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l’Humanité
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le 27 octobre 1995
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Emmanuel Todd : l’inhumanité des bien-pensants

VOUS êtes un des enfants de Mme Anne-Marie Nizan, que votre père avait épousée en premières noces. Vous êtes donc à la fois petit-fils du philosophe Paul Nizan, et fils d’Olivier Todd, tous deux journalistes et romanciers. Prestigieuse généalogie familiale. Il se trouve par ailleurs qu’en tant qu’historien, et plus largement chercheur en sciences humaines, vous avez émis l’hypothèse d’un rôle déterminant des structures familiales dans la constitution des idéologies, des croyances politiques et des convictions religieuses. N’y aurait-il pas un lien intime entre votre biographie et l’objet de prédilection de vos recherches ?.

Mon attachement à l’histoire ne peut être interprété en terme d’attitude régressive. Dès l’âge de dix ans, je voulais être historien ou, plus exactement, archéologue. Mon premier livre d’histoire m’avait été offert par Emmanuel Le Roy-Ladurie, ami de la famille. Je ne me suis jamais posé de questions sur ce que je ressentais comme une vocation. Ai-je dévié de mon projet, dans la mesure où j’ai aussi fait pas mal de prospective ? L’histoire, au sens large, mène à l’examen du passé, du présent, mais aussi de l’avenir plus ou moins proche et plus ou moins lointain.

Epuisé par l’ambiance de l’université française après mai 1968, je suis allé en Angleterre. J’avais déjà été soumis à des influences intellectuelles britanniques dans ma famille. Mon père avait fait des études de philosophie à l’université de Cambridge, et il nourrissait une certaine tradition d’hostilité vis-à-vis de la philosophie allemande revue et corrigée par la philosophie française. J’ai donc été mis en contact, à Cambridge, avec Peter Laslett, mon futur directeur de thèse. Ma seule exigence théorique était de faire de l’histoire quantitative parce que les mathématiques et les statistiques fascinaient l’ancien élève des classes scientifiques que j’étais. Je me dois d’ajouter que c’est toutefois en Angleterre que j’ai découvert à quel point j’étais français.

Je me suis donc retrouvé, un peu par hasard, à décortiquer des listes nominatives d’habitants de la France du Nord, de la Bretagne, de la Toscane, datant du XVIIIe siècle. J’avais commencé par faire de la démographie historique. Jusqu’alors, je travaillais plutôt sur les phénomènes de fécondité, mariage, mortalité. J’ai vu réémerger la famille comme variable fondamentale dans mes recherches et mes interprétations. J’admets volontiers que mon intérêt pour la famille devait correspondre à une sorte de besoin chez moi. Je me trouvais bien dans cet objet d’étude-là. J’ai aussi hérité d’une sainte horreur vis-à-vis de tout ce qui décolle de la réalité. Je déteste l’univers de la phrase obscure. Je partage l’aversion exprimée par Paul Nizan vis-à-vis de la philosophie verbeuse, dans « les Chiens de garde ». J’aime ce qui s’exprime clairement, la philosophie anglaise, aussi bien que la pensée de Marx, ou celle de certains historiens des mentalités en France.

A peine achevée votre thèse sur les communautés paysannes française, italienne et suédoise, votre premier livre « la Chute finale » paraît en 1976. Vous y prédisez « la décomposition de la sphère soviétique » et vous avancez notamment l’idée que l’URSS, ne pouvant faire face au défi occidental, va se réformer, exploser ou pourrir. Qu’est-ce qui à l’époque motivait votre diagnostic ?

Mon premier voyage dans les pays de l’Est a été un voyage en Hongrie. C’était une société industrielle, se développant plus lentement que l’Europe occidentale. Simplement un pays un peu en retard. La Hongrie m’a achevé, idéologiquement, parce qu’elle était trop « normale ». On ne voyait plus où étaient l’utopie et le rêve. Mais il y a surtout, à l’origine de mes prévisions, un constat et une interprétation. J’étais tombé, à l’Institut national d’études démographiques, sur une statistique faisant apparaître une remontée du taux de mortalité infantile russe entre 1970 et 1974. Je me suis dit que c’était un truc sérieux et que le système était en train de pourrir.

C’était moins de la prédiction qu’une bonne observation de la réalité, à travers un indicateur que le système de contrôle stalinien de l’information avait laissé passer. J’ai donc analysé l’implosion, en terme de niveau de vie ou de réussite du système, à travers le taux de mortalité infantile. Il était visible que la sphère d’influence soviétique était d’autant plus oppressive qu’on allait de sa périphérie vers son centre. C’est ainsi que j’analysais la destruction de l’idéologie en cours dans les démocraties populaires. Etranger à la soviétologie d’alors, j’ai refusé l’hypothèse d’un « homo sovieticus » qui ne serait plus accessible du tout à la transformation de la réalité. L’évolution de la natalité, la courbe démographique indiquaient que les Russes étaient en train de devenir un peuple européen normalement développé.

Je suis assez content d’avoir posé à l’époque cette petite interrogation : « Un parti communiste au pouvoir peut-il se transformer en droite libérale ? » Les phénomènes d’inertie culturelle jouent un grand rôle, et ce qui est en train de se passer en Russie est assez largement un phénomène de reconversion de l’élite dirigeante ancienne. Je serais très étonné si on ne découvrait pas, bientôt, que les privilégiés du système nouveau sont statistiquement les descendants des privilégiés du système ancien.

Lors de la parution, en 1979, de votre ouvrage « le Fou et le Prolétaire », vous affirmiez que, d’une certaine façon, à l’occasion de chaque élection, les Français étaient bien obligés d’amorcer une réflexion sur le totalitarisme. Une douzaine d’années auparavant vous étiez membre des Jeunesses, puis du Parti communiste. Qu’est-ce qui vous a conduit à mettre entre cet engagement de jeunesse et votre réflexion d’homme mûr une telle distance ? Comment appréciez-vous l’évolution du Parti communiste français depuis cette époque ?

Si j’essaie d’être l’anthropologue de ma propre famille, j’ai eu finalement trois grands parents communistes et un social-démocrate autrichien. Une famille de gauche, très homogène, très tranquille dans ses convictions. Je ne suis pas très effrayé quand on cherche à faire de moi autre chose que ce que je suis. Je reste fasciné par la personnalité de Marx, indépendamment de toute question idéologique. Son oeuvre est une sorte de modèle de recherche, fiévreuse et colérique. Même s’il s’est trompé sur immensément de choses, j’apprécie son tempérament et son attitude vis-à-vis du savoir.

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