POPULATION
SOCIĂTĂS
&
L
e risque de mourir de mort violente est trÚs diffé-
rent dâune rĂ©gion Ă lâautre du monde, et il a aussi
beaucoup changĂ© au cours de lâhistoire. La mort vio-
lente sâentend ici comme une mort provoquĂ©e par une
intervention volontaire (soit dâautrui : homicide, soit de
soi-mĂȘme : suicide) ou par une cause extĂ©rieure brutale,
appelée accident (voir définition en encadré, page 4).
Avec deux fois moins dâhabitants que les Ătats-
Unis (143 millions au lieu de 285 millions), la Russie
compte deux fois plus de morts violentes (tableau 1) : le
total correspondant pour la seule annĂ©e 2000 sâĂ©lĂšve Ă
319 000, soit un taux annuel de 221 morts violentes
pour 100 000 habitants ce qui représente un sacrifice de
vies humaines considérable. Les pays qui talonnent la
Russie dans le classement sont des pays de lâex-Union
soviétique à forte proportion de population russe
(Ukraine, Kazakhstan), avec des taux de lâordre de 150
et 120 pour 100 000. Ils devancent la Colombie, en proie
Ă la guerre des gangs de narcotrafiquants. Les points
communs à ces différents pays sont à la fois la part ex-
traordinaire de la mortalité violente dans la morta-
lité totale (entre 1 décÚs sur 10 : Ukraine et 1 décÚs
sur 4 : Colombie) et lâintensitĂ© des taux de morts
violentes (au moins 100 décÚs par an pour 100 000
habitants). On peut penser que des raisons simi-
laires sont Ă lâĆuvre dans ces diffĂ©rents cas : dĂ©-
mantĂšlement de lâĂtat, corruption du pouvoir, de
lâarmĂ©e et de la police, trafics en tous genres, alcoo-
lisme de masse, etc. [2], [3].
Longtemps considéré comme un pays dange-
reux, les Ătats-Unis ont vu, depuis peu, la mortalitĂ©
violente dĂ©cliner jusquâĂ devenir infĂ©rieure Ă celle
du Japon ou de la France. MĂȘme les homicides, qui
constituaient un fléau social mondialement connu,
ont considérablement reculé depuis 1990. Mais il y
a des cas encore plus spectaculaires comme ceux,
dâune part, de lâAllemagne, apaisĂ©e, dĂ©livrĂ©e de la
vague de suicides qui lâavait frappĂ©e jusquâaux annĂ©es
1980 et, dâautre part, du Royaume-Uni, oĂč avec une po-
pulation comparable Ă celle de la France, le nombre de
morts violentes est plus de deux fois moindre et oĂč
seuls 3 % des décÚs sont imputables à la violence. Dans
tous ces pays à risque faible, la mortalité violente re-
présente moins de 8 % des décÚs.
Considérons chacune des trois grandes rubriques
(homicide, suicide et accident de transport) dans une
trentaine de pays couvrant le spectre des cas existants
(tableau 2).
La Colombie,
en tĂȘte des meurtres et assassinats
Sâagissant dâhomicides, lâĂ©chelle des risques est diffĂ©-
renciĂ©e Ă lâextrĂȘme puisquâelle va dans un rapport
de 1 (Japon) Ă 100 (Colombie). Avec un taux double de
celui de la Russie et une écrasante majorité de victimes
Numéro 395
Novembre 2003
Ăditorial â Les morts violentes dans le monde
âą La Colombie, en tĂȘte des meurtres et assassinats - p. 1 âą La Russie et les pays de lâex-URSS, trĂšs touchĂ©s par le suicide - p. 2 âą La frĂ©quence des acci-
dents de transport, trĂšs variable dâun pays Ă lâautre - p. 3 âą Avec la modernisation, lâhomicide recule... - p. 3 âą ... tandis que le suicide progresse - p. 3
Encadré:
DĂ©finition de la mort violente - p. 4
SOMMAIRE
BULLETIN MENSUEL DâINFORMA
TION DE L
âINSTITUT NA
TIONAL DâĂTUDES DĂMOGRAPHIQUES
Les morts violentes dans le monde
Jean-Claude Chesnais*
* Institut national dâĂ©tudes dĂ©mographiques
Russie
319
221
18
Ukraine
74
149
10
Kazakhstan
18
119
15
Colombie
43
105
24
Brésil
115
76
13
France
44
75
8
Japon
75
59
8
Ătats-Unis
151
55
6
SuĂšde
4
48
4
Allemagne
34
41
4
Royaume-Uni
20
33
3
Source : OMS, 2003 [1].
Nombre annuel
de morts
violentes
(milliers)
Proportion de
décÚs violents
parmi lâensemble
des décÚs (%)
Taux de mortalité
violente
(pour
100 000 habitants)
Tableau 1 â MortalitĂ© violente dans une sĂ©lection de pays en 2000
masculines dans la fleur de lâĂąge (guerre permanente
entre lâĂtat et les maffias et entre les maffias elles-
mĂȘmes), la Colombie reste Ă part : des rĂ©gions entiĂšres
échappent au contrÎle du gouvernement et, malgré
lâassistance des Ătats-Unis, la situation tend Ă empirer.
En Russie, le nombre relativement important de vic-
times féminines est imputable aux violences conjugales
commises sous lâemprise de lâalcool [4]. Le BrĂ©sil, quant
Ă lui, est plus un lieu de transit que de production de la
cocaĂŻne, mais les grandes villes (Rio, SĂŁo Paulo) sont de
gros marchés, vite transformés en champs de bataille
entre gangs rivaux. La situation du Mexique apparaĂźt
nettement moins dangereuse. Enfin, nous lâavons vu, le
cas des Ătats-Unis a cessĂ© dâĂȘtre une anomalie, il est
rentré dans le rang : avec prÚs de 2 millions de per-
sonnes incarcérées et un renforcement de la répression
(« tolérance zéro »), le crime a nettement reculé.
En revanche, sur le territoire de lâex-URSS (pays
slaves, Ă©tats baltes, pays du Sud comme la Moldavie, le
Kirghizistan, la GĂ©orgie), on ne trouve que des pays
figurant dans la moitié supérieure du classement. Dans
nombre dâentre eux, lâaffaiblissement de lâĂtat a favorisĂ©
la multiplication des gangs et surtout le rĂšgne de la
pĂšgre, impliquĂ©e dans tous les trafics. Câest dans les
pays oĂč lâautoritĂ© de la force publique est la moins
contestĂ©e, oĂč les polices sont le plus efficaces et oĂč le
pouvoir est le moins corrompu (Allemagne, Espagne,
France, Royaume-Uni, Japon par exemple) que lâhomi-
cide est le plus rare : moins de 1 décÚs pour 100 000 ha-
bitants.
La Russie et les pays de l'ex-URSS,
trÚs touchés par le suicide
Le classement du suicide est moins étiré que celui de
lâhomicide. Cette fois, la Colombie et le Mexique sont
en bas de la hiĂ©rarchie, avec des taux de lâordre de seu-
lement 3 suicides par an pour 100 000 habitants, câest-Ă -
dire treize Ă quinze fois plus faibles que ceux de la
Lituanie et de la Russie qui détiennent le triste record
mondial (plus de 40). La Hongrie qui a longtemps
occupé, isolée, le premier rang, avec un taux sans
2
INED
Les morts violentes dans le monde
Population et Sociétés n° 395, novembre 2003
Homicide
Suicide (1)
Accident de transport (2)
Total (2)
Rang
Pays
Taux (3) Rang
Pays
Taux (3) Rang
Pays
Taux (3) Rang
Pays
Taux (3)
1
Colombie
60,8
1
Lituanie
44,1
1
Lettonie
27,7
1
Russie
95,9
2
Russie
28,4
2
Russie
40,1
2
Russie
27,4
2
Colombie
81,7
3
Brésil
23,3
3
Lettonie
37,0
3
Corée du Sud
25,4
3
Lettonie
80,0
4
Kazakhstan
18,8
4
Biélorussie
34,9
4
GrĂšce
22,6
4
Lituanie
72,8
5
Lettonie
15,3
5
Hongrie
31,6
5
Brésil
20,8
5
Kazakhstan
65,3
6
Estonie
13,9
6
Kazakhstan
30,0
6
Lituanie
20,8
6
Estonie
60,3
7
Ukraine
13,1
7
Ukraine
29,6
7
Estonie
18,9
7
Biélorussie
60,2
8
Moldavie
11,9
8
Estonie
27,5
8
Pologne
18,8
8
Ukraine
57,3
9
Biélorussie
11,4
9
Japon
25,1
9
Colombie
17,7
9
Brésil
49,2
10
Mexique
10,8
10
Finlande
23,8
10
KoweĂŻt
16,9
10 Corée du Sud
40,7
11
Lituanie
9,3
11
Belgique
21,3
11
Cuba
16,9
11
Moldavie
38,8
12
Kirghizistan
7,7
12
Suisse
20,2
12
Ătats-Unis
16,5
12 Belgique
38,6
13
Ătats-Unis
6,2
13
Autriche
19,0
13
Kazakhstan
16,5
13 Cuba
38,5
14
Cuba
5,2
14
France
17,5
14
Belgique
15,7
14 Japon
36,2
15
Albanie
4,2
15
Danemark
17,0
15
Mexique
14,9
15 Ătats-Unis
34,0
16
Georgie
3,3
16
Pologne
14,3
16
Espagne
14,7
16 Pologne
31,9
17
Rép.de Macédoine
3,0
17
Allemagne
14,2
17
Ukraine
14,6
17
France
31,1
18
Pologne
2,1
18
SuĂšde
14,2
18
Italie
13,5
18 Mexique
28,9
19
Belgique
1,9
19
Corée du Sud
13,6
19
France
12,9
19 Kirghizistan
27,8
20
PĂ©rou
1,8
20
NorvĂšge
12,1
20
Hongrie
12,9
20 Albanie
26,4
21
Corée du Sud
1,7
21
Ătats-Unis
11,3
21
Chili
12,0
21 Allemagne
24,8
22
Canada
1,5
22
Pays-Bas
10,1
22
Autriche
11,9
22 Canada
24,3
23
Pays-Bas
1,4
23
Espagne
8,6
23
Canada
10,6
23 Espagne
24,2
24
Italie
1,2
24
Italie
8,2
24
Japon
10,5
24 Italie
22,9
25
SuĂšde
1,2
25
Royaume-Uni
7,5
25
Royaume-Uni
10,5
25 SuĂšde
20,9
26
Allemagne
0,9
26
Brésil
5,1
26
Allemagne
9,7
26 Royaume-Uni
18,7
27
Espagne
0,9
27
GrĂšce
3,8
27
Australie
9,4
27 Pays-Bas
18,4
28
France
0,7
28
Colombie
3,2
28
Finlande
9,2
28 GĂ©orgie
18,4
29
Royaume-Uni
0,7
29
Mexique
3,2
29
NorvĂšge
8,4
29 Macédoine
15,7
30
Japon
0,6
30
KoweĂŻt
2,2
30
SuĂšde
5,5
30 PĂ©rou
10,6
(1) Ă lâĂ©chelle mondiale, le nombre de personnes qui se donnent la mort est estimĂ© Ă 1 million par an (dont 20 % en Chine et 5 % en Inde). Il existe une spĂ©cificitĂ© chinoise :
le taux de suicide plus élevé chez les femmes que chez les hommes en zone rurale (OMS [1]).
(2) Contrairement au tableau 1 oĂč lâensemble des accidents Ă©taient inclus, y compris les accidents domestiques, seuls les accidents de transport sont inclus ici ; ceci
explique que la mortalité violente totale du tableau 2 soit inférieure à celle indiquée dans le tableau 1, la différence correspondant aux autres accidents que ceux de trans-
port (voir définition en encadré).
(3) Nombre de décÚs annuels pour 100 000 habitants.
Source : OMS [1].
Tableau 2 - MortalitĂ© violente par type de dĂ©cĂšs en 2000 (ou lâannĂ©e la plus proche)
3
INED
Les morts violentes dans le monde
Population et Sociétés n° 395, novembre 2003
précédent de 45, a vu les décÚs par suicide reculer de
prĂšs dâun tiers, sous lâeffet conjuguĂ© du retour Ă la li-
bertĂ© grĂące Ă la fin de lâoccupation soviĂ©tique (1956
avait marquĂ© le dĂ©but dâune crise morale et dâune mul-
tiplication des suicides qui dura une trentaine dâan-
nées) et des campagnes de prévention menées par les
personnels de santé auprÚs des personnes vulnérables
(alcooliques, dépressifs, malades incurables, personnes
sous-qualifiées ou en rupture familiale). De nouveau, le
haut du classement est occupé par le monde slave et
balte, en pleine anomie (chĂŽmage, perte des repĂšres, fin
de la grandeur impériale, dislocation du tissu des soli-
daritĂ©s, chute de lâestime de soi).
Le Japon avait connu un choc semblable dans les an-
nées 1950 (défaite militaire, occupation étrangÚre, senti-
ment dâhumiliation et de vide), mais il avait su
reconvertir ses ambitions qui, de guerriĂšres, devinrent
commerciales (volontĂ© dâexceller dans le domaine de
lâexportation mondiale). Ce tournant idĂ©ologique donna
lieu Ă un apaisement des consciences, notamment chez
les jeunes, en quĂȘte de sens et jusquâalors dĂ©boussolĂ©s.
La France a un taux de suicide relativement élevé,
proche de celui des pays Ă longue tradition suicidaire
(Danemark, Autriche) et nettement plus important que
ceux du Royaume-Uni, de ses voisins du Sud et, phé-
nomĂšne nouveau, de lâAllemagne oĂč, depuis les an-
nĂ©es 1980, la sociĂ©tĂ© semble moins en proie Ă lâangoisse
existentielle.
Le taux de suicide varie beaucoup selon lâĂąge. Dans
un pays comme la France, il est inexistant chez les en-
fants et ne commence Ă se manifester quâĂ lâadoles-
cence (figure 1). Il augmente alors avec lâĂąge puis, aprĂšs
avoir marqué un palier aux ùges mûrs (40 à 70 ans), at-
teint ses niveaux les plus élevés aux trÚs grands ùges.
Les hommes se suicident beaucoup plus fréquemment
que les femmes.
La fréquence des accidents de transport,
trĂšs variable d'un pays Ă l'autre
En dépit des progrÚs de la prévention routiÚre et de
lâamĂ©lioration des services de traumatologie, le tribut
payé aux accidents de transport (essentiellement de la
route) reste Ă©levĂ© [5]. La SuĂšde offre lâimage dâun
minimum quasi-incompressible avec un taux de mor-
talité de seulement 5,5 décÚs par an pour 100 000 habi-
tants. Ă lâopposĂ©, on retrouve les pays Ă plus fort taux
dâhomicide (Colombie, BrĂ©sil et surtout pays baltes
et slaves). Il existe donc un syndrome de la mortalité
violente propre aux pays de lâex-sphĂšre soviĂ©tique,
puisque ceux-ci sont touchés par toutes les grandes
formes de morts violentes : homicides, suicides, acci-
dents de toutes natures (noyades, incendies, chutes, ac-
cidents de transport, empoisonnements, accidents du
travail, etc.). La seule Russie enregistre chaque année
8 000 morts par accidents du travail, le plus souvent
imputables, comme les autres morts violentes, Ă lâabus
dâalcool.
Avec la modernisation,
l'homicide recule...
Ă mesure que les pays se modernisent, lâhomicide
recule tandis que le suicide tend Ă progresser.
Par son caractĂšre extrĂȘme au sein du monde occi-
dental, le crime de sang aux Ătats-Unis a longtemps at-
tirĂ© lâattention : les taux dâhomicide ont tout au long du
XX
e
siÚcle été à peu prÚs dix fois supérieurs à ceux de
pays de développement comparable en Europe et en
Asie. La proportion de victimes est 6 Ă 7 fois plus Ă©le-
vée dans la population « non blanche » que dans la po-
pulation « blanche » et, dans chaque cas, il frappe 3 Ă
5 fois moins les femmes que les hommes. Mais le
constat le plus important est la baisse entamée vers
1970 et en phase dâaccĂ©lĂ©ration depuis 1990. Cette Ă©vo-
lution a davantage bénéficié à la communauté « non
blanche » : en 1970 encore, celle-ci présentait un taux
comparable Ă celui de la population colombienne ac-
tuelle. Aujourdâhui, la proportion de personnes vic-
times dâhomicide a Ă©tĂ© divisĂ©e par deux et demi dans
cette communauté (tableau 3).
... tandis que le suicide progresse
Perçu comme une atteinte au Créateur, le suicide a trÚs
tÎt été noté dans les registres paroissiaux. Dans plu-
sieurs pays, on dispose de séries chronologiques re-
montant au
XVIII
e
siĂšcle et parfois, dâobservations
ponctuelles allant jusquâau
XIII
e
siĂšcle. Pour couvrir un
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
moins de
15 ans
15-24
25-34
35-44
45-54
55-64
65-74
75+
Ăges
Nombre de décÚs par an
et pour 100 000 personnes
Hommes
Femmes
INED
46303
Figure 1 - Variations du taux de décÚs par suicide
selon le sexe et l'Ăąge en France, 1999
Tableau 3 - Taux de mortalitĂ© par homicide aux Ătats-Unis
(nombre de meurtres annuels pour 100 000 habitants)
Année
Population Population
Ensemble
« blanche »
« de couleur »
Sexes
Hommes Femmes Hommes
Femmes
réunis
1940
6,7
1,8
79,9
18,5
8,4
1950
5,3
1,9
67,4
16,2
7,2
1960
5,3
2,0
56,2
15,6
6,9
1970
9,5
2,9
95,9
18,5
11,6
1980
10,9
3,2
66,6
13,5
10,7
1990
9,0
2,8
69,2
13,5
10,0
2000
5,6
2,2
37,5
7,8
6,2
Source : US Bureau of the Census [6].
Source : Inserm/CepiDc.
4
Les morts violentes dans le monde
POPULATION ET SOCIĂTĂS
, bulletin mensuel dâinformation de lâInstitut national dâĂ©tudes dĂ©mographiques
ISSN 0184 77 83
Directeur-GĂ©rant: François HĂ©ran â RĂ©dacteur en chef: Gilles Pison â Assistante de rĂ©daction: CĂ©line Perrel â Maquette: Isabelle Brianchon â C.P. n° 1207 B 06304 ADEP - D.L. 4
e
trim. 2003
Ined : 133, boulevard Davout - 75980 Paris, Cedex 20 â TĂ©lĂ©phone : (33) (0)1 56 06 20 00 â TĂ©lĂ©copie : (33) (0)1 56 06 21 99 â http://www.ined.fr/publications/pop_et_soc/index.html â
e.mail : ined@ined.fr â Responsable des ventes : Françoise Lautrette : 01 56 06 20 88 â Le numĂ©ro : 1,50
âŹ
â Abonnement 1 an - France : 10
âŹ
- Etranger : 16
âŹ
â Imp. : Jouve
nombre suffisant de pays, nous nous sommes contentés
de remonter au milieu du
XIX
e
siĂšcle (tableau 4). Les
taux de suicide sont largement liĂ©s Ă lâhistoire Ă©cono-
mique et politique des sociétés. Dans les sociétés
agraires traditionnelles (Russie, Italie, Hongrie, Finlande
vers 1850), ils sont trĂšs bas : pas plus de 4 suicides par
an pour 100 000 habitants ; les observations antérieures
confirment ce diagnostic. Ils sont plus élevés en France,
en Allemagne, et surtout au Danemark â terre tradi-
tionnelle du suicide selon Durkheim et Morselli, pion-
niers de lâĂ©tude du phĂ©nomĂšne [7], [8] â le taux
danois (26 pour 100 000) se détachant trÚs nettement.
Avec le dĂ©racinement induit par lâindustrialisation
et lâurbanisation, les taux vont fortement augmenter,
sauf dans les pays oĂč lâĂ©conomie reste agraire
(Finlande, Russie). Vers 1900, sur les 11 pays que nous
avons retenus, 6 ont des taux de suicide relativement
Ă©levĂ©s, de lâordre de 15 Ă 20 pour 100 000. Vers 1930, la
tendance sâest amplifiĂ©e, toujours avec le retard russe.
Le suicide grimpe en flĂšche en Hongrie et surtout en
Autriche, aprĂšs le dĂ©mantĂšlement de lâempire des
Habsbourg : câest lâĂ©poque de la mĂ©lancolie, de la tris-
tesse, de la littérature morbide, du repli sur soi. De son
cĂŽtĂ©, lâAllemagne, secouĂ©e par le choc Ă©conomique
(lâhyper-inflation Ă partir de 1923, puis le chĂŽmage de
masse) et politique (avĂšnement de la dictature nazie en
1933), enregistre aussi une forte aggravation. LâaprĂšs-
guerre marque un apaisement, qui sâaccĂ©lĂšre depuis
1980 : la société allemande semble assumer sa nouvelle
identité et retrouver sa fierté ; son taux de suicide est
devenu lâun des plus bas du monde occidental.
Si celui de la Hongrie a rĂ©gressĂ©, il nâen reste pas
moins assez fort en 2000, quoique cependant inférieur
Ă celui de lâAutriche de lâentre-deux-guerres. Mais le
phénomÚne le plus frappant, compte tenu de la faible
propension historique au suicide en Russie, y est la
multiplication du taux de suicide par dix depuis la
période 1926-1935. Une telle aggravation contraste
avec lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale, plutĂŽt Ă la baisse, sans doute
liĂ©e pour une bonne part Ă lâutilisation de mĂ©thodes
de moins en moins létales (barbituriques) et à la plus
grande rapidité des services de secours.
DĂ©finition de la mort violente
La mort violente est une mort « non naturelle ». Il sâagit
dâune mort provoquĂ©e par une intervention volontaire (soit
dâautrui : homicide, soit de soi-mĂȘme : suicide) ou par une
cause extérieure brutale, appelée accident.
Son identification nâest pas facile, en raison de lâincertitude
de ses contours. Entre le suicide incontestable reconnu et
lâaccident (ou mĂȘme dâautres morts), existe toute une gam-
me dâactes bien diffĂ©renciĂ©s. Toute mort suspecte relĂšve du
champ de la médecine légale (autopsie du corps de la vic-
time) et aussi de lâenquĂȘte de police (en vue de savoir si le
dĂ©cĂšs rĂ©sulte dâune faute pĂ©nale, câest-Ă -dire dâĂ©tablir sâil y
a présomption de crime ou de délit). Les morts accidentelles
elles-mĂȘmes ne se dĂ©finissant pas partout de la mĂȘme fa-
çon, en particulier quand le décÚs survient quelque temps
aprĂšs lâaccident. Ces morts accidentelles recouvrent un en-
semble trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšne, depuis les chutes jusquâaux incen-
dies, en passant par les noyades, ou les empoisonnements.
Nous avons isolé ici les accidents de la circulation routiÚre,
non seulement parce quâils reprĂ©sentent la rubrique prĂ©-
pondĂ©rante, mais parce que leur montĂ©e sâest longtemps
dĂ©roulĂ©e dans une semi-indiffĂ©rence, alors mĂȘme que les
pertes humaines correspondantes prenaient un aspect
dâhĂ©catombe.
Les comparaisons ne sont possibles quâentre pays dispo-
sant de statistiques sur les causes de décÚs. Beaucoup de
pays dâAfrique ou dâAsie ne figurent donc pas dans les ta-
bleaux car ils nâen ont pas de fiables. Pourtant, si lâAfrique
du Sud avait pu ĂȘtre incluse, il est probable quâelle aurait
figuré dans le haut du classement des pays à risque élevé,
tout au moins pour les homicides.
RĂFĂRENCE
[1] OMS (Organisation mondiale de la Santé) - Figures and
facts about suicide, 1999 - Mortality database 2003 :
http://www3.who.int/whosis
[2] M
ESLĂ
F., S
HKOLNIKOV
V. M., H
ERTRICH
V. et V
ALLIN
J. -
Tendances récentes de la mortalité par cause en Russie, 1965-1994,
Ined, 1996, 140 p.
[3] P
RIDEMORE
W. A. - « Demographic, temporal and spatial
patterns of homicide rates in Russia », European Sociological
Review, vol. 19, n° 1, 2003, p. 41-59
[4] G
ONDOLF
E. W. et C
HESTAKOV
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HESNAIS
J.-C. - Histoire de la violence, Pluriel Hachette,
2
e
Ă©d., 1982
Reste un cas spécifique : celui du Japon qui, aprÚs avoir
rĂ©ussi Ă surmonter lâhumiliation de la dĂ©faite de 1945 et
la flambĂ©e des suicides qui sâen Ă©tait suivie, Ă©tait reve-
nu dans la norme internationale ; aujourdâhui son taux
de suicide est redevenu supérieur à celui de 1960.
Dans ce pays oĂč le suicide est un acte dâhonneur,
tout laisse penser que ce regain de morts volontaires est
lié à la crise morale et culturelle que traverse la société
depuis une quinzaine dâannĂ©es.
Tableau 4 - Taux de mortalité par suicide pour 100 000 personnes
Pays
1846
1896
1926
1960
1980
2000
-
-
-
1855
1905
1935
Allemagne
11,5
20,4
27,4
18,8*
20,9
14,2
Autriche
4,9
18,6
38,0
23,1
25,7
19,0
Danemark
25,9
22,4
17,6
20,2
31,6
17,0
Finlande
4,0
5,1
19,7
20,4
24,7
23,8
France
8,9
20,8
19,8
15,9
19,4
17,5
Hongrie
3,2
20,5
31,5
24,9
44,9
31,6
Italie
3,1
6,3
9,3
6,1
6,4
8,2
Russie
2,6
3,3
4,5
â
36,0
40,1
SuĂšde
6,9
14,6
15,7
17,4
19,4
14,2
Ătats-Unis
5,8
10,3
14,7
10,6
12,2
11,3
Japon
â
18,0
21,3
21,6
17,6
25,1
* RDA : 17,5 ; Berlin-Ouest : 37,0 ; RFA : 18,7.
Sources : pour la période 1846-1960 : Chesnais [9],
pour les périodes aprÚs 1960 : O.M.S. [1].