Sa Majesté Siculumbaï Diédhiou est roi d’Oussouye. Dans son royaume, on l’appelle familièrement, «Man» ou «Sa Majesté». En pays diola, Siculumbaï veut dire «d’où vient-il ?» Dire que ce nom original et atypique est tout un symbole. Il garde encore son mysticisme dans cet univers païen. Sa Majesté est un Roi animiste. Il règne depuis bientôt six ans. A la suite du décès de son père, l’actuel Roi, Siculumbaï Diédhiou a été intronisé précisément le 17 janvier 2001.
Dans ce royaume situé à trente kilomètres au sud de Ziguinchor, on y conserve encore tout le cérémonial lié à la royauté. La Cour garde encore son protocole. Un sexagénaire tout zélé annonce les visiteurs auprès du Roi. Par un chemin sinueux, il s’engouffre dans un bois situé au cœur de la capitale départementale. En cette matinée de mi-juin, une vingtaine d’enfants accueillent les touristes. Ils sont, pour la plupart, des «orphelins à la charge de sa majesté».
Cinq minutes plus tard, le «valet» revient pour inviter les hôtes du roi à le suivre dans le bois se présentant comme un bunker qui protège le Quartier général (Qg). «Man» accepte de les recevoir mais, faudrait-il, encore, attendre un petit instant. Apparemment, l’étranger n’est pas admis dans la Cour «sacrée» ! Il est reçu, juste, à l’entrée de celle-ci. Deux troncs de rôniers placés à l’entrée du palais servent de salle d’attente. Assis sur ces sièges sculptés pour la circonstance, le groupe composé de journalistes et de guides touristiques du Cap Skiring peut admirer la manie des «orphelins du Roi». Ce matin, ils donnent un coup de main à leur parrain. Avec une dextérité impressionnante, les mômes tissent de la paille sèche devant servir d’abri en ce début d’hivernage. La récréation est vite interrompue par l’annonce de l’arrivée de sa Majesté. Le Roi sort de son palais. D’un pas assuré, Siculumbaï Diédhiou se dirige droit vers l’assistance à qui, il lance un «safoul», bonjour en diola avant de s’asseoir sur un tabouret installé en face du groupe.
La philosophie du peuple païen d’Oussouye
Porte-parole, François Diédhiou dit «Pompidou», l’oncle du Roi insiste sur le fait que son neveu est différent des autres rois. Sa Majesté, éclaire-t-il, est un «Chef religieux, spirituel et traditionnel. C’est un Atémite ou l’être Suprême, le propriétaire des cieux». Selon les explications de Pompidou, il n’est pas possible de voir cet être Suprême, mais, l’on croit ferme qu’il a des collaborateurs sur terre. Et ce sont «les esprits qui sont ces intermédiaires entre Dieu et les hommes». La philosophie atémite veut que cet esprit soit être concret car, il incarne le fétiche. C’est la raison pour laquelle, «les plantes et objets ne sont pas adorés». Ce «collaborateur de Dieu reçoit les offrandes, prie et intercède pour les personnes auprès des Dieux». Dans l’imaginaire de ces croyants, ces esprits ne peuvent pas être égaux ; «il y a une hiérarchie, les forts et les autres».
Aujourd’hui, dans le Oussouye, Siculumbaï Diédhiou détient la «puissance la plus importante de la zone». C’est pourquoi, selon «Pompidou», il s’élève au-dessus de ses sujets pour garder une totale neutralité. Ce qui fait qu’il est apolitique. «Le Roi ne vote pas et il n’exprime pas son opinion par rapport à une idée politique». N’empêche, observe «Pompidou», il reste un interlocuteur et collaborateur privilégiés des autorités administratives du pays.
Le balai, symbole de sa puissance
Sa tunique rouge rappelant «Superman» laisse transparaître un «thioup» bleu. Tandis qu’une chéchia rouge coiffe sa tête. Il ne porte pas de chaussures. Le Roi d’Oussouye marche toujours pieds nus, il n’a pas de voiture et non plus de garde du corps. Son physique trahit bien ses 52 ans. Il est de teint noir d’une taille d’un mètre soixante environ. Dans cette partie de la Casamance, les gens se plaisent à dire que leur Roi est jeune. De rappeler que «Man» est un ancien employé des hôtels du Cap. Un poste qu’il occupait jusqu’à son intronisation comme Roi d’Oussouye.
Comme à l’accoutumée, il détient toujours, par dévers lui, un balai à la main droite. Lequel balai est symbole de sa «puissance». Siculumbaï le garde bien posé sur son orteil droit. Le Roi sue légèrement. Sa main gauche posée sur le genou expose un bracelet en argent mat. L’air concentré, la stature bien droite, il réécoute attentivement l’exposé sur la royauté fait par son oncle et porte-parole, François Diédhiou dit Pompidou.
«Man», représentant de Dieu sur terre
Sa Majesté est vénérée. Pour cause, «Man» est l’être qui représente Dieu sur le monde païen du «Blouf» et il arrive en troisième position : «Après Dieu, les Esprits, c’est lui qui gère les hommes sur terre». A cet effet, il a obligation de veiller à ce que les «dogmes soient respectés». Avant tout, le respect des droits de l’homme prime, fait remarquer le présentateur. Tout comme les crimes sont «bannis» de cet univers animiste. Cette croyance veut que l’auteur d’un crime «se confesse publiquement et obéisse aux recommandations des Esprits». Par exemple, «si ces Esprits peuvent demander des bœufs pour la faute soit pardonnée, sinon, le criminel va connaître des malheurs. Soit directement ou indirectement». Non plus, d’autres faits, comme la soustraction frauduleuse sont «formellement» interdits. Ici, «on ne vole pas», lance l’interprète.
«Man» est gardien de la paix. Il veille «constamment» sur les populations. D’où l’obligation d’intervenir, aussitôt, en cas de conflit pour réconcilier les villages belligérants. Sans les «juger» ! A cet effet, «il suffit qu’il lève le balai et le conflit est fini». Ce qui fait d’ailleurs, «qu’il n’existe pas de rébellion dans la zone d’Oussouye car tous les maquisards sujets du roi ont déposé les armes».
Dans cette société fortement ancrée dans les valeurs traditionnelles, le roi est «nourricier» ! Siculumbaï a mandat de s’assurer que ses sujets n’ont pas faim. Au besoin, il donne à manger et même à fumer. Quiconque a faim en fait la demande au Roi qui le lui fournit discrètement. Le Roi acquiesce de la tête et sourit. Les rizières royales sont entretenues à tour de rôle par les villages vassaux du royaume d’Oussouye. La production tirée de ces rizières est gardée dans des greniers pour parer à toute éventualité. Bref, pour garantir la sécurité alimentaire.
Les femmes dans la Cour, un sujet tabou ?
Tout le quart d’heure que cet exposé a duré, Sa Majesté s’est contentée d’écouter, de sourire et de hocher la tête par moments. Les informations fournies par l’oncle du Roi sont certes instructives, mais les journalistes ont hâte de s’adresser à leur hôte, de lui poser des questions. Seulement, il faudra encore attendre. Siculumbaï Diédhiou va, à la fin de l’entretien, s’adresser aux visiteurs et son oncle répond aux questions de la presse.
Les rapports entre le Roi animiste et les autres religions révélées sont «excellents». «Il n’y a pas de problèmes avec les chefs religieux», assure «Pompidou». Ils vivent, tous, en pleine harmonie. Sa Majesté est toujours l’invité de marque, des autres fêtes religieuses ; il en est informé à temps et comme il se doit. La Cour se plait d’ailleurs à raconter une petite anecdote : «Un jour, on a tardé à informer le Roi d’un gamou annuel. A l’approche de l’évènement, Sa Majesté a, comme d’habitude, pris toutes ses dispositions pour envoyer sa contribution sans avoir reçu l’invitation (…)». Un exemple réussi du dialogue inter-confessionnel et preuve d’une belle cohabitation. Siculumbaî Diédhiou est un «personnage qui joue un rôle d’équilibre dans la société», s’enorgueillit-on à Oussouye.
Par contre, «c’est un peu compliqué» que d’évoquer la place des femmes dans cette royauté. On fait dans le langage ésotérique ! «Les fétiches des hommes et des femmes sont différents et personne ne doit percer le secret de l’autre», se contente-t-on de dire. Pas plus ! Le Roi a une «vie énigmatique» et les populations y croient comme du béton. Il a bien sûr sa maison familiale, là où vivent ses épouses. Hélas, les reines ne logent pas au Quartier général (Qg)
Le Chef spirituel prie pour la paix
Enfin, le Roi va parler. Ses premiers mots en diola s’adressent à ses collaborateurs : «Qui d’entre vous va assurer la traduction ?» Siculumbaï Diédhiou préfère s’exprimer en diola même s’il parle la langue de Molière. Tel est le propos liminaire traduit par l’oncle qui n’est pas encore essoufflé. Le verbe est posé et rythmé par une gestuelle. «Le Roi vous salue et vous souhaite la bienvenue dans son royaume et souhaite la paix à chacun».
Enthousiasmé par ce voyage de presse organisé par les hôteliers du Cap Skiring et par Air Sénégal international pour booster le tourisme, levier majeur du développement économique et social de la zone, l’ancien employé d’hôtel est heureux d’accueillir les journalistes. «Parce que vous êtes des journalistes et que vous devez parler de notre zone en toute responsabilité que je suis prêt à répondre à toutes vos interpellations. C’est une bonne chose que vous soyez venus chez nous car, votre visite va aider à développer cette partie du pays. Le Roi n’est pas bavard et son discours n’est pas long mais, il a le temps de «toujours prier pour ceux qui viennent le voir avant, pendant et après leur venue». Prenant congé de ses hôtes, le chef spirituel païen prie encore pour ses invités-surprise et termine par ces mots: «Allez en paix, rentrez en paix». Amen!