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Social-Eco - le 16 Mai 2011

Le travail dans tous ses états. Le point de vue

L’inspection du travail et l’effet miroir

Par Samuel Devillon (*), inspecteur du travail, militant CGT.

Elles sont désespérées ces salariées : l’employeur met 
en place une nouvelle organisation qui bafoue le droit 
et dégrade les conditions de travail au mépris de l’activité même de l’entreprise. Il est sourd aux réclamations des délégués du personnel. Elles demandent une intervention urgente de l’inspecteur du travail.

Difficile de réprimer une grimace. Ta direction 
a en effet annoncé hier qu’un projet identique allait être appliqué ici. Cynisme et indifférence ont été opposés 
aux représentants syndicaux. L’inspecteur du travail peut-il solliciter une intervention de l’inspecteur du travail ?

C’est comme un miroir, les travailleurs dans la merde parlent à d’autres travailleurs dans la merde. 
Qui aidera qui ? Ça tient aussi de la mise en abyme. Comment rendre compte de la situation ?

Un jour on a nourri des vaches avec des vaches. 
La révision générale des politiques publiques à l’inspection du travail, c’est la vache folle. La crise capitaliste et ses conséquences sociales n’arrangent rien.

Il ne s’agit pas de concourir pour savoir qui est le plus mal. Ici on a plutôt tendance à se taire : on sait trop bien dans quelles conditions on bosse ailleurs. Postiers, aides-soignantes, travailleurs immigrés, saisonnières agricoles… Les mécanismes sont partout identiques, étudiés par des chercheurs en sursis. Mais ici on a ce fichu miroir. Voir les salariés se débattre, souvent en vain et malgré tous nos efforts pour accomplir nos missions, pour faire appliquer le droit du travail avec des moyens dérisoires, ça use. Alors comment continuer à croire que l’on va s’en sortir ici malgré ces petites victoires éparses qui permettent encore de tenir ?

Luc, inspecteur du travail et militant syndical, s’est donné la mort dans les locaux du ministère du Travail. On ne peut pas se taire. Il faut refuser la vache folle. C’est un impératif catégorique. Ici il y avait trois contrôleurs du travail pour renseigner cinquante salariés. Il en reste un seul qui peine à répondre sur des points de droit inextricables à cent personnes en proie à des difficultés professionnelles et sociales. Mais deux directeurs ont été promus et lui demandent des comptes, parce qu’il n’a pas pu instruire, en plus du reste, des dossiers de ruptures conventionnelles.

Ici tu reçois un salarié broyé psychiquement pendant 
que derrière la porte une assistante sanglote. 
Son poste est supprimé. Un « caprice », d’après
le directeur puisqu’elle conservera un emploi…

Ici on convoque un employeur pour pointer un recours abusif à l’emploi précaire, il sera accueilli dans les locaux par un stagiaire présent depuis des mois.

Ici on te signale les publications relatives aux « risques psychosociaux », on invite ergonomes et médecins 
pour disserter sur la destruction des collectifs de travail. Dans le même temps, on favorise le clientélisme 
pour les mutations et les promotions, l’individualisme, 
la concurrence entre les services. Les garanties statutaires sont vidées de leur contenu.

Au ministère du Travail, tout le monde sait ce qui est susceptible de tuer au travail, mais on met en œuvre 
la RGPP. Avec plus ou moins de zèle. Une infime partie 
de la hiérarchie s’insurge et souffre, les autres 
s’en moquent. Les nouvelles organisations sont ainsi faites que la responsabilité est diluée, au point 
qu’il n’y a plus de sens des responsabilités.

Ici tu n’as pas terminé le premier chapitre et tu connais déjà la fin de l’histoire, ça donne envie d’arrêter, ou tant que tu peux encore, d’écrire un autre livre riche de luttes, de solidarité.

 

(*) Le nom et le prénom ont été changés.

« Voir les salariés 
se débattre, souvent en vain et malgré tous nos efforts, pour faire appliquer le droit du travail avec des moyens dérisoires, ça use. »

Samuel Devillon

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