En
quelques mots, qu'est-ce que Criteo ? Que m'apporte votre
société à moi, ménagère de moins de 50 ans
?
Jean-Baptiste Rudelle. Criteo est un moteur collaboratif.
Le principe est d'utiliser l'expérience des autres internautes
pour découvrir plus rapidement ce qui est pertinent pour
soi. Pour la ménagère, cela permet d'aller directement
sur les produits qui sont susceptibles de lui plaire,
sans devoir browser pendant des heures.
En quoi votre service est-il
différent de celui d'Amazon ?
Excellente question que nous ont posée tous les financiers
qu'on a rencontré ! Le moteur d'Amazon permet de comparer
les produits entre eux, alors que Criteo compare les utilisateurs
de manière relative. Pour donner un exemple, si vous aimez
Matrix, mais que vous n'avez pas aimé le deux, Amazon
va vous recommander le trois. Pourtant on constate statistiquement
que ceux qui n'ont pas aimé le deux, n'ont en général
pas aimé le trois. Et puis, Amazon est disponible uniquement
en Internet ! Notre moteur, au contraire, est offert à
tous les sites qui le souhaitent en marque blanche.
Chez quel client avez-vous
intégré la solution Criteo ? Des grands comptes ? Quand
pourrons-nous profiter des recommandations de votre moteur
sur un grand site d'e-commerce ?
On vient de signer un très gros compte, qui devrait être
livré en octobre prochain. Il faut en moyenne 2
à 3 semaines pour intégrer la technologie Criteo sur un
site marchand.
Votre business model repose-t-il
sur la vente aux grands comptes ou sur les commissions
que vous récupérez quand un internaute achète via votre
site ?
Notre site est essentiellement un site de démonstration.
Il n'a pas vocation à être une source de revenus. Nous
vendons la techno en marque blanche à des grands portails
verticaux et à des sites de commerce électronique. La
technologie est diffusée en ASP sous forme de Web services,
ce qui facilite l'intégration. La facturation s'effectue
selon le nombre d'utilisateurs actifs par mois. C'est
très simple et transparent.
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Nous
nous plaçons en amont des comparateurs" |
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Quelle différence avec les
comparateurs de prix ?
On vient en amont d'un comparateur. Un comparateur de
prix suppose que vous savez ce que vous recherchez. Or
bien souvent, l'internaute n'a qu'une idée très vague
de ce qu'il veut. Par exemple, il veut "un film sympa"
ou "un nouveau T-shirt cool", mais n'est pas capable d'être
plus explicite. Le comparateur de prix est pertinent quand
l'internaute a déjà fait un premier choix parmi une liste
de produits.
Le moteur Criteo est-il spécifique
aux films ? Pourriez-vous me recommander des restaurants
ou des voyages ?
Le moteur Criteo compare les utilisateurs les uns avec
les autres. Donc, il peut s'appliquer virtuellement sur
toutes les catégories de produits. Bien sûr, ça
marche mieux sur les gros catalogues et les produits où
il existe une certaine subjectivité (produits culturels,
vêtements, restaurants, blogs...) que les produits purement
techniques (barrette mémoire...) où une simple description
technique et la moyenne des avis suffissent.
Un partenariat avec DailyMotion
est-il envisageable même s'ils ne font pas de e-commerce
(donc pas de commission) ?
Ce type de partenariat est en effet très pertinent. D'ailleurs
on vient de faire une démonstration de notre technologie
de filtrage collaboratif sur le catalogue YouTube. La
démo est visible sur l'onglet vidéo du site www.criteo.com.
Cela permet d'avoir un filtrage plus précis que les tags.
Car ces sites de vidéo ont tellement de succès que le
système de tags est débordé. Quand vous tapez "chien"
et qu'on vous sort 5.000 résultats, on voit qu'un autre
niveau de filtrage est nécessaire. Le filtrage collaboratif
(sur les goûts des autres internautes) est particulièrement
pertinent dans ce cas. On vous montre que ce les gens
qui vous ressemblent ont aimé.
Un partenariat avec YouTube
et Myspace est-il possible ?
Le partenariat avec YouTube est déjà sur les rails. Avec
Myspace, pourquoi pas. On n'a pas encore discuté avec
eux. Mais il est clair que tous les sites qui gèrent d'énormes
volumes de contenus auront besoin tôt ou tard d'une technologie
de filtrage.
Combien d'utilisateurs réguliers
compte Criteo ?
Le modèle mathématique de la technologie a été calé sur
plus de 150.000 profils clients. Le trafic sur le site
Criteo n'est pas très significatif. Mais c'est avant tout
un site de démonstration et non un site B2C.
Votre équipe compte combien
de collaborateurs ?
On est 15 personnes. Et à la recherche de commerciaux
pour ceux que cela intéresse. La conduite de projets de
transformation Web 1.0 à Web 2.0 que l'on fait pour nos
clients nécessite des gens avec une bonne culture Web.
Voilà pour la pub RH !
Et comment faites-vous pour
financer une telle équipe ?
Nous avons levé 3 millions d'euros auprès de capitaux-risqueurs
: AGF, PE, et ELAIA.
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Nous
atteindrons l'équilibre fin 2007" |
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A quand l'équilibre opérationnel
?
D'ici la fin 2007. Les investissements en R&D sont en
effet très importants
Plus les membres de Criteo
évaluent de films plus ma recommandation est pertinente.
Je souhaiterai connaître quel est le taux maximum de fiabilité
que vous ayez constaté sur la partie DVD ? En gros, à
quand le 99 % ?
99 % est malheureusement impossible ! Mais on y travaille.
En effet, le principe est que plus les gens évaluent de
produits, plus les recommandations sont pertinentes. De
même pour les produits. Il y a un effet boule de neige
vertueux qui va très vite sur les sites à fort trafic.
Quel a été l'investissement
de départ ? Quel est le ticket d'entrée pour vos clients
?
Pour Criteo, l'investissement c'est essentiellement 2
ans de R&D avec les labos de l'INRIA et de Supélec. En
effet, la techno est vraiment nouvelle. En ce qui concerne
nos clients, ils ne payent que ce qu'ils utilisent. C'est
tout l'intérêt pour eux d'externaliser cette brique technologique.
Filtrage de contenus, approche
collaborative,... cela suppose que les sites soient fortement
tournés vers l'expérience client. Plus que vers le mode
catalogue un peu brutal. Comment jugez-vous l'état de
maturité des portails média et de commerce de ce point
de vue ?
Bonne question ! Les grands leaders de l'Internet sont
encore vraiment au démarrage de leur réflexion sur le
sujet. Pour l'instant, la recherche par mots clés domine
encore les esprits. Mais il faut réaliser que rechercher
par mot clé suppose de... savoir ce qu'on cherche ! Or
on l'a vu, c'est loin d'être toujours le cas. Par ailleurs,
le système de tags est victime de son succès. Vous tapez
"CPE" dans un moteur de recherche de blogs et vous avez
90.000 résultats de postes. Comment savoir ceux qui sont
pertinents pour vous ?
En quoi Criteo est-il Web 2.5
?
Haha, j'adore ce concept. Plus sérieusement, on peut dire
que le Web 2.0, c'est le web collaboratif. Avec pour conséquence
une explosion de l'information disponible. Le Web 2.5,
c'est le filtrage intelligent de cette information. Le
Web 2.0 c'est aussi les tags. On a vu que sans des nouveaux
outils au dessus, le Web 2.0 risque de buter sur ses propres
limites en termes de complexité pour l'utilisateur. D'ou
l'idée de Web 2.5 !
Marc Simoncini de Meetic estimerait
que le Web 2.0 c'est du vent. Votre point de vue ?
Le problème c'est qu'on met tout et n'importe quoi sous
ce mot. Ce qui est vrai, c'est qu'une nouvelle génération
de sites a des taux de croissance énormes alors qu'ils
étaient inconnus il y a deux ans. On a l'impression que
les lignes du Web se remettent à bouger. C'est cela le
Web 2.0, un grand vent de fraîcheur après la gueule de
bois de l'après bulle.
Le Web 2.0 c'est du Web 1.0
mais sans frein technologique pour le grand public ?
D'une certaine manière, oui. C'est le grand public qui
s'approprie des outils qui avant, étaient réservés
aux pros. Par exemple, le fait de pouvoir publier son
propre Webzine sous la forme d'un blog. Alors que faire
un vrai site Internet reste compliqué pour le grand public.
La conséquence est un effondrement du coût de production
de l'information. D'ou une nécessité encore plus criante
de la filtrer. Sinon on sera submergé sous tout et n'importe
quoi.
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Il
y a un risque d'emballement, mais les fondamentaux
restent sains" |
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Ne craignez-vous pas une bulle
comme en 99 ? Ce serait un coup dur pour une boite 100
% virtuelle ?
Il y a toujours un risque d'emballement. Néanmoins, les
fondamentaux restent beaucoup plus sains. Les gros sites
sont presque tous rentables, et l'audience est devenue
énorme. C'est rigolo de voir que beaucoup d'élucubrations
qu'on proférait en 2000, sont en passe de devenir vraies.
On s'est simplement trompé sur le timing.
Etes-vous confiant pour l'avenir
de Criteo ?
OUI ! Le besoin de filtrage est énorme. Comme cela nécessite
des technos très complexes (pour fonctionner en temps
réel sur de gros volumes), c'est un métier de spécialiste.
La demande est donc très forte pour des solutions comme
la nôtre. En tant que premier entrant, on a une
position privilégiée. Mais bon, il faut toujours rester
un peu paranoïaque.
Prévoyez-vous une deuxième
levée de fonds ?
Pour l'instant, ce n'est pas d'actualité. Notre cash burn
est très raisonnable, et nous avons une forte visibilité.
Aux Etats-Unis, d'autres sites
proposent déjà une technologie similaire à la vôtre.
Quelles sont, vos opportunités de développement à l'International
?
Pour l'instant, il existe en effet un concurrent sérieux
aux USA. Notre priorité est avant tout l'Europe. Sur cette
zone, il nous semble qu'on a pas mal d'avance. Beaucoup
de sites prétendent savoir faire des recommandations personnalisées.
Mais quand on creuse, très peu sont capables de proposer
une offre industrielle qui peut convenir aux exigences
d'un grand compte.
Envisagez-vous d'ouvrir votre
système de recommandations aux développeurs sous forme
d'API comme Google, eBay, Amazon...
Oui, bien sûr on y pense. Pour l'instant la priorité est
plutôt sur les grands comptes, mais si un développeur
indépendant arrive avec un projet sympa, on est tout à
fait disposé à lui ouvrir un accès.
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Nous
avons un label qui garantit que les recommandations
ne sont pas orientées commercialement" |
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La DGCCRF enquête sur "l'objectivité"
des comparateurs de prix. Doit-elle aussi s'inquiéter
de l'objectivité de votre moteur de suggestions ?
Plutôt qu'objectivité, je parlerai de transparence. Pour
qu'un système de recommandation soit efficace, il est
essentiel que les internautes jouent le jeu. Cela nécessite
d'avoir leur confiance, donc d'être transparent. C'est
la raison pour laquelle on propose des explications et
des indices de fiabilité à toutes nos recommandations.
Nous avons aussi un label Criteo qui garantit que les
recommandations ne sont pas orientées commercialement.
Puisque le filtrage demande
de grosses ressources, comment espérez-vous gérer la
totalité du catalogue de YouTube et particulièrement
les vidéos peu vues ?
C'est toute la complexité de l'algorithme et une grosse
partie de la R&D qui a été réalisée. Non seulement il
faut être capable de gérer des millions de produits,
mais il faut pouvoir donner des réponses en temps réel,
et cela à des milliers d'internautes de manière simultanée.
C'est en général par ces problèmes de capacité qu'on
fait la différence entre les systèmes commerciaux comme
Criteo et les bouts de code en open source qu'on peut
trouver sur Internet.
Quelles sont vos ressources
techniques? Serveurs, bande passante...
On est hébergé chez Colt, à côté des plus grosses pointures
de l'Internet Français. Pour avoir la confiance de grands
comptes, il faut aussi leur montrer qu'on utilise des
prestataires de premier plan.
Est-ce grâce à la revente
de Kewee que vous avez financé le projet Criteo ?
Pour le démarrage, cela a été en effet une aide précieuse.
A la fois financièrement, mais aussi pour tous les contacts
et l'expérience de cette première expérience d'entrepreneur.
Ne craignez-vous pas des
piratages de votre système ?
A priori notre système est difficile à tromper. Pour
cela, il faudrait créer des milliers de profils, tous
différents, ce qui est assez compliqué. Par ailleurs,
les flux avec les clients sont sécurisés. Seuls des
id anonymes circulent. Difficile de reconstituer quoi
que ce soit avec cela.
Quel est donc votre salaire
à ce stade ? Et dans un an une fois le break even atteint
?
Je me paye en dessous du marché (ce qui est la moindre
des choses dans une start-up). Après le break even,
on en reparlera avec nos financiers.
Qu'avez-vous fait comme études
?
J'ai fait une école d'ingénieur (Supelec) et un master
en Télécom à Londres.
Qu'avez-vous fait depuis
la revente de Kewee ?
J'ai d'abord pris un break de 6 mois où j'ai écrit un
livre. L'idée était de montrer le regard d'un entrepreneur
sur l'économie. Après, j'ai eu envie de replonger dans
l'opérationnel : et hop, me voici jusqu'au cou dans
Criteo et j'adore cela !
Que peut-on vous souhaiter
pour cette année?
J'espère que nous allons permettre une prise de conscience
des grands acteurs français que le filtrage de l'information
est leur prochain défi majeur. Et puis, on s'éclate
dans notre boulot, ce qui est déjà un grand plaisir.
Jean-Baptiste Rudelle. Merci à tous pour vos
questions. Et vive le Web 2.5 !
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