L’optique juive traditionnelle ne s’accorde pas facilement avec les positions classiques du débat sur l’avortement.
Puisque le thème de l'avortement ressurgit dans le cadre la campagne
présidentielle aux Etats-Unis, il vaut la peine d'examiner l'approche
du judaïsme à ce sujet. L'optique juive traditionnelle ne
s'accorde pas facilement avec les positions classiques du débat
sur l'avortement. Nous n'interdisons pas radicalement l'avortement,
ni ne le permettons sur demande de manière indiscriminée.
Une femme peut avoir l'impression que jusqu'à la naissance,
le fœtus fait partie intégrante de son corps, et que pour cette
raison elle conserve le droit d'avorter en cas de grossesse non désirée.
Le judaïsme reconnaît-il un droit à " choisir " l'avortement
? Dans quelle situation le judaïsme sanctionne-t-il l'avortement
?
Acquérir une meilleure
compréhension des cas où l'avortement
est permis (ou même requis) et des cas où il est interdit, requiert
l'appréciation de certaines nuances de la halakha (loi juive)
qui régissent le statut du fœtus (1).
La manière la plus simple de concevoir le statut du fœtus d'après
la halakha est de considérer que c'est un être humain à part
entière - mais pas tout à fait (2). Dans la
plupart des cas, le fœtus est traité comme n'importe quelle
autre " personne ".
En général, on ne peut délibérément faire
du mal à un fœtus. Mais s'il semble évident que
la loi juive tient pour responsable celui qui provoque volontairement une
fausse-couche chez une femme, des sanctions sont même requises pour
celui qui porte la main sur une femme enceinte et provoque inintentionnellement
une fausse-couche (3). Cela ne veut pas dire que toutes
les autorités
rabbiniques considèrent l'avortement comme un meurtre. Le fait
que la Torah requiert un dédommagement financier pour avoir provoqué une
fausse-couche, est interprété par certains rabbins comme une
indication que l'avortement n'est pas un crime majeur (4).
D'autres
font remarquer que bien qu'il soit une forme de meurtre, l'avortement
ne requiert pas la peine de mort (5). Il existe même un désaccord
pour savoir si la prohibition concernant l'avortement est biblique
ou rabbinique. Néanmoins, il est universellement admis que le fœtus
est normalement destiné à devenir un véritable être
humain et qu'il doit y avoir une raison très sérieuse
pour permettre l'avortement.
En règle générale,
l'avortement n'est permis
par la loi juive que si l'accouchement ou le fait de porter le fœtus à terme
constitue une menace directe pour la vie de la mère. En de telles circonstances,
le bébé est considéré l'équivalent
d'un rodef, un poursuivant (6),
qui pourchasserait sa mère dans
l'intention
de la tuer. Néanmoins, comme l'explique la Mishna (7), s'il
est possible de sauver la mère en causant une malformation au fœtus,
par exemple en l'amputant d'un membre, l'avortement devient
interdit. Malgré la classification du fœtus comme poursuivant,
une fois que la tête du bébé ou la majorité de son
corps est sortie du ventre de la mère, la vie du bébé devient égale à celle
de la mère ; on ne peut plus faire de préférence, parce
que l'on considère à présent qu'ils se poursuivent
l'un l'autre.
Il est important de relever
que la raison pour laquelle la vie du fœtus
est subordonnée à celle de la mère, est parce que le fœtus
est la cause première de la condition qui menace la vie de la mère,
que ce soit directement (dans le cas d'une toxémie, d'un
placenta praevia ou d'une position de siège) ou indirectement
(ex. exacerbation d'un diabète sous-jacent, maladie des reins
ou hypertension) (8).
Un fœtus ne peut être avorté pour sauver une autre personne
dont la vie n'est pas directement menacée par le fœtus, par
ex. en utilisant les organes fœtaux pour une transplantation.
Le judaïsme tient
compte des facteurs psychiatriques autant que physiques dans l'évaluation
de la menace potentielle que le fœtus représente
pour la mère. Toutefois, le danger posé par le fœtus (qu'il
soit physique ou émotionnel) doit être autant probable que substantiel
pour justifier un avortement (9). Le degré de maladie
mentale nécessaire
pour justifier de mettre un terme à la grossesse, a été largement
débattu par les décisionnaires rabbiniques (10), sans que ceux-ci
soient parvenus à un consensus clair sur les critères exacts
permettant l'avortement dans un tel cas (11). Néanmoins, tous
s'accordent à dire
que si une grossesse devait occasionner de véritables envies suicidaires
chez une femme, ce serait suffisant pour permettre l'avortement (12).
Toutefois, plusieurs experts rabbiniques contemporains ont tranché que,
puisque les dépressions dues à la grossesse et au post-partum
peuvent être
traitées, l'avortement n'est pas justifiable (13).
En règle générale, la loi juive n'attribue pas
de valeur relative à des vies différentes. C'est pourquoi,
la plupart des grands poskim (rabbins qualifiés pour rendre des décisions
dans la loi juive) interdisent l'avortement en cas de malformations ou
de difformités découvertes chez le fœtus.
Rav Moshe Feinstein, l'un des plus grands décisionnaires du siècle
passé, tranche d'ailleurs que l'amniocentèse est
interdite, si elle est accomplie dans le seul but de détecter des malformations
et conduirait les parents à demander l'avortement. Néanmoins,
si un tel test (amniocentèse ou taux d'alpha fœto-protéine)
est effectué afin d'améliorer la prise en charge médicale
du péri-partum ou du post-partum, il est permis.
Alors que la plupart des
décisionnaires interdisent l'avortement
lorsque le fœtus est " défectueux ", Rav Eliézer
Yéhouda Waldenberg est une exception notable. Rav Waldenberg autorise
l'avortement au premier trimestre dans le cas où le fœtus
aurait à souffrir de sa difformité après la naissance
et, jusqu'au septième mois, s'il s'agit d'un
défaut létal comme la maladie de Tay Sachs (14). Les experts
rabbiniques discutent aussi de la permissivité de l'avortement
pour des mères
ayant contracté la rubéole ou pour des bébés avec
un syndrome de Down avéré.
Il existe une divergence
d'opinion concernant l'avortement en
cas d'adultère ou en d'autres cas de relations interdites
d'après la Bible. En cas de viol ou d'inceste, le problème
se pose sur la souffrance émotionnelle que subira la mère si
elle porte le fœtus à terme. En cas de viol, Rav Shlomo Zalman
Auerbach recommande l'utilisation de méthodes pour empêcher
une grossesse après des rapports (15). La même analyse que celle
déjà utilisée dans d'autres cas de souffrance émotionnelle,
peut être employée ici.
Les cas d'adultère introduisent des considérations supplémentaires
au débat, avec des décisions allant de l'interdiction à la
considération de l'avortement comme étant une mitsvah (16).
J'ai tenté de distiller l'essence de l'approche juive
traditionnelle sur l'avortement. Néanmoins, chaque cas est unique
et particulier, et les paramètres déterminant l'autorisation
de l'avortement dans la halakha sont subtils et complexes. Il est crucial
de se rappeler que lorsque l'on est confronté à un patient
dans une telle situation, une autorité halakhique compétente
doit être consultée pour chaque cas.
Traduction et Adaptation de Tsiporah Trom
Notes:
(1) S'il existe un débat parmi les rabbanim
pour déterminer
si l'avortement est une interdiction biblique ou rabbinique, tous s'accordent
sur ce complexe fondamental selon lequel l'avortement n'est permis
que pour protéger la vie de la mère ou en des situations exceptionnelles.
La loi juive ne permet pas l'avortement à la demande sans raison
sérieuse. (2) Igrot Moche, 'Hochen Michpat II : 69B (3) Choul'han Aroukh, 'Hochen michpat 423 : 1 (4) Rabbi Yéhouda Achkenazi, Béer Hetiv, 'Hochen
Michpat 425 : 2 (5) Igrot Moche, ibid (6) Maïmonide, Michné Torah, Lois sur le meurtre 1 : 9, Talmud
Sanhédrin
72B (7) Ohalot 7 : 6 (8) Voir Dr. Abraham Steinberg; Encyclopedia of Jewish Medical
Ethics, " Abortion
and Miscarriage ", pour une discussion poussée sur les indications
maternelles de l'avortement. (9) Igrot moche, ibid (10) Voir Encyclopedia of Jewish Medical Ethics, p. 10, pour
références. (11) Voir Moshe Spero, Judaism and Psychology, p. 168-180. (12) Rav Yitzchak Zilberstein, Emek Halacha, Assia, Vol. 1, 1986, p. 205-209. (13) Rav Shlomo Zalman Auerbach et Rav Yehoshua Neuwirth cité dans la
version en anglais de Nishmat Avraham, 'Hochen Michpat, 425 : 11, p.288. (14) Tzitz Eliézer, Volume 13 : 102. (15) Rav Shlomo Zalman Auerbach et Rav Yehoshua Neuwirth cité dans la
version en anglais de Nishmat Avraham, 'Hochen Michpat, 425 : 23, p.294. (16) Voir l'excellent chapitre dans la version en anglais
de Nishmat Avraham, 'Hochen
Michpat, 425 par le Dr. Abraham Abraham, en particulier p. 293.