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Envoyer Imprimer International - Article paru
le 30 janvier 1998
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Orania : le rêve d’un Etat afrikaner où "les Noirs n’ont pas à venir"

De notre envoyé spécial.

à Orania.

L’ARC-EN-CIEL sud-africain, symbole du pays, est parfois obscurci par de gros nuages blancs. Etrange pensée qui me traversait l’esprit en quittant Bloemfontein, capitale de l’Etat du Freestate, pour me rendre à Orania, en bordure de la province du Northern Cape. Une ville comme il en existe peu dans le monde : elle est privée ! Explication. Il y a six ans maintenant, une fondation fortement marquée à droite achetait les 3.000 hectares d’Orania et décrétait que cette ville, à l’origine un ensemble de baraquements occupés par les ouvriers du barrage de Vanderkloof puis abandonnés, était désormais un Etat Afrikaner (Volkstaat). Le noyau d’un gouvernement indépendant qui comptait s’étendre jusqu’à la façade atlantique.

La route est longue pour y arriver. Il faut quitter la nationale 1 et s’aventurer sur des petits chemins, parfois des pistes, traverser des villages qu’on croirait tout droit sortis d’un film de John Ford, avec leur église, leur débit de boisson et leur impressionnant silence. Orania est idéalement située, à quelques encablures de la rivière Orange, source d’irrigation propice pour ces fermiers un peu grossiers qui ont imposé la ségrégation aux Noirs pendant des décennies et ont sciemment décidé l’édification d’un bantoustan blanc. Un acte de purification qui tient de l’idéologie autant que du mysticisme. Première vision : des grillages. Derrière, à flanc de coteau, des préfabriqués fraîchement restaurés style cottage de fortune qui jouxtent des maisons en dur. Pas de gardiens ni de vigiles. On pénètre là comme dans un moulin. Pourtant, tout semble bien gardé. Près de six cents personnes sont venues s’établir à Orania. Des Afrikaners, c’est-à-dire principalement les descendants des Allemands et des Hollandais, arrivés dans le c"ne sud de l’Afrique au XVIIe siècle. Une population très religieuse, adepte du calvinisme et fervent soutien de l’apartheid, dont le fondateur, Hendrik Verwoerd, assassiné en 1966 par un Blanc, est ici honoré avec respect. Sa statue domine Orania. Sa veuve, Betsy, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-seize ans, y vit, entourée de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. En 1995, Nelson Mandela est venu lui rendre visite, au grand dam de cette communauté qui voit dans la réconciliation pr"née par le président sud-africain une façon de "tuer" la culture boer.

Difficile de trouver à Orania un drapeau sud-africain. On arbore plut"t un fanion bien symbolique, celui de l’ancien Etat boer de 1892, constitué des républiques du Transvall et d’Orange. En digne héritier de Verwoerd, le conseil d’administration de la ville maintient d’ailleurs des contacts étroits avec Israël, "exemple de construction d’une nation". Des jeunes agriculteurs partent d’ailleurs régulièrement en stage pour travailler dans les kibboutzim et étudier les nouvelles techniques de plantation.

Première rencontre. Gerrit Steeberg a vingt ans. Il est arrivé là il y a cinq ans, en provenance du Transvaal, où vivait ses parents. "Ici, au moins, nous n’avons pas de problèmes. C’est calme. C’est un endroit super pour vivre, pas seulement parce que c’est un endroit de Blancs", dit-il. On donnerait le bon Dieu sans confession à ce gars. Avant qu’il n’ajoute : "C’est plus sain de ne pas se mélanger." On a beau s’y attendre, ce genre de phrase fait toujours l’effet d’un direct en pleine poire. On est tout de même méfiant à Orania. Suspicieux. Mais toujours aimable. Une des filles Verwoerd qui nous reçoit dans son salon hollandais fin XIXe siècle, entre une reproduction de Vermeer et un buste du père, ne parle guère mais fait venir un voisin pour nous guider jusqu’à la "guest house" ("Ici, vous n’avez pas besoin de verrouiller votre voiture ni votre maison", prévient-il, en appuyant fortement sur "ici") où nous attend un ancien journaliste. Retraité depuis peu, célibataire endurci, Carl défend avec vigueur sa culture "qui est en train de se perdre". Paranoïa ordinaire des ségrégationnistes : "L’afrikaner, notre langue, est attaqué. La radio et la télévision sont devenues étranges pour nous." Une stratégie de l’encerclement dont les conclusions sont évidentes : "Pour survivre il nous faut absolument un Etat afrikaner." CQFD. C’est à Orania que se trouve le nec plus ultra de la pensée raciste. Carl l’exprime crûment. "L’utilisation des Noirs pour les travaux domestiques ou autres, nous a rendus feignants. C’est pour cela que nous avons perdu le pays." Question perfide posée à Carl : "Que se passerait-il si un Noir venait à Orania ?" La réponse est sèche : "Ici, tout est fait pour les Blancs. Il n’y a pas de Noirs ou de métis. C’est privé. Ils n’ont pas à venir." Privée certes, mais ville d’Afrique du Sud qui doit respecter la Constitution. Conséquence, les habitants d’Orania voient toujours arriver avec crainte des cars de touristes. Et si un "Black" était dans le lot ?

PIERRE BARBANCEY

Demain : la culture après la chute de l’apartheid.

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