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Dossier

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Producteur audiovisuel en France : un métier


Formation des producteurs : nouvel esprit, nouvelles ambitions
Ana Vinuela

 

Les programmes de formation des futurs producteurs audiovisuels sont très récents. Ils héritent de l’expérience et de la réflexion menées dans les écoles de cinéma, qui ont introduit progressivement des aspects relatifs à la télévision. Mais les responsables de ces formations sont pourtant confrontés à des nouveaux défis liés aux transformations du secteur : décloisonnement des filières et des technologies, place centrale du producteur dans l’industrie audiovisuelle, besoin de dialoguer avec les chaînes de télévision, diversification des financements et des débouchés pour les productions. Les programmes de formation – tel celui mis en place par l’Ina au sein de son école supérieure, Ina’Sup, – doivent par conséquent s’adapter à cette nouvelle situation et proposer les clés pour permettre aux diplômés d’évoluer dans un secteur changeant.

 

La fonction de producteur audiovisuel est née en France au milieu des années 1980, quand la création des chaînes privées a donné lieu à l’émergence d’entreprises de production audiovisuelle indépendantes. Les compétences requises pour exercer cette fonction sont multiples et aucune filière particulière ne conduisait expressément à ce métier jusqu’à présent.

À partir de ce constat, l’Ina, fort de son expérience dans le domaine de la formation audiovisuelle, a mené une réflexion pour la mise en place au sein de son école, Ina’Sup (voir diplôme de production audiovisuelle numérique à Ina’Sup), d’un programme académique ayant comme objectif la formation de ces médiateurs entre l’univers de la création et celui de la diffusion. Cette réflexion s’est appuyée notamment sur l’analyse des expériences des écoles de cinéma et la façon dont elles abordent la formation des producteurs, des actions pionnières de quelques programmes anglo-saxons – où la notion de production audiovisuelle et sa spécificité est bien présente – et des apports, depuis une dizaine d’années, des opérateurs de formation continue en Europe à la définition du champ disciplinaire de la formation des producteurs. Les résultats de cette analyse, que nous avons traduite à la lumière d’une vision prospective, ont donné comme résultat un programme fait d’équilibres entre les aspects artistiques et économiques, d’une part, et entre l’ouverture au monde professionnel et la rigueur académique, d’autre part.

Ces équilibres tiennent compte des compétences requises pour exercer ce métier et pour y évoluer : compétences économiques et de gestion, juridiques, esthétiques, managériales, scénaristiques, techniques ; une bonne culture générale ; une capacité à dialoguer et à négocier, avec les scénaristes et les réalisateurs (complices autant que partenaires dans l’aventure de la création d’une œuvre audiovisuelle), avec les diffuseurs, interlocuteurs, bien sûr, mais éventuels employeurs aussi – les passages d’une rive à l’autre étant de plus en plus fréquents, nombreux sont les producteurs qui à un certain moment de leur vie professionnelle occupent des fonctions de responsabilité au sein des chaînes.

Mais, au-delà de l’acquisition de ces compétences, il est essentiel de constater que toux ceux qui font le choix de s’engager dans des études conduisant au métier de producteur sont des passionnés 1. Par conséquent, les écoles et universités proposant des programmes de formation en production audiovisuelle disposent, avec ce « capital passion », d’une richesse qu’elles doivent s’attacher à cultiver : d’une part, en développant des ouvertures vers le monde professionnel ; d’autre part, en orientant vers une réflexion sur la filiation que l’audiovisuel a établi tout au long de son histoire avec les autres formes d’expression et de création artistique, ainsi que sur le lien multiforme que ce secteur entretient avec la société et ses transformations.

Deux priorités : l’accès au financement et le numérique

Les quelques programmes de formation qui ont l’ambition d’accompagner l’évolution du métier de producteur commencent à tenir compte des résultats d’une réflexion sur les modes d’acquisition de compétences dans deux domaines : l’accès au financement et le numérique, aussi bien dans le cadre pédagogique et méthodologique de la formation continue des producteurs que dans celui de la formation initiale destinée aux futurs producteurs. Ces deux priorités transversales sont celles annoncées par Aviva Silver, chef de l’unité Média à la Direction générale Société de l’information de la Commission européenne, lors du lancement du Programme Média 2007 2. Elles devraient trouver leur place dans les lignes directrices et les actions d’un programme voué à accroître la compétitivité de l’industrie audiovisuelle européenne, qui vient d’entrer dans sa quatrième phase.

La diversification et l’internationalisation des sources de financement du développement et de la production d’œuvres audiovisuelles témoigne du passage d’une activité artisanale à une activité industrielle, régie par des règles, pratiques et principes similaires à ceux qui opèrent dans tous les secteurs économiques. Le producteur doit avant tout attirer l’attention d’investisseurs publics et privés, à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale, et construire avec eux des relations durables. Aujourd’hui prépondérante comme source de financement, la télévision voit avec inquiétude l’arrivée de nouveaux acteurs issus du monde de l’informatique et des télécommunications, qui vont certainement bouleverser les rapports de force, les modes de financement de la production et le cadre réglementaire du secteur.

Les sociétés de production qui ont réussi à trouver une ligne éditoriale forte et bien identifiée arrivent plus facilement à nouer ces liens avec les organismes de financement. Le rôle des écoles et des universités dans la formation des producteurs consiste donc en une double démarche : être capables à la fois de garantir l’épanouissement intellectuel et professionnel d’étudiants d’origines diverses – chacun avec une idée de positionnement ou de future ligne éditoriale – et d’encadrer avec pragmatisme cet épanouissement par la connaissance des impératifs économiques et éditoriaux des chaînes, du cadre réglementaire et des caractéristiques du marché de l’audiovisuel. La tâche n’est pas facile, mais en aucun cas sa complexité ne doit conduire les responsables des formations à tout miser sur le seul pragmatisme. Car réussir à définir une ligne éditoriale implique la mise en jeu de valeurs et de convictions du producteur, partagées avec les auteurs, qui constituent le moteur des œuvres audiovisuelles les plus marquantes. L’apprentissage de la technicité du métier doit en tenir compte et faire en sorte que la période de formation puisse servir à trouver un équilibre entre ces deux aspects, essentiel dans l’exercice de la profession.

Par ailleurs, l’arrivée du numérique dans l’industrie audiovisuelle est à l’origine des plus grandes transformations qu’a connues cette industrie et, par conséquent, le métier de producteur. La généralisation de cette technologie a suscité la mise en place de nouvelles offres de formation et le remaniement des programmes existants. La tendance générale est de faire des exercices d’anticipation dont l’efficacité pédagogique dépend de la capacité des responsables des formations à rendre compte de la nature protéiforme des effets induits par le numérique, plutôt qu’à se concentrer sur des aspects particuliers qui peuvent s’avérer marginaux ou mineurs et, dans tous les cas, insuffisants pour rendre compte de l’ampleur et des enjeux de cette mutation. En effet, se limiter à l’analyse du numérique comme élément multiplicateur – que ce soit des possibilités narratives du récit audiovisuel linéaire, des débouchés existants pour les contenus ou du choix des spectateurs – sans une réelle mise en perspective risque d’aboutir à proposer aux étudiants des écoles de cinéma et de l'audiovisuel des pistes d’analyse incomplètes, et de creuser le fossé entre ceux qui se considèrent comme appartenant au secteur de l’audiovisuel « traditionnel » et ceux qui se revendiquent acteurs des « nouveaux médias », au moment où l’évolution technologique a rendu obsolète une telle dichotomie.

Le secteur de la formation continue s’est adapté depuis quelques années pour faire face à ces deux enjeux majeurs. Si aucune formation ne propose à la fois une réflexion globale sur la transformation des modes de financement et son internationalisation, sur la gestion des entreprises de production et sur les effets du numérique dans les modes de production et de diffusion, l’offre existante de formations permet à chaque producteur de construire, s’il le souhaite, une sorte de parcours d’acquisition de compétences « à la carte » et de rester proche de l’actualité du secteur et de ses évolutions.

De nouveaux défis : s’adapter à un contexte pluriel

Les formations initiales, en revanche, ont davantage d’obstacles à franchir pour préparer intellectuellement et techniquement les producteurs de demain. D’une part, nombre de formations initiales existantes sont tributaires de l’idée selon laquelle le cinéma occuperait une place hégémonique et presque autarcique au sein de cette industrie. Les défenseurs de cette idée oublient souvent que ces dernières années, comme l’explique Pierre-Jean Benghozi, les mutations techniques et économiques « ont fait éclater les structures traditionnelles de cette industrie en séparant de plus en plus le support de production du support de diffusion et en décloisonnant des filières construites jusque-là sur la base de marchés distincts. […] Le rapprochement des technologies (télévision, cinéma, Internet) encourage simultanément une différentiation et un fort renouvellement des produits et services d’une part, leur convergence et substituabilité d’autre part » 3.

Les jeunes producteurs embrassent avec naturel cette idée de décloisonnement des filières et des technologies, ils comprennent l’importance de maîtriser les différents débouchés pour la diffusion de leurs productions, ainsi que les principes du marketing et de la communication de leurs projets et de leurs programmes. Ils acceptent leur condition d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise, tout en restant présents sur toutes les étapes du processus créatif. Et il faut qu’ils soient armés pour appréhender les goûts variables des audiences, pour dialoguer avec les diffuseurs, au point de pouvoir inverser les rôles et de se trouver à certains moments de leur vie professionnelle du côté de la chaîne. Le monde académique doit s’adapter à cette nouvelle situation.

Pour réussir cette adaptation, il devient nécessaire de dépasser la conception du producteur comme simple gestionnaire, responsable des processus organisationnels liés à la fabrication des programmes. Cette conception ne fait que refléter l’idée, longtemps plébiscitée, du réalisateur comme figure centrale de la création d’une œuvre audiovisuelle, à laquelle doit se rattacher l’apprentissage de tous les autres métiers. Bien qu’anachronique, cette idée demeure une source d’inspiration de l’organisation des programmes académiques d’un grand nombre d’institutions d’enseignement dans tous les pays. Or, aujourd’hui, les producteurs sont des vrais initiateurs de projets et garants de leur bonne fin. Ils font leurs premières armes pour la plupart dans le court métrage, et commencent à démontrer, notamment les plus jeunes, qu’il est possible de passer du cinéma à la télévision, du documentaire à la fiction. Ils s’intéressent également à la production de contenus pour les nouveaux médias numériques, non seulement avec l’objectif de diversifier la nature des financements, mais motivés aussi par une véritable envie de ne pas rester confinés dans une filière pendant toute leur vie. Ce sont ces pratiques et ces aspirations qui doivent présider à toute démarche visant à définir l’esprit des programmes de formation à l’intention des futurs producteurs.

Enfin, rendre possible que les formations proposées soient en phase avec la réalité du métier de producteur implique de remettre en cause quelques idées reçues sur la hiérarchisation des activités, des contenus, des filières et des débouchés, au profit d’une logique de la multiplicité (de financements, de supports, d’écrans, d’écritures), envisagée comme autant d’opportunités de garantir la pluralité de manières d’interroger, de rendre visible ou de critiquer la complexité du présent et du passé, contribuant ainsi à la défense de la diversité culturelle. Si le cinéma alimente de manière privilégiée une réflexion critique sur le monde, avec une capacité unique « à traduire de manière symbolisée les mutations en cours dans le corps social » 4, il n’est pas le seul à pouvoir le faire : la liberté de ton de certaines fictions télévisuelles et leur attractivité, le regard original et critique sur le monde qu’apportent les documentaires de création, la proximité conceptuelle et technologique des œuvres d’animation et des contenus pour les médias numériques, le renouvellement constant et l’internationalisation des formats télévisuels nous obligent à penser le métier de producteur dans un contexte pluriel et en évolution.

 

Ana Vinuela, responsable de la spécialité production d’Ina’Sup, l’École supérieure de l’audiovisuel et du numérique.

(Date de mise en ligne : 12/09/07)

 


Notes

 

1. Monique Dagnaud, Les Artisans de l’imaginaire. Comment la télévision fabrique la culture de masse, Armand Colin, Paris, 2006. L’auteur parle d’un métier passion, où on trouve « les facettes des métiers contemporains, à la croisée du talent créatif et de la démarche entrepreneuriale », p.75.
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2. Pour les détails du programme, cf. le site européen http://ec.europa.eu/information_society/media/overview/2007/index_fr.htm ou celui du Media Desk France, http://www.mediadesk.com.fr.
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3. Pierre-Jean Benghozi in Cinéma, audiovisuel, nouveaux médias. La convergence : un enjeu européen ?, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 20.
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4. Jean-Michel Frodon, Horizon cinéma. L’art du cinéma dans le monde contemporain à l’âge du numérique et de la mondialisation. Paris, Cahiers du cinéma, 2006.
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