« Ce n'est pas un monde que j'aime »
« Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ; c'est la disparition effrayante des espèces vivantes (…) et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n'est pas un monde que j'aime. »
Cette déclaration de Claude Lévi-Strauss en 2005 peut surprendre, pourtant l'ethnologue avoue depuis longtemps exécrer la société dans laquelle il vit. Infiniment plus proche des peuples primitifs qu'il étudie, des peuples qui sont écologistes pour survivre, Levi-Strauss dénonce le mépris de l'Occident pour le savoir -notamment médicinal- des Indiens.
De l'enseignement à l'ethnologie
Né à Bruxelles le 28 novembre 1908 de parents juifs et français, Claude Lévi-Strauss se destine à une carrière d'enseignant en philosophie. Mais après deux années d'exercice, il décide en 1935, à 27 ans, de partir pour le Brésil. Désireux de se convertir à l'ethnologie, il y organise pendant quatre ans des missions en Amazonie et dans le Mato Grosso. C'est lors d'une de ces expéditions qu'il rencontre notamment la tribu des Indiens Bororos, sujet de son livre « Tristes tropiques ».
New York et la découverte du structuralisme
De retour en France à la veille de la guerre, le jeune chercheur est révoqué à cause des lois anti-juives du gouvernement français collaborationniste. Ce sera donc, en 1941, l'embarquement pour New York, Lévi-Strauss bénéficiant du plan de sauvetage des savants européens menacés par les nazis initié par la Fondation Rockefeller. Ses compagnons de voyage s'appellent alors André Breton et Victor Serge. Il enseigne à la New School for Social Research de New York où on lui conseille de changer de nom, son homonymie avec une célèbre marque de blue-jeans pouvant être l'objet de moqueries.
Il participe également à la fondation de l'École libre des hautes études de New York, dont il devient le secrétaire général.
Ces années new-yorkaises seront très fécondes. C'est là qu'il rédige les «Structures élémentaires de la parenté». C'est aussi là qu'il rencontre le linguiste Roman Jakobson. Une rencontre comme une illumination : « Je faisais du structuralisme sans le savoir. Jakobson m'a révélé l'existence d'un corps de doctrine déjà constitué ».
Le structuralisme : kezako ?
Quelques années après son retour en France en 1949, Lévi-Strauss deviendra la figure emblématique de ce mouvement qui, à l'inverse de l'existentialisme sartrien, laisse de côté le sujet pour privilégier le relationnel. En clair, pour définir une société, Levi-Strauss et le structuralisme préféreront comprendre la différence entre cette société et une autre plutôt que de tenter de représenter un peuple dans ses moindres détails parce qu'« une vie ne serait pas suffisante pour décrire une heure de la vie d'un société humaine de 50 personnes ».
Une carrière riche…
Maître de recherche au CNRS puis sous-directeur du musée de l'Homme, il est ensuite nommé directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études. En 1955, il publie « Tristes
Tropiques », un livre qui, au-delà du récit de voyages, bouleverse la pensée.
En 1959, il est élu à la chaire d'anthropologie sociale du Collège de France qu'il occupe jusqu'en 1982. Il y fonde le laboratoire d'anthropologie sociale et la revue « L'Homme ». Elu à l'Académie française en 1973, il continuera à publier après sa retraite en 1982.
Une vie sereine et discrète
En 1981, un sondage révèle que Claude Lévi-Strauss est l'intellectuel le plus important depuis la mort de Jean-Paul Sartre. Souvent sollicité par les courants politiques, il reste a-politisé : « Plus on se voue à l'ethnologie, plus on prend sur l'histoire de sa propre société un regard assez distancié et on se rend compte que des choses essentielles et dramatiques dans le présent ne compteront pas beaucoup dans la perspective de plusieurs siècles.»
En 2008, Claude Lévi-Strauss entre en Pléiade, comme pour célébrer le centenaire d'une vie aussi sereine, discrète que fructueuse. Cent ans de solitude à travers un siècle contemporain qu'il n'aura guère aimé.