LâOrganisation de CoopĂ©ration
de Shanghai vue dâAstana :
un « coup de bluff »
géopolitique ?
Mourat Laumouline
Juillet 2006
Programme de
recherche Russie/NEI
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1
Russie.Nei.Visions
Russie.Nei.Visions
est une collection électronique consacrée à la
Russie et aux nouveaux Etats indépendants (Belarus, Ukraine, Moldova,
Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan,
Tadjikistan et Kirghizstan). Rédigés dans un format court par des experts
reconnus, ces articles
policy oriented
abordent aussi bien les questions
stratĂ©giques, politiques quâĂ©conomiques.
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Mourat Laumouline
â docteur en science politique, vice-directeur
du centre analytique de lâAgence dâĂ©tude des investissements du
Kazakhstan. M. Laumouline a Ă©tĂ© vice-directeur et chercheur senior Ă
lâInstitut des recherches stratĂ©giques du Kazakhstan (KISI). Depuis 1999, il
est commentateur politique pour la revue
KontinenT
. Entre 1993 et 1994, il
a travaillé au ministÚre des Affaires étrangÚres du Kazakhstan. Il est auteur
de plusieurs dizaines dâouvrages et articles sur lâhistoire du Kazakhstan et
de lâAsie centrale, les relations internationales et la politique extĂ©rieure du
Kazakhstan.
2
Sommaire
Sommaire....................................................................................................... 2
Résumé........................................................................................................... 3
Introduction................................................................................................... 4
L'OCS, un « coup de bluff géopolitique » réussi ? ...................................... 6
L'instrumentalisation de l'OCS par la Chine et la Russie......................... 10
Le repli de l'Occident .................................................................................. 14
Quelles options pour le Kazakhstan ? ........................................................ 17
3
Résumé
epuis le milieu des années 1990, l'Organisation de coopération de
Shanghai (OCS) apparaĂźt comme lâun des principaux instruments de la
politique étrangÚre du Kazakhstan et des recompositions géopolitiques en
Asie centrale. Le Kazakhstan sây implique pour des raisons gĂ©opolitiques,
de sécurité, économiques ou de politique régionale. Cette organisation
prĂ©tend couvrir un large Ă©ventail de dossiers nâayant parfois aucun lien
entre eux et qui sont traitĂ©s pour lâessentiel en marge de l'OCS. Au fond,
l'OCS nâest quâun « coup de bluff » gĂ©opolitique dâenvergure. Si les Ătats-
Unis reprĂ©sentent une sorte de « membre officieux » de lâorganisation,
l'Union europĂ©enne est pratiquement absente dâAsie centrale. En rĂ©alitĂ©,
pour le Kazakhstan, la participation à l'OCS comporte plus de défis et de
risques quâelle nâapporte de bĂ©nĂ©fices.
D
4
Introduction
u cours des dix derniÚres années, l'Organisation de coopération de
Shanghai est apparue comme lâun des principaux vecteurs d'influence
sur le positionnement international du Kazakhstan et les recompositions
gĂ©opolitiques de lâAsie centrale.
Ă l'heure actuelle, l'OCS compte six Ătats membres : Kazakhstan,
Kirghizstan, Chine, Russie, Tadjikistan et Ouzbékistan. Cette organisation
trouve son origine dans l'association de 1996, connue sous le nom de
« Shanghai 5 », entre cinq pays ayant pour objectif de régler les problÚmes
frontaliers et territoriaux le long de l'ancienne frontiÚre soviéto-chinoise. En
2000, il a été décidé de convertir « Shanghai 5 » en une structure régionale
de coopération multilatérale ayant compétence dans plusieurs domaines.
En 2001, l'OCS a été formellement instaurée comme organisation
internationale. Elle a été institutionnalisée, en juin 2002, lors du sommet de
Saint-PĂ©tersbourg avec la signature de sa Charte, la conclusion de l'accord
portant création d'une agence régionale antiterroriste et une déclaration
conjointe des chefs d'Ătats. La mĂȘme annĂ©e, l'OuzbĂ©kistan a rejoint
lâorganisation.
La principale caractéristique de cette organisation est la
disproportion de taille et dâinfluence entre ses membres parmi lesquels
figurent, dâune part, les grandes puissances gĂ©opolitiques comme la Chine
et la Russie, et, dâautre part, les pays d'Asie centrale, beaucoup plus
modestes par leur poids politique, économique et démographique et les
dimensions de leur territoire. Compte tenu de ces déséquilibres, on peut
sâinterroger sur les motivations du Kazakhstan au sein de l'OCS.
La participation et les intĂ©rĂȘts et de la RĂ©publique du Kazakhstan au
sein de l'OCS sont déterminés par les facteurs suivants :
PremiÚrement, le facteur géopolitique, lié à la présence au sein de
l'organisation de deux grandes puissances, la Russie et la Chine, qui
confine automatiquement les autres Ătats membres au second plan.
Chacun des deux « grands » a en effet des intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques
spécifiques qui dépassent largement ce cadre régional. Pour la Chine, il
s'agit principalement de l'Asie (Nord-est, Sud-est, Asie pacifique), pour la
Russie â de l'Europe et de l'espace euro-atlantique (relations avec l'UE et
l'OTAN) et pour les deux â des rapports complexes avec les Ătats-Unis. En
outre, la Russie, qui a ses intĂ©rĂȘts propres dans l'espace post-soviĂ©tique en
Asie centrale, voit la Chine accentuer son influence dans cette zone. Les
relations géopolitiques entre la Russie et la Chine (en tant que pays
leaders
de l'OCS) et leurs rapports avec le reste du monde constituent
Traduit du russe par
Alba Rossini.
A
5
donc un sujet de profonde préoccupation
1
. On ne peut que souligner Ă quel
point cette relation bilatĂ©rale forme lâarriĂšre-plan stratĂ©gique de la politique
internationale du Kazakhstan.
Le second facteur, celui de la sécurité, est étroitement lié au
premier. En 2002, dans le cadre de l'OCS, un accord a été signé sur la
mise en place d'une structure régionale antiterroriste, qui est devenue
opĂ©rationnelle en 2004. Les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan dĂ©pendent de la
capacité de l'OCS à garantir sa sécurité (et celle des autres pays d'Asie
centrale) face Ă la menace de l'islamisme radical. Il s'agit lĂ du principal
enjeu de sĂ©curitĂ©. A cet Ă©gard, il convient de rappeler que lâobjectif initial de
l'OCS Ă©tait de garantir l'intangibilitĂ© et la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres entre Ătats
membres : en avril 1997, un accord a été conclu sur la réduction mutuelle
des forces armées dans les régions frontaliÚres, en mai 1998 un accord
(signé le 26 avril 1996) sur le renforcement des mesures de confiance dans
le domaine militaire est entré en vigueur.
Le troisiĂšme facteur est dâordre Ă©conomique. Depuis la
transformation en 2000 de « Shanghai 5 » en organisation rĂ©gionale Ă
vocation multiple, de nombreuses déclarations ont été faites et des efforts
entrepris afin dâencourager lâintĂ©gration Ă©conomique au sein de l'OCS. Pour
relayer les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan, lâOCS devrait, en toute hypothĂšse,
renforcer son volet Ă©conomique.
Enfin, le quatriĂšme facteur concerne lâintĂ©gration rĂ©gionale : dans
quelle mesure les différentes composantes de l'OCS (géopolitique,
économique, aspects bilatéraux et multilatéraux) influent-elles sur la
politique régionale et sur les relations entre les républiques d'Asie centrale,
et comment cela se rĂ©percute-t-il sur les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan ?
1
Voir Bobo Lo, «
Un Ă©quilibre fragile : les relations sino-russes
»,
Russie.Nei.Visions
, n° 1, avril 2005.
6
L'OCS, un « coup de bluff
géopolitique » réussi ?
e spectre de questions illustre la diversité des dossiers potentiels de
lâOCS. Or, bon nombre dâentre eux sont toujours traitĂ©s en marge de
l'organisation. Il sâagit des relations bilatĂ©rales russo-chinoises, russo-
américaines et sino-américaines
; des rĂŽles respectifs de lâOTSC
(Organisation du traité de sécurité collective
2
), de l'OTAN et de l'OCS ; des
relations bilatérales des pays d'Asie centrale entre eux ou avec les grandes
puissances. LâOCS nâa pas de politique cohĂ©rente acceptĂ©e par tous ses
membres, mais son existence et sa prétendue activité politique (ou
gĂ©opolitique) donnent l'impression (ou plutĂŽt, l'illusion) dâun nouvel acteur
de poids sur la scÚne régionale et internationale. Dans ce contexte, on peut
se demander dans quelle mesure elle nâest pas en train de devenir un
trompe-lâĆil pour la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan.
L'activitĂ© de l'OCS en matiĂšre de sĂ©curitĂ© consiste principalement Ă
faire des dĂ©clarations, alors quâil existe bel et bien des dossiers, comme
lâAfghanistan, sur lesquels elle pourrait essayer de peser. La situation dans
ce pays a, en réalité, peu évolué depuis la fin du régime taliban : la
nouvelle administration afghane nâest, par exemple, pas parvenue Ă
endiguer le flux de drogues en provenance de ce pays. On suppose quâune
partie considérable de ces revenus illicites est employée à financer des
groupes islamistes terroristes, qui n'ont pas été totalement éradiqués aprÚs
lâopĂ©ration
Enduring Freedom
.
La menace islamiste concerne directement les six Ătats de l'OCS.
La Chine craint, non sans raison, une alliance entre les islamistes et les
groupes clandestins ouĂŻgours. La principale prĂ©occupation de PĂ©kin, Ă
l'heure actuelle, nâest plus la crĂ©ation d'un Ătat ouĂŻgour indĂ©pendant dans
le Xinjiang, mais l'instauration d'un « califat » qui engloberait l'Asie centrale
et les régions limitrophes. La Russie prend trÚs au sérieux les menaces
venant du sud : son objectif est dâendiguer lâarrivĂ©e des drogues et des
combattants (
boieviki
) sur son territoire en maintenant, Ă tout prix, la
stabilité dans les républiques méridionales d'Asie centrale.
2
Le TraitĂ© de sĂ©curitĂ© collective a Ă©tĂ© signĂ© en mai 1992 par lâArmĂ©nie, le Belarus,
le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et le Tadjikistan. En 2002, les Etats
membres signent les statuts de lâOrganisation du TraitĂ© de sĂ©curitĂ© collective Ă
Chisinau et, en dĂ©cembre 2004, cette organisation obtient le statut dâobservateur Ă
lâAssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de lâONU. Lâobjectif de lâOTSC est la prĂ©vention et la
liquidation des menaces militaires pour la souverainetĂ© et Ă lâintĂ©gritĂ© territoriale,
ainsi que pour des menaces transfrontaliĂšres (terrorisme international etc.)
(NDLR).
ĐĄ
7
Par une sĂ©rie dâattentats au printemps et Ă lâĂ©tĂ© 2004, puis de
nouveau en 2005, les groupes terroristes clandestins ont rappelé leur
existence en Ouzbékistan. Les dirigeants ouzbeks sont conscients que la
vallée de la Ferghana, minée par les problÚmes démographiques et
sociaux, est une poudriĂšre que l'Ă©tincelle islamiste pourrait faire exploser.
Le Kirghizstan, quant Ă lui, compte des groupes islamistes vivant
quasiment sans se cacher dans des camps situés au sud du pays. Ces
groupes ne s'attaquent pas au pouvoir en place, mais visent des
représentants chinois ou s'infiltrent en Ouzbékistan. Le Tadjikistan a pu
aussi prendre la pleine mesure de la menace terroriste : pendant plusieurs
annĂ©es, ce pays a Ă©tĂ© la cible de combattants afghans ou dâislamistes
tadjiks, entraßnés en Afghanistan. De prime abord, le Kazakhstan serait le
seul Ă bĂ©nĂ©ficier d'une situation plus favorable, mais ce nâest quâune illusion
de sécurité : les autorités kazakhes ne doivent pas sous-estimer le
potentiel de déstabilisation au sud du pays. En outre, elles doivent tenir
compte du facteur ouĂŻgour dans leurs relations avec la Chine.
Ă l'heure actuelle, l'OCS tient formellement une place importante
dans la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan. A lâoccasion de sa prĂ©sidence
de l'OCS, le Kazakhstan a organisé, fin février 2005, une réunion du
conseil des ministres des Affaires étrangÚres consacrée à la stabilité
rĂ©gionale, Ă lâaction internationale, aux difficultĂ©s actuelles de lâorganisation
et Ă la mise en Ćuvre de l'initiative de Tachkent visant Ă la crĂ©ation d'un
rĂ©seau de partenariats multilatĂ©raux dans la rĂ©gion de lâAsie pacifique.
Début juin 2005, la deuxiÚme réunion des secrétaires des conseils de
sĂ©curitĂ© des Ătats membres de l'OCS s'est tenue Ă Astana sur les
questions de sécurité et de stabilité, ainsi que sur les mesures à prendre
pour renforcer la coopĂ©ration entre les Ătats membres en matiĂšre de lutte
contre le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme.
En juillet 2005, sâest dĂ©roulĂ©e Ă Astana la dixiĂšme rĂ©union des chefs
d'Ătats qui a rencontrĂ© un large Ă©cho international. Ă cette occasion, l'Iran,
l'Inde et le Pakistan ont obtenu le statut d'observateurs. Parmi les sept
documents signés figurait une déclaration de coopération en matiÚre de
lutte contre le terrorisme, le sĂ©paratisme et l'extrĂ©misme. Les Ătats de
l'OCS se sont entendus sur la conduite conjointe d'exercices antiterroristes,
la formation de cadres, l'Ă©change dâexpĂ©riences. Mais la principale dĂ©cision
de ce sommet a été la déclaration de l'OCS sur la durée du stationnement
des bases amĂ©ricaines en Asie centrale. Beaucoup dâanalystes ont qualifiĂ©
cette dĂ©claration dâultimatum lancĂ© aux Ătats-Unis pour exiger la fin de leur
présence militaire dans la région. Cependant, par la suite, les positions de
différentes parties ont divergé. Ainsi, le Kirghizstan a pratiquement
désavoué sa participation à cette « déclaration anti-américaine ». Au cours
de la visite du secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld, fin juillet
2005, les autorités kirghizes ont déclaré vouloir conserver la base
américaine de Manas.
AprÚs les événements de mai 2005 à Andijan
3
et, plus
particuliĂšrement, aprĂšs le sommet de l'OCS Ă Astana, les relations
3
Le 13 mai 2005, une insurrection éclate à Andijan (vallée de la Ferghana). Elle
est sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©e par le gouvernement Ă lâaide de l'armĂ©e. La version dâune
manifestation pacifiste est récusée par les autorités ouzbeks qui y voient une
tentative de dĂ©stabilisation et refusent une enquĂȘte internationale indĂ©pendante.
8
américano-ouzbeks se sont profondément dégradées. A la différence du
Kirghizstan, lâOuzbĂ©kistan ne sâest pas contentĂ© de dĂ©clarations mais a
contraint les Ătats-Unis Ă fermer leur base militaire de Karshi-Khanabad fin
novembre 2005. A son tour, Washington a exercé des pressions sur
Tachkent à cause des événements d'Andijan, les violations des droits de
l'homme et la situation générale dans le pays. En ce qui concerne le
Kazakhstan, qui n'accueille aucune base américaine sur son sol, il a
observé un équilibre politique vis-à -vis des différents protagonistes en
soutenant, dâune part, la dĂ©marche anti-amĂ©ricaine, sans entreprendre,
dâautre part, des mesures rĂ©elles susceptibles de compromettre ses
relations avec les Ătats-Unis (ou l'OTAN).
Fin octobre 2005, une réunion du conseil des chefs de
gouvernement de l'OCS a été organisée à Moscou. Au cours de cette
réunion, Pékin a cherché à renforcer la composante économique de
lâorganisation. Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a ainsi proposĂ© de
financer des projets communs de développement à la hauteur de 900
millions de dollars. Autrement dit, les Chinois proposaient de contribuer
massivement au financement de l'Ă©conomie des pays de l'OCS, en
essayant de transformer lâorganisation politique en union Ă©conomique. Le
Kazakhstan et la Russie ont rejeté cette proposition chinoise. Si elle avait
Ă©tĂ© acceptĂ©e, lâOCS aurait risquĂ© de se transformer en une sorte de
« protectorat économique » de la Chine. Cette menace est bien réelle en
ce qui concerne la Russie et le Kazakhstan, qui, dans l'optique chinoise,
joueraient le rÎle de base arriÚre énergétique en fournissant hydrocarbures
et matiĂšres premiĂšres.
Depuis quelque temps, certains observateurs Ă©conomiques et
gĂ©opolitiques estiment que lâAsie centrale serait devenue le centre dâun
nouvel ordre économique et géopolitique en Eurasie. Ce processus se
caractériserait par l'extension des marchés vers le Sud-Est asiatique, la
Chine, la CorĂ©e, lâInde, la Turquie et la Russie et se dĂ©velopperait
parallĂšlement au ralentissement, voire Ă la stagnation, Ă©conomique en
Europe, qui Ă©tait autrefois le modĂšle et le pĂŽle dâattraction de la Russie et
des pays de la CEI. Le renforcement du « modÚle asiatique » et de
l'autonomie Ă©conomique eurasiatique (notamment, si les projets
dâintĂ©gration Russie-Asie centrale se rĂ©alisaient) pourrait avoir des
conséquences stratégiques majeures.
Les évolutions des derniÚres années montrent que l'OCS suit le
mĂȘme chemin que les autres organisations rĂ©gionales
:
elle
sâinstitutionnalise et se bureaucratise. Un secrĂ©tariat dont le siĂšge se trouve
à Pékin a été créé ; il existe un conseil des chefs de gouvernement et un
conseil des ministres des affaires étrangÚres ; les secrétaires des conseils
de sécurité se réunissent réguliÚrement et un comité exécutif de l'agence
rĂ©gionale antiterroriste de l'OCS est installĂ© Ă Tachkent. La crĂ©ation dâun
Fonds du dĂ©veloppement et dâun Conseil Ă©conomique et commercial
multilatéral confirme la volonté des pays membres de renforcer la
composante Ă©conomique de l'OCS.
Cependant, les efforts déployés par les fondateurs de l'OCS pour
présenter leur organisation comme partie intégrante du systÚme
Plusieurs pays occidentaux ont pris leurs distances Ă lâĂ©gard du gouvernement du
pays et lâUnion europĂ©enne a imposĂ© des sanctions (NDLR).
9
multipolaire et nouveau centre de gravité géopolitique laissent sceptiques
bon nombre dâobservateurs. Selon eux, l'OCS n'est quâun « coup de bluff »
géopolitique de taille. La Russie et la Chine, les deux principales « roues
du carrosse » pour reprendre lâexpression du prĂ©sident ouzbek Islam
Karimov
4
, nâont cessĂ© au cours de ces derniĂšres annĂ©es dâutiliser
lâorganisation dans le cadre de leurs relations avec les Ătats-Unis et
l'Occident en général. Ils se servent de l'OCS pour « marquer leur
territoire » en Asie centrale face à la poussée des Etats-Unis.
4
KontinenT
, n° 12, 2004.
10
L'instrumentalisation de l'OCS par la
Chine et la Russie
l ne fait aucun doute que la Chine est isolée au sein de l'OCS face à des
anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques partageant un mĂȘme passĂ© et se
heurtant aux mĂȘmes difficultĂ©s, ce qui leur permet de toujours trouver un
terrain d'entente. En outre, la Russie a une approche bilatérale « bien
rodée » pour chacune d'entre elles.
Les intĂ©rĂȘts de la Chine au sein de l'OCS sont dĂ©finis par les
facteurs suivants. PremiĂšrement, lâobjectif de PĂ©kin est de maĂźtriser les
forces séparatistes du « Turkestan oriental »
5
. DeuxiĂšmement, elle cherche
Ă maintenir l'Asie centrale comme une arriĂšre-cour stable sur le plan
stratégique. TroisiÚmement, elle considÚre certains pays de la région
comme dâimportants fournisseurs de ressources Ă©nergĂ©tiques et des
partenaires Ă©conomiques potentiels.
L'un des principaux objectifs chinois est d'empĂȘcher que la rĂ©gion
ne serve de base de soutien aux mouvements séparatistes et de canal de
communication avec le terrorisme international. La Chine a demandé aux
gouvernements d'Asie centrale d'interdire l'activité de ces séparatistes dans
leurs pays et dâempĂȘcher lâinfiltration des terroristes et des extrĂ©mistes en
Chine à partir de leurs territoires respectifs. Pour Pékin, la sécurité des
Ătats d'Asie centrale ne peut pas ĂȘtre dissociĂ©e de celle de la rĂ©gion
autonome du Xinjiang : en dâautres termes, lâinstabilitĂ© en Asie centrale a
un impact direct sur la sécurité du nord-ouest de la Chine
6
.
La stabilitĂ© stratĂ©gique de lâAsie centrale, comme arriĂšre-cour de la
Chine, dépend des trois conditions. La premiÚre concerne le rÚglement des
différends frontaliers entre la Chine et les autres pays de la région et de la
paix et la sécurité dans les zones frontaliÚres. Ces deux problÚmes sont
quasiment réglés, il ne reste qu'à trouver un accord sur quelques zones
frontaliÚres dépeuplées et peu étendues. La deuxiÚme condition est la
conduite dâune politique extĂ©rieure ouverte par les pays de dâAsie centrale
Ă lâĂ©gard de la Chine, qui, Ă son tour, doit veiller Ă entretenir des relations
bilatérales équilibrées avec eux. TroisiÚmement, il faut éviter la mainmise
dâune grande puissance sur lâAsie centrale.
5
Il sâagit de l'actuelle rĂ©gion autonome de Xinjiang dont la population
majoritairement turco-musulmane est proche des peuples d'Asie centrale.
6
Zhao Huasheng, âChina, Russia, and the U.S.: their Interests, Postures, and
Interrelations in Central Asiaâ,
Central Asia and the Caucasus
(Lulea, SuĂšde),
2004, n° 5, p. 116-125; n° 6, p. 86-94; Li Lifan, Ding Shiwu, âGeopolitical Interests
of Russia, the U.S. and China in Central Asiaâ,
Central Asia and the Caucasus
(Lulea, SuÚde), 2004, n° 3, p. 139-146.
I
11
à l'heure actuelle, la stratégie chinoise en Asie centrale n'est pas
complÚtement indépendante : elle est conditionnée par les positions russes
et américaines
7
. Pour PĂ©kin, lâĂ©volution de la situation dans la rĂ©gion
dépendra de la durée de la présence militaire américaine. La Chine
souhaite, par consĂ©quent, faire de lâOCS le pivot central de sa stratĂ©gie en
Asie centrale, en renforçant ses pouvoirs, en améliorant ses mécanismes
de dĂ©cision et en limitant son inertie institutionnelle afin dâen faire un outil
de transformation de la région.
Les efforts entrepris par la Russie depuis plusieurs années en vue
dâassurer son « retour » en Asie centrale par le biais dâun renforcement de
sa prĂ©sence militaire et de son influence politique nâont pas Ă©chappĂ© aux
hommes politiques et aux militaires chinois. Selon eux, en mettant lâaccent
sur lâintĂ©gration Ă©conomique au sein de la CEI, la Russie cherche, en
réalité, à renforcer son influence politique. En ce qui concerne la Chine, elle
essaie de limiter la portée de ce retour et de le canaliser par le biais de
lâOSC.
Compte tenu de la faiblesse du poids Ă©conomique de la Russie, la
Chine considĂšre sa propre croissance comme la principale force motrice
susceptible de promouvoir un modÚle de développement pour toute la
région. Dans cette optique, l'OCS est vue à Pékin comme une structure de
transition, utile pour une période qui devrait lui permettre de s'imposer
comme un pĂŽle de puissance mondial. Il est Ă©vident que la Chine fera de
son mieux pour éviter l'érosion de l'OCS en tant qu'instrument de présence
en Asie centrale et facteur d'Ă©quilibre dans les relations sino-russes. La
principale difficultĂ© de PĂ©kin rĂ©side dans lâarticulation entre lâOCS dans le
domaine de la lutte anti-terroriste et l'Organisation du Traité de sécurité
collective, dont les pays de l'OCS, sauf la Chine et l'Ouzbékistan, sont
membres.
La Chine tente par ailleurs de dissiper les inquiétudes des pays
d'Asie centrale Ă son Ă©gard en promouvant la lutte anti-terroriste et en
véhiculant une image de superpuissance pacifique. Elle vise ainsi à établir
une sorte dâhĂ©gĂ©monie douce. Compte tenu de lâaccroissement de la
demande énergétique chinoise, il est prévisible que les entreprises
publiques chinoises vont investir massivement dans les secteurs gazier et
pétrolier du Kazakhstan et renforcer leur participation au développement du
secteur hydro-énergétique du Kirghizstan (principalement, dans un souci
d'approvisionner la région du Xinjiang en énergie électrique).
Pour la Russie, l'OCS est avant tout un cadre de coopération avec
la Chine. La coopération entre ces deux pays a atteint en 2005 un niveau
inégalé. Moscou et Pékin ont conduit conjointement une série d'exercices
militaires de grande envergure, ont adopté une déclaration commune sur
l'ordre international au XXI
Ăšme
siĂšcle et ont utilisĂ© lâOCS pour contrecarrer
conjointement la prĂ©sence militaire des Ătats-Unis en Asie centrale.
7
Voir B. Brauer, « Borâba za vliĂąnie v centralâno-aziatskom regione » [La lutte pour
lâinfluence dans la rĂ©gion de lâAsie centrale],
Internationale Politik
(version russe),
2002, n° 2. p. 27-35; S. Ohotnikov, « Kitaj i CentralânaĂą AziĂą posle na
Ä
ala
antiterroristi
Ä
eskoj operacii v Afganistane » [La Chine et lâAsie centrale aprĂšs le
dĂ©but de lâopĂ©ration antiterroriste en Afghanistan],
CentralânaĂą AziĂą i Kavkaz,
2002, n° 5, p. 21-32.
12
Les militaires russes considĂšrent indispensable de renforcer la
coopération avec la Chine dans le cadre de l'OCS, mais restent divisés sur
le degrĂ© Ă atteindre compte tenu dâune possible rivalitĂ© stratĂ©gique Ă terme.
En effet, lâĂ©tat-major russe ne considĂšre pas la Chine comme un partenaire
fiable et refuse de lui vendre un certain nombre de nouveaux matériels et
des technologies sensibles. La Russie est, en outre, extrĂȘmement rĂ©ticente
Ă cĂ©der Ă PĂ©kin des licences dâexploitation pour certains systĂšmes
dâarmes. La montĂ©e progressive de l'influence chinoise en Asie centrale et
la dépendance croissante de la région vis-à -vis de Pékin préoccupe
Moscou. Comme cela a déjà été souligné, les tentatives de la Chine de
renforcer lâintĂ©gration Ă©conomique au sein de lâOCS n'ont pas Ă©tĂ© relayĂ©es
Ă Moscou.
Les experts russes cherchent aujourd'hui Ă trouver une formule de
coopération avec la Chine dans le cadre de l'OCS. Ils proposent,
notamment, de restructurer l'Organisation selon le profil de ses membres
sur trois niveaux : la Chine et la Fédération de Russie au niveau supérieur
global, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan au niveau intermédiaire régional, le
Kirghizstan et le Tadjikistan au niveau subrégional. Dans le cadre de cette
hiérarchie fonctionnelle, ils n'excluent pas que le Kazakhstan et
l'Ouzbékistan puissent devenir des acteurs clés de l'OCS, responsables de
la stabilité et du développement dans la région, tandis que la Chine et la
Russie assureraient la politique stratégique générale de l'OCS et de ses
relations avec le reste du monde.
En réalité, la Russie craint de se transformer en un partenaire
mineur de la Chine. Elle cherche par tous les moyens Ă freiner cette
tendance (limitation de ses ventes de haute technologie Ă la Chine,
limitation de lâintĂ©gration Ă©conomique rĂ©gionale, contrĂŽle de l'immigration).
Dans la mĂȘme logique, Moscou s'applique Ă dĂ©velopper les relations
triangulaires entre la Russie, la Chine et l'Inde.
Il semble bien que la Russie considĂšre, dans une large mesure,
l'OCS comme un instrument géopolitique provisoire prolongeant la doctrine
Primakov
8
, afin de maximiser ses convergences de vue avec PĂ©kin. La
proximitĂ© des deux pays leur permet dâenvisager une coordination de leurs
actions sur la scĂšne internationale. A Moscou, on considĂšre que des
positions communes avec la Chine ne pourront pas ĂȘtre nĂ©gligĂ©es par la
communauté internationale.
En ce qui concerne la Russie, la situation actuelle lui offre une
opportunité unique de rétablir son influence en Asie centrale. La Russie a
obtenu la fusion de l'Organisation de coopération centrasiatique (OCCA) et
la Communauté économique eurasiatique (CEEA)
9
, ce qui lui donne des
8
Ministre des affaires étrangÚres et Premier ministre de la Fédération de Russie,
vétéran des services de renseignement, E. Primakov s'est efforcé en 1998-1999
de réorienter la politique étrangÚre russe de l'Ouest vers l'Est, en lui conférant un
caractÚre anti-occidental et anti-américain.
9
L'Organisation de coopération centrasiatique (OCCA) a remplacé en février 2002
la Communauté économique centre-asiatique fondée en 1994 par le Kazakhstan,
le Kirghizstan, le Tadjikistan et lâOuzbĂ©kistan, ce qui sâexplique par le passage
progressif dâune simple coopĂ©ration Ă©conomique entre les pays membres Ă une
coopération élargie (notamment, lutte contre les drogues, extrémisme religieux,
radicalisme etc.). La Russie a rejoint lâorganisation en 2004. La CommunautĂ©
économique eurasiatique (CEEA) a été fondée en 2001 par le Belarus, le
13
moyens de contrÎle des principaux processus d'intégration dans la région.
En fait, cette fusion peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une tentative
dâamortissement de l'expansion Ă©conomique chinoise dans la rĂ©gion.
En ce qui concerne la stratĂ©gie de la Russie Ă lâĂ©gard du
Kazakhstan, au moins Ă court terme, elle ne sâinscrit pas dans le cadre de
l'OCS. Elle vise avant tout Ă la crĂ©ation d'un espace commun de dĂ©fense, Ă
la mise en place de forces communes de déploiement rapide sous l'égide
de la Russie, à la poursuite du processus d'intégration économique et
militaire des Ătats membres de l'OTSC et Ă la formation d'un noyau dur
d'intégration en Asie centrale autour de la Russie et du Kazakhstan.
Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et le Tadjikistan et a remplacĂ© lâUnion
douaniĂšre de 1995. En octobre 2005, aprĂšs la prĂ©sentation par lâOuzbĂ©kistan de
sa candidature pour la CEEA, la décision a été prise de fusionner les deux
organisations (NDLR).
14
Le repli de l'Occident
es Ătats-Unis influencent les Ă©volutions de l'OCS, dans la mesure oĂč les
deux puissances majeures de l'organisation, la Russie et la Chine,
entretiennent des relations stratégiques et économiques étroites avec
Washington. Par ailleurs, les Etats-Unis sont présents en Asie centrale et y
exercent une influence par différents canaux sur les pays de la région et,
en particulier, sur le Kazakhstan.
Depuis 2005, la stratĂ©gie des Ătats-Unis en Asie centrale a Ă©voluĂ©
de façon spectaculaire. Confronté au recul de son influence, Washington a
dû adopter une politique plus pragmatique et réaliste, ce qui s'est traduit,
dans le cas du Kazakhstan, par la non-ingérence dans les élections
présidentielles de 2005. Dans les mois qui les ont précédés, il existait une
menace, bien rĂ©elle, de voir les Ătats-Unis actionner le mĂ©canisme de
« révolution en velours » au Kazakhstan. Cette menace a été contenue par
une réaction ferme d'Astana face aux événements au Kirghizstan et en
Ouzbékistan, par un processus de consultation et de concertation avec
Moscou et PĂ©kin, par la modification du calendrier Ă©lectoral et par la
démarche de l'OCS en juillet 2005 relative à la durée de présence des
troupes américaines. La position commune de Moscou et Pékin est un
facteur qui a largement contribuĂ© Ă la prudence diplomatique des Ătats-
Unis.
Il semblerait que Washington procÚde actuellement à une révision
des méthodes et instruments de sa politique dans la région, ce qui ne
manquera pas de faire ressentir ses effets sur la sĂ©curitĂ© du Kazakhstan. Ă
cet égard, des débats animés agitent l'
establishment
américain sur les
objectifs et moyens de mise en Ćuvre de la stratĂ©gie amĂ©ricaine en Asie
centrale. Depuis 2005, Washington développe une nouvelle approche
stratĂ©gique pour la rĂ©gion â le projet de « Grande Asie centrale »
10
. Ce
projet vise des objectifs géopolitiques concrets : détacher l'Asie centrale de
l'espace eurasiatique dont elle fait naturellement partie, en isolant ainsi les
Ătats de la rĂ©gion de la Russie et du reste de la CEI ; crĂ©er un cordon entre
la région et la Chine ; réaliser quelques projets de routes de communication
entre le Caucase et le Pamir en contournant les territoires russe et chinois,
etc. Dans son principe, le projet de « Grande Asie centrale » pourrait donc
se lire comme un plan anti-OCS.
Du point de vue institutionnel, ce projet s'est traduit par une
redistribution des responsabilitĂ©s au sein du dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain :
depuis lâautomne 2005, l'Asie centrale ne relĂšve plus de la compĂ©tence de
10
Voir F.S.E. Starr,
A Greater Central Asia: Partnership for Afghanistan and Its
Neighbors.
The Central Asia-Caucasus Institute and Silk Road Studies Program
,
Washington, DC: Joint Transatlantic Research and Policy Center, 2005, 38 p.
L
15
la direction Europe, mais de celle de la direction Moyen-Orient et Asie du
Sud.
La nouvelle stratégie américaine (annoncée lors de la visite du
secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain C. Rice dans la rĂ©gion en octobre 2005) repose
sur des facteurs d'ordre géopolitique, militaire, stratégique et régional. En
ce qui concerne la Russie et la Chine, les Ătats-Unis ont dĂ©cidĂ© d'agir en
reconnaissant les intĂ©rĂȘts de ces deux puissances dans la rĂ©gion et sont
prĂȘts Ă en tenir compte (mĂȘme si ce n'est que de façon formelle), et donc Ă
prendre acte de l'influence de l'OCS. Dans le mĂȘme temps, les Ătats-Unis
tiennent à maintenir leur présence en Asie centrale sous toutes ses formes.
On peut donc constater (au moins dans les dĂ©clarations) le renoncement Ă
une forme dâunilatĂ©ralisme de la part des Ătats-Unis.
La « carotte » de lâOTAN devient pour les Ătats-Unis un nouvel
instrument de renforcement de leur influence (et de lâinfluence occidentale
en général), par le biais, notamment, du rééquipement des forces armées
des Ătats d'Asie centrale. DerniĂšrement, la coopĂ©ration entre les pays
d'Asie centrale et l'OTAN dans le cadre du Partenariat pour la paix fait
l'objet d'une attention accrue. LâidĂ©e selon laquelle la modernisation des
forces armĂ©es des Ătats d'Asie centrale passe par ce partenariat
progresse. De toute Ă©vidence, ce processus (qui, par ailleurs, a des
fondements tout à fait objectifs) provoque irritation et inquiétude à Moscou,
car il remet indirectement en question lâexistence et le fonctionnement de
l'OTSC et de l'OCS en tant que structures de sécurité.
Le but stratĂ©gique de l'OTAN (du point de vue des Ătats-Unis)
consiste à assurer la stabilité de l'immense espace eurasiatique à l'est de
l'Europe et à assurer le contrÎle géopolitique des importantes zones
stratégiques que constituent le Proche-Orient, la mer Noire, le Caucase, la
Caspienne et l'Asie centrale. L'Asie centrale et l'Afghanistan sont des
régions géopolitiques clés pour la présence occidentale au centre de la
zone eurasienne, compte tenu de lâimportance qu'elles ont pour la Chine et
la Russie. Les stratĂšges de l'OTAN qui analysent la politique Ă©trangĂšre du
Kazakhstan considĂšrent qu'en se donnant comme objectif Ă long terme
d'approfondir progressivement ses relations avec l'OTAN, Astana met
volontairement en péril ses relations avec la Russie et la Chine. Dans ce
contexte, lâOTAN ne manque pas de souligner lâambivalence de
lâengagement du Kazakhstan au sein de l'OTSC et de l'OCS, ainsi que
dans le cadre de ses relations bilatérales avec la Russie et la Chine. Elle
cherche dĂ©sormais Ă sâinscrire dans le jeu dâĂ©quilibre dâAstana.
En Asie centrale, l'Union européenne dans son ensemble et ses
Ătats membres individuellement brillent par leur absence. Ă l'heure
actuelle, l'UE n'est en mesure d'influer sur la situation en Asie centrale
qu'indirectement. La raison principale en est le coup de frein brutal qu'a
reçu l'intégration européenne aprÚs le rejet de la Constitution (qui a eu pour
conséquence de geler tous les projets géopolitiques), ainsi que son
élargissement, les événements en Ukraine, l'alternance du pouvoir à Berlin
et l'Ă©volution des relations entre l'UE et Moscou.
En ce qui concerne l'OTAN, la question se pose de savoir comment
s'articule la stratégie américaine avec celle de ses partenaires européens.
Il est évident que la stratégie de l'UE vis-à -vis de l'Asie centrale et du
Kazakhstan est déterminée par la politique de ses principaux Etats
16
membres (France, Allemagne, Grande-Bretagne), mais aussi par celle des
organisations internationales (OTAN et OSCE). LâUE a une grande
importance pour l'Ă©conomie du Kazakhstan, mais pour lâinstant elle nâa
toujours pas le statut dâacteur gĂ©opolitique.
Ă l'heure actuelle, lâUE est en retrait par rapport Ă lâAsie centrale et
se contente de la considérer comme une zone-tampon. Par le biais de
diffĂ©rents instruments, lâUE veillera Ă maintenir ce rĂŽle de zone-tampon,
destinée à la protéger contre les menaces comme le terrorisme, le trafic de
stupĂ©fiants, lâimmigration clandestine ou la prolifĂ©ration des armes de
destruction massive.
A la diffĂ©rence des Ătats-Unis, l'UE a toujours reconnu lâexistence
des intĂ©rĂȘts particuliers de la Russie en Asie centrale. En outre, les
analystes européens étudient les perspectives de développement des
relations de lâUE avec la rĂ©gion. Dans ce contexte, des discussions vives
sont menées autour du dossier turc, car la création et le développement de
liens institutionnalisĂ©s et formels entre l'UE et les Ătats turcophones de la
région dépendront, entre autres, de la décision prise sur l'adhésion de la
Turquie Ă l'UE, mais Ă©galement de lâattitude russe et chinoise Ă cet Ă©gard.
Certains stratĂšges n'excluent pas que l'Europe puisse proposer au
Kazakhstan, au Kirghizstan et Ă l'OuzbĂ©kistan « dĂ©mocratisĂ© » (câest-Ă -
dire, post-Karimov) une sorte de réplique des accords de Lomé ou de
lâaccord Euromed. Sans offrir de perspective dâadhĂ©sion ou de statut de
membre associĂ©, ce type dâaccord suppose un renforcement de la
coopération économique et douaniÚre entre les partenaires.
Cependant, la stratégie de Bruxelles vis-à -vis de l'Asie centrale, de
la Caspienne et du Caucase reste principalement déterminée par les
besoins de l'UE en hydrocarbures et matiÚres premiÚres, combinés à la
doctrine de protection des droits de lâhomme et de soutien Ă la
démocratisation.
17
Quelles options pour le Kazakhstan ?
travers l'OCS, le Kazakhstan reste tributaire de lâĂ©volution des
relations sino-russes : d'une part, un rapprochement stratégique trop
Ă©troit entre PĂ©kin et Moscou risquerait d'entraĂźner une double emprise de
ces deux puissances en Asie centrale (y compris dans le cadre de l'OCS),
de lâautre, une concurrence exacerbĂ©e entre elles, dont lâĂ©ventualitĂ© ne
peut ĂȘtre exclue, reprĂ©senterait Ă©galement une menace pour la rĂ©gion.
Les problĂšmes que la Chine peut poser au Kazakhstan sont de
nature traditionnelle et doivent se penser dans la durée (infiltration
démographique, progression de son influence économique et menace
d'une dépendance économique du Kazakhstan, montée des dissensions
entre PĂ©kin et dâautres grandes puissances). Mais l'Ă©volution extrĂȘmement
rapide de la stratégie chinoise démontre une approche active, voire
offensive, de la Chine envers lâavenir de l'Asie centrale et ses relations
avec cette région. Il ne fait aucun doute que Pékin essaye de se
positionner à moyen terme comme la puissance régionale dominante en
cherchant Ă sâimposer comme le tuteur Ă©conomique de la rĂ©gion. Cette
stratégie chinoise compliquera inévitablement les relations sino-russes, qui
risquent de passer du stade actuel de la coopération à celui d'une rivalité
pour la suprématie dans la région.
Moscou et Pékin conçoivent l'OCS comme une organisation
internationale au sein de laquelle les pays d'Asie centrale occupent une
place de second rang. Cette conception est un défi de taille pour le
développement du Kazakhstan. En tenant compte de cette tendance, le
Kazakhstan se doit, autant que faire se peut, d'Ćuvrer au maintien dâune
alliance tacite entre les Ătats post-soviĂ©tiques dans le cadre de l'OCS afin
de limiter l'influence de la Chine. Par ailleurs, au sein de l'Organisation,
Astana doit demeurer le principal partenaire de la Russie, ce qui implique
une meilleure concertation sur les grands projets énergétiques concernant
la Chine.
Il semble que Washington essaye de développer la coopération
entre le Kazakhstan et l'OTAN au-delà des questions de sécurité. Astana
se trouve donc dans une position dĂ©licate, dans la mesure oĂč le
renforcement de sa coopération avec l'OTAN entraßnera immanquablement
des oppositions de la part de Moscou et de la Chine en tant que
puissances dominantes de l'OCS. Mais le Kazakhstan ne peut pas se
permettre, dans une perspective Ă long terme, de renoncer, par souci de
fidélité à l'OCS, à la coopération avec l'Occident.
Ainsi, l'OCS agit comme révélateur des ambiguïtés régionales. Ce
n'est ni une alliance stratégique, ni une union économique à proprement
parler, ni une organisation politique au sens traditionnel du terme
(géographique, culturelle, civilisationnelle, etc.). Quoi qu'il en soit, l'OCS
A
18
occupe, bon gré, mal gré, une place grandissante dans la politique
Ă©trangĂšre du Kazakhstan, qui sâexplique avant tout par lâimplication directe
des puissances russe et chinoise, que le Kazakhstan ne peut Ă©videmment
pas ignorer. L'autre facteur est la composante centrasiatique de l'OCS qui
incite le Kazakhstan à tenter de jouer un rÎle régional de premier plan.
En ce qui concerne la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan, l'OCS lui
offre des avantages, mais comporte aussi des risques. Dans la mesure oĂč
la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan consiste Ă chercher constamment un
Ă©quilibre entre plusieurs vecteurs (politique multi-vectorielle), l'OCS lui offre
des options pour trouver des contrepoids Ă ses relations avec l'Occident.
Dans le mĂȘme temps, de nombreux engagements proposĂ©s ou imposĂ©s
par la Russie et/ou la Chine dans le cadre de l'organisation, mettent
naturellement le Kazakhstan dans lâembarras. Sa participation Ă l'OCS est
source de difficultés supplémentaires sur le plan de la recherche de
l'Ă©quilibre entre Moscou et PĂ©kin : Astana pourrait bien ĂȘtre contrainte de
faire un choix dâalliance dans le futur.
Au fond, la participation du Kazakhstan Ă l'OCS ne lui apporte
aucun dividende rĂ©el : lâessentiel de ses relations bilatĂ©rales avec la Russie
et la Chine est suivi en dehors de cette organisation qui ne lui permet guĂšre
de peser sur des dossiers plus transversaux. A titre dâexemple, le
Kazakhstan n'a toujours pas trouvĂ© dâaccord avec la Chine sur un problĂšme
aussi important, que l'usage des fleuves transfrontaliers. Le potentiel de
l'OCS dans le domaine de la sĂ©curitĂ© reste donc trĂšs abstrait et nâapporte
aucune garantie réelle.
Enfin, si l'on tient compte de tous les facteurs objectifs et subjectifs,
les perspectives de développement de l'OCS comme organisation
régionale efficace restent floues. Il ne faut jamais perdre de vue que les
principaux accords sont conclus de maniĂšre bilatĂ©rale. MĂȘme si lâOCS
parvenait à se constituer en une organisation régionale efficace,
l'extraordinaire croissance Ă©conomique de la Chine cantonnerait sans
doute les autres membres de l'Organisation essentiellement en
fournisseurs de matiÚres premiÚres. Elle représenterait donc pour eux un
« piÚge économique » avec des conséquences faciles à imaginer pour leur
souveraineté politique. Ces menaces restent pour l'instant hypothétiques,
mais permettent de comprendre pourquoi l'OCS présente aujourd'hui pour
le Kazakhstan plus de défis et de risques que d'avantages.