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Irénée de Lyon
édition par Antoine Beltrano et par www.JESUSMARIE.com
Contre les Hérésies
Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur



 LIVRE V

 PRÉFACE

Dans les quatre livres que nous t'avons envoyés avant celui-ci, cher ami, nous avons démasqué tous les hérétiques et produit au grand jour leurs enseignements; nous y avons également réfuté ces inventeurs d'opinions impies, tantôt à partir de l'enseignement propre à chacun d'eux, tel qu'ils nous l'ont laissé dans leurs écrits, tantôt à l'aide d'un exposé procédant par preuves multiformes ; nous avons fait connaître la vérité et mis en évidence le message de l'Eglise, ce message que les prophètes avaient annoncé déjà, comme nous l'avons montré, que le Christ a porté à son point d'achèvement , que les apôtres ont transmis et qu'enfin l'Eglise, après l'avoir reçu de ceux-ci, garde seule fidèlement et transmet à ses enfants à travers le monde entier; nous avons résolu toutes les difficultés que les hérétiques nous opposent, expliqué l'enseignement des apôtres, exposé la plus grande partie de ce que le Seigneur a dit ou fait en manière de paraboles. Cela étant, dans ce cinquième livre de tout notre ouvrage « Dénonciation et réfutation de la Gnose au nom menteur » nous tenterons d'asseoir nos preuves sur le reste des enseignements de notre Seigneur et sur les épîtres de l'Apôtre, conformément à ce que tu as sollicité de nous : car nous obéissons à ton ordre — puisqu'aussi bien c'est pour le ministère de la parole que nous avons été établis — et nous nous appliquons de toute manière,   selon  notre  pouvoir,   à  te  fournir le  plus  de ressources possible contre les négations des hérétiques, à faire changer de sentiments les égarés et à les ramener vers l'Eglise de Dieu, ainsi qu'à affermir l'esprit des néophytes pour qu'ils gardent inébranlablement la foi qu'ils ont reçue de l'Église,   cette gardienne fidèle,  et pour qu'ils ne se laissent en aucune façon corrompre par ceux qui tentent de leur enseigner l'erreur et de les détourner de la vérité. Il te faudra,  ainsi que tous les lecteurs de cet écrit, lire avec grande application ce que nous avons dit précédemment, afin  de  connaître  aussi les  doctrines  mêmes  dont nous entreprenons la réfutation : car c'est ainsi seulement que tu t'opposeras à elles de la manière requise et que tu seras à même d'assumer la tâche de réfuter tous les hérétiques, rejetant leurs doctrines comme de l'ordure à l'aide de la foi céleste et suivant le seul Maître sûr et véridique, le Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, lui qui, à cause de son surabondant   amour,   s'est   fait   cela   même   que   nous sommes afin de faire de nous cela même qu'il est.

 PREMIÈRE PARTIE

 LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR PROUVÉE PAR LES ÉPÎTRES DE PAUL

 1.   LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR POSTULÉE PAR L'INCARNATION

 Réalité de l'Incarnation

Car nous ne pouvions apprendre les mystères de Dieu que si notre Maître, tout en étant le Verbe, se faisait homme. D'une part, en effet, nul n'était capable de révéler les secrets du Père, sinon son propre Verbe, « car quel » autre « a connu la pensée du Seigneur ? ou quel » autre « a été son conseiller ?» D'autre part, nous ne pouvions les apprendre autrement qu'en voyant notre Maître et en percevant, de nos propres oreilles, le son de sa voix : car c'est en devenant les imitateurs de ses actions et les exécuteurs de ses paroles que nous avons communion avec lui et que par là même, nous qui sommes nouvellement venus à l'existence, nous recevons, de Celui qui est parfait dès avant toute création, la croissance, de Celui qui est seul bon et excellent, la ressemblance avec lui-même, de Celui qui possède l'incorruptibilité, le don de celle-ci, et cela après avoir d'abord été prédestinés à être, alors que nous n'étions pas encore, selon la prescience du Père, et avoir ensuite  été  faits,   aux  temps  connus  d'avance,   selon  le ministère du Verbe. Celui-ci est donc bien parfait en tout, puisqu'il est à la fois Verbe puissant et homme véritable, nous   ayant  rachetés  par  son  sang  de  la  manière  qui convenait au Verbe, « en se donnant lui-même en rançon » pour ceux  qui  avaient été faits  captifs :  car l'Apostasie avait  dominé  injustement  sur  nous  et,   alors  que nous appartenions à Dieu par notre nature, nous avait aliénés contre notre nature en faisant de nous ses disciples ; étant donc puissant en tout et indéfectible en sa justice, c'est en respectant cette justice que le Verbe de Dieu s'est tourné contre l'Apostasie elle-même, lui rachetant son propre bien à lui non par la violence,  à la manière dont elle avait dominé sur nous au commencement en s'emparant insatiablement de ce qui n'était pas à elle, mais par la persuasion, comme il convenait que Dieu fît, en recevant par persuasion et non par violence ce qu'il voulait, afin que tout à la fois la justice fût sauvegardée et que l'antique ouvrage modelé par Dieu ne pérît point. Si donc c'est par son propre sang que le Seigneur nous a rachetés, s'il a donné son âme pour notre âme et sa chair pour notre chair, s'il a répandu l'Esprit du Père afin d'opérer l'union et la communion de Dieu  et  des  hommes,   faisant  descendre  Dieu  dans  les hommes par l'Esprit et faisant monter l'homme jusqu'à Dieu par son incarnation, et si en toute certitude et vérité, lors de sa venue, il nous a gratifiés de l'incorruptibilité par la communion que nous avons avec lui-même, c'en est fait de tous les enseignements des hérétiques.

 L'Incarnation réduit à néant les Docètes et les Valentiniens

Vains, tout d'abord, ceux qui prétendent qu'il s'est montré d'une façon purement apparente : ce n'est pas en apparence, mais en toute réalité et vérité, qu'ont eu lieu les faits que nous venons de dire. Supposons au contraire que, sans être homme, il se soit montré sous les dehors d'un homme : en ce cas, il n'est pas réellement demeuré ce qu'il était, à savoir Esprit de Dieu, puisque l'Esprit est invisible ; d'autre part, il n'y a eu aucune vérité en lui, puisqu'il n'était pas ce qu'il paraissait être. Au reste, nous avons dit précédemment qu'Abraham et les autres prophètes le voyaient d'une manière prophétique, prophétisant par des visions ce qui était à venir : si donc même maintenant il est apparu de cette manière, sans être réellement ce qu'il paraissait, c'est une sorte de vision prophétique qui a été donnée aux hommes, et il nous faut attendre une autre venue de ce même Seigneur, en laquelle il sera tel exactement qu'il aura été vu maintenant de façon prophétique. Au surplus, nous avons montré que c'est tout un, de dire qu'il s'est montré d'une façon purement apparente, et de dire qu'il n'a rien reçu de Marie : car il n'aurait pas eu réellement le sang et la chair par lesquels il nous a rachetés, s'il n'avait récapitulé en lui-même l'antique ouvrage modelé, c'est-à-dire Adam. Vains sont donc les disciples de Valentin, qui enseignent cette doctrine afin de pouvoir exclure de la chair la vie et rejeter l'ouvrage modelé par Dieu.

 L'Incarnation réduit à néant les Ebionites

Vains aussi les Ebionites. Refusant d'accueillir dans leurs âmes, par la foi, l'union de Dieu et de l'homme, ils demeurent dans le vieux levain de leur naissance. Ils ne veulent pas comprendre que l'Esprit Saint est survenu en Marie et que la puissance du Très-Haut l'a couverte de son ombre, à cause de quoi ce qui est né d'elle est saint et est le Fils du Dieu Très-Haut, le Père de toutes choses ayant opéré l'incarnation  de  son  Fils  et  ayant  fait  apparaître ainsi   une   naissance   nouvelle,   afin   que,   comme   nous avions hérité de la mort par la naissance antérieure, nous héritions de la vie par cette naissance-ci.  Ils repoussent donc le mélange du Vin céleste et ne veulent être que l'eau de ce monde, n'acceptant pas que Dieu se mélange à eux, mais demeurant  en   cet  Adam   qui   fut  vaincu   et  chassé  du paradis. Ils ne considèrent pas que, tout comme au début de notre formation en Adam le souffle de vie issu de Dieu, en s'unissant à l'œuvre modelée, a animé l'homme et l'a fait apparaître animal doué de raison, ainsi à la fin le Verbe du  Père  et  l'Esprit  de  Dieu,   en  s'unissant  à  l'antique substance de l'ouvrage modelé,  c'est-à-dire d'Adam, ont rendu l'homme vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait,  afin que,  comme nous mourons tous dans l'homme  animal,   ainsi  nous   soyons   tous  vivifiés   dans l'homme spirituel. Jamais,  en effet,  Adam n'a échappé aux Mains  de Dieu,  auxquelles parlait le Père lorsqu'il disait : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance . » Et c'est pourquoi, à la fin, « non par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme», mais par le bon plaisir du Père,  les Mains de Dieu ont rendu l'homme vivant, afin qu'Adam devienne à l'image et à la ressemblance de Dieu.

 L'Incarnation réduit à néant les Marcionites

Vains aussi ceux qui prétendent que le Seigneur est venu dans un domaine étranger, comme avide du bien d'autrui, pour présenter l'homme, qui serait l'ouvrage d'un autre, à un Dieu qui ne l'aurait ni fait ni créé et aurait même, à l'origine, été privé d'une participation quelconque à sa production. Sa venue est évidemment injuste, si, comme ils le prétendent, il est venu dans un domaine qui n'est pas le sien ; de plus, il ne nous a pas vraiment rachetés par son sang, s'il ne s'est pas vraiment fait homme. Mais en fait, il a restauré, dans l'ouvrage par lui modelé, le privilège originel de l'homme qui est d'avoir été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu; il ne s'est point approprié frauduleusement le bien d'autrui, mais il a repris son propre bien en toute justice et bonté : justice à l'égard de l'Apostasie, puisqu'il nous a rachetés à elle par son sang ; bonté à notre égard à nous, les rachetés, car nous ne lui avons rien donné préalablement et il ne sollicite rien de nous, comme s'il éprouvait quelque besoin, mais c'est nous qui avons besoin de la communion avec lui : aussi s'est-il prodigué lui-même par pure bonté, afin de nous rassembler dans le sein du Père.

 L'Incarnation réduit à néant tous les négateurs de la résurrection de la chair

Vains, de toute manière, ceux qui rejettent toute l'« économie » de Dieu, nient le salut de la chair, méprisent sa régénération, en déclarant qu'elle n'est pas capable de recevoir l'incorruptibilité. S'il n'y a pas de salut pour la chair, alors le Seigneur ne nous a pas non plus rachetés par son sang, la coupe de l'eucharistie n'est pas une communion à son sang et le pain que nous rompons n'est pas une communion à son corps. Car le sang ne peut jaillir que de veines, de chairs et de tout le reste de la substance humaine, et c'est pour être vraiment devenu tout cela que le Verbe de Dieu nous a rachetés par son sang, comme le dit son Apôtre : « En lui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés. » Et parce que nous sommes ses membres et sommes nourris par le moyen de la création —création que lui-même nous procure, en faisant lever son soleil et tomber la pluie selon sa volonté —, la coupe, tirée de la création, il l'a déclarée son propre sang, par lequel se fortifie notre sang, et le pain, tiré de la création, il l'a proclamé son propre corps, par lequel se fortifient nos corps
Si donc la coupe qui a été mélangée et le pain qui a été confectionné reçoivent la parole de Dieu et deviennent l'eucharistie, c'est-à-dire le sang et le corps du Christ, et si par ceux-ci se fortifie et s'affermit la substance de notre chair, comment ces gens peuvent-ils prétendre que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu consistant dans la vie éternelle, alors qu'elle est nourrie du sang et du corps du Christ et qu'elle est membre de celui-ci, comme le dit le bienheureux Apôtre dans son épître aux Ephésiens . « Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os » ? Ce n'est pas de je ne sais quel « homme pneumatique » et invisible qu'il dit cela, « car l'esprit n'a m os ni chair», mais il parle de l'organisme authentiquement humain, composé de chairs, de nerfs et d'os : car c'est cet organisme même qui est nourri de la coupe qui est le sang du Christ et fortifié par le pain qui est son corps. Et de même que le bois de la vigne, après avoir été couché dans la terre, porte du fruit en son temps, et que « le grain de froment, après être tombé en terre» et s'y être dissous, resurgit multiplié par l'Esprit de Dieu qui soutient toutes choses — ensuite, moyennant le savoir-faire, ils viennent en l'usage des hommes, puis, en recevant la parole de Dieu, ils deviennent l'eucharistie, c'est-à-dire le corps et le sang du Christ —, de même nos corps qui sont nourris par cette eucharistie, après avoir été couchés dans la terre et s'y être dissous, ressusciteront en leur temps, lorsque le Verbe de Dieu les gratifiera de la résurrection « pour la gloire de Dieu le Père » : car il procurera l'immortalité à ce qui est mortel et gratifiera d'incorruptibilité ce qui est corruptible, parce que la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse. Dans ces conditions, nous nous garderons bien, comme si c'était de nous-mêmes que nous avions la vie, de nous enfler d'orgueil et de nous élever contre Dieu en acceptant des pensées d'ingratitude ; au contraire, sachant par expérience que c'est de sa grandeur à lui, et non de notre propre nature, que nous tenons de pouvoir demeurer à jamais, nous ne nous écarterons pas de la vraie pensée sur Dieu ni ne méconnaîtrons notre nature ; nous saurons quelle puissance Dieu possède et quels bienfaits l'homme reçoit de lui, et nous ne nous méprendrons jamais sur la vraie conception qu'il nous faut avoir des êtres existants, je veux dire de Dieu et de l'homme. Au reste, comme nous le disions antérieurement, si Dieu a permis notre dissolution dans la terre, n'est-ce pas précisément afin que, instruits de toute manière, nous soyons dorénavant scrupuleusement attentifs en toutes choses, ne méconnaissant ni Dieu ni nous-mêmes

 2.  LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR, ŒUVRE DE LA PUISSANCE DE DIEU

 «Ma puissance se déploie dans la faiblesse »

L'Apôtre montre fort clairement que l'homme a été livré à sa propre faiblesse de peur que, venant à s'enorgueillir, il ne s'écarte de la vérité II dit en effet dans la seconde épître aux Corinthiens . « Et pour que l'excellence de ces révélations ne m'enorgueillisse pas, il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de nie souffleter. A son sujet, j'ai par trois fois imploré le Seigneur, pour qu'il s'éloigne de moi. Mais il m'a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse. Volontiers donc je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin qu'habité en moi la puissance du Christ. » Eh quoi ! dira-t-on, le Seigneur voulait-il que son Apôtre fût souffleté de la sorte et supportât une telle faiblesse ? Oui, dit l'Ecriture, « car ma puissance se déploie dans la faiblesse», rendant meilleur celui-là qui, par le moyen de sa faiblesse, connaît la puissance de Dieu. Comment, en effet, l'homme aurait-il appris que lui-même était faible et mortel par nature, tandis que Dieu était immortel et puissant, s'il n'avait reçu l'expérience de l'un et de l'autre ? Car apprendre sa faiblesse en la supportant n'était pas un mal pour l'homme; c'était même plutôt un bien pour lui que de ne pas se méprendre sur sa nature. Par contre, s'élever contre Dieu et prétendre à une gloire propre, cela, en faisant de l'homme un ingrat, lui causait un grave préjudice, le dépossédant de la vérité en même temps que de son amour envers son Créateur. L'expérience de l'un et de l'autre a produit en lui la vraie connaissance de Dieu et de l'homme et a accru son amour pour Dieu. Or là où il y a accroissement d'amour, une gloire plus grande sera procurée par la puissance de Dieu à ceux qui l'aiment.

 Dieu peut vivifier la chair, et la chair peut être vivifiée par Dieu

Ils méprisent donc la puissance de Dieu et ne voient pas la vérité, ceux qui arrêtent leurs regards sur la faiblesse de la chair et ne considèrent pas la puissance de Celui qui la ressuscite d'entre les morts. Car, s'il ne vivifiait pas ce qui est mortel et s'il n'élevait pas à l'incorruptibilité ce qui est corruptible, Dieu cesserait d'être puissant. Mais, qu'il ait la puissance de réaliser tout cela, notre origine doit nous le faire comprendre, puisque c'est en prenant du limon de la terre que Dieu a modelé l'homme. Pourtant, lui donner l'être, le créer animal vivant et doué de raison, quand rien n'existait, ni os, ni nerfs, ni aucun des autres éléments qui constituent l'organisme humain, c'était bien autrement difficile et incroyable que de le reconstituer après que, une fois venu à l'existence, il se serait dissous dans la terre, pour les motifs que nous avons dits précédemment, et qu'il serait retourné à ces éléments d'où il avait été tiré au commencement, alors qu'il n'existait pas encore. Car Celui qui a fait au commencement, quand il l'a voulu, ce qui n'était pas, saura à plus forte raison, s'il le veut, rétablir dans la vie qu'il donne ce qui a existé déjà.
D'autre part, la chair se trouvera capable de recevoir et de contenir la puissance de Dieu, puisqu'au commencement elle a reçu l'art de Dieu et qu'ainsi une partie d'elle-même est devenue l'œil qui voit, une autre l'oreille qui entend, une autre la main qui palpe et qui travaille, une autre les nerfs qui sont tendus de toute part et qui maintiennent ensemble les membres, une autre les artères et les veines par où passent le sang et le souffle respiratoire, une autre les différents viscères, une autre le sang qui est le lien de l'âme et du corps — et que sais-je encore ? — car il est impossible d'énumérer tous les éléments constitutifs de l'organisme humain, qui n'a pas été fait sans la profonde sagesse de Dieu. Or ce qui participe à l'art et à la sagesse de Dieu participe aussi à sa puissance. La chair n'est donc pas exclue de l'art, de la sagesse et de la puissance de Dieu, mais la puissance de Dieu, qui procure la vie, se déploie dans la faiblesse, c'est-à-dire dans la chair.
Au reste, qu'ils nous disent donc, ceux qui prétendent que la chair est incapable de recevoir la vie que Dieu donne, s'ils affirment cela tout en étant actuellement vivants et tout en ayant part à la vie, ou s'ils reconnaissent n'avoir absolument rien de la vie et être présentement des morts. Mais, s'ils sont morts, comment peuvent-ils se mouvoir, parler et accomplir toutes les autres actions qui sont le fait, non des morts, mais des vivants ? Et s'ils vivent présentement, si tout leur corps a part à la vie, comment osent-ils dire que la chair est incapable d'avoir part à la vie, alors qu'ils reconnaissent avoir présentement la vie ? C'est comme si, tout en tenant en mains une éponge pleine d'eau ou une torche allumée, on prétendait que l'éponge est incapable d'avoir part à l'eau, ou la torche à la lumière ! De cette même manière, ces gens assurent qu'ils vivent, se glorifient de porter la vie en leurs membres ; puis, se mettant en contradiction avec eux-mêmes, ils prétendent que leurs membres sont incapables de recevoir la vie. Si cette vie temporelle, bien moins vigoureuse que l'éternelle vie, est néanmoins assez puissante pour rendre vivants nos membres mortels, pourquoi la vie éternelle, qui est plus efficace, ne vivifierait-elle pas la chair déjà exercée et accoutumée à porter la vie ?
Ainsi donc, que la chair soit capable de recevoir la vie, cela se prouve par cette vie même dont elle vit déjà présentement : elle vit aussi longtemps que Dieu veut qu'elle vive. Et que, d'autre part, Dieu soit capable de lui donner cette vie, c'est évident : dès lors que Dieu nous donne la vie, nous vivons. Si donc Dieu est capable de donner la vie à l'ouvrage par lui modelé et si la chair est capable de recevoir cette vie, qu'est-ce qui empêche encore la chair d'avoir part à l'incorruptibilité, qui n'est autre chose qu'une vie longue, voire sans fin, octroyée par Dieu ?

 Le prétendu Père imaginé par les hérétiques n'est qu'un impuissant ou qu'un envieux

Or, sans même s'en apercevoir, ceux qui imaginent un Père autre que le Créateur et lui décernent le titre de « bon » font de ce Père un être faible, oisif et négligent, pour ne pas dire envieux, lorsqu'ils déclarent que nos corps ne peuvent être vivifiés par lui.  En effet,  en disant qu'est vivifié par le Père ce dont la durée sans fin est évidente pour tout le monde, à savoir l'esprit, l'âme et les autres choses de ce genre, mais qu'est délaissé par lui ce qui ne peut être vivifié que si Dieu lui procure la vie, ils font la preuve que leur Père est faible et oisif, ou négligent et envieux. Car, si le Créateur vivifie dès ici-bas nos corps mortels et si, par les prophètes, il leur promet la résurrection, ainsi que nous le   montrerons,   lequel   apparaîtra   comme  plus   attentif, comme plus puissant, comme vraiment bon : — le Créateur, qui vivifie l'homme tout entier, — ou leur prétendu Père,   qui   affecte   de   vivifier   les   choses   naturellement immortelles et possédant la vie de par leur nature même, mais abandonne négligemment à la mort,  au lieu de les vivifier avec bonté,  celles qui ont besoin de son secours pour vivre ? En ce qui concerne ces dernières, leur Père refuse-t-il donc de procurer la vie alors qu'il le pourrait, ou parce qu'il ne le peut pas ? Si c'est parce qu'il ne le peut pas, ce Dieu prétendument supérieur au Créateur n'est plus ni puissant ni parfait, puisque le Créateur procure, comme il est loisible de le voir,   ce que celui-là est incapable de procurer. Si, au contraire, il refuse de procurer la vie alors qu'il le pourrait, la preuve est faite qu'il n'est pas un bon Père, mais un Père envieux et négligent.
Diront-ils qu'il existe quelque cause pour laquelle leur Père ne vivifie pas les corps ? Mais alors cette cause apparaîtra inéluctablement comme plus puissante que le Père, puisqu'elle prévaut sur sa bonté, et sa bonté sera frappée d'impuissance par cette cause prétendue. Que les corps soient capables de recevoir la vie, tout le monde peut le voir : car les corps vivent aussi longtemps que Dieu veut qu'ils vivent, et les hérétiques ne peuvent plus prétendre que ceux-ci sont incapables de recevoir la vie. Si donc, en vertu d'une nécessité ou pour quelque autre cause, ce qui est capable d'avoir part à la vie n'est pas vivifié, leur Père se trouvera asservi à cette nécessité et à cette cause : il ne sera plus libre et maître de ses décisions.

 Exemples bibliques illustrant la puissance vivifiante de Dieu

Au reste, les corps connurent une longévité remarquable, aussi longtemps que tel fut le bon plaisir de Dieu. Que les hérétiques lisent les Ecritures, en effet, et ils constateront que nos ancêtres dépassèrent sept cents, huit cents, voire neuf cents ans : leurs corps atteignaient à la longueur des jours et avaient part à la vie aussi longtemps que Dieu voulait qu'ils vivent.
Mais pourquoi parler de ceux-là ? Enoch, pour avoir plu à Dieu, fut transféré en son corps même en lequel il avait plu à Dieu, préfigurant ainsi le transfert des justes. Elie aussi fut enlevé tel qu'il se trouvait dans la substance de sa chair modelée, prophétisant par là l'enlèvement des hommes spirituels. Leurs corps ne fit en rien obstacle à ce transfert et à cet enlèvement : c'est par ces Mains elles-mêmes, par lesquelles ils avaient été modelés à l'origine, qu'ils furent transférés et enlevés, car les Mains de Dieu s'étaient accoutumées, en Adam, à diriger, à tenir et à porter l'ouvrage modelé par elles, à le transporter et à le placer où elles voulaient. Où donc fut placé le premier homme ? Dans le paradis, sans aucun doute, selon ce que dit l'Ecriture : « Et Dieu planta un paradis en Eden, du côté de l'Orient, et il y plaça l'homme qu'il avait modelé. » Et c'est de là qu'il fut expulsé en ce monde, pour avoir désobéi. Aussi les presbytres, qui sont les disciples des apôtres, disent-ils que là ont été transférés ceux qui ont été transférés — c'est en effet pour des hommes justes et porteurs de l'Esprit qu'avait été préparé le paradis, dans lequel l'apôtre Paul fut transporté lui aussi et entendit des paroles pour nous présentement inexprimables —; c'est donc là, d'après les presbytres, que ceux qui ont été transférés demeurent jusqu'à la consommation   finale,   préludant   ainsi   à   l'incorruptibilité.
Quelqu'un estime-t-il impossible que des hommes demeurent si longtemps vivants, et croit-il qu'Elie n'a pas été enlevé en sa chair, mais que sa chair a été consumée sur le char de feu? Qu'il considère que Jonas, après avoir été précipité au fond de la mer et englouti dans le ventre du poisson, fut rejeté sain et sauf sur le rivage par l'ordre de Dieu. Ananias, Azarias et Misaël, jetés dans une fournaise de feu chauffée au septuple, n'éprouvèrent aucun mal et l'odeur même du feu ne se trouva pas en eux. Si la Main de Dieu les assista et accomplit en eux des choses extraordinaires et impossibles à la nature humaine, qu'y a-t-il d'étonnant si, en ceux qui ont été transférés, cette même Main a aussi réalisé une chose extraordinaire, en exécutant la volonté du Père ? Or cette Main c'est le Fils de Dieu, selon la parole que l'Écriture met sur les lèvres de Nabuchodonosor : « N'avons-nous pas jeté trois hommes dans la fournaise? Eh bien, moi, je vois quatre hommes marchant au milieu du feu, et le quatrième est pareil au Fils de Dieu. »
Donc ni la nature d'une créature quelconque ni même la faiblesse de la chair ne peuvent l'emporter sur la volonté de Dieu, car ce n'est pas Dieu qui est soumis aux créatures, mais les créatures qui sont soumises à Dieu, et toutes choses sont au service de sa volonté. C'est pourquoi le Seigneur dit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » De même donc qu'aux hommes d'aujourd'hui, ignorants des « économies » de Dieu, il semble incroyable et impossible qu'un homme puisse vivre tant d'années — et cependant nos ancêtres ont connu cette longévité et ceux qui ont été transférés la connaissent, afin de préfigurer la future longueur des jours—, et de même qu'il paraît incroyable que des hommes soient sortis sains et saufs du ventre du poisson et de la fournaise de feu — et cependant ils en sont sortis comme par la Main de Dieu, pour faire éclater sa puissance —, ainsi maintenant il en est qui, méconnaissant la puissance et la promesse de Dieu, nient leur propre salut, estimant impossible que Dieu puisse ressusciter leurs corps et les gratifier d'une durée sans fin; cependant l'incrédulité des gens de cette sorte ne réduira pas à néant la fidélité de Dieu.

 3. TEXTES PAULINIENS ATTESTANT LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR

 « Que votre être intégral — à savoir votre Esprit, votre âme et votre corps — soit conservé sans reproche pour la venue du Seigneur Jésus ! »

Au contraire, Dieu sera glorifié dans l'ouvrage par lui modelé, lorsqu'il l'aura rendu conforme et semblable à son Fils. Car, par les Mains du Père, c'est-à-dire par le Fils et l'Esprit, c'est l'homme, et non une partie de l'homme, qui devient à l'image et à la ressemblance de Dieu. Or l'âme et l'Esprit peuvent être une partie de l'homme, niais nullement l'homme : l'homme parfait, c'est le mélange et l'union de l'âme qui a reçu l'Esprit du Père et qui a été mélangée à la chair modelée selon l'image de Dieu. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit : « Nous parlons sagesse parmi les parfaits. » Sous ce nom de « parfaits », il désigne ceux qui ont reçu l'Esprit de Dieu et qui parlent toutes les langues grâce à cet Esprit, comme lui-même les parlait, et comme nous entendons aussi nombre de frères dans l'Église, qui possèdent des charismes prophétiques, parlent toutes sortes de langues grâce à l'Esprit, manifestent les secrets des hommes pour leur profit et exposent les mystères de Dieu. Ces hommes-là, l'Apôtre les nomme également « spirituels » : spirituels, ils le sont par une participation de l'Esprit, mais non par une évacuation et une suppression de la chair. En effet, si l'on écarte la substance de la chair, c'est-à-dire de l'ouvrage modelé, pour ne considérer que ce qui est proprement esprit, une telle chose n'est plus l'homme spirituel, mais l'« esprit de l'homme» ou l'« Esprit de Dieu ». En revanche, lorsque cet Esprit, en se mélangeant à l'âme, s'est uni à l'ouvrage modelé, grâce à cette effusion de l'Esprit se trouve réalisé l'homme spirituel et parfait, et c'est celui-là même qui a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu. Quand au contraire l'Esprit fait défaut à l'âme, un tel homme, restant en toute vérité psychique et charnel, sera imparfait, possédant bien l'image de Dieu dans l'ouvrage modelé, mais n'ayant pas reçu la ressemblance par le moyen de l'Esprit. De même donc que cet homme est imparfait, de même aussi, si l'on écarte l'image et si l'on rejette l'ouvrage modelé, on ne peut plus avoir affaire à l'homme, mais, ainsi que nous l'avons dit, à une partie de l'homme ou à quelque chose d'autre que l'homme. Car la chair modelée, à elle seule, n'est pas l'homme parfait : elle n'est que le corps de l'homme, donc une partie de l'homme. L'âme, à elle seule, n'est pas davantage l'homme : elle n'est que l'âme de l'homme, donc une partie de l'homme. L'Esprit non plus n'est pas l'homme : on lui donne le nom d'Esprit, non celui d'homme. C'est le mélange et l'union de toutes ces choses qui constitue l'homme parfait. Et c'est pourquoi l'Apôtre, s'expliquant lui-même, a clairement défini l'homme parfait et spirituel, bénéficiaire du salut, lorsqu'il dit dans sa première épître aux Thessaloniciens : « Que le Dieu de paix vous sanctifie en sorte que vous soyez pleinement achevés, et que votre être intégral — à savoir votre Esprit, votre âme et votre corps — soit conservé sans reproche pour l'avènement du Seigneur Jésus. » Quel motif avait-il donc de demander pour ces trois choses, à savoir l'âme, le corps et l'Esprit, une intégrale conservation pour l'avènement du Seigneur, s'il n'avait su que toutes les trois doivent être restaurées et réunies et qu'il n'y a pour elles qu'un seul et même salut ? C'est pour cela qu'il dit « pleinement achevés » ceux qui présentent sans reproche ces trois choses au Seigneur. Sont donc parfaits ceux qui, tout à la fois, possèdent l'Esprit de Dieu demeurant toujours avec eux et se maintiennent sans reproche quant à leurs âmes et quant à leurs corps, c'est-à-dire conservent la foi envers Dieu et gardent la justice envers le prochain.

 La chair, «temple de Dieu» et «membre du Christ», ne saurait sombrer définitivement dans la mort.

De là vient qu'il appelle temple de Dieu l'ouvrage modelé : « Ne savez-vous pas, dit-il, que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et c'est ce que vous êtes vous-mêmes » : de toute évidence, il appelle le corps un temple en lequel habite l'Esprit. Le Seigneur disait lui aussi à propos du corps : «Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » « Or, note l'Ecriture, il disait cela de son corps. » De plus, l'Apôtre sait que nos corps sont non seulement le temple, mais les membres du Christ, car il dit aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ? Prendrai-je donc les membres du Christ pour en faire les membres d'une prostituée ? » Ce n'est pas de quelque autre « homme pneumatique » qu'il dit cela, car celui-ci ne pourrait s'unir à une courtisane, mais c'est de notre propre corps, autrement dit de notre chair, qu'il parle : le corps persévère-t-il dans la sainteté et la pureté, il est membre du Christ ; s'unit-il au contraire à une courtisane, il devient membre de cette courtisane. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit : « Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruirai » Dès lors, prétendre que le temple de Dieu, en lequel habite l'Esprit du Père, et les membres du Christ n'ont point part au salut, mais vont à la perdition, comment ne serait-ce pas le comble du blasphème?

 La résurrection corporelle du Christ, gage de notre résurrection corporelle

Que nos corps doivent ressusciter, non en vertu de leur substance, mais par la puissance de Dieu, l'Apôtre le dit aux Corinthiens : « Le corps n'est pas pour l'impudicité, mais il est pour le Seigneur, comme le Seigneur est pour le corps, et Dieu qui a ressuscité le Seigneur nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance. » De même donc que le Christ est ressuscité dans la substance de sa chair et a montré à ses disciples les marques des clous ainsi que l'ouverture de son côté — autant de preuves que c'était bien sa chair qui était ressuscitée d'entre les morts —, de même, dit l'Apôtre, « Dieu nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance ».
Il dit derechef aux Romains : « Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels. » Quels sont-ils donc, ces « corps mortels » ? Seraient-ce les âmes ? Mais les âmes sont incorporelles, en regard des corps mortels. Car Dieu « insuffla dans la face » de l'homme « un souffle de vie, et l'homme devint âme vivante» : or ce souffle de vie est incorporel. On ne peut non plus dire l'âme mortelle, puisqu'elle est souffle de vie. Aussi David dit-il : « Et mon âme vivra pour lui », persuadé qu'il est que la substance de cette âme est immortelle. On ne peut non plus prétendre que le « corps mortel » dont il s'agit serait l'Esprit. Dès lors, que reste-t-il à dire, sinon que le « corps mortel » est l'ouvrage modelé par Dieu, autrement dit la chair, et que c'est bien de celle-ci que l'Apôtre déclare que Dieu la vivifiera ? Car c'est elle qui meurt et se décompose, et non l'âme ou l'Esprit. Mourir, en effet, c'est perdre la manière d'être propre au vivant, devenir sans souffle, sans vie, sans mouvement, et se dissoudre dans les éléments dont on a reçu le principe de son existence. Or ceci ne peut arriver ni à l'âme, puisqu'elle est souffle de vie, ni à l'Esprit, puisqu'il n'est pas composé, mais simple, qu'il ne peut se dissoudre et qu'il est lui-même la vie de ceux qui participent à lui. La preuve est donc faite que c'est bien la chair qui subit la mort : une fois l'âme sortie, la chair devient sans souffle et sans vie et se dissout peu à peu dans la terre d'où elle a été tirée. C'est donc bien elle qui est mortelle. C'est également d'elle que l'Apôtre dit : « Il vivifiera aussi vos corps mortels. »

 La chair ressuscitera incorruptible, glorieuse, spirituelle

C'est pourquoi il dit à son sujet dans la première aux Corinthiens : « Ainsi en va-t-il pour la résurrection des morts : semée dans la corruption, la chair ressuscitera dans l'incorruptibilité. » Car, dit-il, « ce que tu sèmes, toi, n'est vivifié que s'il meurt d'abord». Or qu'est-ce qui, à l'instar du grain de froment, est semé et pourrit dans la terre, sinon les corps qu'on dépose dans cette terre même où l'on jette aussi la semence ? Et c'est pourquoi l'Apôtre dit : « Semée dans l'ignominie, elle ressuscitera dans la gloire. » Quoi de plus ignominieux qu'une chair morte ? En revanche, quoi de plus glorieux que cette même chair une fois ressuscitée et ayant reçu l'incorruptibilité en partage ? « Semée dans la faiblesse, elle ressuscitera dans la puissance. » La faiblesse dont il s'agit est celle de la chair, qui, étant terre, s'en va à la terre; mais la puissance est celle de Dieu, qui la ressuscite d'entre les morts. « Semée corps psychique, elle ressuscitera corps spirituel. » Sans aucun doute possible, l'Apôtre nous apprend par là que ce n'est ni de l'âme ni de l'Esprit qu'il parle, mais des corps morts. Tels sont bien en effet les corps «psychiques», c'est-à-dire participant à une âme : lorsqu'ils la perdent, ils meurent ; puis, ressuscitant par l'Esprit, ils deviennent des corps spirituels, afin de posséder, par l'Esprit, une vie qui demeure à jamais.

 L'Esprit donné dès ici-bas aux croyants comme arrhes de la résurrection future

« Car présentement, dit l'Apôtre, nous ne connaissons qu'en partie, et nous ne prophétisons qu'en partie, mais alors ce sera face à face. » C'est ce que Pierre dit lui aussi : « Lorsque vous verrez Celui en qui, sans le voir encore, vous croyez, vous tressaillirez d'une joie inexprimable. » Car notre face verra la face de Dieu, et elle tressaillira d'une joie inexprimable, puisqu'elle verra Celui qui est sa Joie. Mais présentement, c'est une partie seulement de son Esprit que nous recevons, afin de nous disposer à l'avance et de nous préparer à l'incorruptibilité, en nous accoutumant peu à peu à saisir et à porter Dieu. C'est ce que l'Apôtre nomme « arrhes » — c'est-à-dire une partie seulement dé l'honneur qui nous a été promis par Dieu —, lorsqu'il dit dans l'épître aux Ephésiens : « C'est en lui que vous aussi, après avoir entendu la parole de vérité, l'Évangile de votre salut, c'est en lui qu'après avoir cru vous avez été marqués du sceau de l'Esprit Saint de la promesse, qui est les arrhes de votre héritage. » Si donc ces arrhes, en habitant en nous, nous rendent déjà spirituels et si ce qui est mortel est absorbé par l'immortalité — car «pour vous, dit-il, vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'Esprit, s'il est vrai que l'Esprit de Dieu habite en vous » —, et si, d'autre part, cela se réalise, non par le rejet de la chair, mais par la communion de l'Esprit — car ceux auxquels il écrivait n'étaient pas des êtres désincarnés, mais des gens qui avaient reçu l'Esprit de Dieu « en qui nous crions : Abba, Père » — ; si donc, dès à présent, pour avoir reçu ces arrhes, nous crions : «Abba, Père», que sera-ce lorsque, ressuscites, nous le verrons face à face? lorsque tous les membres, à flots débordants, feront jaillir un hymne d'exultation, glorifiant Celui qui les aura ressuscites d'entre les morts et gratifiés de l'éternelle vie? Car, si déjà de simples arrhes, en enveloppant l'homme de toute part en elles-mêmes, le font s'écrier : « Abba, Père », que ne fera pas la grâce entière de l'Esprit, une fois donnée aux hommes par Dieu? Elle nous rendra semblables à lui et accomplira la volonté du Père, car elle parfera l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu.

 « Spirituels » et « charnels »

Ceux donc qui possèdent les arrhes de l'Esprit et qui, loin de s'asservir aux convoitises de la chair, se soumettent à l'Esprit et vivent en tout selon la raison, l'Apôtre les nomme à bon droit « spirituels », puisque l'Esprit de Dieu habite en eux. Car des esprits sans corps ne seront jamais des hommes spirituels ; mais c'est notre substance — c'est-à-dire le composé d'âme et de chair — qui, en recevant l'Esprit de Dieu, constitue l'homme spirituel.
Quant à ceux qui repoussent le conseil de l'Esprit pour s'asservir aux plaisirs de la chair, vivre contrairement à la raison et se livrer sans frein à leurs convoitises, ceux-là, qui n'ont aucune inspiration du divin Esprit, mais vivent à la façon des porcs et des chiens, l'Apôtre les nomme à bon droit «charnels», parce qu'ils n'ont de sentiments que pour les choses charnelles.
Déjà les prophètes, pour ce même motif, les avaient comparés aux animaux dépourvus de raison. Ainsi, à cause de leur conduite contraire à la raison, ils disaient : « Ils sont devenus des étalons en rut, chacun d'eux hennissant vers la femme de son prochain », et encore : « L'homme, alors qu'il était comblé d'honneur, s'est rendu semblable aux bêtes de somme» : par sa propre faute, en effet, l'homme se rend semblable aux bêtes de somme, dès lors qu'il ambitionne une vie contraire à la raison. Nous-mêmes, d'ailleurs, avons coutume de dire pareils à des bêtes et semblables à des brutes les hommes de cette sorte.
La Loi, de son côté, avait exprimé tout cela par avance d'une façon symbolique — car elle figurait l'homme à partir des animaux —, en déclarant purs tous ceux d'entre eux qui ont un ongle double et ruminent, et en mettant à part comme impurs tous ceux à qui font défaut ces deux choses ou l'une d'entre elles. Quels sont donc les hommes purs ? Ce sont ceux qui, par la foi, font route d'une manière stable vers le Père et le Fils — car telle est la stabilité de ceux qui ont un ongle double — et qui méditent les oracles de Dieu jour et nuit, de façon à être ornés de bonnes œuvres — car telle est la vertu de ceux qui ruminent —. Impurs, par contre, sont ceux qui n'ont pas un ongle double et ne ruminent pas, c'est-à-dire qui n'ont pas la foi en Dieu et ne méditent pas ses oracles : telle est l'abomination des païens. Quant aux animaux qui ruminent, mais n'ont pas un ongle double, ils sont impurs eux aussi : c'est là l'image des Juifs, qui ont bien les oracles de Dieu dans leur bouche, mais ne fondent pas la stabilité de leur racine sur le Père et le Fils ; c'est d'ailleurs pourquoi leur race glisse facilement, car ceux des animaux qui n'ont qu'un ongle glissent facilement, tandis que ceux qui ont un ongle double sont plus stables, du fait que les ongles se succèdent l'un à l'autre au fur et à mesure de la marche et que l'un des ongles ne cesse de soutenir l'autre. Pareillement impurs sont les animaux qui ont un ongle double, mais ne ruminent pas : c'est là le symbole de presque tous les hérétiques et de ceux qui ne méditent pas les oracles de Dieu et ne sont pas ornés d'œuvres de justice. C'est à leur adresse que le Seigneur dit : « Pourquoi me dites-vous "Seigneur, Seigneur", et ne faites-vous pas ce que je dis ? » Car les gens de cette sorte disent croire au Père et au Fils, mais ils ne méditent pas les oracles de Dieu de la manière qui convient et ne sont pas ornés d'œuvres de justice ; bien au contraire, comme nous l'avons dit, ils ont embrassé la façon de vivre des porcs et des chiens, se livrant à l'impureté, à la gloutonnerie et à toutes les autres formes de l'insouciance.
Tous ces gens-là donc, qui à cause de leur incrédulité ou de leurs dérèglements n'obtiennent pas le divin Esprit, qui par des caractères divergents rejettent loin d'eux le Verbe vivifiant, qui vivent au gré de leurs convoitises d'une manière contraire à la raison, — ces gens-là, c'est à juste titre que l'Apôtre les a nommés « charnels » et « psychiques », que les prophètes les ont tenus pour pareils à des bêtes et de nature bestiale, que la coutume les a caractérisés comme semblables à des brutes et dépourvus de raison, et que la Loi les a déclarés impurs.

 4.   VÉRITABLE SENS DE LA PHRASE : « LA CHAIR ET LE SANG NE PEUVENT HÉRITER DU ROYAUME DE DIEU »

 « La chair et le sang »

C'est ce qui a été dit aussi ailleurs par l'Apôtre en ces termes : « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu », texte que tous les hérétiques allèguent dans leur folie et à partir duquel ils s'efforcent de prouver qu'il n'y a pas de salut pour l'ouvrage modelé par Dieu. Car ils ne comprennent pas que trois choses, ainsi que nous l'avons montré, constituent l'homme parfait : la chair, l'âme et l'Esprit. L'une d'elles sauve et forme, à savoir l'Esprit ; une autre est sauvée et formée, à savoir la chair ; une autre enfin se trouve entre celles-ci, à savoir l'âme, qui tantôt suit l'Esprit et prend son envol grâce à lui, tantôt se laisse persuader par la chair et tombe dans des convoitises terrestres. Ceux donc qui n'ont pas l'élément qui sauve et forme en vue de la vie, ceux-là sont et se verront appeler à bon droit «sang et chair», puisqu'ils n'ont pas l'Esprit de Dieu en eux. C'est d'ailleurs pourquoi ils sont dits « morts » par le Seigneur — « Laissez, dit-il, les morts ensevelir leurs morts » —, car ils n'ont pas l'Esprit qui vivifie l'homme. Mais ceux qui craignent Dieu, qui croient à l'avènement de son Fils et qui, par la foi, établissent à demeure dans leurs cœurs l'Esprit de Dieu, ceux-là seront justement nommés hommes «purs», «spirituels» et «vivant pour Dieu», parce qu'ils ont l'Esprit du Père qui purifie l'homme et l'élève à la vie de Dieu.

 Faiblesse de la chair et promptitude de l'Esprit

Car si, au témoignage du Seigneur, « la chair est faible », de même aussi « l'Esprit est prompt », c'est-à-dire capable d'accomplir tout ce qu'il désire. Si donc quelqu'un mélange la promptitude de l'Esprit, en manière d'aiguillon, à la faiblesse de la chair, ce qui est puissant l'emportera nécessairement sur ce qui est faible : la faiblesse de la chair sera absorbée par la force de l'Esprit, et un tel homme ne sera plus charnel, mais spirituel, à cause de la communion de l'Esprit. Ainsi les martyrs rendent-ils témoignage et méprisent-ils la mort, non selon la faiblesse de la chair, mais selon la promptitude de l'Esprit. Car la faiblesse de la chair, ainsi absorbée, fait éclater la puissance de l'Esprit; l'Esprit, de son côté, en absorbant la faiblesse, reçoit en lui-même la chair en héritage. Et c'est de ces deux choses qu'est fait l'homme vivant : vivant grâce à la participation de l'Esprit, homme par la substance de la chair.

 Image de ce qui est terrestre et image de ce qui est céleste

Donc, sans l'Esprit de Dieu, la chair est morte, privée de vie, incapable d'hériter du royaume de Dieu ; le sang est étranger à la raison, pareil à une eau que l'on aurait répandue à terre. C'est pourquoi l'Apôtre dit : « Tel a été l'homme terrestre, tels sont aussi les hommes terrestres. » Mais, là où est l'Esprit du Père, là est l'homme vivant : le sang, animé par la raison, est gardé par Dieu en vue de la vengeance; la chair, possédée en héritage par l'Esprit, oublie ce qu'elle est, pour acquérir la qualité de l'Esprit et devenir conforme au Verbe de Dieu. C'est pourquoi l'Apôtre dit : « Tout comme nous avons porté l'image de ce qui est terrestre, portons aussi l'image de ce qui est céleste . » Quel est ce « terrestre » ? L'ouvrage modelé. Et quel est ce « céleste » ? L'Esprit. De même donc, veut-il dire, que, privés de l'Esprit céleste, nous avons vécu autrefois dans la vétusté de la chair, en désobéissant à Dieu, de même, maintenant que nous avons reçu l'Esprit, « marchons dans une nouveauté de vie», en obéissant à Dieu. Ainsi donc, parce que nous ne pouvons être sauvés sans l'Esprit de Dieu, l'Apôtre veut nous exhorter à conserver cet Esprit de Dieu par la foi et par une vie chaste, de peur que, faute d'avoir part à ce divin Esprit, nous ne perdions le royaume des cieux : voilà pourquoi il proclame que la chair à elle seule, avec le sang, ne peut hériter du royaume de Dieu.

 La chair possédée en héritage par l'Esprit

A vrai dire, en effet, la chair n'hérite point, mais est possédée en héritage, selon ce que dit le Seigneur : « Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre en héritage » : ainsi sera donc possédée en héritage, dans le royaume, la terre dont provient la substance de notre chair. C'est pourquoi il veut que le temple soit pur, pour que l'Esprit de Dieu puisse s'y complaire, comme l'époux dans son épouse. De même donc que l'épouse ne peut épouser, mais peut être épousée, quand l'époux vient la prendre, de même la chair comme telle et à elle seule ne peut hériter du royaume de Dieu, mais elle peut être reçue en héritage, dans le royaume, par l'Esprit. Car c'est le vivant qui hérite des biens du mort, et autre chose est hériter, autre chose être possédé en héritage : l'héritier est le maître, il commande, il dispose de son héritage à son gré ; l'héritage, au contraire, est soumis à l'héritier, il lui obéit, il est sous sa domination. Quel est donc le vivant ? L'Esprit de Dieu. Et quels sont les biens du mort ? Les membres de l'homme qui se dissolvent dans la terre. Ce sont eux qui sont reçus en héritage par l'Esprit,  en étant transférés par lui dans le royaume des cieux. C'est d'ailleurs pour cela que le Christ est mort, afin que le Testament de l'Evangile, étant ouvert et lu au monde entier, rende d'abord libres les esclaves du Christ,   puis les  constitue héritiers  de ses  biens,  par là même que l'Esprit les recevrait en héritage, comme nous venons de le montrer : car c'est le vivant qui hérite et c'est la chair qui est possédée en héritage. De peur donc que nous ne perdions la vie en perdant l'Esprit qui nous possède en héritage, et afin de nous exhorter à cette communion de l'Esprit, l'Apôtre dit à bon droit les paroles déjà citées : « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu. » C'est comme s'il disait : « Ne vous y trompez pas ! Si le Verbe de Dieu n'habite pas en vous et si l'Esprit du Père ne vient pas  en vous,   et  si vous  menez une vie vaine et quelconque, alors, comme n'étant rien d'autre que chair et sang, vous ne pourrez hériter du royaume de Dieu. »

 La greffe de l'Esprit

Il parle ainsi de peur que, en complaisant à la chair, nous ne rejetions la greffe de l'Esprit : car « alors que tu n'étais, dit-il, qu'un olivier sauvage, tu as été enté sur un olivier franc et rendu participant de la sève de cet olivier ». Si donc un olivier sauvage, après avoir été enté sur un olivier franc, demeure ce qu'il était auparavant, à savoir un olivier sauvage, « il est coupé et jeté au feu » ; si, au contraire, il garde sa greffe et se transforme en olivier franc, il devient un olivier fertile, ayant été comme planté dans le jardin du roi. Ainsi en va-t-il des hommes : si, par la foi, ils progressent vers le meilleur, reçoivent l'Esprit de Dieu et produisent les fruits de celui-ci, ils seront spirituels, ayant été comme plantés dans le jardin de Dieu; mais s'ils rejettent l'Esprit et demeurent ce qu'ils étaient auparavant, préférant relever de la chair plutôt que de l'Esprit, on dira à juste titre à leur sujet que « la chair et le sang n'hériteront pas du royaume de Dieu » : c'est comme si l'on disait qu'un olivier sauvage ne sera pas admis dans le jardin de Dieu. L'Apôtre a donc admirablement montré notre nature et toute l'« économie » de Dieu là où il parle de la chair et du sang, ainsi que de l'olivier sauvage.
Si, en effet, un olivier est négligé et abandonné quelque temps dans le désert, il se met à produire des fruits sauvages et devient, de lui-même, un olivier sauvage ; par contre, si cet olivier sauvage est entouré de soins et enté sur un olivier franc, il reviendra à la fertilité primitive de sa nature. Il en va de même des hommes : s'ils s'abandonnent à la négligence, ils produisent ces fruits sauvages que sont les convoitises de la chair et ils deviennent, par leur faute, stériles en fruits de justice — car c'est pendant que les hommes dorment que l'ennemi sème les broussailles de l'ivraie, et c'est pourquoi le Seigneur a enjoint à ses disciples de veiller —; mais si ces hommes, stériles en fruits de justice et comme étouffés par les broussailles, sont entourés de soins et reçoivent en guise de greffe la parole de Dieu, ils reviennent à la nature primitive de l'homme, celle qui fut créée à l'image et à la ressemblance de Dieu.
D'autre part, si l'olivier sauvage vient à être enté, il ne perd pas la substance de son bois, mais change la qualité de son fruit et reçoit un autre nom, car il n'est plus et ne se voit plus appeler olivier sauvage, mais olivier fertile : de même l'homme qui est enté par la foi et reçoit l'Esprit de Dieu ne perd pas la substance de sa chair, mais change la qualité de ce fruit que sont ses œuvres et reçoit un autre nom qui signifie sa transformation en mieux, car il n'est plus et ne se voit plus appeler chair et sang, mais homme spirituel. Par contre, si l'olivier sauvage ne reçoit pas la greffe, il demeure sans utilité pour son propriétaire en raison de sa nature sauvage et, en tant qu'arbre stérile, «il est coupé et jeté au feu» : de même l'homme qui ne reçoit pas la greffe de l'Esprit qui s'opère par la foi demeure cela même qu'il était auparavant, à savoir chair et sang, et ne peut en conséquence hériter du royaume de Dieu.

 « Vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'Esprit»

C'est donc avec raison que l'Apôtre dit : « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu », et encore : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu » : par là, il ne rejette pas la substance de la chair, mais il attire l'infusion de l'Esprit — et c'est pourquoi il dit : « II faut que cet élément mortel revête l'immortalité, et que cet élément corruptible revête l'incorruptibilité » —. Il dit encore : « Quant à vous, vous n'êtes pas dans la chair, mais dans l'Esprit, s'il est vrai que l'Esprit de Dieu habite en vous. » Et il montre cela plus clairement encore, en disant : « Le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l'Esprit est vie à cause de la justice. Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels à cause de son Esprit qui habite en vous. » Il dit encore dans cette même épître aux Romains : « Si, en effet, vous vivez selon la chair, vous mourrez... » Par là, il n'entendait pas repousser loin d'eux la vie dans la chair — lui-même était dans la chair, lorsqu'il leur écrivait —, mais retrancher les convoitises de la chair, qui donnent la mort à l'homme. Et c'est pourquoi il ajoute : «... mais si, par l'Esprit, vous faites mourir les œuvres de la chair, vous vivrez : car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. »

 Œuvres de la chair et fruits de l'Esprit

Ces œuvres, qu'il nomme charnelles, Paul a fait connaître quelles elles sont, prévoyant les sophismes des incrédules et s'expliquant lui-même afin de ne pas laisser de sujet de recherche à ceux qui scruteraient sa pensée avec incrédulité. Il s'exprime ainsi dans l'épître aux Galates : « Les œuvres de la chair sont manifestes : ce sont l'adultère, la fornication, l'impureté, le libertinage, l'idolâtrie, la magie, les inimitiés, la discorde, la jalousie, les emportements, les cabales, les dissensions, les factions, les envies, les beuveries, les orgies et autres choses semblables : je vous préviens, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent de telles actions n'hériteront pas du royaume de Dieu. » Il proclame ainsi de façon plus explicite, pour ceux qui veulent l'entendre, ce que signifie la parole : « La chair et le sang n'hériteront pas du royaume de Dieu » : car ceux qui commettent ces actions, se conduisant vraiment selon la chair, ne sauraient vivre pour Dieu. A l'opposé, il ajoute les actions spirituelles qui donnent la vie à l'homme, autrement dit la greffe de l'Esprit, en disant : « Le fruit de l'Esprit, au contraire, c'est la charité, la joie, la paix, la patience, la mansuétude, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance, la chasteté : contre de telles choses il n'y a pas de loi. » De même donc que celui qui aura progressé vers le meilleur et produit le fruit de l'Esprit sera sauvé de toute manière à cause de la communion de l'Esprit, de même celui qui demeure dans les œuvres de la chair que nous avons dites sera réputé vraiment charnel, puisqu'il ne reçoit pas l'Esprit de Dieu, et il ne pourra en conséquence hériter du royaume des cieux.

 «Les injustes n'hériteront pas du royaume de Dieu »

L'Apôtre lui-même en témoigne encore, lorsqu'il dit aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront pas du royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces n'hériteront du royaume de Dieu. Voilà ce que certains d'entre vous ont été ; mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu. » Il montre ainsi très clairement ce qui perd l'homme, à savoir de persévérer à vivre selon la chair, et, à l'opposé, ce qui sauve l'homme, à savoir — ce sont ses propres termes — « le nom de notre Seigneur Jésus-Christ et l'Esprit de notre Dieu». De la sorte, pour avoir ici même énuméré les œuvres de la chair, qui se font en dehors de l'Esprit et qui donnent la mort, il pourra, en conséquence de ce qu'il vient de dire, s'écrier à la fin de son épître en manière de résumé : « De même que nous avons porté l'image de ce qui est terrestre, portons aussi l'image de ce qui est céleste. Car je vous le déclare, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu » La phrase « De même que nous avons porté l'image de ce qui est terrestre... » a le même sens que celle-ci : « Voilà ce que certains d'entre vous ont été; mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de notre Dieu». Quand donc avons-nous porté l'image de ce qui est terrestre ? Lorsque les œuvres de la chair que nous avons dites s'accomplissaient en nous. Et quand avons-nous porté l'image de ce qui est céleste ? Lorsque, dit-il, « vous vous êtes lavés », en croyant « au nom du Seigneur » et en recevant son Esprit. Or, en nous lavant de la sorte, nous nous sommes débarrassés, non de la substance de notre corps ni de l'image qu'est l'œuvre modelée, mais de notre ancienne vie de vanité. Dans ces membres donc en lesquels nous périssions du fait que nous accomplissions les œuvres de la corruption, dans ces mêmes membres nous sommes vivifiés dès lors que nous accomplissons les œuvres de l'Esprit.

 « Souffle de vie » et «Esprit vivifiant»

Car, comme la chair est capable de corruption, elle l'est aussi d'incorruptibilité, et, comme elle est capable de mort, elle l'est aussi de vie. Ces choses se cèdent mutuellement la place, et l'une et l'autre ne sauraient demeurer au même endroit, mais l'une est expulsée par l'autre et, du fait que l'une est présente, l'autre est détruite. Si donc la mort, en s'emparant de l'homme, a expulsé de lui la vie et a fait de lui un mort, à bien plus forte raison la vie, en s'emparant de l'homme, expulsera la mort et rendra l'homme vivant pour Dieu. Car, si la mort a fait mourir l'homme, pourquoi la vie, en survenant, ne le ferait-elle pas revivre ? Comme le dit le prophète Isaïe : « Dans sa puissance, la mort a dévoré » ; et encore : « Dieu essuiera toute larme de tout visage. »
Or la première vie a été expulsée parce qu'elle avait été donnée par le moyen d'un simple souffle et non par le moyen de l'Esprit. Car autre chose est le « souffle de vie », qui fait l'homme psychique, et autre chose l'«Esprit vivifiant», qui le rend spirituel. Et c'est pourquoi Isaïe dit : « Ainsi parle le Seigneur, qui a fait le ciel et l'a fixé, qui a affermi la terre et ce qu'elle renferme, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite et l'Esprit à ceux qui la foulent aux pieds » : il affirme par là que le souffle a été donné indistinctement à tout le peuple qui habite la terre, tandis que l'Esprit l'a été exclusivement à ceux qui foulent aux pieds les convoitises terrestres. C'est pourquoi le même Isaïe, reprenant la distinction que nous venons de dire, dit encore : « Car l'Esprit sortira d'auprès de moi, et tout souffle c'est moi qui l'ai fait » : il range de la sorte l'Esprit dans une sphère à part, aux côtés de Dieu, qui, dans les derniers temps, l'a répandu' sur le genre humain par la filiation adoptive ; mais il situe le souffle dans la sphère commune, parmi les créatures, et il le déclare chose faite. Or ce qui a été fait est autre que Celui qui l'a fait. Le souffle est donc chose temporaire, tandis que l'Esprit est éternel. Le souffle connaît un instant de vigueur, il demeure un moment, puis il s'en va, laissant privé de souffle l'être en lequel il se trouvait auparavant ; l'Esprit, au contraire, après avoir enveloppé l'homme du dedans et du dehors, demeure toujours avec lui et, dès lors, jamais ne l'abandonnera.
« Mais, dit l'Apôtre à l'adresse des hommes que nous sommes, ce qui apparaît d'abord, ce n'est pas le spirituel, mais d'abord le psychique, puis le spirituel». Rien de plus juste, car il fallait que l'homme fût d'abord modelé, qu'après avoir été modelé il reçût une âme, et qu'ensuite seulement il reçût la communion de l'Esprit. C'est pourquoi aussi « le premier Adam a été fait âme vivante, mais le second Adam a été fait Esprit vivifiant ». De même donc que celui qui avait été fait âme vivante, en inclinant vers le mal, a perdu la vie, ainsi ce même homme, en revenant au bien et en recevant l'Esprit vivifiant, retrouvera la vie.
Car ce n'est pas une chose qui était morte et une autre qui est rendue à la vie, de même que ce n'est pas une chose qui était perdue et une autre qui est retrouvée, mais, cette brebis même qui était perdue, c'est elle que le Seigneur est venu chercher. Qu'est-ce donc qui était mort ? De toute évidence, la substance de la chair, qui avait perdu le souffle de vie et était devenue sans souffle et morte. C'est elle que le Seigneur est venu rendre à la vie, afin que, comme nous mourons tous en Adam parce que psychiques, nous vivions tous dans le Christ parce que spirituels, après avoir rejeté, non l'ouvrage modelé par Dieu, mais les convoitises de la chair, et avoir reçu l'Esprit Saint.

 «Faites mourir vos membres terrestres... »

Comme le dit l'Apôtre dans son épître aux Colossiens : «Faites donc mourir vos membres terrestres..» Quels sont-ils, ces membres ? Lui-même les énumère : «... la fornication, l'impureté, les passions, la convoitise mauvaise et l'avarice qui est une idolâtrie. » Voilà ce dont l'Apôtre prêche le rejet, et c'est à propos de ceux qui commettent de tels actes qu'il affirme qu'ils ne peuvent, comme n'étant que « chair et sang », hériter du royaume des cieux : car leur âme, pour avoir incliné vers ce qui est inférieur et être descendue vers les convoitises terrestres, est désignée par ces noms mêmes de « chair » et de « sang ».
Et c'est tout cela que l'Apôtre nous commande une nouvelle fois de rejeter, lorsqu'il dit dans la même épître : «Ayant dépouillé le vieil homme avec ses pratiques...» Ce disant, il n'entend nullement répudier l'antique ouvrage modelé : sans quoi nous devrions nous tuer et rompre tout lien avec la vie d'ici-bas ! Au reste, l'Apôtre lui-même nous écrit tandis qu'il est cet homme qui a été modelé dans le sein maternel et qui est sorti de celui-ci, et il affirme, dans son épître aux Philippiens, que «vivre dans la chair est le fruit d'une œuvre». Or le fruit de l'œuvre de l'Esprit, c'est le salut de la chair : car quel pourrait être le fruit visible de l'Esprit invisible, sinon de rendre la chair mûre et capable de recevoir l'incorruptibilité ? Si donc « vivre dans la chair est le fruit d'une œuvre », l'Apôtre ne méprise assurément pas la substance de la chair lorsqu'il dit : « Ayant dépouillé le vieil homme avec ses pratiques...», mais il entend signifier le rejet de notre ancienne manière de vivre, vieillie et corrompue. Et c'est pourquoi il poursuit : «... et ayant revêtu l'homme nouveau, qui se renouvelle dans la connaissance selon l'image de Celui qui l'a créé. » En disant « qui se renouvelle dans la connaissance», il indique que cet homme-là même qui se trouvait antérieurement dans l'ignorance, c'est-à-dire qui ignorait Dieu, se renouvelle par la connaissance de celui-ci : car c'est la connaissance de Dieu qui renouvelle l'homme. Et en disant « selon l'image de Celui qui l'a créé », il signifie la récapitulation de cet homme qui, au commencement, avait été fait à l'image de Dieu.

 Guérisons et résurrections opérées par le Christ

Que l'Apôtre était bel et bien celui-là même qui était né du sein maternel, c'est-à-dire l'antique substance de la chair, lui-même le dit dans son épître aux Galates : « Mais, quand il plut à Celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère et appelé par sa grâce de révéler en moi son Fils pour que je l'annonce parmi les gentils...» Ce n'était donc pas un autre qui était né du sein maternel, ainsi que nous l'avons déjà dit, et un autre qui annonçait la bonne nouvelle du Fils de Dieu; mais celui qui était auparavant dans l'ignorance et persécutait l'Église, celui-là même, après qu'une révélation lui fut venue du ciel et que le Seigneur se fut entretenu avec lui, comme nous l'avons montré au troisième livre, annonçait la bonne nouvelle du Fils de Dieu, Jésus-Christ, crucifié sous Ponce Pilate, son ignorance antérieure ayant été abolie par sa connaissance subséquente.
Il en alla de lui comme de ces aveugles que guérit le Seigneur : ceux-ci rejetèrent leur cécité, pour recouvrer dans son intégrité la substance de leurs yeux et voir dorénavant par ces yeux mêmes par lesquels ils ne voyaient pas jusque-là ; la cécité était seulement abolie par la vue, mais la substance des yeux était conservée, afin que, voyant désormais par ces yeux par lesquels ils ne voyaient pas, ils rendent grâces à Celui qui leur avait fait recouvrer la vue. De même aussi ceux dont le Seigneur guérit la main desséchée' et absolument tous ceux qu'il guérit n'échangèrent pas contre d'autres leurs membres nés du sein maternel dès le principe, mais recouvrèrent ces membres mêmes pleins de santé.
Car l'Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, celui-là même qui a modelé l'homme au commencement, ayant trouvé son ouvrage abîmé par le mal, l'a guéri de toutes les manières possibles, tantôt en restaurant tel ou tel membre particulier à la manière dont il avait été modelé au commencement, tantôt en rendant d'un seul coup à l'homme une parfaite santé et intégrité afin de se le préparer en vue de la résurrection. Et, de vrai, quel motif aurait-il eu de guérir les membres de chair et de les rétablir dans leur forme première, si ce qu'il guérissait ne devait pas être sauvé ? Car, si l'avantage ainsi octroyé par lui n'était que temporaire, il n'accordait pas une bien grande faveur à ceux qu'il guérissait. Ou encore, comment les hérétiques peuvent-ils dire que la chair ne peut recevoir de lui la vie, alors qu'elle a reçu de lui la guérison ? Car la vie s'acquiert par la guérison, et l'incorruptibilité, par la vie. Celui qui donne la guérison donne donc aussi la vie, et celui qui donne la vie procure aussi l'incorruptibilité à l'ouvrage par lui modelé.
Qu'ils nous disent, en effet, ceux qui prétendent le contraire, c'est-à-dire qui nient leur salut : la fille défunte du grand prêtre, et le fils de la veuve qu'on emportait, mort, près de la porte de la ville, et Lazare qui se trouvait dans le tombeau depuis quatre jours, en quels corps ressuscitèrent-ils ? De toute évidence, en ceux en lesquels ils étaient morts. Car, si ce ne fut pas en ceux-là, ce ne furent pas non plus ces morts mêmes qui ressuscitèrent. Mais, en fait, « le Seigneur, dit l'Écriture, prit la main du mort et dit à celui-ci : Jeune homme, je te le commande, lève-toi ! Et le mort se dressa sur son séant. Le Seigneur alors ordonna de lui donner à manger et le rendit à sa mère». De même «il appela Lazare d'une voix forte, en disant : Lazare, viens dehors ! Et le mort sortit, dit l'Écriture, les pieds et les mains liés de bandelettes». C'était le symbole de l'homme enlacé dans les péchés. C'est pourquoi le Seigneur dit : « Déliez-le et laissez-le aller. »
De même donc que ceux qui furent guéris le furent en leurs membres qui avaient été malades et que les morts ressuscitèrent dans leurs corps mêmes, membres et corps recevant la guérison et la vie que donnait le Seigneur — celui-ci préfigurait ainsi les choses éternelles par les temporelles et montrait qu'il était Celui qui a le pouvoir de donner à l'ouvrage par lui modelé la guérison et la vie, afin que l'on crût également à sa parole relative à la résurrection —, de même aussi à la fin, « au son de la trompette dernière », à la voix du Seigneur, les morts ressusciteront, selon ce qu'il dit lui-même : « L'heure vient où tous les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l'homme, et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. »
Vains et vraiment infortunés sont donc ceux qui ne veulent pas voir des choses aussi évidentes et aussi claires, mais fuient la lumière de la vérité, s'étant aveuglés eux-mêmes à l'instar du malheureux Œdipe. Il arrive que des lutteurs novices, en se mesurant avec d'autres, saisissent de toutes leurs forces quelque partie du corps de leur adversaire et qu'ils soient jetés à terre par ce membre qu'ils étreignent ; et, tandis qu'ils tombent, ils s'imaginent remporter la victoire, parce qu'ils s'agrippent farouchement à ce membre qu'ils ont saisi d'emblée, alors qu'en réalité leur chute les couvre de ridicule. Ainsi en va-t-il des hérétiques à propos de la phrase : « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu. » En prenant à Paul ces deux vocables, ils n'ont ni perçu la pensée de l'Apôtre ni cherché à comprendre la portée de ses paroles ; cramponnés à de simples mots sans plus, ils meurent contre ceux-ci, ruinant, autant qu'il est en leur pouvoir, toute l'«économie» de Dieu.

 «Il faut que ce qui est corruptible revête l'incorruptibilité »

Car, s'ils prétendent que cette parole a été dite de la chair à proprement parler, et non des œuvres de la chair, ainsi que nous l'avons montré, ils mettent l'Apôtre en contradiction avec lui-même, puisqu'aussitôt après, dans la même épître, il dit en désignant la chair : « Il faut en effet que cet élément corruptible revête l'incorruptibilité et que cet élément mortel revête l'immortalité. Lorsque cet élément mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole de l'Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. ? mort, où est ton aiguillon ? ? mort, où est ta victoire?» Ces paroles seront dites à juste titre lorsque cette chair mortelle et corruptible, en butte à la mort, écrasée sous la domination de la mort, montera vers la vie et revêtira l'incorruptibilité et l'immortalité : car c'est alors que sera vraiment vaincue la mort, lorsque cette chair, qui était sa proie, échappera à son pouvoir. Il dit encore aux Philippiens : « Pour nous, notre cité est dans les cieux, d'où nous attendons aussi comme Sauveur le Seigneur Jésus, qui transfigurera notre corps d'abjection et le rendra conforme à son corps de gloire par l'action de sa puissance. » Quel est donc ce corps d'abjection que le Seigneur transfigurera et rendra conforme à son corps de gloire ? De toute évidence, c'est ce corps qui s'identifie à la chair, à cette chair qui manifeste son abjection en tombant dans la terre. Mais la transfiguration par laquelle, de mortelle et corruptible, elle devient immortelle et incorruptible, ne vient pas de sa substance à elle ; cette transfiguration vient de l'action du Seigneur, qui a le pouvoir de procurer l'immortalité à ce qui est mortel et l'incorruptibilité à ce qui est corruptible. C'est pourquoi l'Apôtre dit dans sa seconde épître aux Corinthiens : «... afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. Or Celui qui nous dispose en vue de cela, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit. » C'est évidemment de la chair qu'il parle, car ni l'âme ni l'Esprit ne sont choses mortelles. Ce qui est mortel sera englouti par la vie, lorsque la chair ne sera plus morte, mais vivante, et qu'elle demeurera incorruptible, chantant un hymne au Dieu qui nous aura disposés en vue de cela. Afin donc que nous soyons disposés en vue de cela, il dit à juste titre aux Corinthiens : « Glorifiez Dieu dans votre corps. » Car Dieu procure l'incorruptibilité.
Ce qui prouve que l'Apôtre ne parle pas d'un autre corps, mais du corps de chair, c'est qu'il dit aux Corinthiens avec une précision excluant tout doute et toute ambiguïté : «... portant sans cesse avec nous en notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus-Christ soit, elle aussi, manifestée dans notre corps : car si nous, les vivants, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle... » Et que l'Esprit s'enlace à la chair, il le dit dans la même épître : « Vous êtes une lettre du Christ rédigée par nos soins, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs. » Si donc, dès à présent, nos cœurs de chair sont capables de recevoir l'Esprit, quoi d'étonnant si, lors de la résurrection, ils contiennent la vie que donnera cet Esprit ? A propos de cette résurrection, l'Apôtre dit dans son épître aux Philippiens : «... lui devenant conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d'entre les morts. » Ainsi donc, en quelle autre chair mortelle pourrait-on concevoir que soit manifestée la vie, sinon dans cette substance qui est également mise à mort à cause de la confession de Dieu, ainsi qu'il le dit lui-même : « Si c'est avec des vues humaines que j'ai combattu contre les bêtes à Ephèse, quel profit m'en revient-il, si les morts ne ressuscitent pas ? Car, si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité ; et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, vaine aussi votre foi. Et il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l'égard de Dieu, puisque nous avons témoigné qu'il a ressuscité le Christ, alors qu'il ne l'a pas ressuscité. Car, si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité ; et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine, car vous êtes encore dans vos péchés ; par conséquent aussi ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si c'est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes plus dignes de pitié que tous les autres hommes. Mais en fait, le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis. Car, puisque c'est par un homme qu'est venue la mort, c'est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. »
Ainsi donc, comme nous l'avons déjà dit, ou bien les hérétiques prétendront que, dans tous ces textes, l'Apôtre contredit sa propre assertion selon laquelle « la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu », — ou bien, une fois de plus, ils se verront contraints de donner, de tous ces textes, des interprétations vicieuses et forcées, afin de pouvoir en pervertir et en altérer le sens. Car que pourront-ils dire de sensé, s'ils tentent d'interpréter autrement cette parole : « Il faut en effet que cet élément corruptible revête l'incorruptibilité et que cet élément mortel revête l'immortalité », et cette autre : «... afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle», et toutes les autres paroles par lesquelles l'Apôtre proclame ouvertement la résurrection et l'incorruptibilité de la chair ? Ils vont donc être contraints d'interpréter de travers toute cette multitude de textes, pour n'avoir pas voulu entendre correctement une seule phrase.

  « Vous avez été réconciliés par son corps de chair »

Ce qui prouve bien que ce n'est pas à la substance même de la chair et du sang que Paul s'en prenait, quand il disait qu'ils ne peuvent hériter du royaume de Dieu, c'est le fait que l'Apôtre s'est servi constamment, à propos de notre Seigneur Jésus-Christ, des termes « chair » et « sang ». Il entendait par là, d'une part, mettre en lumière l'humanité de celui-ci — car le Seigneur lui-même se disait Fils de l'homme —, d'autre part, affirmer énergiquement le salut de notre chair — car, si la chair ne devait pas être sauvée, le Verbe de Dieu ne se serait pas fait chair, et, s'il ne devait pas être demandé compte du sang des justes, le Seigneur n'aurait pas eu de sang —.
Mais en fait, depuis le commencement, le sang des justes élève la voix, comme le montrent les paroles adressées par Dieu à Caïn, après que celui-ci eut tué son frère : « La voix du sang de ton frère crie jusqu'à moi. » Et il sera demandé compte de leur sang, comme le prouvent les paroles de Dieu à Noé et à ses compagnons : « Du sang de vos âmes je demanderai compte à toute bête. » Et encore : « Quiconque répand le sang d'un homme, son propre sang sera répandu en compensation du sang versé. » De même aussi, le Seigneur disait à ceux qui allaient répandre son sang : « II sera demandé compte de tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le sanctuaire et l'autel : en vérité, je vous le dis, tout cela viendra sur cette génération. » Il laissait entendre par là que l'effusion du sang de tous les justes et de tous les prophètes ayant existé depuis le commencement allait être récapitulée en lui-même et qu'il serait demandé compte de leur sang en sa personne. Or, il ne serait pas demandé compte de ce sang, si celui-ci ne devait être sauvé; et le Seigneur n'aurait pas non plus récapitulé ces choses en lui-même, s'il ne s'était fait lui aussi chair et sang conformément à l'ouvrage modelé aux origines, sauvant ainsi en lui-même à la fin ce qui avait péri au commencement en Adam.
Par contre, si le Seigneur s'est incarné à l'aide d'une autre «économie», s'il a pris chair d'une autre substance, il s'ensuit qu'il n'a pas récapitulé l'homme en lui-même : on ne peut même plus le dire chair, puisque la chair, à proprement parler, c'est ce qui succède à l'ouvrage modelé aux origines au moyen du limon. Si le Seigneur avait dû tirer d'une autre substance la matière de sa chair, le Père aurait pris, à l'origine, une autre substance pour en pétrir son ouvrage. Mais en fait, le Verbe sauveur s'est fait cela même qu'était l'homme perdu, effectuant ainsi par lui-même la communion avec lui-même et l'obtention du salut de l'homme. Or ce qui était perdu possédait chair et sang, car c'est en prenant du limon de la terre que Dieu avait modelé l'homme, et c'est pour cet homme-là qu'avait lieu toute l'« économie » de la venue du Seigneur. Il a donc eu, lui aussi, chair et sang, pour récapituler en lui non quelque autre ouvrage, mais l'ouvrage modelé par le Père à l'origine, et pour rechercher ce qui était perdu. C'est pourquoi l'Apôtre dit dans son épître aux Colossiens : « Et vous aussi, vous étiez autrefois éloignés de lui et ennemis de sa pensée par vos œuvres mauvaises ; mais maintenant vous avez été réconciliés en son corps de chair par le moyen de sa mort, pour vous présenter devant lui saints, sans tache ni reproche. » « Vous avez été, dit-il, réconciliés en son corps de chair » : cela, parce que la chair juste a réconcilié la chair captive du péché et l'a réintroduite dans l'amitié de Dieu.
Si donc quelqu'un dit que la chair du Seigneur était autre que la nôtre en ce qu'elle n'a pas péché « et qu'il ne s'est pas trouvé de fourberie en sa bouche», tandis que nous, nous sommes pécheurs, il parle correctement. Mais si cet homme s'imagine que la chair du Seigneur était d'une autre substance que la nôtre, la parole de l'Apôtre relative à la réconciliation perdra tout fondement à ses yeux. Car qui dit réconciliation, dit réconciliation de ce qui s'est trouvé autrefois dans l'inimitié. Or, si le Seigneur a pris chair d'une autre substance, il n'y a pas eu de réconciliation avec Dieu de cela même qui était devenu ennemi de Dieu par la transgression. Mais en fait, par la communion que nous avons avec lui, le Seigneur a réconcilié l'homme avec le Père, nous réconciliant avec lui-même par son corps de chair et nous rachetant par son sang, selon ce que l'Apôtre dit aux Ephésiens : « En lui nous avons la rédemption acquise par son sang, la rémission de nos péchés. » Et encore : « Vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ. » Et encore : « Dans sa chair il a détruit l'inimitié, la Loi avec ses commandements et ses décrets. » Au reste, dans toute cette épître, l'Apôtre atteste expressément que c'est par la chair de notre Seigneur et par son sang que nous avons été sauvés.
Si donc la chair et le sang sont ce qui nous procure la vie, ce n'est pas à proprement parler de la chair et du sang qu'il a été dit qu'ils ne peuvent hériter du royaume de Dieu, mais des actions charnelles dont nous avons parlé : car ce sont elles qui, en détournant l'homme vers le péché, le privent de la vie. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit dans son épître aux Romains : « Que le péché ne règne donc pas dans votre corps mortel, de sorte que vous lui obéissiez. Ne livrez pas vos membres au péché comme des armes d'injustice, mais livrez-vous vous-mêmes à Dieu, comme étant vivants, de morts que vous étiez, et livrez vos membres à Dieu comme des armes de justice. » Ainsi, par ces mêmes membres, par lesquels nous étions esclaves du péché et portions des fruits de mort, il veut que nous soyons esclaves de la justice afin de porter des fruits de vie. Souviens-toi donc, ami très cher, que tu as été racheté par la chair de notre Seigneur et acquis par son sang ; « tiens-toi attaché à la tête, de laquelle le corps tout entier » de l'Eglise «reçoit cohésion et accroissement», c'est-à-dire à la venue charnelle du Fils de Dieu ; confesse sa divinité et adhère inébranlablement à son humanité ; utilise aussi les preuves tirées des Ecritures : ainsi renverseras-tu aisément, comme nous l'avons montré, toutes les opinions inventées après coup par les hérétiques.

 DEUXIÈME PARTIE

 L'IDENTITÉ DU DIEU CRÉATEUR ET DU DIEU PÈRE PROUVÉE PAR TROIS FAITS
DE LA VIE DU CHRIST

 1.   LA GUÉRISON DE L'AVEUGLE-NÉ

 La résurrection promise par le Dieu Créateur

Que Celui qui a créé l'homme au commencement lui ait promis la seconde naissance après sa dissolution dans la terre, Isaïe en fait foi lorsqu'il dit : « Les morts ressusciteront, ceux qui sont dans les tombeaux se lèveront et ceux qui sont dans la terre se réjouiront, car la rosée qui vient de toi est pour eux une guérison. » II dit encore : «Je vous consolerai, et dans Jérusalem vous serez consolés ; vous verrez, et votre cœur sera dans la joie, et vos os pousseront comme l'herbe, et la main du Seigneur se fera connaître à ceux qui l'honorent. »
Ezéchiel dit de son côté : « La main du Seigneur fut sur moi, et le Seigneur me fit sortir en esprit et me plaça au milieu de la plaine, et celle-ci était remplie d'ossements. Il me fit passer près d'eux tout autour ; et voici qu'ils étaient en très grand nombre sur la surface de la plaine et tout à fait desséchés. Et il me dit : Fils de l'homme, ces ossements revivront-ils ? Je répondis : Seigneur, tu le sais, car c'est toi qui les as faits. Il me dit : Prophétise sur ces ossements et dis-leur : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur ! Ainsi parle le Seigneur à ces ossements : Voici que je vais amener sur vous l'Esprit de vie ; je mettrai sur vous des muscles, je ramènerai sur vous de la chair, j'étendrai sur vous de la peau, je mettrai en vous mon Esprit, et vous vivrez, et vous saurez que je suis le Seigneur. Et je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre. Et comme je prophétisais, il y eut un tremblement de terre, et les os s'emboîtèrent les uns dans les autres. Et je vis, et voici que des muscles et de la chair s'étaient formés sur eux et qu'une peau s'était étendue par-dessus, mais l'Esprit n'était pas encore en eux. Et il me dit : Prophétise sur l'Esprit, prophétise, fils de l'homme, et dis à l'Esprit : Ainsi parle le Seigneur : Viens des quatre vents et souffle sur ces morts, et qu'ils vivent. Et je prophétisai comme il m'en avait donné l'ordre. Et l'Esprit entra en eux, et ils reprirent vie, et ils se tinrent sur leurs pieds : c'était une très, très grande armée. » Le même Ezéchiel dit encore : « Ainsi parle le Seigneur : Voici que je vais ouvrir vos tombeaux, et je vous ferai sortir de vos tombeaux, et je vous introduirai dans la terre d'Israël. Et vous saurez que je suis le Seigneur, quand j'ouvrirai vos tombeaux pour faire sortir des tombeaux mon peuple. Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez, et je vous établirai sur votre terre, et vous saurez que je suis le Seigneur. J'ai parlé et je l'exécuterai, dit le Seigneur. »
Ainsi donc, le Créateur vivifie dès ici-bas nos corps mortels, comme il est loisible de le voir ; il leur promet, de surcroît, la résurrection et la sortie hors des sépulcres et des tombeaux, et il leur accordera l'incorruptibilité — car, est-il dit, «leurs jours seront comme l'arbre de vie» — : dès lors la preuve est faite que le seul Dieu c'est lui, qui fait ces choses, et que lui-même est le bon Père qui, par pure bonté, accorde la vie aux êtres qui ne la possèdent pas par eux-mêmes.

 La guérison de l'aveugle-né, révélation de l'action créatrice du Verbe aux origines de l'humanité

Voilà pourquoi le Seigneur a montré très clairement à ses disciples qui il est lui-même et qui est le Père, afin qu'on ne cherche plus un autre Dieu que Celui qui a modelé l'homme et l'a gratifié du souffle de vie et qu'on n'aille plus jusqu'à cet excès de folie d'imaginer faussement un autre Père au-dessus du Créateur. En effet, tous les autres malades,   c'est-à-dire  ceux  qui  se  trouvaient  frappés  de maladies    à    cause    d'une    transgression    qu'ils    avaient commise, le Seigneur les guérissait par une parole. Et c'est pour ce motif qu'il disait : « Te voilà guéri ; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire», manifestant par là que c'était à cause du péché de désobéissance que les   maladies   avaient   assailli   les   hommes.   Par   contre, lorsqu'il eut affaire à l'aveugle-né, ce ne fut plus par une parole, mais par un acte, qu'il lui rendit la vue : il en agit de la sorte non sans raison ni au hasard, mais afin de faire connaître la Main de Dieu qui, au commencement, avait modelé l'homme. Et c'est pourquoi, comme les disciples lui demandaient par la faute de qui, de lui-même ou de ses parents, cet homme était né aveugle, le Seigneur déclara : « Ni lui n'a péché, ni ses parents, mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » Ces « œuvres de Dieu » sont le modelage de l'homme, car c'est bien par un acte qu'il avait effectué ce modelage, selon ce que dit l'Écriture : « Et Dieu prit du limon de la terre, et il modela l'homme. » C'est pour cela que le Seigneur cracha à terre, fit de la boue et en enduisit les yeux de l'aveugle, montrant par là de quelle façon avait eu lieu le modelage originel et, pour ceux qui étaient capables de comprendre, manifestant la Main de Dieu par laquelle l'homme avait été modelé à partir du limon. Car ce que le Verbe Artisan avait omis de modeler dans le sein maternel, il l'accomplit au grand jour, « afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui » et que nous ne cherchions plus ni une autre Main par laquelle aurait été modelé l'homme, ni un autre Père, sachant que la Main de Dieu qui nous a modelés au commencement et nous modèle dans le sein maternel, cette même Main, dans les derniers temps, nous a recherchés quand nous étions perdus, a recouvré sa brebis perdue, l'a chargée sur ses épaules et l'a réintégrée avec allégresse dans le troupeau de la vie.
Que le Verbe de Dieu nous modèle dans le sein maternel, Jérémie l'affirme : « Avant de te modeler dans le ventre de ta mère, je t'ai connu, et avant que tu sois sorti de son sein, je t'ai sanctifié et je t'ai établi prophète pour les nations. » Paul dit pareillement : « Lorsqu'il plut à Celui qui m'avait mis à part dès le sein de ma mère, afin que je l'annonce parmi les gentils... » Ainsi donc, puisque nous sommes modelés dans le sein maternel par le Verbe, ce même Verbe remodela les yeux de l'aveugle-né : il fit ainsi apparaître au grand jour Celui qui nous modèle dans le secret, car c'était bien le Verbe lui-même qui s'était rendu visible aux hommes ; il fit en même temps connaître le modelage originel d'Adam, c'est-à-dire de quelle manière Adam avait été fait et par quelle Main il avait été modelé, et il fit voir le tout à l'aide de la partie, car le Seigneur qui remodela les yeux était Celui qui avait modelé l'homme tout entier en exécutant la volonté du Père.
Et parce que, en cette chair modelée selon Adam, l'homme était tombé dans la transgression et avait besoin du bain de la régénération, le Seigneur dit à l'aveugle-né après lui avoir enduit les yeux de boue : « Va te laver à la piscine de Siloé», lui octroyant ainsi simultanément le modelage et la régénération opérée par le bain. Aussi, après s'être lavé, «s'en revint-il voyant clair», afin tout à la fois de reconnaître Celui qui l'avait modelé et d'apprendre quel était le Seigneur qui lui avait rendu la vie.

 Une seule terre, un seul Dieu, un seul Verbe

Ils s'égarent donc, les disciples de Valentin, lorsqu'ils prétendent que l'homme n'a pas été modelé au moyen de cette terre, mais à l'aide de la « matière fluide et inconsistante ». Car il est clair que la terre avec laquelle le Seigneur remodela les yeux de l'aveugle-né était aussi celle avec laquelle l'homme avait été modelé à l'origine. Il n'eût pas été logique de modeler les yeux avec une matière, et le reste du corps avec une autre : tout comme il ne serait pas logique que quelqu'un eût modelé le corps, et un autre les yeux. Mais Celui qui avait modelé Adam au commencement et à qui le Père avait dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance», Celui-là même, s'étant manifesté aux hommes à la fin des temps, remodela les yeux de celui qui, issu d'Adam, était né aveugle. Et c'est pour cette raison que l'Ecriture, voulant signifier l'avenir, rapporte qu'au moment où Adam s'était caché à la suite de sa désobéissance, le Seigneur était venu à lui, le soir, et l'avait appelé, en lui disant : «Où es-tu?» Et cela parce que, dans les derniers temps, le même Verbe de Dieu est venu appeler l'homme, lui rappelant « ses œuvres » parmi lesquelles l'homme vivait lorsqu'il s'était dérobé aux yeux de Dieu. Car, de même qu'autrefois Dieu avait parlé à Adam le soir pour le rechercher, de même dans les derniers temps, par la même Voix, il a visité la race d'Adam pour la rechercher.
Et que le modelage d'Adam ait été effectué au moyen de cette terre qui est nôtre, l'Écriture l'atteste lorsqu'elle rapporte ces paroles de Dieu à Adam : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes à la terre d'où tu as été pris». Si donc nos corps retournaient dans quelque autre terre après la mort, il s'ensuivrait que c'est d'elle qu'ils tireraient leur origine. Mais s'ils retournent en cette terre même, il est clair que c'est également au moyen de celle-ci que le modelage d'Adam a été effectué, comme d'ailleurs le Seigneur l'a manifesté en remodelant au moyen de celle-ci les yeux de l'aveugle-né. Si donc, d'une façon précise, a été montrée la Main de Dieu par laquelle fut modelé Adam et par laquelle nous avons été modelés à notre tour, s'il n'y a qu'un seul et même Père dont la Voix est présente, du commencement à la fin, à l'ouvrage par elle modelé, et si enfin la substance de cet ouvrage modelé que nous sommes a été clairement indiquée dans l'Evangile, il ne faut plus chercher d'autre Père que celui-là, ni d'autre substance de cet ouvrage modelé que celle que nous avons déjà dite et que le Seigneur a montrée, ni d'autre Main de Dieu que celle qui, du commencement à la fin, nous modèle, nous ajuste en vue de la vie, est présente à son ouvrage et le parfait à l'image et à la ressemblance de Dieu.
La vérité de tout cela apparut lorsque le Verbe de Dieu se fit homme, se rendant semblable à l'homme et rendant l'homme semblable à lui, pour que, par la ressemblance avec le Fils, l'homme devienne précieux aux yeux du Père. Dans les temps antérieurs, en effet, on disait bien que l'homme avait été fait à l'image de Dieu, mais cela n'apparaissait pas, car le Verbe était encore invisible, lui à l'image de qui l'homme avait été fait : c'est d'ailleurs pour ce motif que la ressemblance s'était facilement perdue. Mais, lorsque le Verbe de Dieu se fit chair, il confirma l'une et l'autre : il fit apparaître l'image dans toute sa vérité, en devenant lui-même cela même qu'était son image, et il rétablit la ressemblance de façon stable, en rendant l'homme pleinement semblable au Père invisible par le moyen du Verbe dorénavant visible.

 2. LA CRUCIFIXION

 La désobéissance par le bois réparée par l'obéissance sur le bois

Ce n'est pas seulement par ce qui vient d'être dit que le Seigneur a fait connaître le Père et s'est fait connaître lui-même : c'est aussi par sa Passion. Car, pour détruire la désobéissance originelle de l'homme, qui s'était perpétrée par le bois, « il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix », guérissant ainsi par son obéissance sur le bois la désobéissance qui s'était accomplie par le bois. Or il ne serait pas venu détruire au moyen des mêmes choses la désobéissance commise à l'égard de Celui qui nous avait modelés, s'il avait annoncé un autre Père. Mais en fait, c'est par ces mêmes choses, par lesquelles nous avions été désobéissants à Dieu et indociles à sa parole, qu'il a réintroduit l'obéissance à Dieu et la docilité à sa parole : par là, de la façon la plus claire, il fait voir ce Dieu même que nous avions offensé dans le premier Adam, en n'accomplissant pas son commandement, et avec qui nous avons été réconciliés dans le second Adam, en devenant obéissants jusqu'à la mort; car nous n'étions les débiteurs  de nul  autre  que de  Celui  dont nous  avions transgressé le commandement à l'origine.

 La rémission des péchés octroyée par Celui-là même dont nous étions les débiteurs

Or celui-ci est le Créateur : selon son amour, il est notre Père ; selon sa puissance, il est notre Seigneur ; selon sa sagesse, il est Celui qui nous a faits et modelés. C'est précisément de lui que, pour avoir transgressé son commandement, nous étions devenus les ennemis. Et c'est pourquoi, dans les derniers temps, le Seigneur nous a rétablis dans l'amitié par le moyen de son incarnation : devenu « médiateur de Dieu et des hommes », il a fléchi en notre faveur son Père contre qui nous avions péché et l'a consolé de notre désobéissance par son obéissance, et il nous a accordé la grâce de la conversion et de la soumission à notre Créateur. C'est pourquoi aussi il nous a appris à dire dans notre prière : «Et remets-nous nos dettes. » S'il nous fait parler ainsi, c'est assurément parce que celui-ci est notre Père, dont nous étions les débiteurs pour avoir transgressé son commandement. Or quel est celui-ci ? un prétendu «Père inconnaissable» et qui n'a jamais donné le moindre commandement ? ou le Dieu prêché par les prophètes et dont nous étions les débiteurs pour avoir transgressé son commandement ? Or ce commandement avait été donné à l'homme par le Verbe : « Adam, dit en effet l'Ecriture, entendit la Voix du Seigneur Dieu. » C'est donc à juste titre que le Verbe de Dieu dit à l'homme : « Tes péchés te sont remis » : Celui-là même contre qui nous avions péché au commencement accordait ainsi à la fin la rémission des péchés. Par contre, si autre était Celui dont nous avions transgressé le commandement, et autre Celui qui disait : «Tes péchés te sont remis», ce dernier n'était ni bon, ni véridique, ni juste. Comment eut-il été bon, puisqu'il ne donnait pas de ce qui était à lui ? Comment eut-il été juste, puisqu'il s'appropriait ce qui était à autrui ? Comment les péchés nous eussent-ils été vraiment remis, à moins que Celui-là même contre qui nous avions péché ne nous en eût accordé la rémission, « par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, en lesquelles il nous a visités » par son Fils ?
C'est pourquoi aussi, sitôt guéri le paralytique, « à cette vue, est-il dit, les foules glorifièrent Dieu qui avait donné une telle puissance aux hommes. » Quel Dieu glorifièrent donc les foules qui se tenaient alentour ? Le « Père inconnaissable » inventé par les hérétiques ? Mais comment eussent-elles pu glorifier quelqu'un qu'elles ne connaissaient absolument pas ? Il est donc clair que les Israélites glorifiaient le Dieu qu'avaient prêché la Loi et les prophètes, et qui est aussi le Père de notre Seigneur : et c'est pourquoi celui-ci apprenait aux hommes avec vérité, par les miracles qu'il faisait, à rendre gloire à Dieu. Si autre avait été le Père d'où lui-même serait venu, et autre le Dieu que glorifiaient les hommes à la vue de ses miracles, il eût rendu les hommes ingrats à l'égard du Père qui avait envoyé les guérisons. Mais, parce que c'est de la part du vrai Dieu que le Fils Monogène était venu pour le salut des hommes, il invitait les incrédules, par les miracles qu'il faisait, à rendre gloire à son Père, et, aux Pharisiens qui n'accueillaient pas la venue du Fils de Dieu et qui, pour cette raison, ne croyaient pas à la rémission des péchés accomplie par lui, il disait : « Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés...», et, après avoir ainsi parlé, il ordonnait au paralytique de prendre le grabat sur lequel il gisait et de s'en retourner à sa maison. Par l'accomplissement de ce miracle, il confondait les incrédules et faisait comprendre qu'il était lui-même la Voix de Dieu par laquelle, sur la terre, l'homme avait reçu les commandements : c'est pour les avoir transgressés qu'il était devenu pécheur, et la paralysie avait été la conséquence des péchés.
Ainsi, en remettant les péchés, le Seigneur n'a pas seulement guéri l'homme, il a aussi révélé clairement qui il était. En effet, si personne ne peut remettre les péchés, sinon Dieu seul, et si le Seigneur les remettait et guérissait l'homme, il est clair qu'il était le Verbe de Dieu devenu Fils de l'homme, ayant reçu du Père le pouvoir de remettre les péchés parce qu'il était homme et parce qu'il était Dieu, afin que, comme homme, il souffrît avec nous, et que, comme Dieu, il eût pitié de nous et nous remît les dettes dont nous étions débiteurs à l'égard de Dieu notre Créateur. Et c'est pourquoi David a proclamé par avance : « Heureux ceux dont les iniquités ont été remises et dont les péchés ont été couverts ! Heureux l'homme à qui le Seigneur n'impute pas de péché ! » Il faisait ainsi connaître par avance la rémission des péchés qu'a procurée la venue du Seigneur, cette rémission par laquelle « il a détruit le document » qui attestait notre dette « et l'a cloué à la croix », afin que, comme par le bois nous étions devenus débiteurs à l'égard de Dieu, par le bois nous recevions la remise de notre dette.

 L'«économie» du bois préfigurée par Elisée

Cela fut montré d'une façon symbolique, entre beaucoup d'autres, en la personne du prophète Elisée. Comme les prophètes qui se trouvaient avec lui coupaient du bois pour édifier leur habitation, le fer d'une hache se détacha du manche et tomba dans le Jourdain. Il leur fut impossible de le retrouver. Étant arrivé en cet endroit et ayant appris ce qui s'était passé, Elisée jeta alors un morceau de bois dans l'eau : à peine l'avait-il fait, que le fer se mit à surnager, et ceux qui venaient de le perdre purent le reprendre à la surface de l'eau. Par cet acte, le prophète signifiait que le solide Verbe de Dieu, que nous avions perdu par le bois à cause de notre négligence et que nous ne retrouvions plus, nous le recouvrerions par l'« économie» du bois. Que le Verbe de Dieu soit semblable à une hache, Jean-Baptiste l'atteste, quand il dit de lui : « Voici que la hache est à la racine des arbres. » Jérémie dit de même : « Le Verbe du Seigneur est comme une hache à deux tranchants qui fend le rocher. » Ainsi donc, ce Verbe qui nous avait été caché, l'«économie» du bois nous l'a manifesté, ainsi que nous venons de le dire. Car, puisque nous l'avions perdu par le bois, c'est par le bois qu'il est redevenu visible pour tous, montrant en lui-même la hauteur, la longueur et la largeur, et, comme l'a dit un des anciens, rassemblant par l'extension de ses mains les deux peuples vers un seul Dieu. Il y avait en effet deux mains, parce qu'il y avait deux peuples dispersés aux extrémités de la terre; mais au centre il n'y avait qu'une seule tête, parce qu'il n'y a qu'«un seul Dieu, qui est au-dessus de toutes choses, à travers toutes choses et en nous tous ».

 Le Verbe porté par sa propre création

Et cette prodigieuse «économie», le Seigneur l'a réalisée, non à l'aide d'une création étrangère, niais à l'aide de sa propre création; non au moyen de choses provenant de l'ignorance et de la déchéance, mais au moyen de choses issues de la sagesse et de la puissance du Père. Car il n'était ni injuste au point de convoiter le bien d'autrui, ni indigent au point de ne pouvoir produire la vie dans les siens à l'aide de ce qui lui appartenait, en se servant de sa propre création pour le salut de l'homme. Car jamais la création n'aurait pu le porter, si elle avait été le produit de l'ignorance et de la déchéance. Or, que le Verbe de Dieu, après s'être incarné, ait été suspendu au bois, nous l'avons longuement montré, et les hérétiques eux-mêmes confessent le Crucifié. Comment, dès lors, le produit de l'ignorance et de la déchéance aurait-il pu porter Celui qui renferme la connaissance de toutes choses et qui est vrai et parfait ? Ou comment une création séparée du Père et considérablement éloignée de lui aurait-elle pu porter son Verbe ? Si même celle-ci avait été faite par des Anges — soit qu'ils aient ignoré, soit qu'ils aient connu le Dieu qui est au-dessus de toutes choses —, étant donné que le Seigneur a dit : «Je suis dans le Père et le Père est en moi», comment l'ouvrage des Anges aurait-il pu porter simultanément le Père et le Fils ? Comment une création extérieure au Plérôme aurait-elle pu contenir Celui qui renferme tout le Plérôme ? Tout cela étant impossible et dépourvu de la moindre preuve, seul est vrai ce message que proclame l'Eglise, à savoir que la propre création de Dieu, issue de la puissance, de l'art et de la sagesse de Dieu, a porté Dieu : car, si au plan invisible elle est portée par le Père, au plan visible elle porte à son tour le Verbe du Père.
Et telle est bien la vérité. Car le Père porte tout à la fois la création et son Verbe ; et le Verbe, porté par le Père, donne l'Esprit (ou l'esprit) à tous, de la manière que veut le Père : aux uns, en rapport avec leur création, il donne l'esprit appartenant à la création, esprit qui est une chose faite; aux autres, en rapport avec leur filiation adoptive, il donne l'Esprit provenant du Père, Esprit qui est la Progéniture de celui-ci. Et ainsi se manifeste « un seul Dieu Père, qui est au-dessus de toutes choses, à travers toutes choses et en nous tous». Car, au-dessus de toutes choses, il y a le Père, et c'est lui la tête du Christ ; à travers toutes choses, il y a le Verbe, et c'est lui la tête de l'Eglise ; en nous tous, il y a l'Esprit, et c'est lui l'Eau vive octroyée par le Seigneur à ceux qui croient en lui avec rectitude, qui l'aiment et qui savent qu'il n'y a qu'«un seul Dieu Père, qui est au-dessus de toutes choses, à travers toutes choses et en nous tous ».

 Le Verbe venu dans son propre domaine

Tout cela, Jean, le disciple du Seigneur, l'atteste lui aussi, lorsqu'il dit dans son Evangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était, au commencement, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. » Il dit ensuite au sujet de ce même Verbe : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu dans son propre domaine, et les siens ne l'ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom. » Il dit encore, pour signifier son « économie » humaine : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. » Puis il ajoute : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle qu'un Fils unique tient de son Père, plein de grâce et de vérité. » Par là, à ceux qui veulent entendre, c'est-à-dire qui ont des oreilles, il fait connaître de la façon la plus claire qu'il n'y a qu'«un seul Dieu Père, qui est au-dessus de toutes choses », et un seul Verbe de Dieu, « qui est à travers toutes choses » et par l'entremise de qui toutes choses ont été faites ; que ce monde est son propre domaine et a été fait par son entremise selon la volonté du Père, et non par l'entremise d'Anges, ni par celle d'une apostasie, d'une déchéance et d'une ignorance, ni par celle d'une Puissance dénommée Prounikos et que certains appellent aussi la Mère, ni par celle de quelque autre Démiurge ignorant le Père.
Car l'Auteur du monde, c'est en toute vérité le Verbe de Dieu. C'est lui notre Seigneur : lui-même, dans les derniers temps, s'est fait homme, alors qu'il était déjà dans le monde et qu'au plan invisible il soutenait toutes les choses créées et se trouvait enfoncé dans la création entière, en tant que Verbe de Dieu gouvernant et disposant toutes choses. Voilà pourquoi « il est venu » de façon visible « dans son propre domaine», « s'est fait chair» et a été suspendu au bois, afin de récapituler toutes choses en lui-même. « Et les siens ne l'ont pas reçu » — les siens, c'est-à-dire les hommes —, ainsi que Moïse l'avait annoncé en disant au peuple : « Ta Vie sera suspendue sous tes yeux, et tu ne croiras pas en ta Vie. » Ainsi, ceux qui ne l'ont pas reçu n'ont pas reçu la Vie. « Mais à tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Car c'est lui qui a pouvoir sur toutes choses de par le Père, parce que Verbe de Dieu et homme véritable : aux êtres invisibles, d'une part, il commande d'une manière spirituelle, et il leur donne ses lois à tous selon un mode intelligible, afin que chacun d'entre eux demeure à son rang ; sur les êtres visibles et humains, d'autre part, il règne d'une manière manifeste, et il fait venir sur tous le juste jugement qu'ils méritent. Cette venue visible du Verbe, David l'avait annoncée, lorsqu'il disait : « Notre Dieu viendra d'une manière manifeste, oui, notre Dieu viendra, et il ne se taira pas. » Il avait ensuite annoncé le jugement qu'il amènerait, en disant : « Un feu dévorant sera devant lui, et autour de lui se déchaînera la tempête ; il appellera les cieux en haut, ainsi que la terre, pour juger son peuple. »

 Contradictions des systèmes hérétiques face à l'unité de l'enseignement de l'Église

Si donc le Seigneur est venu d'une manière manifeste dans son propre domaine ; s'il a été porté par sa propre création, qu'il porte lui-même ; s'il a récapitulé, par son obéissance sur le bois, la désobéissance qui avait été perpétrée par le bois ; si cette séduction dont avait été misérablement victime Eve, vierge en pouvoir de mari, a été dissipée par la bonne nouvelle de vérité magnifiquement annoncée par l'ange à Marie, elle aussi vierge en pouvoir de mari — car, de même que celle-là avait été séduite par le discours d'un ange, de manière à se soustraire à Dieu en transgressant sa parole, de même celle-ci fut instruite de la bonne nouvelle par le discours d'un ange, de manière à porter Dieu en obéissant à sa parole; et, de même que celle-là avait été séduite de manière à désobéir à Dieu, de même celle-ci se laissa persuader d'obéir à Dieu, afin que, de la vierge Eve, la Vierge Marie devînt l'avocate; et, de même que le genre humain avait été assujetti à la mort par une vierge, il en fut libéré par une Vierge, la désobéissance d'une vierge ayant été contrebalancée par l'obéissance d'une Vierge — ; si donc, encore une fois, le péché du premier homme a reçu guérison par la rectitude de conduite du Premier-né, si la prudence du serpent a été vaincue par la simplicité de la colombe et si par là ont été brisés ces liens qui nous assujettissaient à la mort : ils sont stupides, tous les hérétiques, et ignorants de l'«économie» de Dieu, et bien peu au fait de son œuvre relative à l'homme — aveugles qu'ils sont à l'égard de la vérité —, lorsqu'ils contredisent eux-mêmes leur propre salut, les uns en introduisant un autre Père en dehors du Créateur, les autres en prétendant que le monde et la matière qui le constitue ont été faits par des Anges, les autres en affirmant que cette matière, immensément éloignée de leur prétendu Père, se serait formée d'elle-même et serait innée, les autres en la déclarant issue, dans la propre sphère du Père, d'une déchéance et d'une ignorance. D'autres méprisent la venue visible du Seigneur, n'admettant pas son incarnation. D'autres encore, méconnaissant l'« économie » de la Vierge, le disent né de Joseph. Certains disent que ni leur âme ni leur corps ne peuvent recevoir la vie éternelle, mais seulement leur « homme intérieur », et ils prétendent identifier celui-ci avec leur intellect, qu'ils jugent seul capable de s'élever jusqu'à la perfection. D'autres admettent que l'âme soit sauvée, mais nient que le corps puisse avoir part au salut venant de Dieu. Tout cela, nous l'avons dit dans notre premier livre, où nous avons fait connaître leurs doctrines à tous, et nous avons ensuite montré l'inconsistance de celles-ci dans notre second livre.
Tous ces gens-là sont en effet de beaucoup postérieurs aux évêques auxquels les apôtres confièrent les Eglises : nous avons montré cela également, avec toute la précision possible, dans notre troisième livre. Force est donc à tous les hérétiques ci-dessus mentionnés, par là même qu'ils sont aveugles à l'égard de la vérité, d'aller de côté et d'autre hors de tout chemin frayé, et c'est pour cette raison que les traces de leur doctrine sont éparpillées ça et là, sans accord et sans suite. Il en va tout autrement de ceux qui appartiennent à l'Eglise : leur chemin parcourt le monde entier, parce que possédant la solide Tradition venant des apôtres, et il nous offre le spectacle d'une seule et même foi chez tous, car tous croient en un seul et même Dieu Père, admettent la même « économie » d'incarnation du Fils de Dieu, reconnaissent le même don de l'Esprit, s'exercent aux mêmes préceptes, gardent la même forme d'organisation de l'Eglise, attendent le même avènement du Seigneur, espèrent le même salut de l'homme tout entier, c'est-à-dire de l'âme et du corps. Le message de l'Eglise est donc véridique et solide, puisque c'est chez elle qu'un seul et même chemin de salut apparaît à travers le monde entier. Car à elle a été confiée la lumière de Dieu, et c'est pourquoi « la Sagesse » de Dieu, par laquelle celui-ci sauve les hommes, « est célébrée sur les chemins, agit hardiment sur les places publiques, est proclamée au sommet des murailles et parle avec assurance aux portes de la ville ». Partout, en effet, l'Eglise prêche la vérité : elle est le candélabre à sept lampes qui porte la lumière du Christ.
Ceux donc qui délaissent le message de l'Église font grief aux presbytres de leur simplicité, ne voyant pas combien un homme simple, mais religieux, l'emporte sur un sophiste blasphémateur et impudent. Tels sont bien en effet tous les hérétiques : s'imaginant trouver quelque chose de supérieur à la vérité en suivant les doctrines que nous venons de dire, ils s'avancent par des chemins bigarrés, multiformes et incertains, ayant au sujet des mêmes choses tantôt une opinion et tantôt une autre ; ils sont comme des aveugles que guideraient des aveugles et ils tombent ajuste titre dans la fosse d'ignorance ouverte sous leurs pas, voués qu'ils sont à toujours chercher et à ne jamais trouver la vérité. Il faut donc fuir leurs opinions et nous mettre soigneusement en garde contre elles, afin de ne pas subir de dommage par leur fait ; en revanche, il faut nous réfugier auprès de l'Église, nous allaiter de son sein et nous nourrir des Ecritures du Seigneur. Car l'Église a été plantée comme un paradis dans le monde. « Tu mangeras donc du fruit de tous les arbres du paradis », dit l'Esprit de Dieu. Ce qui veut dire : Mange de toute Ecriture du Seigneur, mais ne goûte pas à l'orgueil et n'aie nul contact avec la dissension des hérétiques. Car eux-mêmes avouent posséder la connaissance du bien et du mal, et ils lancent leurs pensées au-dessus du Dieu qui les a créés. Ils élèvent ainsi leurs pensées au delà de la mesure permise. C'est pourquoi l'Apôtre dit : « N'ayez pas des pensées plus élevées qu'il ne convient, mais que vos pensées soient empreintes de modération », de peur que, goûtant à leur gnose orgueilleuse, nous ne soyons expulsés du paradis de la vie. Car c'est en celui-ci que le Seigneur introduit ceux qui obéissent à sa prédication, « ayant récapitulé en lui-même toutes choses, celles qui sont aux cieux et celles qui sont sur la terre». Or celles qui sont aux cieux sont spirituelles, tandis que celles qui sont sur la terre sont cet ouvrage qu'est l'homme. Ce sont donc ces choses mêmes qu'il a récapitulées en lui, unissant l'homme à l'Esprit et faisant habiter l'Esprit dans l'homme, devenant lui-même la tête de l'Esprit et donnant l'Esprit pour qu'il soit la tête de l'homme : car c'est par cet Esprit que nous voyons, entendons et parlons.

 3.   LA TENTATION DU CHRIST

 La victoire du Christ sur le démon, réplique de la défaite d'Adam

Récapitulant donc en lui-même toutes choses, il a récapitulé aussi la guerre que nous livrons à notre ennemi : il a provoqué et vaincu celui qui, au commencement, en Adam, avait fait de nous ses captifs, et il a foulé aux pieds sa tête, selon ces paroles de Dieu au serpent que l'on trouve rapportées dans la Genèse : «Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité; il observera ta tête et tu observeras son talon. » Dès ce moment, en effet, Celui qui devait naître d'une Vierge à la ressemblance d'Adam était annoncé comme « observant la tête » du serpent. Et c'est là la « postérité » au sujet de laquelle l'Apôtre dit dans son épître aux Galates : « La Loi des œuvres a été établie jusqu'à ce que vînt la postérité à laquelle avait été faite la promesse. » Il s'explique plus clairement encore dans cette même épître, lorsqu'il dit : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme. » Car l'ennemi n'aurait pas été vaincu en toute justice, si Celui qui le vainquit n'avait pas été un homme né d'une femme. C'est en effet par une femme qu'il avait dominé sur l'homme, s'étant posé, dès le commencement, en adversaire de l'homme. Et c'est pourquoi le Seigneur se reconnaissait lui-même pour Fils de l'homme, récapitulant en lui cet homme des origines à partir duquel le modelage de la femme avait été effectué : de la sorte, de même que par la défaite d'un homme notre race était descendue dans la mort, de même par la victoire d'un homme nous sommes remontés vers la vie ; et de même que la mort avait triomphé de nous par un homme, de même à notre tour nous avons triomphé de la mort par un homme.

 Le Christ triomphant du démon à l'aide des commandements du Dieu de la Loi

Or le Seigneur n'aurait pas récapitulé en lui-même cette inimitié originelle contre le serpent, accomplissant par là la promesse du Créateur et exécutant son commandement, s'il était venu de la part d'un autre Père. Mais, parce que c'est un seul et le même qui nous a modelés au commencement et a envoyé son Fils à la fin, c'est aussi son commandement à lui qu'a exécuté le Seigneur « en naissant d'une femme», en réduisant à néant notre adversaire et en parfaisant l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu. Voilà pourquoi il n'a pas anéanti cet adversaire à partir d'autre chose que des énoncés de la Loi, mais il s'est servi du commandement même de son Père comme d'une aide pour anéantir et démasquer l'ange apostat.
D'abord, il jeûna quarante jours, à l'exemple de Moïse et d'Eue. Après quoi, il sentit la faim, pour que nous comprenions que son humanité était vraie et indiscutable : car c'est le propre de l'homme d'avoir faim lorsqu'il s'abstient de nourriture. C'était aussi pour que l'Adversaire eût un terrain où il pût l'attaquer : car, pour avoir, au commencement, séduit par une nourriture l'homme non affamé et l'avoir ainsi amené à transgresser le commandement de Dieu, à la fin, alors que l'homme était affamé, le diable ne put le dissuader d'attendre la nourriture qui vient de Dieu. Comme il lui disait, en effet, pour le tenter : « Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains», le Seigneur le repoussa à l'aide du commandement de la Loi, en lui disant : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain. » Aux mots « Si tu es le Fils de Dieu», il n'opposa que le silence; par contre, il aveugla le diable par l'aveu de son humanité et, au moyen de la parole du Père, réduisit à néant son premier assaut. Ainsi la satiété que l'homme avait connue au paradis par la double manducation fut détruite par la pénurie qu'il souffrit en ce monde.
Alors celui-là, refoulé au moyen de la Loi, tenta de se servir de la Loi à son tour, de façon mensongère, pour déclencher une nouvelle attaque. Ayant conduit le Seigneur au sommet du pinacle du Temple, il lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et ils te porteront dans leurs mains, de peur que tu ne buttes du pied contre une pierre. » Il dissimulait ainsi le mensonge sous le couvert de l'Écriture, ce que font précisément tous les hérétiques : car, s'il était écrit : « Il donnera pour lui des ordres à ses anges », aucune Ecriture ne disait : «Jette-toi en bas », mais c'est de lui-même que le diable tirait cette suggestion. Le Seigneur le confondit donc au moyen de la Loi, en lui disant : « Il est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. »
Par cette parole contenue dans la Loi, il faisait savoir que, pour ce qui est de l'homme, celui-ci ne doit pas tenter Dieu, et que, pour son compte à lui, jamais, en son humanité visible, il ne tenterait le Seigneur son Dieu. Et ainsi l'orgueil qui s'était trouvé dans le serpent fut détruit par l'humilité qui se trouva dans l'homme.
Deux fois déjà, le diable avait donc été vaincu à partir de l'Écriture : il avait été convaincu de suggérer des choses contraires au commandement de Dieu, et la preuve avait été faite qu'il était l'ennemi de Dieu par ses dispositions. Grandement confondu, il se ramassa alors en quelque sorte en lui-même, mobilisant toute la puissance de mensonge qu'il possédait. Revenant pour la troisième fois à la charge, « il montra au Seigneur tous les royaumes du monde avec leur gloire » et lui dit, ainsi que Luc le rapporte : « Tout cela je te le donnerai — car cela m'a été livré et je le donne à qui je veux —, si, tombant à mes pieds, tu m'adores. » Alors, démasquant son adversaire et dévoilant qui était celui-ci, le Seigneur lui répliqua : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. » Il le mettait à nu par ce nom et montrait qui il était : car le mot « Satan», en langue hébraïque, signifie « apostat ». Par cette troisième victoire, le Seigneur repoussait définitivement de lui son adversaire, qui se trouvait ainsi vaincu au moyen de la Loi, et la transgression du commandement de Dieu perpétrée en Adam était détruite par l'observation du commandement de la Loi, qu'observa le Fils de l'homme en refusant de transgresser le commandement de Dieu.
Quel est-il donc, ce Seigneur Dieu à qui le Christ rend témoignage, en disant que nul ne doit le tenter" et qu'il nous faut l'adorer et ne servir que lui seul ? Sans aucun doute, c'est le Dieu qui a donné la Loi. Car ces choses avaient été prescrites par avance dans la Loi ; de plus, en citant des textes de la Loi, le Seigneur a bien fait voir que celle-ci annonçait, de la part du Père, le vrai Dieu, et que l'ange apostat à l'égard de Dieu était réduit à néant au moyen des maximes de cette même Loi, démasqué et vaincu qu'il était par le Fils de l'homme gardant le commandement de Dieu. En effet, à l'origine, il avait persuadé à l'homme de transgresser le commandement du Créateur et l'avait ainsi réduit sous son pouvoir, car son pouvoir consiste dans la transgression et l'apostasie, et c'est précisément par celles-ci qu'il avait enchaîné l'homme. Aussi fallait-il qu'il fût à son tour vaincu par le moyen de l'homme et enchaîné par les liens mêmes par lesquels il avait enchaîné l'homme, afin que l'homme ainsi libéré pût revenir à son Seigneur, en laissant à celui-là les liens par lesquels il avait lui-même été enchaîné, à savoir la transgression. Car c'est l'enchaînement de celui-là qui fut la libération de l'homme, s'il est vrai que « nul ne peut pénétrer dans la maison d'un homme fort et s'emparer de ses meubles, s'il n'a d'abord enchaîné cet homme fort». Quand donc le Seigneur l'eut convaincu de donner des conseils contraires à la parole du Dieu qui a fait toutes choses ainsi qu'à son commandement — ce commandement de Dieu, c'était la Loi —; quand l'homme qu'il était eut fait la preuve que le diable était un transfuge, un violateur de la Loi et un apostat à l'égard de Dieu : à dater de cet instant, le Verbe l'«enchaîna» hardiment comme son propre transfuge et « s'empara de ses meubles », c'est-à-dire des hommes qu'il détenait sous son pouvoir et dont il usait injustement. Et ainsi fut fait justement captif celui qui avait injustement réduit l'homme en captivité ; quant à l'homme auparavant réduit en captivité, il échappa au pouvoir de son possesseur par la miséricorde de Dieu le Père, qui eut pitié de l'ouvrage par lui modelé et lui octroya le salut en le restaurant par le Verbe, c'est-à-dire par le Christ, afin que l'homme sache par expérience que ce n'est pas de lui-même, mais par un pur don de Dieu, qu'il reçoit l'incorruptibilité.
Le Seigneur a donc clairement montré que le Seigneur véritable et le seul Dieu est celui qui fut annoncé par la Loi : car le Dieu que la Loi avait prêché par avance, c'est celui-là même que le Christ a présenté comme étant son Père, et c'est aussi lui seul que doivent servir les disciples du Christ. Le Seigneur a également anéanti notre adversaire au moyen des énoncés de la Loi : or cette Loi loue le Créateur comme Dieu et ordonne de ne servir que lui seul. S'il en est ainsi, il ne faut plus chercher un autre Père en dehors de celui-là ou au-dessus de celui-là, « puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu qui justifie les circoncis en suite de la foi et les incirconcis par le moyen de la foi». En effet, s'il existait quelque autre Père au-dessus du Créateur, jamais le Seigneur n'aurait pu anéantir l'Apostasie au moyen des paroles et des commandements de ce Créateur : une ignorance ne peut être dissipée par une autre ignorance, pas plus que par une déchéance ne peut être abolie une déchéance. Si donc la Loi provient de l'ignorance et de la déchéance, comment les énoncés qu'elle renferme ont-ils pu détruire l'ignorance du diable et triompher de l'homme fort ? Car un homme fort ne peut être supplanté ni par un plus faible ni par un égal; il ne peut l'être que par un plus fort. Or, celui qui est plus fort que tout, c'est le Verbe de Dieu. C'est lui qui crie dans la Loi : « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l'unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, et tu l'adoreras et ne serviras que lui seul. » Dans l'Evangile, d'autre part, c'est au moyen des mêmes énoncés qu'il anéantit l'Apostasie, c'est par le précepte du Père qu'il triomphe de l'homme fort, et c'est le commandement de la Loi qu'il déclare être ses propres paroles, lorsqu'il dit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » Car ce n'est pas par le commandement d'un autre, mais par le propre commandement de son Père, qu'il a anéanti l'Adversaire et vaincu l'homme fort.

 Les chrétiens instruits de leurs devoirs par ces mêmes commandements du Dieu de la Loi

Quant à nous, qui avons été libérés, c'est par ce même commandement qu'il nous a instruits de nos devoirs : avons-nous faim, il nous faut attendre la nourriture que Dieu donne ; sommes-nous élevés au faîte de tous les charismes, confiants dans nos œuvres de justice, ornés de ministères excellents, nous ne devons ni nous enorgueillir ni tenter Dieu, mais avoir d'humbles sentiments en toutes choses et garder devant nous la parole : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu» — c'est d'ailleurs ce qu'enseigne aussi l'Apôtre : « Ne vous complaisez pas dans ce qui est élevé, dit-il, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble» —; nous devons encore ne pas nous laisser emporter par les richesses, la gloire du monde et l'apparence présente, mais savoir qu'il nous faut adorer le Seigneur Dieu et ne servir que lui seul, et ne pas croire celui qui nous promet mensongèrement des biens qui ne sont pas à lui, en nous disant : « Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu m'adores. » Car lui-même avoue que l'adorer et faire sa volonté, c'est « tomber » du haut de la gloire de Dieu. Et que pourrait-il échoir d'agréable ou de bon à quelqu'un qui est tombé ? Ou que pourrait attendre un tel homme, sinon la mort ? Car, pour celui qui est tombé, la mort est proche. Et certes, le diable n'accordera pas ce qu'il a promis : comment pourrait-il l'accorder à qui est tombé ? D'ailleurs, puisque Dieu domine sur tous les êtres, y compris le diable, et que, sans la volonté de notre Père qui est aux cieux, pas même un passereau ne tombera sur la terre, les mots « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux », sont pure vantardise : la création n'est pas sous son pouvoir, puisque lui-même en fait partie, et ce n'est pas davantage lui qui procure aux hommes la royauté sur les hommes, mais toutes choses, et en particulier les affaires humaines, sont disposées suivant l'ordre établi par Dieu le Père. Le Seigneur a dit du diable qu'«il est menteur depuis le commencement et ne s'est pas tenu dans la vérité ». Si donc il est menteur et ne s'est pas tenu dans la vérité, il ne disait assurément pas la vérité, mais il mentait, lorsqu'il affirmait : « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux. »

 Le démon menteur depuis le commencement

Car il s'était déjà accoutumé, pour séduire les hommes, à mentir contre Dieu. Au commencement, en effet, Dieu avait donné à l'homme en abondance les fruits pour nourriture, tout en lui défendant de manger du fruit d'un seul arbre, ainsi qu'il résulte des paroles de Dieu à Adam rapportées par l'Ecriture : « Tu mangeras de tout arbre du paradis, mais, pour ce qui est de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, vous n'en mangerez pas : car, le jour où vous en mangerez, vous mourrez. » C'est alors que le diable mentit contre Dieu dans le but de tenter l'homme, comme le montrent bien les paroles du serpent à la femme consignées dans l'Ecriture : « Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Vous ne mangerez d'aucun des arbres du paradis  ? » La femme repoussa ce mensonge et fît connaître en toute candeur l'ordre de Dieu : « Nous mangeons, dit-elle, du fruit des arbres du paradis ; mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis Dieu a dit : Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. » Ayant ainsi appris de la femme l'ordre de Dieu, le diable usa de fourberie et la trompa par un second mensonge, en lui disant : « Non, vous ne mourrez point ! Car Dieu sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » C'est ainsi que, d'abord, dans le paradis même de Dieu, il discourait sur Dieu comme si celui-ci eût été absent — il ignorait en effet la grandeur de Dieu — ; ensuite, ayant appris de la femme que Dieu leur avait dit qu'ils mourraient au cas où ils goûteraient à l'arbre susdit, il mentait une troisième fois en disant : « Non, vous ne mourrez point ! » Que Dieu fût véridique et le serpent menteur, l'issue le fit bien voir, puisque la mort frappa ceux qui avaient mangé. Car, avec l'aliment, c'est la mort qu'ils attirèrent sur eux, parce qu'ils mangeaient en désobéissant et que la désobéissance à Dieu entraîne la mort. Aussi, à partir de ce moment, furent-ils livrés à la mort, débiteurs qu'ils étaient devenus de celle-ci.
Car ils moururent le jour même où ils mangèrent et où ils devinrent les débiteurs de la mort, pour ce motif que la création ne comporte qu'un seul jour : « Il y eut soir et il y eut matin, dit l'Ecriture : ce fut un seul jour». C'est ce jour-là qu'ils mangèrent, c'est aussi ce jour-là qu'ils moururent. D'ailleurs, à considérer le cycle et le cours des jours selon lequel on parle de premier, de deuxième, de troisième jour, si l'on veut savoir exactement quel jour de la semaine mourut Adam, on le découvrira à partir de l'« économie » du Seigneur. Car, récapitulant en lui l'homme tout entier du commencement à la fin, il a récapitulé aussi sa mort. Il est donc clair que le Seigneur a souffert la mort par obéissance à son Père le jour même où Adam mourut pour avoir désobéi à Dieu. Or le jour où celui-ci mourut est aussi celui où il avait mangé du fruit défendu, car Dieu avait dit : « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez. » Récapitulant en lui ce jour-là, le Seigneur vint donc à sa Passion la veille du sabbat, qui est le sixième jour de la création, celui où l'homme fut modelé, octroyant ainsi à celui-ci, au moyen de sa Passion, le second modelage, celui qui se fait à partir de la mort. D'autres encore reportent la mort d'Adam dans le courant du millénaire, parce qu'«un jour du Seigneur est comme mille ans » et qu'Adam ne dépassa pas le millénaire, mais mourut dans le courant de celui-ci, purgeant ainsi la peine de sa transgression. Ainsi, donc, soit que leur désobéissance ait été leur mort; soit qu'à dater de cet instant ils aient été livrés à la mort et aient été constitués débiteurs de celle-ci; soit qu'ils aient mangé et aient subi la mort en un seul et même jour, pour ce motif qu'il n'y a qu'un seul jour de toute la création ; soit que, à considérer le cycle des jours, ils aient subi la mort le jour où ils ont mangé, c'est-à-dire le jour appelé Parascève, jour que le Seigneur a fait connaître en en faisant celui de sa Passion; soit enfin qu'Adam n'ait pas dépassé le millénaire, mais ait subi la mort dans le courant de celui-ci : selon toutes ces significations, Dieu apparaît comme véridique, puisque ceux qui ont goûté de l'arbre sont morts, et le serpent apparaît comme menteur et homicide, selon ce que le Seigneur a dit de lui : « Il est homicide depuis le commencement et ne s'est pas tenu dans la vérité. »

 Les royautés terrestres établies par Dieu, non par le démon

De même donc qu'il mentit au commencement, il mentit aussi à la fin en disant : « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux. » Ce n'est pas lui, en effet, qui a délimité les royaumes de ce monde, mais Dieu, car « le cœur du roi est dans la main de Dieu ». Et le Verbe dit par la bouche de Salomon : « C'est par moi que les rois règnent et que les puissants gardent la justice; c'est par moi que les princes sont exaltés et que les chefs régissent la terre. » L'apôtre Paul dit dans le même sens : « Soyez soumis à toutes les autorités supérieures, car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été établies par Dieu. » Il dit encore à ce sujet : « Car ce n'est pas pour rien que l'autorité porte le glaive : elle est, en effet, ministre de Dieu pour exercer la colère et tirer vengeance de celui qui fait le mal. » Et la preuve qu'il ne parle pas des puissances angéliques ni des principautés invisibles, comme d'aucuns ont l'audace de l'interpréter, mais des autorités humaines, c'est qu'il dit : « C'est aussi pour cette raison que vous payez les impôts, car les magistrats sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même. » Tout cela, le Seigneur l'a confirmé en ne faisant pas ce que lui suggérait le diable et en ordonnant, d'autre part, de payer l'impôt aux percepteurs tant pour lui-même que pour Pierre : car « ils sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même».
En effet, lorsqu'il se fut séparé de Dieu, l'homme en vint à un tel degré de sauvagerie, qu'il considéra comme ennemis jusqu'à ceux de sa parenté et qu'il se précipita sans la moindre crainte dans toute espèce de désordre, de meurtre et de cupidité. Aussi Dieu leur imposa-t-il la crainte des hommes — car ils ne connaissaient plus celle de Dieu —, afin que, soumis à une autorité humaine et éduqués par ses lois, ils parviennent à une certaine justice et usent de modération les uns envers les autres, craignant le glaive placé ostensiblement devant leurs yeux, selon ce que dit l'Apôtre : « Car ce n'est pas pour rien que l'autorité porte le glaive : elle est, en effet, ministre de Dieu pour exercer la colère et tirer vengeance de celui qui fait le mal. » Et c'est pourquoi les magistrats eux-mêmes, qui ont les lois pour vêtement de justice, ne seront pas interrogés pour ce qu'ils auront fait de juste et de conforme aux lois; en revanche, pour tout ce qu'ils auront accompli au détriment de la justice, en agissant d'une façon inique, illégale et tyrannique, ils périront : car le juste jugement de Dieu atteint pareillement tous les hommes et ne connaît nulle défaillance. C'est donc pour le profit des païens qu'une autorité terrestre a été établie par Dieu — et non par le diable, qui non seulement n'est jamais en repos, mais ne saurait accepter que même les païens vivent en paix —, afin que, craignant cette autorité, les hommes ne s'entredévorent pas à la manière des poissons, mais refrènent par l'établissement de lois la grande injustice des païens. Et en cela « les magistrats sont les ministres de Dieu ».
Si donc ceux qui réclament de nous l'impôt « sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même», et si «les autorités qui existent ont été établies par Dieu», il est clair que le diable mentait, lorsqu'il disait : « Tout cela m'a été livré, et je le donne à qui je veux. » Car Celui sur l'ordre de qui naissent les hommes est aussi Celui sur l'ordre de qui sont établis des rois convenant à ceux qui, à tel moment, sont gouvernés par eux. Certains d'entre eux, en effet, sont donnés pour l'amendement et le profit de leurs sujets et pour la sauvegarde de la justice; d'autres, pour la crainte, le châtiment et la réprimande ; d'autres encore, pour la moquerie, l'insolence et l'orgueil, selon que leurs sujets le méritent : car, comme nous l'avons dit, le juste jugement de Dieu atteint pareillement tous les hommes. Quant au diable, qui n'est qu'un ange apostat, il peut tout juste faire ce qu'il a fait au commencement, c'est-à-dire séduire et détourner l'esprit de l'homme, pour qu'il transgresse le commandement de Dieu, et aveugler peu à peu les cœurs de ceux qui l'écoutent, pour qu'ils oublient le vrai Dieu et l'adorent lui-même comme Dieu.
C'est comme si un rebelle, après s'être emparé d'une contrée par un acte de brigandage, venait à semer le trouble parmi ses habitants et à usurper les honneurs royaux auprès de ceux qui ignoreraient qu'il n'est qu'un rebelle et un brigand. Tel est le diable. Il était l'un des anges préposés aux vents de l'atmosphère, ainsi que Paul l'a fait connaître dans son épître aux Éphésiens. Il se prit alors à envier l'homme et devint, par là même, apostat à l'égard de la loi de Dieu : car l'envie est étrangère à Dieu. Et comme son apostasie avait été mise au jour par le moyen de l'homme et que l'homme avait été la pierre de touche de ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment contre l'homme, envieux qu'il était de la vie de celui-ci et résolu à l'enfermer sous sa puissance apostate. Mais l'Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, après l'avoir vaincu par le moyen de l'homme et avoir démasqué son apostasie, le soumit à son tour à l'homme, en disant : « Voici que je vous donne le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, ainsi que toute la puissance de l'ennemi. » De la sorte, comme il avait dominé sur les hommes par le moyen de l'apostasie, son apostasie était à son tour réduite à néant par le moyen de l'homme revenant à Dieu.

 TROISIÈME PARTIE

L'IDENTITÉ DU DIEU CRÉATEUR ET DU DIEU PÈRE PROUVÉE PAR L'ENSEIGNEMENT DES ÉCRITURES RELATIF A LA FIN DES TEMPS

 1. L'ANTÉCHRIST

 L'apostasie de l'Antéchrist et sa prétention à être adoré comme Dieu dans le Temple de Jérusalem

Non seulement par ce qui vient d'être dit, mais encore par les événements qui auront lieu au temps de l'Antéchrist, il apparaît que le diable veut se faire adorer comme Dieu, alors qu'il n'est qu'un apostat et un brigand, et se faire proclamer roi, alors qu'il n'est qu'un esclave. Car l'Antéchrist, après avoir reçu toute la puissance du diable, viendra, non comme un roi juste ni comme soumis à Dieu et docile à sa loi, mais en impie et en effréné, comme un apostat, un injuste et un meurtrier, comme un brigand, récapitulant en lui toute l'apostasie du diable; il jettera bien à bas les idoles pour faire croire qu'il est Dieu, mais il se dressera lui-même comme l'unique idole qui concentrera en elle l'erreur multiforme de toutes les autres idoles, afin que ceux qui adoraient le diable par le truchement d'une multitude d'abominations le servent par l'entremise de cette unique idole. C'est de cet Antéchrist que l'Apôtre dit dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens : « Car il faut que vienne d'abord l'apostasie et que se révèle l'homme de péché, le fils de la perdition, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui s'appelle dieu ou objet de culte, jusqu'à siéger en qualité de Dieu dans le Temple de Dieu, en se donnant lui-même comme Dieu. » L'Apôtre indique donc de façon évidente et l'apostasie de l'Antéchrist et le fait qu'il s'élèvera au-dessus de tout ce qui s'appelle dieu ou objet de culte, c'est-à-dire de toute idole — car ce sont bien là les êtres qui sont dits « dieux » par les hommes, mais ne le sont pas —, et qu'il tentera d'une manière tyrannique de se faire passer pour Dieu.
En outre, il fait connaître une chose que nous avons déjà abondamment démontrée, à savoir que le Temple de Jérusalem avait été bâti conformément à une prescription du vrai Dieu. Car l'Apôtre lui-même, parlant en son propre nom, l'appelle proprement «Temple de Dieu». Or nous avons montré dans le troisième livre que nul autre n'est appelé Dieu par les apôtres parlant en leur propre nom, hormis le vrai Dieu, le Père de notre Seigneur. C'est donc sur son ordre qu'avait été bâti le Temple de Jérusalem, pour les motifs que nous avons dits antérieurement. Et c'est précisément dans ce Temple que siégera l'Adversaire, lorsqu'il tentera de se faire passer pour le Christ, selon ce que dit aussi le Seigneur : « Quand vous verrez l'abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, dressée dans le lieu saint — que celui qui lit comprenne ! —, alors, que ceux qui seront en Judée s'enfuient dans les montagnes, que celui qui sera sur la terrasse ne descende pas prendre quelque chose dans sa maison ! Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu'à présent et qu'il n'y en aura plus. »
Or Daniel, contemplant la fin du dernier royaume, c'est-à-dire les dix derniers rois entre lesquels sera partagé le royaume de ceux sur lesquels viendra le fils de perdition, dit que dix cornes poussèrent à la bête, puis qu'une autre corne, petite, poussa au milieu d'elles, puis que trois des premières cornes furent arrachées devant cette dernière. « Et voici, dit-il, que cette corne avait des yeux comme des yeux d'homme et une bouche proférant de grandes choses, et son aspect était plus grand que celui des autres. Je regardais, et cette corne faisait la guerre aux saints et l'emportait sur eux, jusqu'à ce que vînt l'Ancien des jours, qu'il donnât le jugement aux saints du Très-Haut, que le temps arrivât et que les saints prissent possession du royaume. » Ensuite, dans l'explication des visions, il lui fut dit : « La quatrième bête, c'est un quatrième royaume qui sera sur la terre : il l'emportera sur tous les autres royaumes, dévorera toute la terre, la foulera aux pieds et la mettra en pièces. Les dix cornes de cette bête, ce sont dix rois qui se lèveront; après eux, il s'en lèvera un autre, qui l'emportera en méchanceté sur tous ses prédécesseurs ; il abattra trois rois, il proférera des paroles contre le Très-Haut, il opprimera les saints du Très-Haut, et il formera le dessein de changer les temps et la Loi, et la possibilité lui en sera donnée jusqu'à un temps, des temps et une moitié de temps», c'est-à-dire durant trois ans et six mois, laps de temps pendant lequel, à dater de sa venue, il régnera despotiquement sur la terre.
A son sujet, l'apôtre Paul dit encore dans la deuxième épître aux Thessaloniciens, annonçant en même temps le motif de sa venue : « Et alors se révélera l'Impie, que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue, — l'Impie dont la venue s'accompagnera, grâce à l'intervention de Satan, de toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers et de toutes les séductions de l'iniquité, à l'adresse de ceux qui se perdent pour n'avoir pas accueilli l'amour de la vérité qui les eût sauvés. Et c'est pourquoi Dieu leur envoie une Puissance d'égarement pour qu'ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais se seront complu dans l'iniquité. »
Le Seigneur disait de même à ceux qui ne croyaient pas en lui : «Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas ; qu'un autre vienne en son propre nom, et vous le recevrez » : par ce mot « autre » il entendait l'Antéchrist, parce qu'il est étranger à Dieu. C'est lui aussi qui est ce juge inique dont le Seigneur a dit qu'«il ne craignait pas Dieu et ne faisait aucun cas des hommes », et vers lequel se réfugia la veuve oublieuse de Dieu, c'est-à-dire la Jérusalem terrestre, pour réclamer vengeance de son ennemi. C'est précisément ce que fera l'Antéchrist au temps de son règne : il transportera sa royauté dans Jérusalem et siégera dans le Temple de Dieu, persuadant insidieusement à ses adorateurs qu'il est le Christ.
C'est pourquoi Daniel dit encore : « Le sanctuaire sera dévasté; le péché a remplacé le sacrifice et la justice a été jetée par terre ; il a fait cela, et cela lui a réussi. » Et l'ange Gabriel, expliquant à Daniel les visions, disait de ce même Antéchrist : « A la fin de leur règne se lèvera un roi impudent de visage et habile à saisir les problèmes. Sa force sera considérable; il fera de prodigieux ravages, réussira dans ses entreprises, fera périr les puissants et le peuple saint; le joug de son carcan s'affermira; la ruse sera dans sa main et il s'enorgueillira dans son cœur ; par la ruse il fera périr beaucoup de gens et se dressera pour la perte d'un grand nombre ; il les brisera de sa main comme des œufs. » Dans la suite, l'ange indique encore le temps de sa domination tyrannique, temps durant lequel seront persécutés les saints qui offrent à Dieu un sacrifice pur : « A la moitié de la semaine, dit-il, cesseront mon sacrifice et ma libation, et dans le sanctuaire sera l'abomination de la désolation, et jusqu'à la consommation du temps la consommation sera donnée par-dessus la désolation. » La « moitié de la semaine», ce sont trois ans et six mois.
Tout cela ne nous fait pas seulement connaître ce qui a trait à l'apostasie et à celui qui récapitulera en lui toute l'erreur diabolique, mais nous indique aussi qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu Père, à savoir Celui qui fut annoncé par les prophètes et manifesté par le Christ. Car, si les prophéties de Daniel relatives à la fin des temps ont été confirmées par le Seigneur — « Quand vous verrez, dit celui-ci, l'abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel... » — ; si, d'autre part, Daniel a reçu de l'ange Gabriel l'explication de ses visions et si ce dernier est tout à la fois l'archange du Créateur et celui qui annonça à Marie la bonne nouvelle de la venue visible et de l'incarnation du Christ : la preuve est faite avec évidence qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu, qui a envoyé les prophètes, puis a envoyé son Fils, et nous a ainsi appelés à sa connaissance.

 La division du dernier royaume et le triomphe final du Christ

Une révélation plus claire encore, au sujet des derniers temps et des dix rois entre lesquels sera alors divisé l'empire qui domine maintenant, a été faite par Jean, le disciple du Seigneur, dans son Apocalypse. Expliquant quelles étaient les dix cornes vues par Daniel, Jean rapporte qu'il lui fut dit : « Les dix cornes que tu as vues sont dix rois, qui n'ont pas encore reçu de royaume, mais qui recevront pouvoir comme rois, pour une heure, avec la bête. Ils n'ont qu'une pensée : faire hommage à la bête de leur force et de leur pouvoir. Ils feront la guerre à l'Agneau, et l'Agneau les vaincra, parce qu'il est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois » Il est donc clair que celui qui doit venir tuera trois de ces dix rois, que les autres lui seront soumis et qu'il sera lui-même le huitième d'entre eux; ils dévasteront Babylone et la réduiront en cendres, feront hommage de leur royauté à la bête et persécuteront l'Eglise ; après quoi ils seront anéantis par l'apparition de notre Seigneur.
Que le royaume doive être divisé et, par là, aller à sa perte, le Seigneur l'a dit : « Tout royaume divisé contre lui-même court à sa ruine, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne saurait se maintenir. » Le royaume, la ville et la maison doivent donc être divisés en dix parties, et c'est pourquoi le Seigneur a d'ores et déjà prédit ce partage et cette division.
Daniel identifie, lui aussi, de façon précise, la fin du quatrième royaume avec les orteils de la statue vue par Nabuchodonosor, orteils que vint heurter la pierre détachée sans l'intervention d'une main. Voici ses paroles : « Les pieds de la statue étaient en partie de fer et en partie d'argile ; une pierre fut alors détachée, sans l'intervention d'une main, frappa la statue à ses pieds de fer et d'argile et les brisa complètement. » Plus loin, dans l'explication de cette vision, il dit : « Si tu as vu les pieds et les orteils en partie d'argile et en partie de fer, c'est que ce sera un royaume divisé ; il y aura en lui de la stabilité du fer, selon que tu as vu du fer mêlé à l'argile. Et les orteils étaient en partie de fer et en partie d'argile. » Ces dix orteils sont donc les dix rois entre lesquels sera divisé le royaume ; de ces rois, les uns seront forts et agissants, tandis que les autres seront faibles et oisifs, et ils ne s'accorderont pas entre eux, selon ce que dit encore Daniel : « Une partie du royaume sera forte, et par elle l'autre partie sera brisée. Si tu as vu le fer mêlé à l'argile, c'est qu'ils seront mêlés de semence d'homme ; et ils n'adhéreront pas l'un à l'autre, de même que le fer ne peut s'allier avec l'argile. » Le prophète dit aussi ce qui doit survenir à la fin : « Dans le temps de ces rois, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit et dont la souveraineté ne sera pas laissée à un autre peuple. Il brisera et anéantira tous les royaumes, et lui-même sera exalté à jamais, selon que tu as vu une pierre se détacher de la montagne, sans l'intervention d'une main, et briser l'argile, le fer, l'airain, l'argent et l'or. Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver dans la suite : le songe est véritable et son interprétation certaine »
Si donc le « grand Dieu » a fait connaître l'avenir par Daniel et a confirmé cette prophétie par son Fils ; si, de plus, le Christ est la pierre détachée sans l'intervention d'une main, qui doit anéantir les royaumes temporels et amener le royaume éternel, c'est-à-dire la résurrection des justes — car « le Dieu du ciel, est-il dit, suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit» — : qu'ils s'avouent vaincus et reviennent à résipiscence, ceux qui, rejetant le Créateur, n'admettent pas que les prophètes aient été envoyés par le Père même de la part de qui est venu le Seigneur, mais affirment que les prophéties provenaient de différentes Puissances. Car, ce que le Créateur avait prédit d'une façon identique par tous les prophètes, cela même le Christ l'a accompli à la fin, exécutant la volonté de son Père et réalisant son « économie » humaine. Ceux donc qui blasphèment le Créateur — soit en propres termes et ouvertement, comme les disciples de Marcion, soit par des détours de pensée, comme les disciples de Valentin et tous les « Gnostiques » au nom menteur —, qu'ils soient tenus par tous les gens pieux pour des instruments de Satan, par l'entremise desquels celui-ci a entrepris, de nos jours, ce qu'il n'avait pas encore entrepris auparavant, à savoir de maudire Dieu, qui a préparé le feu éternel pour toute l'apostasie.

 Le juste jugement de Dieu contre Satan et tous ceux qui participent à son apostasie.

Car il n'ose blasphémer son Seigneur par lui-même et à découvert, de même que, au commencement, c'est par l'entremise du serpent qu'il a séduit l'homme, comme pour se dérober aux regards de Dieu. Et c'est à bon droit que Justin a dit qu'avant la venue du Seigneur, Satan n'avait jamais osé blasphémer Dieu, parce qu'il ignorait encore sa condamnation : car c'est en paraboles et en allégories que les prophètes avaient parlé de lui. Mais depuis la venue du Seigneur, par les paroles du Christ et de ses apôtres, il sait de façon claire qu'un feu éternel a été préparé pour lui, qui s'est séparé de Dieu de son propre mouvement, et pour tous ceux qui, refusant de faire pénitence, auront persévéré dans l'apostasie. Aussi, par les hommes de cette sorte, blasphème-t-il le Seigneur qui doit faire venir le jugement, comme quelqu'un qui est déjà condamné, et impute-t-il son péché d'apostasie à son Créateur et non à sa libre décision, à la manière de ces transgresseurs des lois qui, venant à subir leur peine, incriminent le législateur au lieu de s'en prendre à eux-mêmes. De même aussi ces gens, remplis d'un esprit diabolique, profèrent d'innombrables accusations à l'adresse de Celui qui nous a faits, nous a donné l'Esprit de vie et a établi une loi appropriée à tous, et ils n'admettent pas que soit juste le jugement de Dieu : c'est pourquoi ils imaginent un autre Père, qui n'aurait ni souci ni soin de nos affaires, ou même approuverait tous les péchés.
Car, si le Père ne juge pas, c'est qu'il n'a nul souci de nos actes, ou qu'il approuve tout ce que nous faisons. Du même coup, s'il ne juge pas, tous les hommes seront sur un pied d'égalité et se verront assigner un rang identique. Superflue est, dès lors, la venue du Christ. Celle-ci est même en contradiction avec l'absence d'un jugement de sa part. Car, précisément, « il est venu pour séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la bru de sa belle-mère » ; pour, de deux hommes étendus sur le même lit, prendre l'un et laisser l'autre et, de deux femmes occupées à moudre ensemble, prendre l'une et laisser l'autre; pour ordonner aux moissonneurs, à la fin des temps, de ramasser d'abord l'ivraie, de la lier en bottes et de la brûler dans un feu inextinguible, puis d'amasser le froment dans le grenier; enfin pour appeler les agneaux au royaume préparé pour eux et envoyer les boucs au feu éternel préparé par le Père pour le diable et ses anges. Qu'est-ce donc à dire ? Que le Verbe est venu « pour la chute et le relèvement d'un grand nombre » : pour la chute de ceux qui ne croient pas en lui et qu'il a menacés, au jour du jugement, d'une peine plus sévère que celle de Sodome et de Gomorrhe, et pour le relèvement de ceux qui croient et font la volonté de son Père qui est dans les cieux. Si donc la venue du Fils, tout en atteignant pareillement tous les hommes, est cependant propre à opérer un jugement et à séparer les croyants d'avec les incrédules — car c'est de leur propre mouvement que les croyants font sa volonté, comme c'est aussi de leur propre mouvement que les incrédules ne reçoivent pas son enseignement —, il est clair que son Père aussi a créé pareillement tous les hommes possédant chacun sa propre capacité de décision et son libre arbitre, mais qu'il n'en veille et n'en pourvoit pas moins à toutes choses, « faisant lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes».
Et à tous ceux qui gardent son amour, il accorde sa communion. Or la communion de Dieu, c'est la vie, la lumière et la jouissance des biens venant de lui. Au contraire, à tous ceux qui se séparent volontairement de lui, il inflige la séparation qu'eux-mêmes ont choisie. Or la séparation d'avec Dieu, c'est la mort; la séparation d'avec la lumière, ce sont les ténèbres ; la séparation d'avec Dieu, c'est la perte de tous les biens venant de lui. Ceux donc qui, par leur apostasie, ont perdu ce que nous venons de dire, étant privés de tous les biens, sont plongés dans tous les châtiments : non que Dieu prenne les devants pour les châtier, mais le châtiment les suit par là même qu'ils sont privés de tous les biens. Or éternels et sans fin sont les biens venant de Dieu : c'est pourquoi leur privation est, elle aussi, éternelle et sans fin. De la même manière, parce que la lumière est chose permanente, ceux qui se sont aveuglés eux-mêmes ou ont été aveuglés par d'autres sont privés d'une façon permanente de la jouissance de la lumière, non que la lumière leur inflige la peine contenue dans la cécité, mais parce que la cécité elle-même entraîne pour eux ce malheur.
C'est pourquoi le Seigneur disait : « Celui qui croit en moi n'est pas jugé» ; autrement dit, il n'est pas séparé de Dieu, puisqu'il est uni à Dieu par la foi. «Mais, ajoute-t-il, celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » ; autrement dit, il s'est lui-même séparé de Dieu par sa libre décision. « Car en ceci consiste le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas vers la lumière, de peur que ses œuvres ne soient démasquées. Mais celui qui fait la vérité vient vers la lumière, afin qu'il apparaisse que ses œuvres sont faites en Dieu. »
Ainsi donc, parce qu'en ce monde les uns accourent à la lumière et s'unissent à Dieu par la foi, tandis que les autres s'éloignent de la lumière et se séparent de Dieu, le Verbe de Dieu viendra assigner à tous une demeure appropriée : aux uns, dans la lumière, pour qu'ils jouissent des biens qu'elle contient ; aux autres, dans les ténèbres, pour qu'ils aient en partage la peine qu'elles renferment. Et c'est pourquoi le Seigneur dit qu'il appellera ceux de la droite au royaume du Père, tandis qu'il enverra ceux de la gauche au feu éternel : car ces derniers se seront eux-mêmes privés de tous les biens.
Et c'est pourquoi l'Apôtre dit : « Parce qu'ils n'ont pas accueilli l'amour de Dieu qui les eût sauvés, pour ce motif même Dieu leur envoie une Puissance d'égarement pour qu'ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais se seront complu dans l'iniquité. » Car, pour ce qui est de celui qui doit venir, c'est volontairement qu'il récapitulera l'apostasie en lui-même, comme c'est de son propre mouvement qu'il fera tout ce qu'il fera et qu'il siégera dans le Temple de Dieu afin d'être adoré, en qualité de Christ, par ceux qu'il aura trompés : aussi sera-t-il justement précipité dans l'étang de feu. Quant à Dieu, il sait par avance toutes choses grâce à sa prescience et, au moment convenable, il enverra celui qui doit être tel, « pour que les hommes croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais se seront complu dans l'iniquité ».

 Le chiffre du nom de l'Antéchrist, annonce de la récapitulation de toute l'apostasie en sa personne

Sa venue est décrite par Jean, dans l'Apocalypse, de la manière suivante : « La bête que je vis ressemblait à un léopard; ses pieds étaient comme ceux d'un ours, et sa gueule était comme une gueule de lion. Le dragon lui donna sa puissance, son trône et un grand pouvoir. Je vis l'une de ses têtes comme blessée à mort ; mais sa plaie mortelle fut guérie. Et toute la terre s'émerveilla derrière la bête, et l'on adora le dragon, parce qu'il avait donné le pouvoir à la bête, et l'on adora la bête en disant : Qui est semblable à la bête, et qui peut lutter avec elle ? Il lui fut donné une bouche proférant des paroles arrogantes et des blasphèmes. Il lui fut donné pouvoir d'agir pendant quarante-deux mois. Elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphèmes contre Dieu, pour blasphémer son nom et sa demeure et ceux qui habitent dans le ciel. Il lui fut donné pouvoir sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. Tous les habitants de la terre l'adoreront, elle dont le nom n'est pas écrit depuis la fondation du monde dans le livre de vie de l'Agneau immolé. Si quelqu'un a des oreilles, qu'il entende ! Si quelqu'un mène en captivité, il ira en captivité. Si quelqu'un tue par l'épée, il faut qu'il soit tué par l'épée. C'est ici la persévérance et la foi des saints. » Jean parle ensuite de l'écuyer de la bête, qu'il appelle aussi le faux prophète : « Il parlait, dit-il, comme un dragon. Tout le pouvoir de la première bête, il l'exerce en sa présence. Il amène la terre et ses habitants à adorer la première bête, celle dont la plaie mortelle a été guérie. Il opère de grands prodiges, jusqu'à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes. Il séduit les habitants de la terre. » Cela, pour qu'on ne croie pas qu'il opère ces prodiges par la puissance divine, mais bien par une opération magique. Et il n'y a là rien de bien extraordinaire, en vérité, si c'est avec l'aide des démons et des esprits apostats qu'il opère les prodiges par lesquels il pourra séduire les habitants de la terre. « Il ordonnera, poursuit Jean, de faire une image de la bête. Il animera cette image, au point qu'elle en vienne même à parler, et il fera mettre à mort tous ceux qui n'adoreront pas cette image. Il fera encore donner à tous une marque sur le front et sur la main droite, afin que personne ne puisse acheter ni vendre, s'il n'a la marque du nom de la bête ou le chiffre de son nom : ce chiffre, c'est six cent soixante-six», c'est-à-dire six centaines, six dizaines et six unités, pour récapituler toute l'apostasie perpétrée durant six mille ans.
Car autant de jours a comporté la création du monde, autant de millénaires comprendra sa durée totale. C'est pourquoi le livre de la Genèse dit : « Ainsi furent achevés le ciel et la terre et toute leur parure. Dieu acheva le sixième jour les œuvres qu'il fit, et Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu'il avait faites.» Ceci est à la fois un récit du passé, tel qu'il se déroula, et une prophétie de l'avenir : en effet, si « un jour du Seigneur est comme mille ans » et si la création a été achevée en six jours, il est clair que la consommation des choses aura lieu la six millième année.
C'est pourquoi, durant tout ce temps, l'homme modelé au commencement par les Mains de Dieu, je veux dire par le Fils et par l'Esprit, devient à l'image et à la ressemblance de Dieu : la paille — c'est-à-dire l'apostasie — est enlevée, tandis que le froment — c'est-à-dire ceux qui portent comme fruit la foi en Dieu — est introduit dans le grenier. C'est pourquoi aussi la tribulation est nécessaire à ceux qui sont sauvés, pour que, étant en quelque sorte moulus, puis pétris par la patience avec le Verbe de Dieu, et enfin cuits au four, ils soient aptes au festin du Roi. Comme l'a dit quelqu'un des nôtres, condamné aux bêtes à cause du témoignage rendu par lui à Dieu : «Je suis le froment du Christ, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain de Dieu. »
Dans les livres précédents, nous avons donné les motifs pour lesquels Dieu a permis qu'il en fût ainsi, et nous avons montré que tous les événements de cette sorte se sont accomplis au bénéfice de l'homme qui est sauvé, faisant mûrir son libre arbitre en vue de l'immortalité et rendant l'homme plus apte à l'éternelle soumission à Dieu. Voilà pourquoi la création est dépensée au bénéfice de l'homme : car ce n'est pas l'homme qui a été fait pour elle, mais elle pour l'homme. Les païens eux-mêmes, qui n'ont pas levé les yeux vers le ciel, ni rendu grâces à leur Créateur, ni voulu voir la lumière de la vérité, mais, tels des rats, se sont enfoncés dans la profondeur de leur folie, ont été justement considérés par l'Ecriture comme une goutte d'eau suspendue à une cruche, comme un grain de poussière dans une balance, comme un pur néant : ils sont utiles aux justes, autant que la tige est utile pour la croissance du blé, et la paille pour la combustion en vue du travail de l'or. Et c'est pourquoi, à la fin, lorsque l'Église sera enlevée d'un seul coup d'ici-bas, « il y aura, est-il dit, une tribulation telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement et qu'il n'y en aura plus ». Car ce sera le dernier combat des justes, où les vainqueurs seront couronnés de l'incorruptibilité.
C'est pourquoi aussi, dans la bête qui doit venir, aura lieu la récapitulation de toute iniquité et de toute tromperie, afin que toute la puissance de l'apostasie, ayant conflué vers elle et s'étant ramassée en elle, soit jetée dans la fournaise de feu. C'est donc à juste titre que le nom de la bête aura le chiffre six cent soixante-six, récapitulant en lui tout le mélange de mal qui se déchaîna avant le déluge par suite de l'apostasie des anges — car Noé avait six cents ans, lorsque le déluge survint sur la terre et anéantit les êtres vivants de la terre à cause de la génération perverse du temps de Noé —, récapitulant aussi toute l'erreur idolâtrique postérieure au déluge et le meurtre des prophètes et le supplice du feu infligé aux justes — car la statue dressée par Nabuchodonosor avait soixante coudées de hauteur et six coudées de largeur, et c'est pour avoir refusé de l'adorer qu'Ananias, Azarias et Misaël furent jetés dans la fournaise de feu, prophétisant par cela même qui leur arrivait l'épreuve du feu que subiront les justes à la fin des temps : toute cette statue a été, en effet, une préfiguration de l'avènement de celui qui prétendra se faire adorer lui seul par tous les hommes sans exception —. Ainsi donc, les six cents ans de Noé, au temps de qui le déluge eut lieu à cause de l'apostasie, et le nombre des coudées de la statue, à cause de laquelle les justes furent jetés dans la fournaise de feu, signifient le chiffre du nom de cet homme en lequel sera récapitulée toute l'apostasie, l'injustice, l'iniquité, la fausse prophétie et la tromperie de six mille ans, à cause de quoi surviendra le déluge de feu.

 Le chiffre du nom de l'Antéchrist permet-il de connaître ce nom avec certitude dès à présent ?

S'il en est ainsi, si ce chiffre figure sur toutes les copies se recommandant par leur ancienneté, si ceux qui ont vu Jean de leurs yeux attestent et si la raison nous enseigne que le chiffre du nom de la bête, compté à la manière des Grecs à l'aide des lettres que contient ce nom, est de six cent soixante-six, c'est-à-dire comporte un nombre de dizaines égal à celui des centaines et un nombre de centaines égal à celui des unités — car le nombre six conservé partout pareillement indique bien la récapitulation de toute l'apostasie perpétrée au commencement, au milieu des temps et à la fin —, je ne sais comment certains ont pu se fourvoyer sous l'impulsion d'une opinion particulière et répudier le nombre médian, retranchant de celui-ci cinquante unités et ne voulant qu'une dizaine au lieu de six. Sans doute y a-t-il eu là une erreur de scribe, telle qu'il s'en produit couramment du fait que les chiffres sont écrits aussi au moyen de lettres : car la lettre xi (= 60) s'étend facilement de manière à former un iota (= 10). Certains ont ensuite accepté le nouveau nombre sans plus ample examen : les uns l'ont utilisé simplement et sans arrière-pensée ; les autres, dans leur sottise, se sont aventurés jusqu'à chercher des noms ayant ce nombre erroné. Ceux qui ont agi simplement et sans penser à mal, on peut croire qu'ils obtiendront de Dieu leur pardon. Mais tous ceux qui, par vaine gloire, chercheront à déterminer des noms contenant le nombre erroné et déclareront que le nom imaginé par eux est celui de l'homme qui doit venir, de telles gens ne s'en tireront pas sans dommage, pour s'être séduits eux-mêmes et avoir séduit ceux qui se seront fiés à eux. D'abord, il y a dommage à s'écarter de la vérité et à prendre ce qui n'est pas pour ce qui est ; ensuite, s'il est vrai que quiconque ajoute ou retranche à l'Écriture subira un châtiment exemplaire, celui-ci frappera inéluctablement un homme de cette sorte. Un autre danger encore — et non négligeable — menace ceux qui s'imaginent faussement savoir le nom de l'Antéchrist : si ceux-ci opinent pour un nom et que celui-là vienne avec un autre, ils seront aisément séduits par lui, du fait qu'ils ne croiront pas encore présent celui dont il leur faudrait se garder.
De tels hommes doivent donc réapprendre et revenir au vrai chiffre du nom de l'Antéchrist, s'ils ne veulent pas être mis au rang des faux prophètes. Puis, connaissant de façon sûre le chiffre indiqué par l'Ecriture, c'est-à-dire six cent soixante-six, qu'ils attendent d'abord la division du royaume entre les dix rois ; ensuite, quand ceux-ci régneront et qu'ils s'imagineront affermir leur pouvoir et étendre leur empire, l'homme qui surgira alors à l'improviste pour usurper la royauté et terrifier ces rois et qui portera un nom contenant le chiffre ci-dessus indiqué, cet homme-là, qu'ils sachent que c'est bien réellement lui «l'abomination de la désolation». C'est cela même que dit l'Apôtre : « Quand ils diront : Paix et sécurité, c'est alors qu'une ruine soudaine fondra sur eux. » De son côté, Jérémie, non content de souligner la soudaineté de sa venue, avait fait connaître la tribu d'où il sortirait : « Depuis Dan nous entendrons le bruit de la course de ses chevaux; au bruit du hennissement de ses coursiers toute la terre sera épouvantée ; et il viendra, et il dévorera la terre et ce qu'elle renferme, la ville et ceux qui l'habitent. » C'est pour cette raison que la tribu de Dan n'est pas comptée, dans l'Apocalypse, parmi celles qui sont sauvées .
Il est donc plus sûr et moins dangereux d'attendre l'accomplissement de cette prophétie, que de se livrer à des recherches et de conjecturer les premiers noms venus, car on peut trouver un grand nombre de noms ayant le chiffre que nous avons dit, et le problème n'en demeurera pas moins posé : en effet, si l'on trouve beaucoup de noms ayant ce chiffre, on se demandera quel est celui d'entre eux que portera l'homme qui doit venir. Ce n'est pas faute de noms ayant le chiffre du nom de l'Antéchrist que nous parlons de la sorte, mais par crainte de Dieu et par zèle de la vérité. Car le mot ??????? (Florissant), par exemple, possède bien le chiffre cherché, mais nous n'affirmons rien à son sujet pour autant. Le mot ???????? (Latin) a également le chiffre six cent soixante-six et est tout à fait digne de créance, puisque le dernier royaume possède précisément ce nom : car ce sont les Latins qui dominent en ce moment ; cependant, nous ne nous ferons pas gloire de ce mot. Le mot ?????? (Titan) — en écrivant la première syllabe avec deux voyelles, l'epsilon et l'iota — est, de tous ceux qui se rencontrent chez nous, le plus digne de créance. En effet, il possède le chiffre que nous avons dit et se compose de six lettres, chaque syllabe étant constituée par trois lettres ; c'est un nom ancien et exceptionnel, car aucun de nos rois ne s'est appelé Titan, et aucune des idoles publiquement adorées chez les Grecs et les barbares ne possède ce nom ; ce nom passe même pour divin auprès de beaucoup, au point que le soleil est appelé Titan par ceux qui dominent en ce moment; ce nom contient encore l'évocation d'un châtiment et d'un vengeur, et c'est un fait que l'Antéchrist affectera de venger les victimes des mauvais traitements ; surtout, enfin, c'est un nom digne d'un roi, et plus encore d'un tyran. Ainsi, le nom de Titan possède assez de probabilité pour nous permettre de conclure, à partir d'indices nombreux, qu'il pourrait fort bien être celui de l'homme qui doit venir. Cependant, nous ne risquerons pas notre fortune sur lui ni ne déclarerons péremptoirement que l'Antéchrist portera ce nom-là, sachant que, si son nom avait dû être ouvertement proclamé dès à présent, il aurait été dit par celui qui a vu l'Apocalypse : car il n'y a pas très longtemps que celle-ci a été vue, mais cela s'est passé presque au temps de notre génération, vers la fin du règne de Domitien.
En fait, Jean a fait connaître le chiffre du nom de l'Antéchrist, afin que nous nous gardions de lui lorsqu'il viendra, sachant qui il est ; mais il a tu son nom, parce que celui-ci n'était pas digne d'être proclamé par l'Esprit Saint. Si, en effet, ce nom avait été proclamé par lui, peut-être l'Antéchrist eut-il dû demeurer longtemps ; mais puisqu'en fait « il était et n'est plus, et qu'il monte de l'abîme pour aller à sa perte», comme s'il n'était jamais venu à l'existence, son nom n'a pas été proclamé : car on ne proclame pas le nom de ce qui n'est pas. Or, après que l'Antéchrist aura réduit le monde entier à l'état de désert, qu'il aura régné trois ans et six mois et qu'il aura siégé dans le Temple de Jérusalem, le Seigneur viendra du haut du ciel, sur les nuées, dans la gloire de son Père, et il enverra dans l'étang de feu l'Antéchrist avec ses fidèles ; il inaugurera en même temps pour les justes les temps du royaume, c'est-à-dire le repos, le septième jour qui fut sanctifié, et il donnera à Abraham l'héritage promis : c'est là le royaume en lequel, selon la parole du Seigneur, « beaucoup viendront du levant et du couchant pour prendre place à table avec Abraham, Isaac et Jacob».

 2.   LA  « RÉSURRECTION DES JUSTES »

 Etapes progressives dans l'acheminement des justes vers la vie céleste

Mais certains, qui passent pour croire avec rectitude, négligent l'ordre suivant lequel devront progresser les justes et méconnaissent le rythme selon lequel ils s'exerceront à l'incorruptibilité. Ils ont ainsi en eux des pensées hérétiques : car les hérétiques, méprisant l'ouvrage modelé par Dieu et n'acceptant pas le salut de leur chair, dédaignant aussi, par ailleurs, la promesse de Dieu et dépassant complètement Dieu par leurs pensées, assurent qu'aussitôt après leur mort ils monteront par-dessus les cieux et pardessus le Créateur lui-même, pour aller vers la « Mère », ou vers le Père faussement imaginé par eux. Ceux donc qui rejettent catégoriquement la résurrection et, autant qu'il dépend d'eux, la suppriment, qu'y a-t-il d'étonnant s'ils ignorent jusqu'à l'ordre selon lequel aura lieu cette résurrection ? Ils ne veulent pas comprendre que, si les choses étaient telles qu'ils le prétendent, le Seigneur lui-même, en qui ils se targuent de croire, n'aurait pas opéré sa résurrection après trois jours, mais, après avoir expiré sur la croix, serait aussitôt remonté dans les hauteurs en abandonnant son corps à la terre. En fait, trois jours durant, il a séjourné là où étaient les morts, selon ce que le prophète dit de lui : « Le Seigneur s'est souvenu de ses saints morts qui dormaient dans la terre du tombeau, et il est descendu vers eux pour les libérer, pour les sauver. » Le Seigneur lui-même dit de son côté : « De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre. » Son Apôtre dit aussi : « Que signifie : "Il est monté", sinon qu'il était descendu dans les régions inférieures de la terre ? » David, prophétisant de lui, avait dit de même : « Tu as délivré mon âme des profondeurs de l'enfer. » Et, après être ressuscité le troisième jour, le Seigneur disait à Marie, qui était la première à le voir et qui s'était jetée à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père ; mais va vers mes disciples et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père. »
Si donc le Seigneur lui-même a observé la loi des morts, pour devenir le Premier-né des morts, s'il a séjourné trois jours dans les régions inférieures de la terre, s'il est ensuite ressuscité dans sa chair, de façon à pouvoir montrer à ses disciples jusqu'aux marques des clous, et si après tout cela seulement il est monté vers son Père, comment ne rougissent-ils pas, ceux qui prétendent que les enfers s'identifient avec notre monde et que leur « homme intérieur», laissant ici-bas le corps, doit monter dans le lieu supracéleste ? Puisque le Seigneur « s'en est allé au milieu de l'ombre de la mort», là où étaient les âmes des morts, qu'il est ensuite ressuscité corporellement et qu'après sa résurrection seulement il a été enlevé au ciel, il est clair qu'il en ira également de même pour ses disciples, puisque c'est pour eux que le Seigneur a fait tout cela : leurs âmes iront donc au lieu invisible qui leur est assigné par Dieu et elles y séjourneront jusqu'à la résurrection, attendant cette résurrection ; puis elles recouvreront leurs corps et ressusciteront intégralement, c'est-à-dire corporellement, à la manière même dont le Seigneur est ressuscité, et elles viendront de la sorte en la présence de Dieu : « car il n'y a pas de disciple qui soit au-dessus du Maître, mais tout disciple, une fois devenu parfait, sera comme son Maître». Notre Maître ne s'est pas aussitôt envolé, mais il a d'abord attendu le moment de sa résurrection, qu'avait fixé son Père et qu'avait indiqué l'histoire de Jonas, puis il est ressuscité après trois jours et, ensuite seulement, a été enlevé au ciel : ainsi nous-mêmes, nous devons d'abord attendre le moment de notre résurrection arrêté par Dieu et annoncé par les prophètes, puis, une fois ressuscites, nous serons enlevés au ciel, tous ceux d'entre nous du moins que le Seigneur en aura jugés dignes.

 Le royaume des justes, accomplissement de la promesse faite par Dieu aux pères

Ainsi donc, certains se laissent induire en erreur par les discours hérétiques, au point de méconnaître les « économies » de Dieu et le mystère de la résurrection des justes et du royaume qui sera le prélude de l'incorruptibilité, royaume par lequel ceux qui en auront été jugés dignes s'accoutumeront peu à peu à saisir Dieu. Aussi est-il nécessaire de déclarer à ce sujet que les justes doivent d'abord, dans ce monde rénové, après être ressuscites à la suite de l'apparition du Seigneur, recevoir l'héritage promis par Dieu aux pères et y régner ; ensuite seulement aura lieu le jugement de tous les hommes. Il est juste, en effet, que, dans ce monde même où ils ont peiné et où ils ont été éprouvés de toutes manières par la patience, ils recueillent le fruit de cette patience ; que, dans le monde où ils ont été mis à mort à cause de leur amour pour Dieu, ils retrouvent la vie ; que, dans le monde où ils ont enduré la servitude, ils règnent. Car Dieu est riche en tous biens, et tout lui appartient. Il convient donc que le monde lui-même, restauré en son état premier, soit, sans plus aucun obstacle, au service des justes. C'est ce que l'Apôtre fait connaître dans son épître aux Romains, lorsqu'il dit : « La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu :  car elle a été assujettie à la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui l'y a assujettie, avec l'espérance qu'elle aussi serait un jour libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. »
De cette manière, également, la promesse faite jadis par Dieu à Abraham demeure stable. Il lui avait dit, en effet : « Lève les yeux et, du lieu où tu es, regarde vers le nord et vers le midi, vers l'orient et vers la mer : toute la terre que tu vois, je la donnerai à toi et à ta postérité à jamais. » Il lui avait dit encore : «Lève-toi, parcours la terre dans sa longueur et dans sa largeur, car je te la donnerai. » Pourtant Abraham ne reçut sur terre aucun héritage, pas même un pouce de terrain, mais toujours il y fut « un étranger et un hôte de passage ». Et lorsque mourut Sara, sa femme, comme les Hétéens voulaient lui donner gratuitement un lieu pour l'ensevelir, il ne voulut point l'accepter, mais il acheta un tombeau pour quatre cents didrachmes d'argent à Ephron, fils de Séor, le Hétéen. Il attendait la promesse de Dieu et ne voulait point paraître recevoir des hommes ce que Dieu avait promis de lui donner, en disant : «Je donnerai à ta postérité cette terre, depuis le fleuve d'Egypte jusqu'au grand fleuve, l'Euphrate » ; et il lui avait énuméré les dix nations qui habitaient toute cette contrée. Si donc Dieu lui a promis l'héritage de la terre et s'il ne l'a pas reçu durant tout son séjour ici-bas, il faut qu'il le reçoive avec sa postérité, c'est-à-dire avec ceux qui craignent Dieu et croient en lui, lors de la résurrection des justes. Or sa postérité c'est l'Eglise, qui, par le Seigneur, reçoit la filiation adoptive à l'égard d'Abraham, comme le dit Jean-Baptiste : « Car Dieu peut, à partir des pierres, susciter des fils à Abraham. » L'Apôtre aussi dit dans son épître aux Galates : « Pour vous, frères, vous êtes, à la manière d'Isaac, les enfants de la promesse. » Il dit encore clairement, dans la même épître, que ceux qui ont cru au Christ reçoivent, par le Christ, la promesse faite à Abraham : « C'est à Abraham que les promesses ont été faites et à sa postérité. On ne dit pas : "et à ses descendants", au pluriel, mais au singulier : "et à sa postérité", laquelle n'est autre que le Christ. » Et, pour confirmer tout cela, il dit encore : « C'est ainsi qu'Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice. Reconnaissez-le donc : ceux qui sont de la foi, ce sont eux les fils d'Abraham. Or, prévoyant que Dieu justifierait les gentils par la foi, l'Écriture annonça d'avance à Abraham cette bonne nouvelle : Toutes les nations seront bénies en toi. Ceux qui sont de la foi sont donc bénis avec Abraham le croyant. » Ainsi donc, ceux qui sont de la foi sont bénis avec Abraham le croyant, et ce sont eux les fils d'Abraham. Or Dieu a promis l'héritage de la terre à Abraham et à sa postérité. Si donc ni Abraham ni sa postérité, c'est-à-dire ceux qui sont justifiés par la foi, ne reçoivent maintenant d'héritage sur terre, ils le recevront lors de la résurrection des justes, car Dieu est véridique et stable en toutes choses. Et c'est pour ce motif que le Seigneur disait : « Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre en héritage'. »

 L'héritage de la terre annoncé par le Christ et prophétisé par la bénédiction de Jacob et par Isaïe

C'est pourquoi, lorsqu'il vint à sa Passion, pour annoncer à Abraham et à ceux qui étaient avec lui la bonne nouvelle de l'ouverture de cet héritage, après avoir rendu grâces sur la coupe, en avoir bu et l'avoir donnée à ses disciples, il leur dit : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui va être répandu pour un grand nombre en rémission des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de cette vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » Sans aucun doute, c'est dans l'héritage de la terre qu'il le boira, de cette terre que lui-même renouvellera et rétablira dans son état premier pour le service de la gloire des enfants de Dieu, selon ce que dit David : « Il renouvellera la face de la terre. » En promettant d'y boire du fruit de la vigne avec ses disciples, il a fait connaître ces deux choses : l'héritage de la terre, en lequel sera bu le fruit nouveau de la vigne, et la résurrection corporelle de ses disciples. Car la chair qui ressuscitera dans une condition nouvelle est aussi celle-là même qui aura part à la coupe nouvelle. Ce n'est pas, en effet, alors qu'il serait dans un lieu supérieur et supracéleste avec ses disciples, que le Seigneur peut être conçu comme buvant du fruit de la vigne ; et ce ne sont pas davantage des êtres dépourvus de chair qui pourraient en boire, car la boisson tirée de la vigne a trait à la chair, non à l'esprit.
C'est pourquoi le Seigneur disait : « Lorsque tu donnes un dîner ou un souper, n'invite pas des riches, ni des amis, des voisins et des parents, de peur qu'eux aussi ne t'invitent à leur tour et qu'ils ne te le rendent ; mais invite des estropiés, des aveugles, des pauvres, et heureux seras-tu de ce qu'ils n'ont pas de quoi te rendre, car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes. » Il dit encore : « Quiconque aura quitté champs, ou maisons, ou parents, ou frères, ou enfants à cause de moi, recevra le centuple en ce siècle et héritera de la vie éternelle dans le siècle à venir. » Quel est en effet le centuple que l'on recevra en ce siècle, et quels sont les dîners et les soupers qui auront été donnés aux pauvres et qui seront rendus ? Ce sont ceux qui auront lieu au temps du royaume, c'est-à-dire en ce septième jour qui a été sanctifié et en lequel Dieu s'est reposé de toutes les œuvres qu'il avait faites : vrai sabbat des justes, en lequel ceux-ci, sans plus avoir à faire aucun travail pénible, auront devant eux une table préparée par Dieu et regorgeant de tous les mets.
C'est le contenu même de cette bénédiction dont Isaac bénit Jacob, son fils cadet, en lui disant : « Voici que l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ rempli de blé qu'a béni le Seigneur. » Or le champ, c'est le monde. Aussi Isaac ajouta-t-il : « Que Dieu te donne, de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, abondance de blé et de vin ! Que les nations te servent, et que les princes se prosternent devant toi ! Sois le seigneur de ton frère, et que les fils de ton père se prosternent devant toi ! Maudit soit qui te maudira, et béni soit qui te bénira ! » Si l'on n'entend pas cela des temps du royaume dont nous venons de parler, on tombera dans  des  contradictions  et  des  difficultés  considérables, celles-là mêmes où les Juifs tombent et se débattent. Car non seulement, durant son séjour sur terre, Jacob ne vit pas les nations le servir, mais, à peine reçue la bénédiction, ce fut lui qui partit servir son oncle Laban le Syrien durant vingt ans. Et non seulement il ne devint pas le seigneur de son frère, mais ce fut lui qui se prosterna devant Esaï, quand il revint de Mésopotamie vers  son père,   et qui lui offrit quantité de présents.  Et l'abondance du blé et du vin, comment les reçut-il ici-bas en héritage, lui qui, à la suite d'une famine survenue dans le pays qu'il habitait, émigra en Egypte, pour y devenir sujet de Pharaon qui régnait alors en Egypte? La bénédiction dont nous venons de parler se rapporte donc sans conteste aux temps du royaume : alors régneront les justes, après être ressuscites d'entre les morts et avoir été,   du fait de cette résurrection même,  comblés d'honneur  par  Dieu ;  alors  aussi la  création,   libérée  et renouvelée, produira en abondance toute espèce de nourriture, grâce à la rosée du ciel et à la graisse de la terre.
C'est ce que les presbytres qui ont vu Jean, le disciple du Seigneur,  se souviennent avoir entendu de lui,  lorsqu'il évoquait l'enseignement du Seigneur relatif à ces temps-là. Voici donc ces paroles du Seigneur : « Il viendra des jours où des vignes croîtront, qui auront chacune dix mille ceps, et sur chaque cep dix mille branches, et sur chaque branche dix mille bourgeons, et sur chaque bourgeon dix mille grappes, et sur chaque grappe dix mille grains, et chaque grain pressé donnera vingt-cinq cuves de vin. Et lorsque l'un des saints cueillera une grappe, une autre grappe lui criera : Je suis meilleure, cueille-moi et, par moi, bénis le Seigneur ! De même le grain de blé produira dix mille épis, chaque épi aura dix mille grains et chaque grain donnera cinq tonnes de belle farine ; et il en sera de même, toute proportion gardée, pour les autres fruits, pour les semences et pour l'herbe. Et tous les animaux, usant de cette nourriture qu'ils recevront de la terre, vivront en paix et en harmonie les uns avec les autres et seront pleinement soumis aux hommes. » Voilà ce que Papias, auditeur de Jean, familier de Polycarpe, homme vénérable, atteste par écrit dans le quatrième de ses livres — car il existe cinq livres composés par lui —. Il ajoute : « Tout cela est croyable pour ceux qui ont la foi. Car, poursuit-il, comme Judas le traître demeurait incrédule et demandait : Comment Dieu pourra-t-il créer de tels fruits ? — le Seigneur lui répondit : Ceux-là le verront, qui vivront jusqu'alors. »
Tels sont donc les temps que prophétisait Isaïe, lorsqu'il disait : « Le loup paîtra avec l'agneau, le léopard reposera avec le chevreau ; le veau, le taureau et le lion paîtront ensemble, et un petit enfant les conduira. Le bœuf et l'ours paîtront ensemble, et leurs petits seront ensemble ; le lion comme le bœuf mangera de la paille. L'enfant en bas âge mettra sa main dans le trou de la vipère et dans le gîte des petits de la vipère, et ils ne feront pas de mal et ils ne pourront plus faire périr personne sur ma montagne sainte. » Reprenant les mêmes traits, il dit encore ailleurs : « Alors loups et agneaux paîtront ensemble ; le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, et le serpent mangera de la terre en guise de pain, et ils ne feront ni mal ni dommage sur ma montagne sainte, dit le Seigneur. » Certains, je ne l'ignore pas, tentent d'appliquer ces textes de façon métaphorique à ces hommes sauvages qui, issus de diverses nations et ayant eu toute espèce de comportements, ont embrassé la foi et, depuis qu'ils ont cru, vivent en bonne entente avec les justes. Mais, même si cela a lieu dès à présent pour des hommes issus de toutes sortes de nations et venus à une même disposition de foi, cela n'en aura pas moins lieu pour ces animaux lors de la résurrection des justes, ainsi que nous l'avons dit ; car Dieu est riche en toutes choses, et il faut que, lorsque le monde aura été rétabli dans son état premier, toutes les bêtes sauvages obéissent à l'homme et lui soient soumises et qu'elles reviennent à la première nourriture donnée par Dieu, à la manière dont elles étaient soumises à Adam avant sa désobéissance et dont elles mangeaient les fruits de la terre. Ce n'est d'ailleurs pas le moment de prouver que le lion se nourrira de paille; mais ce trait indique bien la grandeur et l'opulence des fruits : car, si une bête telle que le lion doit se nourrir de paille, quel ne sera pas le blé dont la simple paille suffira à nourrir des lions !

 Israël rétabli dans sa terre, afin d'y avoir part aux biens du Seigneur

Isaïe lui-même annonce clairement qu'une joie de cette sorte aura lieu à la résurrection des justes, lorsqu'il dit : « Les morts ressusciteront, ceux qui sont dans les tombeaux se lèveront et ceux qui sont dans la terre se  réjouiront, car la rosée qui vient de toi est pour eux une guérison » Ezéchiel dit de même : « Voici que je vais ouvrir vos tombeaux, et je vous ferai sortir de vos tombeaux, et je vous introduirai dans la terre d'Israël. Et vous saurez que je suis le Seigneur, quand j Ouvrirai vos tombeaux, quand je ferai sortir des tombeaux mon peuple. Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez, et je vous établirai sur votre terre, et vous saurez que je suis le Seigneur. » Le même prophète dit encore : «Voici ce que dit le Seigneur : Je rassemblerai Israël d'entre toutes les nations parmi lesquelles ils ont été dispersés, et je me sanctifierai en eux aux yeux des peuples des nations, et ils habiteront sur leur terre, que j'ai donnée à mon serviteur Jacob. Ils y habiteront en sécurité ; ils bâtiront des maisons et planteront des vignes ; ils habiteront en sécurité, quand j'exercerai un jugement sur tous ceux qui les auront méprisés, sur ceux de leurs alentours, et ils sauront que je suis le Seigneur, leur Dieu et le Dieu de leurs pères. » Or nous avons montré un peu plus haut que c'est l'Eglise qui est la postérité d'Abraham. Et c'est pourquoi, afin que nous sachions que tout cela se réalisera dans la Nouvelle Alliance, qui, de toutes les nations, rassemble ceux qui sont sauvés, suscitant ainsi à partir des pierres des fils à Abraham, Jérémie dit : « C'est pourquoi voici que des jours viennent, dit le Seigneur, où l'on ne dira plus : "Le Seigneur est vivant, lui qui a ramené les fils d'Israël de l'Egypte", mais : "Le Seigneur est vivant, lui qui a ramené les fils d'Israël du pays du septentrion et de toutes les contrées où ils avaient été chassés, et qui va les rétablir sur leur terre, celle qu'il avait donnée à leurs pères. »
Que toute créature doive, selon la volonté de Dieu, croître et parvenir à la plénitude de sa stature, pour produire et faire mûrir de tels fruits, c'est ce que dit Isaïe : « Sur toute haute montagne et sur toute colline élevée il y aura des cours d'eau, en ce jour où beaucoup périront et où les tours tomberont. La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera septuplée, le jour où le Seigneur portera remède à la ruine de son peuple et guérira la douleur de ta plaie.» La «douleur de la plaie», c'est celle de cette plaie dont fut frappé l'homme à l'origine, lorsqu'il désobéit en Adam ; cette plaie, qui est la mort, Dieu la guérira en nous ressuscitant d'entre les morts et en nous établissant dans l'héritage des pères, selon ce que contient la bénédiction de Japhet : « Que Dieu donne de l'espace à Japhet, et qu'il habite dans les demeures de Sem. » Isaïe dit encore : « Tu mettras ta confiance dans le Seigneur, et il t'introduira dans les biens de la terre, et il te nourrira de l'héritage de Jacob ton père. » C'est ce que dit aussi le Seigneur : « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant devant eux, les servira. S'il arrive à la veille du soir et qu'il les trouve ainsi, heureux sont-ils, car il les fera mettre à table et les servira; et si c'est à la deuxième ou à la troisième veille qu'il arrive, heureux sont-ils. » C'est cela même que Jean dit aussi dans l'Apocalypse : « Heureux et saint celui qui a part à la première résurrection  ! » Isaïe a également indiqué le moment où auront lieu ces événements : « Et je dis : Jusque à quand, Seigneur ? Jusqu'à ce que les villes soient dépeuplées, faute d'habitants, ainsi que les maisons, faute d'hommes, et que la terre soit laissée déserte. Après cela le Seigneur éloignera les hommes, et ceux qui auront été laissés se multiplieront sur la terre. » Daniel dit de même : « Le règne, la puissance et la grandeur des rois qui sont sous le ciel ont été donnés aux saints du Très-Haut ; son règne est un règne éternel, et tous les empires le serviront et lui obéiront. » Et pour qu'on ne s'imagine pas que cette promesse concerne l'époque présente, il fut dit au prophète : « Pour toi, viens et tiens-toi dans ton héritage lors de la consommation des jours. »
Que ces promesses s'adressent non seulement aux prophètes et aux pères, mais aux Eglises rassemblées d'entre les gentils — à ces Églises auxquelles l'Esprit donne le nom d'«îles» parce qu'elles se trouvent placées au milieu du tumulte, qu'elles subissent la tempête des blasphèmes, qu'elles sont un port de salut pour ceux qui sont en péril et un refuge pour ceux qui aiment la vérité et s'efforcent de fuir l'abîme de l'erreur —, c'est ce que Jérémie dit en ces termes : « Nations, écoutez la parole du Seigneur et annoncez-la dans les îles lointaines ; dites : "Celui qui a dispersé Israël le rassemblera et le gardera comme un berger son troupeau ; car le Seigneur a racheté Jacob, il l'a délivré de la main d'un plus fort que lui". Ils viendront et se réjouiront sur la montagne de Sion ; ils viendront vers les biens du Seigneur, vers une terre de blé, de vin et de fruits, de bœufs et de brebis ; leur âme sera comme un arbre fertile, et ils n'auront plus faim désormais. Alors les jeunes filles se réjouiront dans l'assemblée des jeunes gens, et les vieillards se réjouiront ; je changerai leur deuil en joie, je les réjouirai. Je fortifierai et j'enivrerai l'âme des prêtres, fils de Lévi, et mon peuple se rassasiera de mes biens. » Les lévites et les prêtres, nous l'avons montré dans le livre précédent, ce sont tous les disciples du Seigneur, qui, eux aussi, « enfreignent le sabbat dans le Temple et ne sont pas coupables». De telles promesses signifient donc, de toute évidence, le festin que fournira cette création dans le royaume des justes et que Dieu a promis d'y servir.

 Jérusalem glorieusement rebâtie

Isaïe dit encore au sujet de Jérusalem et de Celui qui y régnera : « Voici ce que dit le Seigneur : Heureux celui qui a une postérité dans Sion et une parenté dans Jérusalem ! Voici qu'un Roi juste régnera, et les princes gouverneront avec droiture. » Et à propos des préparatifs de sa reconstruction il dit : « Voici que je te prépare pour pierres de l'escarboucle et pour fondements du saphir ; je ferai tes créneaux de jaspe, tes portes de cristal et ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront enseignés par le Seigneur, tes enfants seront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » Le même prophète dit encore : « Voici que je crée Jérusalem pour l'allégresse, et mon peuple pour la joie. Je serai dans l'allégresse au sujet de Jérusalem, et dans la joie au sujet de mon peuple. On n'y entendra plus désormais le bruit des lamentations ni le bruit des clameurs ; il n'y aura plus là d'homme frappé d'une mort prématurée, ni de vieillard qui n'accomplisse pas son temps : car le jeune homme aura cent ans, et le pécheur qui mourra aura cent ans et sera maudit. Ils bâtiront des maisons et eux-mêmes les habiteront ; ils planteront des vignes et eux-mêmes en mangeront les fruits. Ils ne bâtiront pas pour que d'autres habitent; ils ne planteront pas pour que d'autres mangent. Car les jours de mon peuple seront comme les jours de l'arbre de vie : ils useront les ouvrages de leurs mains. »
Si certains essaient d'entendre de telles prophéties dans un sens allégorique, ils ne parviendront même pas à tomber d'accord entre eux sur tous les points. D'ailleurs, ils seront convaincus d'erreur par les textes eux-mêmes, qui disent : « Lorsque les villes des nations seront dépeuplées, faute d'habitants, ainsi que les maisons, faute d'hommes, et lorsque la terre sera laissée déserte... » « Car voici, dit Isaïe, que le Jour du Seigneur vient, porteur de mort, plein de fureur et de colère, pour réduire la terre en désert et en exterminer les pécheurs. » Il dit encore : « Que l'impie soit enlevé, pour ne point voir la gloire du Seigneur ! » « Et après » que « cela » aura eu lieu, « Dieu, dit-il, éloignera les hommes, et ceux qui auront été laissés se multiplieront sur la terre. » « Ils bâtiront des maisons et eux-mêmes les habiteront; ils planteront des vignes et eux-mêmes en mangeront. » Toutes les prophéties de ce genre se rapportent sans conteste à la résurrection des justes, qui aura lieu après l'avènement de l'Antéchrist et l'anéantissement des nations soumises à son autorité : alors les justes régneront sur la terre, croissant à la suite de l'apparition du Seigneur ; ils s'accoutumeront, grâce à lui, à saisir la gloire du Père et, dans ce royaume, ils accéderont au commerce des saints anges ainsi qu'à la communion et à l'union avec les réalités spirituelles. Et tous ceux que le Seigneur trouvera en leur chair, l'attendant des cieux après avoir enduré la tribulation et avoir échappé aux mains de l'Impie, ce sont ceux dont le prophète a dit : « Et ceux qui auront été laissés se multiplieront sur la terre. » Ces derniers sont aussi tous ceux d'entre les païens que Dieu préparera d'avance pour que, après avoir été laissés, ils se multiplient sur la terre, soient gouvernés par les saints et servent à Jérusalem.
Plus clairement encore, au sujet de Jérusalem et du royaume qui y sera établi, le prophète Jérémie a déclaré : « Regarde vers l'Orient, ô Jérusalem, et vois la joie qui te vient de la part de Dieu. Voici qu'ils viennent, tes fils que tu avais congédiés, ils viennent, rassemblés de l'Orient à l'Occident par la parole du Saint, se réjouissant de la gloire de Dieu. Quitte, Jérusalem, la robe de ton deuil et de ton affliction, et revêts pour toujours la parure de la gloire venant de ton Dieu. Enveloppe-toi du manteau de la justice venant de Dieu ; mets sur ta tête le diadème de la gloire éternelle. Car Dieu montrera ta splendeur à toute la terre qui est sous le ciel. Car ton nom te sera donné par Dieu pour jamais : "Paix de la justice" et "Gloire de la piété". Lève-toi, Jérusalem, tiens-toi sur la hauteur, et regarde vers l'Orient ; et vois tes fils rassemblés du couchant au levant par la parole du Saint, se réjouissant de ce que Dieu s'est souvenu d'eux. Ils t'avaient quittée à pied, emmenés par les ennemis ; Dieu te les ramène portés avec honneur, comme un trône royal. Car Dieu a ordonné de s'abaisser à toute montagne élevée et aux collines éternelles, et aux vallées de se combler pour aplanir la terre, afin qu'Israël marche en sécurité sous la gloire de Dieu. Les forêts et tous les arbres odoriférants ont prêté leur ombre à Israël par ordre de Dieu. Car Dieu conduira Israël avec joie à la lumière de sa gloire, avec la miséricorde et la justice qui viennent de lui-même. » Ces événements ne sauraient se situer dans les lieux supracélestes — « car Dieu, vient de dire le prophète, montrera ta splendeur à toute la terre qui est sous le ciel » —, mais ils se produiront aux temps du royaume, lorsque la terre aura été renouvelée par le Christ et que Jérusalem aura été rebâtie sur le modèle de la Jérusalem d'en haut.

 Après le royaume des justes : la Jérusalem d'en haut et le royaume du Père

C'est au sujet de celle-ci que le prophète Isaïe a dit : « Voici que sur mes mains j'ai peint tes murs, et tu es sans cesse devant mes yeux. » L'Apôtre dit pareillement aux Galates : « Mais la Jérusalem d'en haut est libre, et c'est elle qui est notre Mère » : il ne dit pas cela de l'Enthymésis d'un Eon égaré, ni d'une Puissance séparée du Plérôme et dénommée Prounikos, mais de la Jérusalem peinte sur les mains de Dieu.
C'est aussi cette dernière que, dans l'Apocalypse, Jean a vue descendre sur la terre nouvelle. Car, après les temps du royaume, «je vis, dit-il, un grand trône blanc et Celui qui y était assis ; de devant sa face le ciel et la terre s'enfuirent, et il ne se trouva plus de place pour eux. » Il décrit alors en détail la résurrection et le jugement universels : «Je vis, dit-il, les morts, les grands et les petits. Car la mort rendit les morts qui se trouvaient en elle; la mort et l'enfer rendirent ceux qui étaient en eux. Des livres furent ouverts. On ouvrit aussi le livre de vie, et les morts furent jugés, d'après ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs œuvres. Puis la mort et l'enfer furent jetés dans l'étang de feu : cet étang de feu, c'est la seconde mort. » C'est ce qu'on appelle la Géhenne, dite aussi « feu éternel » par le Seigneur. « Et quiconque, dit Jean, ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de vie fut jeté dans l'étang de feu. » Il dit ensuite : « Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre s'en étaient allés, et la mer n'était plus. Et je vis la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descendre du ciel, d'auprès de Dieu, apprêtée comme une fiancée parée pour son époux. Et j'entendis une grande voix, sortant du trône, qui disait : "Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes : il habitera avec eux, et ils seront ses peuples ; Dieu lui-même sera avec eux et sera leur Dieu. Et il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses s'en sont allées". » Isaïe l'avait déjà dit : «Ce sera le ciel nouveau et la terre nouvelle ; on ne se souviendra plus des premières choses et elles ne reviendront plus à l'esprit ; mais on trouvera joie et allégresse dans cette terre nouvelle. » C'est ce que dit l'Apôtre : « Car elle passe, la figure de ce monde. » Et le Seigneur dit pareillement : « Le ciel et la terre passeront. » Quand donc ces choses auront passé, nous dit Jean, le disciple du Seigneur, sur la terre nouvelle descendra la Jérusalem d'en haut, telle une fiancée parée pour son époux, et c'est elle qui sera le tabernacle de Dieu, en lequel Dieu habitera avec les hommes. C'est de cette Jérusalem-là que sera l'image la Jérusalem de la première terre, où les justes s'exerceront à l'incorruptibilité et se prépareront au salut, comme c'est aussi de ce tabernacle-là que Moïse a reçu le modèle sur la montagne.
Et rien de tout cela ne peut s'entendre allégoriquement, mais  au  contraire  tout  est  ferme,   vrai,   possédant  une existence authentique, réalisé par Dieu pour la jouissance des hommes justes. Car, de même qu'est réellement Dieu Celui qui ressuscitera l'homme, c'est réellement aussi que l'homme ressuscitera d'entre les morts, et non allégoriquement, ainsi que nous l'avons abondamment montré. Et de même qu'il ressuscitera réellement,  c'est réellement aussi qu'il  s'exercera  à l'incorruptibilité,   qu'il croîtra et  qu'il parviendra  à la  plénitude  de sa vigueur  aux temps  du royaume, jusqu'à devenir capable de saisir la gloire du Père. Puis, quand toutes choses auront été renouvelées, c'est réellement qu'il habitera la cité de Dieu.  Car,  dit Jean, « Celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles. Et il ajouta : Ecris, car ces paroles sont sûres et véridiques. Et il me dit : C'est fait ! »
Rien de plus juste, car,  puisque réels sont les hommes, réel doit être aussi le transfert qui les affectera, étant toutefois admis qu'ils ne s'en iront pas au néant, mais  progresseront  au  contraire  dans  l'être.   Car  ni  la substance ni la matière de la création ne seront anéanties — véridique et stable est Celui qui l'a établie —, mais « la figure de ce monde passera»,  c'est-à-dire les choses en lesquelles la transgression a eu lieu : car l'homme a vieilli en elles. Voilà pourquoi cette « figure » a été créée temporelle, Dieu sachant d'avance toutes choses, comme nous l'avons montré dans le livre précédent, là où nous avons expliqué dans la mesure du possible le pourquoi de la création d'un monde temporel. Mais lorsque cette « figure » aura passé, que l'homme aura été renouvelé, qu'il sera mûr pour l'incorruptibilité au point de ne plus pouvoir vieillir, « ce sera alors le ciel nouveau et la terre nouvelle », en lesquels  l'homme  nouveau  demeurera,   conversant  avec Dieu  d'une  manière toujours  nouvelle.   Que cela doive durer toujours  et  sans  fin,   Isaïe le  dit en ces  termes : « Comme le ciel nouveau et la terre nouvelle que je vais créer subsisteront devant moi, dit le Seigneur, ainsi subsisteront votre postérité et votre nom. »
Et, comme le disent les presbytres, c'est alors que ceux qui auront été jugés dignes du séjour du ciel y pénétreront, tandis que d'autres jouiront des délices du paradis, et que d'autres encore posséderont la splendeur de la cité ; mais partout Dieu sera vu, dans la mesure où ceux qui le verront en seront dignes. Telle sera la différence d'habitation entre ceux qui auront produit cent pour un, soixante pour un, trente pour un : les premiers seront enlevés aux cieux, les seconds séjourneront dans le paradis, les troisièmes habiteront la cité : c'est la raison pour laquelle le Seigneur a dit qu'il y avait de nombreuses demeures chez son Père. Car tout appartient à Dieu, qui procure à chacun l'habitation qui lui convient : comme le dit son Verbe, le Père partage à tous selon que chacun en est ou en sera digne. C'est là la salle du festin en laquelle prendront place et se régaleront les invités aux noces.
Tels sont, au dire des presbytres, disciples des apôtres, l'ordre et le rythme que suivront ceux qui sont sauvés, ainsi que les degrés par lesquels ils progresseront : par l'Esprit ils monteront au Fils, puis par le Fils ils monteront au Père, lorsque le Fils cédera son œuvre au Père, selon ce qui a été dit par l'Apôtre : « Il faut qu'il règne, jusqu'à ce que Dieu ait mis tous ses ennemis sous ses pieds : le dernier ennemi qui sera anéanti, c'est la mort. » Aux temps du royaume, en effet, l'homme, vivant en juste sur la terre, publiera de mourir. « Mais, poursuit l'Apôtre, lorsque l'Écriture dit que tout lui a été soumis, il est clair que c'est en exceptant Celui qui lui a soumis toutes choses. Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. »

 Conclusion

Ainsi donc, de façon précise, Jean a vu par avance la première résurrection, qui est celle des justes, et l'héritage de la terre qui doit se réaliser dans le royaume ; de leur côté, en plein accord avec Jean, les prophètes avaient déjà prophétisé sur cette résurrection. C'est exactement cela que le Seigneur a enseigné lui aussi, quand il a promis de boire le mélange nouveau de la coupe avec ses disciples dans le royaume, et encore lorsqu'il a dit : « Des jours viennent où les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l'homme, et ils ressusciteront, ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de jugement» : il dit par là que ceux qui auront fait le bien ressusciteront les premiers pour aller vers le repos, et qu'ensuite ressusciteront ceux qui doivent être jugés. C'est ce qu'on trouve déjà dans le livre de la Genèse, d'après lequel la consommation de ce siècle aura lieu le sixième jour, c'est-à-dire la six millième année; puis ce sera le septième jour, jour du repos, au sujet duquel David dit : « C'est là mon repos, les justes y entreront » : ce septième jour est le septième millénaire, celui du royaume des justes, dans lequel ils s'exerceront à l'incorruptibilité, après qu'aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été gardés dans ce but. C'est ce que confesse l'apôtre Paul, lorsqu'il dit que la création sera libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu.
Et en tout cela et à travers tout cela apparaît un seul et même Dieu Père : c'est lui qui a modelé l'homme et promis aux pères l'héritage de la terre ; c'est lui qui le donnera lors de la résurrection des justes et réalisera ses promesses dans le royaume de son Fils ; c'est lui enfin qui accordera, selon sa paternité, ces biens que l'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus et qui ne sont pas montés au cœur de l'homme. Il n'y a en effet qu'un seul Fils, qui a accompli la volonté du Père, et qu'un seul genre humain, en lequel s'accomplissent les mystères de Dieu. Ces mystères, «les anges aspirent à les contempler», mais ils ne peuvent scruter la Sagesse de Dieu, par l'action de laquelle l'ouvrage par lui modelé est rendu conforme et concorporel au Fils : car Dieu a voulu que sa Progéniture, le Verbe premier-né, descende vers la créature, c'est-à-dire vers l'ouvrage modelé, et soit saisie par elle, et que la créature à son tour saisisse le Verbe et monte vers lui, dépassant ainsi les anges et devenant à l'image et à la ressemblance de Dieu.
 
 

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