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Condorcet  (Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat marquis de)

, savant, philosophe, écrivain et homme politique, né le 17 septembre 1741 à Ribemont en Picardie, mort à Bourg-la-Reine, le 29 mars 1794. Il se distingua de bonne heure comme mathématicien, et entra à vingt-six ans à l'Académie des sciences, dont il devint en 1776 le secrétaire perpétuel. En 1782, il fut reçu à l'Académie française.

Quand la Révolution commença, Condorcet se trouvait être l'un des derniers survivants de la génération qui avait connu Voltaire et les encyclopédistes. Sa renommée, ses talents, son esprit libéral et sa passion pour le bien public le désignaient pour un rôle important dans le grand mouvement de rénovation nationale qui allait s'accomplir. Il accepta en 1790 les fonctions de membre de la municipalité parisienne ; au commencement de 1791, il fut nommé l'un des six commissaires de la Trésorerie, et résigna en conséquence ses fonctions municipales. Après la fuite du roi, il donna sa démission, quitta l'hôtel des Monnaies, et se prononça résolument en faveur de la République. En septembre de la même année, il fut élu député de Paris à l'Assemblée législative, et devint dès le début membre du Comité d'instruction publique de cette assemblée (28 octobre).

La question d'une réorganisation de l'instruction publique était depuis longtemps l'objet des méditations de Condorcet. Il avait inséré dans un recueil périodique, la Bibliothèque de l'homme public, en 1790 et 1791, quatre mémoires qui traitent : de la nature et de l'objet de l'instruction publique ; de l'instruction commune pour les enfants ; de l'instruction commune pour les nommes ; de l'instruction relative aux professions. Un cinquième mémoire, qui n'a pas été publié du vivant de l'auteur, est consacré à l'instruction relative aux sciences.

Le Comité d'instruction publique de la Législative écarta d'emblée (25 novembre) le plan que Talleyrand, au nom du Comité de constitution de l'Assemblée constituante, avait présenté deux mois auparavant à cette assemblée et que celle-ci avait renvoyé à la Législative. Une section de cinq membres, Condorcet, Lacépède, Arbogast, Pastoret et Romme, fut chargée d'élaborer un plan général d'instruction ; et le 30 janvier 1792 Condorcet fit lecture au Comité, au nom de cette section, d'un projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique. Ce projet fut discuté par le Comité jusqu'au 4 avril ; Condorcet, désigné comme rapporteur dès le 5 mars, fit au Comité deux lectures successives de son rapport, le 9 et le 18 avril ; et enfin, les 20 et 21 avril, lecture fut faite à l'Assemblée, au nom du Comité, par Condorcet, du rapport et du projet de décret.

Le projet de décret établissait cinq degrés d'instruction : les écoles primaires ; les écoles secondaires (écoles primaires supérieures) ; les instituts (collèges) ; les lycées (facultés) ; et la Société nationale des sciences et des arts, chargée de la direction générale de l'enseignement. On a reproché à Condorcet d'avoir voulu, par la création de cette société, livrer l'enseignement aux mains d'une corporation qui fût devenue un Etat dans l'Etat ; mais Daunou l'a justifié en rappelant qu'il s'agissait avant tout, pour Condorcet, de soustraire l'instruction publique à la dangereuse ingérence du monarque : en constituant le corps enseignant en une corporation autonome, « Condorcet, l'ennemi des rois, voulait ajouter dans la balance des pouvoirs publics un contrepoids de plus au pouvoir royal ».

Les extraits suivants du rapport qui précédait le projet de décret feront connaître les principes dont le Comité s'était inspiré, et le caractère des établissements d'instruction dont il proposait la création :

« La première condition de toute instruction — disait Condorcet — étant de n'enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu'il est possible de toute autorité politique ; et, comme néanmoins cette indépendance ne peut être absolue, il résulte du même principe qu'il faut ne les rendre dépendants que de l'assemblée des représentants du peuple, parce que de tous les pouvoirs il est le moins corruptible, le plus éloigné d être entraîné par des intérêts particuliers, le plus soumis à l'influence de l'opinion générale des hommes éclairés, et surtout parce que, étant celui de qui émanent essentiellement tous les changements, il est dès lors le moins ennemi du progrès des lumières, le moins opposé aux améliorations que ce progrès doit amener.

« On enseigne dans les écoles primaires ce qui est nécessaire à chaque individu pour se conduire lui-même et jouir de la plénitude de ses droits. Toute collection de maisons renfermant quatre cents habitants aura une école et un maître. On enseignera dans ces écoles à lire, à écrire, ce qui suppose nécessairement quelques notions grammaticales ; on y joindra les règles de l'arithmétique, des méthodes simples de mesurer exactement un terrain, de toiser un édifice ; une description élémentaire des productions du pays et des procédés de l'agriculture et des arts ; le développement des premières idées morales et des règles de conduite qui en dérivent ; enfin, ceux des principes de l'ordre social qu'on peut mettre à la portée de l'enfance. Ces diverses instructions seront distribuées en quatre cours, dont chacun doit occuper une année les enfants d'une capacité commune. Chaque dimanche, l'instituteur ouvrira une conférence publique, à laquelle assisteront les citoyens de tous les âges ; nous avons vu dans cette institution un moyen de donner aux jeunes gens celles des connaissances nécessaires qui n'ont pu cependant faire partie de leur première éducation. On y développera les principes et les règles de la morale avec plus d'étendue, ainsi que cette partie des lois nationales dont l'ignorance empêcherait un citoyen de connaître ses droits et de les exercer.

« … Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une raison étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d'utiles vérités : le genre humain n'en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.

« En continuant ainsi l'instruction pendant toute la durée de la vie, on empêchera les connaissances acquises dans les écoles de s'effacer trop promptement de la mémoire. On pourra montrer l'art de s'instruire par soi-même, comme à chercher des mots dans un dictionnaire, à se servir de la table d'un livre, à suivre sur une carte, sur un plan, sur un dessin, des narrations ou des descriptions, à faire des notes ou des extraits.

« Les fêtes nationales, en rappelant aux habitants des campagnes, aux citoyens des villes, les époques glorieuses de la liberté, … leur apprendront à chérir les devoirs qu'on leur aura fait connaître. Dans la discipline intérieure des écoles, on prendra soin d'instruire les enfants à être bons et justes ; on leur fera pratiquer, les uns à l'égard des autres, les principes qu'on leur aura enseignés, et par là, en même temps qu'on leur fera prendre l'habitude d'y conformer leur conduite, ils apprendront à les mieux entendre, à en sentir plus fortement l'utilité et la justice... La gymnastique ne sera point oubliée…

« Si l'on reproche à ce plan de renfermer une instruction trop étendue, nous pourrons répondre qu'avec des livres élémentaires bien faits et destinés à être mis entre les mains des enfants, avec le soin de donner aux maîtres des ouvrages composés pour eux, où ils puissent s'instruire de la manière de développer les principes, de les proportionner à l'intelligence des élèves, ... on n'aura point à craindre que l'étendue de cet enseignement excède les bornes de la capacité ordinaire des enfants. Il existe d'ailleurs des moyens de simplifier les méthodes, de mettre les vérités à la portée des esprits les moins exercés…

« On pourrait nous reprocher au contraire d'avoir trop resserré les limites de l'instruction destinée à la généralité des citoyens ; mais la nécessité de se contenter d'un seul maître pour chaque établissement, … le petit nombre des années que les enfants des familles pauvres peuvent donner à l'étude, nous ont forcés de resserrer cette première instruction dans des bornes étroites ; et il sera facile de les reculer lorsque l'amélioration de l'état du peuple, la distribution plus égale des fortunes, suite nécessaire des bonnes lois, les progrès des méthodes d'enseignement, en auront amené le moment…

« Les écoles secondaires sont destinées aux enfants dont les familles peuvent se passer plus longtemps de leur travail, et consacrer à leur éducation un plus grand nombre d'années, ou même quelques avances. Chaque district et, de plus, chaque ville de quatre mille habitants, aura une de ces écoles secondaires. L'enseignement sera le même dans tous les établissements ; mais ils auront un, d'eux, trois instituteurs, suivant le nombre d'élèves qu'on peut supposer devoir s'y rendre. Quelques notions de mathématiques, d'histoire naturelle et de chimie nécessaires aux arts, des développements plus étendus des principes de la morale et de la science sociale, des leçons élémentaires de commerce, y formeront le fonds de l'instruction. Les instituteurs donneront des conférences hebdomadaires, ouvertes à tous les citoyens. Chaque école aura une petite bibliothèque, un petit cabinet où l'on placera quelques instruments météorologiques, quelques modèles de machines ou de métiers, quelques objets d'histoire naturelle ; et ce sera pour les hommes un nouveau moyen d'instruction.

« Les conférences hebdomadaires proposées pour ces deux premiers degrés ne doivent pas être regardées comme un faible moyen d'instruction… Qu'on ne craigne pas que la gravité de ces instructions en écarte le peuple... L'homme des campagnes, l'artisan des villes ne dédaignera point des connaissances dont il aura une fois connu les avantages par son expérience ou celle de ses voisins. La frivolité, le dégoût des choses sérieuses, le dédain pour ce qui n'est qu'utile, ne sont pas les vices des hommes pauvres ; et cette prétendue stupidité, née de l'asservissement et de l'humiliation, disparaîtra bientôt lorsque des hommes libres trouveront auprès d'eux les moyens de briser la dernière et la plus honteuse de leurs chaînes.

« Le troisième degré d'instruction embrasse les éléments de toutes les connaissances humaines. L'instruction, considérée comme partie de l'éducation générale, y est absolument complète. Elle renferme ce qui est nécessaire pour être en état de se préparer à remplir les fonctions publiques qui exigent le plus de lumières, ou de se livrer avec succès à des éludes plus approfondies ; c'est là que se formeront les instituteurs des écoles secondaires, que se perfectionneront les maîtres des écoles primaires déjà formés dans celles du second degré. Le nombre des instituts a été porté à cent dix, et il en sera établi dans chaque département [le département de Paris devait en avoir cinq, deux départements chacun trois, dix-neuf départements chacun deux]. Plusieurs motifs ont déterminé l'espèce de préférence accordée aux sciences mathématiques et physiques. L'ancien enseignement n'était pas moins vicieux par sa forme que par le choix et la distribution des objets. On semblait n'avoir voulu faire que des théologiens ou des prédicateurs : nous aspirons à former des hommes éclairés. Vous devez à la nation française une instruction au niveau de l'esprit du dix-huitième siècle, de cette philosophie qui, en éclairant la génération contemporaine, présage, prépare et devance déjà la raison supérieure à laquelle les progrès nécessaires du genre humain appellent les générations futures. C'est d'après cette même philosophie que nous avons regardé les sciences morales et politiques comme une partie essentielle de l'instruction commune. Jamais un peuple ne jouira d'une liberté constante, assurée, si l'instruction dans les sciences politiques n'est pas générale,…. si vous ne préparez à l'homme, par une instruction générale, les moyens de parvenir à une constitution plus parfaite, de se donner de meilleures lois, et d'atteindre une liberté plus entière….

« L'enseignement [dans les instituts] sera partagé par cours ; … la distribution en sera telle qu'un élève pourra suivre, à la fois, quatre cours, ou n'en suivre qu'un seul ; embrasser, dans l'espace de cinq ans environ, la totalité de l'instruction, s'il a une grande facilité ; se borner à une seule partie dans le même espace de temps, s'il a des dispositions moins heureuses. Les professeurs tiendront une fois par mois des conférences publiques. Auprès de chaque institut, on trouvera une bibliothèque, un cabinet, un jardin de botanique, un jardin d'agriculture……

« Les principes de la morale enseignés dans les écoles et dans les instituts seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. La constitution… ne permet point d'admettre, dans l'instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d'une partie des citoyens, détruirait l'égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n'admettre dans l'instruction publique l'enseignement d'aucun culte religieux. Chacun d'eux doit être enseigné dans les temples par ses propres ministres. Les parents, quelle que soit leur croyance, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors, sans répugnance, envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux…. Dira-t-on que l'idée de cette séparation s'élève au-dessus des lumières actuelles du peuple? Non, sans doute ; car, puisqu'il s'agit ici d'instruction publique, tolérer une erreur, ce serait s'en rendre complice ; ne pas consacrer hautement la vérité, ce serait la trahir….

« Nous avons donné le nom de lycée au quatrième degré d'instruction ; toutes les sciences y sont enseignées dans toute leur étendue. C'est là que se forment les savants ; … c'est là aussi que doivent se former les professeurs. Nous proposons d'établir en France neuf lycées ; ce nombre a paru répondre à ce qu'exigeait la population de la France. En effet, sans que le nombre des élèves puisse nuire à l'enseignement, un homme, sur seize cents, pourra suivre un cours d'études dans les lycées, et cette proportion est suffisante. L'instruction dans les lycées sera commune aux jeunes gens qui complètent leur éducation, et aux hommes.

« Dans ces quatre degrés d'instruction, l'enseignement sera totalement gratuit….

« Au delà des écoles primaires, l'instruction cesse d'être rigoureusement universelle. Mais… les enfants qui auront annoncé le plus de talent dans un degré d'instruction seront appelés à en parcourir le degré supérieur, et entretenus aux dépens du trésor national, sous le nom d'élèves de la patrie. D'après le plan du Comité, trois mille huit cent cinquante enfants ou environ recevraient une somme suffisante pour leur entretien : mille suivraient l'instruction des instituts, six cents celle des lycées…..

« Dans les trois premiers degrés d'instruction, on n'enseigne que des éléments plus ou moins étendus ; ….. il faut donc que la puissance publique indique les livres qu'il convient d'enseigner. Mais dans les lycées, où la science doit s'enseigner tout entière, c'est au professeur à choisir ses méthodes…..

« Enfin, le dernier degré d'instruction est une Société nationale des sciences et des arts, instituée pour surveiller et diriger les établissements d'instruction, pour s'occuper du perfectionnement des sciences et des arts, pour recueillir, encourager, appliquer et répandre les découvertes utiles…… Nous proposons de diviser cette société en quatre classes, qui tiendront séparément leurs séances….. Chaque classe est divisée en sections ; chaque section a un nombre déterminé de membres, moitié résidant à Paris, moitié répandus dans les départements… La première nomination une fois faite [il devait être présenté un projet de décret particulier sur ce mode de nomination], les membres de la Société nationale se choisiront eux-mêmes… Chaque classe de la Société nationale élit les professeurs des lycées dont l'enseignement correspond aux sciences qui sont l'objet de cette classe. Les professeurs du lycée nomment ceux des instituts, mais la municipalité aura le droit de réduire la liste des éligibles. Quant aux instituteurs des écoles secondaires et primaires, la liste d'éligibles sera faite par les professeurs des instituts de l'arrondissement, et le choix appartiendra, pour les premiers, au corps municipal du lieu où l'école est située ; pour les derniers, à l'assemblée des pères de famille de l'arrondissement de l'école…

« Des directoires formés dans la Société nationale, les lycées, les instituts, seront chargés de l'inspection habituelle des établissements inférieurs Dans les circonstances importantes, la décision appartiendra à une des classes de la Société nationale ou à l'assemblée des professeurs, soit du lycée, soit des instituts.

« ... La dépense de la nouvelle organisation de l'instruction publique ne surpassera pas de beaucoup, et peut-être n'égalera point, ce que les institutions anciennes coûtaient à la nation…

« Dans les villages où il n'y aura qu'une seule école primaire, les enfants des deux sexes y seront admis et recevront d'un même instituteur une instruction égale. Lorsqu'un village ou une ville auront deux écoles primaires, l'une d'elles sera confiée à une institutrice, et les enfants des deux sexes seront séparés. Telle est la seule disposition relative à l'instruction des femmes qui fasse partie de notre premier travail ; cette instruction sera l'objet d'un rapport particulier…

« L'Assemblée nationale reconnaît le droit qu'ont les citoyens de former des sociétés libres pour concourir au progrès des sciences, des lettres et des arts... Tout citoyen pourra former librement des établissements d'instruction.

« L'indépendance de toute puissance étrangère, où nous avons placé l'enseignement public, ne peut effrayer personne, puisque l'abus serait à l'instant corrigé par le pouvoir législatif, dont l'autorité s'exerce immédiatement sur tout le système de l'instruction. L'existence d'une instruction libre et celle des sociétés savantes librement formées n'opposeront-elles pas encore à cet abus une puissance d'opinion imposante? L'indépendance de l'instruction fait en quelque sorte une partie des droits de l'espèce humaine. Quelle puissance pourrait avoir le droit de dire à l'homme : « Voilà ce qu'il faut que vous sachiez, voilà le terme « où il faut vous arrêter? » De quel droit un pouvoir, quel qu'il fût, oserait-il déterminer où est la vérité, où se trouve l'erreur? Un pouvoir qui interdirait d'enseigner une opinion contraire à celle qui a servi de fondement aux lois établies attaquerait directement la liberté de penser... Il ne reste donc qu'un seul moyen : l'indépendance absolue des opinions dans tout ce qui s'élève au-dessus de l'instruction élémentaire….

« Il viendra, sans doute, un temps où les sociétés savantes, instituées par l'autorité, seront superflues, et dès lors dangereuses, où même tout établissement public d'instruction deviendra inutile ; … mais ce temps est encore éloigné ; notre objet devait être d'en préparer, d'en accélérer l'époque ; et, en travaillant à former ces institutions nouvelles, nous avons dû nous occuper sans cesse de hâter l'instant heureux où elles deviendront inutiles. »

L'Assemblée, une fois achevée la lecture du rapport et du projet de décret, en ordonna l'impression et en ajourna la discussion, et décréta en même temps que le Comité lui présenterait un aperçu des dépenses qu'entraînerait l'exécution de son plan. Le 25 mai, Condorcet lut à l'Assemblée cet Aperçu, dont les chiffres, annonça-t-il, résultaient de calculs faits par Romme. Le Comité estimait qu'il y aurait trente et un mille écoles primaires, recevant deux millions soixante-dix mille enfants, et qu'elles coûteraient quinze millions, si le traitement moyen d'un instituteur était de quatre cents livres (si ce traitement était porté à cinq cents livres, la dépense serait augmentée de trois millions). Les écoles secondaires, avec cent trente-cinq mille élèves, devaient employer environ deux mille cent instituteurs, et coûter deux millions trois cent mille livres. Les cent dix instituts, avec quatre-vingt mille élèves, coûteraient trois millions neuf cent soixante mille livres. Les lycées coûteraient un million trois cent cinquante mille livres ; la Société nationale, trois cent mille livres ; les élèves de la patrie, un million trois cent mille livres. Total : vingt-quatre millions quatre cent mille livres.

On a vu, à l'article Assemblée législative, quelles circonstances empêchèrent l'Assemblée, jusqu'à la fin de sa session, d'aborder la discussion du plan d'instruction publique.

Entré ensuite à la Convention nationale comme député de l’Aisne, Condorcet, élu à la fois membre du Comité d'instruction publique et membre du Comité de constitution, opta pour ce dernier. Le plan d'instruction publique qu'il avait présenté à la Législative, et dont une nouvelle édition, accompagnée de notes, fut imprimée en exécution d'un décret de la Convention du 20 décembre 1793, servit de base aux travaux du nouveau Comité d'instruction publique (Voir Convention nationale).

Condorcet fut le rapporteur du projet de constitution républicaine présenté à la Convention par le Comité de constitution, le 15 février 1793.

Aussitôt après la présentation de ce projet, le Comité de constitution fut dissous, et Condorcet rentra au Comité d'instruction publique, aux travaux duquel il ne semble plus, du reste, avoir pris une part active. L'influence, dans ce dernier comité, par suite de l'abstention de Condorcet, passa à Sieyès, qui, en juin, allait réussir à substituer un plan de sa façon au projet présenté l'année précédente à la Législative.

Le projet de constitution fut discuté à la Convention du milieu d'avril jusque vers la fin de mai. Comme la discussion traînait en longueur, la Convention décréta (29 mai), sur la proposition du Comité de salut public, qu'une commission de cinq membres « lui présenterait dans le plus court délai un plan de constitution réduit aux seuls articles qu'il importait de rendre irrévocables par les assemblées législatives ». Cette commission, dont Hérault de Séchelles fut le rapporteur, présenta le 10 juin (huit jours après le décret prononçant la mise en arrestation de vingt-neuf représentants girondins) un nouveau projet, que la Convention adopta le 24 juin. La nouvelle constitution devait être soumise à l'acceptation des assemblées primaires ; Condorcet, estimant que le projet dont il avait été le rapporteur en février était plus démocratique que celui du 24 juin, fit imprimer une brochure intitulée Aux citoyens français sur le projet de nouvelle constitution dans cette brochure, critiquant la formation du Conseil exécutif et les attributions qui lui étaient dévolues, il eut le tort de dire qu'un pareil système semblait calculé pour conduire au rétablissement de la royauté. L'écrit de Condorcet fut dénoncé par Chabot à la Convention, qui décréta l'auteur d'arrestation (8 juillet). Condorcet jugea prudent de se mettre en sûreté, et trouva un refuge dans la maison de Mme Vernet (rue des Fossoyeurs, n° 21, aujourd'hui rue Servandoni, n° 15), où il séjourna huit mois et demi. C'est pendant cette retraite forcée qu'il écrivit ses admirables Avis d'un proscrit à sa fille, l'un des plus beaux livres de morale qu'on puisse lire ; son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, qui parut en germinal an III, un an après sa mort ; et un livre élémentaire d'arithmétique destiné aux écoles de la République, qui fut imprimé en l'an VII sous le titre de Moyen d'apprendre à compter sûrement et avec facilité. Le 5 germinal an II, averti qu'une perquisition devait être faite dans la maison de Mme Vernet, Condorcet quitta son asile, et se rendit à Fontenay-aux-Roses, où il ne trouva pas chez l'ex-académicien Suard l'hospitalité espérée. Arrêté le 7 germinal dans un cabaret de Clamart, il fut conduit à la prison de Bourg-l'Egalité, où il s'empoisonna le 9 germinal. Son acte de décès fut dressé sous le nom de Pierre Simon, qu'il avait pris dans son interrogatoire. C'est seulement en ventôse an III que l'identité du prisonnier mort le 9 germinal an II fut constatée, grâce à une montre et à un Horace qu'on avait trouvés sur le cadavre.

Il est intéressant de rappeler, pour résumer les idées sociales et politiques de Condorcet, que c'est lui qui, dans son Tableau des progrès de l'esprit humain (p. 329), a écrit ces mots, qui servirent d'épigraphe, en l'an IV, au Manifeste des Egaux : « Egalité de fait, dernier but de l'art social ».

 
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