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L’Organisation de CoopĂ©ration 

de Shanghai vue d’Astana :  

un « coup de bluff » 

gĂ©opolitique ? 

Mourat Laumouline

 

Juillet 2006 

 Programme de              
 recherche Russie/NEI 

 

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L’Ifri est, en France, le principal centre indĂ©pendant de recherche,
d’information et de dĂ©bat sur les grandes questions  internationales. CrĂ©Ă©
en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue
d’utilitĂ© publique (loi de 1901). Il n’est soumis Ă  aucune tutelle
administrative, dĂ©finit librement ses activitĂ©s et publie rĂ©guliĂšrement ses
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1

   Russie.Nei.Visions 

Russie.Nei.Visions

 est une collection Ă©lectronique consacrĂ©e Ă  la 

Russie et aux nouveaux Etats indĂ©pendants (Belarus, Ukraine, Moldova, 
ArmĂ©nie, GĂ©orgie, AzerbaĂŻdjan, Kazakhstan, OuzbĂ©kistan, TurkmĂ©nistan, 
Tadjikistan et Kirghizstan). RĂ©digĂ©s dans un format court par des experts 
reconnus, ces articles 

policy oriented

 abordent aussi bien les questions 

stratĂ©giques, politiques qu’économiques. 

Cette collection respecte les normes de qualitĂ© de l'Ifri (suivi 

Ă©ditorial et Ă©valuation par des pairs). 

Si vous souhaitez ĂȘtre informĂ© des parutions par courrier 

Ă©lectronique, vous pouvez vous abonner Ă  l’adresse suivante 

info.russie.nei@ifri.org 

Mourat Laumouline 

– docteur en science politique, vice-directeur 

du centre analytique de l’Agence d’étude des investissements du 
Kazakhstan. M. Laumouline a Ă©tĂ© vice-directeur et chercheur senior Ă  
l’Institut des recherches stratĂ©giques du Kazakhstan (KISI). Depuis 1999, il 
est commentateur politique pour la revue 

KontinenT

. Entre 1993 et 1994, il 

a travaillĂ© au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres du Kazakhstan. Il est auteur 
de plusieurs dizaines d’ouvrages et articles sur l’histoire du Kazakhstan et 
de l’Asie centrale, les relations internationales et la politique extĂ©rieure du 
Kazakhstan.  

 

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2

Sommaire

 

Sommaire....................................................................................................... 2

 

RĂ©sumĂ©........................................................................................................... 3

 

Introduction................................................................................................... 4

 

L'OCS, un « coup de bluff gĂ©opolitique » rĂ©ussi ? ...................................... 6

 

L'instrumentalisation de l'OCS par la Chine et la Russie......................... 10

 

Le repli de l'Occident .................................................................................. 14

 

Quelles options pour le Kazakhstan ? ........................................................ 17

 

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3

 

 

RĂ©sumĂ© 

epuis le milieu des annĂ©es 1990, l'Organisation de coopĂ©ration de 
Shanghai (OCS) apparaĂźt comme l’un des principaux instruments de la 

politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan et des recompositions gĂ©opolitiques en 
Asie centrale. Le Kazakhstan s’y implique pour des raisons gĂ©opolitiques, 
de sĂ©curitĂ©, Ă©conomiques ou de politique rĂ©gionale. Cette organisation 
prĂ©tend couvrir un large Ă©ventail de dossiers n’ayant parfois aucun lien 
entre eux et qui sont traitĂ©s pour l’essentiel en marge de l'OCS. Au fond, 
l'OCS n’est qu’un « coup de bluff Â» gĂ©opolitique d’envergure. Si les États-
Unis reprĂ©sentent une sorte de « membre officieux Â» de l’organisation, 
l'Union europĂ©enne est pratiquement absente d’Asie centrale. En rĂ©alitĂ©, 
pour le Kazakhstan, la participation Ă  l'OCS comporte plus de dĂ©fis et de 
risques qu’elle n’apporte de bĂ©nĂ©fices. 

 

D

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4

Introduction

 

 

u cours des dix derniĂšres annĂ©es, l'Organisation de coopĂ©ration de 
Shanghai est apparue comme l’un des principaux vecteurs d'influence 

sur le positionnement international du Kazakhstan et les recompositions 
gĂ©opolitiques de l’Asie centrale. 

À l'heure actuelle, l'OCS compte six Ă‰tats membres : Kazakhstan, 

Kirghizstan, Chine, Russie, Tadjikistan et OuzbĂ©kistan. Cette organisation 
trouve son origine dans l'association de 1996, connue sous le nom de 
« Shanghai 5 Â», entre cinq pays ayant pour objectif de rĂ©gler les problĂšmes 
frontaliers et territoriaux le long de l'ancienne frontiĂšre soviĂ©to-chinoise. En 
2000, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de convertir « Shanghai 5 Â» en une structure rĂ©gionale 
de coopĂ©ration multilatĂ©rale ayant compĂ©tence dans plusieurs domaines. 
En 2001, l'OCS a Ă©tĂ© formellement instaurĂ©e comme organisation 
internationale. Elle a Ă©tĂ© institutionnalisĂ©e, en juin 2002, lors du sommet de 
Saint-PĂ©tersbourg avec la signature de sa Charte, la conclusion de l'accord 
portant crĂ©ation d'une agence rĂ©gionale antiterroriste et une dĂ©claration 
conjointe des chefs d'États. La mĂȘme annĂ©e, l'OuzbĂ©kistan a rejoint 
l’organisation. 

La principale caractĂ©ristique de cette organisation est la 

disproportion de taille et d’influence entre ses membres parmi lesquels 
figurent, d’une part, les grandes puissances gĂ©opolitiques comme la Chine 
et la Russie, et, d’autre part, les pays d'Asie centrale, beaucoup plus 
modestes par leur poids politique, Ă©conomique et dĂ©mographique et les 
dimensions de leur territoire. Compte tenu de ces dĂ©sĂ©quilibres, on peut 
s’interroger sur les motivations du Kazakhstan au sein de l'OCS. 

La participation et les intĂ©rĂȘts et de la RĂ©publique du Kazakhstan au 

sein de l'OCS sont dĂ©terminĂ©s par les facteurs suivants : 

PremiĂšrement, le facteur gĂ©opolitique, liĂ© Ă  la prĂ©sence au sein de 

l'organisation de deux grandes puissances, la Russie et la Chine, qui 
confine automatiquement les autres États membres au second plan. 
Chacun des deux « grands Â» a en effet des intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques 
spĂ©cifiques qui dĂ©passent largement ce cadre rĂ©gional. Pour la Chine, il 
s'agit principalement de l'Asie (Nord-est, Sud-est, Asie pacifique), pour la 
Russie – de l'Europe et de l'espace euro-atlantique (relations avec l'UE et 
l'OTAN) et pour les deux – des rapports complexes avec les Ă‰tats-Unis. En 
outre, la Russie, qui a ses intĂ©rĂȘts propres dans l'espace post-soviĂ©tique en 
Asie centrale, voit la Chine accentuer son influence dans cette zone. Les 
relations gĂ©opolitiques entre la Russie et la Chine (en tant que pays 

leaders

 de l'OCS) et leurs rapports avec le reste du monde constituent 

                                                 

Traduit du russe par

 

 Alba Rossini. 

A

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5

donc un sujet de profonde prĂ©occupation

1

. On ne peut que souligner Ă  quel 

point cette relation bilatĂ©rale forme l’arriĂšre-plan stratĂ©gique de la politique 
internationale du Kazakhstan. 

Le second facteur, celui de la sĂ©curitĂ©, est Ă©troitement liĂ© au 

premier. En 2002, dans le cadre de l'OCS, un accord a Ă©tĂ© signĂ© sur la 
mise en place d'une structure rĂ©gionale antiterroriste, qui est devenue 
opĂ©rationnelle en 2004. Les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan dĂ©pendent de la 
capacitĂ© de l'OCS Ă  garantir sa sĂ©curitĂ© (et celle des autres pays d'Asie 
centrale) face Ă  la menace de l'islamisme radical. Il s'agit lĂ  du principal 
enjeu de sĂ©curitĂ©. A cet Ă©gard, il convient de rappeler que l’objectif initial de 
l'OCS Ă©tait de garantir l'intangibilitĂ© et la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres entre Ă‰tats 
membres : en avril 1997, un accord a Ă©tĂ© conclu sur la rĂ©duction mutuelle 
des forces armĂ©es dans les rĂ©gions frontaliĂšres, en mai 1998 un accord 
(signĂ© le 26 avril 1996) sur le renforcement des mesures de confiance dans 
le domaine militaire est entrĂ© en vigueur. 

Le troisiĂšme facteur est d’ordre Ă©conomique. Depuis la 

transformation en 2000 de « Shanghai 5 Â» en organisation rĂ©gionale Ă  
vocation multiple, de nombreuses dĂ©clarations ont Ă©tĂ© faites et des efforts 
entrepris afin d’encourager l’intĂ©gration Ă©conomique au sein de l'OCS. Pour 
relayer les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan, l’OCS devrait, en toute hypothĂšse, 
renforcer son volet Ă©conomique. 

Enfin, le quatriĂšme facteur concerne l’intĂ©gration rĂ©gionale : dans 

quelle mesure les diffĂ©rentes composantes de l'OCS (gĂ©opolitique, 
Ă©conomique, aspects bilatĂ©raux et multilatĂ©raux) influent-elles sur la 
politique rĂ©gionale et sur les relations entre les rĂ©publiques d'Asie centrale, 
et comment cela se rĂ©percute-t-il sur les intĂ©rĂȘts du Kazakhstan ? 

 

                                                 

1

 Voir Bobo Lo, « 

Un Ă©quilibre fragile : les relations sino-russes 

», 

Russie.Nei.Visions

, n° 1, avril 2005. 

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6

L'OCS, un « coup de bluff 
gĂ©opolitique » rĂ©ussi ? 

e spectre de questions illustre la diversitĂ© des dossiers potentiels de 
l’OCS. Or, bon nombre d’entre eux sont toujours traitĂ©s en marge de 

l'organisation. Il s’agit des relations bilatĂ©rales russo-chinoises, russo-
amĂ©ricaines et sino-amĂ©ricaines 

; des rĂŽles respectifs de l’OTSC 

(Organisation du traité de sécurité collective

2

), de l'OTAN et de l'OCS ; des 

relations bilatĂ©rales des pays d'Asie centrale entre eux ou avec les grandes 
puissances. L’OCS n’a pas de politique cohĂ©rente acceptĂ©e par tous ses 
membres, mais son existence et sa prĂ©tendue activitĂ© politique (ou 
gĂ©opolitique) donnent l'impression (ou plutĂŽt, l'illusion) d’un nouvel acteur 
de poids sur la scĂšne rĂ©gionale et internationale. Dans ce contexte, on peut 
se demander dans quelle mesure elle n’est pas en train de devenir un 
trompe-l’Ɠil pour la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan.  

L'activitĂ© de l'OCS en matiĂšre de sĂ©curitĂ© consiste principalement Ă  

faire des dĂ©clarations, alors qu’il existe bel et bien des dossiers, comme 
l’Afghanistan, sur lesquels elle pourrait essayer de peser. La situation dans 
ce pays a, en rĂ©alitĂ©, peu Ă©voluĂ© depuis la fin du rĂ©gime taliban : la 
nouvelle administration afghane n’est, par exemple, pas parvenue Ă  
endiguer le flux de drogues en provenance de ce pays. On suppose qu’une 
partie considĂ©rable de ces revenus illicites est employĂ©e Ă  financer des 
groupes islamistes terroristes, qui n'ont pas Ă©tĂ© totalement Ă©radiquĂ©s aprĂšs 
l’opĂ©ration 

Enduring Freedom

La menace islamiste concerne directement les six États de l'OCS. 

La Chine craint, non sans raison, une alliance entre les islamistes et les 
groupes clandestins ouĂŻgours. La principale prĂ©occupation de PĂ©kin, Ă  
l'heure actuelle, n’est plus la crĂ©ation d'un Ă‰tat ouĂŻgour indĂ©pendant dans 
le Xinjiang, mais l'instauration d'un « califat Â» qui engloberait l'Asie centrale 
et les rĂ©gions limitrophes. La Russie prend trĂšs au sĂ©rieux les menaces 
venant du sud : son objectif est d’endiguer l’arrivĂ©e des drogues et des 
combattants (

boieviki

) sur son territoire en maintenant, Ă  tout prix, la 

stabilitĂ© dans les rĂ©publiques mĂ©ridionales d'Asie centrale. 

                                                 

2

 Le TraitĂ© de sĂ©curitĂ© collective a Ă©tĂ© signĂ© en mai 1992 par l’ArmĂ©nie, le Belarus, 

le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et le Tadjikistan. En 2002, les Etats 
membres signent les statuts de l’Organisation du TraitĂ© de sĂ©curitĂ© collective Ă  
Chisinau et, en dĂ©cembre 2004, cette organisation obtient le statut d’observateur Ă  
l’AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale de l’ONU. L’objectif de l’OTSC est la prĂ©vention et la 
liquidation des menaces militaires pour la souverainetĂ© et Ă  l’intĂ©gritĂ© territoriale, 
ainsi que pour des menaces transfrontaliĂšres (terrorisme international etc.) 
(NDLR).  

ĐĄ

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7

Par une sĂ©rie d’attentats au printemps et Ă  l’étĂ© 2004, puis de 

nouveau en 2005, les groupes terroristes clandestins ont rappelĂ© leur 
existence en OuzbĂ©kistan. Les dirigeants ouzbeks sont conscients que la 
vallĂ©e de la Ferghana, minĂ©e par les problĂšmes dĂ©mographiques et 
sociaux, est une poudriĂšre que l'Ă©tincelle islamiste pourrait faire exploser. 
Le Kirghizstan, quant Ă  lui, compte des groupes islamistes vivant 
quasiment sans se cacher dans des camps situĂ©s au sud du pays. Ces 
groupes ne s'attaquent pas au pouvoir en place, mais visent des 
reprĂ©sentants chinois ou s'infiltrent en OuzbĂ©kistan. Le Tadjikistan a pu 
aussi prendre la pleine mesure de la menace terroriste : pendant plusieurs 
annĂ©es, ce pays a Ă©tĂ© la cible de combattants afghans ou d’islamistes 
tadjiks, entraĂźnĂ©s en Afghanistan. De prime abord, le Kazakhstan serait le 
seul Ă  bĂ©nĂ©ficier d'une situation plus favorable, mais ce n’est qu’une illusion 
de sĂ©curitĂ© : les autoritĂ©s kazakhes ne doivent pas sous-estimer le 
potentiel de dĂ©stabilisation au sud du pays. En outre, elles doivent tenir 
compte du facteur ouĂŻgour dans leurs relations avec la Chine. 

À l'heure actuelle, l'OCS tient formellement une place importante 

dans la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan. A l’occasion de sa prĂ©sidence 
de l'OCS, le Kazakhstan a organisĂ©, fin fĂ©vrier 2005, une rĂ©union du 
conseil des ministres des Affaires Ă©trangĂšres consacrĂ©e Ă  la stabilitĂ© 
rĂ©gionale, Ă  l’action internationale, aux difficultĂ©s actuelles de l’organisation 
et Ă  la mise en Ɠuvre de l'initiative de Tachkent visant Ă  la crĂ©ation d'un 
rĂ©seau de partenariats multilatĂ©raux dans la rĂ©gion de l’Asie pacifique. 
DĂ©but juin 2005, la deuxiĂšme rĂ©union des secrĂ©taires des conseils de 
sĂ©curitĂ© des États membres de l'OCS s'est tenue Ă  Astana sur les 
questions de sĂ©curitĂ© et de stabilitĂ©, ainsi que sur les mesures Ă  prendre 
pour renforcer la coopĂ©ration entre les États membres en matiĂšre de lutte 
contre le terrorisme, le sĂ©paratisme et l'extrĂ©misme. 

En juillet 2005, s’est dĂ©roulĂ©e Ă  Astana la dixiĂšme rĂ©union des chefs 

d'États qui a rencontrĂ© un large Ă©cho international. À cette occasion, l'Iran, 
l'Inde et le Pakistan ont obtenu le statut d'observateurs. Parmi les sept 
documents signĂ©s figurait une dĂ©claration de coopĂ©ration en matiĂšre de 
lutte contre le terrorisme, le sĂ©paratisme et l'extrĂ©misme. Les États de 
l'OCS se sont entendus sur la conduite conjointe d'exercices antiterroristes, 
la formation de cadres, l'Ă©change d’expĂ©riences. Mais la principale dĂ©cision 
de ce sommet a Ă©tĂ© la dĂ©claration de l'OCS sur la durĂ©e du stationnement 
des bases amĂ©ricaines en Asie centrale. Beaucoup d’analystes ont qualifiĂ© 
cette dĂ©claration d’ultimatum lancĂ© aux États-Unis pour exiger la fin de leur 
prĂ©sence militaire dans la rĂ©gion. Cependant, par la suite, les positions de 
diffĂ©rentes parties ont divergĂ©. Ainsi, le Kirghizstan a pratiquement 
dĂ©savouĂ© sa participation Ă  cette « dĂ©claration anti-amĂ©ricaine Â». Au cours 
de la visite du secrĂ©taire amĂ©ricain Ă  la DĂ©fense Donald Rumsfeld, fin juillet 
2005, les autoritĂ©s kirghizes ont dĂ©clarĂ© vouloir conserver la base 
amĂ©ricaine de Manas. 

AprĂšs les Ă©vĂ©nements de mai 2005 Ă  Andijan

3

 et, plus 

particuliĂšrement, aprĂšs le sommet de l'OCS Ă  Astana, les relations 

                                                 

3

 Le 13 mai 2005, une insurrection Ă©clate Ă  Andijan (vallĂ©e de la Ferghana). Elle 

est sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©e par le gouvernement Ă  l’aide de l'armĂ©e. La version d’une 
manifestation pacifiste est rĂ©cusĂ©e par les autoritĂ©s ouzbeks qui y voient une 
tentative de dĂ©stabilisation et refusent une enquĂȘte internationale indĂ©pendante. 

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8

amĂ©ricano-ouzbeks se sont profondĂ©ment dĂ©gradĂ©es. A la diffĂ©rence du 
Kirghizstan, l’OuzbĂ©kistan ne s’est pas contentĂ© de dĂ©clarations mais a 
contraint les États-Unis Ă  fermer leur base militaire de Karshi-Khanabad fin 
novembre 2005. A son tour, Washington a exercĂ© des pressions sur 
Tachkent Ă  cause des Ă©vĂ©nements d'Andijan, les violations des droits de 
l'homme et la situation gĂ©nĂ©rale dans le pays. En ce qui concerne le 
Kazakhstan, qui n'accueille aucune base amĂ©ricaine sur son sol, il a 
observĂ© un Ă©quilibre politique vis-Ă -vis des diffĂ©rents protagonistes en 
soutenant, d’une part, la dĂ©marche anti-amĂ©ricaine, sans entreprendre, 
d’autre part, des mesures rĂ©elles susceptibles de compromettre ses 
relations avec les États-Unis (ou l'OTAN). 

Fin octobre 2005, une rĂ©union du conseil des chefs de 

gouvernement de l'OCS a Ă©tĂ© organisĂ©e Ă  Moscou. Au cours de cette 
rĂ©union, PĂ©kin a cherchĂ© Ă  renforcer la composante Ă©conomique de 
l’organisation. Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a ainsi proposĂ© de 
financer des projets communs de dĂ©veloppement Ă  la hauteur de 900 
millions de dollars. Autrement dit, les Chinois proposaient de contribuer 
massivement au financement de l'Ă©conomie des pays de l'OCS, en 
essayant de transformer l’organisation politique en union Ă©conomique. Le 
Kazakhstan et la Russie ont rejetĂ© cette proposition chinoise. Si elle avait 
Ă©tĂ© acceptĂ©e, l’OCS aurait risquĂ© de se transformer en une sorte de 
« protectorat Ă©conomique Â» de la Chine. Cette menace est bien rĂ©elle en 
ce qui concerne la Russie et le Kazakhstan, qui, dans l'optique chinoise, 
joueraient le rĂŽle de base arriĂšre Ă©nergĂ©tique en fournissant hydrocarbures 
et matiĂšres premiĂšres. 

Depuis quelque temps, certains observateurs Ă©conomiques et 

gĂ©opolitiques estiment que l’Asie centrale serait devenue le centre d’un 
nouvel ordre Ă©conomique et gĂ©opolitique en Eurasie. Ce processus se 
caractĂ©riserait par l'extension des marchĂ©s vers le Sud-Est asiatique, la 
Chine, la CorĂ©e, l’Inde, la Turquie et la Russie et se dĂ©velopperait 
parallĂšlement au ralentissement, voire Ă  la stagnation, Ă©conomique en 
Europe, qui Ă©tait autrefois le modĂšle et le pĂŽle d’attraction de la Russie et 
des pays de la CEI. Le renforcement du « modĂšle asiatique Â» et de 
l'autonomie Ă©conomique eurasiatique (notamment, si les projets 
d’intĂ©gration Russie-Asie centrale se rĂ©alisaient) pourrait avoir des 
consĂ©quences stratĂ©giques majeures. 

Les Ă©volutions des derniĂšres annĂ©es montrent que l'OCS suit le 

mĂȘme chemin que les autres organisations rĂ©gionales 

elle 

s’institutionnalise et se bureaucratise. Un secrĂ©tariat dont le siĂšge se trouve 
Ă  PĂ©kin a Ă©tĂ© crĂ©Ă© ; il existe un conseil des chefs de gouvernement et un 
conseil des ministres des affaires Ă©trangĂšres ; les secrĂ©taires des conseils 
de sĂ©curitĂ© se rĂ©unissent rĂ©guliĂšrement et un comitĂ© exĂ©cutif de l'agence 
rĂ©gionale antiterroriste de l'OCS est installĂ© Ă  Tachkent. La crĂ©ation d’un 
Fonds du dĂ©veloppement et d’un Conseil Ă©conomique et commercial 
multilatĂ©ral confirme la volontĂ© des pays membres de renforcer la 
composante Ă©conomique de l'OCS. 

Cependant, les efforts dĂ©ployĂ©s par les fondateurs de l'OCS pour 

prĂ©senter leur organisation comme partie intĂ©grante du systĂšme 

                                                                                                                            

Plusieurs pays occidentaux ont pris leurs distances Ă  l’égard du gouvernement du 
pays et l’Union europĂ©enne a imposĂ© des sanctions (NDLR). 

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9

multipolaire et nouveau centre de gravitĂ© gĂ©opolitique laissent sceptiques 
bon nombre d’observateurs. Selon eux, l'OCS n'est qu’un « coup de bluff Â» 
gĂ©opolitique de taille. La Russie et la Chine, les deux principales « roues 
du carrosse Â» pour reprendre l’expression du prĂ©sident ouzbek Islam 
Karimov

4

, n’ont cessĂ© au cours de ces derniĂšres annĂ©es d’utiliser 

l’organisation dans le cadre de leurs relations avec les États-Unis et 
l'Occident en gĂ©nĂ©ral. Ils se servent de l'OCS pour « marquer leur 
territoire » en Asie centrale face Ă  la poussĂ©e des Etats-Unis. 

                                                 

4

 

KontinenT

, n° 12, 2004.  

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10

L'instrumentalisation de l'OCS par la 
Chine et la Russie 

l ne fait aucun doute que la Chine est isolĂ©e au sein de l'OCS face Ă  des 
anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques partageant un mĂȘme passĂ© et se 

heurtant aux mĂȘmes difficultĂ©s, ce qui leur permet de toujours trouver un 
terrain d'entente. En outre, la Russie a une approche bilatĂ©rale Â« bien 
rodĂ©e » pour chacune d'entre elles. 

Les intĂ©rĂȘts de la Chine au sein de l'OCS sont dĂ©finis par les 

facteurs suivants. PremiĂšrement, l’objectif de PĂ©kin est de maĂźtriser les 
forces sĂ©paratistes du Â« Turkestan oriental Â»

5

. DeuxiĂšmement, elle cherche 

Ă  maintenir l'Asie centrale comme une arriĂšre-cour stable sur le plan 
stratĂ©gique. TroisiĂšmement, elle considĂšre certains pays de la rĂ©gion 
comme d’importants fournisseurs de ressources Ă©nergĂ©tiques et des 
partenaires Ă©conomiques potentiels. 

L'un des principaux objectifs chinois est d'empĂȘcher que la rĂ©gion 

ne serve de base de soutien aux mouvements sĂ©paratistes et de canal de 
communication avec le terrorisme international. La Chine a demandĂ© aux 
gouvernements d'Asie centrale d'interdire l'activitĂ© de ces sĂ©paratistes dans 
leurs pays et d’empĂȘcher l’infiltration des terroristes et des extrĂ©mistes en 
Chine Ă  partir de leurs territoires respectifs. Pour PĂ©kin, la sĂ©curitĂ© des 
États d'Asie centrale ne peut pas ĂȘtre dissociĂ©e de celle de la rĂ©gion 
autonome du Xinjiang : en d’autres termes, l’instabilitĂ© en Asie centrale a 
un impact direct sur la sécurité du nord-ouest de la Chine

6

La stabilitĂ© stratĂ©gique de l’Asie centrale, comme arriĂšre-cour de la 

Chine, dĂ©pend des trois conditions. La premiĂšre concerne le rĂšglement des 
diffĂ©rends frontaliers entre la Chine et les autres pays de la rĂ©gion et de la 
paix et la sĂ©curitĂ© dans les zones frontaliĂšres. Ces deux problĂšmes sont 
quasiment rĂ©glĂ©s, il ne reste qu'Ă  trouver un accord sur quelques zones 
frontaliĂšres dĂ©peuplĂ©es et peu Ă©tendues. La deuxiĂšme condition est la 
conduite d’une politique extĂ©rieure ouverte par les pays de d’Asie centrale 
Ă  l’égard de la Chine, qui, Ă  son tour, doit veiller Ă  entretenir des relations 
bilatĂ©rales Ă©quilibrĂ©es avec eux. TroisiĂšmement, il faut Ă©viter la mainmise 
d’une grande puissance sur l’Asie centrale. 

                                                 

5

 Il s’agit de l'actuelle rĂ©gion autonome de Xinjiang dont la population 

majoritairement turco-musulmane est proche des peuples d'Asie centrale. 

6

 Zhao Huasheng, “China, Russia, and the U.S.: their Interests, Postures, and 

Interrelations in Central Asia”, 

Central Asia and the Caucasus

 (Lulea, SuĂšde), 

2004, n° 5, p. 116-125; n° 6, p. 86-94; Li Lifan, Ding Shiwu, “Geopolitical Interests 
of Russia, the U.S. and China in Central Asia”, 

Central Asia and the Caucasus

 

(Lulea, SuĂšde), 2004, n° 3, p. 139-146.  

I

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11

À l'heure actuelle, la stratĂ©gie chinoise en Asie centrale n'est pas 

complĂštement indĂ©pendante : elle est conditionnĂ©e par les positions russes 
et américaines

7

. Pour PĂ©kin, l’évolution de la situation dans la rĂ©gion 

dĂ©pendra de la durĂ©e de la prĂ©sence militaire amĂ©ricaine. La Chine 
souhaite, par consĂ©quent, faire de l’OCS le pivot central de sa stratĂ©gie en 
Asie centrale, en renforçant ses pouvoirs, en amĂ©liorant ses mĂ©canismes 
de dĂ©cision et en limitant son inertie institutionnelle afin d’en faire un outil 
de transformation de la rĂ©gion. 

 

Les efforts entrepris par la Russie depuis plusieurs annĂ©es en vue 

d’assurer son Â« retour Â» en Asie centrale par le biais d’un renforcement de 
sa prĂ©sence militaire et de son influence politique n’ont pas Ă©chappĂ© aux 
hommes politiques et aux militaires chinois. Selon eux, en mettant l’accent 
sur l’intĂ©gration Ă©conomique au sein de la CEI, la Russie cherche, en 
rĂ©alitĂ©, Ă  renforcer son influence politique. En ce qui concerne la Chine, elle 
essaie de limiter la portĂ©e de ce retour et de le canaliser par le biais de 
l’OSC.  

Compte tenu de la faiblesse du poids Ă©conomique de la Russie, la 

Chine considĂšre sa propre croissance comme la principale force motrice 
susceptible de promouvoir un modĂšle de dĂ©veloppement pour toute la 
rĂ©gion. Dans cette optique, l'OCS est vue Ă  PĂ©kin comme une structure de 
transition, utile pour une pĂ©riode qui devrait lui permettre de s'imposer 
comme un pĂŽle de puissance mondial. Il est Ă©vident que la Chine fera de 
son mieux pour Ă©viter l'Ă©rosion de l'OCS en tant qu'instrument de prĂ©sence 
en Asie centrale et facteur d'Ă©quilibre dans les relations sino-russes. La 
principale difficultĂ© de PĂ©kin rĂ©side dans l’articulation entre l’OCS dans le 
domaine de la lutte anti-terroriste et l'Organisation du TraitĂ© de sĂ©curitĂ© 
collective, dont les pays de l'OCS, sauf la Chine et l'OuzbĂ©kistan, sont 
membres. 

La Chine tente par ailleurs de dissiper les inquiĂ©tudes des pays 

d'Asie centrale Ă  son Ă©gard en promouvant la lutte anti-terroriste et en 
vĂ©hiculant une image de superpuissance pacifique. Elle vise ainsi Ă  Ă©tablir 
une sorte d’hĂ©gĂ©monie douce. Compte tenu de l’accroissement de la 
demande Ă©nergĂ©tique chinoise, il est prĂ©visible que les entreprises 
publiques chinoises vont investir massivement dans les secteurs gazier et 
pĂ©trolier du Kazakhstan et renforcer leur participation au dĂ©veloppement du 
secteur hydro-Ă©nergĂ©tique du Kirghizstan (principalement, dans un souci 
d'approvisionner la rĂ©gion du Xinjiang en Ă©nergie Ă©lectrique). 

Pour la Russie, l'OCS est avant tout un cadre de coopĂ©ration avec 

la Chine. La coopĂ©ration entre ces deux pays a atteint en 2005 un niveau 
inĂ©galĂ©. Moscou et PĂ©kin ont conduit conjointement une sĂ©rie d'exercices 
militaires de grande envergure, ont adoptĂ© une dĂ©claration commune sur 
l'ordre international au XXI

Ăšme

 siĂšcle et ont utilisĂ© l’OCS pour contrecarrer 

conjointement la prĂ©sence militaire des États-Unis en Asie centrale. 

                                                 

7

 Voir B. Brauer, « Bor’ba za vliĂąnie v central’no-aziatskom regione Â» [La lutte pour 

l’influence dans la rĂ©gion de l’Asie centrale], 

Internationale Politik

 (version russe), 

2002, n° 2. p. 27-35; S. Ohotnikov, « Kitaj i Central’naĂą AziĂą posle na

č

ala 

antiterroristi

č

eskoj operacii v Afganistane Â» [La Chine et l’Asie centrale aprĂšs le 

dĂ©but de l’opĂ©ration antiterroriste en Afghanistan], 

Central’naĂą AziĂą i Kavkaz, 

2002, n° 5, p. 21-32. 

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12

Les militaires russes considĂšrent indispensable de renforcer la 

coopĂ©ration avec la Chine dans le cadre de l'OCS, mais restent divisĂ©s sur 
le degrĂ© Ă  atteindre compte tenu d’une possible rivalitĂ© stratĂ©gique Ă  terme. 
En effet, l’état-major russe ne considĂšre pas la Chine comme un partenaire 
fiable et refuse de lui vendre un certain nombre de nouveaux matĂ©riels et 
des technologies sensibles. La Russie est, en outre, extrĂȘmement rĂ©ticente 
Ă  cĂ©der Ă  PĂ©kin des licences d’exploitation pour certains systĂšmes 
d’armes. La montĂ©e progressive de l'influence chinoise en Asie centrale et 
la dĂ©pendance croissante de la rĂ©gion vis-Ă -vis de PĂ©kin prĂ©occupe 
Moscou. Comme cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© soulignĂ©, les tentatives de la Chine de 
renforcer l’intĂ©gration Ă©conomique au sein de l’OCS n'ont pas Ă©tĂ© relayĂ©es 
Ă  Moscou. 

Les experts russes cherchent aujourd'hui Ă  trouver une formule de 

coopĂ©ration avec la Chine dans le cadre de l'OCS. Ils proposent, 
notamment, de restructurer l'Organisation selon le profil de ses membres 
sur trois niveaux : la Chine et la FĂ©dĂ©ration de Russie au niveau supĂ©rieur 
global, le Kazakhstan et l'OuzbĂ©kistan au niveau intermĂ©diaire rĂ©gional, le 
Kirghizstan et le Tadjikistan au niveau subrĂ©gional. Dans le cadre de cette 
hiĂ©rarchie fonctionnelle, ils n'excluent pas que le Kazakhstan et 
l'OuzbĂ©kistan puissent devenir des acteurs clĂ©s de l'OCS, responsables de 
la stabilitĂ© et du dĂ©veloppement dans la rĂ©gion, tandis que la Chine et la 
Russie assureraient la politique stratĂ©gique gĂ©nĂ©rale de l'OCS et de ses 
relations avec le reste du monde.  

En rĂ©alitĂ©, la Russie craint de se transformer en un partenaire 

mineur de la Chine. Elle cherche par tous les moyens Ă  freiner cette 
tendance (limitation de ses ventes de haute technologie Ă  la Chine, 
limitation de l’intĂ©gration Ă©conomique rĂ©gionale, contrĂŽle de l'immigration). 
Dans la mĂȘme logique, Moscou s'applique Ă  dĂ©velopper les relations 
triangulaires entre la Russie, la Chine et l'Inde. 

Il semble bien que la Russie considĂšre, dans une large mesure, 

l'OCS comme un instrument gĂ©opolitique provisoire prolongeant la doctrine 
Primakov

8

, afin de maximiser ses convergences de vue avec PĂ©kin. La 

proximitĂ© des deux pays leur permet d’envisager une coordination de leurs 
actions sur la scĂšne internationale. A Moscou, on considĂšre que des 
positions communes avec la Chine ne pourront pas ĂȘtre nĂ©gligĂ©es par la 
communautĂ© internationale.  

En ce qui concerne la Russie, la situation actuelle lui offre une 

opportunitĂ© unique de rĂ©tablir son influence en Asie centrale. La Russie a 
obtenu la fusion de l'Organisation de coopĂ©ration centrasiatique (OCCA) et 
la Communauté économique eurasiatique (CEEA)

9

, ce qui lui donne des 

                                                 

8

 Ministre des affaires Ă©trangĂšres et Premier ministre de la FĂ©dĂ©ration de Russie, 

vĂ©tĂ©ran des services de renseignement, E. Primakov s'est efforcĂ© en 1998-1999 
de rĂ©orienter la politique Ă©trangĂšre russe de l'Ouest vers l'Est, en lui confĂ©rant un 
caractĂšre anti-occidental et anti-amĂ©ricain. 

9

 L'Organisation de coopĂ©ration centrasiatique (OCCA) a remplacĂ© en fĂ©vrier 2002 

la CommunautĂ© Ă©conomique centre-asiatique fondĂ©e en 1994 par le Kazakhstan, 
le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’OuzbĂ©kistan, ce qui s’explique par le passage 
progressif d’une simple coopĂ©ration Ă©conomique entre les pays membres Ă  une 
coopĂ©ration Ă©largie (notamment, lutte contre les drogues, extrĂ©misme religieux, 
radicalisme etc.). La Russie a rejoint l’organisation en 2004. La CommunautĂ© 
Ă©conomique eurasiatique (CEEA) a Ă©tĂ© fondĂ©e en 2001 par le Belarus, le 

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13

moyens de contrĂŽle des principaux processus d'intĂ©gration dans la rĂ©gion. 
En fait, cette fusion peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une tentative 
d’amortissement de l'expansion Ă©conomique chinoise dans la rĂ©gion.  

En ce qui concerne la stratĂ©gie de la Russie Ă  l’égard du 

Kazakhstan, au moins Ă  court terme, elle ne s’inscrit pas dans le cadre de 
l'OCS. Elle vise avant tout Ă  la crĂ©ation d'un espace commun de dĂ©fense, Ă  
la mise en place de forces communes de dĂ©ploiement rapide sous l'Ă©gide 
de la Russie, Ă  la poursuite du processus d'intĂ©gration Ă©conomique et 
militaire des États membres de l'OTSC et Ă  la formation d'un noyau dur 
d'intĂ©gration en Asie centrale autour de la Russie et du Kazakhstan. 

                                                                                                                            

Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et le Tadjikistan et a remplacĂ© l’Union 
douaniĂšre de 1995. En octobre 2005, aprĂšs la prĂ©sentation par l’OuzbĂ©kistan de 
sa candidature pour la CEEA, la dĂ©cision a Ă©tĂ© prise de fusionner les deux 
organisations (NDLR). 

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14

Le repli de l'Occident 

es États-Unis influencent les Ă©volutions de l'OCS, dans la mesure oĂč les 
deux puissances majeures de l'organisation, la Russie et la Chine, 

entretiennent des relations stratĂ©giques et Ă©conomiques Ă©troites avec 
Washington. Par ailleurs, les Etats-Unis sont prĂ©sents en Asie centrale et y 
exercent une influence par diffĂ©rents canaux sur les pays de la rĂ©gion et, 
en particulier, sur le Kazakhstan. 

Depuis 2005, la stratĂ©gie des États-Unis en Asie centrale a Ă©voluĂ© 

de façon spectaculaire. ConfrontĂ© au recul de son influence, Washington a 
dĂ» adopter une politique plus pragmatique et rĂ©aliste, ce qui s'est traduit, 
dans le cas du Kazakhstan, par la non-ingĂ©rence dans les Ă©lections 
prĂ©sidentielles de 2005. Dans les mois qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s, il existait une 
menace, bien rĂ©elle, de voir les États-Unis actionner le mĂ©canisme de 
« rĂ©volution en velours Â» au Kazakhstan. Cette menace a Ă©tĂ© contenue par 
une rĂ©action ferme d'Astana face aux Ă©vĂ©nements au Kirghizstan et en 
OuzbĂ©kistan, par un processus de consultation et de concertation avec 
Moscou et PĂ©kin, par la modification du calendrier Ă©lectoral et par la 
dĂ©marche de l'OCS en juillet 2005 relative Ă  la durĂ©e de prĂ©sence des 
troupes amĂ©ricaines. La position commune de Moscou et PĂ©kin est un 
facteur qui a largement contribuĂ© Ă  la prudence diplomatique des Ă‰tats-
Unis. 

Il semblerait que Washington procĂšde actuellement Ă  une rĂ©vision 

des mĂ©thodes et instruments de sa politique dans la rĂ©gion, ce qui ne 
manquera pas de faire ressentir ses effets sur la sĂ©curitĂ© du Kazakhstan. Ă€ 
cet Ă©gard, des dĂ©bats animĂ©s agitent l'

establishment

 amĂ©ricain sur les 

objectifs et moyens de mise en Ɠuvre de la stratĂ©gie amĂ©ricaine en Asie 
centrale. Depuis 2005, Washington dĂ©veloppe une nouvelle approche 
stratĂ©gique pour la rĂ©gion – le projet de Â« Grande Asie centrale Â»

10

. Ce 

projet vise des objectifs gĂ©opolitiques concrets : dĂ©tacher l'Asie centrale de 
l'espace eurasiatique dont elle fait naturellement partie, en isolant ainsi les 
États de la rĂ©gion de la Russie et du reste de la CEI ; crĂ©er un cordon entre 
la rĂ©gion et la Chine ; rĂ©aliser quelques projets de routes de communication 
entre le Caucase et le Pamir en contournant les territoires russe et chinois, 
etc. Dans son principe, le projet de « Grande Asie centrale Â» pourrait donc 
se lire comme un plan anti-OCS.  

Du point de vue institutionnel, ce projet s'est traduit par une 

redistribution des responsabilitĂ©s au sein du dĂ©partement d'État amĂ©ricain : 
depuis l’automne 2005, l'Asie centrale ne relĂšve plus de la compĂ©tence de 

                                                 

10

 Voir F.S.E. Starr, 

A Greater Central Asia: Partnership for Afghanistan and Its 

Neighbors. 

The Central Asia-Caucasus Institute and Silk Road Studies Program

Washington, DC: Joint Transatlantic Research and Policy Center, 2005, 38 p.  

L

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15

la direction Europe, mais de celle de la direction Moyen-Orient et Asie du 
Sud. 

La nouvelle stratĂ©gie amĂ©ricaine (annoncĂ©e lors de la visite du 

secrĂ©taire d'État amĂ©ricain C. Rice dans la rĂ©gion en octobre 2005) repose 
sur des facteurs d'ordre gĂ©opolitique, militaire, stratĂ©gique et rĂ©gional. En 
ce qui concerne la Russie et la Chine, les États-Unis ont dĂ©cidĂ© d'agir en 
reconnaissant les intĂ©rĂȘts de ces deux puissances dans la rĂ©gion et sont 
prĂȘts Ă  en tenir compte (mĂȘme si ce n'est que de façon formelle), et donc Ă  
prendre acte de l'influence de l'OCS. Dans le mĂȘme temps, les Ă‰tats-Unis 
tiennent Ă  maintenir leur prĂ©sence en Asie centrale sous toutes ses formes. 
On peut donc constater (au moins dans les dĂ©clarations) le renoncement Ă  
une forme d’unilatĂ©ralisme de la part des États-Unis.  

La Â« carotte Â» de l’OTAN devient pour les États-Unis un nouvel 

instrument de renforcement de leur influence (et de l’influence occidentale 
en gĂ©nĂ©ral), par le biais, notamment, du rĂ©Ă©quipement des forces armĂ©es 
des États d'Asie centrale. DerniĂšrement, la coopĂ©ration entre les pays 
d'Asie centrale et l'OTAN dans le cadre du Partenariat pour la paix fait 
l'objet d'une attention accrue. L’idĂ©e selon laquelle la modernisation des 
forces armĂ©es des Ă‰tats d'Asie centrale passe par ce partenariat 
progresse. De toute Ă©vidence, ce processus (qui, par ailleurs, a des 
fondements tout Ă  fait objectifs) provoque irritation et inquiĂ©tude Ă  Moscou, 
car il remet indirectement en question l’existence et le fonctionnement de 
l'OTSC et de l'OCS en tant que structures de sĂ©curitĂ©. 

Le but stratĂ©gique de l'OTAN (du point de vue des États-Unis) 

consiste Ă  assurer la stabilitĂ© de l'immense espace eurasiatique Ă  l'est de 
l'Europe et Ă  assurer le contrĂŽle gĂ©opolitique des importantes zones 
stratĂ©giques que constituent le Proche-Orient, la mer Noire, le Caucase, la 
Caspienne et l'Asie centrale. L'Asie centrale et l'Afghanistan sont des 
rĂ©gions gĂ©opolitiques clĂ©s pour la prĂ©sence occidentale au centre de la 
zone eurasienne, compte tenu de l’importance qu'elles ont pour la Chine et 
la Russie. Les stratĂšges de l'OTAN qui analysent la politique Ă©trangĂšre du 
Kazakhstan considĂšrent qu'en se donnant comme objectif Ă  long terme 
d'approfondir progressivement ses relations avec l'OTAN, Astana met 
volontairement en pĂ©ril ses relations avec la Russie et la Chine. Dans ce 
contexte, l’OTAN ne manque pas de souligner l’ambivalence de 
l’engagement du Kazakhstan au sein de l'OTSC et de l'OCS, ainsi que 
dans le cadre de ses relations bilatĂ©rales avec la Russie et la Chine. Elle 
cherche dĂ©sormais Ă  s’inscrire dans le jeu d’équilibre d’Astana. 

En Asie centrale, l'Union europĂ©enne dans son ensemble et ses 

États membres individuellement brillent par leur absence. À l'heure 
actuelle, l'UE n'est en mesure d'influer sur la situation en Asie centrale 
qu'indirectement. La raison principale en est le coup de frein brutal qu'a 
reçu l'intĂ©gration europĂ©enne aprĂšs le rejet de la Constitution (qui a eu pour 
consĂ©quence de geler tous les projets gĂ©opolitiques), ainsi que son 
Ă©largissement, les Ă©vĂ©nements en Ukraine, l'alternance du pouvoir Ă  Berlin 
et l'Ă©volution des relations entre l'UE et Moscou. 

En ce qui concerne l'OTAN, la question se pose de savoir comment 

s'articule la stratĂ©gie amĂ©ricaine avec celle de ses partenaires europĂ©ens. 
Il est Ă©vident que la stratĂ©gie de l'UE vis-Ă -vis de l'Asie centrale et du 
Kazakhstan est dĂ©terminĂ©e par la politique de ses principaux Etats 

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16

membres (France, Allemagne, Grande-Bretagne), mais aussi par celle des 
organisations internationales (OTAN et OSCE). L’UE a une grande 
importance pour l'Ă©conomie du Kazakhstan, mais pour l’instant elle n’a 
toujours pas le statut d’acteur gĂ©opolitique. 

À l'heure actuelle, l’UE est en retrait par rapport Ă  l’Asie centrale et 

se contente de la considĂ©rer comme une zone-tampon. Par le biais de 
diffĂ©rents instruments, l’UE veillera Ă  maintenir ce rĂŽle de zone-tampon, 
destinĂ©e Ă  la protĂ©ger contre les menaces comme le terrorisme, le trafic de 
stupĂ©fiants, l’immigration clandestine ou la prolifĂ©ration des armes de 
destruction massive.  

A la diffĂ©rence des États-Unis, l'UE a toujours reconnu l’existence 

des intĂ©rĂȘts particuliers de la Russie en Asie centrale. En outre, les 
analystes europĂ©ens Ă©tudient les perspectives de dĂ©veloppement des 
relations de l’UE avec la rĂ©gion. Dans ce contexte, des discussions vives 
sont menĂ©es autour du dossier turc, car la crĂ©ation et le dĂ©veloppement de 
liens institutionnalisĂ©s et formels entre l'UE et les États turcophones de la 
rĂ©gion dĂ©pendront, entre autres, de la dĂ©cision prise sur l'adhĂ©sion de la 
Turquie Ă  l'UE, mais Ă©galement de l’attitude russe et chinoise Ă  cet Ă©gard. 

Certains stratĂšges n'excluent pas que l'Europe puisse proposer au 

Kazakhstan, au Kirghizstan et Ă  l'OuzbĂ©kistan « dĂ©mocratisĂ© Â» (c’est-Ă -
dire, post-Karimov) une sorte de rĂ©plique des accords de LomĂ© ou de 
l’accord Euromed. Sans offrir de perspective d’adhĂ©sion ou de statut de 
membre associĂ©, ce type d’accord suppose un renforcement de la 
coopĂ©ration Ă©conomique et douaniĂšre entre les partenaires. 

Cependant, la stratĂ©gie de Bruxelles vis-Ă -vis de l'Asie centrale, de 

la Caspienne et du Caucase reste principalement dĂ©terminĂ©e par les 
besoins de l'UE en hydrocarbures et matiĂšres premiĂšres, combinĂ©s Ă  la 
doctrine de protection des droits de l’homme et de soutien Ă  la 
dĂ©mocratisation.  

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17

Quelles options pour le Kazakhstan ? 

 travers l'OCS, le Kazakhstan reste tributaire de l’évolution des 
relations sino-russes : d'une part, un rapprochement stratĂ©gique trop 

Ă©troit entre PĂ©kin et Moscou risquerait d'entraĂźner une double emprise de 
ces deux puissances en Asie centrale (y compris dans le cadre de l'OCS), 
de l’autre, une concurrence exacerbĂ©e entre elles, dont l’éventualitĂ© ne 
peut ĂȘtre exclue, reprĂ©senterait Ă©galement une menace pour la rĂ©gion. 

Les problĂšmes que la Chine peut poser au Kazakhstan sont de 

nature traditionnelle et doivent se penser dans la durĂ©e (infiltration 
dĂ©mographique, progression de son influence Ă©conomique et menace 
d'une dĂ©pendance Ă©conomique du Kazakhstan, montĂ©e des dissensions 
entre PĂ©kin et d’autres grandes puissances). Mais l'Ă©volution extrĂȘmement 
rapide de la stratĂ©gie chinoise dĂ©montre une approche active, voire 
offensive, de la Chine envers l’avenir de l'Asie centrale et ses relations 
avec cette rĂ©gion. Il ne fait aucun doute que PĂ©kin essaye de se 
positionner Ă  moyen terme comme la puissance rĂ©gionale dominante en 
cherchant Ă  s’imposer comme le tuteur Ă©conomique de la rĂ©gion. Cette 
stratĂ©gie chinoise compliquera inĂ©vitablement les relations sino-russes, qui 
risquent de passer du stade actuel de la coopĂ©ration Ă  celui d'une rivalitĂ© 
pour la suprĂ©matie dans la rĂ©gion. 

Moscou et PĂ©kin conçoivent l'OCS comme une organisation 

internationale au sein de laquelle les pays d'Asie centrale occupent une 
place de second rang. Cette conception est un dĂ©fi de taille pour le 
dĂ©veloppement du Kazakhstan. En tenant compte de cette tendance, le 
Kazakhstan se doit, autant que faire se peut, d'Ɠuvrer au maintien d’une 
alliance tacite entre les États post-soviĂ©tiques dans le cadre de l'OCS afin 
de limiter l'influence de la Chine. Par ailleurs, au sein de l'Organisation, 
Astana doit demeurer le principal partenaire de la Russie, ce qui implique 
une meilleure concertation sur les grands projets Ă©nergĂ©tiques concernant 
la Chine. 

Il semble que Washington essaye de dĂ©velopper la coopĂ©ration 

entre le Kazakhstan et l'OTAN au-delĂ  des questions de sĂ©curitĂ©. Astana 
se trouve donc dans une position dĂ©licate, dans la mesure oĂč le 
renforcement de sa coopĂ©ration avec l'OTAN entraĂźnera immanquablement 
des oppositions de la part de Moscou et de la Chine en tant que 
puissances dominantes de l'OCS. Mais le Kazakhstan ne peut pas se 
permettre, dans une perspective Ă  long terme, de renoncer, par souci de 
fidĂ©litĂ© Ă  l'OCS, Ă  la coopĂ©ration avec l'Occident. 

Ainsi, l'OCS agit comme rĂ©vĂ©lateur des ambiguĂŻtĂ©s rĂ©gionales. Ce 

n'est ni une alliance stratĂ©gique, ni une union Ă©conomique Ă  proprement 
parler, ni une organisation politique au sens traditionnel du terme 
(gĂ©ographique, culturelle, civilisationnelle, etc.). Quoi qu'il en soit, l'OCS 

A

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18

occupe, bon grĂ©, mal grĂ©, une place grandissante dans la politique 
Ă©trangĂšre du Kazakhstan, qui s’explique avant tout par l’implication directe 
des puissances russe et chinoise, que le Kazakhstan ne peut Ă©videmment 
pas ignorer. L'autre facteur est la composante centrasiatique de l'OCS qui 
incite le Kazakhstan Ă  tenter de jouer un rĂŽle rĂ©gional de premier plan. 

En ce qui concerne la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan, l'OCS lui 

offre des avantages, mais comporte aussi des risques. Dans la mesure oĂč 
la politique Ă©trangĂšre du Kazakhstan consiste Ă  chercher constamment un 
Ă©quilibre entre plusieurs vecteurs (politique multi-vectorielle), l'OCS lui offre 
des options pour trouver des contrepoids Ă  ses relations avec l'Occident. 
Dans le mĂȘme temps, de nombreux engagements proposĂ©s ou imposĂ©s 
par la Russie et/ou la Chine dans le cadre de l'organisation, mettent 
naturellement le Kazakhstan dans l’embarras. Sa participation Ă  l'OCS est 
source de difficultĂ©s supplĂ©mentaires sur le plan de la recherche de 
l'Ă©quilibre entre Moscou et PĂ©kin : Astana pourrait bien ĂȘtre contrainte de 
faire un choix d’alliance dans le futur. 

Au fond, la participation du Kazakhstan Ă  l'OCS ne lui apporte 

aucun dividende rĂ©el : l’essentiel de ses relations bilatĂ©rales avec la Russie 
et la Chine est suivi en dehors de cette organisation qui ne lui permet guĂšre 
de peser sur des dossiers plus transversaux. A titre d’exemple, le 
Kazakhstan n'a toujours pas trouvĂ© d’accord avec la Chine sur un problĂšme 
aussi important, que l'usage des fleuves transfrontaliers. Le potentiel de 
l'OCS dans le domaine de la sĂ©curitĂ© reste donc trĂšs abstrait et n’apporte 
aucune garantie rĂ©elle. 

Enfin, si l'on tient compte de tous les facteurs objectifs et subjectifs, 

les perspectives de dĂ©veloppement de l'OCS comme organisation 
rĂ©gionale efficace restent floues. Il ne faut jamais perdre de vue que les 
principaux accords sont conclus de maniĂšre bilatĂ©rale. MĂȘme si l’OCS 
parvenait Ă  se constituer en une organisation rĂ©gionale efficace, 
l'extraordinaire croissance Ă©conomique de la Chine cantonnerait sans 
doute les autres membres de l'Organisation essentiellement en 
fournisseurs de matiĂšres premiĂšres. Elle reprĂ©senterait donc pour eux un 
« piĂšge Ă©conomique Â» avec des consĂ©quences faciles Ă  imaginer pour leur 
souverainetĂ© politique. Ces menaces restent pour l'instant hypothĂ©tiques, 
mais permettent de comprendre pourquoi l'OCS prĂ©sente aujourd'hui pour 
le Kazakhstan plus de défis et de risques que d'avantages.