernement en octobre 2000. Ces affrontements ont provoqué des déplacements de populations considérables au gré des mouvements de troupes. Ce sont toutefois les conséquences de ces affrontements qui ont provoqué le conflit armé le plus grave. Les troupes rwandaises ont saisi du matériel pour leurs campagnes. La troisième brigade de l’ANC du RCD-Goma, suivant l’exemple du Rwanda dans son propre style, a saisi de la nourriture et d’autres biens. La population locale a créé des mouvements armés pour se défendre, et parfois ces milices locales en ont rejoint avec d’autres pour créer des groupes armés plus importants. Le Groupe d’experts a reçu des juristes locaux, des Églises catholiques et protestantes, de la Fédération des entreprises au Congo (FEC) et d’autres, de nombreux documents faisant état de vols de bétail estimés à plus de 15 millions de dollars, de vols de produits de consommation d’une valeur de plus d’un million de dollars et de la destruction ou de la vente frauduleuse de matériel appartenant à la Société nationale de chemin de fer du Congo.

Dans l’est de la République démocratique du Congo, l’Église catholique a dénoncé courageusement les vols, les meurtres, la torture, le chantage, les viols et les actes de piraterie perpétrés sur le lac Tanganyika, d’abord par l’APR, puis par l’ANC, la police du RCD-Goma et la milice des Banyamulenge. L’Église, et surtout l’évêque de Kalémié-Kirungu, a dirigé récemment une campagne visant à dénoncer ces abus. Les directeurs du Département de la sécurité et de l’information du RCD-Goma ont répondu en menaçant de tuer des personnalités religieuses. Le 15 mai 2002, le diocèse de l’Église catholique a publié une liste des menaces en question.

La multiplication des forces armées et des combats à l’intérieur du pays a pour ainsi dire détruit la production agricole sur le riche plateau du nord du Katanga. Les excès dont l’APR a fait preuve en réquisitionnant des ressources destinées à « l’effort de guerre » ont servi d’exemple aux forces rebelles de l’ANC – bien moins disciplinées – qui ont dévasté les campagnes. Les cultivateurs hésitent à investir dans des récoltes qui risquent fort d’être volées. Sous l’effet de la peur, nombreux sont ceux qui ont quitté leur foyer et abandonné leurs terres. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires estime que pour la seule région du nord du Katanga, 350 000 personnes déplacées ne vivent pas chez elles, mais chez des voisins, dans les villes ou dans la brousse.

Le conflit armé qui fait rage le long de l’axe Masisi-Walikale-Goma résulte des tensions entre les nombreuses troupes de l’APR qui sont là pour gérer les opérations d’extraction minière et les Hutus, dont certains sont résidents, mais d’autres sont importés et réquisitionnés par les forces rwandaises pour travailler comme forçats dans les mines. Différents comptoirs rwandais se disputent l’accès aux mines. L’APR a attaqué et brûlé des villages pour saisir de la colombotantalite extraite par des groupes de Hutus ou les habitants des villages alentour. Le Groupe d’experts a recueilli des témoignages de villageois qui ont été contraints de quitter leur village qui avait été attaqué. À quelques rares exceptions près, l’objectif de l’activité militaire est de garantir un accès sûr aux mines ou d’assurer une offre de main-d’oeuvre captive.

Les déplacements de populations, qui résultent des fréquents conflits armés, s’accompagnent de conséquences prévisibles, à savoir l’insécurité alimentaire, la malnutrition, un taux de mortalité élevé – à la fois chez les personnes déplacées et les populations hôtes. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, le nombre de personnes déplacées dans les zones occupées par le Rwanda dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu et dans les provinces du Maniema et du Katanga s’élevait, en mars 2001, à 1,5 million, soit près de 14 % de la population. Plus de trois quarts des familles vivant dans les zones rurales ont probablement dû se déplacer au moins une fois au cours des cinq dernières années. Ce degré de conflit armé compromet le pouvoir local et favorise la mise en place d’un climat propice aux désordres sociaux. L’infrastructure publique est détruite. Le taux de scolarisation à Shabunda a chuté de 56 % depuis 1998. La pratique de sévices sexuels se répand sur une échelle surprenante dans tout l’est de la République démocratique du Congo. Les organisations non gouvernementales internationales fournissent des récits détaillés de femmes prises en otages qui sont soumises à des sévices sexuels pendant de longues périodes. Les enfants deviennent des instruments de la guerre, forcés de travailler dans les mines et réquisitionnés par les forces armées. Les représentants de l’ONU estiment que le nombre d’enfants soldats dans les armées rebelles est bien plus élevé que celui indiqué par les administrations rebelles, et que 50 % des groupes locaux de défense et des groupes Maï Maï sont des enfants.

Malnutrition et mortalité

Il ressort d’études sur la malnutrition menées par des organisations non gouvernementales, à la fois dans le nord du Katanga et dans les Kivus, que, dans certains endroits, de 25 à 30 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition. Dans la plupart des cas, cette situation est due au grand nombre de personnes déplacées qui ont été forcées d’abandonner leur propre activité agricole et se sont réfugiées dans les villages d’accueil des environs. Un certain nombre d’études établissent un lien étroit entre le taux élevé de malnutrition et le taux de mortalité dans cette région.

La conclusion des enquêtes du Comité international de secours citée le plus souvent est que sont imputables à la guerre 2,5 millions de décès. Bien que l’étude concerne directement les 1,3 million de personnes qui ont servi d’échantillon, le Comité considère que les conditions sont suffisamment similaires dans les cinq provinces de l’est du pays pour pouvoir appliquer les taux de mortalité établis pour l’échantillon à l’ensemble de la population des cinq provinces réunies. L’étude portait sur la période allant d’août 1998 à avril 2001. En admettant que le taux de mortalité, qui explique ce nombre si élevé de décès supplémentaires, se soit maintenu au même niveau, la guerre aurait causé plus de 3,5 millions de décès supplémentaires entre le moment où elle a éclaté et septembre 2002. Ces morts sont la conséquence directe de l’occupation du pays par le Rwanda et l’Ouganda. Le taux de mortalité élevé, surtout chez les enfants, fait suite au cycle d’agression, à la multiplication des forces armées, à la fréquence des conflits et à leurs conséquences, surtout les déplacements. Il n’est pas surprenant que dans les régions les plus touchées par le conflit, le taux de mortalité soit de 35 % chez les enfants de moins de 5 ans.

 

V. Zone contrôlée par l’Ouganda

L’objectif du réseau d’élite dans les zones sous contrôle de l’Ouganda a été d’exercer un monopole sur les principales ressources naturelles de la région, les échanges transfrontaliers, et les recettes fiscales afin d’enrichir les membres du réseau. En dépit du rapprochement politique actuel et de l’élan apparent vers la normalisation entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo, le réseau continue de renforcer sa mainmise économique sur la région.

Le réseau d’élite

Le réseau d’élite qui opère à partir de l’Ouganda est décentralisé et a une hiérarchie peu structurée, contrairement à celui qui opère à partir du Rwanda. Le réseau ougandais est constitué d’un groupe restreint de membres, comprenant un certain nombre d’officiers de haut rang de l’UPDF, d’hommes d’affaires privés et de quelques dirigeants/administrateurs de groupes rebelles. Le général de corps d’armée de l’UPDF (à la retraite) Salim Saleh et le général de division James Kazini en sont les personnages clefs. Font également partie du réseau le colonel Noble Mayombo, chef du renseignement militaire, ainsi que le colonel Kahinda Otafiire et le colonel Peter Karim de l’UPDF. Parmi les entrepreneurs privés, on compte Sam Engola, Jacob Manu Soba et Mannase Savo ainsi que d’autres membres de la famille Savo. Les politiciens et administrateurs rebelles membres du réseau sont notamment Wamba dia Wamba, Roger Lumbala, John Tibasima, Mbusa Nyamwisi et Toma Lubanga.

Le réseau continue de mener ses activités par le biais de sociétés écrans, telles que le groupe Victoria, Trinity Investment, la Conmet et Sagricof. Chacune de ces sociétés peut se concentrer sur un ou deux créneaux commerciaux, quoiqu’elle puisse changer de créneau. Le rôle de ces sociétés est de gérer leurs créneaux respectifs en assemblant le personnel, en assurant la logistique et occasionnellement en finançant ces opérations.

Le réseau d’élite tire des recettes de l’exportation de matières premières, du contrôle des importations de produits de consommation, du vol et de l’évasion fiscale. Le succès des activités du réseau en République démocratique du Congo dépend de trois facteurs intimement liés, à savoir : l’intimidation militaire; le maintien d’une façade de secteur public, sous la forme de l’administration d’un mouvement rebelle; et la manipulation de la masse monétaire et du secteur bancaire, par le biais de la fausse monnaie et d’autres mécanismes apparentés.

L’UPDF et les milices rebelles qui lui sont associées ont été utilisées comme la force d’exécution de facto du réseau, qui veille à assurer la prééminence de la position commerciale du réseau par l’intimidation, et la menace et l’emploi de la force. L’UPDF ou les milices associées à certains officiers de l’UPDF ont établi un contrôle physique sur des zones contenant des ressources naturelles à potentiel commercial, notamment de la colombotantalite (coltan), des diamants, du bois et de l’or. Ces forces ont établi leur autorité sur des centres urbains et financiers clefs – Bunia, Beni et Butembo – où elles utilisent l’administration rebelle comme une façade de secteur public pour faire des recettes, en particulier pour percevoir des taxes sous divers prétextes, notamment des droits de délivrance de permis aux opérateurs commerciaux, et des droits et taxes à l’importation et à l’exportation de produits spécifiques.

L’Ouganda s’est engagé récemment à retirer toutes les troupes de l’UPDF à l’exception d’un bataillon renforcé à Bunia et d’un petit nombre d’unités sur les flancs des monts Rwenzori. En prévision de ce retrait, une force paramilitaire est à l’entraînement sous l’autorité personnelle du général de corps d’armée Saleh, force qui, selon les sources du Groupe d’experts, devrait continuer de faciliter les activités commerciales des officiers de l’UPDF une fois que l’UPDF serait partie. Ce groupe paramilitaire recrute parmi les dissidents du MLC de Jean-Pierre Bemba, les membres du RCD-Congo soutenus par l’Ouganda, y compris ses dirigeants, le professeur Kin-Kiey Mulumba et Kabanga Babadi, et parmi d’autres dans le nord-est de la République démocratique du Congo qui s’étaient alliés à l’UPDF dans le passé. On a indiqué que le général Saleh fournit discrètement un appui financier à ce nouveau groupe rebelle. Des sources du Groupe d’experts ont indiqué que Heckie Horn, Directeur général de Saracen Uganda Ltd, est un partenaire clef du général Saleh dans l’appui à ce groupe paramilitaire et que le général Saleh lui-même est propriétaire de 25 % de Saracen. Le Directeur général de Saracen assure également une formation militaire aux membres de ce groupe et leur fournit des armes. Dans une entrevue avec les membres du Groupe d’experts, le Directeur général de Saracen Ltd, a catégoriquement nié toute participation aux activités du général Saleh dans le nord-est de la République démocratique du Congo.

Selon des sources du Groupe d’experts, le général Saleh et M. Horn se sont entretenus avec le Président Joseph Kabila pour obtenir son appui à cette opération clandestine dont l’objectif fondamental était essentiellement de remplacer Mbusa Nyamwisi par Roger Lumbala comme chef du RCD/K-ML, afin d’assurer l’accès aux zones riches en diamants autour de Buta et d’Isiro contrôlées par le groupe rebelle de M. Lumbala, le RCD-National. Ces objectifs ont pour l’essentiel été atteints. Leur objectif à plus long terme est de faire tomber Jean-Pierre Bemba, et d’intégrer au nouveau mouvement rebelle RCD-Congo le nombre croissant de dissidents qui se trouvent dans les rangs de M. Bemba. Avec des effectifs plus élevés et mieux formés, ils seront en mesure d’affronter le RCD-Goma et le Rwanda.

Les membres du réseau d’élite ougandais sont en règle générale exonérés d’impôts. Le Groupe d’experts est en possession de documents indiquant que le réseau utilise son contrôle sur l’administration rebelle du RCD/K-ML pour demander des exonérations de taxes pour l’importation de produits de grande valeur. L’octroi de nombreuses exonérations au colonel Otafiire de l’UPDF entre fin 2001 et début 2002 en est l’un des nombreux exemples. Non seulement le colonel Otafiire tire un avantage financier de ces exonérations mais celles-ci en définitive obligent les concurrents locaux à abandonner le marché à Bunia et Beni, laissant ainsi le commerce du carburant essentiellement sous le contrôle du réseau.

Par contre, les opérateurs commerciaux locaux sont tenus de payer des droits d’importation et d’exportation élevés. Ils peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel sous la forme d’arrangements de préfinancement donnant droit à une réduction de la charge fiscale mais le paiement des taxes est obligatoire. Les arrangements de préfinancement impliquent le paiement par un importateur d’un niveau d’imposition réduit en échange d’un paiement financier à un politicien ou administrateur rebelle autorisant l’opération. Aucun de ces paiements à l’administration rebelle ne sert à financer les services publics.

Le réseau utilise son influence économique pour contrôler le secteur bancaire, ce qui lui permet de contrôler encore davantage l’accès aux capitaux d’exploitation pour les opérateurs commerciaux exerçant leurs activités dans la région. L’économie de cette région est devenue captive, les types d’entreprises commerciales qui y opèrent étant manipulés et la viabilité des entreprises commerciales locales étant contrôlée. Par ailleurs, les flux monétaires sont contrôlés par le réseau, par le biais des opérations de change et l’introduction à grande échelle de faux francs congolais sur le marché.

Comme par le passé, le réseau continue d’être associé au groupe de criminalité transnationale Victor Bout. Récemment, M. Bout a acheté une compagnie aérienne non opérationnelle, Okapi Air, basée en Ouganda. L’achat de la compagnie a permis à Victor Bout d’utiliser les permis d’Okapi. La compagnie a ultérieurement été rebaptisée Odessa. Le Groupe d’experts est en possession d’une liste des vols au départ de l’aéroport international d’Entebe de 1998 au début de 2002 qui confirme les activités opérationnelles de l’avion de M. Bout à partir du territoire ougandais. Actuellement, cet avion partage les temps de vol et les destinations de vol avec Planet Air, qui appartient à l’épouse du général de corps d’armée (à la retraite) Salim Saleh et qui facilite les activités de M. Bout en présentant les plans de vol pour son avion.

Stratégies et sources de revenus

Colombotantalite (coltan)

Le coltan a été exploité de façon extensive dans la province orientale par divers groupes armés sous la protection de l’UPDF. Un certain nombre d’opérations concernant le coltan, menées en particulier sous la supervision des colonels Muzora et Burundi de l’UPDF, ont été coordonnées par le biais de Trinity Investment, société écran dont le général de division Kazini de l’UPDF est le personnage principal. Des groupes armés souvent proches des milices armées sous le commandement d’officiers de l’UPDF gèrent des sites dans des endroits reculés où les prospecteurs paient un droit journalier pour exploiter une zone.

Étude de cas d’une chaîne commerciale concernant la colombotantalite

En mars 2002, les membres du Groupe d’experts se sont entretenus avec Valentina Piskounova qui, avec son mari Anatoly Piskounov, représente et gère la Conmet à partir de sa base à Kampala. Au cours des entretiens avec le Groupe d’experts, Mme Piskounova a expliqué qu’en raison de l’effondrement du marché international du coltan, les cours du minerai ont chuté dans l’est de la République démocratique du Congo. Toutefois, elle a dit au Groupe d’experts que l’intérêt que continue de susciter le coltan de la République démocratique du Congo sur le marché international tient au « très faible » coût de la main-d’oeuvre pour l’extraction du minerais. Par conséquent, la Conmet a continué d’acheter du coltan à partir de son bureau à Butembo en République démocratique du Congo. Mme Piskounova a dit que leur prix d’achat pour le coltan, à une teneur de 30 % de tantale, était de 10 dollars le kilogramme. Le même coltan était ensuite vendu à 17 dollars le kilogramme.

Mme Piskounova a ajouté que le coltan de la Conmet était acheminé par la route à travers la frontière entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda à Kasindi jusqu’à l’aéroport international d’Entebe d’où il était transporté par Boeing 707, via Sharjah (Émirats arabes unis) au coût de 140 000 dollars par vol, jusqu’à Ulba (Kazakhstan) pour y être traité.

Outre le profit dégagé sur les ventes de coltan, la Conmet réalisait également des économies en bénéficiant d’une « exonération totale » pour « toutes les activités se rapportant à l’exploitation pour le territoire de Beni-Lubero » (République démocratique du Congo), y compris du paiement des droits à caractère fiscal et des droits de douane. Le Groupe d’experts est en possession du document accordant les exonérations. Ce dernier a été signé à Kampala par Mbusa Myamwisi, qui était alors commissaire général pour le RCD/Kisangani, le 5 janvier 2000; dans le document, Salim Saleh était désigné comme propriétaire de la Conmet, ses représentants étant « le groupe russe la Conmet ».

Diamants

Le réseau coordonne tous les éléments du commerce des diamants, les sociétés d’achat locales, les activités des exportateurs libanais, la protection de forces armées assurée par l’UPDF et différentes milices, les exonérations fiscales du secteur public, et les relations libanaises à Anvers, sous les auspices de la société écran, le groupe Victoria. Le Groupe d’experts dispose de nombreux éléments donnant à penser que le Libanais Khalil Nazeem Ibrahim et un autre nommé M. Abbas centralisent actuellement à Kampala les opérations du groupe Victoria concernant les diamants. Le Groupe a des preuves crédibles que Khalil Nazeem Ibrahim a utilisé les capitaux et les services de commercialisation de Hemang Nananal Shah, propriétaire de Nami Gems à Anvers. Le général de corps d’armée Salim Saleh est reconnu par les sources du Groupe d’experts à Bunia, Kisangani et Kampala comme le fondateur et directeur du groupe Victoria et comme le cerveau de ses opérations.

Les Libanais, ainsi que les membres de leur famille, qui sont communément désignés à propos du groupe Victoria sont aussi considérés comme étant étroitement associés aux familles libanaises Khanafer et Ahmad. Khanafer Nahim a été désigné en particulier comme un personnage clef dans les opérations du groupe Victoria. Il est bien connu d’un certain nombre de services du renseignement et de services de police nationaux pour la fabrication de fausse monnaie, le blanchiment de l’argent et la contrebande de diamants au nom de généraux qui étaient haut placés au temps du Président Mobutu et qui souhaiteraient encore revenir au pouvoir. Il est de notoriété publique que le groupe Victoria achète de l’or auprès des comptoirs locaux à Bunia avec de faux dollars des États-Unis.

Fraude fiscale et réquisition de biens

Le contrôle des importations est aussi lucratif que la monopolisation des exportations. L’exonération des droits à l’importation donne au réseau dans le nord-est de la République démocratique du Congo un avantage sur les importateurs locaux qui paient les droits et taxes. Une exonération globale a été proclamée récemment dans le protocole d’accord publié par le RCD/K-ML le 22 février 2002, qui assure aux opérateurs commerciaux ougandais une exonération complète de toutes les taxes dans les zones se trouvant sous leur contrôle.

Toutefois, l’augmentation de la marge bénéficiaire grâce aux importations en franchise de droits et taxes ne constitue qu’une fraction des avantages. Tout aussi lucratif est l’accès aux taxes et impôts eux-mêmes, monopolisés par le réseau qui utilise la façade de trésor public de l’administration rebelle et ses percepteurs pour faire des recettes auprès des hommes d’affaires locaux et de l’ensemble de la population. Des centaines de conteneurs sont importés chaque mois dans les régions de Butembo, Beni et Buni, et les importateurs sont tenus de payer en moyenne 8 000 dollars par conteneur. Les recettes provenant de ces droits à l’importation peuvent être considérables. Certaines sont également détournées par le biais des arrangements de préfinancement, qui accordent une réduction des droits d’importation en échange de commissions illicites versées à des politiciens rebelles. Des sources du Groupe d’experts affirment que les recettes provenant des droits d’importation et les paiements au titre du préfinancement sont détournés au profit d’officiers de l’UPDF. Aucune de ces ressources n’est utilisée pour les services publics.

Les transporteurs locaux de Trinity Investment à Bunia, notamment le groupe familial Savo, transportent des produits agricoles, du bois et du bétail de Bunia à Kampala en franchise de taxes à l’exportation et des paiements communément effectués aux péages de l’UPDF. Trinity Investment travaille également avec une autre société écran dénommée Sagricof pour enlever frauduleusement du bois de la région du Nord-Kivu et d’Ituri. Trois plantations ont été attaquées dans les zones de Mahagi et Djugu le long de la frontière nord-est avec l’Ouganda. Des citoyens alarmés et des organisations non gouvernementales locales qui ont mené des recherches à ce sujet ont identifié le colonel Peter Karim et le colonel Otafiire, en plus du parlementaire ougandais bien connu Sam Ngola, comme des acteurs puissants dans l’exploitation illégale et frauduleuse du bois.

Une grande partie du bétail enlevé a été pris dans des villages qui ont fait l’objet d’attaques menées par les milices hema soutenues par les troupes de l’UPDF. Le Groupe d’experts a reçu des rapports d’éleveurs dans les régions au sud de Bunia ainsi qu’au nord à Mahagi donnant des détails sur l’enlèvement de grands nombres de têtes de bétail par les troupes de l’UPDF. Le représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Bunia a signalé la pratique relativement récente de l’UPDF consistant à offrir une protection aux éleveurs contre des attaques qu’ils ont eux-mêmes orchestrées, en échange d’un paiement régulier en nature (bétail). L’UPDF a également demandé aux bouchers locaux de remettre les peaux d’animaux abattus localement et ces peaux sont ensuite transportées à Kampala où elles sont, selon la rumeur, vendues à la société de fabrication de chaussures Bata.

Exploitation économique et conflit ethnique

Le conflit armé qui oppose actuellement les membres des clans des Hema et des Lendu découle, en partie, des tentatives de politiciens et hommes d’affaires influents hema visant à accroître les avantages qu’ils tirent des activités commerciales du réseau d’élite par le biais de leurs sociétés écrans, le groupe Victoria et Trinity Investment, dans la région d’Ituri.

Les membres du clan des Hema et en particulier ceux du sous-clan des Gegere ont justifié l’achat d’armes et la formation de leurs propres milices par la nécessité de se défendre contre les Lendu, leurs ennemis traditionnels. Il est vrai qu’un différend de longue date au sujet de terres a entraîné un désaccord entre les deux groupes. Toutefois récemment, leur inimitié traditionnelle à propos des terres et le conflit qui les oppose actuellement sont utilisés comme une justification par les Hema, et en particulier le sous-clan extrémiste des Gegere, pour importer des armes et former leurs propres milices, l’objectif final non avoué étant de consolider leur pouvoir économique dans la région.

Le sous-clan des Gegere joue un rôle important dans les opérations du réseau d’élite. La majorité des transporteurs et commerçants locaux à Bunia appartiennent à ce groupe. Jacob Manu Soba, Manasse Savo et d’autres membres de la famille Savo font partie de ceux qui ont approvisionné l’UPDF dans la région et qui fournissent des services de transports et de logistique et des liaisons commerciales locales. Ils ont établi des liens étroits avec une succession de commandants et de troupes de l’ UPDF dans la région et travaillent étroitement avec eux pour procéder à des échanges transfrontières.

Les Hema occupent un créneau important dans le fonctionnement des entreprises criminelles en tant qu’hommes d’affaires et propriétaires de camions. Ils transportent des cargaisons de produits primaires à partir d’Ituri à travers la frontière avec l’Ouganda sous la protection des soldats de l’UPDF et reviennent avec de l’essence, des cigarettes et des armes, toutes ces opérations étant exemptées de droits et taxes. Ils tirent parti de ce commerce avec des marges bénéficiaires généreuses, et de leur association avec les protecteurs ougandais du groupe Trinity. Mais leur créneau est resté marginal. Ils ne contrôlent eux-mêmes l’exportation d’aucun des produits primaires et demeurent à la périphérie d’une alliance entre les dirigeants du RCD/K-ML.

L’UPDF a créé les conditions qui nécessitent la présence de ses troupes et leur permettent de continuer à participer aux opérations commerciales. À cet effet, elle a notamment fourni des armes aux deux parties du conflit ethnique, les Lendu et les Hema. L’intensification des combats ethniques qui en a résulté a fait que l’UPDF a été instamment priée d’aider à favoriser le processus de paix à Bunia. Cette fonction a été officialisée dans un protocole d’accord signé le 22 février 2002 par Mbusa Nyamwisi et John Tibasima respectivement, en tant que Président et Vice-Président du RCD/K-ML, et par le colonel Noble Mayombo en tant que représentant officiel du Gouvernement ougandais. Ce protocole d’accord a donné officiellement à l’UPDF la responsabilité de réduire les conflits armés interethniques en Ituri et d’aider à assurer un retour à la paix en maintenant en place un contingent aux fins d’observation et pour la négociation d’une solution à long terme éventuelle. En échange, il a été promis à l’UPDF une allocation de 25 000 dollars imputée sur le trésor public du RCD/K-ML et à toutes les entreprises ougandaises qui auront été approuvées par l’UPDF une exonération de tous les droits et taxes dus à l’administration rebelle. Cela a donné à l’UPDF une couverture légitime pour continuer d’apporter son appui militaire aux activités du réseau d’élite dans la région.

Le Protocole d’accord a été signé une semaine après que l’UPDF a été impliquée dans une succession d’attaques, entre le 11 et le 16 février 2002 contre des villageois à Geti. Toutes les sources du Groupe d’experts sur la question ont indiqué que l’attaque a été financée par des hommes d’affaires hema à Bunia. Les motifs de l’UPDF ont été clarifiés encore davantage à une réunion avec les chefs de département du RCD/K-ML le 12 juillet 2002, au cours de laquelle un membre du Groupe d’experts a été informé que les hommes d’affaires hema en question cherchaient à contrôler des gisements d’or dans la zone de Geti et qu’en réalité le conflit ethnique était une question mineure.

Le conflit armé et ses conséquences

Les opérations militaires de l’UPDF ont contribué à la prolifération des armes. Celle-ci a entraîné la milice de ses alliés commerciaux en Ituri, les Hema. Les victimes des attaques des Hema on été forcées de se défendre. Les villages Lendu ont constitué leurs propres forces locales et ont à leur tour fréquemment attaqué les villages Hema. La création de groupes locaux d’autodéfense est une méthode courante par laquelle les groupes ethniques locaux créent des groupes armés pour défendre leurs villages ou leurs collectivités.

Le conflit armé s’est étendu à toute la société, alors que l’insécurité économique et personnelle atteignait des niveaux extrêmes. De nombreux jeunes gens, laissés à l’abandon, ont rejoint l’un ou l’autre des groupes armés, seul moyen pour eux de se procurer de la nourriture ou des médicaments. Ils ne sont pas rémunérés par l’Armée patriotique congolaise mais elle leur donne des armes et un uniforme, ce qui leur permet de menacer les autres. Les activités armées intensives se caractérisent par des rencontres opportunistes et chaotiques. Des enfants sont assassinés, des adultes éventrés, les femmes sont violées, les biens volés, les maisons brûlées, les églises démolies et les infrastructures abandonnées.

Dans les villes, les jeunes affublés d’uniformes militaires et brandissant des armes à feu s’attaquent aux commerces, aux maisons et aux églises. Dans la campagne, des groupes armés assaillent des villages entiers. L’attaque du village de Mpingi, le 24 décembre 2001, illustre bien la situation. Un petit groupe Maï Maï s’était allié à un autre groupe se réclamant de l’opposition hutue pour installer un barrage sur la route allant de Butembo à Kanyabayonga. Lorsque l’APC a découvert ce barrage, le groupe Maï Maï s’est retiré vers l’ouest se réfugiant dans le village de Mpingi. L’APC les a poursuivis et a attaqué le village, détruisant et brûlant les maisons, pillant l’église, rasant l’école et la clinique et forçant tous les habitants à fuir. Les attaques contre des villages entiers, les massacres, les viols, le vol de bétail, de nourriture et autre et la fuite des habitants sont typiques des agressions armées. Certains parmi les fuyards cherchent refuge dans les villages voisins, abandonnant leurs propres activités de production et deviennent tributaires des ressources des populations d’accueil.

Une partie de la population déplacée se réfugie dans les zones urbaines où elle se trouve un peu plus en sécurité mais où ses moyens de survie sont très faibles, voire inexistants. Le taux de chômage dans les villes atteint souvent 90 %. Une enquête sur les revenus, réalisée par des groupes de la société civile à Butembo, a révélé que 90 % des réfugiés ne disposaient que de quelques centimes par jour et ne faisaient qu’un seul repas quotidien. Les familles se disloquent, chacun essayant de survivre seul de son côté. Les femmes se prostituent, les hommes âgés repartent vers ce qu’il reste de leurs villages ou exploitations minières et les jeunes hommes rejoignent l’armée rebelle, venant ainsi gonfler tant ses rangs que le nombre des jeunes garçons armés sans autre moyen de subsistance.

En mars 2001, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a estimé à 620 000 le nombre des personnes déplacées dans le Nord-Kivu. La zone couverte par l’enquête comprenait tant les régions sous contrôle ougandais que celles contrôlées par les Rwandais, mais elle est plus représentative de la situation dans la zone sous contrôle ougandais. Compte tenu de la fréquence des déplacements dans la région, quatre habitants des campagnes sur cinq ont été déplacés sous la contrainte à un moment ou à un autre depuis 1998. Il s’agit du chiffre le plus élevé jamais enregistré pour l’Afrique. Ces chiffres ont été confirmés par des organisations non gouvernementales internationales pour les localités où elles ont réalisé des enquêtes.

La propagation du VIH/sida, le nombre élevé d’enfants soldats et les viols de femmes sont les autres conséquences de la généralisation du conflit armé. Les soldats sont pour la plupart de jeunes garçons qui semblent à peine capables de manier les armes qu’ils portent. La question des enfants soldats s’est posée lorsque l’on a découvert 700 jeunes recrues de la région de Bunia dans un camp d’entraînement de l’UPDF, au Tchakwanzi, en Ouganda, dont 165 n’avaient pas plus de 14 à 16 ans. Le programme de démobilisation de ces 165 enfants, dont deux filles, a suscité un énorme intérêt. La question s’est à nouveau posée, il y a peu, lorsque le Gouverneur de Bunia, Jean-Pierre Molondo, a révélé que 60 % des recrues entraînées par la milice extrémiste Hema avaient moins de 18 ans.

Malnutrition et mortalité

Les déplacements de population ont des incidences directes sur la production agricole, la sécurité alimentaire et les niveaux de malnutrition. Les risques d’attaques et de déplacements sont tels dans cette région que les paysans adoptent des stratégies agricoles visant à réduire au minimum les pertes dans des conditions d’insécurité extrême. Ils ne font plus d’élevage de bétail car celui-ci peut être facilement volé. De moins en moins de paysans cultivent des légumes riches en protéines car ces cultures exigent des soins qu’ils sont rarement en mesure de fournir. La malnutrition, quant à elle, augmente considérablement les risques de maladies mortelles pour la population.

Les enquêtes réalisées par le Comité international de secours fournissent les données les plus complètes pour l’est de la République démocratique du Congo. Aucune des zones sanitaires retenues pour les deux enquêtes principales n’appartenait aux régions dorénavant contrôlées par l’Ouganda. Toutefois, les grandes lignes du conflit armé, le déplacement de population, l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans les zones sous contrôle ougandais sont des facteurs qui expliquent les taux de mortalité très élevés rencontrés dans les sept zones sanitaires qui ont servi de base à l’enquête. L’équipe du Comité international de secours a jugé que les similitudes étaient suffisantes pour que l’on puisse extrapoler les résultats obtenus dans les régions du Kivu à l’ensemble de la région est de la République démocratique du Congo, notamment aux zones sous contrôle ougandais. Le Groupe d’experts partage cet avis. On peut prévoir un taux de mortalité identique pour des enfants de moins de 5 ans, à savoir entre environ 30 % par an dans les régions où règne une insécurité extrême et qui ne possèdent pas d’infrastructures sanitaires et 7 % dans celles où l’insécurité est moins grande et qui sont dotées d’un minimum de services. S’agissant des 20 millions et plus qui vivent dans les cinq provinces de l’est de la République démocratique du Congo, le nombre de décès supplémentaires directement imputables à l’occupation rwandaise et ougandaise peut être évalué entre 3 millions et 3,5 millions.

 

VI. Collaboration du Groupe d’experts
avec la Commission Porter en Ouganda

Lors de son précédent mandat, les rapports du Groupe d’experts avec la Commission d’enquête judiciaire présidée par le juge David Porter (Commission Porter) ont parfois été tendus. Cependant, encouragé par les États Membres, notamment les membres du Conseil de sécurité, le Groupe d’experts a noué des relations de travail amicales avec la Commission. Cette collaboration est unique dans l’histoire des groupes d’experts mandatés par le Conseil de sécurité, compte tenu de l’importance et de la nature de la coopération qui s’est établie entre les deux organes.

Les experts ont eu de nombreux entretiens avec la Commission Porter. Le juge Porter a tout d’abord critiqué la qualité des rapports du Groupe d’experts et a mis en doute la crédibilité de ses sources. Dans le même temps, il prétendait que les enquêtes de la Commission, en cours depuis plus d’un an, n’aboutissaient pas essentiellement du fait d’une « conspiration du silence » au sein de l’UPDF. Aux termes de la loi sur la Commission d’enquête, celle-ci est habilitée à procéder à des fouilles et à ordonner la production de documents et de témoignages.

Le Groupe d’experts a communiqué des preuves à la Commission, notamment des copies de 12 lettres, la transcription d’un témoin ainsi que les originaux de 5 cassettes audio renfermant les déclarations d’un témoin principal. Celles-ci ne représentent qu’une infime partie des documents recueillis par le Groupe d’experts sur le rôle de dirigeants militaires et gouvernementaux ougandais, mais elles apportent la preuve que les autorités ougandaises se sont rendues coupables d’actes criminels. Elles indiquent que des hauts responsables ont extorqué des fonds et exigé des exonérations fiscales aux mouvements rebelles congolais, notamment le chef du personnel de l’UPDF qui a demandé que ses véhicules transportant de la colombotantalite puissent traverser la frontière sans s’acquitter des taxes d’exportation. Le Groupe d’experts a également pris des dispositions pour que l’une de ses sources accepte de témoigner devant la Commission lors d’une audience spéciale malgré les risques encourus. En échange, la Commission Porter a communiqué au Groupe d’experts des copies du témoignage de certains officiers militaires de haut rang, de responsables gouvernementaux, d’hommes d’affaires et d’autres particuliers qui ont comparu devant elle.

Malgré les nombreux efforts déployés par le Groupe d’experts pour établir des rapports constructifs avec la Commission, sa crédibilité a été sans cesse remise en cause. La Commission a mis en doute l’authenticité des lettres communiquées par le Groupe d’experts et qui montrent que des officiers de l’UPDF ont reçu des sommes importantes prélevées sur les budgets du mouvement rebelle, même lorsque celle-ci était étayée par des témoins dignes de foi. Elle a soumis d’autres documents signés par des officiers de haut rang à une analyse graphologique, alléguant qu’elle avait des raisons de penser qu’il s’agissait de faux. Toutefois, les résultats de l’analyse indiquent que ces signatures sont probablement authentiques. Lors d’une audience spéciale convoquée pour corroborer l’authenticité de certains documents transmis par le Groupe d’experts, la Commission Porter a soumis l’un des informateurs du Groupe à un interrogatoire particulièrement agressif en vue de l’effrayer et de discréditer son témoignage.

Lorsque la Commission a rappelé le général de division James Kazini en mai 2002 pour l’interroger sur la base des documents fournis par le Groupe d’experts, le commandant militaire de l’UPDF a fini par admettre que la signature apposée sur les documents était bien la sienne et que les documents étaient liés à ses activités en qualité d’ancien commandant des opérations de l’UPDF en République démocratique du Congo. Le juge Porter lui a fait remarquer lors de l’interrogatoire qu’il avait systématiquement nié, sous serment, toute participation à de telles exploitations illégales, et qu’il s’était donc rendu à plusieurs reprises coupable de faux témoignage, tant lors de la présente audience que lors de son premier témoignage devant la Commission l’année précédente. Le chef de la Commission a également admis, sur la base des minutes de l’audience, que les « allégations » du Groupe d’experts au sujet de la participation du général Kazini à des activités d’exploitation, notamment en ce qui concerne le commerce des diamants et les recettes fiscales étaient « en fait vraies ». Le juge Porter a à nouveau confirmé ces déclarations lors des réunions avec le Groupe d’experts, concédant encore une fois que les conclusions des précédents rapports du Groupe d’experts au sujet de cet officier et la participation de l’UPDF à des activités d’exploitation illégale étaient « vraies ». Dans un message électronique daté du 25 mai 2002, le juge Porter a adressé une lettre au Président du Groupe d’experts concernant les pièces versées au dossier et la deuxième comparution du général Kazini devant la Commission. Il a remercié le Groupe d’experts en déclarant « Nous estimons et espérons que vous conviendrez, que grâce à votre aide nous avons au moins pu rompre ce que nous avons décrit comme une conspiration du silence au sein de l’UPDF, au moins pour ce qui est des diamants et des "paiements sécurisés" et nous vous en sommes très reconnaissants ».

Lors de la dernière réunion du Groupe avec la Commission, en septembre 2002, à Kampala, le juge Porter a expliqué que toute recommandation formulée par la Commission afin de poursuivre toute personne au pénal à l’issue de ses enquêtes devait tout d’abord recevoir l’approbation du Ministre des affaires étrangères et du Président Museveni. Une investigation criminelle serait alors nécessaire avant que les autorités ne déterminent s’il y a matière à poursuites. Le Groupe d’experts a également cru comprendre qu’en dépit des larges pouvoirs d’investigation de la Commission, son mandat restreint la portée de ses enquêtes sur les activités du personnel militaire. Elle n’est ni habilitée à obtenir des dossiers et des documents militaires du Ministère de la défense ni à procéder à des vérifications individuelles des comptes des officiers.

138. Le mandat de la Commission Porter a dorénavant été prorogé au-delà de celui du Groupe d’experts, à savoir au 15 novembre 2002, lui permettant ainsi de formuler des observations sur le rapport de ce groupe. Si la Commission Porter décide d’ignorer ou de rejeter la validité et la force probante des documents fournis ou tente de discréditer à nouveau le travail du Groupe d’experts, le Président de ce dernier demande au Conseil de sécurité de l’autoriser à répondre au rapport de la Commission dans une lettre adressée au Conseil de sécurité, qui serait distribuée comme document de l’Organisation des Nations Unies.

 

VII. Commerce de transit et pays de destination

Pays de transit

Le Groupe d’experts a identifié 11 États africains qui sont susceptibles de voir transiter des marchandises en provenance de la République démocratique du Congo. Certains de ces États sont directement impliqués dans le conflit, à savoir, le Burundi, l’Ouganda, le Rwanda et le Zimbabwe. Les autres sept pays sont l’Afrique du Sud, le Kenya, le Mozambique, la République centrafricaine, la République du Congo, la République-Unie de Tanzanie et la Zambie. Le Groupe d’experts a présenté une série de questions aux 11 pays et a eu des entretiens approfondis avec les représentants de cinq gouvernements. Le Groupe a demandé des informations sur la législation applicable, les enquêtes menées sur les mouvements illicites de marchandises, les mesures prises pour y mettre fin, sur l’adoption d’éventuelles autres mesures susceptibles d’être appliquées ainsi que sur les besoins d’assistance de ces gouvernements dans ce domaine. Outre le Nigéria, 4 de ces 11 pays – le Mozambique, la République du Congo, la Tanzanie et le Zimbabwe n’ont pas souhaité répondre. Par la suite, le Groupe a identifié un point de transit supplémentaire pour le coltan congolais, le Nigéria, et a sollicité des informations à ce propos. Aucune réponse n’a été fournie. Pratiquement aucun des pays ayant répondu aux questions du Groupe d’experts n’avait mené des enquêtes ou adopté des mesures spécifiques pour identifier ou inspecter les marchandises en transit en provenance de la République démocratique du Congo. Les autorités ougandaises ont mentionné avoir saisi un cargo transportant de l’ivoire en contrebande. Des fonctionnaires sud-africains ont confirmé la saisie d’importantes expéditions clandestines de diamants en provenance de la République démocratique du Congo, sans fournir davantage de détails. Aucune des autorités de ces pays n’a indiqué que les ressources de la République démocratique du Congo commercialisées sur leur territoire devaient être traitées ou considérées comme des marchandises alimentant les conflits. Très peu de pays ont proposé des mesures pour limiter les activités commerciales portant sur les ressources naturelles de la République démocratique du Congo liées aux activités militaires ou criminelles. Le Kenya a toutefois proposé la réouverture du couloir septentrional sous l’égide de l’Autorité de coordination du transport en transit du couloir septentrional avec l’assistance de la communauté internationale.

Des sources dignes de foi ont informé le Groupe que les diamants provenant de Mbuji Mayi en République démocratique du Congo représentaient une part substantielle de l’augmentation phénoménale observée ces dernières années des diamants transitant par Doubaï. Selon les statistiques du Conseil supérieur du diamant, les exportations des Émirats arabes unis à destination d’Anvers sont passées de 4,2 millions de dollars en 1998 à 149,5 millions de dollars en 2001. Le Groupe a été informé que des vols directs affrétés de Mbuji Mayi vers Doubaï et d’autres itinéraires passant par Dar es-Saalam ont servi au transport illicite des diamants. De même, Doubaï est devenu un point de transit pour le coltan issu de la zone sous contrôle ougandais ainsi que pour une partie des diamants provenant de Kisangani dans la zone contrôlée par le Rwanda. Le trafiquant d’armes et de diamants Victor Bout a implanté sa base permanente aux Émirats arabes unis; neuf de ses avions sont basés à l’aéroport international Ra’s Al Khaimah.

Pays de destination

En vue de déterminer les mesures susceptibles d’être prises en fin de filière pour contrôler le trafic des ressources de la République démocratique du Congo et briser ses liens avec le conflit armé, le Groupe d’experts a enquêté dans 17 pays de destination en Asie, en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord. Nombre de ces pays sont des points de transit secondaire et des centres de transformation tout en étant d’importants marchés de consommateurs. Ils comprennent notamment l’Allemagne, la Belgique, la Chine, les Émirats arabes unis, les États-Unis, la France, l’Inde, Israël, le Japon, le Kazakhstan, le Liban, la Malaisie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Fédération de Russie, la Suisse et la Thaïlande. Dans ses demandes de renseignements, le Groupe d’experts a souligné que son objectif n’était pas de s’opposer au commerce, mais d’identifier les mécanismes ou les pratiques susceptibles de permettre de prévenir les ravages de la guerre et les pertes en vie humaine résultant de l’extraction et de la commercialisation des ressources naturelles de la République démocratique du Congo. En sollicitant l’avis de ces pays, le Groupe a mentionné un large éventail de mesures possibles, sans exclure l’éventualité d’approches nouvelles fondées sur les enseignements tirés d’autres situations de conflit. Quatre pays n’ont pas répondu : l’Inde, le Kazakhstan, la Malaisie et les Émirats arabes unis. Peu de pays ont reconnu de façon explicite dans leurs commentaires le rôle que le commerce de ces ressources naturelles exerce sur la prolongation du conflit en République démocratique du Congo.

Les réponses révèlent néanmoins une intensification des efforts dans la lutte contre le trafic illicite des ressources naturelles ainsi qu’une sensibilisation croissante aux responsabilités éthiques que pose le commerce des matières premières qui alimentent les conflits. La France, les États-Unis, le Japon et Israël ont souligné le caractère adéquat des certificats d’origine existants ainsi que des systèmes de certification d’origine des produits pour freiner le commerce illicite, notamment le procédé de certification en cours d’application dans le cadre du Processus de Kimberley. À l’instar de la Chine, la Fédération de Russie a également souligné que sa participation au Processus de Kimberley avait pour but de briser les liens existants entre le commerce des diamants bruts et les conflits armés, en particulier en Afrique. L’Allemagne a déclaré que les transitaires ainsi que les pays de destination devraient mettre un terme à toutes les activités commerciales et de transport liées au commerce des ressources en provenance de cette région, « à moins que leurs homologues ne soient en mesure de leur fournir des certificats d’origine avec preuves à l’appui ». La plupart des réponses n’ont pas fait état d’une évaluation comparative de l’efficacité des différents systèmes de certification face à des filières de criminalité organisée ou des circuits commerciaux opaques. La Suisse a estimé qu’il était prématuré de porter des jugements sur les systèmes de certification visant à contrôler le commerce des matières premières provenant de certaines régions avant même l’entrée en vigueur du Processus de certification de Kimberley et avant d’avoir accumulé une certaine expérience de sa mise en oeuvre. Les pays de destination n’ont pas explicitement demandé aux pays frontaliers de la République démocratique du Congo, tels que le Burundi, la République du Congo, le Rwanda et l’Ouganda qui font également le commerce de diamants bruts, de prendre part au Processus de Kimberley. Le Liban a suggéré la création de certificats d’origine standardisés et obligatoires pour certaines matières premières précieuses par le biais des organes ou entités compétentes de l’Organisation des Nations Unies.

La Fédération de Russie a relevé qu’il était nécessaire de veiller à ce que les mesures proposées visant à maîtriser le commerce alimentant les conflits ne constituent pas des obstacles au commerce légitime des matières premières et « qu’elles n’imposent pas un fardeau excessif aux pays pratiquant un commerce légitime ». Plusieurs membres de l’Union européenne, notamment la France et les Pays-Bas ont fait remarquer que toute mesure affectant les courants commerciaux devait être prise dans le cadre de l’Union européenne et de ses règles commerciales. La Belgique et le Royaume-Uni ont souligné que le coût du fardeau imposé par la transparence des courants commerciaux et financiers et des circuits de distribution affecterait principalement le secteur privé et devrait par conséquent être soit basé sur des mesures volontaires, soit sur les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE. L’Allemagne a fait sienne cette proposition, en mentionnant qu’elle avait invité les entreprises allemandes à se conformer à ces directives ainsi qu’aux principes contenus dans le Livre vert sur la responsabilité sociale des entreprises de la Commission européenne et dans le Pacte mondial de l’ONU dans le cadre de leurs activités commerciales dans la région. L’Allemagne a également invité le Groupes d’experts à poursuivre ses efforts pour accroître la transparence des circuits commerciaux relatifs aux ressources naturelles de la République démocratique du Congo, notamment en renforçant le dialogue avec les entreprises privées. Seule la Belgique a suggéré la possibilité d’imposer des sanctions ciblées à l’encontre d’entreprises et d’individus tirant profit du commerce des biens du sang. Les Pays-Bas ont estimé que la vérification des marchandises serait moins difficile et moins onéreuse si elle débutait au point d’origine du circuit commercial.

L’Allemagne, la Belgique et les États-Unis ont souligné que le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo était une condition essentielle pour lutter contre l’exploitation illicite de ses ressources naturelles et qu’il s’avérait nécessaire de renforcer les capacités à cette fin. De même, le Liban a déclaré que l’administration de douane de la République démocratique du Congo devait être consolidée afin de pouvoir mieux contrôler les frontières, surveiller les courants commerciaux et lutter contre la contrebande.

Organisations internationales et régionales

La Communauté de développement de l’Afrique australe a souscrit à la position exprimée par certains États de destination, à savoir que les certificats d’origine existants s’avéraient suffisants pour prouver que les marchandises avaient été produites et acquises légalement. Les services de renseignement des douanes et les capacités d’investigation pour lutter contre la contrebande continuent d’être développés au sein de la CDAA. Les questions de renforcement des capacités et de partage des informations au sein de la région devront être abordées au fur et à mesure de l’avancement du processus.

L’Organisation mondiale des douanes (OMD) a fait part au Groupe d’experts de la mise en place d’un réseau de Bureaux régionaux de liaison chargés du renseignement, chacun couvrant plusieurs pays, en vue de faciliter l’échange d’informations et la coopération à l’échelon régional. La République démocratique du Congo et divers autres pays francophones de la région sont rattachés au Bureau de liaison de Douala au Cameroun. Selon l’OMD, ses membres font peu appel aux bureaux de liaison, de même, leur utilisation de son réseau sur Internet de mise en application douanière, basé à Douala, était limitée. L’OMD a souligné l’importance d’une communication efficace interpays au sein de la région pour limiter le transit illégal des ressources naturelles.

S’agissant des courants commerciaux, l’Organisation mondiale du commerce dans sa réponse au Groupe d’experts a fait état de deux dispositions de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, une composante du traité de l’OMC, qui autorisent ses membres à prendre des mesures qui seraient autrement contraires aux règlements du GATT et de l’OMC. Ces règlements de façon générale proscrivent les restrictions au commerce et la discrimination. L’alinéa c) de l’article XXI et l’article XX détaillent les situations et les objectifs politiques autorisant le recours à des mesures d’exception. Le premier, qui a trait aux exceptions concernant la sécurité, se réfère aux exceptions nécessaires pour permettre à un État de prendre des mesures en application de ses engagements au titre de la Charte des Nations Unies. Selon l’OMC, cette disposition pourrait légitimer des mesures d’exception prises par les États Membres en application des résolutions du Conseil de sécurité sur le maintien de la paix et de la sécurité. L’article XX, relatif aux exceptions générales, pourrait être invoqué au titre de l’un ou l’autre alinéa de l’article. Par exemple, l’alinéa b) qui se réfère aux mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes.

La Commission économique pour l’Afrique a partagé le point de vue de la Belgique sur des sanctions ciblées qui devraient faire partie de la solution pour mettre un terme au commerce illicite. Elle a ajouté que les gouvernements de la région devraient également « être tenus responsables des activités illicites des individus et/ou des entreprises actives dans le pays puisqu’ils ont le pouvoir de les réglementer ».

 

VIII. Observations

L’exploitation illégale des ressources naturelles, les violations flagrantes des droits de l’homme et une situation humanitaire désastreuse sont quelques-unes des conséquences de quatre années de guerre et de l’absence en République démocratique du Congo d’un gouvernement central doté de l’autorité et de la capacité de protéger ses citoyens et ses ressources naturelles.

Le retrait des forces armées étrangères constitue une étape importante pour mettre fin à l’exploitation illégale des ressources naturelles. Toutefois, les réseaux se sont solidement implantés pour assurer la continuité de cette exploitation illégale, indépendamment de la présence physique des armées étrangères.

Une autre étape en vue de faire cesser l’exploitation des ressources naturelles sera d’instaurer rapidement un gouvernement transitoire en République démocratique du Congo qui assurerait le rétablissement du contrôle du Gouvernement et d’une administration locale viable, dotée des moyens nécessaires pour protéger et réglementer les activités d’exploitation au bénéfice de la population. Toutefois, il est manifeste que même dans l’éventualité de l’instauration d’un gouvernement incluant toutes les parties, le contrôle effectif du territoire et de ses ressources naturelles prendra du temps et ne sera réalisable que dans le cadre plus large d’un renforcement efficace des capacités institutionnelles. Entre-temps, le Groupe d’experts estime que la surveillance et les rapports sur l’exploitation illégale des ressources serviront au moins à décourager ces activités.

L’élément le plus important pour mettre un terme définitif à l’exploitation illégale des ressources en République démocratique du Congo est lié à la volonté politique de ceux qui assistent, protègent et profitent de ces filières. Ce n’est pas un des moindres défis, vu la complexité des liens qu’ils ont forgés et leur dépendance des bénéfices qu’ils retirent de ces trafics. L’économie de guerre qui est contrôlée par trois réseaux « d’élite » en République démocratique du Congo domine une grande part des activités économiques de la région des Grands Lacs. Cependant, les Accords de Lusaka, de Pretoria et de Luanda ne portent pas cet aspect économique primordial du conflit.

Les groupes armés, qu’ils soient étrangers ou congolais, qui profitent de ces activités devraient également être pris en compte dans les efforts pour y mettre fin. Des années de désordre et un gouvernement incapable de protéger ses citoyens ont permis à ces groupes armés de piller les ressources du pays en toute impunité. Bien que certains se réfugient derrière un programme politique, tous poursuivent ces activités économiques illégales pour leur survie. Il faut espérer que des progrès dans le processus de paix, accompagnés d’un programme de désarmement, de démobilisation, de rapatriement, de réinsertion et de réinstallation efficace et répondant aux besoins, fournira une meilleure alternative aux groupes armés. À cet effet, des fonds seraient nécessaires pour financer des programmes de réinsertion et de garanties de sécurité destinés à ceux qui ne sont pas recherchés pour crimes de guerre ou actes de génocide. La communauté internationale devrait par conséquent fournir une assistance à ces programmes, les faire connaître et inciter les groupes armés à y participer.

Le Groupe d’experts formule le voeu que ce rapport contribuera à un changement d’orientation des politiques – en raison de la récente évolution encourageante de la situation politique et militaire sur le terrain – qui permettront de ramener l’exploitation des ressources à un niveau légalement acceptable.

 

IX. Conclusions

Un embargo ou un moratoire sur les exportations de matières premières en provenance de la République démocratique du Congo ne semblent pas être un moyen viable permettant d’aider à améliorer la situation de son gouvernement, des ressortissants ou du milieu naturel congolais. Il faudrait apporter une assistance technique et financière massive à la population pour atténuer l’impact humanitaire de ces mesures de restriction. Cela étant, si le rapport du Groupe d’experts ne recommande pas de quelconques mesures punitives pour freiner l’exploitation et le commerce illégaux des ressources de la République démocratique du Congo, cela ne fera qu’encourager diverses organisations criminelles à continuer sur leur lancée. Ces activités pourraient s’en trouver facilement accrues, d’où la nécessité d’efforts de dissuasion soutenus.

Le rôle des entreprises et des particuliers qui ravitaillent les armes et pillent les ressources doit faire l’objet de mesures de restriction. Ces activités illégales sont d’une très grande envergure internationale et multinationale. Il faut instaurer des pratiques commerciales morales et transparentes pour les combattre.

L’établissement d’un gouvernement de transition à Kinshasa devrait s’accompagner de quatre éléments, à savoir : le désarmement de tous les groupes rebelles en République démocratique du Congo; le retrait progressif des troupes étrangères; l’adoption de mesures visant à réduire de manière draconienne l’exploitation illégale au profit de l’exploitation légale; et la mise en oeuvre d’importants moyens de pression au niveau multilatéral et de mesures d’incitation. Ces éléments doivent s’accompagner d’un processus de suivi dynamique et le tout doit se dérouler de manière graduelle, simultanée et continue. Ce processus dynamique ferait non seulement avancer le processus de paix en République démocratique du Congo, mais conduirait également à un règlement pacifique et définitif de la question de l’exploitation, assurant ainsi le triomphe des modes légaux d’exploitation des ressources. Les deux premiers éléments semblent déboucher sur une application simultanée et graduelle des récents accords signés à Pretoria et à Luanda. Le troisième élément est intimement lié au quatrième, autrement dit au recours à des moyens de pression à caractère incitatif et dissuasif.

Afin de redresser le processus d’exploitation illégale actuel et encourager une exploitation légale, qui pourrait contribuer à la stabilité économique de l’ensemble des parties, il faut des mesures de dissuasion et d’incitation énergiques dont le contrôle serait assuré par un organe de surveillance dynamique. Jusqu’ici, rien n’a fortement incité les parties qui exploitent illégalement les ressources du pays à modifier le statu quo économique. Il faut donc adopter des mesures tendant à les rassurer au sujet de perdre leurs revenus. Seulement, elles ne pourront être efficaces que si elles s’accompagnent d’un processus politique.

La reconstruction et la réorientation des économies de la région sont essentielles au rétablissement et à la consolidation de la paix. Le Groupe d’experts estime que la communauté internationale devrait insister sur des dividendes de la paix sous forme d’incitations économiques afin d’encourager les parties à respecter ces accords de paix et de créer un climat de confiance. Le Groupe d’experts recommande également une série de mesures à effet dissuasif comme moyen de pression en cas de non-respect de ces accords.

Nombre des conclusions du Groupe d’experts sur les causes et les conséquences économiques de ce conflit se sont retrouvées dans des idées visant à proposer la tenue d’une conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement durable dans la région des Grands Lacs. Les accords récemment signés peuvent en être le prélude. Elle serait l’occasion idéale pour discuter de la nécessité de réorienter le système de commerce régional pour répondre aux exigences d’une situation de postconflit et pour négocier le cadre d’un accord multilatéral permettant d’y parvenir. La réussite de cette politique de réorientation dépendra de l’adoption de mesures de caractère incitatif et de la mise en oeuvre de moyens d’intégration économique régionale qui permettraient de faire peu cas d’activités dictées par des considérations d’ordre criminel et militaire au profit d’un développement commercial légitime, transparent et tourné vers la croissance. L’intégration régionale favoriserait le rapprochement progressif des pays engagés dans le conflit et éviterait ainsi qu’un conflit armé n’éclate entre eux ultérieurement.

 

X. Recommandations

Dividendes de la paix

Le Groupe d’experts estime qu’avec la nouvelle dynamique créée par la signature des accords politiques et militaires de Sun City, Pretoria et Luanda, et les progrès qui en résultent, une série d’accords ou d’initiatives sur la reconstruction et le développement durable sont nécessaires pour tenir compte du facteur économique dans le processus de paix de Lusaka et encourager les parties à continuer dans la voie du progrès. La première série d’initiatives pourrait consister à débloquer rapidement des fonds, au titre de programmes de reconstruction et de relèvement, pour aider la République démocratique du Congo et les autres pays de la région des Grands Lacs engagés dans le conflit à créer des emplois, à rétablir leur infrastructure et à améliorer les conditions de vie des populations locales, surtout dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement.

L’intégration économique et les échanges régionaux pourraient faire l’objet d’un accord ou d’une série d’accords susceptibles de se dégager de consultations régionales, notamment de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité et le développement durable. La communauté internationale, en particulier l’Organisation des Nations Unies et les pays développés qui ont contribué activement à la signature des récents accords, peuvent prendre l’initiative de convoquer cette conférence.

Réforme institutionnelle

Renforcement des capacités institutionnelles
de la République démocratique du Congo

Le rétablissement et la réforme des institutions de la République démocratique du Congo, en particulier la capacité de l’État d’assurer la sécurité de son territoire et de ses frontières, sont le contrepoint du retrait des troupes étrangères. Le principal objectif devrait être de permettre au gouvernement de transition légitime de contrôler les ressources naturelles du pays et de protéger ses frontières contre toute intervention étrangère.

Un programme accéléré de recyclage et de professionnalisation de l’ensemble de l’appareil de sûreté de l’État, dont l’armée, les renseignements et les organes chargés de l’application des lois et de la réglementation tels que la douane, les impôts, l’immigration et les ressources naturelles doit être mis en place. Une aide internationale importante sera nécessaire à cela ainsi qu’un suivi méthodologique des progrès à long terme. Les donateurs multilatéraux et bilatéraux ainsi que les organisations internationales devront coordonner leurs efforts, s’inspirer de l’expérience la plus enrichissante accumulée lors d’autres passages à des phases de postconflit et encourager la participation de toutes les couches de la société congolaise.

Les réformes et le renforcement des institutions nationales ou centrales prévus dans les domaines prioritaires définis permettraient :

• De combattre la criminalité généralisée en République démocratique du Congo;

• D’améliorer la rigueur et la transparence;

• D’accroître l’obligation de rendre compte et de mettre un terme à l’impunité dont jouissent de hauts responsables et divers agents de la fonction publique;

• De renforcer les pouvoirs et moyens de réglementation;

• De professionnaliser les institutions et leur personnel, notamment en assurant leur indépendance et leur neutralité;

• De réformer les administrations douanière et fiscale telles que l’Office des douanes et accises et la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations;

• De donner plus de moyens à des ministères et services spécialisés s’occupant des ressources naturelles comme le Centre d’évaluation, d’expertise et de certification des matières précieuses et l’Institut congolais pour la conservation de la nature.

Promouvoir des administrations civiles légitimes et transparentes à l’est
de la République démocratique du Congo

Le Groupe d’experts recommande qu’un vaste programme de développement économique et social soit établi dans l’est de la République démocratique du Congo pour aider à passer à une administration civile légitime dotée d’un service chargé de la sécurité et de l’application des lois digne de ce nom. Il pourrait être financé partiellement grâce à l’aide substantielle que se sont engagés à verser l’Union européenne, la Banque mondiale et le FMI au titre de la reconstruction de la République démocratique du Congo après le conflit.

Saine conduite des affaires publiques en République démocratique du Congo
et respect des accords de paix

Le Groupe d’experts estime que le versement rapide d’une aide au développement est essentiel à la satisfaction des besoins sociaux et économiques pressants du pays. Il recommande toutefois que le décaissement soit assujetti au respect par le Gouvernement de la République démocratique du Congo des accords de paix qu’il a signés avec le Rwanda et l’Ouganda, à son engagement en faveur de la démocratie et aux progrès qu’il aura accomplis dans la lutte contre l’exploitation illégale de ses ressources naturelles.

Réforme des secteurs des ressources naturelles

Les réformes des secteurs minier et forestier doivent s’accompagner d’une renégociation de toutes les concessions et de tous les contrats signés durant les deux guerres. La résolution adoptée lors du dialogue intercongolais et portant création d’une commission spéciale chargée d’examiner la validité des accords économiques et financiers pourrait servir de cadre à ce processus. Cela pourrait également viser, d’après les résultats de l’enquête du Groupe d’experts, tous les accords privés sur l’octroi de concessions et l’exécution de contrats. La communauté internationale, y compris la Banque mondiale, la Société financière internationale et le PNUD pourraient collaborer étroitement avec cette commission et l’épauler dans son travail afin qu’elle le fasse de manière rigoureuse et objective. Il pourrait s’agir notamment d’avis d’experts et d’assistance technique destinés en partie à attirer des investisseurs étrangers à long terme pour redresser les secteurs minier et forestier de la République démocratique du Congo et créer des sources de revenus viables.

Mesures techniques et financières

En cas de non-respect des accords récemment signés et de poursuite de l’exploitation illicite et illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo, le Groupe d’experts recommande de prendre une série de mesures contre les parties concernées.

Rôle des gouvernements

Les gouvernements des pays où sont basés les individus, entreprises et institutions financières qui se livrent systématiquement et activement à cette exploitation devraient assumer leur part de responsabilité. Ils ont le pouvoir de réglementer leurs actions et de les sanctionner. Ils pourraient, le cas échéant, adapter leur législation nationale de manière à enquêter réellement sur les trafiquants et les traduire en justice. Les principes directeurs de l’OCDE offrent en outre un mécanisme qui permet de porter à l’attention des gouvernements des pays d’origine, c’est-à-dire des pays où ces entreprises sont enregistrées, les violations, par elles, de ces principes. Les gouvernements dont la juridiction s’exerce sur ces entreprises se rendent coupables de complicité en ne prenant pas les mesures correctives nécessaires.

Réduction de l’aide publique au développement

Il ressort de l’échange de vues entre le Groupe d’experts et les organisations bilatérales et multilatérales, et de l’examen d’accords en vigueur tels que la Convention de Cotonou, que les donateurs ont tout lieu de se montrer sensibles à une résolution du Conseil de sécurité où il était question de réduire au besoin l’aide publique au développement pour promouvoir la paix et la saine conduite des affaires publiques.

L’aide financière au Burundi, au Rwanda, à l’Ouganda et au Zimbabwe devrait aussi être subordonnée au respect des accords pertinents signés dans le cadre du processus de paix de Lusaka et à l’adoption de mesures assorties de clauses de vérification visant à mettre un terme à l’exploitation illégale et illicite des ressources de la République démocratique du Congo, ce qui pourrait aider à réaliser plusieurs objectifs.

Le non-respect de ces accords provoquerait automatiquement une révision et une réduction des programmes d’assistance en faveur de ces pays. La réduction des décaissements prévus au titre de l’aide devrait expressément s’appliquer au budget d’appui des institutions, aux prêts de stabilisation ou aux prêts-projets et aux ressources allouées à des secteurs non spécifiques.

L’opération se déroulerait en trois phases :

a) Une courte période de grâce permettant de s’assurer du respect des accords par l’ensemble des parties;

b) Une période initiale où les taux de décaissement sont légèrement réduits lorsque les pays visés n’ont pas atteint les objectifs fixés en matière de retrait;

c) Une période ultérieure où l’aide est proportionnellement réduite à intervalles réguliers jusqu’à ce que les normes fixées pour les retraits de troupes soient remplies et que les accords de paix soient entièrement respectés.

Restrictions imposées aux entreprises commerciales et aux particuliers

Le Groupe d’experts a établi une liste exhaustive des entreprises commerciales et des particuliers dont la participation aux activités commerciales des trois réseaux d’élite implantés en République démocratique du Congo est bien documentée. Néanmoins, les mesures restrictives qu’il recommande se limitent pour l’instant à un petit nombre d’entreprises (annexe I) et d’individus (annexe II) – dont plusieurs sont cités dans le présent rapport – en raison de la quantité d’informations et de documents qu’il a recueillis sur eux.

En contribuant directement ou indirectement aux recettes des réseaux l’élite, ces entreprises et individus alimentent le conflit en cours et ajoutent aux violations des droits de l’homme. Plus précisément, ces entreprises commerciales violent les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Par conséquent, le Groupe d’experts recommande que le Conseil de sécurité envisage d’imposer des restrictions à un certain nombre d’entreprises commerciales et d’individus qui se livrent aux types d’exploitation criminelle et illicite visés dans le présent rapport. La liste souligne la participation d’entreprises étrangères et de ressortissants de la République démocratique du Congo à l’exploitation économique.

Les entreprises et les particuliers visés pourraient bénéficier d’une courte période de grâce allant de quatre à cinq mois avant que les restrictions ci-après ne soient imposées, ce qui leur laisserait le temps de prouver qu’ils ne participent plus à ces activités d’exploitation. Les mesures de restriction sont notamment les suivantes :

a) Interdiction des déplacements de certains des individus identifiés par le Groupe;

b) Gel des avoirs personnels de ceux qui sont impliqués dans l’exploitation illégale des ressources;

c) Interdiction à un nombre déterminé de sociétés et d’individus d’avoir accès à des institutions bancaires et financières, de recevoir un financement d’institutions financières internationales ou d’établir un partenariat ou d’autres relations commerciales avec elles.

Respect des principes directeurs de l’OCDE par les entreprises commerciales

Le Groupe d’experts a dressé une autre liste d’entreprises commerciales (annexe III) qui, de l’avis du Groupe, violent les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Les pays signataires et autres sont moralement tenus de veiller à ce que leurs entreprises commerciales se conforment et s’en tiennent à ces principes.

Les principes directeurs de l’OCDE définissent une procédure permettant de porter à l’attention des gouvernements des pays où les entreprises commerciales sont enregistrées les violations qu’elles ont commises à leur égard. Ces gouvernements sont tenus de veiller à ce que les entreprises sur lesquelles s’exerce leur juridiction ne violent pas le code de conduite qu’ils ont adopté comme principe juridique. Ils font preuve de complicité en ne prenant pas les mesures correctives nécessaires. L’organe de surveillance, décrit ci-dessous, contribuera à appliquer ces procédures en vérifiant et en actualisant sa liste des entreprises commerciales coupables d’avoir violé les principes directeurs de l’OCDE et en communiquant les preuves de ces violations aux points de contact nationaux de l’OCDE basés dans les pays d’origine de ces entreprises.

Commerce de transit et organisations régionales

Pour promouvoir des programmes de consolidation de la paix au lendemain des conflits, le Groupe d’experts recommande à la communauté internationale d’aider à instaurer les mesures de confiance suivantes, notamment en :

a) Encourageant la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, composée du Kenya, de la République-Unie de Tanzanie et de l’Ouganda, à inclure le Rwanda et le Burundi parmi ses membres;

b) Aidant à rétablir les courants d’échanges historiques et légaux, par exemple en rouvrant la voie de transit du couloir nord au commerce légal entre la République démocratique du Congo, le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya;

c) Aidant les organisations commerciales régionales africaines à améliorer leurs mécanismes de contrôle douanier et commercial, notamment en juxtaposant des postes de contrôle frontaliers, en harmonisant la réglementation permettant de promouvoir les systèmes et l’utilisation de certificats d’origine et de destination et en aidant à élaborer une législation nationale permettant de suivre les flux financiers liés au commerce;

d) Améliorant les services de contrôle du trafic aérien dans la région des Grands Lacs. Le programme de coopération technique de l’OACI peut aider dans ce sens les États de la région qui en ont besoin.

Réglementation du commerce de produits provenant de zones de conflit

Des organisations spécialisées de l’industrie telles que le Tantalum Niobium International Study Centre, l’International Gold Council et l’International Coffee Federation pourraient être invitées en coopération avec la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, à suivre le commerce de produits provenant de zones de conflit. Cela constituerait un ensemble de données fiables sur l’acheminement des produits, les voies de transit passant par les pays voisins et sur les utilisateurs finals et leurs activités. Les données ainsi recueillies permettraient à l’industrie de surveiller les particuliers, entreprises et institutions financières qui se livrent au commerce de produits provenant de zones de conflit. Elles pourraient être également utiles en cas de moratoire sur le commerce illégal de produits en provenance de la République démocratique du Congo comme le coltan.

Processus de Kimberley

Tous les États Membres où s’effectue la vente de diamants bruts doivent participer au Processus de Kimberley, ce qui permettra d’en faire un instrument plus efficace.

Les pays producteurs de diamants doivent mettre en place des mécanismes de contrôle interne permettant de suivre les diamants de leur extraction à leur exportation. Ils doivent également envisager d’établir une série de normes internationalement reconnues au titre de ce processus. Un organisme technique chargé de les appliquer et doté des pouvoirs, des connaissances et des compétences spécialisées requises pour garantir l’efficacité du Processus de Kimberley doit être créé dans chacun des pays Membres.

Il conviendrait de mettre en place un secrétariat doté de fonctionnaires permanents chargé de coordonner l’application du Processus de Kimberley.

Protection du bois et des produits forestiers

Le Groupe de travail recommande que les États Membres appuient énergiquement les efforts des organisations intergouvernementales et non gouvernementales aux niveaux international et régional afin de mettre un terme à l’abattage illégal et d’arrêter une définition internationale du « bois de zone de conflit ».

Commerce d’espèces en voie de disparition

Le commerce d’espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction provenant de zones protégées de l’est de la République démocratique du Congo est une autre activité à laquelle se livrent des éléments des réseaux criminels. Les États Membres sont priés instamment de soutenir l’équipe spéciale créée en application de l’Accord de Lusaka sur les opérations concertées de coercition visant le commerce illilcite de la faune et de la flore sauvages en a) renforçant leur législation nationale afin de doter les agents de cette équipe spéciale de pouvoirs d’investigation et de poursuites judiciaires plus étendus, et b) veillant à ce que leurs bureaux nationaux, établis en vertu dudit accord, intensifient leurs enquêtes sur le trafic d’espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, comme défini dans la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

Processus de suivi

Il y a lieu de continuer à suivre de très près la situation dans la région des Grands Lacs afin de s’assurer que les activités d’exploitation ont été considérablement réduites. Un organe de surveillance, que le Conseil de sécurité pourrait envisager de créer, pourrait régulièrement lui présenter ses conclusions et lui recommander d’autres mesures à adopter pour mettre un terme aux activités qui violent ses décisions. Les compétences du Groupe pourraient se révéler utiles à cet égard.

L’organe de surveillance pourrait signaler au Conseil de sécurité tout État ou entreprise susceptible de participer à l’exploitation illégale de ressources naturelles. Il pourrait lui recommander que les principaux organismes multilatéraux et donateurs bilatéraux révisent et réduisent les programmes d’assistance financière de tout État dont il a été établi qu’il participe à ces activités, et que toute entreprise impliquée dans l’exploitation économique illégale soit ajoutée ou maintenue sur la liste des entreprises faisant l’objet de restrictions sur les transactions financières et les voyages. En outre, l’organe de surveillance pourrait collaborer étroitement avec les agents nationaux, y compris ceux de la Banque centrale de la République démocratique du Congo, de l’Office des douanes et accises, de la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations, du Ministère des mines et des hydrocarbures, des entreprises minières d’État et des sociétés d’exploitation minière et minéralière privées, afin d’actualiser les données sur les effets du renforcement des capacités et des réformes sur les activités d’exploitation. Dans l’exécution de ces tâches, l’organe de surveillance pourrait consulter les institutions financières internationales, l’Union africaine et la Commission économique pour l’Afrique.

Le Groupe d’experts recommande également à l’organe de surveillance, doté des compétences et ressources suffisantes, de suivre notamment :

a) La baisse éventuelle du niveau d’exploitation illégale;

b) L’application des éventuelles mesures d’interdiction de déplacements et de gel des avoirs;

c) Les enquêtes en cours sur le commerce illicite de produits minéraliers, de bois, d’espèces de faune et de flore menacées d’extinction. L’organe de surveillance pourrait également continuer de collaborer à certaines de ces enquêtes;

d) Les secteurs de l’économie qui ont été touchés par les activités d’exploitation;

e) Les incidences sur la situation humanitaire en République démocratique du Congo et dans la région;

f) L’atténuation du conflit et le maintien de l’ordre public dans l’est de la République démocratique du Congo et la viabilité des administrations et des institutions locales, conformément au mandat de l’organe de surveillance que le Conseil pourrait adopter.

 

Le Président,
(Signé) Mahmoud Kassem

(Signé) Jim Freedman

(Signé) Mel Holt

(Signé) Bruno Schiemsky

(Signé) Moustapha Tall

(Signé) Patrick Smith

 

 



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